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Entrevue entre la très jeune bourgmestresse Dewan Tiberia Morgana di Leostilla [Dewan] et Mestre Rollin Chabod [Rollin] - septembre 1468.

[RP] Au Jardin du Verney - rencontre insolite

Rollin
Spoiler:
Le Jardin du Verney est le plus ancien espace vert de Chambéry et fut donné au Chambériens par Amédée VI en 1381. Situé dans le Bourg Maché, donc tout juste hors les murs de la cité, c'est une promenade de 170 toises sur 20, plantée de rangées de tilleuls qui a longtemps servi de lieu de tournoi pour la joute, le tir à l'arc et l'arbalète, bien que son principal objet soit de fournir un lieu aéré où les Citains puissent venir respirer un air moins lourd que celui à l'intérieur de la muraille de la capitale. Il est longé par la Leysse, sur un de ses longs côtés, et par le verger communal de l'autre.


Après une longue soirée passée à discuter avec Sa Grâce Diane, Duchesse de Chablais et tenante de nombreux autres apanages (mais qui était surtout la propre fille d'un de ses plus farouches opposants lorsqu'il siégeait au conseil ducal de nombreuses années auparavant), ils étaient convenu qu'il serait sans doute profitable qu'il fasse part de ses observations à la toute jeune Bourgmestresse de Chambéry.

Rollin ne voyait pas spécialement d'un bon œil que l'on confiât quelque pouvoir que ce soit à un enfançon, fut-il éduqué depuis sa naissance à commander et gérer, mais il s'était résigné à tenter de faire au moins en sorte que la fillette ne s'en trouve ni victime de manipulations, ni broyée par la responsabilité écrasante que représentait sa charge en la Maison commune.

Lorsqu'il s'était enquis de la titulature complète de la Bourgmestresse pour lui adresser lettre, le Mestre cueilleur soupira et haussa les sourcils, l'air résigné, lorsqu'il lut son nom... Fallait-il qu'il l'aime cette Savoie qu'on l'avait accusé de trahir, pour qu'il prête assistance à un membre d'une Mesnie qui ne le portait pas non plus dans son cœur.

Après un long débat intérieur, en homme pragmatique et foncièrement attaché aux usages qu'il était, Rollin conclut qu'il n'avait jamais jugé la valeur d'une personne à son nom, mais à ses actes, et qu'il en serait toujours ainsi. En son fort intérieur, il formula toutefois le secret espoir qu'un von Kolspinne ou un di Leostilla ferait de même s'il devait avoir affaire à l'un de ses propres enfants un jour.

*
* *


Le Mestre eut une certaine hésitation quant à la formule d'adresse, mais il se rangea à l'avis de la Duchesse. Il scella le pli et le fit adresser à la Maison commune.


Balise modifiée par mes soins
La notion de RP "fermé" n'existe plus depuis pfffff ... longtemps !
{A}

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Co-Mestre de la Corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry [Baron de Saint-Jeoire en Faucigny, Intendant de Courmayeur - en cours de dépatouillage]

Dewan
Comme prévu, la fillette s'était mise en route pour le jardin où devait l'attendre le mystérieux monsieur Rollin. D'après Papy Phaco, elle pouvait se fier à lui. Aussi se rendit-elle seule vers le rendez-vous demandé par l'homme qu'elle ne connaissait pas du tout.
Elle avait emmené Prince, son poney que lui avait offert Tatie Diane. Elle avait appris à le monter avec prudence et c'est sur son dos qu'elle aborda les lieux. Elle chercha la présence de l'homme dans ce bel endroit. C'était un drôle d'endroit pour discuter, aussi agréable qu'invitant à la flânerie plutôt qu'au travail.


Doucement Prince.

Le poney avançait d'un trot rapide et la fillette dût le calmer et le faire ralentir. Il était évident que celui-ci avait envie de partir galoper dans les prairies non loin mais ce n'était pas encore le moment. Elle lui flatta l'encolure puis elle descendit. Cela lui faisait toujours un peu peur, surtout qu'il ne s'agissait pas d'un petit poney comme les autres. Il était plutôt grand d'ailleurs.
Atterrie à côté de sa monture, elle s'avança et crut apercevoir une silhouette.


