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[RP] Le retour des Blairelles

Astana
    [Angers, Décembre 1468]


Pleine sorgue. Une rue d'Angers.

- « C'est encore loin ? »
- « Non. »


Concis.

- « Dans combien de façades ?»
- « Quatre. »


Disant cela, la plus haute des deux figures qui arpentent la rue plisse les yeux, amenant sa lanterne à hauteur de châsses. Grises, comme les quelques tifs qui dépassent de sa capuche.

- « Tu sais plus ? »
- « Je pourrais y retourner les yeux fermés. »
- « Et la lanterne, c'est pour quoi alors ? »
- « Nous sommes en Anjou... »


Astana laisse mourir la fin de sa phrase comme si le reste coulait de source. Une évidence. « Nous sommes en Anjou » c’est un peu comme dire « Tiens, il fait tout noir » ; est-ce vraiment la peine de préciser qu’on n’y voit rien ? Non.

Et puis le silence.
La plus jeune des deux figures ne suit plus. Elle s’est arrêtée net au milieu de la rue. Tiens, c’est rigolo mais ce penchant taiseux me rappelle quelqu’un. Pas toi, Sa Blondeur ? Marquer des arrêts pour faire valoir son propos aussi, d’ailleurs.
La danoise opère un demi-tour et ramène sa lanterne à hauteur de trogne. C’est un minois juvénile tout blanc, encadré de blond cendré, au milieu duquel trônent deux billes noires qui la défient. Ho, ça pourrait durer longtemps. Mais Astana avait intégré depuis quelques années maintenant qu'elle avait engendré un monstre qui gagnait bien plus souvent qu'elle au petit jeu du chien de faïence qu’est muet. Claquant sa langue contre son palais, Astana signale à sa fille qu’elle a remporté une nouvelle victoire.

Et puis on se les pèle en plus.


- « Nous sommes en Anjou… donc il faut faire attention aux pièges. »

Le dernier mot est volontairement accentué. Ça donne un petit ton dramatique à cette révélation. L’enfant acquiesce d’un air grave, comme soudainement investie d’une mission importante.

Débusquer des pièges. Tous les trouver. Pas s’faire avoir.

C’est sans compter l’appui de sa mère, qui vient passer un bras passablement gelé par-dessus ses épaules. Parce que ouais, on est toujours plus fortes à deux. Elles font ainsi encore une quinzaine de pas avant de trouver la façade tant attendue. Pas de piège angevin en vue. Un jour, Astana lui contera l'histoire des pièges angevins, des pièges du Royaume tout entier même. Mais pas là. On se les pèle, on a dit. Les carreaux du Blaireau sont tellement crades qu’on n’y voit pas à travers, mais la porte est toujours là. En un seul morceau. Béni soit ce roussâtre d’Athelstan d’avoir veillé au grain. Après avoir fait jouer la clef dans la serrure de l’établissement délabré et un, deux, trois coups de pied dans le coin inférieur gauche, la porte cède.

Ça pue l’humidité, l’abandon et le froid.


- « J’aime pas. »

Merci. Ça fait toujours plaisir.

- « Patience, on est pas encore arrivées arrivées. »
- « … »
- « Viens. »


La Maison, c'est dans dix marches.
Astana
    [Même soir, plus tard]


Rassasiées, mère et fille profitent de la chaleur de l’âtre. Hazel, assise sur une chaise face aux flammes joue calmement avec une poupée ramenée des terres du nord tandis que sa mère, debout derrière elle, lui démêle les cheveux tout en lisant une pile de courrier posée sur la table attenante qu’Athelstan avait pris le soin de conserver. Bien sûr, le salaud avait tout ouvert, probablement tout lu également et s’était bien gardé de le lui dire. Mais, les lettres n’en étaient pas moins là et demandaient lecture.

Sous les châsses grises défilent ainsi des vies, des joies et des inquiétudes. Des demandes de prêt, aussi. Quatre années de correspondances manquées. Parfois, le silence relatif dans lequel mère et fille évoluent est brisé par un « Poum ! » ou bien un « Par Odin ! » émanant d’Hazel qui conte des histoires du Nord à sa poupée, d’autres fois encore c’est Astana qui froisse un vélin avec désintérêt et l’envoie dans les flammes.

Le nouveau parchemin qui s’offre à vue fait louper un battement à son palpitant. Chiasse. Cette écriture. C’est… Chut, tout doux. Non mais c’est… Oui, on a dit tout doux. Calme. La danoise crispe ses doigts autour des mèches blondes de sa fille, ce qui lui arrache un petit « Hé ! » de protestation.


