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"Cerberus vigilat" on Kermorial

[RP] LP - Combattre

Else
RP recopié depuis la gargote alençonnaise



Les pentes douces de Longny-au-Perche s’étiraient au soleil du début de l’été. Sous le pas de Bazh, Mérens flegmatique à la robe lustrée, un généreux damier agricole ondoyait comme un grand drap. Çà et là, au bord de la Jambée qu’il remontait depuis une petite heure, l’étincelle des premières forges et les révolutions de moulins solitaires. Au loin, en trame du fort guerrier pelotonné dans son vallon, les pieds plongés dans un coussin de toitures, de ravissantes collines ; et puis une forêt drue, sans doute giboyeuse. Tous attraits que frôlait le regard nébuleux de la cavalière, visage orgueilleusement offert au vent, caressant les lisières, songeant, oh ! pas à lever ces voiles, mais aux promesses qu’ils agitaient doucement. S’en contenter. Pour l’heure.
Évidemment, la paysannerie et l’artisanat étaient à pied d’œuvre depuis l’aube. Certains, de loin en loin, interrompaient le travail de la terre ou du métal pour saluer cette silhouette inconnue – qui leur rendait un signe sobre, avant de poursuivre en direction de son but : la forteresse de Longny.

À l’approche de la ville, les rencontres se multiplièrent plus vite que les politesses. Tourne le monde. Gens pressés ne s’inquiètent d’une passante, même montée ; et celle-ci, de toute évidence, n’appelait de son rang (ni de ses vœux, d’ailleurs) aucune marque de déférence particulière. Elle engagea sa monture à presser le pas vers le dédale des bâtisses, où le brouhaha de la vie le disputait à la clameur des forges. Tant de forges. Le fer de Longny soignait sa réputation. Un vacarme de métal s’élevait comme un hymne au pied des murailles dressées pour la guerre. Cerbère, maîtresse des lieux, les avait sculptés à son image. Évidemment ? La cavalière pensive traversa un pont étroit, assez solidement étayé pour soutenir plusieurs chevaux – par des renforts de fer, encore. Sans doute, il n’était pas donné à tout le monde d’imprimer son image sur un fief. De laisser une trace quelconque, sur quoi que ce fut. Samsa Treiscan possédait ce talent. Sa terre chantait la vigueur et la guerre ; et son fer essemait, et ses chevaux, et bientôt ses chiens, tant soit peu, au service de son idéal. Jusqu’au flanc de Bazh. Quelle étrangeté…

Car dans un fourreau improvisé, noué à la selle, une canne de noisetier flambant neuve, portant pommeau de basalte à l’effigie du quadrupède (dans une version notablement plus énergique), avait remplacé le vieux bâton de la même essence qui accompagnait la cavalière depuis des lustres. En son cœur, un secret de métal : une lame solide, épaisse, mais piquante comme un dard. C’est de cette épée en habit de faiblesse que la faiblarde, pacifique, cabocharde porteuse venait apprendre à se servir. Éliaz en l’apprenant, quelques jours plus tôt, n’en avait pas cru ses oreilles. « Vous. Une canne-épée. » Notions contradictoires à plus d’un titre. Pourtant, il n’avait pas ri comme elle s’y attendait. Les vrais plaisants le savent : la plaisanterie est affaire sérieuse, à manier avec égards. Un simple sourire avait fendu la bouille baignée de chaleur filiale, et d’un balancement vif de sa crinière auburn, il avait approuvé. « Ça vous va bien, au fond. » Elle en aurait pleuré.

Parvenue au bord du fossé profond comme deux hommes, peut-être davantage, la femme leva les yeux vers le faîte crénelé du mur d’enceinte. Le drapeau noir et or flottait au vent. Parfum de gloire et de puissance – certes pas les effluves fleuris d’une noblesse de salon, ni ceux évanescents de l’aristocratie en vacances… mais impérieux, entêtants, presque… intimidants ? Une seconde, la cavalière regimba. Toute l’extravagance de sa situation lui sautait à la gorge. Elle la connaissait, du reste : n’était faite ni pour la guerre, ni pour la noblesse, mais seulement pour tolérer l’une et l’autre comme des maux peut-être nécessaires, plutôt inévitables, à cause de la folie des hommes. Que fais-tu là, folle toi-même ? convaincue que tu es que ces châteaux de sable finiront par tomber, un jour, bientôt – lorsque le flot des invisibles saisira en droit ce que ses faux maîtres lui cèdent déjà en fait – et que cette révolution même ne servira de rien. Que fais-tu là, toi que le pouvoir dégoûte ? qui n’as plus que détestation pour la couronne – et pour le reste ? toi qui remettras tout en cause, tout, peut-être… pour rien…
Il n’était plus temps d’interroger l’injustice ou la justesse de ses considérations révoltées ; un garde au poitrail fier (bombait-il le torse H24 ? ou réservait-il sa superbe aux visiteurs ?) la héla.

L’allure de cette créature-ci ne lui rappelait rien. Elle ne payait pas de mine. Vêtue d’étoffes simples, teintes au brou de noix – proprement reprisées, mais reprisées tout de même. Voyageuse, peut-être. Économe, certainement. Rien de la coquetterie que l’on prête aux femmes (mais un serviteur de Longny savait mieux que de s’en étonner) ; en revanche, menton haut. Visage net, presque dur. Regard droit. Blonde, mais d’une blondeur corrodée par le temps – et en plissant les yeux, comme il avait bonne vue, l’homme nota un liseré neigeux à la naissance de sa chevelure. Pas si vieille, pourtant. Peu de rides autour des lèvres – de celles qui trahissent une personnalité riante ; davantage sous les yeux, oh ! toutes légères, sillons rien creusés dans la peau bleuâtre. Et toujours ces yeux qui le scrutaient, ces yeux comme un ciel d’orage, couvant l’irritation d’être dévisagée tandis qu’elle le saluait et déclinait son nom. Kermorial, vous dites ?


- Oh. La baronne vous attend.

Sur la terre de la basse-cour, les fers de Bazh battirent une apaisante mesure – et le rassemblement des pensées de sa cavalière. Au-delà de l’étiquette qu’elle ne respectait plus (l’avait-elle jamais fait autrement que par concession ?), la « baronne », c’était Samsa Treiscan. Si telle société avait un sens quelconque, sûrement ce spécimen en méritait les honneurs. Voilà, au moins, qui se comprenait. Voilà un terrain d’entente.

