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[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien faire après ça* ?

Milo_amalio
    [Sur les routes, entre Poitou et Bretagne]


Le soir tombe et pour la seconde fois, les petites poivrières sont montées dans une clairière à l'abri du vent. La veille, quand la nourrice a voulu entraîner Milo avec sa petite sœur dans l'une des tentes, il a pleuré et s'est précipité vers Arsène. Puis, il a retourné une mine boudeuse vers la femme, épiant sa réaction en hoquetant son chagrin, et il a eu gain de cause, comme chaque soir depuis quelques jours. Un peu plus tard, c'est dans la tente des deux frères Beaurepaire qu'il s'endormira. Il a mis un peu de temps à scruter les visages identiques des deux hommes, mais à présent, il a admis et enregistré leurs similitudes et leurs différences, et il se trompe rarement. Il évite toujours Dante. Ce soir, il n'a pas hésité plus que ça quand il s'est déplacé pour venir chercher le contact rassurant de l'un des deux. C'est contre l'épaule d'Arsène qu'il est venu s'allonger. Il chouine un peu, sa mère lui manque. Il a l'habitude de s'endormir au son de la berceuse qu'elle lui chantonne. L'homme ne la connaît pas, puis, sa voix n'a pas la même tessiture. Il tourne, il gigote, et, d'un geste presque naturel, on lui offre le refuge d'un bras, alors il s'y blottit et écoute les paroles apaisantes qu'on souffle à son oreille. Il plisse le nez dans cette petite moue qu'il tient de Fanette, lui, le mini-Corleone qui ressemble pourtant à son père, et il cherche à distinguer dans le noir les lèvres d'où s'échappent le flot de mots chuchotés. Leur musique est si douce qu'il se calme et sombre dans le sommeil.

Un oiseau chante. Ses paupières papillotent, il perçoit la lumière du jour pâle derrière la toile enduite de la petite poivrière. Il remue, s'extirpe de la couverture qui le couvre, et s'assoit en regardant autour de lui. Les deux frères dorment encore. Il hésite mais un battement d'ailes l'appelle au-dehors. Voilà le petit aventurier qui rampe vers l'interstice laissé par le battant rabattu et noué qui sert de porte. Il le soulève et se faufile. Deux corneilles le survolent avant d'aller se poser à l'orée du bois. Milo se met debout et les suit des yeux. A sa dextre, il entend un cheval s'ébrouer. Il se précipite. Il court de son pas qui semble parfois maladroit mais il ne chute pas. L'animal le voit approcher et ses naseaux de velours émettent un petit vibrato qui met en joie le bambin.

Plus loin, les oiseaux se chicanent pour une brindille. Le froissement des plumes est couvert de leurs cris. Ils volettent, mêlent coups de pattes et de becs, s'éloignent à tire-d'aile pour mieux s'affronter de nouveau. Il rit et délaisse le cheval pour les rejoindre. Il veut les attraper, mais à chaque fois qu'il approche, les corneilles filent un peu plus loin. Sous le couvert des arbres, le jour levant filtre en raies laiteuses dans lesquelles dansent les particules de poussière. Il les observe un moment, immobile, et de nouveau se détourne des oiseaux pour pénétrer dans le bois. Et plus il avance, plus ces rayons qu'il cherche à saisir reculent. Il ne prend pas garde au ciel qui se couvre au-dessus des grands arbres. Voilà qu'ils assombrissent le matin qui peine à se lever. Plus aucun jour ne fait danser la poussière à présent. L'enfant décontenancé la cherche encore.

Puis, il se retourne pour retrouver les chevaux et les oiseaux, mais il n'y a que le tronc noueux des vieux arbres qui l'entourent, et les racines dans lesquels ses pieds buttent. Il fait froid. Il avance mais ne parvient plus à distinguer les bruits rassurants des chevaux, leurs sabots qui grattent le sol en attendant leur ration d'orge, leurs souffles quand ils s’ébrouent, leurs hennissements quand les hommes se lèvent et que le camp reprend vie. Les corneilles se sont tues aussi, il n'entend que le chant des petits oiseaux de la forêt. Il court, mais la salsepareille, étalée en travers du chemin, s'enroule à sa petite jambe et le fait tomber. Il se râpe les paumes et le menton. Il se redresse, regarde ses mains, ça brûle. Il veut se relever mais la plante, ligneuse et épineuse s'est plantée dans l'étoffe de ses petites braies. Les doigts encore potelés s'en saisissent et se piquent, et l'enfant s'agace avant de prendre peur. Il retombe dans la mousse. Ses craintes chassent le froid d'un autre frisson, bien plus glacé. Il est seul, il relève autour de lui ses yeux où viennent poindre les larmes.

– Mamma … Mamma...

Et bientôt, les syllabes se perdent dans le flot des pleurs qui noient son beau regard de lichen et dégringolent à ses joues rosées.

Il est perdu.
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Arsene.b
      [ quelque part par là sur les routes de France, entre le poitou et la bretagne]


    La négociation avait été ardue, mais Arsène avait vaincu avec son protégé dans les jambes. Même si l’œil noir et assassin de son frère aurait du lui faire peur, il ne s'y était pas attardé pour s'occuper de Milo. Non pas que la présence du gamin l'embêtait au final, il commençait à s'habituer à lui, plus que de raisons sans doute. Il songeait déjà au moment où le petit retrouverait sa mère et où lui se retrouverait à nouveau seul la nuit. En attendant c'était entre les deux frères que le petit dormait, Arsène le gardant contre lui. Silencieux dans la nuit sombre, il laissa une fois de plus son esprit partir vers l'Alençon. Normalement demain il aurait des nouvelles de Rogulien, il serait temps. Temps de savoir si les nouvelles données à Thouars étaient véridiques ou non. C'est sur les dites nouvelles qu'il trouvera finalement le sommeil, dans le souffle régulier de Milo contre lui et le léger ronflement de Dante.

    Il ne fut guère étonnant que le lendemain, l'homme ne broncha pas quand le petit corps s'échappa de la tente. La fatigue était encore présente, et même si Dante avait voulu s'arrêter quelques jours pour reprendre un peu de couleur, le lupin n'avait pas su penser à lui. Pas cette fois en tout cas. Si bien que lorsqu'il ouvrir les yeux, il prit plusieurs minutes avant de réussir à remettre de l'ordre dans ses pensées. Et soudainement, tout revient, la tente, la route, la bretagne bientôt, Fanette, le procés, Dante, les enfants ! L'enfant ! Un juron alors qu'il ne sent plus le corps enfantin entre eux, et son frère dort encore. Sans ménagement, Arsène le secoue assez vigoureusement. Ah oui il avait oublié un détail, on ne réveille pas un Dante qui dort ! Mais qu'importe !


    - Le petit est pas là bouges toi !

    Il ignora le grognement qui répondit, et sortit de l'abri sans prendre la peine de rechausser ses bottes. Direction tente nourrice ! Cette dernière était à peine levée à en juger par son regard encore assombri de sommeil. Il serra les dents quand la réponse à sa question abrupte fut un non. Merde ! Tour du campement de fortune. S'il avait perdu le fils de Fanette, jamais il oserait se montrer devant elle ! Le cœur battant, il allait voir Yoln quand son ouïe capta un son plaintif. Demi tour, pour faire face à un Dante mal réveillé, qu'il ignore pour suivre le bruit des petits pleurs. Il lui faudra quand même quelques minutes pour retrouver le petit gars. Un immense soulagement, c'est bien ce qu'il ressentit quand il le souleva pour le serrer contre lui dans un geste spontané. Il chuchota des mots rassurants à l'oreille de Milo comme "ca va aller, je suis là p'tit homme " Avant de reprendre le chemin du campement sans tarder. Dans ce petit matin il ne faisait ni chaud ni bien lumineux et les vêtements du gamin étaient mouillés. On avait frôlé le drame.

    - Il ne faut pas partir comme ça Milo...

    Dante qui avait pris le temps de se couvrir et se chausser venait à eux. A son visage coléreux, Arsène devina son agacement. Son jumeau n'était pas loin de vouloir déposer les deux enfants dans le premier lieu venu pour les soulager de leurs charges, en sachant fort bien que Arsène ne le ferait pas. Première fois que le duo se divisait ? Sans doute mais Dante n'avait pas côtoyé Fanette comme il l'avait fait... C'était peut être pour ça, sinon il réagirait différemment, il en était certain. Ceci le regard que lui offrit son frère, obtient la même réponse. Il n'attendait pas un nouveau reproche, pas maintenant. Ils en parleraient plus tard. L'homme conduisit le minot vers la tente où la nourrice les guettait. Milo refusa de se détacher de lui, Aussi, toujours pieds nus, Arsène dut déployer une panoplie de persuasions pour réussir à le décrocher de lui et pouvoir le convaincre de se laisser changer et réchauffer par Marianne.

    Un peu plus tard tout le monde s'était remis de la petite aventure bambine, réchauffer autour d'un feu généreux même si Dante ne décrocha pas un mot et Arsène non plus. Au fond, il craignait que son frère finisse par lui en vouloir. C'était peut être déjà le cas.



      [ Rennes après un passage à Rieux le 28 Octobre 1467 ]



    Posé dans la chambre d'auberge où barbotait Stella dans un petit bac de bois, et ou Milo jouait avec le chaton du propriétaire des lieux, Arsène s'était calé dans le fauteuil du coin. Entre ses mains les courriers récupérés à Rieux, il n'avait pas encore pris le temps de les lire. Le premier des courriers était de Max Rogulien, leur homme à Alençon, le second de Fanette. A la vue de l'écriture qu'il connaissait pour l'avoir déjà vu et lu, il s'était senti plus léger. Si elle avait pu lui écrire c'est que sans doute, elle avait pu avoir son courrier à lui. Et pourtant, il tardait à les ouvrir. Il ne savait pas quoi s'attendre en lisant, ni même son ressenti face à tout ça. A présent qu'il avait su ce qu'il lui était arrivé, le procès, les personnes qui l'ont embarqué, il en venait à se demander si finalement, elle n'avait pas accepté de les suivre, pour éviter que ça soit à Limoges qu'on ne vient la chercher. Il avait peut être été un peu bêta de croire que ce fut vraiment pour eux.. pour le travail, pour la bretagne ? Une part de lui le réfutait malgré tout. Il n'y avait pas de manipulation dans l'esprit de Fanette, elle n'était pas ainsi, du moins il essayait de s'en persuader. Son regard se posa sur Milo puis Stella avant de soupirer.

    Le premier courrier confirma les dires de Mahaut et son compagnon. Un procès, des géoles. Rien de plus si ce n'est qu'il avait rencontré la victime de Fanette et que ce dernier avait assuré vouloir la clémence pour la jeune mère. C'était chose rare. Au final, il était parvenu a avoir tout les renseignements qu'il avait voulu. Max mentionna aussi une piste pour trouver un orphelinat du même nom que les beaurepaire lui avaient donné. Bien tout se goupillait. Un très court instant il songea à la rencontre avant de la chasser pour déplier le courrier de Fanette. Il étira un léger sourire au passage concernant sa venue à Alençon. Avait-elle deviné ses intentions ? Ou l'avait-il pensé si fort que c'était parvenu jusque là bas ? La suite acheva de le faire sourire. Ne pas avouer ses ennuis ? Bah voyons, il les connaissait déjà. Et si elle croyait qu'une fois débarrassée de cette menace ci, elle allait pouvoir repartir à Limoges, il n'y comptait pas. Une évidence ! Arsène termina le courrier, avant de regarder Milo. Il allait devoir lui expliquer que demain à Rohan il allait devoir rester avec Marianne. Pour sur que l'enfançon allait pleurer, mais il ne pourrait pas y céder cette fois. Non il irait chercher sa mère sans les mettre en danger, ainsi il l'avait déjà prévu avant les lignes de Fanette.