- « Hm, navrée. »
- « J’ai des nœuds ? »
- « Heu… non. Non, non. »


Hazel penche la tête en arrière pour aviser sa drôle de mère, parce qu’elle sent bien qu’il y a de la perturbation dans l’air. Qu'il y a un truc qui cloche. Mais Astana lui replace bien vite le minois face au feu, d’un geste plus sec qu’elle ne voulait au départ. Elle bute sur la date : 4 mars 1468. Attends, mais c'était il y a 9 mois ça. Tu crois qu'il est toujours... ? Elle secoue la tête comme pour remiser ses pensées au placard et se concentre tant bien que mal sur le contenu du pli.

Citation:

    Hazel,


    Je mangeais des noix et j’ai pensé à vous. Prenez soin de vos pieds. Et de vos dents. N’oubliez pas de courir partout dans la maisonnée, et d’embêter votre maman dès que vous le pourrez. Ne faites pas de mal aux insectes, ni aux chats errants. Si quelqu’un vous embête un jour, tapez-lui dans les genoux. Vous viserez plus haut lorsque vous serez plus grande. Apprenez le nom des arbres, mais ne mettez pas trop de fierté dans le vôtre. Il est toujours bon d’avoir un caillou dans sa poche.


      Autun,
      [Votre pap] Johannes



- « Pu- »
'tain.

Ses doigts ont arrêté de démêler quoi que ce soit. La danoise fixe un point flou dans les flammes. Ça tambourine sévère dans son crâne.
Et ça doit durer un temps, parce que c’est sa fille qui la ramène à la réalité. Plus ou moins.


- « C’est encore tonton Maleus qui te fait la leçon ? »
- « Non. »
- « Si c’est le monsieur de Ribe qui demande pourquoi il y a des cailloux à la place des bijoux dans sa boite, il faut lui répondre que- »
- « Ce n’est pas le monsieur de Ribe, Hazel. »


Astana ne relève même pas le méfait à demi avoué de sa progéniture, bien trop perturbée qu’elle est depuis quelques minutes. A-t-elle seulement écouté le milieu de la phrase ? Hazel, éveillée gamine de 8 piges, n’insiste pas sur cette histoire. Après tout, personne ne pourrait dire qu’elle n’avait rien signalé à la Haute Autorité que représente sa Mère. On blâmera la lenteur de la justice, voilà tout.

- « Ben c’est qui alors ? »
- « Ton père. »
- « Johannes ou Gerfaut ? »


Aïe.
Astana
Non.
Alors, comment dire… bah non, quoi. Juste, non.

Non, Gerfaut n’a jamais été ton père quand bien même il ait eu une influence sur toi lorsque tu étais entre le Pois et le Haricot.
Johannes est ton seul et unique père, quand bien même il se soit borné à dire que tu étais mienne seule et qu’il t’ait peut-être moins marquée du fait de ton jeune âge de l’époque.

Non, Gerfaut n’a jamais été ton père. Et puis il est parti.
Johannes est ton seul et unique père. Et puis on est partis tous les deux ; pas du même côté.

On a déjà vu tout ça, Hazel. Mais je t’en veux pas, va.
Vrai que ça peut être flou pour une enfant. Peut être aussi que t'en as rien à carrer.

Astana fixe le crâne de la petite comme si une réponse à la fois pédagogue et appropriée pouvait miraculeusement en jaillir.
Mais rien ne vient. Parce que les miracles n’existent pas.


- « Johannes. »

Parce que la vérité vraie est inscrite dans tes cheveux et dans tes yeux.

- « Il parle de moi ?»

Oh ? Oh.
C'était donc ça.


- « Oui. C’est pour toi. »

Sans en dire plus, Astana met entre les petites mains de sa fille le paquet de lettres écornées par le temps et l’humidité. Hazel, des plus enjouées, se lance alors dans une lecture à haute voix du parchemin. Si elle bute sur certains mots à cause de l’écriture foireuse de son père, elle lit néanmoins avec le sourire fiché aux lèvres. La danoise peut entendre le sourire dans son élocution. Une émotion vraie, fraîche. Candide. Astana croit l’entendre rire à l’évocation du caillou, mais elle n’est à nouveau plus vraiment là. Qu’à cela ne tienne : Hazel repart pour un tour. Que tu crois.