Monsieur Rollin ? C'est vous ? C'est Dewan ...

Voilà qui était dit.
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Rollin
Le Mestre cueilleur, avait opté pour une tenue pratique. Une promenade au Verney avec un enfant demandait d'être à l'aise. Le seul objet de sa mise qui pouvait trahir son réel statut était la broche aux armes de la Mesnie des Sainctes-Eaux, qu'il portait en sautoir, accrochée à une chaîne discrète.

Sa silhouette restait solide et élancée, même s'il avançait doucement en âge et ses gestes précis et économes laissaient difficilement deviner la force et l'adresse qu'il déployait au verger ou dans son atelier.

Il avait au bras un panier de sa fabrication dans lequel il avait entassé quelques menues chosettes pour divertir le palais ou combler un petit creux: quelques rioutes achetées au marché, des rissoles aux pommes du verger et deux oublies sucrées à la façon de son pays. Il avait aussi emporté de quoi se rafraîchir: un petit cruchon de lait de chèvre, une mesure de vin coupé et une outre d'eau anisée.

Près de l'entrée de la promenade, il vit surgir une fillette fièrement juchée sur un poney un peu haut de jambe. L'enfant tira les rênes, mit pied à terre un peu roidement, flatta l'encolure de sa monture, puis observa autour d'elle. Elle affichait un air résolu et son visage et son attitude trahissaient déjà un esprit curieux et une attitude volontaire.

Il y avait assez bien de promeneurs, mais seul l'un d'entre eux semblait attendre quelque chose, ou quelqu'un. Assez naturellement, la fillette s'avança vers le Mestre et se présenta.

Rollin esquissa un sourire bienveillant et pencha la tête et le buste en guise de salut.

- Mestre Rollin lui-même, Damoiselle Bourgmestresse. Soyez la bienvenue au Jardin du Verney!

Le Mestre fit un large geste d'invite vers les grandes allées arborées qui brillaient d'or, d'argent et d'émeraude.

- Je vous en prie, avançons un peu et gagnons la mi-ombre des premières frondaisons, si vous le voulez bien. Je ne suis pas encore tout à fait remis, ni à nouveau habitué au soleil.

Rollin n'attendit pas de réponse et fit un premier pas.

- Et donc, vous trouvez vos marques en la Maison commune? Ce n'est pas la charge la plus simple, mais une fois qu'on a un peu pratiqué, ça devient vite assez plaisant...

Le Mestre se montrait à l'aise et fit la conversation, simplement et sans ambages, comme il sied de le faire avec un enfant. Et il faut dire qu'il avait du métier en la matière. Après quelques instants de marche, il marqua un arrêt près de la grosse pierre plate qui, entre les tilleuls au bord du chemin, invitait au repos.

- Mes enfants ont toujours aimé cet endroit. Nous nous y arrêtions souvent lorsqu'ils avaient votre âge... ils y reprenaient un peu leur souffle où y faisaient les cabris. Avez-vous fait goûter? Vous plairait-il de partager avec moi?

Le Mestre s'était assis et avait posé son panier, un sourire large et franc aux lèvres.

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Co-Mestre de la Corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry [Baron de Saint-Jeoire en Faucigny, Intendant de Courmayeur - en cours de dépatouillage]

Dewan
La fillette afficha un grand sourire à la présentation. Elle rencontrait un Maitre, rien que ça ! Avec toute sa gracieuseté, la demoiselle fit une jolie révérence à l'homme, tout en tenant à la bride la monture plutôt colossale par rapport à sa petite taille.

Je suis ravie de vous rencontrer. Papy m'a dit que je pouvais vous faire confiance. Ce jardin est très beau. Je n'étais jamais venue ici.

Elle ne manquait pas une miette du spectacle qui s'imposait à elle, autant concernant les arbres que de l'homme lui-même. Ses propos l'inquiétèrent d'ailleurs un peu.

Vous n'allez pas bien ?

L'inquiétude était visible sur le visage de la petite blonde. Elle avança d'un pas moins prompt et ralentit pour accompagner l'homme.

