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Info:
Aoūt 165. L'assassinat d'un diplomate tourne mal et Roman manque d'y laisser la vie. Fanette tue un homme pour le sauver.

[RP] Tu te brūleras les ailes ą la noirceur de mon āme

Roman.


- Et vous, messire... Fiorenzo, que pensez-vous de ce divertissement ?

La musique déclinait à peine et les applaudissements, encore nourris, avaient presque couvert la question de son voisin de table. L'Italien se pencha vers lui pour répondre, sans faire aucun effort pour masquer son accent :


- La pièce était fort amusante, mais je crois n'avoir pas tout saisi. Vous savez, le français, je le parle peu ! Je ne comprends pas tout.


Le gros bonhomme partit d'un rire franc et tapa sans ménagement sur l'épaule de l'étranger. Roman accusa le coup sans frémir. Le Français continua :

- Ha, Fiorenzo, vous devriez rester parmi nous et revenir bientôt à la place de votre estimé collègue ! Quel dommage qu'une mauvaise fièvre l'ait cloué au lit... Nous devons avouer que son caractère était bien moins aimable que le vôtre. Il était toujours à ronchonner et à se plaindre que nous faisions trop de bruits et de jeux au lieu de travailler !

Roman-Fiorenzo se contenta d'acquiescer d'un sourire entendu, compatissant à la doléance du gros bourgeois. Le diplomate italien, discrètement écarté, gisait sur son lit en se tenant le ventre, les boyaux tordus par une savante décoctions de plantes... Il n'était pas sa cible réelle, seulement un obstacle momentané.

- Hooo maître Fiorenzo, venez donc danser !

Une femme d'âge mûr était arrivée près de lui, toute pimpante et roucoulante sous ses dentelles. Sa voix, haut perchée, agaça Roman, qui se força à lui sourire et se leva pour lui prendre la main :

- Vous me faites grand honneur, signora... La diplomatie comporte de très beaux avantages.

Ce disant, il regarda directement l'opulent décolleté de la femme, qui se dandina pour rapprocher son corps du sien. Autour d'eux, d'autres couples se formaient pour la danse : les diplomates et leurs épouses s'étaient donné rendez-vous pour cette soirée privée, à laquelle étaient conviés ceux qui, le jour, faisaient et défaisaient les relations politiques entre les pays, et la nuit dépensaient leur salaire en beuveries, divertissements et prostituées.

Roman se colla contre la femme - de qui était-elle donc l'épouse ? il n'en savait rien - et l'entraîna dans une danse menée par le groupe de musiciens cantonnés dans un coin de la salle. Sa cible du soir était parmi les convives. Il s'agissait d'un ambassadeur espagnol qui s'était un peu trop rapproché d'un certain Silviano, lequel faisait partie des ennemis politiques des Medicis, à qui Roman obéissait de par le sang de sa mère. Assassin à la solde de cette grande famille, il avait pour mission d'écarter un à un les différents alliés ou fournisseurs de ceux qui menaçaient sa famille.


- La soirée est fort belle, je suis ravi d'y remplacer mon estimé collègue,
souffla-t-il tout près du visage de la femme, jouant encore de son accent et de son air séducteur.

- Ha, messire, j'en suis heureuse ! Vous viendrez chez moi demain, je donnerai une autre petite fête... n'est-ce pas ?


Roman acquiescait d'un air concupiscent, malgré son manque d'intérêt réel, tandis qu'un brouhaha montait en provenance d'un couloir. D'accord occulté par la musique, il prit assez d'ampleur pour que les danseurs, suivant le mouvement des autres invités, cessent gestes et paroles pour s'étonner de la scène : trois hommes en armes sortirent de l'ombre en pleine lumière, bousculant un couple effaré, et l'un d'eux cria d'un ton péremptoire :

- Où est l'Italien ? Trouvez-moi ce fils de chien, que je l'égorge !


Le concerné n'attendit pas que l'on se retourne vers lui : il repoussa violemment sa cavalière et prit son élan pour détaler au mieux dans la foule, heurtant des corps qu'il bousculait sans remords pour courir vers une sortie. Derrière lui, des cris et des chocs résonnaient déjà dans la salle, mais il ne se retourna pas pour surveiller l'avancée de ses poursuivants. Il dégaina sa dague pour se préparer à se défendre - il ne pouvait porter une épée dans ce genre de mascarade - et s'enfonça dans un couloir dénué d'invités.

Mais les appels des hommes derrière lui avaient trouvé leur cible avant qu'il n'y parvienne : à la porte, un serviteur s'interposait déjà alors que Roman arrivait à toute vitesse. Il ne semblait pas porter d'armes et c'est trop tard que Roman vit le couteau que l'homme pointa, terrifié, vers son ventre. Il esquiva tant bien que mal mais la pointe perça cruellement son flanc, lui arrachant un bref râle de douleur tandis que son corps poursuivait son élan pour s'écraser contre la lourde porte de bois. Il se retourna pour planter sa dague dans le corps de l'homme, d'un coup violent porté en direction de la gorge, pour ne pas prendre le risque de manquer le coeur et de briser sa lame sur les côtes. Le temps de retirer le métal ensanglanté de la chair palpitante, ses poursuivants l'avaient presque rattrapé : il n'eut que le temps de rouvrir un battant de la porte pour se précipiter à l'extérieur...

La nuit l'engloutit, fraîche et noire, dénuée des senteurs exaltantes et étouffantes des soirées mondaines. Il fallait à Roman de grandes inspirations puissantes mais courtes pour ne pas se laisser envahir par la douleur; ses jambes le portaient aussi vite que possible par les ruelles que n'éclairaient guère que quelques torchères que le veilleur n'avait pas encore éteintes....

Derrière lui, après quelques minutes de courses qui lui parurent une éternité, le battement des pieds de ses poursuivants déclina. Il avait réussi à les semer dans les ruelles tortueuses de la ville, alors qu'il avait couru au hasard. Il se laissa aller à s'adosser, le souffle court, contre le mur d'une maison, sous un petit porche. Sa main droite se porta à son flanc. Sa paume se fit soudain poisseuse et chaude tandis qu'une douleur vive faisait monter en lui une vague de vertige.


- Merde...

Il lui fallait à tout prix contrôler sa respiration, maintenir sa main droite pressée contre son flanc pour limiter la perte de sang... Son souffle rapide faisait un bruit bien trop remarquable dans le silence nocturne des ruelles. Il tâcha de l'apaiser tout en le contrôlant fermement, et il lui fallait se concentrer sur la situation pour ne pas se laisser déborder par la douleur. Il aurait besoin de lumière pour se soigner, il était inutile de perdre du temps à se déshabiller ici pour observer la blessure de près.

Il était repéré. Il devrait quitter la ville dès le lendemain, avec Fanette, pour ne pas être attrapé. Mais avant cela, il devait mener à bout sa mission... Il fallait tuer l'ambassadeur espagnol. La soirée mondaine ayant prématurément connu sa fin, chacun rentrerait certainement dans ses quartiers... et l'espagnol logeait dans une auberge cossue que Roman avait repérée la veille. Il allait devoir prendre des risques et agir dans la rue, au lieu de s'arranger pour faire son oeuvre discrètement.

Le repos était terminé. Il se redressa en se forçant à ignorer la douleur qui pointait à son flanc. Ses jambes s'activèrent en grands pas rapides qui le menèrent tout d'abord vers le clocher de la chapelle, point de repère idéal pour retrouver ensuite le chemin de l'auberge. Arrivé devant l'édifice, il s'engagea dans une ruelle à l'ouest que plusieurs torches éclairaient : l'aubergiste, bon commerçant, montrait le chemin de sa maisonnée à tout client nocturne à la recherche d'une chambre pour la nuit. Cela n'arrangeait pas les affaires de l'assassin. Il fit de son mieux pour rester dans les ombres des porches ou des coins de rue, mais heureusement, à cette heure si tardive, il n 'y avait guère plus que des chats errants dans les rues.

Il trouva bientôt l'auberge. Avisant le gosse crasseux endormi sur une chaise sous le porche d'entrée, il déduisit que l'ambassadeur espagnol n'était pas encore arrivé. Il se posta donc un peu plus loin dans la rue, dans les ombres, et prit son mal en patience.

Fort heureusement, il ne fallut pas trop de temps pour que le roulement chaotique caractéristique d'une calèche se fasse entendre dans la rue. Roman se renfonça encore plus dans le noir et regarda passer le véhicule, tiré par un cheval fatigué. Il entendit le cocher ordonner l'arrêt, et guetta ce qui suivit : l'homme descendit de son siège après avoir posé son fouet, fit quelques pas, et parla à son passager, lequel lui répondit avec un net accent espagnol puis descendit du véhicule.