    Après s’être levé, le chatain annonça s'absenter à la nourrice et quitta la pièce tant que fut occuper le garçon. Il avait besoin d'air. Il ignorait pourquoi mais le courrier venait de le remuer plus qu'il ne l'eut cru. Il songea un instant à rejoindre son frère avant de chasser l'idée. Quelque chose lui disait qu'il désapprouvait l'attention dont il couvrait la jeune femme et de ses enfants. Était-ce que mal de pouvoir tendre une main à une personne qui avait su lui offrir de rêver ? Certes elle n'était pas duchesse, elle n'était pas de bonne famille, elle était mariée mais est ce que c'était tout cela qui faisait la personne ? Il en doutait. Le mélange de sentiments était trop complexe à demêler. Il devrait prendre garde, pour la suite. Prendre garde à ne pas se laisser toucher plus que nécessaire. Il ne le pourrait de toute manière.

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Lison_bruyere
Sur les routes, fin octobre 1467
 
 
Depuis combien de jours déjà était-elle prise dans l'étau de la peur ? Fanette n'en savait plus rien. Son séjour dans les geôles Alençonnaises lui avait fait perdre la notion du temps. Elle avait senti une main glacée lui étreindre le cœur quand la juge l'avait reconnue coupable et passible de la peine de mort par pendaison. Ses jambes s'étaient dérobées sous elle et elle était retombée sur son banc, livide et tremblante. Pourtant, la magistrate, sans doute influencée par le ]témoignage de la victime, avait contrevenu à son propre verdict pour se montrer finalement plus clémente. Sa peine de prison était accomplie, sa bourse allégée de cinq écus, et elle devait un mois de travail dans un hospice. Pourtant, elle avait attendu la faveur de la nuit, et s'était faufilée par une poterne dissimulée dans la muraille, à l'opposé des portes de la ville. Depuis qu'on l'avait arrachée à ses enfants, elle n'avait qu'une obsession, les retrouver. Les frères Beaurepaire les conduisaient en Bretagne, c'est donc là qu'elle irait.

La peur encore l'avait accompagnée, quand, sous le couvert des arbres, elle cheminait. La lune semblait drapée dans des écharpes d'anthracite et de gris floconneux. Parfois, les nuages se dissipaient un instant, et la lumière nacrée révélait le chemin bordé des grands arbres sur près de cent pieds. Mais, dès qu'elle se voilait de nouveau, les ténèbres semblaient se rapprocher dangereusement. Elle s'efforçait d'en percer les mystères, l'oreille aux aguets, prête à fondre dans un fourré au moindre bruit. Ce n'est que quand les premières lueurs de l'aube teintèrent de mauve l'horizon qu'elle se détendit un peu. Aucune armée angevine n'avait croisé sa route, et les gardes d'Alençon ne s'étaient pas lancés à ses trousses. On pourrait encore l’attendre ce matin, dans quelque hospice que ce soit.

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Milo_amalio
    Rohan, 29 octobre 1467


Milo rit. Son âge est à l'insouciance, et si sa mère lui manque dans les moments calmes de ses journées, quand Yoln le tient fermement contre lui et qu'il fait galoper son cheval, il est le bambin le plus heureux de royaume.

Pourtant, ce soir, il s'inquiète quand il retrouve Arsène. L'homme lui parle calmement, en le regardant droit dans les yeux. Il se sent tout petit assis à son genou, alors, il escalade la table, pour venir se poster face à lui, lui arrachant un sourire amusé. Il ne comprend pas bien ce qu'on lui explique, mais il écoute, et il scrute le visage du Beaurepaire. Il y a cette petite fossette sur son menton, il avance sa main pour venir la toucher, puis pose ses grands yeux de lichen dans ceux de l'adulte. Ce qu'il perçoit c'est la gravité de ce qui va suivre, alors il tend un doigt vers sa jeune sœur, et la nourrice. De nouveau Arsène lui sourit, et il sourit en retour. Le châtain attarde un baiser à son front puis se lève et le repose au sol.

– Tu vas aller dormir Milo, et bientôt, c'est ta maman qui vous embrassera ta petite sœur et toi pour vous souhaiter bonne nuit.

Milo le regarde et pointe de nouveau la petite Stella. Il sourit encore et s'en approche. Marianne le hisse sur le lit, et l'enfançon va écraser un baiser au front de la piccolina blottie au creux du bras de la brune, imitant le geste affectueux que l'homme vient d'avoir pour lui. Mais, quand il se redresse fièrement pour le regarder, il comprend : Arsène s'en va. Il vient de revêtir son pourpoint de cuir souple bordé de fourrure. Il a bouclé le baudrier retenant une longue épée au pommeau incrusté d'une émeraude et jette sur son épaule ses sacoches de selle.

Milo fronce les sourcils, il va pour le rejoindre mais le bras solide de la Marianne le retient. Le Beaurepaire lui offre un sourire rassurant et estime qu'il ne vaut mieux pas s'éterniser. Il quitte la pièce mais l'enfançon redouble d'efforts pour se libérer de l'étreinte de la nourrice. Il manifeste son mécontentement d'abord, mais l'homme disparaît sur le palier, alors il se met à pleurer, à crier. La pauvre femme ne mérite pas ça, car le voilà à présent qui tape de ses petits poings serrés, donne des coups de pied et se débat pour rejoindre Arsène. Il pleure à chaudes larmes et toute l'agitation a réveillé Stella. La voilà qui, inquiétée par les cris de son frère, se met à pleurer aussi. La nourrice fait son possible pour les calmer, elle berce la petite, et retient comme elle peut le beau diable qui gigote de l'autre côté. Son regard brouillé de larmes reste rivé à l'ouverture par laquelle l'homme vient de disparaître. Il s'étrangle, tousse, pleure encore. Il tend ses petites mains vers le couloir.

– A'sène … A'sène …

A-t-il déjà prononcé son nom avant, ou bien est-ce la peur de le voir disparaître lui aussi qui l'a animé ? Et il entend des pas, le cliquetis d'une épée, et Stella hurle toujours à plein poumons à côté de lui, tandis que la pauvre nourrice s'efforce de les apaiser de mots tendrement murmurés, et de paroles rassurantes. Mais la seule chose qui le rassure, c'est de voir apparaître dans l'encadrement de la porte la silhouette du Beaurepaire. Marianne le lâche et il court se jeter dans ses jambes. Il les ceint de toute la force de ses petits bras, y enfouit son petit minois ravagé de larmes, son nez coulant, les hoquets de son chagrin et de ses craintes d'abandon. Alors, Arsène pose les sacoches sur le dressoir, se défait de son arme et s'accroupit à la hauteur du mini-Corleone. Il essuie ses joues, et quand l'enfançon jette ses bras autour de son cou, il le soulève.

– Là, calme toi p'tit homme. Je ne pars pas.

Les pleurs de Stella cessent en même temps que ceux de son frère, et la voix douce de Marianne chantonne doucement quand sa main maternelle caresse la joue de porcelaine de la petite. Milo n'a pas décoché un sourire, ses petits sourcils sont froncés et il n'ose pas dénouer ses bras du cou d'Arsène. Il a livré bataille, il est épuisé. Alors, l'homme congédie la nourrice et souffle les chandelles, ne prenant soin d'en laisser qu'une, et il s'installe sur le lit avec l'enfant. Assis, le dos au mur, il a allongé le petit et a remonté la couverture sur ses épaules. Il le berce en lui parlant doucement de sa mère, de ce jour prochain où elle contera pour lui de belles histoires en le couvrant de baisers. Et Milo, apaisé, finit par s'endormir. Yoln s'impatiente sûrement dans la salle commune, et la nourrice attend sans doute de pouvoir récupérer la chambre qu'elle va partager les jours prochains avec les deux enfants. Mais qu'importe, le Beaurepaire a bien assez de patience pour eux tous réunis quand il s'agit de ne pas entendre pleurer cet enfant auquel il s'est peut-être un peu trop attaché.
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Lison_bruyere
Aux alentours de Fougères, 31 octobre 1467


Recroquevillée près d'un feu de camp, Fanette se reposait. Elle n'était pas si mal. Les flammes crépitaient, et, paupières closes elle pouvait imaginer que c'était celles, bienfaisantes, de la cheminée de sa chambre, à Limoges, quand elle était encore, au temps du bonheur, l'épouse aimée du Corleone. La couverture, bien que malodorante, ajoutait à sa quiétude, lui apportant une chaleur supplémentaire, elle qui avait cru geler jusqu'au creux de ses os dans le froid humide des cachots alençonnais. C'en était fini de la peur. La providence avait encore placé Eirik Gjermund sur son chemin. Il l’emmènerait jusqu'à Brest, elle retrouverait ses enfants et pourrait oublier ses cauchemars des derniers jours.

Un homme, attiré par la chaleur du feu s'était approché silencieusement, la main posée au pommeau de son épée. Sans doute la fauvette était-elle trop fatiguée pour être prudente, puis, elle savait le Nordique à portée de cris. Celui qui s'avançait était bien trop proche quand elle perçut le bruissement des feuilles mortes sous ses pas. Elle se redressa rapidement, et resta interdite, détaillant la silhouette presque familière, haute et fine, l'arrogance du maintien. Le regard d'azur vint l'effleurer et elle se tassa sur elle-même, bien honteuse de sa mine crasseuse et fatiguée. Il marqua la même surprise qu'elle avait eue en le reconnaissant, bien qu'elle ne sache dire avec certitude lequel des deux frères Beaurepaire se tenait face à elle.

– Fanette ?
Elle ne su répondre que d'un hochement de tête, tandis qu'il s'approchait vivement.
– On vous pensait encore à Alençon.
– Le courrier, il disait que vous attendriez en Bretagne, j'allais à Brest, répondit-elle, un peu hésitante.
– Je n'ai pas pu résister à venir, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Yoln est avec moi.

Il s'était baissé à sa hauteur pour retirer sa couverture et la couvrir du mantel qui le protégeait du froid. Elle glissa un regard gêné dans le sien, devinant enfin l'identité de l'homme qui se tenait trop près d'elle pour le pas constater le manque d'hygiène auquel elle était contrainte depuis son arrestation.

– Arsène ?
– Qui d'autre, rétorqua le jeune homme, lui offrant un sourire rassurant tandis qu'il resserrait les pans du vêtement autour d'elle. Vous en avez sûrement plus besoin que moi.

La jeune mère ravala sa honte pour une autre question qui lui tenait trop à cœur. Elle craignait qu'il n'ait eu l'intention d'amener ses enfants en Alençonnais, malgré la menace angevine, et pourtant, elle ne songeait qu'à les retrouver au plus vite, et pouvoir enfin les serrer dans ses bras.
– Mes enfants sont ici ?
– Non, ils sont à Rohan. Mais ils vont bien, Marianne s'occupe d'eux, et Dante garde un œil dessus.

Elle s'affaissa légèrement, à la fois rassurée qu'il ne leur ait pas fait prendre de risque et déçue de ne pouvoir les embrasser dans l'instant. Elle était heureuse de le revoir. C'était sans nul doute le moment le plus doux qu'elle avait vécu depuis des jours, mais elle était trop éprouvée pour que son visage ou sa voix puisse exprimer autre chose que la fatigue et l'inquiétude qui l'avait tenue trop longtemps.
– Cette femme que vous avez embauchée, j'ne sais comment je pourrais vous remercier Arsène, vous et votre frère. Votre frère, il doit me détester.
– Peut-être pas encore à ce point mais pas loin, et moi avec. Si son visage s'était fendu d'un sourire amusé, la jeune mère craignait d'avoir pu jeter la discorde entre les jumeaux. Elle garda un instant le silence avant de souffler :
– J'suis désolée.
Peut-être imprima-t-il un léger mouvement de tête, elle n'aurait su le dire, tant elle n'osait plus soutenir son regard. Ses yeux restaient rivés à ses mains pâles, qu'elle tortillait nerveusement sur ses jupes.
– Vous saviez qu'on vous recherchait ?

