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23/11/1466, balade en Brocéliande

[RP] Balade pour une huître et une fauvette

Lison_bruyere


Forêt de Broceliande, le 23 novembre 1466


Les deux montures dessellées broutaient paisiblement, tirant sur les branches souples auxquelles elles étaient attachées, pour saisir l'herbe forcément plus appétissante qui se trouvait presque hors d'atteinte. Souvent de concert à cisailler les mêmes brins, le toupet abondant du lourd percheron gris se mêlait aux crins noirs de la baie. Au fil du voyage, une coopération amicale s'était installée entre les deux chevaux. L'épais roncin offrait sa croupe aux éléments et semblait faire barrière entre le vent et la jument, qui se flanquaient contre lui tête basse, et, quand une clairière suffisamment vaste permettait de les laisser en liberté, elle devenait ses yeux, et il la suivait docilement, comme un poulain suivrait sa mère.

A quelques toises, en lisière des grands arbres qui étiraient vers un ciel noir leurs ramures clairsemées, le feu crépitait. Les hautes flammes se recroquevillaient parfois, fumant et tempêtant en lançant des gerbes d'escarbilles, et finalement, venaient à bout des bois morts, gorgés d'humidité, pour libérer de nouveau leurs flammèches dansantes. La bâche en cuir huilé était tendue entre les troncs les plus proches. Elle pouvait bien abriter deux personnes de la pluie, et Myr le plus souvent, la laissait à Joanne et Fanette, prétendant que prendre un peu d'eau sur la tête ne lui déplaisait pas.

La fatigue d'une nuit de voyage se faisait ressentir, et alors que l'aube peinait à teinter de mauve les lourds nuages que le vent amoncelait au-dessus de Brocéliande, les deux femmes étiraient leur paresse, enroulées dans de chaudes couvertures. C'était sans compter sur le brun, venu planter sa grande carcasse devant Fanette. Sa main gauche était résolument crochetée au baudrier de cuir qui soutenait une épée courte et joliment forgée, tandis qu'il lui tendait sa dextre, en signe d'invitation.

- T'sens prête ? T'ras l'temps de t'r'poser quand il pleuvra.

Un large sourire vint illuminer le visage de la fauvette. Le rappel des légendes dont il avait nourri son imaginaire au fil des jours précédents vint éclaircir d'or son regard songeur. Elle leva les yeux vers les grands arbres qui bordaient la minuscule clairière où ils venaient d'installer leur bivouac. Sans doute cherchait-elle à deviner dans les troncs noueux, ou dans les quelques feuillages peints de rouille et d'ocre le visage des fées bienveillantes, ou des courageux chevaliers dont le souvenir habitait ces bois. L'espace de cet instant, ses tourments avaient fui les traits pâles, et même les traces de fatigue semblaient s'être estompées, révélant une expression joyeuse que venait adoucir la lueur rêveuse qui couvait souvent au fond de son regard. Elle le glissa dans celui de son compagnon de route, et acquiesça en s'accrochant à la main tendue pour se remettre debout.

La jeune femme se défit de sa couverture, qu'elle déposa sur les jambes de Joanne en la gratifiant elle aussi d'un sourire. Elle passa la bandoulière de sa besace au-dessus de sa tête, rabattit ensuite soigneusement sa cape sur sa gorge et noua le lien qui la refermait avant de couvrir ses boucles indociles de son capuchon.

- J'suis prête !

Le grain de voix, légèrement haut, trahissait l'impatience et l'enthousiasme.
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Myr
    Allant vers Rohan depuis Rennes, les voyageurs avaient monté le camp dans la partie sud de la forêt de Brocéliande. Non pas que ce fut plus rapide ainsi mais Myr jugeait l'endroit plus intéressant. De nombreux petits cours d'eau la parcouraient, abreuvant non seulement la terre mais aussi les airs d'un gargouillement constant qui avait le monopole depuis que les oiseaux s'étaient tus. Myr s'était réveillé tôt, comme à son habitude. Il dormait finalement peu de façon générale. Laissant l'aube prendre un temps qu'il n'avait pas aujourd'hui, il avait quitté le camp pour le ruisseau non loin afin de s'y laver succinctement. L'eau glaciale ne semblait pas le déranger plus que cela, il avait le cuir épais et il était marin : l'humidité et le froid, il avait toujours vécu avec. Serein, il était revenu au camp afin de s'occuper de quelques tâches rudimentaires comme réapprovisionner le feu et lui redonner un peu de vigueur, rouler sa couverture et vérifier que Gripoil n'avait rien à l'issue de cette nuit. Patient, il avait ensuite attendu les premiers signes d'éveil de Fanette, les guettant d'une oreille peu attentive alors qu'il était lui-même plongé dans ses pensées. Myr ne pensait jamais à grand-chose, il était un homme en paix avec lui-même et savait apprécier ce bonheur de n'avoir pas mille tourments occupant son esprit. Quand il jugea que Fanette était suffisamment réveillée pour qu'il ne risqua pas de la brusquer, il se leva pour aller se planter devant elle et lui tendre la main avec invitation orale. C'était toujours difficile de quitter un cocon de chaleur mais il savait qu'elle avait très envie de voir certains lieux dont il lui avait parlé et se faisait donc moteur.