Passée la seconde herse, Kermorial mit pied à terre, tira sa canne lacée de cuir et accorda des caresses reconnaissantes à sa monture. Elle se laissait rarement voler le privilège d’en prendre soin ; et encore, exclusivement par Éliaz. Ou par Ifig, naguère… Elle chassa cette pensée en confiant les rênes (et une recommandation) à un page. Sûrement, la maîtresse des lieux ne tolérerait pas que l’on maltraitât une bête ; elle les aimait trop. Témoin les écuries, qui faisaient fière mine. Bazh, du reste, en prenait placidement le chemin, parfaitement oublieux du level up question standing. Alors, la visiteuse prit seule le chemin du donjon, avisant ça et là les pierres mi-enterrées qui minaient sa route. Au fond, songea-t-elle, si perdue puisse-t-elle être dans les bras trapus de cette forteresse, elle ne risquait pas de déparer ; Treiscan n’entretenait pas le goût des joliesses. Un mantra comme un autre. Elle grimpa l’escalier avec lenteur, encore engourdie par sa chevauchée, et poussa la porte de la grand-salle.
Samsa
    "Me laisse pas devenir un fusil sans cartouches,
    Un cheval sans cavalier, un cavalier à pied.
    Me laisse pas devenir un sprinter sans ligne d'arrivée,
    Un train sans passagers, une dispute qui a mal tourné,
    Une dispute qui a mal tourné...
    Me laisse pas devenir un pestiféré,
    Me laisse pas devenir un chanteur de mariage,
    Un pilier de bar, une barrière de péage."
    (Fauve - 2XGM)





Les colonnes de chiffres défilaient devant les petits yeux sombres de Cerbère, affutés et guettant, non pas les économies, mais où l'argent pouvait être dépensé. La Baronne n'était pas connue pour être riche : chaque écu gagné partait immédiatement en un investissement. Défense, confort du peuple, commerce, approvisionnement, augmentation de solde... Ce que Samsa gardait pour elle était dérisoire, pendants d'une naissance et d'une vie roturière qui considère que, tant qu'il y a un toit, de la chaleur et de la nourriture en quantité suffisante pour ne pas avoir faim, tout va bien et le reste n'est qu'accessoire. Chance secondaire, elle n'était pas femme coquette ; exit les dépenses faramineuses en robes, chaussures, coiffes et bijoux. Samsa s'accouda. Où allait-elle envoyer les cinq mille écus restant ? Elle pouvait investir dans un nouveau four banal ou commencer à doter le château d'arbalète à tours -aussi appelées balistes- "au cas où". Ou peut-être que...

Toc toc.

On frappe à la porte. Ce devait être important. Les gens de Longny-au-Perche éprouvaient une sorte de crainte envers leur baronne, stricte et capable de colère destructrices. Seuls les serfs, qu'elle allait souvent voir elle-même pour collecter les impôts, semblaient un peu plus à l'aise ; ils savaient que la maîtresse des lieux était juste et souvent conciliante s'ils avaient des difficultés à payer.


-Entrez pardi.

Une servante d'une quarantaine d'années poussa la porte et, mains jointes devant elle, tête coiffée un peu basse, annonça l'objet de sa venue.

-Dame Kermorial est arrivée, elle vous attend dans la salle du banquet.
-Où est son cheval ?
-Aux hautes-écuries, Baronne.
-Bien. Assurez-vous de servir à Dame Kermorial de quoi boire et manger si elle le désire. Merci Sigismonde. J'arrive té.


La servante referma la lourde porte en bois massif et renforcée de fer derrière elle en repartant. Samsa ne plaisantait pas avec la sécurité, surtout pas avec celle de ses quartiers. Elle reporta ses yeux sur ses comptes, tordit la bouche de gauche à droite pour se décider avant d'y aller mais renonça finalement. Se décider n'était pas urgent. Elle referma donc le gros livre de comptes pour le ranger en coffre verrouillé et se leva pour descendre dans la salle du banquet. L'Ouragan n'y était pas encore passé, les larmes n'y avaient pas encore coulé, les murs n'avaient pas encore tremblé sous les hurlements de douleur de Cerbère et la main droite de celle-ci ne s'était pas encore écrasée contre la pierre, brisant près d'un quart des os la constituant. Les tapisseries, aussi, étaient encore accrochées aux murs, relatant les victoires de la Combattante et de la Couronne. Même les tréteaux étaient encore entiers. La Baronne pénétra dans la salle, tabard en damier noir et bleu bordé de jaune, sur le dos. Une fleur de lys d'or ornait sa poitrine gauche avec l'insigne du Secrétariat Royal, et une plus grande se trouvait dans son dos. Épée indissociable à sa hanche gauche va de concert avec la cotte de mailles qu'on devine sous les vêtements et les gantelets de combat à ses mains. Les braies sont blanches, toujours.

Un sourire éclaira son visage à la vue de Kermorial qu'elle accueillit en ouvrant les bras pour aller l'étreindre brièvement, tapotant plus le dos que serrant. Elle savait son aînée peu à l'aise avec les démonstrations d'affection. Les démonstrations tout court. Elle peinait à cerner Elisabeth. Bien sûr, elle savait qu'elle avait souffert, beaucoup, souvent, sans doute. Elle reconnaissait les affres de la destruction sur les visages. Kermorial présentait, pour Samsa, un mélange étrange entre la souffrance, le silence, la force et la faiblesse, la dignité, aussi. Elle commençait à en cerner les dosages, pensait-elle, mais certainement pas les ingrédients. Cerbère ne les avait jamais demandés et elle ne le ferait jamais : elle éprouvait trop de respect et d'admiration pour Elisabeth pour se le permettre. Elle sentait, aussi, que le silence de Kermorial était quelque chose à ne pas briser soi-même. Alors Cerbère faisait ce qu'elle savait faire de mieux, avant même écouter les autres : leur rendre la vie un peu plus agréable, peut-être.


-Elisabeth, ça me fait plaisir de vous voir pardi ! Comment allez-vous ? La route fut agréable ?
Rien à signaler avec votre canne-épée ?


Cet objet, idée survenue d'une discussion entre elles. Samsa ne savait même pas pourquoi Elisabeth boitait mais elle n'avait pas accepté de voir et d'entendre la blonde renoncer à combattre -à vivre comme elle l'entendait- à cause de ça. Le monde n'était pas juste, les destins brisaient trop souvent les gens, et Samsa avait fait sens de son existence en les contredisant. Elle voulait que chacun trace son propre chemin, à sa manière, avec sa volonté, prouver que c'était possible. Elle ne voulait pas qu'Elisabeth se laisse abattre par la fatalité des choses, et, si c'était déjà trop tard, alors Samsa voulait l'en sortir, à sa façon, même d'un orteil.

-Venez pardi. Si tout va bien, allons faire de vous femme plus remarquable encore que vous ne l'êtes déjà pardi.

Samsa lui sourit et, prévenante, lui offrit son bras pour redescendre au bas du donjon, gagner le terrain sablonneux d'entrainement. Les deux gardes qui s'y trouvaient cessèrent leurs passes d'arme en voyant leur baronne arriver et leur intimer d'un geste cordial à laisser la place. Les deux femmes passèrent la barrière le bordant et s'arrêtèrent au milieu.

-Étape numéro une : prise en main et dégaine pardi. Si vous avez mal votre épée en main dès le départ, la suite n'en sera que plus difficile té.
Allez-y. Je ne vous ferai pas l'affront de vous montrer comment dégainer et tenir une arme pardi.