Elle laissa échapper un soupir. Ils y étaient. Elle leur avait causé suffisamment de tort pour qu'il soit en droit de l'entendre s'expliquer. Alors elle lui confia le récit de l'arrestation, les geôles, la fièvre, le froid, le déroulement du procès, la condamnation. Elle n'omit qu'une chose, le déclencheur de tout cela, le coup de poignard donné dans l'intention de tuer, un soir où l'occasion lui avait été offerte de réclamer vengeance. Elle n'avait pas besoin cependant d'en dire plus. Il savait. Elle avait été bien sotte de penser l'inverse. Après tout, il avait envoyé un homme enquêter, ce même homme qui avait retrouvé sa trace lui avait rapporté également les raisons de son arrestation. Alors elle poursuivit une longue et pénible confession. Puisqu'il savait cela aussi elle lui expliqua tout ce qui l'avait conduit à ce geste, depuis l'odieux crime commis par Montparnasse sur une enfant du clan Corleone, jusqu'à la fin de ses recherches, sans omettre un seul détail, des plus sordides aux plus révoltants. Elle craignait qu'il puisse lui en vouloir, décider qu'elle n'était pas quelqu'un de fréquentable, la renvoyer chez elle. Limoges et l'auberge du loup avaient toujours été son refuge, mais, l'homme qui l'y attendait à présent soufflait à tour de rôle le chaud et le froid sur sa vie, et ne sachant pas l'accueil qu'il lui réserverait, elle craignait le jour où elle devrait reprendre sa place d'épouse à ses côtés. Elle n'y était assurément pas prête là, alors qu'elle venait juste d'échapper au gibet. Mais la voix bienveillante d'Arsène la ramena à une autre espérance.

– Vous avez besoin de vous retrouver, et de retrouver vos enfants. Je vous ramène auprès d'eux, Rohan n'est qu'à deux jours d'ici environ.

C'est à cet instant que les digues cédèrent. L'émotion qu'elle tentait de contrôler depuis le début la débordait et roulait à ses joues, éclaircissant d'or son regard rougi de larmes. Malgré tout ce qu'elle lui avait dit, il ne s'effrayait pas. Il avait même ajouté, sur le ton d'une boutade, qu'il finirait par la garder définitivement en Bretagne. Elle sentit un bras réconfortant l'envelopper et s'abandonna mollement à l'étreinte, soulagée de la perspective prochaine de pouvoir serrer ses enfants contre elle, quand elle avait craint de ne jamais plus les revoir.
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Arsene.b
      [ Aux alentours de Fougères, 31 octobre 1467 ]


    Aussi surprenantes que furent les retrouvailles, le Beaurepaire les apprécia pour ce qu'elles furent, un soulagement de la voir devant lui, malgré son apparence dégradée, ou son visage pâle et fatigué. Et il devait admettre qu'au delà du soulagement, c'était le plaisir de la revoir. Lui avait-elle manqué ? Il ne saurait le dire mais l'avoir à nouveau là avait rendu à l'homme soucieux un semblant de sourire, sourire qu'il n'avait su donné jusqu'à ce jour à son fils. Puis étaient venu les confessions, les aveux, les explications. Sans se montrer pour le moins du monde effrayé, il avait découvert tout un pan de sa vie, des pièces de son puzzle qu'il put replacer, comprendre. Non au contraire, il avait compris combien elle avait été elle aussi victime de ces multiples vengeances. Quelle mère n'aurait pas souffert de l'absence de son enfant, pour le peu qu'elle y tient autant que Fanette aimait les siens ?

    Quoiqu'il en soit, il n'avait pas cherché à la repousser, au contraire même si cela ne devait être qu'une fois, Arsène s'était montré présent, lui offrant un bras pour l'entourer, la laisser se décharger de la tension accumulée par ce procès, ces deux semaines de peur et de craintes, de manque avec ses petits qu'elle retrouverait. Il évoqua les recherches, les informations reçues à Thouars de la bouche de la maire et de son compagnon, de Max Rogulien leur homme sur place. Tout ce qui eut besoin d'être dit, le fut, jusqu'à ce que l'homme ne lâche une légère plaisanterie, qui n'en était qu'une à demi, sur le fait de la garder en Bretagne. Pourquoi ? tout simplement parce que ses détracteurs semblent tous se donner rendez vous à Limoges régulièrement quand ils n'y vivaient pas déjà. La préserver ? Sans aucun doute, à la fois de ce lourd passif que de son présent qui n'est pas plus glorieux auprès d'un homme qu'il n'estimait pas une seule seconde. Et la réponse lui avait amené un sourire


    - Ce serait ... Si vous aviez le pouvoir de tout changer ... mais... je crois que ce n'est que dans les contes ... ma vie est autre
    - Elle vous appartient pourtant, la vie est faite des choix que nous faisons bon ou mauvais
    - J'ai fait le choix d épouser un homme qui saurait me protéger d'archibalde Alzo ... mais, je ne sais pas comment me protéger de lui
    - Alors laissez le, et laissez nous vous protéger ici sur le sol breton

    Le ton était presque tendre, comme une proposition sincère qu'elle était, son regard s'attachant au sien. Elle rétorqua une fois encore avec ce lien qui les liaient, cet homme et elle, le droit d'un époux sur son épouse. Alors soit, il n'y connaissait rien en mariage, en sentiments mais il était sur d'une chose que si un jour il devait se marier tel que l’exigeait son père, il exigerait de son épouse la fidélité et le respect, tout autant qu'il lui donnera ces deux choses sans restriction. - Ne mériteriez vous pas d'etre heureuse ? Je veux dire vraiment heureuse, loin de tout soucis avec vos enfants ? Une fois de plus l'idée de la garder à ses côtés lui revenait. Le châtain sourit légèrement, parviendrait-il à la convaincre de prendre le courage de changer de vie ? Il s'y emploierait. Mais il n'avait pas insisté, pour relever le sérieux du sujet d'une nouvelle plaisanterie, comme quoi elle n'était pas prête à se débarrasser de lui. Oh non il tenait à avoir sa visite personnelle de la Bretagne, alors non même si elle l'avait cru, il ne la chasserait pas pour profiter de ces prochaines semaines avec elle.

    Et le sujet changea, on évoqua les enfants. Le beaurepaire tenta de lui raconter les difficultés affrontées avec les deux minots orphelins de mère quelques jours, sans pour autant chercher à l'inquiéter. Bien au contraire, il tourna plus souvent les anecdotes sur le ton de la plaisanterie, bien qu'il fallait admettre qu'ils en avaient bavé ! Heureusement la nourrice recrutée pour les seconder avait été d'une aide précieuse pour le trio masculin qui avait entouré les deux enfants de Fanette.


    - Et après les premiers jours passés, ça a été mieux, la petite s'est fait à son changement d'alimentation, et votre fils .. et bien les journées allaient, le matin je le passais avec lui,, l'après midi souvent il allait avec Yoln après une sieste - somme toute une routine s'était installée, de sorte que chacun, hormis Dante qui avait esquivé les petits autant que possible rendus impatient par leurs pleurs réguliers. - Et le soir.. une fois encore j'étais là.. il dormait avec moi - un aveu qui amena un sourire sur le visage masculin. S'il ne pouvait nier avoir eu du mal à savoir faire avec l'enfant, aujourd'hui il se félicitait d'avoir réussi à obtenir sa confiance et ce besoin de lui pour le rassurer le soir venu. Il avait réussi à passer outre son angoisse en ce qui concerne les mini humains pour assurer avec eux, dans leur quotidien. Puis on reparla des séances de chevauchée avec Yoln, si bien que la jeune femme, retrouvant peu à peu le sourire lâcha une petite vérité

    - Je crois que cet enfant m'échangerait contre la promesse de monter chaque jour à cheval

    Un amusement qui tira sur les lèvres adultes deux sourires complices. Il devait bien admettre que Milo adorait ces moments là. Arsène chassa les remerciements et la reconnaissance derrière une fausse indifférence. Si c'était à refaire, il le referait sans hésiter. Et pourtant elle insista que rien ne pourrait lui être refusé après tout ce qu'il avait pu faire pour ses enfants. Immanquablement le jeune homme songea à une forme de remerciements qui n'aurait sans doute pas effleurer l'esprit de la jeune femme, alors quand elle le questionna sur l'inconvenance d'une possible demande, il sourit en guise de réponse. Un autre que lui en profiterait à son avantage, et il mentirait s'il disait qu'il n'en aurait pas fait de même si ça avait été une autre qu'elle. Mais non... il avait une certaine forme de respect pour ce petit bout de femme qui malgré les douloureuses aventures étaient encore débout prête à se battre pour sa vie et celles de ses enfants.

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Lison_bruyere
L'après-midi s'était écoulé au rythme des confidences, mais le soleil ne tarderait pas à venir accrocher la silhouette sombre des grands arbres qui bordaient la clairière. Arsène s'absenta le temps de prévenir Yoln et de rapprocher les chevaux. Fanette de son côté, put expliquer à Eirik les retrouvailles hasardeuses en pleine forêt avec les deux hommes qui s'étaient lancés sur ses traces et qui se chargeraient de la ramener à ses enfants, laissés en sûreté à Rohan. Elle lui avait proposé de se joindre à eux, mais le Nordique, taiseux, la sachant entre de bonnes mains, avait préféré reprendre sa route seul, ainsi qu'il en avait l’habitude le plus souvent. Elle avait eu un petit pincement à le voir s'éloigner sur son immense cheval, précédé d'un chien encore plus gros que Huan, si c'était seulement possible.

Eirik, par un hasard heureux, s'était toujours trouvé là pour la tirer de mauvais pas, et cette fois-ci plus encore que les précédentes. Malgré tout, elle était soulagée et heureuse qu'Arsène l'ait retrouvée. Tout d'abord parce qu'il s'était occupé de ses enfants, et qu'il était à même de leur parler d'eux longuement, et de lui permettre de vivre par procuration ces longs jours de séparation. Il était peut-être une autre raison, mais elle ne la comprenait pas bien. Elle avait apprécié chacun des moments passés en compagnie du Beaurepaire à Limoges. Il lui avait offert l'occasion de renouer à ses rêves et à ses désirs de voyage. Il parlait bien, puis, elle devait admettre qu'il était beau garçon, ce qui ne gâtait rien. Il l'avait maintes fois fait sourire, parfois rire. Mais ici, c'était encore bien différent. Quand elle réalisait tout ce qu'il venait de faire pour elle et pour ses enfants, elle en était émue. Tant de sentiments s'étaient disputé son cœur, la frayeur, le désespoir, le chagrin, la souffrance, et c'est comme si une déferlante avait tout balayé, cédant place à l'espoir, la compassion, la tendresse, l'amitié. Il n'était guère plus qu'un inconnu qui lui avait offert un travail, et pourtant au-delà de cette triviale relation se jouait sans doute quelque chose de plus dense, qui rendrait son retour à Limoges bien difficile. Alors, elle s'efforçait de ne pas en faire cas, préférant le voir comme son employeur.