Roman n'attendit pas davantage. Il se glissa derrière la calèche, attendit que le cocher remonte sur son siège, et dès que le cheval fit résonner ses sabots pour reprendre sa route, il se jeta sur sa cible, qui n'avait guère eu le temps que de faire quelques pas en direction du perron de l'auberge. La lame tranchante de sa dague s'enfonça brutalement dans la gorge qui s'ouvrit en une découpe immonde. Roman la trancha entièrement. Tant pis pour la discrétion, cette fois, il s'agirait clairement d'un meurtre, et il lui faudrait se cacher...

Le corps retomba sur le sol avec un bruit mou.

Lorsque Roman releva les yeux, le gosse endormi sur sa chaise n'avait pas bougé, et ses yeux clos et son visage détendu ne trahissaient qu'un profond sommeil consécutif à une journée harassante. L'Italien ne perdit pas de temps à essuyer sa dague sur le pourpoint de sa victime : il était déjà, de toute façon, couvert de son propre sang. D'un regard, il évalua les alentours : le porche le plus proche n'était qu'à quelques pas. Il allait disparaître dans l'ombre...

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Fanette
Une frêle silhouette longeait les façades, happée par l'ombre des murs. La démarche se faisait quelquefois hésitante, quand, à l'angle des rues, elle cherchait une direction, ou s'assurait qu'aucune ombre ne rôde dans ses pas.

- La ventrière vit dans une petite maison avec une porte verte, rue des aumôniers. C'est tout près de l'auberge du Roy, tu peux pas t'tromper, c'est la plus belle auberge de la cité. On dit même que feu sa Majesté est venue y séjourner plusieurs fois.

La cabaretière détailla un instant la vagabonde des pieds à la tête, avant d'ajouter, sur un ton légèrement moralisateur.

- J'sais pas c'que tu lui veux, mais c'est une brave femme, si elle peut, elle t'aidera. T'as d'quoi la payer ?


Elle avait attendu que les derniers convives quittent la salle commune de la municipale, et couvrant ses épaules d'une étole de coton, elle s'était glissée au dehors. Roman ne lui avait rien précisé d'autre que son retour, au milieu de la nuit, et comme à son habitude, la jeune fille n'avait quémandé aucune précision. Elle savait bien que c'était inutile, et elle n'avait sans doute pas très envie de connaître par le détail ce qui occupait les nuits du Corleone.
Et puis, à vrai dire, d'autres préoccupations gangrenaient ses pensées depuis plusieurs semaines. Saurait-elle se rendre compte s'il s'avérait qu'elle soit grosse ? Comment pourrait-elle le deviner rapidement ? Que devrait-elle faire alors ? Sa mère avait son âge quand la Camarde était venue la prendre, fauchant du même coup l'enfant qu'elle s'apprêtait à mettre au monde.

- Je prendrais soin de toi et tu vivras, l'avait assuré Roman un soir. Ça me ferait plaisir je crois, de te voir avec un ventre rond.

Depuis lors, elle n'avait plus osé aborder avec lui ce sujet de crainte qu'il ne pense qu'elle regrette de s'être donnée à lui, ou lui refuse le droit d'être père. Elle n'avait aucun remords, juste des inquiétudes, qui s’apaiseraient si elles pouvaient trouver réponse. Il n'y avait jamais eu aucune mère, ni aucune sœur pour lui expliquer toutes ces affaires de femmes. Jusqu'aux premiers sangs, qu'elle avait subit honteusement, durant ses errances, certaine d'une punition divine pour s'être enfuie de la ferme où elle vivait.

Alors, elle continua son chemin vers la chapelle. A l'ouest du portique, les torches accrochées aux murs éclairaient un large passage d'une lumière orangée. Elle s'y engagea en hâtant le pas, cherchant des yeux la porte qu'on lui avait indiquée. Un peu plus loin, un attelage venait de stopper devant une façade haute de deux étages dont les encorbellements surplombaient largement la rue. Son regard fut attiré par l'homme qui sortait de l'ombre au dos du véhicule.
Elle fronça les sourcils, fixant la silhouette familière. La démarche n'était pas aussi déliée que d'ordinaire, mais elle ne pouvait douter de la stature, et des reflets de cuivre que jetaient les flammes des torchères dans les cheveux châtains. Elle hésita un fugace instant, partagée entre l'envie de courir le retrouver, et celle de s'engouffrer chez la matrone avant qu'il ne l'aperçoive. Un sourire discret vint s’accrocher à ses lèvres, alors qu'elle s'avançait vers lui, choisissant de remettre à plus tard ses interrogations. Son pas joyeux claquait sur le dallage, les lèvres déjà s’entrouvraient, l’œil mutin brillait, à la surprise qu'elle imaginait sienne quand il la découvrirait, juste derrière lui.

Pourtant quelque chose clochait, sans qu'elle ne sache dire quoi. Plus que quelques toises encore. Deux, peut-être trois, mais l'éclair blanc de l'acier venait d'ancrer ses pieds aux pavés. Elle perçut le gargouillis du sang jaillir au rythme des derniers battements de cœur, et le bruit mat du corps sans vie d'un inconnu, heurtant le sol. Ses lèvres s'étaient refermées sur un cri silencieux, et sa main fut rapidement portée à sa bouche pour retenir le haut-le-cœur que lui inspirait le macabre spectacle dont elle ne parvenait à se détacher. Le regard de lichen où elle aimait tant se plonger était aussi sombre et froid que le granit. Il n'y avait plus aucune douceur sur ses traits, durs et déterminés, laissant à peine entrevoir la souffrance qui les tiraillait. La jeune fille, les yeux brouillés de larmes, ne savait plus reconnaître, sous le sang qui couvrait le Corleone, celui dont elle était éprise. Figée au milieu de la ruelle, son regard croisa celui du tueur, alors que, son forfait accompli, une main tenant son flanc, et l'autre toujours serrée sur la lame ensanglantée, il avisait un coin d'ombre qui dissimulerait sa fuite.

- Roman ... Juste un souffle s'était échappé des lippes blanches ... sans que les jambes flageolant encore sous la terreur qui l'avait saisi, ne puisse rompre la distance qui les séparait.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Roman.
Son nom murmuré d'une voix angoissée ramena brutalement Roman à une autre réalité, déconnectée de l'instant terrible qu'il venait de souiller d'un meurtre : cette vie où il était un homme doux et attentionné envers sa compagne, et non plus un assassin cruel et solitaire. La transition de l'un à l'autre ne se faisait habituellement pas de la sorte : il rentrait retrouver Fanette seulement après s'être lavé et avoir astiqué ses armes; non sans oublier une minutieuse inspection de la moindre trace de sang, de poison ou de quoi que ce soit d'anormal sur lui, ses vêtements ou ses armes. Il prenait le temps aussi de ranger soigneusement dans un coin de son esprit les préoccupations diverses liées à ses actes : plans, prévisions de route, préparation des poisons, choix de ses lames... Tout cela était mis de côté avant qu'il n'aille rejoindre la douce et délicate Française dont il était épris depuis plusieurs mois.

Cette fois, pris sur le fait, une sorte de vertige l'envahit, réduisant son champs de vision d'un halo pâle qui faillit le faire basculer dans l'obscurité : était-ce d'une brusque angoisse l'étreignant faute d'avoir anticipé une telle situation ? Étaient-ce simplement la douleur, l'effort et la perte de sang qui se conjuguaient pour l'affaiblir ? Il dut se faire violence pour avoir la présence d'esprit de rengainer sa dague. Fanette l'avait sans doute vue, mais la faire disparaître à ses yeux constituait une forme de doux mensonge. Allait-elle hésiter ? Serait-elle sûre d'avoir bien vu les reflets de la lame ?


- Amore mio...

Sa voix était un peu rauque, la gorge asséchée d'avoir couru. Il voulu avancer vers elle mais s'arrêta après un seul pas. Il était trempé de sang, blessé, et recherché. Une sourde angoisse lui martelait l'âme : Fanette n'aurait jamais du être témoin de ses agissements criminels. Il l'imagina soudain se briser en mille morceaux comme un cristal heurté par une pierre... Préserver son innocence avait été l'une des gageures de leur relation. Il avait échoué cette fois... Mais pourquoi était-elle sortie si tard dans la nuit, seule, sans lui ? Allait-elle voir un autre homme, ou retrouver une amie ?

