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[RP] Chroniques d'une âme retrouvée

Antanasia
~ Premier Fragment ~


La feuille avait été arrachée d'un carnet. Le papier froissé, comme s'il avait souvent été manipulé. La main qui le tendait tremblait légèrement, et la personne semblait piétiner sur place.
Antanasia était visiblement gênée en tendant l'une des pages de son journal à Khaerdalis.

Elle lui avait parlé de son passé, mais il était le seul à pouvoir le lire également. Ce geste trahissait toute la confiance de la jeune fille envers le tenancier.
Y aurait-il d'autres pages qui suivraient ? Elle ne savait le dire. Les choses ont toujours évolué naturellement entre eux, bien que très rapidement.

- Je t'avais dit que je te laisserais lire un passage, voici le premier, le plus important de mon histoire. Avant cela, rien n'existait vraiment.


Lucian arriva, ailes déployées, et se posa doucement sur l'épaule de sa maîtresse. La tête tournée de côté comme par curiosité, il étudiait l'homme face à lui et sembla le jauger un instant.
Quelque chose chez lui sembla le rassurer, car il reprit son envol, laissant le couple seul.

- C'est étrange. Entre raconter et laisser lire, la sensation est très différente. Tu imagines que c'est un privilège que je te fais.

Elle rit doucement, d'un rire un peu forcé et enroué, trahissant la gêne qu'elle ressentait.

Il lui prit le papier, et elle ferma les yeux quelques minutes. Quand elle les rouvrit, il avait déjà entrepris la lecture.





Cette journée avait tout eu d'une journée banale, éternel refrain d'une existence solitaire, Bien qu'entourée de masses humaines, aucun visage ne laissait de trace dans mon esprit.
Combien la vie aurait-elle pu être différente, si j'avais eu le droit à une enfance normale ?
Je ne me suis jamais plainte. IL a tout fait pour me protéger, et mon rôle était d'en être reconnaissante.
M'insurger ? Comment aurais-je pu ? C’est une insurrection qui a ôté la vie de ma mère, et qui est responsable de ma solitude. Une insurrection qui est la cause de SA tourmente.

Je n'ai jamais eu aucune prise sur le temps, il glisse sur moi perpétuellement. Mon père m'offre des parures de pierres scintillantes pour mes anniversaires.
Et chaque fois, je me rends alors compte du chiffre supplémentaire: un an. Mais je ne l'assimile pas. Un an, dix, cent... Quelle différence, quand chaque jour est identique ?

Une existence morne, inodore et incolore. Apathie et désolation sur un fond de futilité.
Lorsque je regarde par la fenêtre du manoir, je vois le regard des passants sur ma prison. Ils ont un air envieux. C'est pourtant moi qui les envie d'avoir envie.
J'aimerais avoir un but, une force qui me sortirait de cette existence de froideur. Je ne suis qu'une coquille vide, que rien dans cette cage dorée ne saurait combler. IL essaie, je crois, mais on ne peut remplir le néant avec des chimères.
Je jette un œil circulaire à ma chambre; tentures de velours, boiseries ornementées, fresques de qualité, mobilier au prix indécent... Mon regard qui ne s'y est jamais vraiment attardé, comme si mon âme ne pouvait apprécier les richesses physiques.
L'âtre est toujours entretenu, Je vois régulièrement des servantes faire des allers retours, mais jamais elles ne s'attardent, ni ne prononcent un mot. Je ne suis qu'une figurante dans cette maison, et tous se sont habitués à m'y voir errer.

La seule lumière de ma vie; Lucian.
Magnifique corbeau aux plumes d'un noir de jais, un bec argenté, et un regard plus vif et intelligent que celui de mes «gardiens». Je l'ai sauvé d'une mort certaine il y a quelques années, et depuis il ne me quitte plus. Seul témoin silencieux de ma détresse.

Aujourd'hui donc, mon père est rentré plus tôt de son voyage. Il avait, semblait-il, une nouvelle importante à m'annoncer. Je m'étais apprêtée comme à chacun de ses retours, cherchant à donner une image de femme, et voulant lui faire croire que les robes de grande facture qu'il m'offrait me plaisaient.
Par envie de le délester du peu de cette culpabilité qu'il ressentait à mon égard.
Pour finalement l'écouter pendant qu'il déblatérait ces infamies. Les poings serrés mais le regard inexpressif, je le regardais s'affairer sur son bureau, pendant qu'il me racontait les «réjouissances» à venir.
Il parlait davantage pour lui, ne s’attendant pas à ce que sa chère enfant, soumise et bien éduquée, n'ait quoi que ce soit à redire sur l'affaire. Je l'entendais parler de fiancé, de mariage et de descendance prochaine, et j’eus un violent haut-le-cœur.
Tout mon être criait de rage, mais mon expression restait neutre. Quand il eut finit, il repartit, déposant un baiser fugace sur mon front, ne cherchant aucunement à savoir comment je prenais les choses.

Je suis sortie de ma transe, brisant les chaînes de la docilité. Plus rien ne me retient ici, sa trahison me laisse un goût amer, brûlant mon œsophage, et affolant mon cœur au passage.
Pour la première fois, je le sens pleinement battre en moi, propulsant la vie à travers tout mon être. Ma décision est prise. Ce soir, je m'enfuis. Plus rien ne me retient. J'empaquette précieusement mes bijoux. Je pourrai toujours les revendre plus tard, pour subvenir à mes besoins lors du voyage qui se profile.
Je vois que Lucian n'attend que mon signal.
Nous sommes prêts.