- « Quatre avril … un quatre six quatre... Astn-Astnana Sørenssen. »

C’est toi, Sa Blondeur. Du coup, il faudrait peut-être...

- « Est-ce que vous êtes mor-te ? Non, vous n’êtes pas morte. »

Heu…
Bah ouais nan, je suis en vie. Tu vois.


- « P-Parfois j’espère que vous êtes mor-te, mais so-soy-soyons ! honnêtes- »
- « Ah oui. C’est important ça. »
- « Jouons fr…anc ? »
- « Franc. »


La blonde hoche le nez. Très important la franchise aussi. Oui, oui.

- « Jeu mon tendre amour ! »

Mon amour. Oula.

Maintenant, y’a une lumière qui s’allume là-haut. Toute rouge. Il faudrait peut-être...


- « Vous ente-rre-rez votre propre fi- »
- « Ça suffit ! »


Paniquée, Astana arrache le parchemin de ses mains, faisant voler la flopée d’autres lettres qui s’éparpillent un peu partout. Sa fille a crié en signe de protestation, mais elle la fait taire en levant son index. Le vélin est tâché de vin, et il est vieux. Elle parcourt son contenu, la mine déconfite. Le souci est bien là, et les rides du front s’animent. On dirait qu’elle vient de prendre dix piges dans la tronche.

Citation:

    Astnana Sørenssen,


    Est-ce que vous êtes morte ? Non, vous n’êtes pas morte. Parfois j’espère que vous êtes morte, mais soyons honnêtes, jouons franc jeu mon tendre amour, vous enterrerez votre propre fille, et c’est vous qui creuserez la tombe. Les grains de terre qui vous resteront sous les ongles, j’espère que vous les boufferez. Vous lisez sans doute ces lignes alors que vous venez d’ouvrir les cuisses pour un de vos amants - lequel ? le foutu noble ? le brun serviable ? un plouc en jambières d’acier qui lui remontent jusqu’aux couilles ? Voyez je suis encore joueur. Vous avez eu beau savamment me briser les burnes et me sculpter des cornes, faire le prognostic de vos compagnons de chambrée c’est pas qu’un art, c’est aussi une franche poilade. Mais je m’épanche, alors que vous valez pas plus qu'une catin. Restons-en là.


      Sainte-Menehould,
      Johannes.



Eh bah non, c’était pas dix piges. Juste quatre au vu de la date.
Astana
    [Lendemain de la lettre de l’horreur]


Sur le petit jour, la danoise qui n’a pas fermé l’œil de la nuit termine de coucher sur papier sa réponse. Les cernes violacés qui dorment sous ses yeux ont toujours été là ou presque, mais aujourd’hui on pourrait croire qu’ils ont foncé d’une ou deux teintes. Le souci. La vexation. Et la douleur, aussi. La veille au soir, il avait fallu gérer ses émotions et celles d’Hazel. Tacher d’être mesurée, de ravaler ses cris, de ne pas s’effondrer tandis que la gamine avait bien vite oublié l’épisode troublant pour se raccrocher à sa propre lettre. Elle s’était endormie avec.

Sur la table traînent une dizaine de vélins froissés. Des ébauches pleines de haine et de ressentiment. Des choses violentes à faire rougir le plus rompu des malotrus.
Finalement, Astana avait abandonné les insultes et avait opté pour quelque chose de pire : le mensonge.



Citation:
Angers, 2 décembre 1468


      Très cher Johannes,



    Votre récent pli laissé à l’intention de notre enfant commun m’a grandement émue. Non pas que je vous pensais mort, car vous savez comme moi qu’aucun fossé de ce Royaume - ni d’aucun autre d’ailleurs - n’acceptera d’être le réceptacle final de votre corps mal-nourri tant qu’il vous restera des forces pour me haïr. Mais j’y reviendrai.

    Votre récent pli m’a donc immensément émue. Oui.
    Ainsi donc, vous avez écrit à votre fille. Vous avez souhaité lui léguer quelque chose, qui ne viendrait que de vous et qui lui soit bénéfique. Comme un vrai père. Oh Johannes, mon bien aimé Johannes, si vous aviez entendu la gaîté dans la voix d’Hazel lorsque je lui ai appris que vous lui aviez écrit… Elle était transportée de joie en s’emparant de votre lettre et s’est mise à la lire à haute voix. A ce sujet, je me permets une petite suggestion : peut-être devriez-vous essayer de former un peu mieux vos lettres lorsque vous lui écrirez à l’avenir, car elle est encore jeune et a peiné à vous déchiffrer par endroits. Je referme la parenthèse.