La Baronne étire un nouveau sourire, croyant se remémorer que la bretonne en avait tenu, des épées, par le passé. Elle n'avait jamais voulu assister Elisabeth, lui laisser croire qu'elle était diminuée, d'une façon ou d'une autre ; le bras qu'elle lui offre pour marcher ? Pure galanterie. Aux yeux de Cerbère, Kermorial était une force de la nature, une majesté qui, même boiteuse, imposait sa splendeur au point que nul ne pouvait la remettre en question.
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Else
Lointain, pourtant, le souvenir d’Alain le Nantais. De cet entraînement à fleur de roche, tout en haut des falaises qui surplombent la baie du Morbihan, avec les vents marins pour seuls adversaires – et pour seuls compagnons, des soldats blanchis sous le harnais. Quel âge avait-elle alors ? C’était il y a des lustres. Un voyage s’achevait à peine, le plus long de son existence, peut-être le plus beau ; le plus prometteur, à tout le moins. Elle naissait alors à une toute autre vie, telle qu’elle n’aurait jamais rêvé en avoir. Et aujourd’hui… Kermorial repoussa résolument d’inutiles remembrances, propres à lui couper bras et jambes à l’heure où elle espérait justement les solliciter plus que de coutume. Le désespoir appartenait aux heures sans témoins. Sous l’œil expert mais bienveillant de Samsa – et peut-être celui des deux gardes interrompus dans leur passe d’arme (elle ne se retourna pas pour vérifier ; elle-même n’aurait pas manqué l’occasion de contempler Cerbère en action, et sans doute constituait-elle un bien curieux adversaire, mais qui peut présager de ce qui trotte dans la tête des autres ?), elle esquissa une moue dubitative… puis un pas en arrière, et porta dextre sous le pommeau noir.

    Depuis quelques jours que l’arme était en sa possession, Kermorial ne s’était pas contentée d’en contempler les détails. D’abord, il ne s’était agi que de la sortir de son fourreau de noisetier lacé de cuir pour mirer son reflet diffracté dans le fer poli – avant de l’éclipser à nouveau. Puis, étaient venus les travaux pratiques. S’appuyer à dextre ne faisait aucun sens, avait soufflé le judicieux Éliaz, la trouvant un matin dans la cour vide, affairée à des manœuvres incongrues.

    - J’vous l’dis d’puis des lustres, avait-il souri, abandonnant le bois qu’il venait de couper pour lutter contre les frimas persistants. C’est chance qu’vot’ mauvaise jambe soit à gauche, et vot’ bonne main à droite. Au moins, v’z’allez finir par m’écouter.

    Élémentaire, mon cher. Contre ces douces gronderies, Kermorial n’avait maugréé que pour la forme ; d’autant que, pour n’avoir pas appris le maniement des armes, le gamin savait jouer du bâton. C’est lui-même qui avait arrangé ses doigts sur la canne évidée :

    - Là. Dieu qu’c’est bien fait… Compliments à l’artiste – ces lanières de cuir-là vous éviteront d’vous blesser, et v’pourrez toujours vous appuyer. Là. Baissez-vous un peu, quand même, où vous vous trouv’rez bancroche. Bien. Un peu plus bas, dextre, ou vous port’rez jamais vot’ lame plus d’une minute. Là… En angle… Tournez un peu l’poignet, voir ?

    Il n’y connaissait rien, que ce que son expérience de garçon énergique lui avait enseigné. Savoir intuitif, parcellaire, pétri d’approximations, sur lequel il posait des mots pour la toute première fois ; l’un des rares, aussi, qui ne lui vienne pas directement d’elle. Alors, à manier ainsi sa protectrice, ajustant par la parole les articulations d’une fragile poupée de bois, il se sentait investi d’une puissance de démiurge, couplée à une mission filiale, quasi sacrée ; et sa fierté toute pure allégeait à Kermorial le sentiment doux-amer que le flambeau avait passé.

- Comme vous y allez. Ces entraînements remontent à loin (Elle avait le vague souvenir de les avoir évoqués) – et j’ai vite abandonné. Aujourd’hui… Mon seul maître d’armes est un garçon de dix-sept ans à qui je n’ai jamais su en trouver.

Joignant le geste à la parole – et dans l’espoir sans doute d’abréger ses atermoiements – elle tira sa lame au clair. La garde qu’elle présenta au nez de Cerbère correspondait en tout point à ce qu’elle avouait : le fruit maladroitement copié des expérimentations d’un jeune homme autodidacte – la souplesse insolente en moins. Là où Éliaz, à l’aube de sa pleine capacité physique, jouait sans vergogne avec ses équilibres, tout porté par la conscience spontanée de sa place dans l’espace, Élisabeth composait avec l’advertance instillée en elle depuis le berceau, exaspérée par l’âge, étançonnée par des limites physiques plutôt contraignantes.
Rirait-elle ? Riraient-ils ? Carapaçonnée dans son orgueil, Kermorial refusa de se poser la question.


- C’est lui que je devrais vous confier, du reste. Il serait meilleur élève, à tous points de vue.

Plus malléable. Aventureux. Encore que… Pourquoi avait-elle envisagé d’apprendre ? La question lui trottait dans la tête depuis cette conversation étrange, au coin d’un verre ; et si Kermorial s’interrogeait encore, Treiscan, fidèle à sa nature, avait littéralement battu le fer tant qu’il était chaud. Peut-être avait-elle raison. Peut-être le sens de cette envie brusque – ou pas tant que ça ? enfouie ? importait-il peu, ou moins que de la réaliser, au moins : tenter de, advienne que pourrait.

Sentant que son bras fléchirait vite, elle abaissa le coude, tâtonnant dans le vide à la recherche d’un genre de point d’équilibre. Elle eût pu broder. Il était si facile, tantôt, de protester que les terres de Longny étaient belles, ce qui était vrai ; que chevaucher ne lui causait jamais de désagrément, ce qui n’était pas faux ; qu’il n’y avait rien à signaler, non, que son œil de novice put voir – sinon qu’elle s’habituait au poids de son nouvel appui, et que sa main s’était faite au dos cambré du cheval de basalte. Facile encore, d’éluder le compliment appuyé, oh ! par trop peu mérité. Les mots étaient son terrain de bataille. Broder ou se taire, pour ne pas ressentir, pour faire paravent à la faiblesse… et ne tromper personne, certainement pas soi. Ou bien…
L’élève rétive se râcla légèrement la gorge.


- Me feriez-vous l’affront, s’il vous plait ?
Samsa
    "Alors écris-toi une note,
    Une note pour toi-même
    Et ne sois pas cruelle
    Parce que les choses arrivent,
    Et tu sais que ce n'est pas ta faute.
    Ne couvre pas tes blessures avec du sel."*





Samsa sourit aux réflexions de Kermorial sur ses aptitudes au combat et sur son maître d'armes qui serait sans doute meilleur qu'elle. N'était-ce pas le signe évident de quelqu'un qui se défile ? D'un compliment notamment. Cerbère l'interprétait comme une forme de modestie, émanant elle-même d'un aveu, tout léger soit-il, qu'elle était à la hauteur mais ne voulait pas l'admettre. Peut-être au risque de se décevoir elle-même. Pourtant, tout avait été pensé pour qu'Elisabeth excelle.

-Meilleur élève parce qu'il serait plus souple, plus fort, plus endurant pardi ? Je préfère les élèves qui le sont moins parce qu'alors ils développent des capacités déroutantes. Ceux-là sont ceux qui gagnent le plus souvent.