    N's allons à pieds, c'pas loin. On a environ une d'mi heure d'ci au Miroir d'Fées et au Val sans r'tour. Dont on r'viendra ajouta-t-il avec un sourire en coin. 'Suite on aura une p'tite heure d'marche pour la f'taine d'Barenton. On n'prend pas les ch'vaux parce que arriv'ra un m'ment où ce s'ra d'fficile d'progresser 'vec eux et Gripoil risque d'se blesser. Puis j'pas envie d'laisser les ch'vaux t'seuls. T'peux emm'ner l'tien s't'as peur d'fatiguer.

    Myr, contrairement à Fanette, n'exprimait aucun enthousiasme, aucune joie particulière. Pourtant, il était sincèrement content de l'emmener en balade car il savait qu'elle oubliait ainsi ses soucis. Le temps d'une demi-journée, ainsi, ils partageraient leur intérêt commun des mythes et des légendes que la nature animait. Ils la partageaient déjà le soir et parfois une partie de la nuit quand Myr lui racontait l'origine des constellations, la légende arthurienne et divers autres croyances du monde qu'il avait parcouru mais cette fois, Fanette verrait.
    Allant généralement devant pour ouvrir la route, l'homme veilla cette fois-ci à rester à côté de Fanette pour qu'ils cheminent de concert. De tempérament peu loquace quand ils voyageaient, il racontait cette fois la légende arthurienne à Fanette pour passer le temps du chemin, remontant jusqu'aux origines de la légende avec Avalon, île légendaire et centrale dans l'histoire. Les questions de la jeune femme étaient parfois difficiles pour Myr puisque la légende arthurienne était sujette à de nombreuses versions et digressions qui se croisaient et se contredisaient souvent. Il avait cependant bonne volonté et cela se voyait.

    Imperceptiblement, les arbres s'étaient resserrés et, chacun choisissant son chemin pour contourner un tronc, ils menaient une danse constante d'éloignements et de rapprochements. L'automne avait beau avoir fait tomber la plupart des feuilles, il en restait encore beaucoup d'irréductibles, probablement en raison d'un vent qui peinait à pénétrer les lieux. L'étang qu'on nommait "le miroir des fées" n'était plus très loin. Ils y débouchèrent bientôt. Myr se tu et s'assit au pied d'un arbre proche de la berge. La surface de l'eau était parfaitement plane en raison, disait-on, du vent qui ne parvenait pas à souffler dessus à cause de sa ceinture d'arbres très dense. Le silence enveloppait les lieux et le breton ferma les yeux en appuyant l'arrière de sa tête contre le bois. Un sourire bienheureux prit place sur ses lèvres sans qu'il ne le remarqua. La dernière fois qu'il était venu ici, c'était il y a plusieurs années en arrière alors qu'il quittait sa Bretagne natale et qu'il la découvrait en même temps. Il savoura ce moment de calme absolu et rouvrit les yeux un instant.


    'Sieds-toi un peu et ferme l'yeux. C'reposant et apaisant. T'jett'ras l'grain d'blé 'près. Laisse l'paix t'envahir. C'possible.

    Selon la légende, les fées de Brocéliande venaient jeter dans l'eau de l'étang un grain de blé afin de lire l'avenir. Fanette n'avait pas voulu démordre de l'idée d'y jeter elle-même un grain de blé pour savoir si elle retrouverait Milo bientôt, quand bien même elle ne fut pas une fée et ne puisse y lire, par conséquent, l'avenir. Myr, yeux de nouveau clos, força ainsi implicitement Fanette à l'apaisement. Presque chaque soir déjà, il la laissait lui parler de son chagrin, de ses peurs et il l'écoutait avec une attention constante, ne craignant pas de parfois se répéter pour l'aider à avancer. Nouvel exercice donc : laisser le calme envahir son être, au moins un instant.

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Lison_bruyere
Le chien furetait à l'avant, le nez au sol, le relevait parfois, aux aguets d'un bruit, et en trois bonds disparaissait un instant, pour surgir d'un buisson plus loin, haletant, le fouet joyeux. Fanette avait écouté Myr tout le long du trajet jusqu'à oublier sa fatigue. Parfois, son pied buttait au sol irrégulier, alors elle enroulait son bras à un tronc pour se rattraper. Un peu plus loin, elle glissait ses doigts sur l'écorce moussue d'un arbre, juste pour en apprécier la douceur. Mais toujours, son attention était suspendue aux récits du Breton, et finalement, la demi-lieue qui les séparait du miroir aux fées fut vite avalée.

L'étang s'étendait devant eux, abrité d'un vallon peu profond. Une épaisse forêt le ceinturait, et le reflet des arbres roux se mirait dans les eaux lisses. Sa bouche s'arrondit de surprise face à la beauté du site. Quand elle se retourna vers son compagnon de promenade, elle l'aperçut, assis entre les racines d'un hêtre, les yeux clos, tête abandonnée au tronc, dont l'écorce brune se mêlait à quelques mèches rebelles échappées du foulard qu'il portait invariablement. Les traits sereins de son visage, même dissimulés sous la broussaille de ses joues, laisser deviner un discret sourire. Elle sourit à son tour en le voyant ainsi puis, reportant son attention sur le miroir parfait, elle avança de quelques pas sur la berge.