Pourtant, elle s'était troublée d'une confidence, un peu plus tard. Etait-ce la proximité du feu, celle d'Arsène, la fatigue ? La discussion était anodine et petit à petit, la fauvette se détendait, et si son visage était encore creusé des épreuves passées, le sourire se faisait plus franc et plus facile. Le sujet de conversation s'était, sans trop de surprise, de nouveau attardés sur les enfants, et le ton était léger.
– Vous avez appris une chose ordinairement dévolue aux femmes, vous savez endormir un enfant de dix-huit mois, lui avait-elle dit, un brin moqueuse.
– Vu ainsi, j'admets en être fier. Je voulais tout faire pour qu'ils soient bien, c'était important pour moi.
La sincérité qu'il venait de mettre dans cette affirmation atteignit en plein cœur la jeune mère qui laissa échapper un « oh ! » de surprise. Elle lui sourit, à la hauteur de l'affection qu'elle avait pour ses enfants et pour ceux qui voulaient les rendre heureux.
– Ça m'touche ce que vous dites là, parce que vous n'aviez aucune obligation.
– Je ne voulais pas vous décevoir, ou vous donner une raison de ne plus venir avec nous.
– Ne plus venir avec vous était une évidence, je serais allée là où vous les auriez laissés. Et pourtant, je n'aurais pas su vous en vouloir si vous les aviez confiés à des personnes capables d'en prendre soin, parce que, encore une fois, vous et votre frère n'aviez aucune obligation envers eux.

Le Beaurepaire n'avait marqué qu'un imperceptible temps d'arrêt avant de poursuivre.
– Puis, ils viendront à me manquer quand vous rentrerez.
Cette dernière phrase était surprenante quand Dante lui avait expliqué combien lui et son frère n'étaient pas coutumiers des jeunes enfants et avaient nulle intention de le devenir. Sa réaction, au-delà de la surprise fut un aveu
– Peut-être que si vous continuez à être aussi gentil avec moi, surtout après les ennuis que je vous ai attirés, c'est vous qui me manquerez quand je rentrerai chez moi.
Elle regretta cette dernière remarque aussitôt qu'elle l'eut formulée et baissa la tête gênée, quand au contraire, il l'enrobait d'un regard amusé tout en lui souriant. Fanette remercia le ciel déjà sombre de la nuit, et les flammes du feu qui sans doute dissimuleraient le rouge qui venait de s'étendre à ses joues. Non qu'elle ne le pensât pas, mais il était sans doute peu convenable de le dire. Elle le connaissait si peu, puis, elle était mariée, elle ne voulait pas qu'il s'imagine des choses qui n'existaient pas, à moins que ce soit elle qui voulait surtout pas s'imaginer qu'il puisse s'attacher un tant soit peu à sa personne. Arsène avait été clair, il n'avait fait peu de cas de ses remerciements, comme s'il jugeait normal ce qu'il avait fait pour les deux enfants qui n'étaient pas les siens.

Un peu plus tard, quand ils s'étaient remis en route, elle ressassait les paroles échangées. Elle ne pouvait pourtant arriver qu'à un seul constat. Elle devrait rentrer à Limoges tôt ou tard, et ce retour serait bien difficile, qu'elle accepte de se l'avouer ou non. Plus elle tentait d'y voir clair dans ce qu'elle ressentait, moins elle comprenait. L'heure n'était guère aux questions existentielles, la fatigue alourdissait ses paupières. C'était cela, ces ressentis où la gratitude bien naturelle se mêlait à des sentiments plus confus, elle le devait à l'épuisement des jours précédents qui l'attirait dans les limbes du sommeil. Elle finit par s'affaisser contre Arsène et s'endormit, bercée par le pas de sa monture.
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Arsene.b
      [ Rohan - Matinée du 2 Novembre 1467]


    Après l'arrêt à Rennes, offrant plusieurs heures de repos et de bains à sa protégée, les trio formés par deux hommes et une femme avait repris la route pour Rohan cette fois. Et de là, les lieues à parcourir étaient devenues une impatience. Une fois encore, Fanette voyagea avec le chatain. L'impatience fût quelque peu dompter par la proximité des corps, chaste mais agréable. Il ignorait pourquoi mais depuis qu'il l'avait retrouvé, que les explications avaient été donné, il avait retrouvé le plaisir d’être dans sa compagnie. Sa voix lui avait manqué, ses histoires aussi. Peut être même plus. De là à se l'avouer, il y avait mille lieues à faire. Aussi une fois arrivés, il fût tout autant soulagé que dérangé.

    Il mena la jeune mère vers une auberge bien précise. D'apparence banale en extérieur, ne portant ni devanture, ni panneau avec un nom, la bâtisse laissait seulement entrevoir des fenêtres nombreuses aux carreaux colorés. Deux étages au plus, d'une façade à pan de bois, et des colonnes entourant la porte gravées de motifs celtes. Il poussa la porte la devançant avec leurs besaces pour la laisser entrer dans une vaste salle commune ou trônait pour l'heure deux tables et ses tabourets. Quasiment centrale, un foyer ou ronronnait un feu , cheminée ouverte qui laissait échapper sa fumée par un toit de pierre remontant vers le plafond. On devinait alors un long conduit pour atteindre le toit. On y trouvait un comptoir, cela allait de soi, une alcove en retrait surélevée. Tout cela n'attendait qu'une chose, être meublé. Silencieux mais un sourire discret sur les lèvres, le jeune homme laissa à Fanette le temps d'observer les lieux pour la mener ensuite vers l'office, passant une porte qui donnait sur un couloir desservant trois chambres, un bureau et une cuisine avec son garde manger.

    Dans la première chambre, il y déposa ses affaires, toujours sans rien dire puis alla pousser la porte de la seconde, face à la sienne pour dévoiler une chambre avec un lit double, les affaires de Fanette et de ses enfants, tout le mobilier adéquate pour en faire un lieu de vie agréable et un berceau. Là seulement, malgré les interrogations dans les yeux féminins, Arsène se contenta de lui rappeler qu'il devait encore l'aider à démêler ses boucles avant le retour de ses enfants, partis sans doute au marché avec Marianne. Elle tenait a retrouver une apparence totalement convenables pour ses enfants, il trouvait ça exagérer mais après avoir comparer l'exercice au démêlage des crinières d'équidés, il avait accepté de l'aider en cela. Et ce ne fut pas aussi aisé qu'il l'aurait cru. Cependant, aussi long que fût le temps nécessaire, il se montra patient et délicat. Manquerait plus qu'il lui fasse mal.

    Et enfin ce fut l'attente, serein Arsène se posta dans le coin de la chambre, observant le pas de la jeune femme. Deux semaines de séparation, deux jours à les savoir non loin. Il espérait, sincèrement que tout ce qu'il allait lui offrir ici et ce séjour breton saurait effacer ses ennuis alençonnais. Il avait encore pas mal à lui dire, mais cela attendrait avant tout, elle devait redevenir la mère qu'elle était en retrouvant ses deux enfants. La porte s'ouvrit sur la nourrice, Marianne, qui tenait par la main Milo, et Stella dans ses bras. Un sourire parût sur le visage masculin. Enfin le moment était venu. Et aussi surprenant que cela fut autant pour la mère que pour Arsène, le gamin choisit les jambes masculines comme premier refuge. La main effleura les cheveux de l'enfant, conscient que c'était pas du tout ce qu'on aurait pu attendre de Milo. Il déglutit.

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Lison_bruyere
Fanette souriait. Elle avait revêtu des habits propres et à sa taille, et le bain l'avait délassé. Sa chevelure embaumait le parfum poudré et délicat, proche de celui de la violette, que laissait la poudre de racine d'iris. Arsène savait démêler le crin de ses chevaux, et il s'en était bien sorti avec ses boucles indociles. Elle y avait passé ses doigts pour s'en convaincre. A présent, elle s'était levée et faisait les cent pas dans la chambre en attendant le retour de Marianne et de ses enfants. Elle était tout à la fois terriblement impatiente et elle appréhendait aussi. Si la séparation avait été brutale pour elle, elle imaginait qu'elle avait dû l'être plus encore pour eux qui n'avait sans doute pas pu en comprendre la raison.

Enfin la porte s'ouvrit sur la silhouette de la femme, une trentenaire au visage souriant, aux cheveux bruns, impeccablement rassemblés dans un chignon, et à la silhouette replète. Elle tenait Milo par la main, et sa petite sœur sur son bras. Le bambin marqua un temps d'arrêt en entrant dans la pièce. La nourrice le lâcha et le poussa doucement vers la jeune femme, qu'elle devina être sa mère. La fauvette étira un large sourire et se baissa à la hauteur de l'enfant toujours immobile. Un instant, le regard de lichen de son fils se posa dans ses yeux, ses petits sourcils s'étaient froncés, traçant sur ses traits poupins une moue dubitative. Il semblait réfléchir.

– Approche Gattino mio.
La voix était enjôleuse, mais l'enfant passa finalement à côté d'elle pour aller se jeter dans les jambes d'Arsène. La jeune mère accusa le coup et se releva. Une lueur de chagrin couvait dans le regard qu'elle adressa au Beaurepaire. L'enfançon, les bras enroulés aux jambes de l'adulte tourna un minois contrarié vers sa mère. Il l'observait fixement. L'adulte, doucement avait dénoué les bras du gamin pour s'accroupir à ses côtés et souffler quelques mots à l'oreille enfantine. Milo ne bougeait pas. Il écoutait, son regard de lichen obstinément planté dans celui de sa mère sans que son visage ne trahisse quelque émotion que ce soit. Fanette continuait de lui sourire, même si son cœur se délitait. Elle avait l'impression de revoir le petit garçon qu'on lui avait ramené quelques mois plus tôt, celui qui l'avait longuement jaugé avant de lui accorder sa confiance et ses rires.

Marianne s'était mise en retrait, et berçait toujours la plus jeune en agitant devant elle la petite poupée de chiffon. La fauvette aurait pu laisser à son fils le temps de s'acclimater pour cajoler le nourrisson, mais la douleur était bien trop vive pour qu'elle sache faire autre chose que de rester là, à attendre que Milo décide de la suite. Arsène continuait à confier un secret à l'oreille du bambin. Elle décela un changement, presque imperceptible. Les traits enfantins semblèrent se délier, et l'attitude était moins roide. D'un léger signe de tête, le jeune homme l'invita à s'approcher. Elle ne se fit pas prier, s'abaissant à son tour à la hauteur du mini-Corleone. Il ne bougea pas d'un pouce, continuant à observer le sourire qu'elle s'efforçait de lui conserver. Et, au bout d'un temps qui lui sembla interminable, il finit par lui sourire à son tour. Fanette se releva, l'arrachant du sol pour le caler à son bras et l'enfant se mit à rire, déclenchant à son tour le rire et le soulagement de sa mère. Elle le fit tourner dans les airs avant de s'affaler sur le lit avec lui et le couvrir de baisers qui ravivaient des éclats de bonheur.

Stella réagit à l'agitation et se mit à pousser des cris en gigotant. Marianne la rapprocha. Fanette délaissa un instant le bambin pour récupérer sa fille. Ce fut bien plus facile et immédiat avec elle. Elle répondit d'un sourire à la voix douce de sa mère, tendant ses petites mains vers les boucles blondes. Blondine se recula sur le matelas, pour trouver l'appui du mur, serrant contre son cœur la Piccolina et attirant avec la même tendresse son fils vers elle. Elle serait bien restée ainsi tout le jour et toute la nuit, à chérir ses deux petits. Peut-être ressentaient-ils le même sentiment de plénitude car soudainement, ils s'étaient faits silencieux, semblant apprécier eux aussi l'étreinte maternelle.
La fauvette releva un sourire un peu ému vers la nourrice et Arsène. Son regard leur exprimait la gratitude que les mots ne pouvaient dire, prisonniers d'un sanglot qui nouait sa gorge. Elle inclina la tête à leur encontre quand ils se retirèrent, la laissant aux retrouvailles.