Cerbère observait comment elle dégainait et comment elle tenait l'arme. Pas très bien, forcément. L'arme était particulière, tant par sa construction que par sa signification. Chaque arme, pensait Samsa, devait s'apprivoiser : poids, équilibre, fonction, longueur et épaisseur, tranchant aussi... Aucune arme n'était rigoureusement identique à une autre. Il fallait du temps pour que le bras se fonde à l'arme, pour en connaître toutes les capacités, les limites, les qualités et les défauts, aussi. Chacun avait son type d'arme, aussi, selon son physique et sa façon de se battre, d'aborder la vie, même ; qui avait dit que la guerre était simplement brute ? Elisabeth apprendrait son arme. Avec un petit coup de main. La Baronne inclina de la tête et s'approcha.

-Vous n'aurez jamais un jeu de jambe formidable pardi. Je vous rassure, le mien est pitoyable aussi. Alors j'ai conçu la lame pour vous servir principalement de défense, parade pardi. La lame est un peu plus épaisse pour cette raison et par conséquent moins tranchante -mais vous pouvez quand même décapiter quelques membres avec assez de force pardi.
Vous devrez donc compter sur deux choses : la première, c'est vos contre-attaque. La seconde, c'est l'estoc de votre arme, la pointe té. Comme votre arme est courte, vous avez un avantage de maniabilité pard
i.

Samsa avait fait la fusée -poignée- aussi courte que possible pour que la différence avec le fourreau-canne soit la plus petite possible. Rien ne sert d'avoir une canne si elle arrive au genou. Elle aida Elisabeth a positionner ses doigts sur l'arme et plaça sa garde.

-Dans cette position, vous êtes prête à parer et à attaquer pardi. C'est la position de base, avec votre coude un peu ouvert.
Maintenant regardez... si vous relâchez un peu vos doigts, là... vous pouvez guider votre pointe avec précision sans bouger le poignet té.


Elle vint se placer à côté d'elle et dégaina sa propre épée, bâtarde de son état, un peu plus lourde que la moyenne. Cerbère avait la force pour la manier d'un bras et appréciait plus les coups lourds que rapides. Pourtant, elle la maniait rarement à deux mains, utilisant son côté gauche en défense avec le bouclier qu'elle portait sanglé à son épaule au combat. Sa main gauche pouvait alors surgir et prendre l'adversaire par surprise. Elle essaya de mettre en application ce qu'elle venait de montrer à Elisabeth mais, outre y parvenir avec une réelle difficulté, la pointe de l'épée, plus longue, se trouvait moins précise.

-Voyez ? Mon épée n'est pas pensée pour faire des contre-attaque d'estoc, elle est peu précise pardi. Son poids n'est pas pensé pour non plus : si j'attaquais d'estoc, je perdrais encore en précision et je ne transpercerais rien té.

Samsa se replaça devant Kermorial, assez proche, et leva le bras comme si elle allait la frapper d'un coup de taille, coup partant du coin supérieur droit.

-La plupart de vos adversaires attaqueront assez près parce qu'ils frappent de taille, comme ça, et non d'estoc. Vous serez donc à portée pour tendre le bras et piquer où vous voulez, jusque dans les jointures d'armure pardi. La plupart des attaques de taille nécessitent de se découvrir, comme là : j'ai tout le corps exposé pardi.

Elle invita Kermorial a expérimenter elle-même, d'un sourire et d'un regard. Elle changea ensuite de position, se mettant en garde classique, l'invitant de nouveau à exercer sa précision. Avec de l'entrainement et de la vivacité, Kermorial pourrait se jouer de toutes les positions adverses.

-Vos doigts seront vos alliés, toujours pardi. Vous apprendrez à doser leur pression pour diriger la pointe comme si c'était votre main té.
Exerçons-nous un peu, voulez-vous pardi ? Nous verrons pour parer après.


La question est assez rhétorique, elle ne doutait pas qu'Elisabeth y prendrait plaisir. Cerbère, alors, s'employa a être son mannequin d'entrainement, postant son épée de différentes façons pour lui montrer comment les passer. L'apprentissage était là rudimentaire, il n'était pas encore question de feintes ou de contre-attaque mais d'exercer au jeu de la garde en ses doigts. Premiers pas, aussi, pour donner confiance à Elisabeth en ses capacités, en ce qu'elle était. Cerbère, elle se le promettait, rendrait au cœur de Kermorial le sourire qu'elle ne parvenait pas à percevoir. La rendre fière d'elle-même, c'était son nouvel objectif.


* = Jake Bugg - Note to self

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Else
Fière tout court, ça ira ? Un café ? L’addition ? L’orgueil parfois tient lieu d’instinct de conservation (il faut imaginer Bélial heureux). Kermorial (ça rime) se concentra donc sur la leçon de Cerbère. Désespérément gourde aux premières tentatives, elle s’efforça néanmoins de corriger sa posture, sa prise, encore et encore et encore ; et à défaut de gagner en aisance (ta gueule, c’est pas magique), elle occulta le superflu. Tout son esprit tendu s’arrima à son corps : ses doigts, son poignet, son bras, l’arme dans le prolongement, de la garde à la pointe. Le reste de sa carcasse – canne comprise, bien sûr, incorporée au sens propre. Treiscan aussi, miroir temporaire, déformant, mais en mieux ; mannequin vivant, aux gestes aimablement ralentis. Autour de ce noyau dur, dans le secret d’un inconscient bien gardé, un service de sécurité anti-pensées parasites déroulait son long ruban blanc avec une rapidité étonnante. ¡No pasarán!

Kermorial ne dégoisa pas un mot. Elle n’avait pas même voisé sa réponse. Un simple signe de tête, ferme et résolu, en avait tenu lieu : bien sûr, elle voulait s’exercer ! Pas venue pour tricoter (pardi) ! En se taisant, c’est à son professeur d’un jour qu’elle confiait la parole, toute parole ; mot n’émanant pas de Treiscan ne pouvait être qu’un leurre, une distraction – à refouler soigneusement, donc, au bord de la conscience. Pas sur la liste ? Tu rentres pas. Créneau privé.
Se taire, écouter, c'était la part facile. Agir, en revanche… Pourtant, geste après geste, l’élève se pliait aux indications, pointant la lame en direction des articulations diverses, avant de la ramener en garde. Cerbère guidait. À droite, à gauche. Ici, ou là. Lui indiquait, pour chaque posture, comment percer. Bien sûr, derrière le jeu simple des premières passes d’arme, où l’équation consiste juste à choisir l’ouverture la plus avantageuse, le spectre de la fragilité des corps dansait. Faiblesse des armures, faiblesse des hommes – toujours aux jointures, là où la peau est frêle, là où les os se détachent, là où se protéger reviendrait à se contraindre. Ça tombait sous le sens ; mais ce n’était pas l’objet. Ne pas y songer. Pas encore. T’as des baskets ? Tu rentres pas. (Jamais la pointe n’approcha du tabar aux vives couleurs à moins d’une paume – et alors, seulement par inadvertance.)
Tant à penser… Il paraissait si loin, le jour où ses doigts manieraient la pointe sans y songer. D’ici là, les phalanges malhabiles échappaient régulièrement la fusée – rattrapée dans un sursaut qui lui cassait le poignet. Puis, c’était le coude qui criait grâce, accoutumé à une excroissance deux tiers moins longue et moins pesante ; en ajuster l’angle, tout doucement, jusqu’à trouver le plus tenable. Ramener sa main dans son axe naturel. Lentement, opiniâtrement, Kermorial cherchait.