Déjà sa main plongeait dans sa besace, fouillant à l'aveugle pour y chercher le petit pochon dans lequel elle conservait dix grains de blé. Mais la voix tranquille de Myr lui offrit une autre possibilité. Elle posa ses yeux dans le regard du marin, et fut surprise d'y trouver le parfait reflet de l'eau paisible. Elle acquiesça sans un mot et revint sur ses pas. Elle se laissa glisser à son tour entre les racines du grand hêtre et leva le nez vers ses ramures. Le vert du feuillage d'été se teintait à peine de jaune, par touches discrètes, comme si l'automne n'osait pas encore s'y inviter. A côté d'elle, le marin taiseux était retourné au silence, les yeux éteints sur ce paysage pourtant si beau. Elle l'imita, fermant les siens presque à regret, et à défaut de voir, s'attacha à appréhender d'une autre manière ce qui l'entourait. Ses doigts glissèrent lentement jusqu'à se poser de part et d'autre de ses jambes. La terre était légèrement humide, et malgré tout souple et légère. Elle pouvait sentir quelques feuilles mortes sous ses paumes. Les pattes griffues d'un coléoptère escaladèrent maladroitement sa main. Elle rouvrit un œil amusé et reposa délicatement de l'autre côté le petit imprudent qui s'attardait encore dans la saison. De nouveau elle ferma les yeux et calqua son souffle à la respiration paisible et régulière de son voisin. Etrangement, il lui sembla ressentir à travers l'épaisse cape de gros bureau, les dessins de l'écorce de l'arbre. Elle plissa sensiblement le nez, se concentrant encore, et elle pouvait percevoir à présent plus finement encore le contact à son dos, chaque appui rendu plus moelleux par la mousse, chaque relief plus abrupt du bois nu. L'oreille ne distinguait rien, comme si cette terre pourtant balayée par le kornog s'était soustraite à son âme. Aucun clapotis sur les berges immobiles, à croire que les sept fées qui habitaient le fond du lac s'étaient endormies. Même les oiseaux s'étaient tus. A l'exception des notes un peu métalliques des pinsons du nord, l'air ne vibrait d'aucun son. Et pourtant, il était lourd, chargé des brumes du matin, et embaumait des parfums subtils de la géosmine volatile mêlée à celles de l'humus, des champignons et des mousses. Plus rien d'autre que cette nature paisible occupait les sens de la fauvette, ressentant avec force tout ce que ses yeux ne pouvaient voir derrière le rideau de ses paupières. Le matin s'était suspendu à cet instant, comme si cette forêt tout entière était hors du temps.

Quand elle rouvrit les yeux, un peu plus tard, elle eut l'impression qu'une journée complète s'était écoulée, mais au-dessus du gris des nuages, le soleil semblait à peine poindre, dans les couleurs du petit jour. Elle laissa échapper un soupir. Non pas de ceux chargés d'inquiétude et de peine qu'elle nourrissait pour son fils et son époux perdus, mais de ceux qui accompagnent les sourires. Si Roman, en faisant d'elle son épouse, lui avait laissé entrevoir l'avenir, les bonheurs de mère, une vie confortable ponctuée de quelques voyages, assortie des craintes qu'il ne finisse un jour, percé d'une lame ou pendu à une corde, Myr la ramenait constamment à son passé. Non celui où elle n'était qu'une petite sauvageonne transie de froid, se gardant du monde et des grandes villes, mais l'autre, celui de la vagabonde à la candeur presque enfantine, qui posait chaque matin le même regard émerveillé sur les couleurs de l'aube, s'enthousiasmait du chant des oiseaux, riait du vent qui emmêlait ses boucles et rêvait de marcher jusqu'aux confins du monde.

Profitant qu'il n'ait rouvert les yeux, Fanette laissa encore un instant son regard dériver sur cet étrange compagnon de route, taiseux et solitaire et qui pourtant avait le don de tromper ses inquiétudes et adoucir ses chagrins. Elle esquissa un sourire un peu mélancolique, en gardant à l'esprit qu'un jour ou l'autre, bientôt, il la rendrait à sa vie, pour reprendre la sienne où il l'avait laissé avant de venir lui faire escorte. Puis, précautionneusement, comme si elle craignait de briser le silence apaisant, elle se leva, pour aller s'agenouiller sur la berge. Elle se pencha, cherchant à apercevoir sous la surface l'une des fées qui saurait répondre à ses questions. En vain, le miroir parfaitement lisse du lac ne lui renvoyait que son reflet, nimbé du feuillage des grands arbres qui ceinturaient les eaux. Elle se releva pour extraire de sa besace l'un des grains de blé et se tourna vers le Breton. La jeune femme était patiente, et si l'air froid mordait ses extrémités, elle ne l'appela pas, préférant attendre en silence qu'il ne reporte son attention sur elle. Elle le gratifia alors d'un brin de malice.

- Les fées veulent pas se montrer Myr. Je vais le jeter moi. Qu'ai-je donc à y perdre ?

Elle accompagna sa phrase d'un geste ample, pour jeter le grain à une toise environ du bord. Il s'enfonça doucement, provoquant quelques infimes risées concentriques, qui vinrent troubler la surface de l'eau. Et son regard attentif scrutait les images qui pourraient bien s'y former. Le reflet des grands arbres et du ciel nuageux se mit à danser un instant au gré des vaguelettes, pour retrouver bientôt le miroir calme à l'exact écho, mais à aucun moment, elle ne discerna le visage tant espéré de son enfant. Elle tourna vers le brun une petite moue, presque déçue, avant de la chasser dans un sourire résigné.

- J'aurai essayé.

