Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Noces de sel.

Alphonse_tabouret
Boutique la Percée D'Hermès







Il flotte encore dans la pièce l’odeur forte des alcools que l’on ne boit pas, ceux dont on se sert pour panser les plaies à vif, et dans un coin de la pièce, Fortuné, renommé Trondelair * au sortir d’une leçon de patois, mange d’une gueule avide l’écuelle de pain et de bouillon que l’on vient de lui servir.
Debout, appuyé au comptoir, Alphonse, s’essuie les mains d’un torchon quand Faust, près de la table remplit les verres d’un vin des vignobles locaux ; neuf février étire ses dernières heures d’une oisiveté méritée à la Boutique d’Hermès où un hamac est venu pousser dans la matinée, et la discussion tourne autour du chien dont la patte, fraichement bandée, stigmate de longues heures au piège d’un collet, frôle à peine le sol.


Faust, regardant pensivement le lévrier:
" Il est beau ce chien... "
Alphonse, acquiesçant, noirs sur la silhouette effilée de l’animal : " Oui, c'est une belle bête; il est grand aussi pour son âge... "
Faust, répétant d’une voix lointaine: " Oui... C'est une belle bête. ", avant d’ajouter, secouant le nez et se détournant du chiot : " Il me fait de la peine."


Prunelles quittent l’un pour aller à l’autre, et question tombe d’une curiosité intacte.


Alphonse : " Pourquoi ? "
Faust, aux évidences qui compactent un magma de pensées à l’essence d’un mot : " Parce que je suis un putain d'empathe. "


La réponse semble Hors Sujet, brume dispersée que Tabouret regarde s’étioler sans en comprendre la densité. Le chien qui manquait au matin est retrouvé, pansé, et trouble le silence amené dans la pièce d’une langue qui fait osciller l’écuelle à la pêche des dernières miettes.
Garçon quitte le billot de bois auquel il s’est appuyé le temps du service et rejoint le dos de Faust qu’il vient enlacer, menton niché dans la pente d’une épaule ; épeires blanches agrippent les bras d’un instantané et solidifient les amants d’une respiration.



Alphonse : " Si tu es un putain d’empathe, pourquoi ne te sens tu pas heureux d’avoir le ventre tendu au confort de ta maison ? "
Faust dont la tête bascule pour y chercher le regard d’Alphonse : " Pourquoi persistes-tu à me trouver malheureux ? "


C’est une remarque qui d’une pertinence est toutefois inexacte.
Voilà plusieurs jours que Tabouret, il est vrai, tâche d’attacher un vocable au cou des maux bleus, d’y dresser un répertoire exact, de faire parler Montfort de ces mélancolies qui le poussent aux discrets retranchements, et la liste reste obstinément incomplète : le retour d’Alexandrie a vidé jusqu’à la moelle des os, accablant Faust d’une fatigue endeuillée sans même avoir touché les quais de Blaye, d’un comté secoué et d’une maison désertée de livraisons de dernière minute. Rien ne s’est passé comme ils l’auraient voulu et Paris y sait que cela peut être, à l’âme zèbre, d’un insurmontable chaos.
Mais ce n’est pas tout ; il reste quelque chose, une rayure qui n’effleure pas même l’esprit du parisien quand il ronge le Périgourdin d’une impuissance à ses émotions ; Faust à ses intempéries, essuie la tempête d’une solitude volontaire.



Alphonse, d’un rire bref et désarmé : " C'est toi qui dis que le chien te fait de la peine… "
Faust : " Oui, le chien… Mais moi je vais bien ! "
Alphonse, lui désignant Fortuné qui s’installe d’une ronde inutile sur lui-même près de la cheminée, baillant d’un claquement sonore : " Mais pourquoi diable as-tu de la peine pour le chien? Regarde le Faust... Il va bien. "
Faust, répétant, d’un sourire, serpent qui serpente : " Parce que je suis un putain d'empathe. "
Alphonse : " Alors bats de la queue... "
Faust : " Mouais…"
Alphonse, jouant d’un souvenir encore frais qui creuse une fossette discrète à la commissure droite: " Il n'y pense déjà plus, lui… Regarde le, ce trondelair... "
Faust, amusé un peu, à un sourire plus doux : " Tu vas finir par me ressembler toi... "
Alphonse, délaçant le dos pour prendre son verre : " Si seulement... "
Faust : " Qu'as-tu dit à Adalyn? Que j'avais de multiples talents?


Est-ce l’habitude qui ne s’étonne pas du changement de sujet, cette drôle d’ambiance qui excuse les sauts d’un coq à l‘âne, ou eux qui sont ainsi, à ces savoirs que certaines choses ne se disent qu’au prix de quelques lacets?
Tabouret prend le verre qui lui a été réservé, jouant de ce nouveau fil que l’on lui tend, aux observations qui lui permettront de le dérouler à sa convenance pour en revenir au sujet qui le préoccupe ; Faust a la gorge nouée d’une émotion qu’il ne partage pas.



Alphonse, acquiesçant, évasivement d’une volonté : " Mmm, pourquoi? Tu l'as croisée ce jour? "
Faust, après une gorgée de vin: " Ja, nous avons un peu discuté. Je lui ai proposé de prendre soin du navire quand nous ne pourrons pas le faire et je l'ai payée pour l’escorte."
Alphonse : " Et là, elle t'a dit que selon moi, tu avais de multiples talents ? "
Faust, d’un regard qui se perd un instant aux trames memento: " Je ne sais plus comment elle l'a dit… j'ai dit que tu étais taiseux à tes talents et elle a dit qu'il paraissait que moi aussi… un truc comme ça. "
Alphonse, après une gorgée de vin, reposant son verre à la table sans le lâcher : " Je lui ai dit que tu étais un bon patron et un honnête homme. "


Faust claque de la langue, marqueur d’opinion qui n’interrompt pas.


Alphonse : " Nous sommes tombés d'accord pour dire que cela était rare. "
Faust : " Tu mets la barre haute. "
Alphonse, épaule se haussant : " Ce n’est que la vérité. "
Faust, s’offusquant faussement : " Et si je voulais la payer une misère et la malmener? Hein ? tu ferais capoter mon plan… "
Alphonse, retournant d’un sourire narquois : " Tes escortes à la fin refusent même d'être payées, Faust... "


Montfort y rit, notes qui s’échappent d’une spontanéité et épanouissent d’une douceur le sourire de Tabouret.