Si vous voulez marcher plus lentement, je vous suivrai à votre rythme.

Finalement, elle fut rassurée de le voir continuer toujours au même rythme et la conversation s'entama.

C'est gentil de demander. Je me débrouille. J'ai beaucoup cherché au début. Et il y a encore des choses que j'essaie de comprendre mais je crois que je me débrouille assez bien. En tout cas, les gens semblent plutôt confiant. Et vous, vous croyez que je peux y arriver ? C'est vrai que j'aime bien. Je pensais pas que c'était aussi chouette !
Vous avez aussi été maire de Chambéry ?


Elle avait remarqué qu'il portait un panier et cela l'avait intriguée mais elle s'était modérée pour ne pas importuner l'homme, le laissant guider la conversation à sa guise. Il était assez agréable de se promener un peu, avec Prince et avec cet homme qui avait vraiment l'air sympathique et bienveillant.

Oh vous avez des enfants ? Ils vivent à Chambéry ?

Son visage oscilla dans une négation. Il est vrai que son petit ventre commençait à gargouiller. A force de travailler, elle en oubliait les petits plaisirs de la gourmandise.

A vrai dire, non, je n'ai pas encore eu le temps et la plupart du temps, j'oublie. J'ai plein de choses à faire !

Elle grimpa sur la pierre pour s'y installer et se dandina sur place, curieuse de connaitre le contenu du panier. Pourtant elle osait souvent parler sans retenue mais la figure paternelle qu'incarnait Rollin la retenait de poser tout un tas de questions sur le contenu de ce fameux panier.

Je serais ravie de manger un bout avec vous ! Mais ... je suppose que vous ne m'avez pas fait venir pour partager un gouter avec vous ... si ?
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Rollin
Le sourire de Rollin mua imperceptiblement, montrant tout l'amusement qu'il avait de voir la fillette juchée sur la pierre et osciller d'un pied sur l'autre en tenant de réfréner la curiosité naturelle de la jeunesse, attitude qui trahissait tout aussi certainement le petit creux qui assaille généralement le gaster des enfants lorsqu'on leur agite quelque gourmandise sous le nez.

- Si fait, Damoiselle, je vais bien, rassurez-vous. Je suis juste resté trop longtemps enfermé sans profiter de l'air pur de Savoie et de la vue du soleil sur ses alpages. Quant à mes enfants, ils sont au loin et j'espère leur venue prochaine, je suis certain que mon fils aîné aura appris mon retour et qu'il amènera son frère et sa sœur ce bientôt.

Le Mestre ne trouva pas utile de s'étendre sur les raisons de son enfermement ou sur le lieu où il prit place, ni même sur le fait qu'il n'avait pour l'heure aucune idée de l'endroit où se trouvaient ses propres enfants. Il n'y avait après tout aucune raison qu'il plombe la légèreté du moment, aussi enchaîna-t-il, tout en sortant un à un - en ménageant son effet - les trésors remisés dans son panier et emballés de toile de lin blanc.

- Quant à votre nouvelle fonction, je trouve en effet que vous vous en sortez bien, au vu des circonstances. C'est toujours un peu effrayant au début, tant on ne sait par où commencer, ni comment poser les bons gestes. C'est d'ailleurs sur cela que nous avions échangé, Sa Grâce Diane et moi l'autre hier. De ça et de l'importance pour un bourgmestre d'être bien entouré.

Rollin sortit les quelques rafraîchissements qu'il avait apportés.

Et... non, à dire vrai, je n'ai jamais endossé cette charge-là, mais outre mes nombreux mandats au Conseil ducal, j'ai été tribun à plusieurs reprises, et conseiller au Toisé - ce que les Françoys s'évertuent à nommer cadastre - en un temps où l'on établissait des actes de propriété, ou encore conseiller des charpentiers et conseiller au verger pendant de longues années, puisque je suis un des mestres de la corporation des cueilleurs. Bref! Sans m'étendre plus avant, disons que les secrets de la Maison commune ne me sont donc pas tout à fait inconnus. Ceci dit, peu importe ce que j'ai fait, je ne suis de toute façon pas là pour briguer un poste...