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Myr
    Le marin savourait la plénitude des lieux. Depuis son plus jeune âge, Myr avait ce goût prononcé pour le calme et le silence. Rien d'étonnant à ce qu'il ait quitté sa ville natale, sans cesse agitée de bagarres, de beuveries et de cris. Il en gardait pourtant les gènes, Fanette le verrait quand ils atteindraient la mer, qu'il éprouverait un plaisir intérieur à arpenter les quais et à écumer les tavernes portuaires. Pour aujourd'hui, il était encore l'homme en paix qui retrouvait ses racines de la plus douce des manières. Il ne ressentait pas le regard de Fanette sur lui, focalisé sur le silence aux alentours et dans son propre fort intérieur. Ce ne fut que lorsqu'il réalisa qu'il avait entendu le bruit de quelqu'un qui se relève qu'il ouvrit les yeux, accueillant la luminosité de l'étang dans ses yeux bleus. Il adressa un sourire en coin à Fanette quand elle lui annonça qu'elle lancerait le grain de blé elle-même. Il n'en disait rien mais s'étonnait souvent de sa candeur, comme si ses voyages et les Hommes lui avaient déjà appris qu'on ne pouvait pas s'émerveiller des histoires du monde qu'il racontait. Fanette les appréciait sincèrement, en raffolait presque et ça étonnait Myr. Il en était cependant content car il s'appliquait ainsi à lui transmettre les histoires qu'il connaissait, certaines coutumes bretonnes aussi, et il savait que, l'espace d'un moment, elle parvenait ainsi à se déconnecter de son chagrin.

    On sait comme ça qu't'es pas une fée. D'solé.

    Il lui offrit un sourire tout de même amusé et se leva sans précipitation. Il fallait reprendre le cheminement pour arriver au Val sans Retour. En ressortant de l'autre côté du Miroir aux Fées, et une fois la forêt moins épaisse, Myr pointa du doigt une pointe rocheuse au-dessus d'eux.

    C'là qu'on va. Là-haut, c'est l'rocher d'Faux-Amants, t'souviens ? 'Vec l'chevalier qui a trompé l'amour d'la fée Morgane et qui a déclenché l'maléfice d'Val sans R'tour. On y s'ra dans une d'mi heure 'ssi.

    Le chemin était plus rocheux, il montait mais de façon raisonnable. Myr n'aurait pas emmené Fanette dans une entreprise trop fatigante à son état. Il était un homme bourru et taiseux mais malgré tout particulièrement attentionné. Délicat, il calquait ses pas à ceux de Fanette, prêt à lui offrir son bras ou sa main en appui et soutient. Ils traversaient ensemble la brume bretonne qui s'accrochait aux feuilles orangées, passaient quelques ruisseaux frais et vigoureux qui descendaient en petites cascades successives vers la vallée. De temps à autre, ils croisaient des animaux qui les regardaient avant de s'éloigner lestement et apercevaient des poissons. Ici, la nature était maîtresse et le silence du Miroir aux Fées semblait déjà loin, noyé sous des gazouillis d'oiseaux, la communication de quelques espèces endémiques et le chant de l'eau.
    Ils parvinrent finalement en haut de la crête rocheuse et s'approchèrent de deux rochers remarquables, accolés ensemble. Myr s'y adossa pour regarder le paysage qui s'étendait devant eux. La forêt de Brocéliande s'éveillait. Il esquissa de nouveau un sourire et regarda Fanette.


    'Fait, c'sont eux les deux amants changés en pierre l'informa-t-il en désignant du pouce les deux hauts rochers contre lesquels il s'était négligemment adossé. La beauté du paysage passerait toujours avant quelque légende que ce fut pour Myr.

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Lison_bruyere
Elle s'était efforcée de ne pas perdre des yeux les faux amants, sentinelles minérales, qui semblaient surveiller la sente colonisée par les herbes folles, qui serpentait jusqu'au sommet. Au fur et à mesure, les arbres se faisaient plus rares, cédant la place à une végétation basse, s'étalant entre les affleurements de schistes rouges. Quelques rares fleurs jaunes subsistaient encore, aux tiges épineuses des ajoncs, mais c'était le rose des bruyères qui s'exhibait tapageusement. Fanette s'attardait à chaque fois que l'une d'elles bordait de trop près le sentier. Depuis l'enfance elle aimait passer ses mains dans les bruyères, retrouvant ce contact à la fois dru et doux, pour peu qu'on sache les caresser dans le bon sens. Et étrangement, ce souvenir d'enfant la ramenait à ses plaisirs de femme, quand son diable rentrait de voyage, et qu'elle égarait ses doigts à la broussaille de ses joues qu'il tenait d'ordinaire soigneusement glabre. Elle s'efforça de chasser le souvenir de l'Italien, pour ne garder que le plaisir de cette marche, au cœur de cette forêt baignée de légendes.

Le sommet n'était plus très loin, mais force était de constater que son ventre, aussi discret fut-il encore, la ralentissait. Elle s'accrocha au bras de Myr pour s'acquitter des derniers pas, en s'efforçant de museler le sifflement de sa respiration. Pour rien au monde elle ne lui aurait avoué sa fatigue ou son essoufflement, même s'il le percevait sans doute. Avant l'enfant qui l'alourdirait bientôt, avant Milo un an plus tôt, elle avait pour habitude de marcher et de courir, et si sa petite taille ne faisait pas d'elle la plus véloce, son endurance ne l'avait jamais trahie.