Faust, cédant: " La honte… "
Alphonse, reprenant par-dessus son verre : " J'ai dû lui dire que tu contais... J'adore quand tu contes " , précise-t-il, " je m'en vante pour toi à chaque fois... "
Faust : " Je t'aime. Je veux t'épouser. "
Alphonse : "Ah ah ah … "


Garçon se penche d’un baiser, venant chercher la cerise d’un aussi joli compliment, car c’en est un ; le mariage est un sujet que l’on sait à ce point improbable, une aiguille à ce point sensible dans les opinions de Faust que l’on a pris le pli d’en plaisanter, d’y divaguer, sans jamais s’y attarder d’une possibilité.
Mais Faust recule, vif, amidonné d’une indignation qui n’a rien de surfaite :



Faust : " Ce n'est pas une plaisanterie, putain !" Les doigts saisissent la mâchoire à son élan, aux attentes fauchées d’un baiser qui échoue au vide, et le museau d’Alphonse se modèle d’une incompréhension. " Je veux t'épouser. Je n'arriverai pas à tenir jusqu'à la Saint Valentin… On s'en cogne de la Saint Valentin... "


Bouches se mêlent au silence neuf de la pièce, aux étourdissements des inattendus, grippant la raison d’un grain de sable, la figeant d’une immédiateté, anesthésiant les mots et séquençant les certitudes d’une boucle vouée à sertir les vérités à l’immuable de leur couronne.
Pris de court, aux murs infranchissables que font les gravures – Faust est contre le mariage-, à la surprise des sincérités exclamées – Faust est contre le mariage-, aux perspectives des points de suspension – Faust est contre le mariage -, à la limpidité des dates butoirs – Faust est contre le mariage - , Alphonse se tait jusqu’au murmure de la seule chose à répondre :



Alphonse, aux lèvres qui se quittent : "… Ja... "


Faust sème des petits baisers qui acquiescent. Il est contre le mariage, mais pas contre le mariage avec Tabouret. C'est ainsi. Et c'est bien comme cela.


Faust, à un Tabouret hébété dont le sourire s’épanouit d’un lierre sous les baisers reçus, aux mots qui asseyent l’auguste autorité des amours-forêts. : " Faire un jour, un mariage secret d'amour. C'est magnifique... non? T'épouser. C'est magnifique. " Voix demande, à un ton moins emporté mais tout aussi coloré : " Épouse-moi. "
Alphonse, le répète, toujours aussi surpris : " Je vais t'épouser..." avant de partir d'un rire clair qui vient chavirer Faust, l’étreignant, le serrant, l'embrassant, dans quel ordre, l'on ne saurait le dire : " Ah ah ah, je t'aime... "


Faust, se sent infiniment plus léger. Le pourquoi. Le comment. L'enchainement, le moment, tout cela commençait à tendre ses nerfs.


Faust, d'un air fier et incrédule, décoiffé d’un baiser : " Il a dit oui. : J’ai réussi à me marier Tabouret... "


Myriades de mots d'amour se sème le long d'un sourire insolent autant qu’étonné; là, Tabouret est beau, au summum de ses joies, de ses bonheurs, de ces choses que l’on n’espérait même pas, riant en l’entendant


Alphonse, tachant de modeler ses joues d’un octave moins niais : " Je n'arrive pas en enlever mon sourire... "
Faust, glissant les doigts dans ses cheveux : " Non, ne l'enlève pas… j'y accrocherai le mien. "
Alphonse, ivre un peu, se désignant, vaincu et conquis : " Il ne part pas, regarde ! "


L’élan le fait taire ; Faust le serre dans ses bras et le soulève quelques secondes: c’est un instant où faute d’apesanteur, l’on propulse l’autre à ses propres nuées, et Tabouret y grogne sourdement, pantin de bonheur dont les pieds frôlent le sol et les bras se referment sur son homme.


Alphonse : " Que j'aime quand tu envoies se faire foutre la saint Valentin... " "
Faust : " Oui, ça m'a couté aussi ... j'avoue. Je dis, je dis pas... je dis, je dis pas... mais putain... tu m'as offert un hamac. Un HAMAC!" Il s’agite dans ses bras, d’un air con : " Et un gâteau aux noix ! "


Silhouettes, si elles se délient aux plancher de la boutique, ne se quittent pas ; Tabouret découvre d’un sourire toujours vissé aux lèvres, les trois fois riens qui ont achevé de ronger l’attente jusqu’à la précocité de ce que l’on n’attendait pas.


Faust : "Tu es l'homme qu'il me faut. Je n'ai aucun doute là-dessus, je n'en ai jamais eu, et ça, ça suffit pour envoyer se faire foutre mes petits principes à la con... Pour une fois, c'est nous qui feront comme eux… et on s'en branle. "
Alphonse le regardant, pupilles dilatées d'une immensité, d'une joie pleine, répétant, comme un bonheur que l'on doit s'assurer d'être vrai : " Nous nous marrions. "
Faust : " Oui. On va le faire et ce sera la meilleur excuse que nous aurons pour nous saper comme des rois, manger comme des gros et baiser enfin sur ce foutu tas d'or... "
Alphonse, l’interrompant d’un plaisir qui n’a rien de joué: " Oh, la parfaite nuit de noces..."
Faust : "J'ai treize mille pièces ici et cinq mille à Périgueux qui attendent qu'on les arrose de foutre pour les faire pousser..."
Alphonse: " C'était cela la surprise dont tu ne voulais pas parler sur le bateau ? Cela fait des semaines...
Faust: " Oui! Depuis des semaines. Je n'en puis plus de garder ça pour moi. "
Alphonse : " Mon amour, mon bel amour, mon parfait amour... Et moi j'ai tardé à trouver ce qu'il fallait pour te faire dire, pardonne-moi d’avoir mis si longtemps..."
Faust, mettant sa main sur sa bouche : "Toi tu as été parfait. Tu as été le parfait exemple de toi-même. Tu es mon Unique. "


Chacun de part et d’autre de la main dépose baiser à l’aphonie momentanée avant que Faust ne défasse le bâillon improvisé et ne vienne frôler son nez du sien :


Faust : " Je veux vieillir avec toi jusqu'à la dernière feuille."
Alphonse, acquiesçant d'un cœur hypnotisé: " Jusqu'à la dernière sève. "


Paupière brunes s'abaissent un peu, créature adoucie à ces serments qui jurent.