_________________
"Audaces fortuna juvat"

Khaerdalis
La nuit achevait de repousser les dernières lueurs du jour, déposant avec paresse son voile obscur sur la ville assoupie. L'astre nocturne entamait sa danse silencieuse dans le ciel ombragé, là où les songes des mortels s'envolent et se perdent en secret.

Les heures s'égrenaient avec lenteur au rythme des pensées et des mots échangés. Ils passèrent un moment en taverne, avant de se décider à effectuer quelques pas dans les rues endormies de la cité. Ils dérivèrent un temps en silence, chacun en proie à ses propres rêveries, jusqu'à s'installer sur un banc éclairé du chiche éclat d'une lanterne.

La soirée était plutôt fraîche, mais certainement pas au point d'en frissonner. Ce fut la première pensée à traverser son esprit lorsque la jeune femme lui tendit une feuille froissée. L'intention semblait spontanée, presque impulsive. Irréfléchie. Comme mue par une volonté soudaine, pour s'épargner les affres d'une réflexion trop intense, trop douloureuse. Elle tremblait. De toute évidence, ce geste en apparence anodin ne l'était pas pour elle, et son regard trahissait une angoisse manifeste.


- Je t'avais dit que je te laisserais lire un passage, voici le premier, le plus important de mon histoire. Avant cela, rien n'existait vraiment.

Ses yeux s'attardèrent quelques instants sur les traits de la jeune femme, comme cherchant à en décrypter les pensées les plus intimes, et il lui répondit d'un bref hochement de tête. Le volatile au plumage de jais vint leur rendre une brève visite de courtoisie, avant de s'éloigner à tire-d'aile vers une destination connue de lui seul.

- C'est étrange. Entre raconter et laisser lire, la sensation est très différente. Tu imagines que c'est un privilège que je te fais.

Sa phrase fut ponctuée d'un rire nerveux, que Khaerdalis avait déjà entendu en d'autres occasions. Elle se contentait généralement de gloussements discrets, qu'elle essayait de dissimuler de sa main ou en détournant le regard. Mais cette fois, c'était différent. Sans doute plus prononcé qu'à l'accoutumée, comme si la gêne s'accompagnait d'un sentiment de honte, sinon de culpabilité inavouée.

- J'en ai conscience, Ana. Et je réalise bien que lire tes écrits, ce sera un peu comme ouvrir une porte pour entrer dans ton monde.

Il lui adressa un sourire qui se voulut rassurant, et prit sa main dans la sienne avant de s'emparer du vélin tendu pour en commencer la lecture.


Dans un lointain indéfini..

Ses pas le conduisent vers un manoir situé au détour d'une grande avenue. La demeure est large, imposante. Elle affiche un faste ostentatoire, et semble vouloir défier quiconque de ne pas remarquer son existence. Une foule d'inconnus remonte la rue comme autant de formes anonymes se pressant pour échapper à quelque sort peu enviable. Certains regards se tournent vers la bâtisse, tantôt empreints de jalousie ou d'amertume, tantôt chargés de rancœur ou de mépris.

Le jeune homme ouvre le portail sans un bruit, et s'avance au cœur du domaine. Royaume de silence dont aucun son ne s'échappe, sinon le crissement léger de ses pas et le croassement lointain d'un corbeau. Toile muette, dont le paysage figé se contente d'exister sans jamais éveiller les sens. Terre inanimée, où nulle altération ne semble souhaitée ni autorisée. Il lève alors les yeux, et entrevoit une silhouette à travers le carreau d'une fenêtre isolée.

Elle se tient là, ombre fragile et taciturne. Perdue dans la contemplation d'un monde si proche et si lointain à la fois. Princesse assoupie sur son trône de glace, prisonnière d'un monde de solitude vide de promesses. L'esprit vagabond et l'âme songeuse, rêvant d'un ailleurs salvateur. Ses yeux expriment une détresse que des mots seuls ne sauraient expliquer, et chaque instant est une lente agonie vers un abîme d'espérances brisées.

Les portes s'ouvrent d'elles-mêmes, et il pénètre dans le manoir dans un silence persistant. Entêtant, presque assourdissant. Il la retrouve à errer dans les longs couloirs, âme tourmentée livrée à elle-même, cherchant à donner un sens à son existence. Des silhouettes s'agitent tout autour, indifférentes. Solitude dans la multitude, spectatrice d'un rôle qu'elle n'a pas choisi de jouer, et d'une vie dont le cours semble depuis toujours lui échapper.

Mais une colère sourde se fait entendre. Elle gronde dans ce monde aseptisé où tout n'est que paraître et faux-semblants. Un vent de révolte s'insinue dans les corridors hantés, théâtre de pleurs trop longtemps réprimés. Alors, de rage, elle se libère des chaînes qui l'entravent depuis son enfance. Le somptueux château des illusions s'effondre avec fracas, révélant un donjon sinistre aux murs gris, et aux émotions absentes.

Il l'observe tandis qu'elle rassemble ses affaires à la hâte. Pressée de quitter cet univers dont elle n'attend rien, enfin décidée à prendre sa vie en main. Sans même un regard en arrière, elle quitte la forteresse des mensonges pour rejoindre ce monde réel dont elle ignore tout. L'heure est venue pour elle d'écrire sa propre histoire, sans laisser quiconque s'emparer de sa plume. Elle tire un trait sur son passé et cet avenir tout tracé, et s'en va créer sa propre destinée. Loin dans les cieux, les circonvolutions d'une ombre noire se dessinent tel l'augure d'un futur radieux.