Entre deux passes interminables…

- Mince, souffla un des gardes à son voisin de spectacle, ça va finir par lui brûler l’bras, si elle accélère pas l’mouvement.
- Ça brûle déjà, affirma le plus vieux, relevant le menton vers la scène. R’garde comme elle est crispée. Mais qu’est-ce que tu veux. Faut ben apprendre. T’étais pire, à tes débuts.
- Humpf. (Long silence vexé, le temps pour Élisabeth de reculer machinalement d’un demi pas devant l’épée de Cerbère, inclinée comme pour attaquer ses jambes, calant la canne-fourreau pile dans l’axe… avant de s’aviser que c’était une mauvaise idée. Mais on n’en était pas à parler parade, pas vrai ?) En tout cas, celle-ci s'ra jamais prête pour la guerre.
- (Haussement d’épaules) Si y’en a une. Et quand bien même ? Pour la prochaine. Ou celle d’après. Les guerres, c’est pas c’qui manque.
- Pas faux. (Un temps.) T’crois que c’est vraiment pour ça qu’elle se prépare ?
- Pour les terrains de bataille ? Pas fou, non ?
- Quoi d’autre ?
- Les chemins. La vie. Les mauvaises rencontres. Toujours utile, une petite arme calée dans un coin.
- Ou dans l’coin d’quelqu’un d’autre.
- ... Mouais. En tout cas, on n’est jamais trop prudent. Surtout quand on est canné.
- Boh, quand on est cané, on s’en fout…
- T’es con, Bertram.
(Ricanement du plus jeune, puis silence. Kermorial repassa, pour la troisième fois, plus rapidement et presque sans se tromper, une série de positions.)
- T’as pourtant raison. Ça m’rappelle un peu quand j’étais gamin. Sauf que moi, j’allais trop vite. Mon maître m’disait toujours…
- Elle a un truc, à l’épaule.
- … Non. Il disait pas ça.
- Attends… Là ! Ça fait deux trois fois qu’elle mouline, comme ça. (Le plus vieux porta une paluche gantée de cuir à sa clavicule droite et fit rouler l’articulation.)
- T’abuses. C’est plus léger.
Il avait l’œil, le vétéran. L’effort inhabituel réveillait une vieille lésion, mauvais souvenir d’une autre guerre contre l’Anjou. Ceci dit, la gêne restait tolérable ; à peine plus embarrassante que certains jours d’humidité, et bien moins que la jambe vissée au sol qui désalignait tout le corps.

Sur le terrain d’entraînement, Treiscan changeait de posture. Kermorial, à nouveau, eut le réflexe de parer. Avec sa lame, cette fois. Mieux, n’est-ce pas ?
Samsa
    "Bats-toi, serre les poings et bats-toi
    Contre ceux qui veulent, t'empêcher d'être heureux
    Bats-toi et tu seras libre, mais quoi qu'il arrive,
    Ne baisses pas les bras
    Oh non non
    Bats-toi, serre les poings et bats-toi
    Contre ceux qui pensent, qu'ils sont plus fort que toi."
    (Mike Brant - Bats-toi)



C'est une élève assidue que Cerbère a face à elle. Assurément, elle n'aurait rien eu à envier avec Eliaz. Elle avait assez de fougue à contenir avec celle de ses filles et, aujourd'hui, se trouverait face à une nouvelle forme de fougue. Du genre intériorisée. Elle refusait de la qualifier d'inexistante chez Elisabeth. Kermorial, coquille vide ? Pas pour Samsa. On ne l'y prendrait pas. Dotée d'une patience olympienne avant l'heure, la Baronne -Vicomtesse- s'emploie à toujours faire montre de pédagogie. Expliquer, pourquoi ce geste marche et pourquoi celui-ci fatigue. Montrer, comment améliorer, déjà. Poser les bases, oui. Les bonnes, encore mieux. Elle ignore tout des blessures de Kermorial, de leurs détails, tâtonne parfois à l'aider mais n'est-ce pas l'intention qui compte ? Non, jamais pour Samsa.
Les différentes poses sont passées en revue : médiane, basse, haute et arrière. Pendante ne sera pas vue, Cerbère la jugeant tout à fait improbable et ridicule. Pourvu que son orgueil ne conduise pas Kermorial devant l'inconnu. Prime, sixte, octave et compagnie ne seront pas étudiées dans l'immédiat non plus, réservées à l'escrime avancée. Il fallait déjà qu'Elisabeth arrive à tenir sa nouvelle arme de façon assurée. Cela viendra, mais pas tout de suite. Elle n'entend pas ses gardes échanger à voix basse, ne les voit pas plus ; une chance pour eux. La maîtresse des lieux auraient été intraitable et probablement le savaient-ils.
Elisabeth comprend vite, retient bien, commence à enchaîner et Samsa en sourit. Elle voit l'aisance qui se développe, même si le chemin à parcourir reste long encore pour exceller, mais les premiers acquis sont toujours les plus visibles. Oserait-elle créer la surprise ? Certains ne le prenaient pas bien. C'était un risque, un quitte ou double, un "ça passe ou ça casse" : ou bien Kermorial parait et prenait superbement confiance, ou bien elle échouait et pouvait perdre ce que Cerbère voulait lui faire gagner. Tente, tentera pas ? Allez. Hop. Et victoire à la Bretonne, qui n'en revient pas. Le réflexe est là. Coup de bol, coup de dé - un n'abolit pas le hasard, comme dira l'autre. Qu'il suffise que le hasard ne soit pas toujours advers.


-Hé, pas mal du tout pardi ! Vous avez de bons réflexes, c'est excellent. Puisque vous avez compris comment diriger votre lame et attaquer, voyons à parer ; la lame est faite pour, après tout.

Cerbère se met en garde et attend qu'il en soit fait de même pour son adversaire du jour.

-Allez-y, attaquez-moi té.

Doute en face. Longtemps. Trop longtemps. Tu croyais quoi, Kermorial ? Que t'allais planter des fleurs ? Des clous, oui ! Ou des pointes. D'épée, si possible. Aller, aller. Non ? Arh. Se défendre, c'est une chose ; attaquer qui elle aime est tant contraire à sa nature qu'elle se fige, et il lui faut tous les efforts du monde pour imiter mollement l'un des gestes esquissés plus tôt par Samsa. L'ardillon de métal avance déjà, bon an mal an, à reculons, vers la gorge découverte, quand l'attaquante de mauvaise grâce se fige. « La plupart des gens attaquent de taille », qu'elle a dit, Cerbère, imbécile.