Alphonse, souriant d’un balbutiement, encore aux émerveillements qui embrassent l’ensemble jusqu’à la profondeur: " J'aurais pu vivre sans tu sais, j'aurais pu... Mais vivre avec... " Mots manquent à la bouche jusqu’à céder la conclusion la plus simple aux émotions : " Là, je t'aime. "


C’est un silence qui se répond, l’attention des doigts au fil d’une mâchoire pour arrêter le temps, le laisser fondre sur le bout de la langue, essence des mots liquéfiée aux papilles.
Alors seulement, main blanche se noue à la noire et les corps se meuvent d’un pas vers le hamac qui trace un trait de couleur vive devant l’un des pans des étagères, et à la découpe lointaine des escaliers, Alphonse s’y revoit les descendre en fin de matinée, muni du tissu et d’une mise en scène ; là, aux éthers des passés encore luisants, il sent même encore à ses doigts, la texture du chiffon soulevé pour y découvrir le gâteau aux noix.
Hamac rejoint, Montfort y roule, Tabouret avec, au cocon des parfums qui s’entremêlent de promiscuités ; Fortuné, endormi, agite mollement sa patte bandée et pendant quelques instants, il n’y a plus rien que les souffles mêlés d’une fièvre heureuse que rien ne sait jamais apaiser, jusqu’à l’élévation d’un voix de rocaille, brodée à l’accent d’une victoire qui rend paon d’une éternité :


Alphonse, émerveillé, voix lézardée d’une incrédulité ravie
: " Un putain de hamac ! "
Faust, à son oreille, concluant aux justes mesures amoureuses : " Et un gâteau aux noix... et une bonne bite toujours bien dressée..."


Rire clair ponctue la soirée d'un éclat; d'un bruissement l'on se cale, d'un murmure, l'on perdure les mots doux, les petits riens et les silences pleins, et plus tard, bien plus tard seulement, l'on se décidera à rejoindre le lit.





Sometimes I feel so happy
Parfois je me sens si heureux
Sometimes I feel so sad
Parfois je me sens si triste
Sometimes I feel so happy
Parfois je me sens si heureux
But mostly you just make me mad
Mais souvent tu me rends juste fou
Baby, you just make me mad
Bébé, tu me rends juste fou

Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus

Thought of you as my mountain top
Une pensée de toi est comme le sommet de ma montagne
Thought of you as my peak
Je pense à toi comme à ma cime
Thought of you as everything
Une pensée de toi est comme tout
I've had but couldn't keep
Ce que j'ai eu mais que je n'ai su garder
I've had but couldn't keep
Ce que j'ai eu mais que je n'ai su garder

Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus

If I could make the world
Si je pouvais faire le monde
As pure and strange as what I see
Aussi pur et étrange que ce que je le vois
I'd put you in the mirror
Je te mettrais dans le miroir
I put in front of me
Je l'ai mis devant moi
I put in front of me
Je l'ai mis devant moi

Velvet underground, Pale blue eyes




*Patois: tron de l'air : énergumène extravagant. Littéralement "Tonnerre de l'air", soit le tonnerre tout court.



A quatre mains
_________________
Alphonse_tabouret
L’Oreille de Patrocle, Cabine désertée d’Antoine






Au miroir, billes attentives étudient le reflet renvoyé ; la lumière d'une lampe tempête glisse contre le hublot de la cabine et tape sur l’acier cerclé d’un reflet léger. Nuit adoucit les traits et somnole de dernières heures sur les vagues d’un océan aux proches bordures.
Bordant un pantalon gris ajusté par les doigts de fées de Samaelle, la tunque en lin est déjà passée aux épaules, blanc subtilement cassé pour ne pas trancher à vif sur la peau mate du garçon et baille sur la gorge au détail d’un col ample.
Devant la petite commode où son gilet est posé d’une attente, Chiffre a interrompu ses casanières additions d’une inconnue.

La beauté est une chose abstraite.
Garçon se sait bien fait, sans en tirer une once d’orgueil, d’une indifférence naturelle que d’autres trouveraient surfaite. Les traits sont fins quoique nets, la mâchoire volontaire et le regard s’ombre d’un velours épais; la silhouette est élancée, grâce longuement étudiée de leçons tissées à la chair jusqu’aux automatismes, campant chez Tabouret un flegme d’une fluidité presqu’aristocratique que l’intelligence et le gout de la théâtralité ont su habiller d’une pointe d‘insolence pour ne pas se confondre à la nonchalance. Alphonse est un mâle bichrome d’une anomalie, aux étranges contrastes d’un corps qui dit tant quand la bouche parle si peu.
Il est beau. Cela, il le voit, il le sait, a grandi dans les regards-baromètres d’un monde futile autant que dupe, mais n’y est pas sensible ; rivalité jalouse d’un frère, surface plane à laquelle briller lors de quelques mondanités, fantasme-caricature, condamnation à l’esprit halluciné d’une femelle aux ferveurs doubles, la beauté n’a jamais été qu’un plaisir factice, un chemin de vérités décevantes, une arme qu’il a fallu apprivoiser d’une poignée d’avantages pour qu’elle devienne rentable.

Pourtant, un accroc a enrayé les habitudes du jeune homme à ses préparations : la main , d’un mouvement inattendu, a déplacé le sens de quelques boucles jusqu’à interrompre le mécanisme de l’apprêtement.
Soutenant son regard au petit miroir de la cabine d’une révélation, Alphonse s’interroge.
Quand, la dernière fois, a-t-il eu envie d’être beau ?
A-t-il seulement un jour voulu l’être ?


Garçon se confronte à son interrogation et la gravité de l’instant fauche l’écume du Temps.
Le lion, le serpent et le bœuf interrompent leur conversation.