Ses yeux se détachèrent lentement du vélin pour rencontrer ceux de la jeune femme. Elle le regardait avec insistance, probablement depuis un moment. Comme en quête de ses réactions, de ses émotions à la lecture de chacun des mots couchés sur le papier. Il lui rendit la page de son journal, et la gratifia d'un léger sourire qui semblait en dire davantage que de longues phrases inutiles.

- Merci, Ana.

D'un geste tendre, il l'attira contre lui afin de l'inviter à poser sa tête sur son épaule. Certaines images continuaient de défiler dans son esprit, mais il se sentait étrangement serein en cet instant. Moment privilégié, hors du temps, en présence de la jeune femme qui animait ses pensées. A la faveur de la nuit étoilée.

_________________
Antanasia
~ Deuxième Fragment ~


Il savait. Il en avait saisi toute la portée. Du geste, du passé, des émotions...
Quelque chose en elle se mua en certitude. Il serait le seul à la connaître, à la comprendre vraiment. Et elle désirait que ce soit le cas.

- Merci, Ana.

Deux mots. Une voix profonde mais teintée de douceur. C'était tout ce dont elle avait besoin pour reprendre pied avec la réalité, et chasser les mauvaises pensées. Elle se laissa attirer à lui, reposant sur son épaule, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
La tête levée vers les constellations, elle admira un ciel dont elle ne prenait conscience de la beauté qu'en cet instant. Sa main chercha celle de Khaerdalis et elle glissa ses doigts entre les siens.

Dans un moment de légèreté absolue, mue par une impulsion presque enfantine, ses prunelles azures rencontrèrent le gris orageux de son aimé, et elle l'attira à elle pour l'entraîner dans l'herbe. Étendus sur le dos, leurs regard levés vers l'immensité scintillante. Ils restèrent ainsi, silencieux, uniquement bercés par les bruits de la faune nocturne.

XxXxXxXxX

Quelques jours plus tard...

Ils étaient en voyage, ils avaient envie de se créer des souvenirs. Khaerdalis lui avait dit qu'il aimait être sur les routes et, de son côté, elle avait envie de découvrir les choses avec lui. Cela les rapprocherait davantage, et ils apprendraient à mieux se connaître encore.

Bien évidemment, elle avait toujours son éternel carnet usé avec elle. Quand elle n'avait personne à qui parler, il avait été un moyen d’extérioriser. Après tant d'années, elle avait pris l'habitude de tout lui raconter. C'était devenu un réflexe, son petit rituel rassurant. Et cela l'aidait à prendre du recul.

Elle était allongée à ses côtés, tous deux dans leur plus simple appareil. Profitant d'un moment de calme, elle se pencha pour récupérer le fameux confident. Elle esquissa un sourire réservé avant de chercher quelque chose de précis. Une page semblait avoir été déchirée à un endroit, et celle-ci avait été glissée à son emplacement, pliée. Elle s’arrêta sur les suivantes. Avant de lui tendre le carnet, ouvert sur sa sélection.
Elle l'observa tandis qu'il s'asseyait contre la tête de lit, et elle en profita pour se poser sur son épaule, caressant distraitement la musculature de son bras. Elle ne cherchait plus à voir ses réactions, elle lui faisait confiance pour ne pas la juger, et pour l'accepter.

- Voici la suite, peut-être un peu plus lugubre. Je n'avais pas de pensées très joyeuses à l'époque. Tu risques d'être un peu surpris, mais les choses n'ont finalement pas suivi leurs cours.

Elle continua ses caresses en déposant un rapide baiser sur sa machoire, évitant néanmoins son regard, et le laissa finalement commencer la lecture.





Lucian m'indique la voie. J'ignore la direction que prend ma vie, mais lui semble savoir où se diriger.
Je ne réfléchis pas, c'est plus facile ainsi. La colère s'est un peu apaisée. Et il me reste encore l'espoir de trouver ce que je cherche. Un endroit où je me sentirais chez moi. Des personnes avec qui me lier d'amitié. Un travail. Rendre ma vie plus utile, me sentir plus vivante.
Les jours se succèdent et je m'acharne à couvrir le plus de distance. Je me dissimule, j'évite au maximum d'être vue. C'est aisé, les gens semblent déjà m'ignorer, ou même ne pas me voir du tout. Une âme invisible, trop faible pour être digne d'un quelconque intérêt. Je suis actuellement à bord d'un navire, et je profite de l'air marin et de cette pause dans ma course pour relater un peu les événements.

J'observe une famille un peu plus loin, un couple et leur fille. La petite rayonne de bonheur, pleine de vie.
Et je ne peux m'empêcher de penser à ma propre enfance avortée.

Combien d’efforts ai-je faits pour lui plaire ? Apprenant chaque leçon le plus rapidement possible pour que mes instituteurs lui rapportent mon bon comportement.
Je réalise maintenant le but de ces leçons.
Rien n'a été laissé au hasard. Il ne me préparait pas à la vie. Il me préparait à être une gentille épouse. Complètement assujettie.
Bonnes manières, comprendre les changements de mon corps, probablement pour savoir quand enfanter et reconnaître une grossesse ensuite. Pouvoir élever et éduquer une progéniture sans oublier ma place. Être assez instruite pour ne pas faire honte à celui à qui j'appartenais. Des leçons de musique, pour divertir ou adoucir selon l'humeur...