- Que fais-tu ici ?

Son ton était plus dur qu'il ne l'aurait voulu. Fanette était au courant des activités illégales de son compagnon, mais elle avait promis qu'elle ne chercherait pas à en savoir le détail. Il lui imposait une ferme non-connaissance de ses actes : elle savait qu'il tuait, mais jamais il ne l'avait laissée connaître les lieux de ses crimes, et encore moi l'identité de ses victimes. Il l'avait toujours laissée dans l'ignorance de ses agissements concrets. Bien sûr, ni lui ni elle n'était dupe de ce petit jeu : Fanette était ravie de ne rien savoir afin de pouvoir conserver l'opinion qu'elle avait de son compagnon...

- Viens.

Il acheva quelques pas vers elle et la saisit par le bras, avec une sorte de dureté qu'il n'avait jamais employé avec elle. Il l'attira avec lui dans la noirceur d'un porche, et rapidement, il lui parla, avec des mots simples et en la regardant droit dans les yeux pour imprimer dans son esprit les paroles qu'il lui délivra :

- Cet homme était une menace pour la famille de ma mère. Ma cousine di Medici est en danger dans la ville espagnole où elle réside. J'ai éliminé l'ambassadeur pour qu'il ne puisse pas demander des armes à la France sous un faux prétexte, alors qu'elles serviraient à prendre le contrôle de la ville où vit Lùcia.

Les meurtres qu'il commettait n'étaient jamais gratuits. Mais ils restaient des meurtres. Et Fanette, en état de choc, le regardait avec des yeux de biche terrorisée, éperdue et profondément angoissée...

- Nous devons rentrer tout de suite à l'auberge et partir. Ils me cherchent. Donne-moi ton châle.


Il n'attendit pas qu'elle obéisse et se saisit lui-même du vêtement qu'il se noua rapidement autour de la taille, sous sa chemise, pour contenir tant bien que mal le saignement. Il rabattit le tissu troué par-dessus en maudissant le portier qui n'était pas censé être armé.

- Nous allons marcher tranquillement dans la rue, comme si nous faisions une promenade nocturne. Ils cherchent un homme seul, pas un couple. Reste près de moi.

Il faillit ajouter : "nous sommes en danger". Mais elle l'avait probablement déjà compris... Il saisit son bras et se redressa après avoir réajusté son pourpoint : le sang se voyait toujours sur le tissu, mais l'on pouvait espérer que l'obscurité et le fait qu'ils cherchent un homme seul se combinent pour que personne ne vienne l'observer de trop près.

L'Italien fit marcher Fanette d'un pas contenu, tandis qu'il avait tous les sens en alerte pour guetter d'éventuels gardes en approche. Contre lui, la belle éperdue le suivait presque comme une poupée de chiffon...

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Fanette
Qu'était-elle venue faire dans cette rue ? Elle n'eut pas le temps de répondre à cette question qu'il l’entraînait dans l'ombre d'un porche. Et c'était une chance car elle n'était pas sûre que sa gorge nouée et la confusion qui tourneboulaient ses pensées ne lui permettent de répondre dans l'instant. Il avait planté ce même regard dur et glacé dans les yeux humides de Fanette, qui, par réflexe, les baissa sur la main qui tenait toujours fermement son avant-bras. Jamais il ne l'avait brusquée jusque-là, et jamais elle n'avait vu ses traits refléter une telle expression ; pas de colère, non, plutôt de la détermination, une froide détermination.

Elle releva un visage toujours blême vers lui, s'accrochant à ses explications comme à une planche de salut, mais en vérité, les raisons qui l'avaient poussé à égorger l'homme étendu à quelques pas d'eux lui importaient peu. Ce n'était que la cruauté du moment qui restait imprimée dans son esprit. Ce râle dans lequel s'échappait le dernier souffle de vie, cette souffrance létale arrachée au bon vouloir du Très Haut car donnée par cette main qui le matin encore la caressait.

Elle suivit ses gestes quand il noua l'étole autour de sa taille. Le pourpoint écarté, laissait apparaître le fourreau de la dague ensanglantée, et la chemise soulevée dévoilait une entaille, là où quelques semaines plus tôt, une suture refermait déjà une plaie plus longue encore. Il était blessé et un mort gisait au milieu de la rue, la gorge tranchée. Il fallait s'éloigner, fuir cette scène sordide, échapper au danger imminent. Il choisissait les venelles les plus étroites, obliquait à droite, puis à gauche, s'arrêtait parfois, guettant le moment opportun pour traverser une rue plus large que la lune diaphane éclairait de sa pâle clarté, et se fondait de nouveau dans la pénombre d'autres ruelles.

Le sang cognait aux tempes de Fanette, son souffle s'accordait à celui de Roman, comme si elle aussi était meurtrie, mais ce n'était que le tumulte qui agitait ses pensées sans qu'elle ne sache ce qui avait le plus d'importance, de la blessure de son bien-aimé, du danger qui les menaçait, de l'horreur du crime ou de cette part de ténèbres que Roman lui avait laissé entrevoir de son âme. Alors, son corps agissait mécaniquement, répondant uniquement aux sollicitations du bras qui la guidait, sans qu'elle ne décèle rien du claquement des pas qui résonnait au devant d'eux, sur les pavés. Son cœur bondit dans sa poitrine quand il la tira brusquement dans l'encadrement d'une porte, un index sur les lèvres pour intimer le silence.

Soudain ramenée au danger de l'instant présent, elle n'osait plus un mouvement, observant l'Italien qui jetait un œil discret aux deux silhouettes qui approchaient toujours. Si elle avait eu l'habitude de prier Deos, elle l'aurait supplié de faire en sorte que ce ne soit que deux promeneurs noctambules, mais déjà, Roman, dans un soupir trahissant la douleur qui tenaillait son flanc, dégainait de nouveau sa lame en se renfonçant dans l'encoignure des pierres.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Roman.
Le silence. Il aurait fallu du silence. Un silence absolu, la noirceur presque totale, la discrétion certaine... mais non. Roman et Fanette respiraient à grandes goulées l'air froid de la nuit, bien que chacun d'eux fit son possible pour le faire de la manière la moins bruyante possible. Les coeurs battaient la chamade et ce n'était pas à l'unisson.

Roman prit conscience d'une présence au-devant d'eux, qui se trahissait par des claquements de pas sur les pavés. Il tira brusquement Fanette dans l'encadrement d'une porte, un index sur les lèvres pour intimer le silence. Il la garda fermement contre lui, mais cette fois la proximité de son corps n'éveillait aucun désir : il n'y avait que la sourde angoisse d'être surpris et reconnu, en sa compagnie, et, d'ainsi, la compromettre, elle qui avait toute son innocence.

Sa main ne tremblait nullement lorsqu'il dégaina sa dague, prenant soin d'en cacher l'éclat métallique dans la pénombre de la pierre. Les pas qui martelaient la chaussée s'approchaient rapidement, et s'arrêtèrent net devant eux. Deux hommes d'armes patrouillaient : était-ce une simple garde de nuit, ou recherchaient-ils l'Italien ? Roman n'eut que le temps de saisir Fanette de sa main libre pour la plaquer contre lui en un simulacre de baiser sans délicatesse, et il eut honte de son geste. La tentative fut d'ailleurs vaine :


- Hé, toi, là !


Roman tenta de cacher son visage dans le cou de sa malheureuse demoiselle, en un simulacre d'ivrognerie indécente... faisant semblant de ne pas entendre le sergent qui les hélait. Mais son geste était trop maladroit, trop peu naturel, car il devait tenir sa dague de manière à ne pas blesser Fanette, et ne pas trop solliciter les muscles autour de sa blessure.

- Je te cause !

La voix monta d'un cran dans l'agacement. Roman se sentit brutalement saisi à l'épaule, arraché à Fanette qu'il ne put rattraper, affaibli par sa blessure; on le plaqua dos au mur :


- Ton nom !

Il détourna la visage, silencieux, obstiné, et sa dague se logea sans vergogne sous les côtes du sergent.

- AAArrrh FILS DE... !!