Il y a dans la cabine vide l’épaisseur d’un suspens, l’insoutenable hésitation qui mue les secondes en heures et d’un geste qui se déploie aux explorations des premières fois, Alphonse ajuste d’une rangée de doigts-peigne, les épis désordonnés de ses cheveux courts ; l’œil suit la trajectoire d’une concentration quand la pensée se dilue d’un fil d’une digression.
S’il a le gout des jolies choses, il a avant tout celui des sobriétés passe murailles ; Noir s’habille de noir, prêt à reculer à la flaque d’une ombre, visage découpé aux clairs obscurs des compositions discrètes et suscite l’arrondi des voyelles charmées dès qu’il s’avance d’une couleur. Il faut le voir porter du rouge.
C’est un fait, Tabouret est toujours bien mis en plus d’être bien fait ; vêtements sont taillés d’un sur mesure depuis son plus jeune âge, habitude emportée au-delà des Flandres, et y signe là l’un de ses pêchés d’orgueil. Mais le reste, ce que la nature a fait, ces cheveux épais qui cavalent aux tempes, ce menton taillé d’ angles harmonieux, ce regard qui plante et cajole, cette bouche étirée comme un non-dit, n’ont jamais eu le moindre temps dédié à ses ablutions, ni le moindre impact à son reflet : eau froide aux frictions des matins, main coiffant d’un geste les cheveux parfois trop longs, rasé ou pas selon l’heure à laquelle il s’est levé, ongles assurés d’une netteté, et la porte claque déjà sur les talons de Tabouret.

Mais aujourd’hui cela ne suffit pas.
Aujourd’hui, au bout de l’index, une virgule d’encre trace sa courbe d’une nouvelle apesanteur et se fiche d’une oscillation à quelques centimètres du front.

Penché d’une attention surprise vers ce double aux incertitudes nouvelles, Alphonse se redresse d’un élan, et sans se quitter des yeux, attrape le gilet, pièce de damas noire piquée d’une asymétrie à sa boutonnière au flanc gauche qu’il entreprend d’attacher, sourcil froncé d’une déduction.
Non. Non, cela ne suffit pas.
Ce soir, Alphonse se marrie, Il veut être beau à en crever, il veut cette étincelle qui dilate la pupille à la seule contemplation de l’autre, il veut plus que les mots doux émerveillés à cette bouche blanche, il veut cette émotion incrédule qui chavire la voix d’un aveu ténu, écrasé, impuissant : Tu es beau.
Poumon se gonfle et ventre enfle d’une lente respiration-résolution ; doigts se délient de leurs délais et survolent la suite d’une obstination carnassière.
A ces prunelles-là, c’est le choix d’un chaos maitrisé qui offre sa virginité et Parisien y plonge d’une voracité : il sera beau. Il sera le plus beau. Pour plaire à Faust, toujours. Beau pour que d’une larme heureuse à l’Hiver, touchant, d’une main songeuse comme elle l’est toujours à la confidence des tissus qu’il éprouve, le costume rangé aux malles depuis des années, Achille, d’un souvenir vif, y ait fugitivement vingt ans et tremble d’une émouvante érection.


Dehors, l’océan s’enflamme d’une ardeur ; lune au dessus les flots prend une inspiration et se fragmente de dernières couleurs aux vagues qui l’immergent.



Le lion, le serpent et le bœuf, d’une patte à l’oreille, ont sucé chaque vertèbre du temps jusqu’à l’heure annoncée;
osselets suspendus d’une satisfaction sont rangés lorsque la porte claque.




Dans les cheveux, ce sont quelques gouttes d’huile d’amande douce qui sont venues lustrer les boucles courtes d’une brillance noire, aux joues, la lame du coupe-chou qui a rafraichi le museau d’un air juvénile, et dans le cou, le trait musqué d’un malt écossais ouvert un 14 février.
Il n’y a pas un détail qui a été laissé au hasard, du revers des manches au pan de la ceinture qui tombe d’une évidence, et si ce n’est le cœur qui bat d’une ivresse à l’imminence de son rendez-vous, garçon y a tout maitrisé d’une envie aussi brutale qu’exaltante.
Camelin sombre auquel s’oppose le bleu gris d’un satin en doublure, la veste, ajustée à la taille par sa coupe et la large ceinture, bat les cuisses de deux pans frôlant les genoux. Les bottes taillées dans un cuir souple doublé fendent d’une cadence le couloir du petit bâtiment abritant les couchettes et la main gantée de daim, à l’ourlet ample, frappe de trois coups à la porte de leur cabine en passant devant ; dehors, le vent claque d’une première note dans les voiles de la petite nave.

Ce soir, Alphonse se marrie et il est beau à en crever.

_________________
L_aconit
    Trois coups à la porte signalent l'heure. Cabine de Faust & Alphonse


Faust réajuste la petite fiole pendentif à son cou, passe une dernière fois sa main dans ses cheveux et pousse son binocle sur son nez d'un index grave. Les bleus se regardent une dernière fois et les mains défroissent des plis imaginaires à la mise soigneusement choisie. Si Tabouret serait à coup sûr d'une sobriété absolue, l'Aconit lui, éclorerait d'une véritable fantaisie.

La carrure que le temps avait forgé en une jolie lettre corollée, s'était parée d'une longue robe de cendal aux motifs diffus mêlant comme une peinture à l'eau, le bleu et le blanc. Amants se chuchotant des broderies délicates. Donnant à Faust ce fameux air lunaire, dont on l'affublait souvent aux détour d'une conversation.

Le col, largement échancré, aurait été un appel à y glisser la main si quelques bijoux n'y marbraient pas le blanc de la peau, au raz d'un plexus à peine découvert. La taille, ajustée d'un large et épais ceinturon de cuir noir, se parait de quelques chaînes savantes et silencieuses, où accrocher une bourse bien pleine, retenues par une fibule en or: un soleil. Montfort l'échanson des Roys, avait fait bien du chemin depuis sa fugue de Bretagne...

Le plancher chuinte du bruit de bottes noires flambant neuves, cirées longuement, lorsque le coup se fait entendre. Trois coups à la porte frappent à son cœur. Et le pas de Tabouret s'éloigne vers l'extérieur. Il est prêt.

Dépassant le lit dans lequel quatre sacs de pièces ont été vidés en guise de paillasse, Montfort délaisse le vélin sur lequel il a révisé toute la nuit ses vœux. Quelques jours auparavant, les deux hommes s'étaient embrassés. Et s'étaient passés bagues aux doigts. Désormais, fidèles à leurs noces inversées d'invertis, restait à concrétiser leur union, et à la consommer dignement.