Ma vie entière à été déterminée par deux hommes.. Qui n'ont jamais désiré mon bonheur. Et pour la petite fille que j'étais, ce n'était qu'un moyen de chercher la reconnaissance de père. Naïve !
Sans cesse à observer par la fenêtre ses départs et à l'attendre jusqu'à très tard dans la nuit. Me précipitant pour le retrouver en quête de son attention, qu'il ne daignait me donner.
Apprenant avec un sérieux beaucoup trop grand pour une enfant tout ce que l'on m'imposait.
M’entraînant des heures durant sans répit pour atteindre la perfection.
Après tout, s'il ne me regardait pas, c'est que je n'étais pas satisfaisante..
Au final, je n'étais qu'une poupée vide.

Mais cela appartient au passé. Aujourd'hui, bien qu'encore hésitante j'ai repris le contrôle. Le plus dur à été fait. Il reste apparemment quelques heures avant d'accoster, je compte les écus qu'il me reste.
Un cheval. Il m'en faut un, je devrais facilement trouver. Ensuite, je poursuivrai ma route.

~~~~

J'ai faim.. Mon estomac gronde et je n'ai pas de quoi le rassasier. Je pourrais me lever, me faire aider par Helios, mon équidé, acheter des jours plus tôt.
Reprendre la route et trouver un ailleurs. Mais je n'en ai plus la force. Mon voyage n'a été que solitude à l'image de mon existence.
Et ce village... Il reflète parfaitement ma situation.
Des chaumières abandonnées, certaines tombant en ruines, de la poussière sur des scènes figées.
Comme si les habitants avaient fui précipitamment. Tout est silencieux, les animaux sauvages ne s'aventurent pas en ces lieux, ils n'y gagneraient rien.

Je me suis effondrée dans les taudis, sur une paillasse miteuse. Et je ne trouve pas la force de me lever à nouveau.
Maculée de poussière, dissimulant une peau plus blafarde que blanche. Des haillons pour vêtements, preuves d'un voyage éprouvant. Mon regard est vide, je n'ai plus d'expression à véhiculer, seul un sentiment d'abandon, une « volonté » de lâcher prise...
A quoi bon continuer ? Si toute ma vie a été écrite, je préfère encore en stopper la lecture.

Les jours passent et mon corps faiblit, j'ai l'impression de voir des mirages, des sons résonnent au loin. Que je ne parviens pas à distinguer.
Mon corps est étendu, mes yeux se ferment. S'ouvriront-ils à nouveau, si je cède à l'appel du sommeil ? J'ai l'intime conviction que non. Alors soit. Je couche ces dernières lignes, comme un adieu à ce monde décidé à me rej...

~~~~

Elle sentit plus qu'elle ne vit qu'il avait fini sa lecture, et se crut bêtement obligée de préciser pour briser le silence.

- Je n'ai pas fini, car quelque chose m'a interrompue. Je pense que tu devines la suite, mais je te ferai lire une prochaine fois.

Un sourire espiègle se fit naissant sur ses lèvres.

- Je ne voudrais pas que tu arrives trop rapidement à la partie qui te concerne. Je sais combien tu aimes soigner tes entrées.

Elle lui prit alors le papier des mains, refusant qu'il puisse continuer à l'imaginer de manière si pitoyable, et entreprit de le distraire à la faveur d'une étreinte passionnée.
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"Audaces fortuna juvat"

Khaerdalis
Leur voyage avait débuté. Première étape d'une nouvelle existence, d'une vie à deux. Ils n'avaient pas réellement de destination en tête, mais l'essentiel était ailleurs. Profiter des moments partagés, vivre une aventure en se créant de nouvelles expériences, et des souvenirs qu'ils pourraient se remémorer afin de revivre indéfiniment chaque instant.

Jour après jour, Khaerdalis apprenait à mieux connaître sa compagne. Et plus le temps passait, plus il découvrait de nouvelles facettes de sa personnalité. A l'image d'un puzzle complexe dont l'image ne se dévoilerait au premier regard, les nombreuses pièces paraissaient s'emboîter progressivement d'elles-mêmes. Elles s'assemblaient en une parfaite harmonie, comme animées d'une volonté propre. La jeune femme donnait l'impression de s'affirmer, et son caractère se dessinait chaque jour un peu plus à mesure qu'elle gagnait en confiance.

Ils avaient profité de quelques heures de repos après leur marche nocturne, dans le confort douillet d'une chambre louée à la première auberge rencontrée. Réveillés aux aurores suite aux sollicitations matinales d'une Antanasia désireuse d'attirer ses faveurs, ils profitaient d'un moment de tendresse, leurs corps encore entrelacés. Elle eut alors un sourire, et il l'observa se pencher pour récupérer son carnet, qu'elle feuilleta d'un air absorbé. Une fois mis le doigt sur ce qu'elle cherchait, elle le lui tendit, et il se redressa pour mieux s'installer et se préparer à la lecture qui l'attendait.


- Voici la suite, peut-être un peu plus lugubre. Je n'avais pas de pensées très joyeuses à l'époque. Tu risques d'être un peu surpris, mais les choses n'ont finalement pas suivi leurs cours.

Il lui répondit d'un sourire, et passa un bras autour de ses épaules tandis qu'elle se lovait contre lui.