Enfin le sommet s'étendait là, devant eux. Le chien les avait devancé. Il attendait, couché, sa lourde tête posée sur ses deux pattes avant, au milieu d'une vaste plate-forme rocailleuse, dont le sol se hérissait de petits feuillets rocheux, soulignés de rares touffes d'herbe. Fanette calquait ses silences à ceux du marin, et suivit la direction de son regard, pour laisser tomber ses yeux sur le paysage qui s'étalait au-dessous. Un sourire étira ses lippes rosies par l'effort. Les grands chênes, dont le feuillage se teintait d'or et de pourpre côtoyaient les pins, aux épines éternellement vertes, et la forêt tout entière étendue à leurs pieds se drapait dans les voiles d'une brume dense.

Myr rompit le silence le premier pour lui préciser l'emplacement des deux amants pétrifiés, contre lesquels, sans leur prêter d'importance, il s'était adossé. Elle le regarda, presque amusée et prit un peu de recul pour les admirer. Puis, se rapprochant, elle laissa courir ses deux mains sur le rocher, cherchant à en comprendre chaque relief, comme si la pulpe de ses doigts pouvait révéler un secret que ses yeux ne savaient voir, celui du visage des infortunés amoureux.

- Fallait-il que Morgane soit cruelle pour jeter un tel sort ? J'espère bien qu'elle ne se montrera pas.

Elle colla son oreille contre chacune des deux hautes pierres.

- Peut-être que leurs cœurs battent toujours, prisonniers de leur gangue minérale. Tu ne crois pas Myr ?

Elle se concentra, pour en percevoir le battement, en vain. L'air ne vibrait que du seul le chant des oiseaux. Et parmi eux, elle reconnut celui d'une fauvette. Il était peu ordinaire d'en entendre si tard dans l'automne, mais elle s'émerveillait toujours des notes claires et flûtées, qui égalaient en mélodie celles pourtant réputées du rossignol. Elle se retourna pour s'adosser à son tour à la roche et tenta de l'apercevoir, mais le plumage discret de ces timides petits passereaux les rendait presque impossibles à distinguer au milieu des ramures. Elle tourna la tête vers le Breton, lui indiquant du menton la direction du chant.

- Tu entends ? C'est une fauvette. Quand Milo était encore avec moi, j'allais chaque matin, après les corvées, m'allonger avec lui dans l'herbe sur les berges de la Vienne, et nous les écoutions.

Elle marqua une petite pause, se remémorant ce bonheur simple dont on l'avait cruellement privé.

- Je lui aurai appris à les reconnaître tu sais. Son père aurait fait de lui un Corleone, courageux et déterminé, mais moi, je lui aurai appris tout ça …

Sa main s'éleva, pour désigner d'un geste large ce qui s'offrait à leur vue.

- Les oiseaux, les arbres, le gris du ciel, le vent ...

Elle se tut, effleurant d'un regard mélancolique le sommet des grands arbres qui émergeait de la brume. Ils restèrent là, reclus dans un silence contemplatif, bercé du pépiement des passereaux, du martellement d'un pic épeiche en quête de nourriture, ou du cri strident d'un épervier. Ce fut Huan qui donna le signal du départ. Le grand chien se leva soudainement pour se remettre à fureter. Quand un lièvre déboula devant lui, il se lança à sa poursuite et disparu dans la sente qu'ils avaient emprunté à l'aller. Le rouge que l'effort avait étalé aux joues de la fauvette s'était dissipé, et sa respiration était redevenue tranquille depuis un bon moment. Myr décida qu'ils pouvaient reprendre leur promenade, et invita Fanette à redescendre dans le vallon.

La fontaine Barenton se trouvait à presque une lieue et demi du miroir aux fées, et il fallait s'enfoncer plus au nord dans Brocéliande pour l'atteindre. Le chemin ne présentait pas de difficultés, mais la jeune femme cheminait lentement, se ménageant de temps à autre quelques pauses pour boire à l'outre que le brun avait emmenée, ou simplement, reposer un instant ses jambes, en s'asseyant sur une racine ou une pierre. Elle suivait le reste du temps son guide, se délectant du paysage sylvestre, sublime en cette saison. La brume rampait au-devant, sur une hauteur de deux coudées, et semblait se dissiper à leur passage pour se refermer derrière eux. Elle ne perdait pas une miette de ce qui les entourait, s'émerveillant des reflets métallique d'un geai, du bruit feutré de leurs pas sur le tapis de feuilles ou des parfums d'automne.