L'homme s'effondra en entraînant Roman avec lui, heurtant lourdement le sol tandis que l'Italien basculait sur lui; et il eut le courage de saisir le manche de la dague de Roman pour le retirer de son corps. D'un geste, profitant de la pénombre, de la mêlée et des dernières forces qu'il lui restait, il planta la lame dans la cuisse de l'étranger. Dès cet instant, ils furent à deux sur Roman : l'autre garde l'avait saisi par le bras et le tirait en arrière pour libérer le corps du capitaine, qui suffoquait déjà, un poumon percé. Un râle de douleur et d'impuissance sortit sans autorisation de la gorge de Roman, mais il s'acheva prématurément sous un coup de poing ganté asséné en pleine tempe. L'Italien s'effondra sur les pavés.
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Fanette
La peur suintait par tous ses pores, crispait ses mâchoires, palissait sa peau. La main tremblante tenta en un vain effort de retenir l'italien que le garde lui arrachait. La lumière crue de la torche du second, brandie au-dessus d'eux agressa ses yeux qui s'étaient habitués à la pénombre de la rue. Si Roman n'émit aucun son quand le milicien le plaqua au mur, Fanette laissa échapper un cri d'effroi, sec, court, aigu, sonnant comme une sentence.

Tout allait si vite, et pourtant, le temps semblait s'être figé dans ce macabre instant. Alors, elle perçut l'éclat fugace de la lune sur la lame de la dague, avant qu'elle ne s'enfonce sous les côtes du garde. A cet instant précis où il basculait, le carmin du sang auréolait déjà le jaque qui ne l'avait protégé de la détermination de l'assassin qu'il venait de saisir.

- Roman ...


La supplique désespérée, étranglée dans la gorge serrée, suivit la chute du Corleone, accompagnant l'acier, qui à présent, venait se ficher dans sa cuisse.

Le sang battait plus en plus fort aux tempes de Fanette, son cœur cognait à lui faire mal, le souffle lui manquait. Elle ne savait plus trop ce dont elle était témoin, mais l'impérieuse nécessité d'agir sourdait dans ce qui lui restait de lucidité. Ses yeux ne pouvaient se détacher de ce qui se jouait au devant d'elle, mais sa main, comme douée d'une volonté propre se glissait dans sa besace. Les doigts se faufilaient à tâtons, écartant l'inutile, se frayant un chemin jusqu'à un manche en corne, dont la forme légèrement arrondie assurait une prise ferme et aisée. Il était emmanché sur la lame courte et relativement effilée d'un couteau dont la longueur totale ne dépassait pas un empan de long. Pour dire vrai, elle ne l'avait jamais encore utilisé, remettant à plus tard ce cadeau un peu surprenant, qu'un brigand angevin croisé quelques semaines plus tôt lui avait fait, peut-être par égard pour sa tante qu'il avait connue.

Qu'importe, elle retint son souffle, laissant glisser en silence sa besace à ses pieds, ne conservant que l'arme, fermement tenue dans la main.
Le flambeau gisait à une toise d'eux, sur les pavés, agitant le mur des ombres entremêlées des trois hommes. L'autre garde l'avait laissé choir pour mieux empoigner l'italien et lui porter l'estocade.
Les yeux de Fanette en suivirent la course jusqu'aux bruits sourds des deux chocs consécutifs, celui du poing ganté d'acier, et le corps vaincu de Roman s'effondrant de nouveau.

Son regard s'obscurcit soudain d'un voile sombre tandis qu'une main étreignait son cœur, le vidant de son sang. Ses jambes allaient se dérober, mais il fallait lutter contre ce moment qu'elle avait connu déjà, il n'y a pas loin encore, où le corps cède et abandonne l'esprit aux brumes de l'inconscience. "... S'il y a trop de soldats, si Roman est blessé ? Il mourra et vous mourrez aussi ..." Les paroles de l'Abyssinienne sonnaient à ses oreilles comme si elle était là, tapie dans l'ombre derrière elle. "...Voilà ce qui m'inquiète, je veux que Roman vive ..."

Fanette ne faisait pas partie du clan, mais elle n'en souhaitait pas moins la même chose, et peut-être même plus ardemment. Pourtant en cet instant suspendu, elle ne savait dire si c'était encore possible ou non. La camarde avait-elle déjà fauché le Corleone ?

L'homme au sol, dont la bouche clappait comme un poisson hors de l'eau pour reprendre un souffle rendu impossible par son poumon percé, avait déjà le regard vitreux de la mort. Roman était à demi affalé sur lui, tandis que le garde encore debout l'approchait dangereusement en dégainant une lame.

Quelle force ou quelle frayeur guidait son bras, alors que sa raison lui dictait de fuir, avant que le garde ne prête attention à elle. Les batailles et les rixes n'étaient pas pour la jeune fille. Même en Anjou elle n'avait su ni tuer, ni même blesser aucun ennemi. La fuite était l'option la plus simple et la plus prudente, mais Fanette avait peut-être perdu la raison, face à l'inexorable. Ses gestes, déconnectés de son entendement, n'obéissaient plus qu'à l'insoutenable vision de l'italien, étendu à terre. Elle se décala légèrement sur le profil du garde qui ne lui prêtait pas cas. La broigne de cuir semblait bien trop épaisse, mais sous la chair fine du cou palpitait la colère de l'homme s'apprêtant à venger son compère. C'est là que, dans un geste désespéré, le couteau se planta, perçant la chair aussi facilement que lorsqu'elle incisait un lièvre pour lui ôter la peau. Immédiatement, le sang se répandit en vagues successives, couvrant sa main du liquide tiède et visqueux. Les yeux révulsés de douleur et de surprise se tournèrent vers elle. La panique soudaine la fit réagir plus violemment encore face au milicien déjà affaibli. Réassurant sa prise sur la corne du couteau, elle répéta le geste, sentant la pointe de l'épée qui, perdant de sa force n'eut que le temps d'entailler à peine son vêtement et peut-être la chair de son ventre. Déjà le regard accroché à celui de la vagabonde se vidait de son âme, les lèvres se fermaient sur un ultime râle. Elle fit un pas en arrière, pour éviter le milicien qui tombait vers elle. Ses doigts se desserrent sur le couteau qui chutait en même temps que l'homme et son épée. Elle retenait son souffle depuis lors, terrifiée par ce qu'elle venait de faire.

Elle ne l'avait pas tué, ce n'était pas elle. Elle, elle n'était qu'une simple voyageuse, rien de plus qu'une âme vagabonde, juste une conteuse incapable de rendre le moindre coup. Même à l'hiver précédent, quand, après l'avoir copieusement battue, un poitevin, exhibant indécemment son vit, était trop occupé à fouiller sous ses jupes pour se rendre compte qu'elle s'était emparée d'un couteau souillé de son propre sang ; même là, tenue par la souffrance et la peur, elle n'avait pas su lui porter le coup fatal. A peine avait-elle pu frapper devant elle, balafrant un bras juste assez profondément pour faire réaliser à l'homme l'odieux geste qu'il s'apprêtait à commettre, et lui permettre d'échapper à son étreinte.

Fanette ne tuait pas, jamais. Elle ferma les yeux un fugace instant en prenant appui sur le mur, mais la seconde suivante, quand elle les rouvrit, l'homme gisait toujours à ses pieds, dans une flaque de sang, près du corps immobile de l'italien et du second garde. La tête lui tourna violemment, alors qu'elle reprenait sa respiration, dans un souffle saccadé. Elle se laissa tomber à genoux près de Roman, saisissant son visage de ses mains encore souillées de sang, le parcourant de ses lèvres, mêlant le vermeil à ses larmes, impuissante et brisée.

Mais elle le sentit bouger, légèrement, sa bouche ébaucha enfin l'ombre d'un morne sourire tandis qu'elle se reculait pour scruter le visage aimé, où les paupières s'entrouvraient pour révéler le regard de lichen. Son cœur s'accéléra encore, comme prit d'un souffle nouveau. Il fallait oublier ce qu'elle venait de faire, et agir.

Elle essuya du dos de sa main les larmes et le sang qui brouillaient encore sa vue, se pencha pour récupérer son couteau et sacrifier un bout de drap au bas de ses jupes. Il fut fébrilement noué là où la dague avait entamé la cuisse de l'italien. Fanette s'efforçait de contenir le tremblement de ses mains. Elle n'avait plus décroché une parole, mais ses traits trahissaient la détresse autant que la peur. Le danger rodait encore autour d'eux, dans les yeux les épiant à travers un volet ou dans les pas d'une patrouille qui ne tarderait pas à repasser. Il fallait fuir au plus vite. Elle passa le bras de Roman autour de son cou, et s'appliqua, avec toute la rage qu'elle avait à le voir vivre, à l'aider à se remettre debout. Qu'importe qu'il soit bien plus grand et plus lourd qu'elle, elle devait y parvenir, leur salut en dépendait. Elle glissa un regard inquiet dans le sien, et parvint à articuler quelques mots.