- Je suis toujours curieux d'en apprendre davantage sur toi, peu importe ce que je suis amené à découvrir. Et ça ne changera rien, tu le sais.

Une main plongée dans la chevelure blonde ondoyante, son regard se porta alors sur le texte contenu dans le journal, dont l'écriture lui était à présent si familière.

Quelque part, sur les routes..

Pour la première fois de son existence, elle quitte la demeure familiale. Seule, livrée à elle-même, sans destination ni véritable objectif sinon une fuite en avant désespérée. Le sombre volatile est son seul repère, tache d'encre familière sur une toile vierge dont le paysage reste à définir. Elle s'aventure sur les routes en quête d'un horizon s'étirant au-delà des murs gris, loin de la monotonie. Loin de cette lente et effroyable agonie. Un avenir dépourvu de certitudes, mais qu'elle espère riche en promesses. Désireuse de tout en connaître, de tout découvrir. De se sentir vivante.

Il arpente à ses côtés de nombreuses contrées, l'accompagne dans ses pérégrinations. Ombre imperceptible tapie dans un recoin d'imaginaire, dont la révélation ne demande encore qu'à être exaucée. Il vogue avec elle sur les flots amers, traversée vers un monde inconnu qui s'étend à perte de vue. L'azur innocent se perd un instant dans la contemplation d'une scène de vie ordinaire pourtant si étrangère, et se noie dans les profondeurs d'un océan de regrets. Reflet cruel de moments qui jamais n'ont été, et jamais ne seront.

Elle progresse avec témérité malgré les éléments déchaînés. Frêle silhouette, que la moindre bourrasque menace d'emporter, de briser. Créature solitaire, lâchée dans un monde dont elle ignore tout des dangers et secrets. Âme errante jaillissant des limbes, à la recherche d'un devenir et d'une raison d'être. De quelque chose qui pourrait la sauver, et l'arracher aux griffes de cette morosité envahissante qui l'étreint depuis toujours. Le cœur nourri d'espoirs, qui se complaît à la simple évocation d'un futur radieux.

Mais la réalité n'est pas celle espérée, bien éloignée de ce qu'elle s'était imaginé. Elle s'impose à elle sous la forme de ruines dévastées, où toute trace d'humanité semble comme envolée. Elle s'avance, chancelante, dans le village fantôme où retentissent les échos d'un passé révolu. Hagarde, elle contemple cette désolation morbide qui semble vouloir l'entraîner dans les tréfonds. Il l'observe, impuissant, tandis que ses forces s'amenuisent, et que sa volonté l'abandonne peu à peu. Elle se languit d'un repos à même de la délivrer de ce cauchemar, loin de cette tourmente qui la hante depuis tant d'années. Résignée face au sort funeste qui l'attend, elle glisse lentement dans un dernier sommeil, elle sombre dans l'oubli. Rêvant, peut-être, de pouvoir un jour se réveiller dans un monde qui voudrait bien d'elle..



Le jeune homme eut tout juste le temps de finir sa lecture qu'Anta jugea utile d'apporter une précision. Comme si elle était en mesure de lire dans ses pensées.

- Je n'ai pas fini, car quelque chose m'a interrompue. Je pense que tu devines la suite, mais je te ferai lire une prochaine fois.

Il hocha brièvement la tête, un léger sourire au coin des lèvres.

- Je pense ne pas trop m'avancer en misant sur ta survie. A moins que tu ne m'aies menti depuis le début, et que tu n'aies fait que récupérer ce carnet sur la dépouille de cette pauvre âme.

Elle sourit à son tour, l'air narquois.

- Je ne voudrais pas que tu arrives trop rapidement à la partie qui te concerne. Je sais combien tu aimes soigner tes entrées.

De toute évidence, elle cherchait aussi à alléger l'atmosphère. Il opina une nouvelle fois, comme pour confirmer ses dires, et décida de se prêter au jeu.

- Je saurai patienter comme il se doit. Ne dit-on pas que l'on réserve toujours le meilleur pour la fin ?

Le carnet disparut presque instantanément de ses mains, et sa présence fut soudainement requise une fois de plus dans les bras de sa compagne.
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Antanasia
~ Troisième Fragment ~



Le couple s'était arrêté dans une clairière. Une nouvelle envie de passer du temps seuls, loin du brouhaha et des activités grouillantes de la ville.
Les affaires avaient été posées négligemment à même le sol, après une manœuvre compliquée de la charrette par un Khaerdalis grognon, et sous les instructions d'une Antanasia sceptique mais grandement amusée.

La nuit tombée, ils s'étaient installés devant des bûches crépitantes, leurs yeux restés fixés sur les braises rougeoyantes. Des particules s'élevaient en spirales avant de s'éteindre pour mourir en pleine ascension. Le spectacle du feu de camp était presque hypnotisant, et les amoureux savouraient silencieusement la quiétude du moment. Chacun semblait plongé dans ses pensées.

Antanasia se joua mentalement, et à plusieurs reprises, les révélations tourmentées de son promis.
Elle connaissait désormais l'origine de la cicatrice mais, plus encore, la profondeur et la loyauté qui faisaient partie de cet être si mystérieux et envoûtant. Son cœur se gonfla d'amour pour lui, et une fierté mêlée de respect s'empara d'elle.
Elle s'effraya de pouvoir un jour perdre son affection, réalisant à quel point elle partageait la vie d'un homme honorable et admirable. Quoi qu'il en pense.