Il leur fallut une bonne heure et demie pour atteindre la fontaine, mais une impression étrange serrait le cœur de Fanette depuis qu'ils avaient traversé le ruisseau du val Guyon. Sans souffler mot, elle jetait de temps à autre un regard en arrière, pour s'assurer que personne ne s'était glissé dans leurs pas. Elle se demanda s'il arrivait vraiment que les légendes prennent corps et se rassura de ne pas distinguer la plainte grinçante d'un essieu. Du reste, elle n'était pas sûre que l'Ankoù hantât cette forêt. Myr avait évoqué pour lui un autre lieu de Bretagne. Il n'en restait pas moins la cruelle Morgane, aussi, la jeune femme fut-elle rassurée quand le marin annonça qu'ils étaient presque arrivés. Les arbres se faisaient en effet moins denses, et ils débouchèrent dans une clairière sombre, cernée de brouillard ondulant entre les grands fûts dressés vers le ciel gris du matin. En son centre, la fontaine ressemblait plus à une faille peu profonde, ourlée de pierres grises qu'à une fontaine, telle que se l'était imaginée Fanette. Elle s'en approcha, curieuse de voir l'eau froide bouillir. Huan s'était précipité dans l'onde, brouillant la surface qu'il lapait avec avidité. Elle voulut le pousser, mais fut surprise d'un bruit derrière elle. Du coin de l’œil, elle saisit le regard attentif de Myr qui scrutait lui aussi l'orée du bois. Elle se redressa sensiblement et referma sa dextre sur le collier du chien. A son tour, elle sondait les environs, ne parvenant à distinguer que la brume immobile d'où émergeaient les troncs. Mais de nouveau, l'étrange sensation l'enveloppa, un frisson lui glaça l'échine quand elle sentit à ses côtés le chien se mettre à gronder sourdement. Elle resserra l'étreinte sur le collier et doucement, le tira hors de l'eau et se recula, jusqu'à se poster tout à côté du Breton, et si dextre tenait toujours fermement le dogue, senestre se glissa dans la grosse paluche du brun. Sous le couvert des arbres, dissimulés dans la brume, il lui sembla distinguer deux yeux d'ambre rivés sur eux. Elle souffla d'une voix blanche.

- C'est pas Morgane, hein ?
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Myr
    L'homme s'était assis au pied des rochers fusionnés, admirant la forêt qui s'étendait face à eux. Ils n'étaient pas fondamentalement haut en terme d'altitude mais Myr sentait ce petit vent caractéristique des hauteurs souffler sur son visage bourru qu'une barbe brune commençait à orner. A l'approche de l'hiver, le marin laissait bien volontiers la nature l'équiper contre le froid. Son regard perçant étudiait l'horizon pour déterminer le temps à venir : la pluie les accompagnerait sans doute dans les prochains jours. Il quitta sa réflexion pour relever la tête vers Fanette à sa question à la fois enfantine et poétique. Lui, qui n'était ni l'un ni l'autre, était fatalement rabat-joie. Il s'efforça cependant de ne pas se laisser l'être cette fois.

    J'crois qu'les éléments ont une forme d'âme mais pas d'vie 'vec un coeur, t'ça...

    Il perçut le chant des oiseaux mais n'y prêta aucune attention. Myr avait de dramatique que, aimant par dessus tout marcher, il avait déjà tant vu que seul l'inconnu semblait pouvoir l'émerveiller. La présence de Fanette lui réapprenait cependant à apprécier ces choses simples de la vie et de la nature. Les yeux bleus du marin parcoururent les arbres alentours à la recherche des fameuses fauvettes. En vain. Il reporta donc son regard sur Fanette.

    T'lui apprendras à les r'connaître vu qu'tu vas l'retrouver. Et puis 'rrête d'dire qu'Roman en aurait fait quelqu'un d'courageux et d'terminé ; tu trouves qu'il est courageux et d'terminé là ? Moi j'le vois pas 'tour d'nous.

    Myr se releva et frotta ses braies, devancé par le grand chien qui avait décidé de sonner le départ. Il comprenait que Fanette ne parvienne pas à tourner la page avec Roman, à dire vrai ce n'était pas vraiment son problème, mais il ne saisissait en revanche toujours pas pourquoi elle refusait de voir son absence et son abandon comme des faits qui ne méritaient, sinon mépris, au moins un néant d'admiration. Il secoua légèrement la tête, patient dans ses mots qu'il savait toucher juste tout de même et fit demi-tour avec Fanette pour gagner la fontaine de Barenton qui se trouvait plus au nord. Le chemin serait un peu plus long cette fois.
    Sa démarche avait quelque chose de très mécanique, de presque hypnotisant, tant elle était révélatrice de ce pour quoi elle était : marcher. Un pied devant l'autre et c'était tout, c'était aussi naturel et irréfléchi que de respirer pour Myr. L'homme veillait toutefois à ne jamais presser Fanette, rythme calqué au sien, s'asseyant lorsqu'elle prenait une pause pour n'exercer aucune pression en donnant lui aussi la sensation qu'il se reposait. Lorsqu'ils parvinrent à la fontaine, son gargouillement était audible et, bien qu'elle pouvait sembler brûlante à cause des bulles qui apparaissaient parfois à sa surface, aucune vapeur n'en émanait et elle restait très froide. Myr s'assit sur les pierres qui encadraient la fontaine, laissant ses pieds au-dessus de l'eau sans se préoccuper plus du bruit qu'il avait entendu lui aussi qu'en parcourant l'orée des arbres du regard. Un chevreuil, un lapin ou même un renard pouvait en être à l'origine. Toutefois, lorsque Huan se mit à gronder, le marin se releva , alerte et méfiant. Il ne savait pas ce qui pourrait apparaître et lui faire peur mais mieux valait rester sur ses gardes. L'homme pressa légèrement la main que Fanette venait de glisser dans la sienne pour la rassurer et, avant qu'il n'ait eu le temps de répondre, distingua enfin une masse derrière les arbres.


    N'fais pas d'bruit intima-t-il à voix basse.

    La démarche lourde et le poil épais, un ours venait d'émerger, visiblement dérangé durant sa promenade par ces deux marcheurs inconnus. Il respirait très fort et grognait, apparemment plus surpris que menaçant. Myr le fixait et pencha légèrement la tête pour conseiller Fanette :


    Tiens Huan. N'bouge pas.