- Roman, aide-moi. On doit s'en aller, c'est trop dangereux ici.

Fanette étonnamment prenait des décisions répondant à l'impérieux besoin de survie. Elle agissait plus qu'elle ne pensait, refoulant sa peur, se forçant à se dépasser encore alors que tout son monde venait de s'abîmer dans le geste indélébile qu'elle venait de commettre.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Roman.
Il n'y avait plus qu'un terrible engourdissement pour peupler le peu de conscience qu'il lui restait... Les limbes l'avaient saisi tout entier, comme des volutes de vides qui entouraient son corps dématérialisé. Il s'y laissait voguer. Mais contre ses lèvres, un souffle chaud dont le parfum lui était familier vint titiller son esprit. La bouche contre la sienne lui offrait encore la vie... il se sentit attiré vers cette présence réconfortante. Un effort considérable lui fut cependant nécessaire afin de parvenir à ouvrir les yeux, et la pénombre ne facilita pas sa tâche. Fanette. Impossible pourtant de faire obéir les muscles de sa bouche pour prononcer le nom aimé et le rendre plus réel, mais un sourire incertain éclaira, sans même qu'il en ait conscience, les traits de son visage.

Il se sentit soulevé maladroitement par les bras féminins et il tenta d'aider Fanette de son mieux, obligeant son corps à lui obéir malgré l'inertie mortelle de celui-ci. La douleur, cuisante, vint piquer sa conscience, l'éveillant davantage, le forçant à crisper la mâchoire pour ne pas laisser un râle de souffrance lui échapper. Sa compagne le soutenait malgré sa constitution fragile. Il la suivit tant bien que mal, la vision trop obscurcie pour faire autre chose que de la laisser les mener...

Quelques minutes plus tard, il s'effondrait sur leur lit, haletant des efforts qu'il avait du fournir pour parvenir jusque-là. Un instant plus tard, il sombrait dans une profonde inconscience qui dura tout le temps qu'il fallut à Fanette pour raviver le feu dans la cheminée, allumer davantage de bougies, déchirer un drap du lit et sortir les outils de médecine qu'elle sut trouver dans les sacoches de son diable.

Sous les mains de la jeune fille, il était comme une poupée de chiffons, abandonné, les yeux clos, la respiration inégale. Il ne sentit pas les chiffons qui essuyaient le sang de ses blessures; ni les doigts tremblants de Fanette qui tentait de recoudre ses plaies. Par moments, il s'éveillait, tentant de se souvenir de ce qui lui était arrivé et de la raison pour laquelle il se sentait aussi faible... et à chaque fois, il trouvait devant ses yeux le visage inquiet de son infirmière d'un soir, qui pourtant le couvait de sa tendresse et de ses gestes maladroits et attentifs.

Comment pourrait-elle supporter encore de vivre à ses côtés si elle devait s'occuper ainsi de le soigner ?

Il n'avait pas encore conscience de ce qu'elle avait fait pour lui.

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Fanette
Elle accompagna Roman jusqu'à la couche où il se laissa choir, lui ôta ses bottes et fit un dernier effort pour remonter ses pieds sur le matelas d'étoupe avant de se précipiter vers la porte pour en refermer le loquet. Elle se retourna lentement, s'autorisant enfin à respirer. C'est alors que ses jambes décidèrent de lui faire défaut. Elle se laissa glisser au sol, impuissante, plissant les yeux pour embrasser la pénombre de la chambre d'un regard.
Etaient-ils en sécurité dans cette auberge ? Assurément non. Ce n'était peut-être pas le premier endroit que la maréchaussée viendrait fouiller, y préférant sans doute les granges ou les cabanes inhabitées, mais tôt où tard ...

Ses yeux s'étaient heurtés à la silhouette inanimée du Corleone et déjà les larmes inondaient de nouveau son visage. Rien n'était fini, au contraire, tout commençait ici. Dans la ruelle un peu plus tôt, c'était un réflexe. L'absolue nécessité qui guidait le geste inconscient, de la même manière qu'elle avait tant de fois abrité sa tête entre ses bras quand le Messonier de son enfance faisait pleuvoir les coups sur son échine. Mais à présent, puisque l'italien n'était plus en mesure de le faire, elle devait agir encore, réfléchir, organiser, prendre les bonnes décisions, non seulement pour elle, mais pour celui qu'elle aimait. Elle n'avait pas le droit de s'abandonner aux tourments qui bousculaient son âme, pas encore.

Ses jambes étaient sans doute aussi peu assurées que ses mains quand elle raviva le feu et rassembla toutes les chandelles possibles pour donner un semblant de clarté à la petite pièce. Elle l'avait vu faire rarement, elle avait vu faire aussi les moines et les médecins, en Anjou, pendant la guerre. Ses dents s'étaient plantées dans sa lèvre inférieure à la faire saigner tout ce temps où elle avait écarté les vêtements poisseux, baigné les plaies souillées de sang déjà coagulé. Et surtout il lui avait fallu puiser encore bien plus de courage pour planter l'aiguille dans les chairs et les lier maladroitement, par un fil de lin huilé. A chaque mouvement du blessé, elle suspendait un geste tremblant, en retenant son souffle, épongeant la sueur et les larmes dans sa manche.
Quelques bouts de draps encore propres vinrent parachever le soin, isolant la blessure d'autres vêtements qu'elle avait trouvés dans les sacoches de Roman, mais elle crut ne jamais parvenir à lui passer tant il était faible.

Et tandis que les gestes maladroits de Fanette faisaient leur possible pour prendre soin de son diable, elle échafaudait déjà la mise en œuvre de leur fuite, reprenant espoir à chaque fois qu'il ouvrait les yeux, le perdant aussitôt qu'il les refermait. Une main tendre caressait sa joue, essayant vainement de le ramener à lui. Vigiles sonnaient au clocher, mais rien ne laissait présager que l'italien serait en mesure de se mettre debout tout seul.
L'épuisement gagnait la jeune fille, la frayeur ne l'avait pas lâchée, et le découragement commençait à poindre. Jamais elle ne parviendrait à le hisser sur son cheval. Pourtant, ils devaient s'enfuir, quitter Vendôme au plus vite, sinon, il serait pris, jugés et pendus, ou pire encore. Sa main glissa une nouvelle fois sur le visage glabre. Ses yeux y guettaient une réaction, mais les chandelles, inéluctablement, s'éteignaient d'avoir trop brûlé, replongeant la chambre dans les ténèbres que seul le feu dans l'âtre tenait éloigné.

Elle ferma les yeux un instant, rassemblant ses esprits autant que son courage, mais le regard d'effroi de l'homme qu'elle avait égorgé s'imposa soudain, aussi vivant que s'il était là, dressé devant elle. Son ventre fut broyé par une crampe, lui laissant à peine le temps de s'écarter du lit, qu'il s'échappait par ses lèvres blanches. La main portée à son abdomen décela la tiédeur de la peau au lieu de la toile de son corsage. Elle s'approcha du feu, pâle comme un linge, remarquant à présent l'estafilade laissée par l'épée du garde. La plaie ne semblait pas profonde, juste une écorchure de deux ou trois paumes de longueur, qu'elle préféra ignorer. Elle se contenta d'abandonner la chemise au profit d'une propre.

Le léger crépitement des flammes fut soudain couvert par un bruit. Des pas qui se voulaient précautionneux faisaient craquer le plancher sur le palier. La terreur affola de nouveau le cœur de Fanette. Elle ne parvenait pas à en calmer le fracas à l'idée de gardes déjà à leurs trousses, mais, contre toute attente, la présence sembla s'éloigner et les gonds d'une porte voisine grincèrent. L'homme du soir, ce devait être lui.
L'idée lui vient, elle la chassa aussitôt. Elle ne devait faire confiance à personne. Et puis que faisait-il encore debout à cette heure, n'était-ce pas suspicieux de veiller ainsi jusqu'au milieu de la nuit ? Elle jeta un regard inquiet à Roman, rassembla leurs affaires et revint près de lui. Elle lui remit ses bottes, et passa encore son bras autour de son cou, espérant qu'il se remette debout, quitte à s'appuyer une fois de plus sur elle. Il ne fallait pas s'attarder davantage, quand l'aube poindrait, il serait trop tard.