L'oreille de Patrocle avait été choisie d'une évidence. Les églises n'étaient pas pour eux. C'est dans le vaisseau qu'ils échangeraient leurs murmures. Leurs silences émus. Leurs soupirs. Qui mieux qu'un navire ayant traversé sans mal les tempêtes, fendu les océans, ralliés les continents, pouvait témoigner d'un secret si précieux? On y élevait les enfants. On y buvait gaiement. On y travaillait dur, on y copulait contre un tas de cordes, parfois. On y enterrait les peines, on y dissimulait les secrets. Achille et Patrocle savaient qu'il n'était pas meilleur sanctuaire. Cœur battant soudainement, Montfort gagna le corridor, épis blonds trop disciplinés décoiffés d'un courant d'air marin. Parfois il fallait rétablir des équilibres, la nature s'en chargeait. Tout ne pouvait être parfait de pied en cap.

Il est drôle de se voir réduit à quelques battements de cœur à l'approche d'une échéance. Quelque part dans le ventre du bateau, Tabouret l'attendait. Et chaque pas fait en sa direction chargeait l'air d'une électricité pure. Métabolisme accéléré. Pupille ouverte, à l'affût de la vision sacrée:

    Comment Alphonse s'était-il vêtu ?


On n'est jamais que des puceaux au bal le soir de ses noces. Et toute la mise en scène, et toutes les couches de fanfreluches ne sont plus rien l'espace d'un instant. Celui où les yeux découvrent l'autre. Frappés d'une sidération admirative.

    Alphonse Tabouret est beau à en crever.

_________________

(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
.




    Crois-tu aux équilibres de la vie ?... Une personne meurt, une personne nait..., a demandé Faust au balancier du hamac, début de soirée consumée d’une proximité binôme.
    Est-ce à cela que tu penses, toi, en parlant d'équilibre?
    Oui. Enfin. C'est une pensée alambiquée et simple à la fois. Crois-tu à ces équilibres?

    Les ombres étaient stables à cette heure-ci ; l’on descendait le fleuve d’une traite, et si l’Océan se devinait en pointe de Bretagne, il était trop loin encore pour que l’on le sente d’une brise salée.

    Je n'y ai jamais vraiment songé en ces termes... Dis-moi où tu veux en venir...

    Tabouret a besoin de clartés à chacune de ses logiques, de postulats définis où pouvoir s’énoncer, des cadres dont il faut explorer le vernis d’une pulpe attentive pour en lire les intrinsèques aspérités ; "oui" et "non", sont des simplicités que le garçon accorde rarement aux questions que l’on lui pose, surtout à celles auxquelles l’on devine un poids.
    Faust , nez à la mâchoire brune a lézardé d'un instant. Jusqu'à ce que la bouche s'ouvre un peu :

    Perceval est enceinte.
    … Oh Foutre Dieu…
    Le refuge meurt. Perceval donne naissance, a-t-il illustré à l’un de ces élans d’incommensurable retenue face à la disparition d'un navire, paradoxalement personnifié comme un être vivant.

    Le chemin de pensées se distingue enfin, cailloux blancs semés, de sauts de puce en pensées de géants ; voilà où Faust voulait en venir, et voilà ce qui le plonge aux perspectives d’un silence réfléchi, à la coupe d’une main qui paresse au flanc blond.
    La perte a été sèche, brutale autant que douloureuse. En le quittant, il avait imaginé un monde où le Chat, de nouveaux noms en nouveaux ports, aurait vogué cent ans après eux encore, emmenant dans son ventre tant de souvenirs mêlés, les leurs, ceux des autres, ceux des suivants encore, qu’il eut été impossible de les distinguer de l’âme du navire, mais las… le Refuge a coulé, et avec lui, l’étincelle d’un avenir tel qu’il aurait dû être.

    Je ne sais pas si je crois à ces équilibres-là alors, a murmuré Alphonse, voix brodée d’une pensée que Faust, d’une oreille attentive, a soigneusement, silencieusement, enroulé. C'est à la fois trop simple, et trop compliqué...
    J'aime l'idée, sa poésie vitale: après ce qui meurt, quelque chose pousse Cela est vrai. Mais je crois que rien ne remplace à l'exacte mesure, d’un équilibre, ce qui disparait, que ce qui arrive n'est jamais comme ce qui était avant. Et tant mieux. A ce cas-là, à cette grossesse...


    Regard en coin s’est noué d’une suspension volontaire ; c’est que l’on passait à côté d’un essentiel.

    … dont tu me tais le père , c'est à la poésie que tu parles. A cette poésie-là, je te dirais que oui, je peux croire que la vie, après une douleur, apporte un peu de joie pour dispenser le baume. Cet équilibre-là, je le conçois…
    Tu penses bien que je n'ai pas le nom du Père, a opposé Faust aux noirs attrapés, mouvement d’épaule accompagnant d’une fatalité le point noir du récit. Juste " j'ai rejoint mon époux et je suis enceinte " ce qui est habilement tourné pour laisser entendre ce que l'on voudra... Je n'ai pas vraiment envie de le savoir, d'ailleurs, a-t-il conclu.
    Vraiment?, s’est étonné Alphonse en se découvrant le plus commère des deux. Diable, avec un verre dans le nez, j'ouvrirai les paris... a-t-il avoué d’un gigotement, se tournant vers lui un peu.

    Sur la tempe, les cheveux blonds couraient d’une pente courte jusqu’au lobe de l’oreille, et Alphonse s’y est perdu au fil d’un aveu :

    C'est ridicule mais j'aurais voulu le voir ... avant. Une dernière fois.

    Une envie d’au revoir, passagère colombe qui, d’un instant, aurait étendu à sa silhouette les paix éphémères des tableaux idylliques et que Faust a tu d’un baiser :

    Je l'ai cédé. Ce jour-là, tu sais.
    Ja, ce n'est pas la question..., l’a interrompu Alphonse quand l’autre poursuivait.
    Je l'ai cédé vraiment. Avec tous ses cordages, a insisté le jeune homme, aux résolutions embuées d’ombres nettes : Faust n'a rien gardé à son cœur. Le baume est plus facile ; là est peut-être le secret.
    Je le sais, a répété Alphonse, cherchant ses mots pour leur donner le sens qu’il leur réserve d’un costume sur-mesure : ce n'est pas un sentiment de propriété... Il était beau sur l'eau.
    Très. Lui, faisait désormais parti d'Archibald. Et je crois que le jour où il l'a traité de veau je me suis séparé de lui.