Une chouette hulula dans le lointain, et quelques craquements se firent entendre à la lisière de la clairière. Des animaux curieux, probablement attirés par l'odeur de viandes braisées, rôdaient autour du campement, mais le feu les maintenait à distance.
Antanasia fouilla du regard les ombres inquiétantes mais ne vit rien. La densité de la végétation obscurcissait les lieux de plus belle, et les opaques nuages dans le ciel ne l'aidaient pas à avoir une meilleure vision. Légèrement anxieuse, elle se serra davantage contre Khaerdalis afin de se rassurer par sa proximité.
L'homme paraissait serein, bien qu'il ne se séparât jamais de son épée. Par prudence, devina la jeune femme, et cela l'apaisa quelque peu.
Elle-même en possédait une. Quant à savoir s'en servir, c'était une autre histoire, mais la présence de l'acier l'aidait à garder un semblant de maîtrise sur ses angoisses.
Cependant, ainsi exposée, à la merci des bêtes sauvages ou d'autres mauvaises rencontres, elle réfléchissait à la possibilité de se faire enseigner le maniement de l'arme par son aimé. Se faisant la promesse de lui poser la question rapidement, elle se contenta, pour l'heure, de songer à la suite du voyage.

Un croassement lugubre se fit entendre, suivi d'un son étouffé de battement d'ailes. Elle savait qu'il s'agissait de Lucian, mais la panique de Linnae commençait vraisemblablement à déteindre sur elle. Elle échangea un regard de compréhension avec la chienne couchée aux pied de son maître.

Souriant nerveusement, Anta sortit de sa besace son éternel carnet élimé, et l'ouvrit à un passage en particulier. Bien envieuse d'une distraction, la jeune blonde jugea le moment propice pour une nouvelle lecture. En tournant les pages, elle occulta délibérément certains passages, qu'elle jugea inintéressants.

Khaerdalis, toujours silencieux, ne ratait visiblement aucun de ses mouvements. L'homme, s'il paraissait perdu dans ses pensées, restait aux aguets. Rien ne le trahissait, mais elle avait appris à le connaître. Telle une sentinelle mortelle, elle vit à sa posture et son regard vif, qu'il ne relâchait pas sa vigilance. Il semblait au repos d'un point de vue extérieur, mais elle savait que ses réflexes et sa rapidité pourraient surprendre un quelconque agresseur, humain ou animal. Pour en avoir déjà senti la force, elle n'ignorait pas que sous sa peau douce se cachaient des muscles puissants, qu'elle prenait plaisir à sentir sous ses doigts.

Rassurée, elle décida de le taquiner légèrement, et s'adressa à lui d'un ton espiègle en lui montrant le journal.

"Dîtes-moi mon cher, souhaitez-vous enfin connaître la teneur de toutes les vilenies qui vous concernent dans ce journal ?"

Quand il entendit sa question, elle vit un éclat dans ses prunelles orageuses, mais elle ignora s'il s'agissait d'un amusement, d'une moquerie ou toute autre réaction.
Il lui signifia alors son accord, et elle l'observa encore un moment avant d'enfin tourner son regard sur sa propre écriture. Elle se souvenait de sa propre fébrilité lorsque les mots avaient jailli de sa plume. Empreinte de plusieurs émotions alors indéfinissables.

Pour ne pas briser sa concentration visuelle, elle entreprit une lecture à voix basse d'un air emprunté. Cela serait l'occasion de ponctuer certains passages d'éclaircissements mais, surtout une diversion salutaire afin de ne pas trahir sa "trouillardise" devant un homme visiblement calme et serein.
Toute une palette d'émotions faisait écho à ses mots, ne laissant aucun doute sur ce qu'elle ressentait au fil du récit.




Au moment où j'écris ses lignes, je suis installée à une table, reposant mon dos endolori contre le dossier d'une chaise confortable. J'aurais dû suivre l'exemple de Marie et Jean : louer une chambre pour profiter d'une bonne nuit de sommeil. Mais j'étais bien trop épuisée, j'avais veillé toute la nuit, à observer la route. J'ai même croisé le regard d'une biche, avant qu'elle ne s'enfuie totalement apeurée. Je crois m'être endormie peu de temps avant d'arriver au village, mais je n'avais plus le courage de me traîner où que ce soit.

Au réveil, je me suis un peu promenée en ville, observant avec soin les environs. J'ai également été faire mon observation routinière au marché, notant mentalement tout ce que je voyais. Puis je suis passée devant une taverne. "Le Jardin des Délices", la devanture était accueillante et, par la fenêtre, j'y ai vu un certain nombre de plantes. Sans hésitation, j'ai poussé la porte, saluant au passage le tavernier qui me gratifia d'un "bonjour" poli, tout en me laissant vaquer à mes occupations.

Alors que je m'attendais à des questions comme avec toutes les personnes précédemment rencontrées, cet homme ne s'est montré ni curieux, ni indiscret. Il ne semble pas dérangé par le silence, et j’apprécie ce moment pour ce qu'il est. Couchant ses quelques lignes paisiblement.

Ma plume court librement sur le papier, et j'entends des bruits de frottement familiers et rassurant. L'homme nettoie consciencieusement son comptoir, et je dissimule un sourire en essayant de l'observer davantage, et discrètement.
Quelque chose chez lui m'intrigue, dans ses gestes, dans sa posture, mais surtout dans son silence.