Elle s'escrima, l'encourageant de ses paroles, mais son corps presque inerte était devenu si lourd. Elle tirait sur son bras, l'appuyant au mieux sur son épaule, usant ses dernières forces, pleurant, rageant, le suppliant tout à la fois, cruellement impuissante à le voir sur ses pieds. Roman luttait avec elle, parvenait au mieux à se maintenir assis, le visage accusant sa faiblesse, autant que la douleur des plaies qui le tiraillaient. Parfois il refermait les yeux, les rouvrait aux sollicitations désespérées de la jeune fille.
Elle se laissa retomber sur le matelas d'étoupe avec lui. Non ! Décidément, elle n'y arriverait pas, pas seule en tout cas.

Fanette hésitait. Quel autre choix avait-elle que de s'en remettre à l'inconnu qui lui avait tenu compagnie alors que la salle commune s'était vidée, un peu plus tôt, quand elle savait encore occulter ses inquiétudes pour ne montrer que sa joyeuse insouciance. Elle se repassait le fil de la soirée, cherchant à déceler quelque chose dans les paroles de l'homme, qui puisse faire douter de la bienveillance qu'il semblait afficher à son égard. Mais il s'était montré d'humeur égale, affable et liant, partageant amusé, ses différents mariages quand la vagabonde lui parlait de ses voyages. Quand une femme présente avait évoqué le nom du Corleone, il avait cherché à en savoir plus. Fanette prétextait ignorer les réponses aux questions qu'il lui posait, alors sans doute l'avait-il prise pour une naïve, tombée dans les filets d'un bellâtre profitant de son innocence pour aller courir d'autres jupons. Après tout, c'était peut-être mieux. Et puis, n'avait-il pas promis de l'aider si un jour elle était dans le besoin ?
La jeune fille tentait de se persuader que faire appel à lui était une option raisonnable, mais surtout, elle n'en avait aucune autre.

Elle soupira, essuya son visage, remit rapidement un peu d'ordre dans ses boucles pour se donner un air convenable. A la faveur de la nuit, peut-être ne verrait-on pas son regard délavé par les pleurs, ni les sillons de sel sur ses joues. Elle posa un baiser au front de Roman que les efforts avaient plongé de nouveau dans un sommeil agité de quelques râles, et doucement, débloqua le loquet de sa porte, une chandelle à la main.

Un enfant dormait derrière celle à laquelle elle s’apprêtait à frapper. Elle ne donna que quelques coups, retenant son poing fermé pour ne pas heurter trop fort le bois, espérant n'attirer que l'attention du père sans déranger le sommeil du fils. Elle guettait nerveusement un mouvement de l'autre côté de l'huis, surveillant du même coup le haut de l'escalier. La peur se coulait de nouveau dans ses veines, la rendant fébrile. Pourquoi avait-elle laissé le couteau dans la chambre, était-elle sotte ?

Son cœur manqua quelques battements quand la porte s'ouvrit sur la silhouette du presque trentenaire. Elle ne savait se décider entre le soulagement et la crainte plus grande encore de s'en remettre à un quasi-inconnu.
Elle lèvres s'ouvrirent sans parvenir à laisser échapper aucun son. Elle posa sa main sur le mur, baissa les yeux un instant, se forçant à calmer sa respiration pour mieux dissimuler son trouble.

- Mon Sieur, si vous voulez toujours m'aider, c'est maintenant !

Elle se maudit de ce ton que sa nervosité rendait un peu plus impératif. Se forçant à se reprendre, ses lèvres ébauchèrent un léger sourire de circonstance.

- Sieur, nous devons gagner le duché d'Orléans cette nuit, mais Roman ...

Imperceptiblement, ses sourcils s'étaient froncés, dessinant sur ses traits une petite moue ennuyée. Si l'homme la décelait, peut-être l'attribuerait-il à ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler, et non aux mensonges dont elle était peu coutumière.

- ... Roman, des marauds l'ont rossé alors qu'il revenait. Il est blessé et faible, jamais je n'arriverai à l'aider pour se mettre à cheval. Et je connais si peu la cité, j'ai peur de tomber sur eux à nouveau quand nous gagnerons la porte. Aidez-nous s'il vous plaît, je veux quitter Vendôme sans les croiser encore.

Elle leva vers lui un regard pressant. En réalité, elle espérait bien qu'il puisse lui indiquer un passage discret, vers une poterne dissimulée dans la muraille, afin qu'elle n'y croise personne, et surtout pas une patrouille. Sans même qu'elle y prenne garde, elle avait ajouté, d'un ton plus bas, presque implorant.

- Je vous en prie Sieur.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Djuge
Il logeait donc gratuitement dans une chambre gracieusement offerte par sa meilleure amie Solyaane propriétaire des lieux, quand soudain, alors que la nuit était bien entamée, quelqu'un tape discrètement a la porte de sa chambre et de son fils dormant tel un petit ange voyageant parmi les rêves...

Il ouvre sa porte le regard figé sur celui de celle qu il découvre... Un sourire se dessine alors sur ses lèvres a peine dissimulé, qui voila?
Fanette qu il avait rencontré peux de temps avant.

_ Fa...Fanette...

Djuge lâcha alor un léger souffle

_ Je... je me doutai que vous ne tarderiez pas a avoir besoin d'aide...

Il tourne alors sa tete en direction de son fils allongé sur sa couche serrant le poing, puis la regarde a nouveau....

_ Evidemment je vai vous aider... racontez moi ce qu il se passe je vous suit... Dans quelles histoires vous ete vous mise??? je vous avez prévenu ... enfin bref

Il lui pose alors la main sur l’épaule refermant la porte derrière lui pour ne pas risquer d’éveiller l'enfant, plonge son regard dans le siens complètement perdu écoutant ses mésaventure .

_ Bon ne perdons pas de temps...je ne suis pas ici depuis longtemps mais déjà je vai vous aider a mettre votre ... hummm rital sur scelle et je couvrirai vos avant affin de distraire au cas ou une éventuelle patrouille...
et effectivement je sais qu il y a un passage a travers la foret qui permet d’éviter la route principale...cela dit je ne l'ai jamais pris ce chemin ....
Allons ma chère... nous n'avons pas de temps a perdre menez moi a lui ..
Fanette
La main sur son épaule était bienveillante, mais Fanette ne put réprimer un petit mouvement de recul. D'autant que l'homme parlait de patrouille, alors que la jeune fille n'avait évoqué que des marauds, laissant croire que Roman était une victime, et non un assassin.
N'était-il donc pas dupe ? La réputation du Corleone une fois de plus l'avait précédée. Si Amarante n'avait prononcé son nom un peu plus tôt dans la soirée, et que l'homme ne l'ait entendu...

Elle poussa la porte de la chambre, l'invitant à la suivre. Les chandelles de suif s'étaient presque toutes éteintes, ne laissant flotter qu'un fumet noir et malodorant qui se mêlait à l'odeur âcre du sang, de la bile et de la peur. Les flammes vives encore dans l'âtre, étiraient une lueur tremblante vers la couche vide. Roman était assis par terre, légèrement adossé au bois du lit. Son souffle saccadé trahissait les efforts qu'il avait faits pour tenter de se lever seul. A son flanc, le sang perlant sur sa chemise avait traversé le bandage, témoignant de l'entaille laissée par la lame. Fanette se précipita auprès de lui, approchant ses lèvres de son oreille, elle lui souffla, tout en surveillant l'homme debout du coin de l'œil.

- Il va nous aider mon Amour. Il va te mettre en selle et nous faire sortir de la ville. Je crois qu'on peut lui faire confiance.

Elle ne savait rien de cette dernière phrase, mais l'avait prononcé sur un ton qu'elle voulait rassurant, sans doute pour lui, mais surtout pour s'en persuader elle-même. Pourtant, les traits de l'Italien se durcirent imperceptiblement, tant il devait lui sembler imprudent de compter pour leur salut sur cet inconnu.
Fanette se releva, attrapant leurs paquetages, tandis que leur voisin de chambre empoignait solidement le Corleone pour l'aider à se mettre debout.

- Nos chevaux sont à l'écurie attenante.

Elle les précéda dans l'escalier, s'assurant que plus personne ne traînait dans la salle commune. Mais à cette heure avancée de la nuit, les honnêtes gens dormaient, abandonnant l'obscurité aux rôdeurs, aux fredains et aux fugitifs. Malgré la faiblesse, rendant la démarche de Roman plus qu'incertaine, l'aide précieuse fournie par le vendômois d'adoption leur permit d'atteindre rapidement l'écurie.