Tout en devisant, le Mestre ouvrit les paquets, dévoilant les petites douceurs toutes dorées, qui gorgées de sucre, de miel, d'épices ou de fruits.

- Les petits biscuits secs en forme d'anneau sont des rioutes. Normalement, on les trempe dans le vin, mais j'ai amené un peu de lait de chèvre, si vous préférez. Les chaussons replets ce sont des rissoles aux pommes cueillies par mes soins, et là, les étranges galettes avec des petits creux carrés, ce sont des oublies sucrées à la façon de chez moi.

Rollin se pencha un peu et, sur le ton de la confidence, ajouta:

- Je commencerais par une rissole, si j'étais vous... mais vous pouvez bien entendu manger de tout, je les ai amenés pour cela.

Il haussa les sourcils en souriant avec malice pour appuyer ses dires, puis poursuivit la conversation en laissant la fillette faire son choix.

- Et puisque le motif de mon invitation peut sembler obscur, je vous rassure tout de suite car, outre le plaisir du partage et l'Amitié aristotélicienne, elle n'a guère d'autre raison que de vous assurer de mon soutien. J'ai d'ailleurs constaté avec plaisir que vous aviez déjà mis en route certaines initiatives bienvenues - comme celle de multiplier les adresses aux citains, que ce soit en Halle ou en leur faisant porter lettre, sans vous contenter uniquement des brèves rencontres en taverne. C'est une très bonne idée, comme cela vous montrez à chacun, quel que soit son caractère ou son tempérament, que vous vous souciez de lui. C'est une bonne façon de faire, si vous voulez mon avis. Tout comme de les inviter à échanger des biens ou à veiller à l'approvisionnement du marché... la Maison commune seule ne peut pas tout régler. Vous avez visé juste.

Faisant un brève pause, il prit une oublie et continua.

- Je pense qu'il est même possible de pousser encore plus avant et je vous y aiderai, si vous le souhaitez. Je peux par exemple fournir sur mes réserves des denrées luxueuses que recherchent les bourgeois: du vin, du cidre, du fromage, du jambon, des olives, de l'huile, du raisin, des dates du lointain Orient. Il me sera facile de le faire savoir au moyen de votre salle d'échange. J'ai aussi la ferme intention de réveiller la corporation des cueilleurs, ce qui aura un impact certain sur les réserves de fruits... je suppose que cela demandera un aménagement temporaire de sa charte de liberté jusqu'à retour à meilleure fortune, mais ça devrait être faisable assez facilement. On peut même organiser une vraie chasse au trésor au verger, grâce à la carte de cueillette que les compagnons remplissent. Il y a aussi le lait qui manque au marché. Je tente de pourvoir au mieux pour l'instant, mais il faudrait qu'on soit au moins deux, ça permettrait de constituer une réserve. Enfin, je tâcherai de faire école au sein des Métiers... et, qui sait, de pousser par l'exemple les artisans du bois et du fer à produire de quoi faire tourner un peu mieux ces deux filières.

Le Mestre cueilleur s'interrompit car il lui parut évident qu'il devenait saoulant.

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Co-Mestre de la Corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry [Baron de Saint-Jeoire en Faucigny, Intendant de Courmayeur - en cours de dépatouillage]

Dewan
C'est une fillette émerveillée qui découvrit le contenu du panier et toutes les saveurs qui lui étaient proposées. Avait-elle mérité un tel festin ? La petite blonde ne se posa aucune question. Elle avait écouté le maitre parler de ses enfants, non sans une certaine émotion. Elle trouvait toujours triste le fait de ne pas être avec sa famille. Dewan avait perdu sa maman quelques mois plus tôt. Son père était parti à la guerre sans plus donner aucunes nouvelles depuis. Seule au monde, elle s'était recréé une famille à Chambéry. Son parrain n'était pas des plus aimants et encore moins présents. Alors depuis, la fillette sortait en douce par des chemins secrets que personne ne connaissait pour retrouver ceux qui comptaient maintenant le plus au monde.