Si elle devait décrire le bonheur, il serait cet instant.


    Soirée du même jour.

Les voix résonnaient encore dans la vaste salle commune, tant elle était peu meublée et déserte. Arsène en faisait le tour, l'air pensif, et Fanette l'observait. Sans doute perçut-il le regard dont elle l'enveloppait, il s'approcha.
– L'endroit vous plaît ?
Elle balaya la pièce du regard, s'attardant sur le vaste foyer qui trônait au milieu.
– C'est chaleureux, et grand, très grand.
– Vous vouliez me remercier n'est-ce pas ?
Un instant, son regard s'éclaira d'un éclat de malice. Il étira le sourire plein d'assurance de celui qui sait que le jeu lui est favorable. Fanette se souvint de ce qu'il lui avait dit quand elle lui avait exprimé sa gratitude. Elle lui était redevable, aussi avait-elle promis de ne rien refuser de ce qu'il lui demanderait. Elle comprit que le moment était venu.
– Et pour vous remercier, je dois accepter ce que vous allez me proposer.
Il acquiesça. La malice de son regard avait fait place à une mine plus sérieuse.
– Pour commencer, j'aimerais que vous aménagiez cet endroit, la salle comme l'étage, peu importe le coût..
Elle prit connaissance du vélin qu'il lui tendit, mais, alors que sa bouche s'arrondissait de surprise, les premiers clients poussaient la porte pour venir joyeusement s'installer autour de l'une des deux tables. Elle roula le document dans sa poche et s'appliqua, un peu émue par ce qu'elle venait de lire, à leur servir à boire. Elle reprenait ses habitudes, tâtonnant un peu pour trouver la vaisselle sur le grand dressoir, et les différentes boissons qu'on pouvait lui réclamer. De temps à autre, elle offrait à Arsène le sourire qu'elle réservait aux clients. Et si elle prenait plaisir à sa tâche, si le soin qu'elle devait prendre des convives, tant que leurs bavardages chassaient le souvenir pénible des derniers jours, des milliers des questions se bousculaient sous sa tignasse blonde.

Elle dût attendre que la salle commune se vide de nouveau pour ressortir le document, et le dérouler sur la table.
– Arsène, j'ne suis pas sûre d'avoir bien compris. C'est un titre de propriété n'est-ce pas ?
– En effet, répondit-il brièvement, comme s'il pressentait un refus.
– Vous êtes le propriétaire, mais alors, pourquoi mon nom est-il mentionné ?
– Parce que vous l'êtes aussi.

Sa réponse teintait comme une évidence, quand il ajouta qu'en plus d'être à demi-propriétaire avec lui, elle était aussi la gérante de l'établissement, elle marqua un temps de surprise. Elle allait protester mais le regard clair du Beaurepaire et le léger sourire qui relevait le coin de ses lèvres l'en dissuadèrent. L'offre était si généreuse qu'elle en était gênante. La raison voulait qu'elle la refuse, en dépit de sa promesse, mais l'envie d'échapper quelques semaines de plus à Limoges et à son époux, mieux, l'engagement de devoir régulièrement être présente sur ces terres iodées qu'elle avait toujours aimées était plus que séduisante. A moins que ce ne fût la perspective de revoir régulièrement l'homme qui lui faisait face, et de partager avec lui une entreprise commune. Elle chassa cette dernière pensée de son esprit en lui retournant un sourire, et finalement, tenta le discours de raison.
– Ça fait beaucoup de choses Arsène. Etre propriétaire avec vous, je n'en ai pas les moyens, et la gérance, c'est une charge importante.
– Les moyens, c'est moi qui les apporte, vous ferez le reste. Et vous aurez une partie des recettes tout comme moi.

La messe était dite. Pour chaque remarque qu'elle pouvait faire, il avait une réponse. La proposition du Beaurepaire doublerait ses revenus, et si elle parvenait à un accord avec le sire Ducastel pour l'achat des denrées, ici comme à Limoges, elle pourrait économiser considérablement, ce qui lui permettrait de payer un salaire régulier à la jeune Mahaut, pour l'auberge du loup. Bien sûr, cela ne tenait nullement compte de l'avis de son époux. Il y avait fort à penser qu'il verrait d'un mauvais œil cet engagement qui la tiendrait éloignée du Limousin plusieurs semaines par an, d'autant plus s'il apprenait qu'Arsène en était l'instigateur. Il avait eu déjà quelques réflexions désagréables à la veille de son départ, quand bien même il l'y avait autorisé. Elle craignait qu'il ne lui refuse le droit d'accepter, et n'exige son retour immédiat. Et pourtant, en relevant son regard de noisette vers celui du jeune homme, elle choisit de faire fi de l'avis de l'Africain. Elle était hors de portée et hors de vue, elle pouvait bien agir comme il lui plaisait. Il serait temps de craindre sa réaction quand elle rentrerait à Limoges, mais ce n'était pas prévu pour demain fort heureusement.
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Dante..
Ce ne fut pas simple lorsqu'Arsène prit les routes pour aller retrouver la trace de cette dame qui avait laissé ses enfants, enfin laissé ... les autorités ne lui avaient guère laissé trop de choix, ce qui nous rendit dans cette fourberie d'imprévues continuelles invivable.
Je dû rester sur mes gardes, quelque jours durant, à surveiller la nourrice, les marmots, et le soldat que j'avais engagé pour surveiller la troupe...
C'était un travail de tous les jours, une attention de chacun instant, la peur de voir de nouveau s'envoler le plus grand, d'entendre pleurer la petite, d'avoir de nouvelles envies de les étouffer chacun dans leur sommeil ...
Non je ne suis pas un meurtrier, mais rien n'empêche les envies, aussi fortes soit elles.
Fort heureusement, la réception de la missive de la Duchesse me fit changer ma vision de ce voyage, voila que nous étions sur la ville de Rohan, et selon la carte, il ne me restais deux jours de voyage pour arriver sur la ville de Brest, je méditais longuement les possibilités qui me restais, devoir rester à surveiller cette troupe, ou partir, les laissant chacun là, pour qu'ils attendent Arsène et Fanette...
Le choix était plutôt vite pris pour ma part, mais je me laissais à la réflexion, car ces petits monstres étaient trop inventif pour créer des ennuis et en aucun cas je n'aurais admis être responsable de leur disparition.

Durant la journée, je pris la décision d'embaucher deux autres gardes de plus pour surveiller la marmaille, donnant des consignes précises à chacun, que dès l'arriver de son frère et de la mère que je sois prévenue par coursier, mais qu'en attendant, aucun d'eux ne devaient lâcher du regard les petits hommes qui ce trouvait accompagné de la nourrice.
Sans plus tarder, je montais sur ma monture et pris la direction de Brest, laissant là les derniers ennuis.

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Lison_bruyere
    Brocéliande, 4 novembre 1467

– Attendez que je vous ai mené dans cette belle forêt près d'ici, et vous aimerez plus encore ces terres.
– Demain ? 
– Demain ? 
– Pourquoi pas, si nous ne partons que mardi ? 

C'est ainsi que ce matin du quatre novembre, alors que le jour n'était pas encore levé, Fanette s'esquivait discrètement de sa chambre après avoir embrassé ses enfants encore endormis. La nourrice déjà aux aguets s'était montrée pour la tranquilliser et assurer le relais. Elle gratta à la porte du Beaurepaire et gagna la cuisine pour emballer rapidement quelques vivres dans un linge.

Sur l'horizon est, l'aube crevait le rideau de la nuit. Une à une les étoiles s'éteignaient, cédant place à un camaïeu de mauve. Quelques lambeaux de brume filaient encore au ras du sol. Assise devant la selle, les deux jambes pendant du même côté, la jeune femme avait noué sa main aux longs crins noirs de Sancho. L'animal cheminait d'un pas rapide, aiguillonné par l'air vif du matin. La fauvette indiquait la route, hésitant parfois sur une direction, mais bientôt, la végétation se fit plus dense, et le chemin sembla rétrécir, serpentant entre chênes et hêtres.

– Je reconnais Arsène, elle commence ici. 

Le surprenant sans doute, elle se laissa glisser le long de l'épaule grisonnante du cheval pour retrouver le sol, et tourna un regard aussi impatient que malicieux vers le cavalier.

– Descendez ! Mieux vaut poursuivre sans lui, ce sera plus facile, les sentiers sont étroits. 
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Lison_bruyere
    5 novembre 1467


Fanette avait tiré les lourds rideaux de velours du coche qui l'éloignait de Rohan. Milo, allongé sur la banquette, la tête abandonnée aux cuisses maternelles, dormait, comme sa petite sœur qui ne s'était même pas réveillée quand on l'avait sortie de la chambre pour prendre la route. Dans la pénombre de la voiture, elle devinait les contours de Marianne. Le menton de la brune piquait vers sa poitrine, et sa tête tressautait au rythme des cahots du chemin, trahissant tout comme les enfants son endormissement. L'Angevine écoutait les bruits au-dehors, les claquements de langue du cocher qui encourageait ses bêtes, leur souffle bruyant quand quelque chose les surprenait, le trot régulier des montures de Yoln et d'Arsène. Au loin, elle percevait parfois le cri d'un rapace nocturne, ou le glapissement fugace d'un renard.

Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, en proie aux mille questions qu'elle s'efforçait d'oublier le jour. La vie lui offrait un tournant inattendu qu'elle venait d’envisager sans se préoccuper de son époux. En avait-elle vraiment le droit ? La laisserait-il faire ?
L'amour était étranger à l'union à laquelle elle avait consenti au jour de ses dix-neuf ans, mais elle ne pouvait nier que l'Africain se soit montré tendre et patient, apprivoisant ses résistances jusqu'à lui laisser entrevoir un avenir plus serein, et sans doute une certaine forme de bonheur, pour elle et ses enfants. Elle s'était même plu à croire qu'un jour elle saurait l'aimer, en dépit de leurs différences. Puis il s'était fait autre, dur et inflexible. Il avait laissé s’immiscer entre eux une catin de Montpellier qui promettait de porter ses enfants quand Fanette s'en effrayait. Il l'avait humiliée, ne se cachant pas de proposer sa couche à une troisième femme, en riant du prix dérisoire contre lequel Pierre Loiselier avait accepté de lui confier sa fille. Et quand elle fut trop blessée pour se donner à lui, il s'imposait encore, parce qu'elle était son épouse et qu'il en avait le droit.

Elle ferma les yeux, le visage froncé d'amertume à ces souvenirs trop récents. Ses doigts glissèrent tendrement dans les cheveux de son fils. Elle perçut la voix d'Arsène qui discutait avec Yoln et rouvrit les yeux sur l'obscurité de la voiture. Le Beaurepaire l'avait surprise ce soir. Elle se repassa le fil de leur conversation, un peu plus tôt, quand elle évoquait ce mariage, la sécurité que lui avaient offerte l'Abyssinien et l'obéissance qu'il attendait en retour.
– Finalement, ce que je ne veux pas, il lui est arrivé de me l'imposer.
Elle se remémora l'éclat glacé dont s'étaient paré les yeux d'Arsène en se posant sur elle. Jamais encore elle ne lui avait vu cette expression.
– Alors, vous n'y resterez pas quand nous irons, avait-il déclaré d’un ton déterminé.
Elle avait répondu d’un simple hochement de tête, marquant un accord tacite en fuyant son regard. Voulait-il vraiment la soustraire à Tyrraell ? Avait-elle le droit d'accepter quand elle était liée à l’ébène, à qui elle s'était engagée à donner une seconde chance après qu’il se soit excusé de ce qu'il lui avait fait endurer ? Elle ne savait rien de cela.