Veut-elle aller lentement pour être sûre de voir comment Samsa va parer ? Celle-ci ne saurait le dire vraiment. Pourtant, elle se félicite d'avoir bien compris que Kermorial est plus une tour d'ivoire qu'une charge de cavalerie. Défendre ou attaquer, chacun avait sa préférence. On ne se demandait pas de quel camp la Baronne faisait partie. Il faut toutefois reconnaître que l'attaque d'Elisabeth, toute lente soit-elle, est osée : la gorge, que diantre ! "Pô l'temps d'niaiser". Tranquillement, Samsa déporte son épée contre celle d'Elisabeth pour la pousser, l'écarter de son but.


-Ça, c'est la parade classique pardi. Il s'agit de décaler l'arme adverse. C'est celle que vous devrez utiliser si on vous attaque d'estoc.

Lame écartée, Cerbère allonge le bras jusqu'à apposer doucement la pointe de son arme sur le haut du buste de la bretonne.

-Et ceci, est une riposte pardi. Il est convenu qu'après toute parade, on doit tenter une riposte té. C'est une façon de reprendre l'avantage -l'offensive, au moins- sur votre adversaire.
Nous allons faire quelques passes pour que vous compreniez le mouvement puis je vous attaquerai de taille pour vous montrer les parades adéquates, puisque c'est ce que vous risquez de rencontrer en majorité pardi.


Et à Samsa, maintenant revenue en garde, d'allonger une fois encore le bras à vitesse réduite, pointe plus clémente ne visant que des endroits faciles à contrer : buste, épaules, gorge un peu, disons-le. Vengeance ? Le sourire amusé sur les lèvres bordelaises le trahit peut-être. Pas sûr, pourtant, que Kermorial y prête attention, tout son esprit tourné vers les gestes. Plus tard, devant Éliaz hilare, elle s'apercevra qu'« attaquer » n'implique pas nécessairement de viser les parties vitales (genre, le combat, c'est subtil). En tout cas, elle se démène pour dévier les attaques, et caler une piqûre pour faire bonne mesure. Jusqu'ici, tout va bien.
Si bien que Cerbère passe la quatrième.


-Vous vous en sortez fort bien pardi. Voyons les parades des coups de taille et prenons une pause bien méritée, voulez-vous té ?

Pour toute réponse, un hochement résolu de tête.

Pas bavarde, Kermorial. Trop concentrée, sans doute. Ça fait doucement sourire Cerbère qui lève l'épée comme si elle s'apprêtait à frapper Elisabeth. Sus aux bretons !

-Ainsi que je vous le disais, vous avez plusieurs possibilités pour me contrer. Vous pouvez me frapper en première puisque je me découvre. Vous pouvez esquiver en vous servant d'un de vos pieds comme pivot. Ou bien vous pouvez parer té. La dernière solution vous demandera une exécution parfaite car vous n'avez pas l'avantage : les adversaires frappent souvent à deux mains, avec de l'élan -j'en ai, là, voyez- et seront probablement plus forts que vous té.
Normalement, on pare à deux mains en se servant de son épée comme d'une barre ou avec un bouclier mais vous n'avez qu'une main pardi.


De sa main libre, d'ailleurs, Cerbère ne frappant pas à deux mains disions-nous, désigne la base de la lame de sa propre épée et fait glisser son doigt jusqu'un peu avant la moitié de l'épée.

-Ici c'est ce qu'on appelle le fort. C'est, je vous le donne en mille, la partie la plus forte de votre épée té. C'est avec elle que vous devrez parer, presque à la perpendiculaire mais pas trop, sinon le choc sera trop important pour vous et vous ne tiendrez pas la position -personne, d'ailleurs, hein. Plus je tape vers le bout de votre épée, plus je peux la bouger facilement. En inclinant un peu votre épée vers le bas par exemple, vous dévirez mon coup et ça vous permettra de moins encaisser pardi.

Eeeeet action ! À moins que… Minute, papillon !
Option 1 : La meilleure défense, c'est l'attaque. Problème : Kermorial n'est pas câblée pour sauter à la gorge du monde.
Option 2 : Esquiver en dansant d'un pied sur l'autre. Problème : Le jeu de jambe de Kermorial laisse carrément à désirer.
Option 3 : Encaisser.
Vous sentez venir la blague, un peu, ou pas ? Elle, oui. Fort. Très fort. Trop fort pour le rempart dressé dans son esprit, qui lâche sèchement. En une seconde, un flot ininterrompu de pensées parasites s'engouffre dans la brèche. Qu'est-ce que tu fais là, folle ? Qu'est-ce que tu cherches, au juste ? Après quelle abstraction, quel mirage, quelle fumée cours-tu donc ? Dans un sursaut de volonté, Kermorial s'efforce de repousser les deux assauts, le réel et le factice, le fantasmé et celui qui, bien physique, se hâte avec lenteur dans sa direction. Dextre affolée se jette en avant, tâchant d'appliquer les consignes... mais loin, trop loin ; c'est sa lame dressée, qui court au devant du choc, qui l'aggrave même.

Déséquilibre. Comme celui des mômes qui apprennent la marche, châteaux branlants, lancés à corps perdu dans l'éternelle instabilité du mouvement. Tout va bien, tant qu'on a des jambes, et qui marchent.

Kermorial se fend, très involontairement, jambe droite qui s'efforce de rattraper la balance ; mais la gauche, restée seule, flanche. Dieu sait comment, peut-être, ou bien il regardait ailleurs : projetée de côté, l'escrimeuse novice s'affale sur le flanc. Ça s'appelle un échec.

Oups. L'effet papillon a encore frappé et Samsa regarde, presque incrédule, la bretonne perdre l'équilibre et tomber sur le sable de l'arène. C'est là qu'elle perçoit toute la fragilité de sa blonde amie. Bienveillante, pourtant, la Baronne sourit et va tendre la main à Elisabeth.


-Pas de mal pardi ?
Ne vous en faites pas, on tombe tous, que ce soit à l'équitation ou à l'escrime pardi. Même les meill...


Interruption. Sont-ce des rires discrets qu'elle entend ? Visage se tourne immédiatement vers les pourtant indiscrets, les deux gardes précédents, qui s'arrêtent subitement. Erreur est commise, ils l'ont bien compris. Et ils devront le payer.

-...eurs pardi.

Elle attend qu'Elisabeth soit debout et tienne sur ses deux jambes pour sortir de l'aire d'entrainement, épée en main, pointe trainant presque au sol. Le regard noir, elle attrape un garde -pourtant un peu plus grand qu'elle- au col et lui flanque un violent coup du plat de l'épée au côté du genou pour le faire ployer. Force au bras, elle l'oblige à poser les deux, et fait de même avec le second garde. Cerbère, avec ses gens et l'honneur, notamment envers ceux qu'elle estime, n'a aucune pitié.

-La prochaine fois que je vous entends rire d'un de mes invités, je vous suspends aux remparts par des crochets à la gorge pardi. Allez donc nous chercher de l'eau, bande de tire-au-cul.

Ils vont pour se relever mais, d'une main appuyée à leurs épaules sans délicatesse, la Baronne l'interdit.

-A genoux pardi ! Hu !

Le revers est dur quand il vient de Cerbère. La leçon, évidente : "tu humilies, je t'humilie". Supplément "je te rappelle ta place". Et en public, s'il vous plaît. Observant un moment les gardes se dandiner sur les genoux pour exécuter la demande de leur maîtresse, Samsa retourne auprès de Kermorial.