Toutefois, même les plus douces friandises n'effaçaient pas la douleur du moment. Elle arrivait très bien à dissimuler son petit coeur fendu. Elle affichait des sourires, faisait des câlins à ses amis mais quelque chose avait disparu dans sa douce vie d'enfant. Un amour immense qu'elle avait reçu, qu'elle avait partagé, qu'elle avait elle-même ressenti pour un homme qui l'avait accueillie les bras ouverts. Papy Phaco. Il avait laissé un vaste creux, vide et terrible, dans le coeur de la petite Dewan. Et si l'envie de lui écrire bientôt était là, elle savait que rien ne serait plus pareil. Il était parti.


Je fais de mon mieux monsieur.

C'était la réponse aux compliments du Maitre quant à sa façon d'avoir abordé ce travail. Il faut dire que pour Dewan, c'était bien autre chose. C'était un moyen d'oublier l'absence et de pouvoir voir ses amis sans se sentir toute seule. C'était là, sans aucun doute, sa plus grande crainte.

Suivant les conseils du Maitre, la fillette prit une rissole à la pomme. Elle croqua dans le chausson et savoura la saveur tendre et acidulée de la pomme sous son palais.

Ch'est bon !

Elle eut un sourire quand il prit un des autres mets qui composaient la panier. Elle y gouterait aussi, c'est certain. Pour l'instant, elle appréciait le gâteau qu'elle prenait le temps de déguster.

Vous croyez que des gens cherchent des biens de luxe ? Ah la course au trésor, j'aime beaucoup ! En fait, du lait, y en a dans la taverne de Valph. Il préfère l'y mettre pour que ce ne soit pas vendu qu'à une personne qui achète tout.
Je veux aussi que les gens aillent un peu plus au verger alors j'ai des échelles en réserve. J'aimerais bien faire un système de prêt ... enfin de don d'échelle contre les fruits. Comment elle fonctionne la corporation ?

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Rollin
Rollin ne put réprimer un sourire en voyant la fillette qui, les joues rebondies par les multiples bouchées de la rissole qu'elle enfournait et mâchait longuement, manifestait avec ses mots d'enfant la joie fort simple du manger bon et vrai de Savoie. L'ombre qu'il avait cru voir sur son visage avait passé... pour un temps.

Le Mestre tourna le regard vers le Septentrion, par-delà les hautes haies et les frondaisons du verger communal qui jouxtait le Verney. Portant la nuit sombre de ses yeux vers les premiers adossements des Bauges tout proches, il scruta successivement la masse immense, verte et grise, les pics qui s'élevaient plus haut à chaque fois qu'il progressait vers le lointain et vers l'Orient. Il suivit les courbes des épaulements avachis, les larges sommets légèrement émoussés... Que cheminer dans la montagne lui avait manqué au fond de sa geôle!

Les derniers beaux jours s'en allaient inexorablement et, même baigné de soleil, l'on pouvait parfois sentir dans le fond de l'air matinal le parfum de l'humus qui peine à se débarrasser de l'humidité et du froid de la nuit. Le chant discret de la Leysse et les premières feuilles jaunissantes ajoutaient une touche mélancolique au spectacle... c'était ça "lo durantin"... la saudade savoisienne.

Le Chambérien inspira profondément et s'arracha à la rêverie. Celle-ci n'avait duré qu'un très bref instant, mais il aurait pu s'écouler des années. Qu'importe! C'était ça qui l'avait fasciné lorsqu'il était arrivé en ces lieux. C'était ça qui l'avait retenu. Ça et les gens bourrus dont les corps noueux et burinés par le soleil et le vent cachaient si bien à la vue un trésor d'amitié simple.

Il rassembla ses esprits et revint au fil de la conversation qui était née au creux de l'insolite rencontre de deux esseulés.