Fanette avait repris juste ce qu'il fallait d'assurance pour ne pas attendre qu'on lui dise ce qu'elle devait faire. Elle était effrayée certes, mais elle gardait à l'idée qu'il leur fallait fuir au plus vite. La lanterne empruntée à l'auberge ne suffisait à éclairer les stalles, mais Siena émit le petit hennissement discret qui accueillait invariablement la jeune fille quand elle venait la voir. Elle détacha les deux chevaux, pour les ramener près de l'entrée, pendant que l'homme appuyait Roman sur des bottes de paille. Ils n'avaient guère le temps de s'attarder sur un pansage soigneux. La main passée rapidement sur le dos et le passage de sangle suffit à en chasser les souillures et tapis et selles furent rapidement mis en place. Il ne fallut que quelques minutes pour harnacher les montures et arrimer solidement les bagages.

La vagabonde tourna rapidement la tête vers celui qui leur venait en aide, s'efforçant d'esquisser, malgré les circonstances, un léger sourire de remerciement, puis revint inquiète près de l'italien. Trouverait-il la force de se maintenir à cheval ? Elle peinait à rester sereine alors que le danger était encore à les guetter, dans chaque ruelle qu'ils emprunteraient jusqu'à s'éloigner suffisamment de la cité. Elle s'efforçait d'ignorer la morsure de la lame qui avait écorché son ventre et tentait en vain d'apaiser les battements de son cœur.

- Je crois qu'il est temps.

Sa voix trahissait l'émotion autant que les doutes.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Djuge
Il finissait de sceller le rital sur sa monture, un regard jeté sur fanette plein d'inquiétude pour le destin qu'elle avait choisit...

La ville était entourée de forteresse mais un point faible pouvait faire office de sortie anonyme, oui les mur de la ville étaient en réparation et un accès donnait directement a la foret, c'était le seul moyen de passer inaperçue pour quitter la ville...

djuge tire dans un dernier effort sur la sangle qui maintenait le rital sur sa monture, puis enfourchant son destrier tenant les rennes de la monture du rital il s’enfonça dans la foret synonyme d une sortie incognito les menant jusqu a leur destinée incertaine.

- Fanette la route est a vous continuez, suivez la constellation du sagittaire elle vous mènera a la route principale... maintenant il est temps pour moi de rejoindre mon fils je ne peux l'abandonner pour telles aventure.

il regarde alors ses compagnon s'enfoncer dans la pénombre de la nuit légèrement caresse par la douceur lumineuse des rayons de la pleine lune.
Fanette
Il avait approché sa monture pour remettre dans la main de la jeune fille les rênes du cheval brun. Elle jeta un coup d’œil inquiet à l'italien qui ne disait mot, s'efforçant de se tenir à peu près droit sur sa selle. La rigidité de ses traits trahissait la douleur et la faiblesse.
Elle soupira, refermant ses doigts sur le cuir, anxieuse à l'idée de devoir mener seule sa propre jument et se faire suivre docilement de l'animal impétueux qui avait remplacé Brume sous la selle de Roman. L'heure n'était plus à savoir si elle en serait ou non capable, elle n'avait pas plus le choix que quelques heures plus tôt. Elle devait y parvenir.
La gorge nouée par les émotions trop intenses qui l'avaient tenue depuis le début de la nuit, elle écouta les recommandations de l'homme, le fixant un instant d'un regard reconnaissant, puis, ébauchant difficilement un sourire, elle le salua d'un hochement de tête et d'un merci à peine audible.

Une pression des mollets sur les flancs de Siena encouragea la jument à poursuivre le sentier qui cheminait entre les arbres. Les hautes ramures occultaient la lumière de la lune, plongeant le sous-bois dans les ténèbres.
Aux aguets, elle ne percevait rien d'autre que le son feutré du pas des chevaux sur le tapis d'humus et de feuilles, émaillé des bruits de la nuit, presque familiers. Bientôt les ombres noires des grands chênes se firent moins denses, jusqu'à s'ouvrir sur un paysage plus dégagé. Elle se pencha en arrière, tirant légèrement sur les rênes pour arrêter sa jument. Immédiatement, les montures sereines plongèrent le nez dans l'herbe.

Dans la clarté laiteuse de la nuit, on distinguait la route qui se déroulait vers le nord-est. Elle semblait suivre la lisière du bois pour se perdre dans les collines qui fermaient l'horizon. Orléans devait se trouver là-bas, ainsi, l'homme avait tenu promesse et les avait conduit dans la direction qu'elle lui avait indiquée. Sauf que, c'est à Tours qu'ils allaient. Et la capitale tourangelle se situait bien plus au sud.
Elle chercha un instant ses repères dans la nuit d'été, remerciant le ciel de ne pas s'être paré de nuages. La voûte étoilée avait été bien souvent la seule compagne de ses errances, et elle était peuplée des légendes de son enfance ... Eärendil, Callisto, Arcas ... Autant d'étoiles, de constellations qui n'en étaient qu'une. Et elle indiquait le nord, alors, une fois l'astre repéré, elle devrait prendre à l'exact opposé.

Elle avait hésité à plusieurs reprises, poussant Siena à travers de vastes prairies, jusqu'à longer le lit d'une rivière, avant de retrouver une route. Parfois, elle intimait l'ordre de s'arrêter, le temps d'échiner ses yeux sur la carte, à la recherche d'un hameau, ou d'un lieu-dit qu'ils avaient contourné. Son cœur s'emballait à chacune de ces haltes, à l'idée de voir débouler une troupe en armes, lancée à leur poursuite. Pourtant, ils ne pouvaient cheminer vite, l'état de Roman l'interdisait. Elle en profitait alors pour approcher la gourde de cuir de ses lèvres sèches et lui faire avaler quelques gorgées de la mauvaise eau-de-vie qu'elle avait dérobée à l'auberge.

C'est une aube de sang et d'or qui s'était levée au matin sur les deux cavaliers. Au devant d'eux, par-delà la Loire se dressait un gros bourg dominé par les silhouettes d'une basilique et d'une cathédrale. Fanette hésita un instant avant d'engager Siena sur le pont. Elle ne savait plus rien de ce qu'ils venaient faire à Tours, oubliant presque que, si quelques jours plus tôt ils avaient quitté le Mans, c'était pour venir rejoindre ici Léorique. Ne devaient-ils pas continuer à fuir en évitant les grosses cités ?
Mais, les blessures encaissées par Roman semblaient suffisamment graves pour leur interdire de poursuivre leur chemin. Et puis, elle aussi se sentait à bout de forces. Elle avait usé jusqu'à la dernière once d'énergie et de volonté pour les guider jusque là. Pourtant, ils n'étaient pas encore tirés d'affaire. Le seraient-ils, si elle trouvait une auberge discrète ?

Son regard se posa un instant sur le Corleone, le couvant de tendresse autant que d'inquiétude. Et dans les traits si douloureux qui pourtant s'appliquaient à lui offrir un rassurant sourire, elle puisa la force, refusant d'abandonner là, à moins d'une lieue de la ville. Ses mollets vinrent encadrer les flancs de la baie, la poussant sur le pont qui enjambait la Loire, tandis que sa main crispée sur les rênes tirait un peu pour intimer au grand hongre de l'italien l'ordre de suivre. La jeune fille passa les portes de la ville sans trop de difficultés, à croire que la Touraine était calme et riche pour laisser les poternes ouvertes sans gardes ni octroi. Il serait malvenu de s'en plaindre.

Elle allait au hasard, dans les venelles de la cité qui s'éveillaient. Déjà, les paysans prenaient le chemin de leurs champs, des enfants poussaient devant eux quelques bêtes qu'ils emmenaient paître l'herbe reverdie par les pluies. Les seaux d'ordures et d'eau sale se déversaient allègrement des fenêtres, s'ajoutant à la fange qui baignait les ruelles. Prime venait de sonner au clocher quand Fanette déboucha sur le carroi Saint-Pierre. C'était une vaste place, dominée par les façades à pans de bois, ou en pierre de tuffeau dont les corniches et les linteaux sculptés témoignaient de la richesse de leurs propriétaires. De l'autre côté, un bâtiment bas s'ouvrait par une large porte à deux vantaux passablement usés. Un jeune homme en sortait, déversant sa fourche pleine de paille souillée sur un tas que quelques volailles fouillaient en quête de graminées. Leurs chevaux y seraient sans doute pansés et nourris en échange de quelques écus.