D'ordinaire, je suis la première à apprécier le calme, mais, là maintenant, j'aimerais entendre un peu plus qu'un "bonjour" de cette voix profonde.


Antanasia reposa le journal et regarde le feu en souriant aux souvenirs qui semblaient défiler sous ses yeux.

" C'est à ce moment-là que je suis venue vers toi, et que la conversation a débuté. J'ai arrêté d'écrire et j'ai repris bien plus tard... Quand j'ai eu un peu plus de temps loin de tes griffes".


Elle finit par reprendre sa lecture après avoir toussoté en prévision de la suite.



Je n'ai jamais spécialement fait attention au visages des gens, mais je dois avouer que celui de Khaerdalis est assez... attirant. Des traits fins, malgré son expression légèrement dure. Des mèches rebelles dépassaient de son bandeau, certaines tombaient devant des yeux gris, et son regard, quand j'osais le croiser, me captivait. Comment l'ignorer ?
Il a longtemps eu un sourire en coin, souvent moqueur, presque provocateur. Je n'ai pu céder à l'impulsion de le taquiner, et lui-même n'était pas en reste.
Il m'a fait une forte impression, et je mesure la portée de celle-ci seulement maintenant que je me retrouve seule.

J'ignore combien d'heures j'ai passé avec lui mais, insidieusement, l'idée de m'éloigner de lui m'est devenue désagréable. Le départ du soir même me pesait, de plus en plus lourdement au fil de la discussion...
Aujourd'hui, je me questionne. Est-ce donc cela un coup de foudre ? Je suis assez désemparée, je n'ai jamais cru en cela...

Il m'appelle "Ana". L'idée du diminutif lui est venue sous la forme d'une question "Personne ne vous appelle Ana ?". Et à peine ses lèvres l'ont-elles prononcé que j'ai souhaité qu'il m'appelle ainsi.
J'ai eu la sensation qu'une complicité mutuelle s'est vite installée entre nous, ainsi que de la compréhension.

Nous avons plaisanté au sujet d'une de ses chaises, et j'ai eu affaire à son impressionnante plaidoirie afin de protéger son bien.
Il n'est jamais en manque de répliques, et cela m'a amusée sans limite. Mais il est aussi exaspérant et déconcertant, et je ne m'étais jamais autant agitée de ma vie qu'en sa présence. Toutefois, je ne m'avoue pas vaincue. Un jour, je ferai taire cet insupportable tavernier et lui ferai perdre ce sourire en coin qui me provoque à chaque instant.

J'ai fini par arrêter de me dissimuler les raisons qui m'ont poussée à rester... Je n'étais pas en manque d'excuses, mais je pense ne tromper personne. Cet homme me fascine tant... Je sais bien que cette décision n'est pas sans risque, mais je ne me sentais pas la force de reprendre la route. Une sensation impérieuse s'était emparée de moi, comme si le temps était compté. Et c'est cet instinct que j'ai décidé d'écouter. Celui-là même qui m'a poussée à fuir il y a maintenant plusieurs semaines.

Me voilà donc propriétaire d'une chaumière, d'un grand nombre de meubles et de deux champs.
Je m'autorise un moment de paresse afin de récupérer un visage plus humain après toutes ces heures de sommeil en moins passées en compagnie de Khaerdalis.

Ce matin, en ouvrant les yeux, je suis tombée sur un vélin replié près de mon oreiller. Et c'est dans un état de fébrilité avancé que je m'en suis emparée pour prendre connaissance du contenu.
Mes yeux ne se détachent jamais longtemps de l'écriture soignée, et je me sens bêtement heureuse de cette attention.
Je m'accorde encore quelques minutes avant de le rejoindre, essayant de refréner cette impatience qui bouillonne en moi, et occultant les questions qui m'oppressent sournoisement.
Pour tout cela, j'aviserai. Pour le moment, je me contenterai de suivre ma décision, peu importe ou cela m’emmènera...

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"Audaces fortuna juvat"

Khaerdalis
Ce jour-là, Khaerdalis s'était réveillé aux aurores. Plus exactement, il avait été tiré sans ménagement de son sommeil par un vacarme assourdissant. Des vociférations lui étaient parvenues alors même que son esprit déambulait dans les corridors éthérés du monde des rêves, là où la réalité n'est pas supposée laisser son empreinte. Il s'était d'abord agi de simples murmures entêtants, rapidement transformés en véritable charivari. Et alors que son esprit peinait encore à se frayer un chemin au travers de la brume matinale, une senteur méphitique avait cru bon de venir à sa rencontre, achevant de rendre le réveil tout sauf idéal.
Sans même avoir conscience de s'être extirpé du lit, il s'était retrouvé à la fenêtre de la chambre à invectiver les marchands courroucés dont les carrioles respectives semblaient avoir fait connaissance d'un peu trop près, et qui échangeaient quelque courtoisie. Un attroupement de badauds s'était d'ailleurs formé autour des acteurs de cette joute verbale, néanmoins à distance respectable de la cargaison de poissons nauséabonds étalée sur la moitié de l'avenue. Leur attention avait cependant vite été détournée par l'homme à moitié nu beuglant et gesticulant à l'étage de l'auberge, dont la légère insatisfaction ne laissait que peu de place au doute.
La petite mise au point matutinale et cordiale effectuée, le jeune homme avait alors entrepris de se changer au rythme des ronflements de son imperturbable dulcinée, et le départ ne s'était effectué qu'à l'orée de la mi-journée.