Ce qu'elle savait, c'est que le Beaurepaire lui laissait entrevoir tout ce qu'elle avait perdu ces dernières semaines, de rire, d’insouciance, d’espérance, et qu’elle avait envie d’y céder de nouveau. Il se pourrait aussi qu’elle ne fut pas insensible à sa gentillesse, sa prévenance, au soin qu’il avait pris de ses enfants ; peut-être aussi à l’assurance tranquille qui émanait de lui, et aux éclats que le soleil posait dans le châtain clair de ses cheveux. Dans son regard d’azur profond couvait l’impétuosité de la jeunesse, enjolivée d’un sourire charmeur quand l’Africain affichait pas loin du double de son âge, et que l’âpreté de sa vie s’était gravée à son visage. Elle chassa cette dernière pensée peu convenable pour une jeune épousée et reporta son attention sur le filet de nuit qui glissait dans la voiture par un espace infime entre le rideau et le montant de la portière. L’obscurité ne permettait de distinguer guère plus que les bords du chemin, mais le défilement hypnotisant des bas-côtés obscurs, ajouté au bercement de la voiture finirent par l’entraîner dans le sommeil. Sûrement, l’attelage laissait derrière lui les collines du Rohannais. Elle s’éveillerait au matin dans les landes de la Cornouaille, qui s’étendaient des escarpements rocheux des monts d’Arrée jusqu’à la côte sud. La magie de ces paysages sauvages, la proximité de ses enfants, et l’aimable compagnie du Beaurepaire chasseraient à nouveau les questions de la nuit.
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Arsene.b
    [ 6 novembre 1467 - Sur les routes bretonnes à plusieurs lieues de Brest ]


Une pause en pleine campagne. Sans doute déjà sur les fameuses terres de Ouessant dont il avait consulté la carte trouvée. A mesure qu'il s'approchait de Brest, son coeur battait plus fort. Son jumeau n'était plus très loin. Même si Dante n'avait rien eu du type agréable que lui connaissait ces dernières semaines, il devait admettre que comme souvent lorsqu'ils devaient se séparer, le manque de son double se faisait ressentir quand bien même il n'en montra rien alors. Et ce malgré le courrier resté sans réponse, qui l'avait inquiété. Au fond de lui il savait que son frère allait bien mais il ne serait pleinement rassuré qu'en le voyant. Le beaurepaire avait laissé Fanette et ses enfants dans une clairière après avoir allumé un feu avec la jeune mère pour les tenir un minima au chaud, bien que à l'abri des courants d'air ici, et il s'était éloigné pour chercher cette solitude dont il était adepte parfois.

Immanquablement, parcourant les chemins alentours, il repensait à ce dernier mois écoulé. A sa rencontre avec la jeune mère, à ce plaisir de discuter avec elle, et l'entendre surtout parler de tout et rien. L'accueil fait en l'auberge de Limoges avait marqué le jeune homme. Le carnet ensuite, cette mère qui avait pleuré la perte d'un enfant, cette mère qu'il avait découvert comme aimant profondément ses deux enfants. Cette mère qui avait finalement représenté celle que lui avait perdu. Des les premiers jours il s'était attardé de plus en plus souvent et tardivement avec elle. Il avait appris quelques brides de son histoire, tout comme il en avait confié quelques unes des siennes. Si bien que le châtain se surprenait d'avoir pu en dire autant sur lui, alors que ce n'était pas dans ses habitudes. Et pourtant, faire semblant avec la jolie tenancière de Limoges, il n'y arrivait pas. C'était fort simple pourtant, avec elle, il ne savait qu'être lui même, l'homme qu'il aimerait pouvoir être en permanence, celui dont on avait brisé l'enfance par une éducation rigide et implacable. S'il n'avait pas eu Dante pour affronter cette enfance, là, qui sait ce qu'il serait alors devenu.

Fanette lui offrait tant, sans même s'en rendre compte. Rire, cette impression de ne pas avoir à contrôler la moindre de ses paroles, de ne pas avoir à se doter d'un masque et de cela Dante l'avait aussi ressenti, au vue des instants partagés à Limoges. Il avait même approuvé que cette jeune femme puisse leur servir de guide pour rejoindre la Bretagne, quitte à la payer pour cela. Alors les deux hommes si semblables s'étaient employés à le convaincre de venir avec eux. Au début, en effet ce fut pour le Arsène la volonté d'avoir à appréhender les terres bretonnes d'une autre façon, puis il devait admettre que cela avait mué en une envie simplement qu'elle puisse venir, y voyant autant cette possibilité pour lui de découvrir la Bretagne au travers de ses contes ou légendes mais surtout la soustraire à un quotidien qui barrait son front d'un pli soucieux ou de ternir son regard pourtant si vivant quand elle évoquait les voyages et ses découvertes. Et il fallait bien le reconnaître, cette envie là n'était pas anodine.

Puis il y avait eu la disparition, les recherches, les gamins à assumer. Alors oui aussi surement qu'elle l'avait dit plusieurs fois, les Beaurepaire auraient pu les confier à d'autres, un couvent ou un orphelinat ou encore les confier à leur grand mère à Limoges mais étrangement, Arsène n'avait su s'y résoudre, quand bien même il avait été incapable de dire ou elle était passée, l'idée même de renoncer à l'infime possibilité qu'elle ne lui revienne, l'avait poussé à se surpasser et à garder les deux enfants à leurs côtés, même si cela avait plus qu'agacé son frère. Et il était fier d'avoir réussi à apprivoiser les deux gamins, si bien que sur la fin du trajet, les tensions s'étaient un peu apaisées avec eux. Dante aurait seulement besoin de plus de temps pour se détendre, il en était conscient, il lui avait imposé le moins possible son choix. Tout cela pour en arrivait à aujourd'hui, ou le jeune homme avait offert à la jeune mère toutes les raisons du monde d'oublier ses soucis, autant les plus récents que ceux à Limoges. Certains pourraient y voir une folie, lui une envie de la voir sourire, rire. Et il fallait admettre que c'était une réussite à ses yeux.

Plus tard il la retrouva près du feu de camp, avec Milo endormi contre elle. Il avait souri au tableau. Une fois encore ils avaient échangé avant de ne se séparer, elle pour veiller sur ses enfants, lui pour s'éloigner à nouveau. Il avait partagé son repas avec Yoln, en silence. La présence de cet homme même si elle était discrète, avait une part d'appréciable. Il savait qu'il avait veillé sur Fanette, et forcement, de l'apprendre, le savoir, et même de savoir qu'il avait partagé l'inquiétude à son sujet quand ils attendaient de ses nouvelles, le lupin devait admettre qu'il avait confiance à Yoln pour le seconder si jamais. Ci tôt le repas terminé, laissant leur compagnon de route à ses réflexions, ignorant encore le pourquoi de ce besoin de rester en retrait, Arsène était immanquablement revenu vers le feu de camp, non sans du bois pour animer le feu. La fraîcheur du soir était tombé et avec elle, le froid humide de la région. Le beaurepaire déposa son fardeau, pour ajouter le bois dans les flammes avant de porter son regard clair sur la jeune femme, emmitouflée dans une couverture. Il lui offrit un sourire avant d'évoquer quelque chose qu'ils avaient déjà prononcé.


- Finalement, vous avez raison le printemps pour voyager plus tard sera bien

Ce qui sous entendait qu'elle resterait à Bretagne jusqu'à là pour épargner à sa plus jeune fille, le froid hivernale qui ne manquerait pas de tomber bientôt. Et l'idée avait plu au châtain. Si bien qu'il ajouta sur le ton de la plaisanterie, sans que cela en soit une, que Noël en Bretagne ne serait pas si terrible, Fanette ne trouva à rétorquer qu'une chose, que la jeune Nébulae qu'il avait rencontré aussi à Limoges voulait passer la fête avec la bouclée et ses enfants, allant jusqu'à même demander si elle pourrait venir. Il avait répondu par l'affirmative, intérieurement ravi de la voir envisager avec autant de faciliter de rester plusieurs mois en Bretagne. Il y a quelques temps encore, elle aurait surement protesté. Et le sujet avait dérivé

- J'appréhende un peu demain
- Au sujet de mon frère ?
- Je n'voudrais pas qu'il soit fâché à cause de ce que je vous ai fait
- C'est pas comme si on vous avait donné le choix
- Oui, j'sais ... mais le résultat pour vous, quelles qu'en soit les raisons, est que vous vous êtes retrouvé à devoir prendre soin de mes enfants, et qu'en plus, j'ai privé votre frère de votre présence à ses côtés
Je ne suis qu'une conteuse que vous avez embauchée, vous auriez eu le droit de ne moins vous donner de peine, je vous ai causé quelques tracas

- Je vous l'ai dit, s'il vous reproche quoique ce soit..
- Vous ne vous attraperez pas pour moi hein, il ne faut pas
- Ne vous en faites pas pour cela
- Non .. enfin .. pour être honnête, si, un petit peu
- Au pire, cela ne durera pas


L'allure désinvolte à ce sujet avait clos la discussion. Il ne pouvait pas prédire la réaction de Dante mais pour la première fois de sa vie, il était prêt à s'opposer à son frère pour la préserver elle de remontrances qui n'auraient pas lieu d'être. Elle avait au fond été assez punie du fond de ses geôles en Alençon, et il savait Dante assez intelligent pour s'en souvenir. Et à la faveur d'une pénombre troublée par la danse des flammes, la jeune Loiselier lui servit un conte, que lui inspira le panneau de l'endroit "la tanière du dragon" Arsène qui s'était calé contre une souche d'arbres avait souri, pour l'écouter parler. Il aimait le ton de sa voix alors, tantôt chaude, tantôt plus suave quand elle mêlait l'attente à la découverte de la suite de l'histoire. Le son qui venait à ses oreilles, l'apaisait, et il se plut à entendre le fameux conte sur le dragon des pays d'orient ou plus loin encore.

- Elle vient d'un pays si lointain que je ne suis pas sûre que quelqu'un ici, ait déjà pu y aller, ni même en avoir l'idée.

Cette terre s'étire le long de la mer. Dans le nord se trouvent de hautes montagnes dont les sommets sont, dit-on toujours baignés de brume.

Aucun roi et aucun seigneur ne régnaient sur les basses terres bordées d'eau.

Les hommes qui vivaient là n'étaient en rien pareil à nous. Ils étaient très pauvres, plus que moi, c'est dire ! Ils ne savaient pas faire grand-chose non plus, alors ils restaient à la merci des bêtes féroces et de la faim.

Mais il advint qu'un jour, Lac Long Quân vînt se promener dans ce pays.

Ce n'était pas un jeune homme comme les autres. Il était doté d'un extraordinaire pouvoir.

Il pouvait se transformer à loisir, car en réalité, c'était un dragon, un seigneur vivant dans les profondeurs de la mer qui baignait les rives du pays.

Lac Long Quân fut ému de la misère du peuple. Il les débarrassa des créatures trop dangereuses.

Dans sa grande bienveillance, il leur apprit aussi à cultiver une céréale appelée riz et à construire des maisons pour s'abriter du froid et de la pluie.

Il resta avec eux aussi longtemps que nécessaire, ne comptant ni ses heures, ni son énergie pour rendre heureux ses nouveaux amis.

Les hommes lui rendirent bien son aide, ils le vénéraient, et apprenaient à leurs enfants à respecter et aimer le dragon, qu'ils considéraient comme leur père.

Un jour, Lac Long Quân pensa qu'il était temps de laisser les hommes. Il les jugea assez grands pour se débrouiller sans lui, mais avant de disparaître sous les flots, il leur fit une promesse.

Il se porterait à leur secours s'ils avaient besoin de lui. Le temps s'écoula ainsi paisiblement quelques années.