    Notre fille était si extatique qu’elle vous a lu tout entier.

    Tout entier. Oui.

    Voyez-vous où tout ceci nous mène ?

    Probablement que non. Et je ne vous en veux pas. Il est rare de garder souvenance de toutes ses correspondances passées. Aussi je me permets de joindre à cet échange votre plus vieux billet. Ce dernier n’a pas sa place dans la boite qui vous est destinée – bien trop de plis me traitant de vile catin y dorment déjà et cela fait redondant. A force.

    Hazel a donc tout lu. Vous savez comment sont les enfants, ils sont prompts à découvrir les secrets que vous souhaitez passer sous silence. Vous pouvez donc rajouter à votre glorieux palmarès le fait d’avoir appris à votre fille que son père haït sa mère ainsi que la signification des mots « catin » et « burnes » (n’étant rien de plus qu’un synonyme de « couilles »). Je gage que ce leg laissera plus de traces que votre dernier envoi.

    Rattrapez votre grossière erreur comme vous l’entendez. Ou bien ne le faites pas.
    Mais ne m’écrivez plus.

    Jamais.


      Astana.


- « Maman ? »

Sorensen sursaute et se faisant fait déraper son cachet dans la cire. Tant pis. Elle avise sa fille, toujours dans le lit, qui se gratte le cuir chevelu de la même main qui tient toujours le parchemin froissé de son père.

- « Tu as bien dormi ? »
- « Oui. J’ai rêvé que je devenais copine avec un chat et qu’on se battait contre un vilain blaireau à qui je tapais dans les genoux ! »


Petit rire de la blonde.

- « Sacré rêve que tu as fait là. »
- « Dis… c’est où Autun ? »
- « C’est en Bourgogne. A l’est d’ici. Pourquoi ? »
- « ‘Faut y aller ! Y’a papa ! »


Ah.
Jhoannes
Refuge d’Autun, le matin après ça.

C’est quoi ce rectangle de parchemin posé sur ma paillasse ? Pourquoi c’est l’écriture de Celle-qui-fut dessus ? C’est toi qu’a fait ça, Caillou ? Par quelle magie ?
Aucune, ça s’appelle l’ironie du sort. Je suis aux anges…

Jhoannes décachète le pli. Un autre morceau de papier tombe sur ses genoux. Une lettre dans une lettre ? Une boîte dans une boîte. Et puis il dévore toutes les lignes en se décomposant au fur et à mesure. Un cierge reblanchi à la chaux.

- Mais je m’épanche, alors que vous valez pas plus qu'une catin. Restons-en là...

Il commente l’envoi final par un soupir bruyant. Le type qui a écrit ça en tenait une sacrée couche.
Regarde la signature.
C’est la mienne ?
Faut croire.
Non. Non…
Ah si si. Personne ne trace les “h” aussi mal que toi.
Et ma fille a lu ça ?
Put… ain.

Sa première envie, c’est de mettre le pli dans son gosier et de le bouffer. De bien mâcher les mots, les écraser un par un sous les molaires, en faire une bouillie noire et la ravaler. Voilà, di-gé-ré. A pu. Je reprends tout.

Sa seconde envie, c’est évidemment de répondre à Celle-qui-fut-et-qui-est-toujours. Mais répondre quoi, déjà ? Pardon ? J’avais bu trop de crapaudine ? Tu sais, ça arrive quand on se saoule avec des godets obscurs de mettre en décor la mort de ses rejetons et de traiter sa femme de marcheuse. Comment ça, pire qu’une catin ? C’était une image. Un peu corsée, je te le concède, mais tu vois l’idée. Et puis c’était il y a quatre ans. Et c’est pas Hazel que j’ai écrit en en-tête, mais Ast.. Astnana… ouais j’étais franchement cuit. On dirait que tu viens de tomber dessus, que c’est tout frais, mais tu devrais bien le sentir là, que c’est frelaté. Que c’est… Non, il n’y a rien à répondre.

Et puis tu m’as ordonné de ne plus t’écrire. De ne plus t’écrire, jamais. Jamais, c’est un terme assez costaud. Clair. Jamais ça veut pas dire, peut-être dans trois mois quand j’aurai assimilé à quel point t’es minable, non. C’est jamais plus jamais.


Tu pleures ?
Oui.