    Alphonse l'observe à la pénombre du tissu rabattu en cocon, à ses envies d’envelopper pour dispenser d’une spontanéité la douceur des amours-guérisons, car il a eu beau y être lointain, détaché d’une résolution, à tort ou à raison, Paris y a vu les palissades des défenses que l’on monte d’urgence pour s’épargner les souffrances :

    Tu n'as pas besoin de cela ici, Mijn... a-t-il objecté d’une voix basse, aux confidences du hamac, corps amarrés à cette île dans leur propre monde. Ja, tu t'es séparé de lui... La main a quitté le flanc pour tracer la douceur d’une courbe à la joue. Mais cela n’empêche en rien la peine. Ce n'est pas en disant que tu l'as cédé, que tu l'as quitté.
    J'en ai eu un peu. Bien sûr.

    Billes noires se sont posées aux zébrures discrètes, bouche taiseuse acquiesce ; l’exercice des confidences est dur pour Alphonse dont la gorge souvent filtre les éclats et les discernements pour n’opposer au monde que la lisse surface des maitrises:

    J'y suis triste. Vraiment. C'était un beau bateau... je suis plus triste encore pour Archibald bien sûr...
    J’ai eu une réponse

    Les mots ont suspendu la tirade ; l’équipage du Refuge a sombré, fils tenus de vie luttant d’une respiration pour rejoindre la terre ferme et y git depuis d’une convalescence. Nouvelles données signalent un sursaut de vie qui a rasséréné d’un incompréhensible soulagement et l’âme et les nerfs.
    Le hamac a oscillé d’un mouvement ; à l’intérieur Faust s’y est tortillé pour sortir de sa poche le pli reçu du jour et l’a déplié à portée de ses binocles pour en lire les lettres encore tremblantes :

    " Faust, Au large de l'Espagne. Un pirate. Puis un autre. Eperonés. Pillés, surement. Pardon de mal ecrire. Mains et poignets brulés. Nou some a l'hotel dieu de Marseille. Au moins encore 40 jour il paré. Commen allé vou ? Archi "

    Aux égoïsmes des handicaps sociaux, Tabouret s’est trouvé particulièrement heureux de ne pas avoir à répondre à ce courrier-là, ponctuant sobrement d’un :

    Longue convalescence...
    J'ai encore pris une décision sans t'en parler, a dit Faust au sortir d’une inspiration.

    Poumon s’est vidé, fortement, pause attentive qui marque une désapprobation sans mécontentement. Là, Tabouret connait l'animal, il a quelques habitudes et celle-ci, il le sait, sera l’une de celles avec laquelle il faudra s’armer de patience.

    Laquelle?
    Que j'allais à son chevet sur le champ. Je dépose les affaires à la maison, et j'y vais.

    Étrange moment qui s’est posé d’un instant entre les deux garçons ; le sourcil d’Alphonse s’est haussé d'une imperceptibilité amusée. Lui aussi y a pensé, élan des os à se vouloir ailleurs pour accompagner le cortège de douleurs, partager la peine, reconstruire d’une présence, mais il n’a pas osé, animal pétri d’immobilismes aux dogmes de granit. Il n’a rien dit de ses envies, les a enfouies d’une anormalité à ses propres préceptes ; regrets des distances choisies ont beau faire basculer la tête d’une couronne chargée, il n’en reste pas moins un postulat qu’il n’oublie pas : des mots ont été dits.
    La nouvelle qui s’est voulue tomber d’un couperet de gravité a fissuré la perspective rangée de la soirée jusqu’à égayer l’œil d’une évidence.

    Tu y vas. Là, tu nous laisses à la maison et tu y vas ? , a-t-il répété d’un ton un peu narquois, recomposant les étapes à leur plus grande simplicité pour en souligner toute l’absurdité.
    C'est que. Je ne veux rien t'imposer.

    Au loin, par-delà les grammages, l’on entendrait presque la commissure des anges se froisser d’un sourire qui n’en pense pas moins ; imposer son absence, c’est tellement plus supportable.

    Bien.

    Le ton y a été convaincant, le museau a été paré d’une résolution immédiate, syllabes lâchées à ces acquiescements qui admettent sans même vouloir y argumenter plus.

    Tu viens?, a demandé Faust en le prenant par le col, le secouant un peu, lèvres prises d’une moue qui n’y voit pas d’autres solutions tout de même quand Alphonse a commencé à s’extirper du hamac, répondant, sans répondre :
    Cela suffit, debout, debout...

    Ordres se sont égrenés tandis que le garçon, d’un geste inutile, a défroissé sa chemise

    Debout. Debout. Soit, a répété Faust sans comprendre, docile exécutant se doutant néanmoins que cela ne s’arrêterait pas là ; à chaque exigence de Patrocle, louvoie une raison empaquetée de soins si elle n’est pas le trait d’une voracité.

    Va t’habiller, a ordonné Alphonse sans le regarder. Puisqu'il faut que je t'épouse pour que tu entendes enfin que je ne te quitterai pas d'un pas, je t'épouse ce soir.
    Je... ce soir?


    Tout raide dans ses bottes, Montfort en a balbutié.

    Ce soir. Va t'habiller, j'y vais aussi. Quand je serai prêt, je toquerai à ta porte.

    Comme deux ronds de flan, corps désarticulé d’une surprise, le mètre quatre-vingt de Faust a statué de quelques instants aux flottements avant que la voix, aux mécaniques des stupéfactions ne concède, sortant, un peu titubant. Un peu pantelant. N'avait pas prévu une telle soirée:

    je.. d'accord.

    Tabouret laissé seul à la pièce, s’est croisé d'un instant dans le reflet d'une fenêtre opaque, s'y est observé, laissant tomber le costume des assurances-leçons et y a dégluti d’une ivresse brusque. Lui non plus, n'avait pas prévu cela...









Et les voilà, au mess, réunis de trois coups toqués à une porte qui résonnent encore aux phalanges d’Alphonse, garçons faits de vents, créatures bâties de nuits, les gorges serrées, les mains émues d’une nervosité.
Comme une première fois, et quand ce n’est pourtant pas tout à fait celle de l’un, ni de l’autre, elle en a le gout acidulé et étourdissant.
Chaque bruit est un vacarme à ce silence-là, et la porte qui s'ouvre a tout des symphonies ; il faut presque du courage pour lever le regard du bout de ses bottes, et faucher, d'une éternité la silhouette qui vient d’entrer. Cendal tissé de bleu, de gris, ourlé d'or et de cuir suspend le cœur et Alphonse arrondit la bouche d'une fascination ; le sourire s'étire d'une stupeur heureuse, le mouvement du corps balance d'un instinct vers l'autre et se retient.