Après un trajet inscrit sous le signe d'une tranquillité toute relative, le brun ayant été contraint de désembourber une roue du "carrosse" sous l'œil critique d'une Antanasia manifestement davantage experte en théorie qu'en pratique, ils arrivèrent enfin en vue d'une clairière accueillante. L'occasion d'oublier un temps le tohu-bohu citadin et les malheureux déboires connus en cours de route. Mais ce ne fut qu'après une manœuvre délicate de la charrette, dont les roues étaient encore parées de quelques atours fangeux, que l'ombre d'un moment de sérénité se profila enfin. Peu désireux de s'atteler à un rangement minutieux des affaires, le ténébreux s'arrangea pour les expédier prestement à la chaîne. Une couverture prit son envol avec grâce, et trouva en la jeune femme blonde un étendoir improvisé qui ne sembla pas particulièrement la ravir, bien qu'elle n'en dît rien. En observatrice attentive, elle avait bien dû remarquer la maussaderie de son aimé, et devait estimer préférable d'attendre la fin de l'orage silencieux. De son côté, Linnae estima plus prudent de s'éloigner un peu pour aller se coucher à distance respectable. Mais son regard ne se détachait jamais de son maître, dont elle continuait de scruter le moindre geste.

La soirée se déroula dans un calme ambiant enfin retrouvé, à la lueur orangée des flammes dansantes du foyer. S'il paraissait serein, Khaerdalis demeurait toutefois légèrement agité. Les anicroches de la journée l'avaient quelque peu contrarié, et il s'en voulait intérieurement de s'être laissé aller à certains débordements peu coutumiers. Il percevait également l'agitation de sa compagne, qui montrait des signes évidents de nervosité. Mais à défaut d'être capable de la rassurer par les mots, il se contentait de veiller sur elle en lui apportant sa présence silencieuse. Il réalisa par la même occasion n'être que rarement parfaitement serein, et ne s'accorder de réels moments de répit qu'en de rares occasions. Son sommeil était également léger, et il avait pris l'habitude de toujours rester sur ses gardes, les sens en alerte. En tout temps et toute occasion, il se tenait paré à toute éventualité, guettant le moindre danger.

Il observait sa promise du coin de l'œil. Elle passa un long moment à compulser fiévreusement son journal, comme pour se donner une contenance. Elle semblait être à la recherche d'un passage important, ou d'un souvenir à se remémorer. Et ce fut elle qui, finalement, brisa le silence. Elle s'adressa à lui d'un ton léger et taquin, tentative manifeste de détendre l'atmosphère.


"Dîtes-moi mon cher, souhaitez-vous enfin connaître la teneur de toutes les vilenies qui vous concernent dans ce journal ?"

Même s'il n'en dévoila rien, il fut soulagé d'entendre sa voix après tout ce temps écoulé sans échanger de paroles. Il se tourna vers elle en silence, et ses yeux détaillèrent un moment les traits de la jeune femme assise auprès de lui. Elle le contemplait en souriant, dans l'attente d'une réponse de sa part. Il hocha légèrement la tête en signe d'assentiment et lui donna la réplique en réprimant le maigre sourire qui menaçait de se dessiner malgré lui.

- Je savais bien que je ne pourrais fuir indéfiniment ce moment tant redouté. Je suis prêt, ma chère.

Mais alors qu'il s'attendait à la voir lui présenter ses écrits comme elle avait coutume de le faire, elle le jaugea un moment du regard avant d'entreprendre une lecture à voix basse. Il se rapprocha d'elle pour s'assurer de ne laisser aucun de ses mots se perdre dans le néant, et se plongea dans un mutisme absorbé, les yeux fermés.

Les écrits d'Antanasia le replongèrent au cœur d'une scène guère si lointaine. Et pourtant, tellement de choses s'étaient déroulées depuis ce jour-là, qu'il avait l'impression que c'était il y a déjà une éternité de cela. Lorsqu'elle avait franchi le seuil de la taverne pour la première fois, il avait été loin de s'imaginer la succession d'événements que cette simple rencontre allait engendrer.
Le souvenir de cette journée était encore profondément ancré dans sa mémoire, et il le demeurerait probablement à jamais. Sans le réaliser, sa vie avait alors pris un nouveau tournant, alors même qu'il traversait une période de doute et de conflit intérieur. Et ce fut alors le début d'une nouvelle histoire. D'une nouvelle vie, à deux.

Ses lèvres donnaient parfois naissance à un léger sourire à l'évocation de certains ressentis, mais aucune parole ne s'en échappa tant que la lecture se poursuivait. Il se laissa bercer par les mots prononcés avec douceur et émotion au fil des réminiscences, presque jusqu'à en relâcher toute vigilance. Et lorsqu'elle eut terminé, il s'autorisa alors à rouvrir les yeux et lui adresser un nouveau sourire. Mais à défaut de s'épancher en réponse aux confessions de son aimée, il se contenta de se rapprocher d'elle afin d'unir leurs lèvres en un long et tendre baiser. Elle et leur petite famille étaient désormais ce qu'il y avait de plus cher à ses yeux, et rien d'autre ne revêtait une once d'importance. Elle était celle qu'il avait choisie et qui l'avait choisi, et tous deux avaient décidé d'unir leurs destinées en une seule. Deux âmes autrefois brisées qui se reconstituaient, et se prenaient désormais à rêver.

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