Le blond sort une lame rouillée de sa besace et entreprend de gratter un vieux parchemin de compte-rendu de mairie pour en faire un nouveau. Sa besogne achevée, il souffle sur l’écorce du papier et la lisse du plat de la main pour en déloger les scories. L’encre va baver un peu, ne pas oublier de tracer des lettres larges. Et claires. Hazel peine à le déchiffrer par endroits.

Bien. Rattraper l’erreur, la grossière erreur. Rattraper l’erreur. Par où qu’on commence ? Tu tires quel fil de cette pelote de merde en premier, hein ?


Citation:
Hazel,

Votre maman m’a fait savoir que vous avez lu des vieilles lettres de moi. Des lettres où j’ai écrit de vilains mots, et de vilaines choses. Aujourd’hui vous avez six ans, et vous êtes en droit d’avoir la vérité : papa a fait de la merde (ne répétez pas ce mot, c’est un vilain mot, lui aussi, mais parfois les choses vilaines ne peuvent être décrites que par des mots vilains). Entendez bien qu’à l’époque je n’étais pas en colère contre vous, mais contre moi-même. Si vous avez des choses à me dire, vous pouvez faire écrire une lettre que vous enverrez à Autun. Je vous répondrai. Je ne crois pas que je pourrais venir vous voir prochainement, parce que votre maman en a encore gros sur la patate à mon égard, mais vous êtes dans mes pensées, petit pois. Je comprendrai si vous m’en voulez aussi, et que vous restez silencieuse.
Je pense à vous tous les jours.

Jhoannes
Athelstan
    [Saumur, 3 décembre 1468]


Autre piaule. Autre ambiance. Autre table devant l’âtre.

Deux silhouettes attablées avec des godets remplis de vin qui causent à basse fréquence. Puis une dernière, plus frêle, qui pionce paisiblement sur un pageot dissimulé derrière un paravent. Sur la table se trouvent aussi un vélin plein de tâches d’encre et un dessin.

Athelstan n’a posé aucune question lorsqu’il a vu atterrir la blonde et sa progéniture sur le pas de sa porte. Il n’a pas fait de remarque non plus sur l’absence prolongée de ces dernières, lui-même étant une créature des plus volubiles. Jamais fixée longtemps au même endroit. Il a fait ce qu’elles attendaient de lui sans poser de question, attendant patiemment que la danoise lui livre d’elle-même les explications qui allaient bien. Qui clarifieraient le pourquoi du comment. Parce que les explications sont faites pour ça.


- « Du coup, tu es libre en ce moment ? »
- « Alors là franchement… ‘fin, c’t’à dire que tu m’prends un peu au dépourvu tu vois. J’ai déjà couché quatre fois cette semaine, on est que mercredi, et bon…
- il enfouit une main dans sa tignasse pleine de boucles rousses pour se gratter l’arrière du crâne - ben v’là mes performances vont pas être très… heu… Faudra pas m’en voul- »
- « Non. Pour nous accompagner. »


Encore raté.

- « Ah parce que vous allez à Autun pour de vrai ? »

Astana jette un coup d’œil en direction du paravent. Donc de la paillasse. Elle reprend une lampée de vin, l’air songeur.

- « J’ai suffisamment retardé l’échéance, tu crois pas ? »

Le roussâtre hausse les épaules. Il connaît mal les choses de l’amour sérieux et ce qui en découle, les tracasseries de la famille. Lui, l’anglois égaré en territoire français, aime et désaime en un souffle. Deux à trois fois par semaine.

- « Tu comptes faire quoi ? Arriver par d’vant sa piaule, larguer Hazel et dire « Surprise ! Vous la vouliez, vous l’avez. Bonne journée ! » ? »
- « Je n’ai pas envie de le voir. Encore moins de lui parler. Tu feras l’émissaire. »
- « Fff… t’as pas aut’ chose ? »


Athelstan sent bien que c’est encore une histoire foireuse où il va prendre des coups gratos.