-Nous avons bien mérité une pause, n'est-ce pas pardi ? Surtout vous, moi je ne travaille pas.


Écrit à quatre papattes avec JD Else ♥

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Else
D’abord, Kermorial ne répondit pas. Appesantie sur son arme rengainée, elle n’avait d’yeux que pour la marche de la repentance. Oh, bien sûr, les moqueries des deux compères avaient tranché sans ménagement dans le noyau ténu d’une confiance encore tendre ; mais le crime valait-il la punition ? Le plus jeune s’efforça de hâter la fin de son supplice ; ses rotules eurent tôt fait de l’en dissuader, menaçant de glisser dans une position qui lui couperait les jambes aussi sûrement encore qu’à l’objet de son ricanement. L’autre (par expérience ?) tâchait au moins de faire porter son poids sur ses tibias ; les irrégularités du sol lui compliquaient considérablement la tâche. Elle serra les dents.

- Oui. Oui, c’est certain. Merci, de prendre le temps.

Son ténu, comme contenu par les muscles tendus des mâchoires. Les prunelles gris orage s’arrachèrent un instant au spectacle des gardes à genoux pour considérer leur toute puissante maîtresse. En ces lieux, sien territoire, elle apparaissait sous un jour tout différent, presque ambigu – ou pour mieux dire : profondément étranger à son hôte. Samsa Treiscan, baronne et vicomtesse. Cheffe de guerre. Commandante. Non pas que le phénomène surprit Élisabeth – elle s’attendait à plonger dans un autre monde. Ni la démonstration d’autorité – Cerbère, à bien y réfléchir, se montrait fidèle à elle-même. Protectrice résolue. Impitoyable, mais pas gratuitement. Et pour être sincère, le sentiment d’être ainsi protégée, défendue… vengée ? inspirait à la blonde une profonde gratitude. Au bas mot.

Elle posa des doigts rougis par l’effort sur le bras impérieux.


- … et, merci pour ça.

Qui avait jamais pris son parti de telle manière ? Pas grand monde, depuis longtemps. Les situations, peut-être, s’y prêtaient rarement. Et les fâcheux n’étaient, après tout, aux yeux de Treiscan, que deux pauvres gardes sans importance ; qu’eût-elle fait face à un duc ? à un parent ? Kermorial s’attacha à cette perspective pour freiner l’émotion. N’empêche. La démonstration comptait. Au point qu’elle appréhendait presque d’agir comme elle allait le faire.
Elle raffermit sa prise sur sa canne, et se mit en branle.

Non loin, à l’approche du puits, Bertram eut le réflexe de se relever. Son aîné le retint in extremis par un coin de son tabar et un murmure alarmé :


- Pas fou, non ? Tu veux qu’la baronne te casse le crâne ?
- Mais comment on va puiser l’eau ? La corde… la poulie… (S’il peinait à l’expliquer, les obstacles mécaniques à la manœuvre apparaissaient clairement à ses yeux écarquillés.)
- On se démerde, mon gars. T’as toujours pas compris ?
- Mais…

Avant que le vieux le rabroue encore, un pas hoquetant les dépassait. Gros plan sur le brun tendre d’une canne, parcouru de délicates veinules, puis sur une paire de jambes portant braies et bottes poussiéreuses. Dans quelques heures, Kermorial peinerait à bouger ; pour l’heure, la fatigue seule la ralentissait. Pas assez pour consentir à se faire servir. Certainement pas assez pour consentir à humilier qui que ce fut, pas même qui l’aurait moquée.
Au moment d’abandonner son appui contre la margelle et de décrocher le seau, elle se demandait encore à quel point sa révolte était déplacée, voire : propre à produire des effets contraires à son intention. Contester un ordre de la maîtresse des lieux n’était pas d’un hôte bienséant. Quant à prêter assistance à deux types à genoux… Ils étaient bien capables d’en prendre ombrage (l’orgueil niche souvent où il ne devrait pas ; c’est, comme qui dirait, son habitat naturel). Non qu’elle comptât s’en faire des potes – faut pas charrier ; mais si la manœuvre ne leur représentait que plus durement l’infériorité de leur condition… elle aggraverait le problème. Coup d’œil dans leur direction, tandis qu’ils achevaient leur périple pénitent. Indécision de part et d’autre. D’une part plus que de l’autre. Le spectacle des génuflexions, Kermorial n’avait jamais su le tolérer.


- Je vous en prie, relevez-vous, pria-t-elle avec une douce froideur.
- M’dame ?

… la patronne va pas être jouasse – c’est en tout cas le sous-texte qu’entendit Kermorial dans le vacillement des prunelles du plus jeune. Et bien sûr, ce pouvait être vrai. Peut-être qu’ils ne comprendraient pas. Peut-être qu’elle ne comprendrait pas. Eh bien ! Qu’à cela ne tienne. Le mouvement était engagé. Ni retour en arrière, ni regret. Au grand jeu de carte des relations humaines, le principe prend tout le reste. Le seau commença à plonger vers les profondeurs ; et Élisabeth tendit au premier la corde qui commençait à filer entre ses doigts.

- Voudrez-vous bien le remonter ? Mon poignet fatigue.

Bertram ne se le fit pas dire deux fois. Il échappa à la poigne de son aîné, sauta sur ses pieds, et saisit la corde et l’occasion de se racheter sans s’écrabouiller les articulations. Le vieux Randolphe, lui, considéra plus prudemment ses options. Coup d’œil en arrière pour jauger la réaction de la baronne. Oui ? Non ? Peut-être ? A pas ? Bon, bon. Elle en avait, d’la chance, Blondine, maugréa-t-il en pensée en dépliant ses jambes meurtries par l’épreuve. Un coup d’œil plus attentif lui fit reconsidérer l’appellation. « Blondine », ça va pour les mômes. Or, si l’illustre inconnue agissait comme une adolescente révoltée (pour le plus grand plaisir de Bertram, de toute évidence… il allait avoir un mal de chien à lui expliquer la vie, après ça !), elle devait avoir une petite dizaine d’années de plus que la baronne dans les jambes. Peut-être davantage. Et clairement, suffisamment de ressource pour remonter elle-même un simple seau d’eau. Ce que pensant, Randolphe s’empressa de prêter main forte à son collègue – pour la forme.

De son côté, Kermorial ne semblait pas plus que cela décidée à pousser la conversation. Pour quoi faire ? Tartiner son pardon à la figure des malotrus ? De fait, elle ne leur en voulait pas vraiment ; pas plus qu’elle ne comptait les absoudre. En leur confiant l’opération, c’est tout bonnement l’autorité de Cerbère qu’elle refusait de saper, à sa manière bancale. Pour le reste, elle ne faisait pas plus partie de leur monde que du sien. Ni servie, ni servante. Ni maîtresse, ni esclave. Jamais. Son regard tomba dans le puits, comme pour interroger les ténèbres. Au fond, tout au fond… Que changeaient-ils, ses principes ? S’évertuant à agir selon, qu’obtenait-elle ? De la confusion peut-être ; au mieux, un manifeste ponctuel. Une goutte d’eau dans le puits sans fond d’un ordre social qui ne changerait pas de sitôt. Elle frémit, quand un frémissement dans l’ombre lui révéla, à la surface du seau qui remontait, son propre regard vide d’espoir ; et se redressa.