    L'animal fit quelques pas vers eux tout en restant à très bonne distance, se leva sur ses pattes arrières et gronda durant de longues secondes. Il devait ainsi facilement mesurer plus d'une toise de haut et peser plus de mille livres. Myr glissa lentement sa main au couteau qu'il portait à sa ceinture, prêt à réagir en cas de menace imminente. L'ours retomba sur ses pattes et décida finalement de s'en retourner, ne jugeant pas les deux voyageurs comme une menace. Ce ne fut que lorsqu'il disparu totalement et qu'il ne l'entendit plus que Myr s'autorisa de nouveau à respirer.

    C'bon. C'tait qu'un ours.

    "Q'un" ours. Myr savait combien ils pouvaient être dangereux, ces animaux courraient vite malgré leur poids et leurs griffes et leurs crocs pouvaient tout lacérer en moins de temps qu'il le fallait pour le dire. Dans les pays du nord qu'il avait visité, jamais on ne chassait l'ours seul et rarement en face à face, c'était dire, mais on savait aussi s'en protéger au détour d'une rencontre en ne bougeant pas. Une chance sur deux que cela fonctionne selon l'endroit du territoire où on se trouvait et la saison. La chance avait souri à Myr et Fanette.

    Donc, l'fontaine d'Barenton... L'légende dit qu'si on déverse d'l'eau d'la fontaine sur les pierres 'tour, un orage et une tempête éclatent immédiat'ment. J'aim'rais 'tant qu't'essayes pas celle-là.
    Par contre, on dit 'ssi qu'c'est là qu'Merlin rencontra la fée Viviane (c't'une gentille elle) et qu'ils t'bèrent amoureux. D'coup, on dit qu'si une jeune fille jette une épingle d'la fontaine en faisant l'voeu d'trouver un homme et qu'la fontaine fait d'bulles, ç'veut dire qu'son voeu s'ra exaucé.


    Myr esquissa un bref sourire, retrouva sa position assise avant que l'ours ne vienne les déranger, et laissa son dos trouver le sol doucement. Il croisa les mains sur sa nuque et observa le ciel et les oiseaux y dansant. Il ne voulait pas savoir si Fanette jetterait une épingle dans l'eau ou pas, l'homme considérant que ce geste (ou absence de geste) était trop révélateur des états de Fanette pour qu'il y posa les yeux. C'était son choix et cela devait rester entre elle et son cœur, aucun regard, pensait-il, n'avait à observer impudiquement ce choix. Il préféra donc ainsi, l'air de presque rien, se détourner pour regarder le ciel.

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Lison_bruyere
Comment pourrait-elle retenir un dogue plus lourd qu'elle s'il lui prenait l'idée de bondir sur l'animal sauvage ? Malgré tout, ses doigts resserrent encore leur prise sur le collier à s'en faire blanchir les phalanges. Et entre la main fermement accrochée au cuir, et les pieds solidement ancrés au sol, il n'y avait plus rien d'assuré. Ses jambes s'étaient mises à trembler quand le plantigrade s'était dressé. Son sang battait si fort à ses tempes qu'elles en étaient presque douloureuses, et son visage était sans doute devenu aussi livide qu'un ciel de neige.
Les deux seuls ours qu'elle avait vus de près, étaient le jeune animal plus ou moins apprivoisé du Konungur et celui du montreur d'ours, coiffé d'un bonnet et retenu d'une chaîne. Et encore, elle s'était reculée effrayée quand il était venu la frôler. Mais accordant toute confiance au Breton, elle ne bougea pas, et le chien eut la bonne idée d'en faire autant.

Et si, lorsque l'ursidé décida finalement de tourner les talons, Myr retrouva sa nature désinvolte, Fanette se laissa choir sur le sol. Elle eut l'impression soudaine d'être devenue trop lourde pour ses jambes mal assurées. Il lui fallut un instant pour s'autoriser de nouveau à respirer, et plus encore pour que son visage retrouve quelques couleurs.

Mais la fontaine et les explications de son compagnon de route finirent finalement par capter son attention. Elle ébaucha un sourire. Sans doute l'avait-il cerné, car, sans sa recommandation, il était certain qu'elle aurait pris un malin plaisir à vérifier la légende, quitte, si elle était réelle, à essuyer un orage et finir le reste de la journée trempée jusqu'aux os. Elle profita de l'inattention du marin pour s'allonger elle aussi, mais sa posture était différente. A plat ventre, les coudes en appui sur l'une des pierres plates qui bordaient la fontaine, elle avait posé sa tête entre ses deux mains et observait ainsi l'eau toute proche. Le fond était tapissé de galets, dont l'effet rougeâtre était renforcé par de petites algues d'une étrange teinte bistre. On aurait presque pu croire que du sang s'y était répandu. Parfois, une colonne de bulles remontait, pour éclater à la surface, troublant l'onde d'un clapotis léger.
Elle n'avait aucune épingle sur elle, mais la légende s'adressait aux jeunes filles, et non aux épouses répudiées. Une ombre triste vint ternir son regard en se rendant à cette évidence. Elle n'avait point besoin de faire le vœu de trouver un homme, puisque le seul qu'elle voulait s'était détourné d'elle.