- « J’en ai ma claque d’être traitée de catin dès que monsieur-Johannes-moins-deux-doigts-et-deux-couilles se prend un râteau et qu’il désire se rappeler à mon bon souvenir. Si je le croise, je vais… Astana fronce les sourcils, elle se penche un peu plus en avant sur la table. Et puis merde, j’ai aimé, j’me suis pas fait payer. J’ferai une piètre catin. »
- « Faut arrêter de sti… sgit… stigmatisat…
– non, rien à faire – y’a des femmes très bien qui sont catins. Il hoche du pif, c’est un connaisseur. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ét- »
- « Je ressemble à une catin, peut-être ?! »
- « Non... »
- « Merci. »
- « … mais débarrassée de toute ta ferraille avec une robe bien rouge, des ch’veux arrangés, dans un établissement luxueux franch’ment… »


Athestan esquisse un sourire narquois et récolte un taquet de remerciement. Les deux se gondolent quelques instants avant qu’Astana ne reprenne son sérieux. Et une lampée de vin.

- « Je crècherai dans mon appartement à Dijon. »
- « Ah ! Haha ! Tiens, c’est rigolo que tu parles de Dijon. »
- « … »
- « Non, parce qu’avant on parlait de catins et… Attends, attends. Non, aïe ! Pas les oreilles ! Ffff. Pourquoi toujours l’oreille gauche ?
il se frotte l’esgourde échauffée. Bon, tu m’laisses finir cette fois-ci. Donc : il s’peut qu’il soit occupé tu vois… par une heu, une ca- il tousse - femme. Voilà. Mais une femme très, trèèèès bien. Hein. Mais au bor… ‘fin à l’endroit où elle habite ils ont des problèmes de place, t’vois ? Alors moi, ben tu m’connais. J’peux pas laisser une femme respectable à la rue. En plus, ça commence à pincer dehors. »
- « T’es en train de me dire que je ne peux pas rentrer chez moi ? »
- « Non ? »
- « Bien. Donc on arrive, tu la fous dehors et on en parle plus. »
- « NON ! Non.
Il approche sa chaise de la sienne, les quatre pieds qui râclent le sol. S’il te plaît. Sa peau laiteuse va prendre froid… Je... J'ferai tout ! L'émissaire, l'costaud, l'enfoiré, si faut lui déloger les dents j'le ferai aussi ! S'teuplaît. Pour la peau de la d'moiselle ! Il joint les deux mains et implore. Please, please, pleeeeaaaaaase* ? »

La blonde l’avise un moment puis soupire. Lasse.

- « Tu fais chier. »


* [Traduction : s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaîîîîîîît ?] »
Astana
Au pigeonnier local, Astana se prépare à envoyer la dernière correspondance de sa fille.
Même que ça lui crève le palpitant. Elle brûle d'y rajouter un livret d'insultes. Un gros, gros livret. Presque un livre. Un pavé qui s'intitulerait : "La Catin qui vous dit Adieu".

T'as suffisamment puni tout le monde, tu crois pas Sa Blondeur ? 'Serait peut-être temps de desserrer la bride.

La danoise fixe un point flou dans l'horizon, le pigeon enfermé entre ses mains.
Lâche ce pigeon, Astana. Allez. Ouste.

Lâche. Ce. Pigeon.

Voilà.



Citation:
Saumur, 3 décembre


    Papa Johannes,


    C’est vilain d’espérer que maman soit morte. Il faut pas dire ça. Moi je veux pas qu’elle meure. Après je serai toute seule, et maman dit que je suis encore trop petite pour comprendre les choses de la vie ou tenir une arbalète. J’aime bien les arbres mais je connais pas encore tous les noms. On a le droit de les inventer ? Tu me montreras un jour ? Moi je peux te raconter des histoires avec Odin ! Maman dit que tu aimes bien les histoires. Surtout celles qui veulent rien dire – mais ça j’ai pas trop compris… parce qu’une histoire ça veut toujours dire quelque chose non ? Pour les cailloux j’en ai déjà plein ! Des ronds puis des plats, et des qu’ont pas trop de forme. C’est mes préférés.

    Câlin de loin.


      Hazel.


    P.S : c’est Athelstan qui a écrit parce que moi ça faisait des merdes des cacas. Mais j’ai fait le dessin !



Un pli dans le pli. Un feuillet qui relate le rêve fabuleux d’Hazel.
Hazel, les bras en l’air, célèbre sa victoire sur une créature mi-blaireau mi-homme sur les rotules, avec son copain le chat qui s’appelle Hérant.
Jhoannes
La version n°2 d'une réponse, revue et corrigée avec soin, au dos d'un sinistre compte-rendu de vote.

Citation:
Hazel.