La façade qui surplombait l'écurie, avec ses étages en encorbellement et ses colombages patinés par le temps, ne payait pas de mine. Une pancarte rouillée précisait avec un peu d'emphase qu'il suffisait d'en pousser la porte pour entrer dans un havre de paix pour voyageurs et pèlerins. Ces derniers étaient sans doute nombreux à se presser pour voir le tombeau de Saint-Martin avant de poursuivre leur marche sur Rome. L'entrée avait le mérite de se faire dans une ruelle adjacente, plus discrètement. On remarquerait sans doute moins la silhouette frêle d'une jeune fille, largement dominée par celle de l'homme blessé qu'elle s'efforçait de soutenir au mieux.

Ce n'est que bien plus tard, quand le clocher égrènerait les six coups marquant l'office de sexte, que Fanette consentirait à quitter le refuge de la petite chambre louée avec ce qui lui restait de fortune. Elle rejoindrait alors la salle commune pour quémander un bouillon, si tant est qu'elle ou Roman ne puissent l'avaler.
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Le printemps selon jd Svanja ;-)
Roman.
Qui était donc le propriétaire de la voix masculine qui titillait par moment sa conscience embrumée ? Fanette lui parlait parfois. Elle avait donc trouvé de l'aide... Roman sentait qu'il se trouvait sur son cheval, et il avait conscience de la gravité de ses blessures. Il luttait à la fois contre la douleur et contre la mort qui, il le comprenait, bataillait pour l'emporter. Il avait perdu trop de sang... les bandages que lui avait faits Fanette ne suffisaient pas à arrêter l'hémorragie. Il avait réussi à lui donner le nom d'un remède qu'il avait avec lui, dans un petit flacon, mais la modeste quantité qu'elle avait obtenue en en versant le contenu dans un verre n'avait servi qu'à adoucir un trop court moment les souffrances de Roman. Il était incapable d'en préparer d'autre et se refusait à envoyer Fanette en acheter, n'ayant aucune confiance dans les autres fournisseurs. D'autant que c’eut été prendre le risque qu'elle se fasse prendre et emprisonner pour avoir tenté de lui sauver la vie, lui qui venait d'assassiner un homme...

Le monde tanguait autour de lui. Ou était-ce le pas de sa monture, qu'il ne maîtrisait plus ? Il tenta de relever la tête, mais il était si faible que son regard, voilé par l'attirance de plus en plus forte qu'il ressentait en direction de l'inconscience, ne fut même pas capable de déceler si le jour était levé ou s'il faisait encore nuit. Son menton retomba sur sa poitrine tandis qu'il se vautrait en avant, volontairement mais sans vraiment contrôler sa chute, contre l'encolure du cheval. C'était un bon endroit pour se reposer. Un bon endroit chaud. La monture, bien que docilement habituée à son cavalier, renâcla et eut grand-peine à contrer l'angoisse qui la prenait à l'odeur du sang de Roman, qui tâchait déjà son poil d'ordinaire soigneusement entretenu.

Sans doute l'inconscience le prit-il un long moment, car lorsqu'il tenta de rouvrir ses yeux collés, il remarqua que la luminosité ambiante annonçait l'arrivée du matin. Il n'essaya pas de se redresser, affalé comme il l'était sur l'encolure de son cheval, mais dans un coin de sa tête, le médecin qu'il était se rendit compte que sa position, le ventre recroquevillé, avait probablement permis qu'il ne perde pas tant de sang.

Les chevaux s'avançaient sur un pont, comme le lui indiqua le peu de sens de l'orientation qu'il lui restait à ce moment. L'odeur douceâtre, reconnaissable, d'une large rivière vint rafraîchir l'âcreté du sang séché qui lui montait au nez. Avaient-ils donc déjà passé la Loire ? Fanette conduisait les montures, il la voyait un peu de côté. Elle le sauvait.

Il se laissa de nouveau emporter dans l'inconscience bienheureuse de celui qui souffre bien trop pour rester éveillé. Quand il en ressortit, c'était parce que Fanette tentait de le faire descendre de son cheval. Ils étaient en ville, entourés par les bruits d'une vie citadine. Il fit de son mieux pour décaler une jambe, puis l'autre, afin de se laisser glisser de sa selle, réprimant le râle de douleur - qui sortit quand même - provoqué par le changement de position. Le sol aurait accueilli sa lamentable chute si Fanette n'avait pas, bravement, réussi à le maintenir à peu près debout. Jamais il n'aurait pensé qu'il faudrait faire tant d'efforts pour rester sur ses jambes, puis pour les faire avancer jusqu'à l'auberge où elle l'entraînait...

Aucun souvenir ne lui resta de la suite, mais quand il s'éveilla encore, il était étendu dans un lit, recouvert d'une modeste couverture, et l'odeur de sang qui l'avait écoeuré plus tôt s'était atténuée. Un geste prudent, qui lui coûta pourtant en énergie, lui apprit que sous la couverture, ses bandages étaient propres. Mais Fanette était absente, et il referma ses yeux. L'étreinte de la mort s'était légèrement relâchée.

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Roman.
LIMOGES
Octobre 1465


L'angoisse et le doute cisaillaient l'âme de l'Italien qui s'éloignait à grand pas de la taverne d'Isaure et Dôn, abandonnant derrière lui une Fanette interdite et quelques témoins perplexes. Il avait volontairement oublié sur la table le cadeau que venait de lui faire sa fiancée : un beau pendentif ouvragé, représentant un livre et une dague, qui esquissait à merveille les traits de vie de Roman. Le livre pour la sage érudition des nobles Medici, et la dague pour la traîtrise constante des assassinats perpétrés par le sang Corleone.

Ce cadeau, inattendu, venait de lui faire perdre pied. Soudain, il trouvait que Fanette en faisait trop : elle était trop gentille, trop douce, trop soumise à ses désirs à lui; alors qu'il adorait pourtant la douceur féminine qui ainsi illuminait sa vie...

Ce cadeau, inopportun, venait de le faire se sentir comme un chien bien dressé à qui l'on offre une jolie laisse. Et, bien qu'il aimât Fanette, il était incapable de se laisser enfermer. Il comprenait à présent le sentiment diffus d'inachevé, qui le dérangeait depuis plusieurs semaines : pour aimer Fanette et la rendre heureuse, il avait du mettre de côté une partie de lui-même, et davantage encore, son sentiment de liberté et de toute-puissance.

À ses côtés, il était en train de devenir un fiancé bien trop aimable, bien trop poli et bien trop parfait. Ne désirait-il pas vivre avec elle ? Pourtant, si...

Mais à ses côtés, il était en train de se perdre. La cage était doré, l'oiseau était bien beau, mais son bec limé le démangeait à présent, et ses serres aux griffes trop courtes n'accrochaient plus le sel de la vie.

Où étaient l'excitation, la peur, la dissimulation, le sang, le pouvoir, le danger et le suffoquant plaisir de donner la mort quand bon lui semblait ?

Où étaient la liberté et l'ivresse de l'inconnu ? Où étaient ses griffes, ses poils et ses dents ? Le loup tueur grondait au fond de lui, torturant ses boyaux, écrasant la bonté et la tendresse qu'il s'efforçait de maintenir en première place dans son cœur, et le manque de la mort lui rongeait l'âme.

Dans la nuit tombée depuis des heures, les rues étaient presque vides. Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver la maison où logeait son père, et tandis qu'il frappait à l'huis d'une poigne impatiente, il prit conscience qu'il avait envie de hurler, de courir et de frapper.


- Papa ! Ouvre, c'est Roman !


Qu'il ouvre vite. Qu'il soit là, pour une fois. Qu'il soit là pour recevoir l'épanchement de son fils, la colère, le manque et l'angoisse, l'hésitation et le désir, la peur et l'envie. Qu'il soit un père.

Pour une fois.

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Amalio
Les bougies luisaient encore vivement sur la table du patriarche, éclairant le dos du fauteuil dans lequel il était assis. Il ne dormait pas encore, ayant atteint l'âge où de saines lectures occupent bien mieux les soirs d'automne que les fêtes endiablées. Le livre qu'il tenait entre ses mains était un ouvrage rare, emprunté à l'université pour poursuivre ses études dans les diverses branches de la médecine qu'il avait peu eu l'occasion de pratiquer. Cette lecture attentive fut interrompue à une heure totalement indue par des coups frappés à sa porte, accompagnés de la voix de Roman. Surpris, le vieil homme posa l'ouvrage sur la table, déplia sa carcasse et se leva pour aller ouvrir à son fils.

- Que viens-tu faire ici à cette heure, mon garçon ?

Oui, il devenait plus paternel, avec l'âge. Roman ne lui fit pas grâce d'une réponse dans l'instant, bousculant quasiment son géniteur pour entrer dans la maison...
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