Ils restèrent là un long moment, si proches et pourtant, si lointains dans le silence qui les enfermait chacun à ses pensées et ses observations. Fanette s'était avachie davantage, lovant sa joue dans le creux de l'un de ses bras, pour laisser l'autre venir effleurer l'eau. Elle tendait parfois de contenir de sa paume le léger bouillonnement, cherchant à y déceler un peu de chaleur, mais le constant était à chaque fois identique, la température restait toujours aussi fraîche. C'était à n'y rien comprendre.

L'humidité du sol, la brume qui peinait à se dissiper et les lourds nuages qui voilaient le soleil finirent par avoir raison de la fauvette. Elle réprima un frisson. Les doigts de sa dextre, au contact de l'eau s'étaient engourdis et ses ongles viraient largement au bleu, autant que ses lèvres. Elle se releva en grelottant et leva le nez vers le ciel avant d'aviser son compagnon de route d'un sourire bravache.

- Si on s'en prend une sur la tête, faudra pas m'accuser !

Et en même temps, vu la probabilité d'une pluie imminente, peut-être aurait-elle dû céder à la curiosité et verser un peu d'eau sur les pierres. Qu'avaient-ils à risquer hormis d'être mouillés un peu plus tôt ?

Elle balaya du regard la clairière autour d'elle, et posa son regard sur la fontaine magique en essayant d'imaginer, assis au bord de l'eau Merlin et Viviane. Aussi belles ou étonnantes qu'étaient les légendes du Breton, il fallait bien revenir tôt ou tard à la réalité. Les traits pâles, chiffonnés d'une petite moue contrite, elle se tourna vers lui.

- Myr, j'ai froid. On retourne ?
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Myr
    Le pépiement des oiseaux se faisait entendre de toute part, créant une ambiance sonore très douce. Myr ferma les yeux et se prit à siffler avec eux, ses petits bruits aigus répondant aux volatiles invisibles. Il se plaisait à croire qu'ils lui répondaient et qu'entre eux se tissait un lien aussi éphémère que tenu. La liberté avait cela de magnifique que, sans contraintes de temps ou de lieux, il était possible de toucher du doigt la beauté de chaque instant. Le voyageur faisait ainsi ce qu'il lui plaisait en tout temps, ses désirs n'étant pas décidé par des manques mais au contraire par des excès, des excès de joie, d'enthousiasme ou de mélancolie. Bien que l'homme ne faisait pas partie des plus expressifs de son espèce et que les émotions soient chez lui plus sobres que chez d'autres, il savait les éprouver et les exprimer pour qui voulait bien lui prêter quelque attention patiente et respectueuse.

    Les nuages avaient patiemment éclipsé le soleil, occultant la si belle luminosité présente jusqu'alors. Myr, redevenu silencieux, ne semblait pas s'en inquiéter ; il avait l'habitude de ce temps gris fer qui était loin de le déranger particulièrement. La pluie même qu'il avait tendance à lâcher évoquait au marin des souvenirs qu'il jugeait durs mais agréables en cela justement qu'ils appartenaient au passé qui l'avait élevé et forgé. Il oublia cependant un instant que la pluie était désagréable pour une grande majorité des gens et surtout pour les jeunes demoiselles en moins grande forme physique.
    Il se redressa quant Fanette l'interpella et esquissa un bref sourire en se relevant.


    J'sais pas, j'pas vu s't'as foutu d'l'eau ou pas.
    Mais ouais, r'trons.


    L'homme retira sa lourde cape de voyage et la posa sur les épaules de Fanette avant de lui rabattre la capuche sur la tête. Lui, en chemise et gilet de grossière facture et ainsi d'autant plus chauds, ne sembla pas s'émouvoir de la perte de ce qui lui servait de coupe-vent. Chaque fois, le marin se rappelait qu'il avait affronté, dès son plus jeune âge, la pluie si battante que chaque goutte était comme un poignard. Il se rappelait avoir manœuvré sous celle-ci, battu par les éléments du ciel et de la mer en furie mais aussi par les hommes et leur fouet. Il avait connu les hivers écossais et suédois, les nuits sans feu en pleine tempête et la neige perpétuelle. Ces expériences l'avaient endurcies et son cuir tanné ne semblait plus craindre grand chose.
    Ils rentrèrent sous une pluie légère qui battait les feuilles des arbres au-dessus d'eux et faisait ressortir une odeur de mousse persistante. Sans réelle précipitation, Myr tendit en abri le large morceau de cuir les protégeant de la pluie et s'installa à côté pour laisser les deux femmes s'y abriter. Alors que l'eau commençait à ruisseler à quelques mèches brunes dépassant du foulard noué à sa tête, à son visage et à la barbe qu'il laissait pousser en prévision du froid à venir, il semblait heureux. Non pas que cela se serait vu par un quelconque sourire à ses lèvres ou par un éclat particulier en ses yeux bleus enfoncés et ayant l'air de sans cesse vouloir voir par delà l'horizon mais son bonheur se ressentait, comme une aura émanant de lui et se conjuguant à sa sérénité quotidienne. Il était content d'avoir revu certains lieux qui évoquaient chez lui la paix qu'il recherchait sans cesse afin de la conserver. Il tourna la tête vers Fanette et lui adressa l'esquisse d'un sourire :


    'Lors, c'tente ? F'nal'ment, pas d'fée Morgane mais un ours.

    À bien y réfléchir, l'ours était moins dangereux, bien que plus réel.

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