Vous lire me réchauffe le coeur. Moi non plus, je ne veux pas que votre maman meurt, mais ces mots qui ont été écrits, impardonnables, votre papa n’a pas le pouvoir de les effacer. Même si je mange la lettre toute entière, leur marque dans le cœur est tenace (ne mangez jamais du papier, car ça a très mauvais goût). C’est pour ça qu’il faut toujours bien se relire avant d’envoyer une lettre. J’aimerais beaucoup que vous me racontiez une histoire, et apprendre les noms que vous inventez pour les arbres. Vous pouvez aussi en créer pour les fleurs et les cailloux. J’ignore si quand je pourrai vous voir, mais voilà ce que je vous propose en attendant : racontez-moi votre histoire préférée dans votre prochaine lettre, et je vous répondrai avec une des miennes.

Je vous fais un énorme câlin.

Jhoannes

Post-scriptum : Votre dessin est superbe. Je vais l’accrocher au-dessus de ma tête, pour qu’il me fasse faire de jolis rêves aussi.

Post-post-scriptum : Qu’est-ce qu’on dit quand un matou pète ?


Sur la face du compte-rendu, au-dessus des noms à particule :

Citation:
Chat-pue !

_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Astana
    [Le 4, quelque part entre Chinon et Loches]


Le trio chevauche depuis une bonne heure déjà, sans empressement. Blondes sur une monture et roux dégingandé sur une autre. Il est à peu près midi et le soleil s’est élevé haut dans le ciel gris. Quelques rayons arrivent toutefois à percer et viennent parfois éblouir des mirettes trop aventureuses. Les adultes devisent calmement tandis qu’Hazel observe le monde alentour. Certains mots fusent parfois en anglais, comme pour dérober le sens d’une phrase trop équivoque à Hazel. Mais la vérité vraie, c’est que l’enfant se fout de leur conversation. Si elle laisse traîner une oreille ? Pour sûr. Mais il n’y a pas matière à se manifester. Aujourd’hui, il semble que les arbres retiennent particulièrement son attention. Leurs feuilles surtout. Pourquoi certains ont-ils des feuilles orange lorsque d’autres les ont vertes, songe-t-elle. Et que dire des feuillus aux deux, trois couleurs ?

- « Pourquoi tu préviens pas Johannes qu’on arrive, déjà ? »
- « J’étais préparée, moi, peut-être ? »
- « Les insultes j’ai toujours pensé que c’était vot’ truc. »
, dit-il en haussant les épaules.
- « Bah non, figure-toi. »
- « Non mais tu t’rappelles la fois à Toulouse, là ? Quand il t’avait traitée d’jeune page parce que t’avais plus d’cheveux. Toute la soirée ça avait duré c’t’histoire. Et après… vous avez fini au pieu. »
- « C’est quoi un pieu ? »
- « Un lit, Hazel. On est allés se coucher. »
- « Ah, pour dormir. »
- « Absolument. »
Blondeur opine d’un air parfaitement convaincu pour donner corps à sa menterie. Que sa fille ne voit pas, puisqu’elle est installée devant.
- « Ouais… « dormir ». », le roussâtre ricane.
- « Chut. »
- « En voyelles alors. »
- « Tais-toi. »
- « Ah. Euh. Hi. Oh. Huuuuue ! »


Ça fuse dans l’air. La danoise envoie sa patte gauche claquer l’arrière-train du cheval d’Athelstan qui s’emballe. Il n'est pas le seul à avoir la connerie vive. Le rouquin beugle, paniqué, essayant de reprendre le contrôle de sa monture infernale. La danoise, hilare, place un bécot sur le sommet du crâne de sa fille.

- « Bravo ma fille. »

Mais il est déjà trop tard. Il y a encore un cri, puis un grand bruit sourd.
Boum.
Athelstan
Plus tard, il avait fallu s’arrêter pour lui nettoyer la fiole. Son pif et son front avaient râpé contre un coin de terre tout froid. Presque gelé. Résultat : des bouts de peau avaient déserté pour laisser voir le rouge d’en dessous. Ses camarades s’étaient bien fendu la poire, puis Bouton d’Or avait décrété qu’ils passeraient la nuit là, à l’orée d’une petite forêt. Elle avait fait bouillir de l’eau et lui avait collé un linge chaud sur la trogne, répétant que ça aurait pu être pire. Qu’il aurait pu s’esquinter les chicots au passage. Moins sex’ pour la Dijonnaise… Et puis un piaf de l’Office des Postes était venu les trouver, et la danoise s’était assombrie. Elle était partie s’enfumer le museau plus loin peu après.

A présent, Athelstan écrit d’une main sur un vélin piqué dans la besace d’Astana, sous la directive d’Hazel.