Mais un jour, un cruel et puissant seigneur du nord descendit à son tour se promener sur les plages. Il s'éprit d'abord des paysages, avant de comprendre qu'aucun roi ne régentait la vie des villageois.

Il ne tarda pas à se proclamer Seigneur de ces rivages et asservit la population qui croulait sous les impôts.

Les hommes opprimés finirent par se souvenir de la promesse du dragon. Par une nuit claire, ils se regroupèrent sur la plage et appelèrent d'une seule voix : "Père, père, vient à notre secours !"

Aussitôt, Lac Long Quân sortit des flots et leur apparut. Il n'attaqua pas directement le tyran, mais enleva sa fille unique, Au Co, et l'emmena dans le secret des montagnes acérées du nord.

Oh, bien sûr, on pourrait penser que c'était une erreur, car le seigneur était justement originaire du nord. Mais s'il connaissait les montagnes, il ne pouvait rien contre le puissant dragon.

Il leva une armée pour libérer sa fille captive, il assiégea même la grotte où le dragon la retenait, mais à chaque fois, Lac Long Quân déchaînait contre lui les plus maléfiques créatures.

On pourrait dire que ce n'est pas bien, que cette pauvre Au Co devait être terrorisée d'être ainsi la proie d'un puissant dragon !

Et qu'ici, on aurait bien trouvé quelques valeureux chevaliers pour aller l'occire, peut-être même aurait-on payé des mercenaires sans foi ni loi.

On se tromperait.

Il était avec elle aussi doux et bienveillant qu'il l'avait été avec le peuple, tant et si bien qu'elle finit par s'éprendre de lui.

Et Lac Long Quân succomba lui aussi au charme et à la beauté de cette fragile jeune fille. Il ne la retint plus, mais l'invita néanmoins à demeurer avec lui, et elle accepta.

Son père, lassé de ne point parvenir à libérer une fille qui ne le souhaitait point, fini par l'abandonner et repartit avec ses hommes sur ses terres. Personne n'entendit plus parler de lui.

Lac long Quân fit édifier un palais dans les montagnes.

Le dragon et sa belle y vécurent heureux quelques années au cours desquelles elle mit au monde, en une seule fois, cent garçons.


Fanette esquissa un petit sourire, souvent, à ce moment de l'histoire, l'assemblée réagit d'un oh de surprise et Arsene.b ne manqua pas d'écarquiller les yeux au nombre cent, alors qu'elle lui offrit un regard amusé, pour poursuivre son histoire.

- Mais si Au Co était attachée à ses montagnes, le dragon aspirait à retrouver la mer.

Un jour, résigné à s'en aller, il s'approcha tendrement de Au Co et lui dit : "Vous êtes une fée, et je suis un dragon, nous ne pouvons vivre éternellement ensemble."

"Vous êtes fait pour les brumes de ces montagnes, et je ne me sens bien qu'auprès de l'eau. "

"Voici ce que nous allons faire. Vous demeurerez ici avec cinquante de nos garçons et je descendrai demain m'établir au bord de l'eau avec les cinquante autres."

L'histoire aurait pu être triste, mais Au Co l'accepta, car elle connaissait la sagesse de son époux et savait qu'il parlait toujours avec justesse.

Elle ne pouvait se résoudre à vivre près des rivages, et elle aimait trop le dragon pour le voir s'éteindre loin de l'eau qui lui prêtait la vie. Il fut donc fait selon sa volonté.

On dit que les peuples qui vivent désormais sur les hauts plateaux de ce pays descendent tous des fils restés avec Au Co.

Quant aux enfants établis avec Lac Long Quân, ils fondèrent un royaume, et l’aîné des fils en devint le roi.

Ce fabuleux pays que quelques explorateurs ont peut être découvert, ou découvriront un jour, s'appelle le Vietnam, et ses hommes sont animés d'une grande fierté, car ils sont tous les enfants du dragon.


Fanette glissa son regard dans le sien et esquissa un sourire un peu rêveur, un air que le beaurepaire reconnut pour être celui de l'envie de découvrir d'autres paysages, d'autres terres, même si celles ci étaient forts loin.- Je ne connais ces terres, mais j'ai toujours aimé cette histoire. Car il me plaît de croire que quelque part existent de merveilleux dragons tout aussi puissants, mais bien moins terrifiants que ceux de nos légendes. - Elle garda le silence quelques instants, s'abandonnant à ses rêveries lointaines pour revenir ensuite au présent, ou au passé selon. Arsène posa son regard à nouveau sur sa silhouette.

- J'ai raconté cette histoire un jour au Mans, pour les enfants de la tavernière, vous auriez vu leurs têtes quand j'ai évoqué les cent enfants
- Ah ! mais cent, vous imaginez.
- Oh que non je n'imagine pas

Arsene a déjà du mal à admettre qu'il puisse y en avoir plus d'un même s'il en est une preuve avec Dante, eux qui étaient nés à deux, du même ventre maternel. Il secoua la tête pour chasser l'idée d'en voir cent à la fois, pourtant la jeune femme le questionna, il étira un nouveau sourire.

- Existe t il des animaux pour faire cents petits à la fois ?
- Les poissons
- Oh ... oui, mais ... le dragon vivait dans la mer ...peut être est ce lien alors - La bouclée l'avait alors regardé d'un air plus que sérieux, si bien que l'homme s'en trouva surpris. - Rappelez moi de ne jamais tomber amoureuse d'un dragon

Arsène répondit d'un éclat de rire -j'y songerai ma Féline - Et elle avait souri , non sans ajouter ensuite un conseil judicieux ou non.

- Si je peux vous donner un conseil, évitez les fées de votre côté, surtout qu'ici en Bretagne, elles sont nombreuses, mais je connais un conte sur un homme qui a aimé une fée ... et ...
- Et c'était pas bon ?
- Parait qu'on peut encore le voir aujourd'hui, tant depuis il n'a pas su bouger, il serait dans le sud, pas loin de Marseille ou de Toulon
- Oh c'est loin alors ,peut etre que les fées bretonnes ..
- Ben quand on sait ce que morgane à fait au val sans retour
Au moins, celle dont était amoureux l'homme était gentille, même si pour lui ...

- Non mais.. en fait je ne dois pas tomber amoureux tout court..

Il ne sut pas bien pourquoi il posa ensuite la question quant à savoir si on était amoureux ou non. Il ne l'avait jamais été, son seul amour, était l'amour fraternel qu'il gardait pour son frère. Quand bien même il avait connu des filles, appris leurs charmes et l'art de les séduire, de leur plaire. A vingt ans, on ne pouvait pas le dire innocent à ce sujet là mais vierge d'amour qu'on peut ressentir envers une personne du sexe féminin. Aussi quand elle évoqua des symptômes, il s'en amusa, bien que songeur. Des symptômes comme on en aurait d'une maladie. Elle parla de l'attente des retours de l'être concerné, d'un coeur battant sottement dans la poitrine à la vue de cette même personne, des courriers qu'on guette avec impatience. Fanette l'avait regardé, lui le regard portait sur les flammes dansantes. Au fond de lui il cherchait s'il avait déjà ressenti tout cela. Oui, avec elle enfin pas tous mais d'attendre ses courriers, d'attendre de la retour, de s'être inquiété, pourtant quand elle parla de ressentir tout cela avec le coeur et non pas avec l'esprit ou la raison, il fut bien incapable de désigner lequel gagnerait la partie en fin de compte. Non il l'appréciait, voilà tout. Et malgré tout il avait laché des mots sans les controler - Ou d'envisager un départ avec chaque jour l'envie qu'il recule le plus tard possible - Elle avait acquiescé sobrement. L'homme avait repoussé les interrogations. Elle avait continué à parler, il avait continué à l'écouter. Elle avait aimé le père de ses enfants, c'était lui son exemple en matière de sentiments. Le père beaurepaire avait toujours voulu faire comprendre à ses enfants que l'amour était une faible. Il l'avait tellement répété que les garçons avaient fini par le croire ? Ou du moins inconsciemment, ils s'étaient refusé à tout attachement jusqu'à présent. Un refus qui se trouvait mis à l'épreuve, en ce qui concernait le lupin, même s'il ne savait définir tout cela.

Et pour finir de mots en mots, on en revient à évoquer cet africain, époux lointain mais qui pourtant semblait laisser sur les épaules blondes un poids dont elle ne savait se défaire, même s'il lui avait conseillé quelques jours plus tôt de l'oublier pour savourer son séjour en Bretagne. Elle ne l'aimait pas mais malgré tout il avait réussi à la faire souffrir et en cela Arsène en venait le haïr. Le haïr parce qu'il avait cherché à l'assouvir à son bon vouloir, sans chercher peut être à comprendre ce qu'elle voulait elle. Il devait pourtant savoir qu'elle avait besoin à ce jour de retrouver un certain équilibre, un certain bonheur pour simplement profiter d'être mère, une femme et d'être heureuse. Ce qu'il se persuadait que son époux était incapable de lui donner.

La conversation s'était tue lorsque avisant qu'elle avait froid, malgré le feu. Il lui offrit alors un contact tiède contre lui, la couvrant de sa cape épaisse pour partager sa propre chaleur avec elle. Il savait que cela ne serait pas convenant, mais pourtant il n'avait pu s'empêcher de s'approcher de la tenir contre lui, sagement. Le contact lui avait offert d'apprécier sa proximité, car il savait qu'elle serait rare. Ici alors que les regards se feraient discrets, à vrai dire il n'y songea même pas. Ils avaient continué de parler, s'amusant d'un souffle de dragon, d'une haleine d'un renard, oui pour comprendre le lien, il aurait fallu pouvoir les entendre mais le Beaurepaire devait admettre que ainsi l'un contre l'autre, il s'était détendu, pour savourer uniquement l'instant, n'osant pas bouger de peur d'en rompre l'agréable sensation. Elle avait même fini par s'assoupir contre lui, il avait souri, retardant le départ, même lorsque le cocher discret était venu les voir. La jeune femme remua, il resserra un peu son bras autour d'elle, appréciant le contact lourd de sa tete contre son épaule. Un instant de confiance et d'apaisement que tout deux avaient eu besoin. Plus tard ils étaient en route pour Brest, il s'était résigné à l'éveiller pour l'amener au coche. Sur son cheval aux côtés de Yoln, il garda le silence se remémorant cette soirée tout ce qui fut évoqué, surtout quelques mots qui lui avait réchauffé le coeur, en plus de lui apporter la satisfaction de réussir à la garder en Bretagne.


- J'apprécie votre compagnie Arsène, à vrai dire, j' me sens bien plus à l'aise qu'avec mon époux. Croyez vous vraiment qu'il n'a pas moyen de me contraindre à revenir définitivement
- Vous contraindre si, mais cela ne serait-il pas mieux que ça soit de votre choix ?
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Lison_bruyere
    Brest, 9 novembre 1467

Les complies marquaient le début des heures sombres, où les flammes s'éteignaient pour céder place aux ténèbres. Mais dans la salle commune du tonnerre de Brest, il en restait toujours quelques-unes, bien après que les derniers convives ne soient retournés à leurs maisons, à leurs familles, à leurs gardes... Même le cabaretier renonçait à veiller ces deux-là qui ne semblaient jamais vouloir dormir. Il s'assoupissait sur une paillasse de l'arrière-salle, en attendant de pouvoir revenir, plus tard dans la nuit souffler les chandelles qui maintenaient un semblant de jour en repoussant l'obscurité autour de leurs halos blafards.