Alphonse, d’une poignée de mots murmurés d’une lente précipitation : Mon Amour... Tu es... Si beau...
Faust, affichant un sourire presque intimidé, saisissant l'épaule noire, et le nez venant humer l'odeur du vêtement neuf. Seyant à souhait : Et toi… Que devrais-je dire? Tu es transcendant. Laisse-moi te regarder... Il le fait tourner sur lui-même en passant ses mains sur son torse. Incroyable...


Garçon se laisse faire, œil rivé aux détails qui jalonnent le costume clair, aux envies de tout toucher, d'en connaitre chaque broderie, chaque bouton, finissant son tour sur lui-même pour venir empoigner la hanche et rapprocher les corps jusqu'à frôler le nez.


Alphonse, l'entrainant d'un pas ou deux de danse, enjoué, les délivrant un mètre plus loin et les liant d'un baiser : Ah, si nous avions quelques musiciens...
Faust, empoignant la ceinture, nouvelle, l'aimant déjà à la pulpe des doigts : Je peux chanter...
Alphonse, noirs suivant le geste, et s'y repaissant de ces plaisirs personnels qui ne doivent qu’au gout des animalités; les doigts de Faust à sa ceinture valent tous les aphrodisiaques : Tu chanteras, ja...
Faust claquant de la langue, défaisant un peu la chemise: As-tu préparé tes vœux ...?
Alphonse, tapant doucement sur les doigts qui défont : Évidemment


Faust revient œuvrer à la ceinture et Alphonse d’un rire qui gronde y empoigne les mains en chasse:


Alphonse: Là, sais-tu combien de temps j'ai mis à l'installer cette chemise?


Des heures lui semble-t-il


Faust : Ta tenue de mariage est faite pour que je te l'ôte ...Tu l'as méticuleusement choisie ... elle te va comme un gant.
Alphonse, ne le niant pas : J’ai tout fait pour il est vrai...Mais tu m'épouses d'abord.
Faust : Prononce tes vœux Alphonse Tabouret.


C’est un silence qui s’habille d’une inspiration, un dernier instant où toute une vie d’avant se déroule d’un dernier tour, ombres essaimées à la clarté de l’herbe sur laquelle elles s’échouent d’une finalité ; futur en vagues, avenir en sommets, les cieux écoutent et emprisonnent entre leurs mains chaque virgule qui montera vers eux pour s’en faire des bijoux.


Alphonse, prononçant, doigt poursuivant sa descente pour , au croisement du tissu, remonter à l'autre versant : Tu me rencontres, voilà trois ans et cinq mois. C’est toi qui as compté. Je t’y fais confiance; moi, j’ai beau compter cent fois, j’ai l’impression qu’hier encore j’avais les cheveux trempés d’une pluie de novembre et l’œil perdu au reflet des tiens.
Trois ans et cinq mois.
Il y a alors en moi ces escarres tenaces qui me musèlent d’un trait, ces nœuds venus d’Avant qui m’empoignent et me tiennent, ces violences effervescentes qui gèlent autant que piquent et me composent au granit.



Faust affiche un sourire gosse, de ceux qui écoutent leur compagnons faire de la poésie, ou déclarer leur flamme à une fille. En vérité, Alphonse est un peu tout cela à la fois.
Lui poursuit, voix tirée d'un sourire; l'on se sent toujours un peu bête à ces moment-là, nervosité se frayant un chemin vers la gaité pour ne pas trop dévoiler. La voilà, la pudeur d’Alphonse.



Alphonse : Géode, je ne sais que me recroqueviller d’insignifiants blessures plutôt que de les dire, méticuleux propriétaire qui compte ses graviers, énumère ses aspérités, surpris de sentir déborder son gosier ; ces douleurs n’appartiennent qu’à moi, j’en ai fait collection longtemps pour me sentir en vie, quand elles n’ont pas même bon gout. Écorce vitrifiée, je sens en permanence la colère pelliculer mes nerfs, les grignoter d’une soie minérale, et je m’y partage d’une exacte somme, à l’apogée des silences que l’on veut justifiés, aux gangrènes des solitudes que l’on affiche d’une distance. Je me scinde, divisé, étoilé, je goute l’amertume qui me parfume le palais et m’y enracine ; souche morte, je pourris d’une vanité, tend la gorge d’un cri que n’entendent que mes mauvais côtés.


Iris se télescopent d’une seconde, d’une chute qui encore émerveille :


Alphonse : Et puis tu ne passes pas.
Tu ne passes pas et je ne m’en vais pas.
Je ne m’en vais pas et je n’ai plus gout qu’à toi.
Il y a cette fleur qui pousse, ces racines qui fractionnent la pierre, cette sève qui vient s’empêtrer à mes rancunes, ce parfum qui frappe mes tempes. Je t’aime d’un premier coup d’œil, d’une première respiration, d’une première fois.



La main délaisse le col, vient d'une chute lente attraper celle de Faust, baguée d'une rayure noire.


Alphonse, tissant les doigts, alliances en voisinage : Je t’aime, même si je m’en défendrais longtemps, et, inexplicablement, je sais déjà ce que je veux. Cela, je ne m’en suis jamais défendu, et ne m’en défendrais jamais ; ce que je voulais alors, je le veux toujours, plus encore maintenant que je te sais.
Tu m’aimes dur, m’as-tu dit un jour. C’est l’exact mot, t’ai-je répondu, me défaussant d’une obscénité filigranée dans le coin d’un sourire ; ma queue pourrait témoigner des solidités que tu lui inspires, cela est une vérité, mes mains pourraient dire la force Titan avec laquelle elles saisissent ta nuque , poumons comprimés en bandoulière, canines perçant la frondaison d’une bouche qui t’embrasse. Organique, chaque parcelle de ce qui me fait répond d’un chant aux notes qui te font ; échos que la pluie a mêlé, nous nous embuons d’une abstraite vérité.
Pourquoi t’ai-je menti ce soir-là ?
Dur… Il n’y a rien de plus approximatif que ce mot là…
Je t’aime dur, ja mais aussi tendre, liquide, solide, végétal, minéral, obscur, lumineux, accablé, heureux, à moi, à tous, unique, multiple,… je t’aime à en pleurer, à en rire, à en danser…



Lèvres scellent les mots d’un baiser aux doigts blancs, , témoignage muet, aphonie momentanée pourtant parée de criantes syllabes


Alphonse : Je ferai de ce monde l’endroit qui te méritera. A mes côtés, tu y vivras épanoui, heureux, apaisé, zèbre à tes sensibilités… Tout ce qui te fait, je le prends parce que tout ce qui te fait est d’une infinie préciosité. Je n’en laisserai pas une miette au monde… Tu seras aimé, attendu, espéré, admiré, désiré, à l’ancre d’une absolue certitude dans ce chaos qui nous bouscule : je t’aime à ce point que j’en ai la bague au doigt…
Je te veux à mes côtés, toujours, à chaque instant, à chaque joie, chaque crainte, et je veux être aux tiens en toutes circonstances bardé d’une écharpe de laine et d’une paire de gants pour attendre l’hiver, fier, si fier que ce soit toi, Lumière, Toi, Couleur, Toi, Faust qui me tienne la main.