- Des godets ! appela Bertram.

Kermorial ne laissa à personne l’occasion de les porter. À force de tenir des tavernes – très exactement trois, depuis la Rabine (dont elle repoussa violemment le souvenir) – elle avait tout de même développé le talent de tenir deux pauvres récipients d’une seule main, merci ! C’est donc ainsi chargée qu’elle planta là les deux gardes, d’un vague : «
Bonne journée, messieurs », et regagna le côté de Samsa.

- J’espère que vous ne m’en voudrez-pas, servit-elle en même temps que la boisson, sur un ton définitif. L’eau, et ses paroles, laissaient un goût de métal en bouche. Sols ferrugineux ? Vos gens ne remettraient pas en cause votre autorité pour si peu, je suppose ?

Espérer une réponse par principe, l’autre pour un cas particulier. Contradictions du jour, bonjour.
Samsa
    "C'est l'histoire de cette plume qui s'étouffe dans le goudron,
    D'cette matière grise dont le pays n'a pas fait acquisition,
    On se relève, on repart à fond, on vise le Panthéon,
    J'en place une à ceux qui en ont, qui rêvent consécration.
    La dalle la niak, je l'ai comme mes potes l'ont,
    On veut toucher le ciel étoilé sans baisser le pantalon."
    (Calogéro feat Passi - Face à la mer)


L'esquisse d'un sourire fut portée à Elisabeth alors qu'elle la remerciait, de son temps et de sa prise de défense. Cerbère n'avait aucun plaisir à faire subir ce châtiment à ses gardes, ni celui-là, ni aucun autre d'ailleurs. Dans un autre contexte, dans un autre lieu, tout qui ne soit pas sur son territoire et avec ses gens, c'est avec ses poings qu'elle aurait parlé. Le rang des autres ne l'avait jamais rebutée. Elle se souvenait encore de ce duc en Bourgogne -ou était-ce en Berry ? Touraine, peut-être...- qu'elle avait manqué de décapiter parce qu'il avait mal parlé à une de ses amies. En théorie, il lui avait surtout parlé comme il le voulait, lui étant duc et pas l'autre. Ici, Samsa était la cheffe. Pas besoin de frapper. Rarement, du moins. La mesnie la craignait, la trouvait inflexible et redoutait ses colères, mais le peuple, lui, appréciait la compréhension dont elle faisait preuve, et l'intérêt soutenu de leur bien-être.

La Baronne-vicomtesse laisse aller vers eux Kermorial, intriguée. Va-t-elle leur mettre une tarte ? Ça la surprendrait, mais ça ne l'étonnerait pas -la différence est subtile. Un peu de loin, elle observe le spectacle qu'elle laisse se jouer sous ses yeux. Kermorial était celle qui avait été blessée de la réaction des gardes ; dès lors, Cerbère lui octroyait le droit de vie ou de mort sur eux. Non pas que les deux hommes soient insignifiants, non, la Baronne s'attachait à les connaître le mieux possibles, chacun, mais, de son point de vue, il faut affronter les couroux que l'on provoque. Nul couroux venant d'Elisabeth mais ce qui semble être le pardon, l'indulgence tout du moins. Si c'est sa façon de faire, Cerbère laisse faire : ce n'est pas elle la victime des moqueries ; chacun ne se soigne-t-il pas à sa façon ?
Appuyée à la barrière du terrain, la Baronne sourit à Kermorial revenant. La remercia du godet amené -on voit qui est la meilleure tavernière- et goûte un peu l'eau fraîche avant de répondre.


-Je ne vous en veux nullement pardi. C'est contre vous qu'ils ont ricané, vous aviez dès lors tout pouvoir de les punir -ou pas. Mes gens ne vont pas contre mes ordres, ils... je crois qu'ils ont peur de moi avoua-t-elle en regardant les deux gardes repartir sans demander leur reste. Quelque chose, dans ce fait, la dérangeait profondément. La crainte ne menait jamais loin, contrairement au respect, et si ses serfs la respectaient, elle avait tout le mal du monde à transformer la crainte en respect du côté des gens qui travaillaient au château. Un instant, la Baronne sembla mal à l'aise. Elle qui avait dirigé des armées, des hommes au combat, était cheffe d'un office royale, pourquoi manifesterait-elle du malaise à diriger une terre ? Elle répond à la question que Kermorial n'a pas posé, en tout cas pas à voix haute, en faisant tourner un peu l'eau dans son godet. Cette terre est la mienne et j'ai la responsabilité de tous ces gens mais... je peine à m'y sentir... chez moi, vous voyez ? Issue de la roture, j'ai dû hériter du gène de la bougeotte de ma mère et depuis que... des malheurs successifs ont emporté ceux que j'aimais, dans des lieux que j'aimais, peut-être n'ai-je plus vraiment de chez moi. Juste des... pieds-à-terre, comme ici té. De fait, j'ai parfois la sensation de me sentir illégitime à être au-dessus d'eux alors que... bah, voyez ? Rien ici ne respire le faste, j'aime toujours la bouillie d'avoine et, si on me retirait mes terres, ne serais qu'à peine plus aisée que ces gars-là pardi. Et ça ne me dérangerait pas.

Compensait-elle alors par une droiture froide pour instaurer une distance nécessaire ? Bien sûr. Les colères qu'ils redoutaient tous, ce n'était que de la peur, la peur de perdre ce qu'elle avait mis tant d'énergie et d'ardeur à construire à cause de quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas parfaitement. Cerbère martiale ne l'était pas pour rien. Elle pensait aussi que si elle n'instaurait pas les valeurs qu'elle prônait ici -honneur, courage et loyauté-, alors comment les instaurerait-elle pour le monde ? Depuis son arrivée, déjà, elle voyait la discipline s'implanter. C'était bien, mais pas encore assez : les actes n'étaient pas la nature même.

-Me prodigueriez-vous quelques conseils quant à la gestion de ce... patrimoine humain pardi ? Je sais que vous n'avez pas de terre mais je vous pense toute légitime à m'aiguiller ; vous êtes sage, Kermorial. Et posée. Et apparemment indulgente désigna-t-elle d'un sourire en direction des deux gardes qui avaient repris leur poste aux remparts. Tout ce que je ne suis pas assez, à mon goût té. Même si ces deux-là avaient bien mérité leur châtiment.

C'était un fait acté : souvent sanguine, rigide en ses principes jusqu'à en oublier la nature faillible de l'être humain -qu'elle pardonnait aux autres mais pas à elle-, respirer et ne pas démarrer au quart de tour quand on tournait la clé dans le moteur était une épreuve à laquelle Samsa n'excellait pas. Elle dessina malgré tout un sourire amusé, consciente que chacun a ses défauts et ses faiblesses, et reprit une gorgée d'eau en regardant Elisabeth. Qui avait dit qu'aujourd'hui, seule l'une apprendrait quelque chose à l'autre ?
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