Etait-ce le cocon de silence feutré qui encourageait aux confidences ? Tout ce qu'Arsène et Fanette s'étaient livrés de leur vie n'aurait-il jamais pu être dit au grand jour, dans l'insolence d'un soleil tapageur ? Probablement pas, et ce que le Beaurepaire venait de lui confier de ses espérances, quant à ce mariage dont il devrait tôt ou tard convenir, troubla la jeune mère bien plus qu'il ne l'aurait dû. Il avait détourné le regard, peut-être gêné de son propre aveu, qui avait étiré aux lèvres angevines un sourire mêlé de tristesse. Pourquoi ? Il n'était que son employeur et, à plus de cent-vingt lieues, un époux attendait son retour.

Il ne laissa qu'un instant au silence pour dissiper le malaise.
– Puis-je vous poser une question ?
Elle avait acquiescé, sentant l'azur clair de ses yeux posé sur elle.
– Si un jour mon frère me trouve cette possible épouse, vous resterez n'est-ce pas ?
Ce n'était encore qu'une éventualité, du moins, le pensait-elle, et pourtant, elle se rappela soudain cette obligation dont il lui avait parlé, dès leurs premières soirées al lupo, et que, petit à petit, elle avait remisé au loin tant elle prenait plaisir à sa présence.

Le silence s'étira entre eux, elle eut l'impression qu'il les séparait déjà. Alors elle vint chercher son regard, y accrochant l'or qui pailletait ses prunelles et trahissait son émotion. Elle se projeta dans cette déplaisante situation, cherchant à formuler une réponse qu'elle ne savait envisager. Sa gorge se noua, ne laissant passer qu'un maigre filet de voix.
– Serait-ce convenable, finit-elle par demander péniblement.
Il secoua légèrement la tête, avant de répondre sur le même ton posé et monocorde.
– Je ne sais pas, mais, il sembla hésiter, j'aimerais.
D'un aveu répondait un autre aveu, brisé d'une évidence.
– J'aimerais aussi Arsène, mais votre possible fiancée, elle, sans doute que non.

Sa réponse fusa immédiate et affirmée, alors qu'il se rapprochait d'elle.
– Elle n'aura pas le choix.
Elle s'efforça de lui sourire, lui offrant un minois un peu pâle.
– Croyez-vous vraiment qu'elle accepterait de vous épouser s'il était une autre femme que vous aimeriez garder près de vous ?
Il semblait sûr de son fait, se leurrait-il ?
– Vu les avantages que je lui offrirai, je suppose qu'elle pourrait accepter.
Elle baissa la tête, soufflant presque sans le vouloir quelques mots à peine audibles.
– Alors qu'on pourrait vous épouser sans rien de tout cela.
Elle ferma les yeux, comme si le voile de ses paupières suffisait à retenir ses dernières paroles. Pourtant, si elle avait eu la pudeur de ne pas utiliser la première personne du singulier, c'est bien à elle qu'elle avait songé.

De quoi parlait-on, Fanette ne le savait même plus. Il n'y avait rien entre eux, et comment pourrait-il en être autrement quand elle était mariée, et que lui le devrait ? L'aimait-elle ? Certainement pas non, l'amour n'était pas de ces sentiments éphémères qui naissent dans un regard ou une belle tournure.
Si la fauvette exécrait le mensonge, elle était virtuose dans l'art de mentir à elle-même. Là, à cette heure indécente, sentant le regard du Beaurepaire posé sur elle, elle sonda de nouveau le secret de son cœur si douloureux en l'instant. Pourquoi donc l'était-il ? Elle ne savait plus rien de l'amour. Son diable de Corleone avait délité son cœur aux mois de silence méprisants, à son refus d'indulgence, au tranchant des mots qu'il avait désormais pour elle, à la dureté de son visage. Il lui avait fallu du temps pour désapprendre à l'aimer, même son mariage avec l'Africain n'avait pas su en venir à bout, et probablement garderait-elle toujours enfoui aux méandres des regrets, un petit bout de l'amour qu'elle avait eu de cet homme qui l'avait faite femme avant de la faire mère.
Alors non, elle n'aimait pas Arsène, ou peut-être pas encore, simplement parce qu'il lui fallait plus de temps pour comprendre et accepter d'avouer cette sorte de sentiment. Pourtant elle s'y était attachée, doucement, au gré de l'attention qu'il lui portait, de leurs confidences, des rires qu'ils partageaient autant que des projets. Elle se troublait souvent d'une phrase qu'elle aimait à entendre, comme lorsqu'il lui avait confié ne pas avoir de rêves, mais être prêt à partager quelques-uns des siens. Elle aimait quand il appuyait le surnom qu'il lui avait donné d'un adjectif possessif, il ajoutait à cette intimité de sentiments qu'ils ne partageaient que dans des non-dits.
Fanette avait aimé déjà, elle pouvait le nier autant qu'elle le voudrait, cet élan qu'elle avait ressenti pour le Florentin, qu'elle avait espéré un jour offrir à l'Africain, c'est vers Arsène qu'il la portait. Elle sentit une larme traîtresse s'enrouler à ses cils et une main masculine se glisser à sa joue. Elle inclina instinctivement la tête dans la tiédeur de la paume, comme pourrait le faire une chatte recherchant la caresse.

– Je ne voulais pas vous donner une raison de ... Il suspendit sa phrase. Je suis désolé.
De nouveau elle releva vers lui son visage confus.
– Il ne faut pas être désolé. Vous m'avez donné une raison de venir en Bretagne, une raison d'échapper à mon époux, une raison de sourire ...
– Je ne veux pas que ça change.
– Je ne le veux pas non plus, mais j'ai peur que ça change si votre frère vous trouve une épouse.
Elle n'en précisa pas plus mais, au-delà de la crainte qu'elle avait qu'il ne soit plus disponible pour elle, elle avait peur qu'il s'attache à une autre, qu'il en vienne à l'aimer. Que lui resterait-il alors que de brèves espérances et un chagrin de plus pour ternir l'éclat de son regard. Et pourtant, quelle légitimité avait-elle à espérer que rien ne vienne troubler ce qui se nouait doucement entre eux ? Quand viendrait un demain où rien ne manquerait à son bonheur ? Viendrait-il seulement ?

– Je ferai en sorte que rien ne change.
Il scella sa promesse d'un baiser déposé chastement à sa joue, et le contact doux de ses lèvres traça un pâle sourire sur le visage empourpré de la fauvette. Elle acquiesça, la gorge bien trop nouée par le chahut qui se jouait au creux de sa poitrine. Elle devait se l'avouer, à défaut de l'avouer au grand jour, elle était dans de beaux draps.
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Arsene.b
      [ Brest, 10 novembre 1467 ]


    La fin de journée était largement passée quand Arsène s'échoua sur son lit après avoir été raccompagné, soutenu serait plus exact, jusqu'à la porte de sa chambre. Malgré une tentative de dégrisement dans la cour de l'auberge municipal, avec de l'eau bien fraîche, il avait du admettre avoir quelque peu abusé de l'alcool qui avait été offert en quantité par le maire de la ville de Brest. Il avait les idées plus ou moins claires, rien ou presque ne lui avait échappé, mais il s'était senti plus enclin à parler, ou se confier. La parole déliée, il avait, il se souvenait, amorcé une discution. Il voulait savoir, savoir si la crainte de cette nouvelle à venir n'allait pas entacher leur relation, car oui même s'il était prêt à se sacrifier pour leurs projets, à Danté et lui, il avait peur de la perdre. Et ce sentiment de crainte, jamais il ne l'avait éprouvé pour une autre personne que son frère. Allongé dans les draps froissés de son lit, la tête lourde comme une enclume, le lupin en venait à se demander d'où lui venait cette peur. Certes, il aimait chaque moment passé avec elle, il avait appris à côtoyer ses enfants jusqu'à s'y attacher, il aimait les contes qu'elle lui partageait, son côté rêveur qui lui ouvrait des horizons inconnus. Et pourtant.. depuis qu'il l'avait retrouvé au coin de ce feu de camp, depuis qu'il avait ressenti ce soulagement de la revoir, il avait refusé de comprendre ce qu'il se passait.

    Et c'était encore moins maintenant qu'il le ferait. Le sommeil le gagna sur le seul souvenir de sa main sur sa joue, et de cette joue allant à la rencontre de sa paume, comme on recherchait le contact tendre, pour se laisser bercer par la douceur. Elle ne l'avait pas repoussé, et c'est sur cette image là qu'il ferma les yeux. Et étrangement sa nuit fût peuplée de rêves étranges d'une inconnue devant un autel, de Fanette qui se tenait non loin, de lui qui marchait vers elles sans jamais les atteindre. Heureusement pour lui il ne s'en souviendra pas au réveil. D'ailleurs, il ne saurait dire à quelle heure il le sera mais la façon en revanche tira à l'homme un grognement de protestation. Il venait de se faire sauter dessus par une chose non identifiée. Ci tôt qu'il reprit conscience avec la réalité, sa tête se mit immédiatement à vriller, lui arrachant une grimace douloureuse alors que on recommençait à gigoter dans son lit. Il ouvrit un œil pour voir Milo. Nouveau grognement. Le petit scandait son prénom à sa façon, et le beaurepaire pria pour que ça cesse. Un très bref instant il se crut à la place de Dante, il n'y avait encore pas si longtemps avant d'attraper le garnement d'un bras pour le plaquer contre lui, ce qui eut l'effet de le faire rire.


    - Milo...Doucement... doucement s'il te plait !

    La voix etouffée du jeune homme avait très certainement attiré l'attention du petit garçon, si bien que ce dernier se cala contre lui, quelques instants. Il ne fallait pas non plus trop en demander à un marmot de cet âge, si bien qu'ensuite, il se remit à gigoter. Arsène lutta contre son mal de tête pour le chatouiller avant de prendre conscience que le gamin s'était introduit de sa chambre. Il avait oublié de fermer hier ? Sans doute, en tout les cas, les rires firent vibrer ses tempes, il ignora les mauvaises sensations pour redoubler les attaques, non sans laisser le petit reprends son souffle de temps en temps. Vengeance douce vengeance. Une silhouette apparut alors dans l'encadrement de la porte, Fanette. Le regard bleu du lupin se posa sur elle, en même temps qu'un sourire l’accueillit. Elle marqua une moue désolée, en récupérant son chenapan et lui souffla un simple merci se laissant retomber lamentablement sur ses oreillers. Il devait avoir fier allure le Arsène à cet instant, crâne serré dans un étau, les cheveux en pagaille et la tenue... n'en parlons pas non plus. La jeune femme quitta les lieux, refermant derrière elle, Arsène put alors refermer les yeux. Ah oui là c'était un peu mieux. Il se promit d'éviter les excès dans l'avenir. Le cidre brestois était traître.

    Malgré son mal de tête, il en vient à se demander ce qu'elle allait penser de lui alors après avoir vu un état d'ébriété de la sorte. Il n'avait meme pas su monter les escaliers sans son aide. Pas très glorieux pour un homme habitué à maîtriser toute situation. Enfin pouvait-il dire qu'il maîtrisait sa relation avec la jeune mère ? C'était évident que non. Plus les jours passaient, plus il se sentait attirer vers elle. L'envie évoluait, il ne pouvait le nier, il n'en était plus à seulement vouloir la voir, l'entendre parler ou profiter des soirées en tête à tête. Non il voulait plus.. un contact, s'offrir le luxe de la faire rire même si c'était pour un rien, de savourer de la voir heureuse. Comme si à travers son regard noisette, qui reflétait si bien son plaisir d’être en Bretagne, avec eux, avec ses enfants, c'était lui qui vivait par procuration son bien être, alors oui malgré cette possible femme qu'il épouserait, il ferait tout pour que ça ne change pas. Même s'il ne comprenait pas pourquoi il avait besoin de la savoir bien, ce besoin était là et il devinait qu'il ne parviendrait pas à atteindre ses objectifs sans ça.

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