Le pouce passe d’une caresse sur l’autre, s’attarde d’une pause, d’un dernier vertige que l’on saute, cœur mise à nu, âme enrubannée d’un présent. Inspiration se prend, dernière ligne droite, dernier vertige avant le saut, avant d'être.


Alphonse : Aujourd’hui, je grave aux arbres ce que je sais de toi, ce dont nul ne me fera jamais douter : je suis ta maison percée de fenêtres, je suis ton jardin du dimanche matin,, je suis ta terrasse avec vue sur la mer, je suis ta cuisine où flotte l’odeur du pain chaud quand tout encore dort de la cave aux combles, je suis ton fauteuil où tu étends tes pieds devant la cheminée, je suis ton lit où conjuguer les nuits, je suis tes vices les plus parfumés, je suis le verre qui te désaltère, , je suis la came qui te dope, je suis ta sieste d’après-midi, ton samedi au marché, je suis…Suspension s'achève d'un sourire : … Ton mari.


Dehors le ressac chante d’un instant aux aphonies qui suivent. Tabouret a coupé l'herbe sous le pied, le souffle, le temps. Quel homme, quel homme a-t-il déjà préparé tel discours ?
Pour sûr, Montfort l'imagine l'avoir appris des nuits entières pour le dire d'une telle spontanéité, n’y comptant pas les jours qu’admettraient Alphonse d’un sourire discret en coin si l’on lui posait la question, et se sent ridicule désormais. Ses vœux sont bien différents. Tellement plus sobres. Tellement plus ordonnés.



Faust, se raclant la gorge et se lançant, au diable le vertige .

Tu ne parles qu'une langue, aucun mot déçu.
Celle qui fait de toi mon autre, l'être reconnu.
Il n'y a rien à comprendre, et que passe l'intrus
qui n'en pourra rien attendre. Car je suis seul à les entendre;
les silences, et j'en tremble...



Il baise la main d'Alphonse…


Faust : Toi l'homme qui nous envie. Même si tu vis un millier de vies, ce que nous avons eu, jamais tu ne l'auras. Jamais tu n'éprouveras ce sentiment. Regarde couler sur nos peaux.


… Sa joue…


Faust , d’une une pensée forcément émue à Archibald en prononçant ces vœux, pourtant préparés plusieurs jours avant la terrible nouvelle: Toi, l'homme qui nous a aidés, qui nous a accompagnés, toi qui a partagé nos nuits. Tu as tout notre respect, et en promesse notre indéfectible amitié.


Toi, tu es mon autre.
La force de ma foi. Ma faiblesse et ma loi,
mon insolence et mon droit.
Moi, je suis ton autre. Si nous n'étions pas d'ici ,
Toi et Moi, nous serions l'infini.



… son front…


Faust: Toi, l'homme qui grandit sur le sel de notre pont, fils sur la douceur de nos tapis, à l'ombre de nos mains aimantes, nous te cédons tout, que tu emporteras après nous. Notre amour couché en héritage.

Âme ou sœur, jumeau ou frère de rien, mais qui es-tu?
Tu es mon plus grand mystère, mon seul lien contigu.
Tu m'enrubannes et m'embryonnes, et tu me gardes à vue.
Tu es le seul animal de mon arche perdue.



… son cou…


Faust : Toi, l'homme que j'aime, toi même que j'ai tant de fois appelé par mon nom, je te prends pour époux, aujourd'hui je prends devant notre monde mon engagement sacré. Je te reconnais comme mon Autre, éternellement. Et si l'un de nous deux tombe... Jamais ne se relèvera sans l'autre.


… puis ses lèvres, attentives conquises ; il y a tant de sourires, tant d'expressions de joie, et aucun à ce jour ne s'est jamais tissé d'une telle harmonie.
Les yeux se ferment d'un instant au baiser; au cœur, à jamais, la gravure.



Alphonse, scellant les vœux d'un murmure : Tien.
Faust, inspirant comme une sortie de bulle. Comme une joie qui éclate : Tien.


Là, à cet instant parfait, à ces envies qui débordent et se contiennent d'un tumulte, à ces mots qui manquent d'en avoir entendu de trop beaux, mains capturent le visage et lèvres se trouvent d'un élan.


Alphonse, murmurant d’une mélopée qui abreuve de baisers : Je t’aime, je t’aime, je t’aime… Puis, à ce visage double, à son mari désormais : Emmène-moi à Marseille pour notre lune de miel.


Achille opine et lâche un sanglot rieur. Une voyelle qui s'était tapie au fond. Sage. Dans l’expectative. Libérée d'une fatalité. Ils iront soutenir l'Ami. Et s'aimer encore face à l'adversité. Ainsi soit-il.


Faust , l'étreignant d'une force que l'on n'a qu'à vingt ans. Trois ans et cinq mois. Ferme les yeux. Au silence ému, aux filets des sentiments inexplicables. Aux filets des profondeurs langagières que l'âme seule sait tisser: Je t’emmène.


Garçons se nouent d’un rire qui se chuchote, des doigts qui fondent et transcendent la matière, réunis, d’une incommensurable banalité ; c'est bon d'être aimé fort, de mots et de démonstrations. C'est bon d'être complet


Faust , le saisissant en poids dans un gémissement d’efforts, se dirigent vers les cabines, d'une détermination de géant : Mais avant, je te baise sur un tas d'or.




L'on n'est jamais si grand que d'un si grand amour






A quatre mains
_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)