- Oui, je crois bien que les gens en cherchent. Le luxe ostensiblement exposé à la vue est un motif puissant dans ce monde... et Chambéry devrait être un lieu parfait pour cela. Le Duché jouit d'un grand prestige, et nous sommes présentement dans sa capitale, seul endroit où il soit possible de bâtir un hostel particulier en Savoie. De grandes routes de commerce le traversent et nous avons un port de bonne taille, pas très loin. Cela fait des années que nous aurions dû faire en sorte d'attirer cette population. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais commencé à constituer des réserves aussi importantes, car ils doivent mener grand train, dépenser sans compter... et surtout le montrer. Nous en avons d'ailleurs déjà quelques-uns au-dedans des murs, mais je pense qu'ils ont renoncé à montrer quelque munificence que ce soit car le marché est presque toujours vide de ces denrées.

Rollin sortit de son panier deux petits gobelets de bois habilement tourné. Il versa un peu de lait de chèvre dans le premier qu'il tendit à la fillette, puis se servit une lampée de vin coupé.

- Maintenant, il faudrait éviter le pillage au marché de ces biens-là, comme c'est malheureusement le cas pour d'autres actuellement, comme le lait. Si tant est que je lui reconnaisse un certain succès, la vente en taverne est une réponse en dernier recours. Plusieurs producteurs qui vendent et un marché solidement achalandé est la meilleure protection contre les achats en masse. Nul ne peut vider un marché sans apporter avec lui une forte somme en écus, ni en repartir sans charroi ni compagnons... et ces choses-là se voient et se suivent à la trace.

Le Mestre s'interrompit un instant pour réfléchir, puis ajouta:

- Il se peut aussi que la solution la plus pérenne soit un habile mélange des deux façons de vendre - à la taverne et au marché. L'avenir nous le dira.

Il but une gorgée, posa son gobelet à même la large pierre, puis fouilla dans l'escarcelle de toile bise qui ne quittait presque jamais son flanc. Le sourire au lèvres, il en extirpa une petite pomme à la peau rêche, teintée de rouge et de vert. Pas vraiment jolie, mais qui exhala un parfum à damner un saint lorsqu'il la coupa en quartiers qu'il déposa au milieu des autres collations.

- Quant au secret de la corporation des cueilleurs, le voilà. Le simple fruit du partage, de la mise en commun du savoir et des gestes. C'est ainsi que le Grand Mestre Augis l'a voulue lorsqu'il a créé la corporation il y a maintenant quinze ans... "la plus ancienne corporation de Savoie"...

Rollin esquissa un sourire amusé, sachant combien son vieil ami détestait qu'il l'appelle "Grand Mestre".

- Le principe en est simple: grâce à une carte remisée dans la Maison de la corporation, nous mettons en commun les informations concernant les meilleurs endroits où trouver les fruits. À chaque jour, si nous le pouvons, plus occasionnellement, aussi. Cela permet surtout au moins agiles ou à ceux qui manquent de temps ou de patience d'avoir plus de choix qu'en agissant isolément ou au petit bonheur la chance. Avec le temps, l'idée a évolué, jusqu'à déboucher sur une charte de liberté scellée par la Maison commune et par le Régnant de l'époque, la seule de Savoie accordée à un Métier... la seule, en dehors de celles de quatre Cités, en fait. Elle garantit un prix d'achat et la fourniture de matériel à prix coûtant pour les Compagnons. En contrepartie, la réserve est mobilisable en permanence par la Maison commune et les Compagnons ont renoncé à l'exemption du guet pour les gens des Métiers. Aussi, tous les vendredis, un Mestre sort bannière et assemble ses gens à tour de rôle, pour garnir les murs et faire le guet. Trois têtes, normalement, qui défendent sans autre salaire que la charte durement acquise... Lors d'une précédente guerre contre Gênes et Genève, nous avons même mandé les gens du Métier qui n'appartenaient à aucune Mesnie, ni à aucun corps de défense, fut-ce l'Ost ou la Maréchaussée, pour les mener sous la bannière et tenir bon les portes, les ponts et les rues. Quel souvenir que cette lutte pied à pied pour chaque pavé, chaque maison de Chambéry...

Mestre Rollin Chabod souriait, fier et calme à l'évocation de ces lointains souvenirs.

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Co-Mestre de la Corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry [Baron de Saint-Jeoire en Faucigny, Intendant de Courmayeur - en cours de dépatouillage]

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