- « Tu connais l’histoire d’Odin et Mimir ? »
- « C’est encore une histoire bizarre du pays d’ta mère ? »
- « C’est oui ou c’est non ? »
- « Beh nan. »


Alors Hazel lui conte son histoire du moment. Elle fait de grands gestes et plein de petits bruits qui ne peuvent pas être retranscrits sur le papier, mais il fait au mieux. Le roussâtre arque maintes fois les sourcils, pas franchement convaincu que le conte fasse grand effet auprès de son père. Mais après tout, qu’est-ce qu’il en sait… peut-être bien qu’il y verrait un signe mystique ? Astana avait toujours beuglé – à un moment ou un autre – que Johannes était un druide, alors le mysticisme… Athelstan secoue la tête. Dans un coin de son crâne s’illumine alors une image nettement plus réjouissante. Une peau blanche, si laiteuse qu’on dirait pas non à un autre petit verre de lait. Et puis une crinière, rousse et chatoyante. Si j’fais tout ça, c’est pour toi Fél-

- « Hé Athelstan ! »
- « Mmhoui ? »


Bruit de froissement et de rire enfantin.
Kécecé ?


- « Qu’est-ce qu’on dit quand un matou pète ? »
- « Smelly cat, smelly cat*… ? »


Et là, pour la deuxième fois de la journée, le rouquin se fait couillonner. Il se reçoit une pluie de bouillie dégueulasse sur la face.

- « Chat-pue ! » répond la gamine hilare, la bouche pleine de parchemin mâchouillé.

Ouais c’est ça, marre-toi. T’as de la chance d’avoir six piges ma p’tite. Il a les yeux qui crient au meurtre. Et puis en même temps... non. C’est poilant d’avoir six piges. Il finit par se bidonner aussi.

La lettre elle, sera envoyée plus tard. Lorsqu’il n’aura plus aussi mal au ventre de s’être gondolé ainsi.


_____________


Citation:

    Papa Johannes,



    Tu connais Odin ?
    Odin, c’est le roi des dieux, il a un cheval à 8 pattes et il est très intelligent. Mais il veut être encore plus intelligent. Alors il va chez son tonton qui s’appelle Mimir et qui a un puits. Dans le puits il y a de l’eau qui rend très sage (ça veut dire intelligent), et Mimir il buvait tout le temps dedans quand il était jeune avec une corne. Même que le voyage est dangereux parce qu’il faut traverser le pays des géants, mais comme Odin a très soif il s’en fiche du danger. Puis quand il arrive chez Mimir il demande à boire, mais Mimir il veut pas partager son eau pleine de connaissances. Il est pas sûr qu’Odin soit vraiment prêt. Alors il lui fait passer une épreuve et il lui dit qu’il veut son œil ! Son œil, tu te rends compte ? Et Odin, bah il prend un poignard et schlak ! il s’arrache l’œil gauche et il le fait tomber dans le puits. Mimir est content, et Odin a le droit de boire. Après il devient très, très sage. Donc quand on veut, on peut.

    Comme toi avec tes doigts et Maleus ! Maman m’a tout raconté.
    T’es très sage maintenant.

    A ton tour !

    Câlin de moins loin.


      Hazel.




[Traduction : Chat qui pue, chat qui pue]
Astana
    [Une auberge de Saint-Aignan, le 5]



Astana rêve. Derrière son front se passe un rêve de merde où elle est drapée d’une fourrure de blaireau, il semble qu’elle cherche sa botte gauche. C’est fou le mal-être que cela procure d’avoir un pied tout nu, tout froid, tandis que l’autre est au chaud. Surtout lorsque l’on marche dans la rue. Bonjour, vous n’auriez pas vu ma botte ? On lui sert des œillades en coin sans répondre à ses interrogations, les habitants de la bourgade font semblant de ne pas la voir. N’auriez pas vu ma botte ? J’ai froid au pied. Elle entend comme des murmures dans son dos, mais lorsqu’elle se retourne il n’y a pas un chat. Il n’y a plus de rue non plus. Rien que du vide, ou presque. Rien qu’un panneau qui indique l’établissement le plus proche : les Œufs à la Coque. Elle continue ses recherches mais bientôt, les murmures se font plus audibles : « C’est la catin de Renard ! » Quoi ? Comment ? Mais pas du to- « La catin de Renard est là ! Planquez vos maris ! » Je cherche juste ma botte… « Chasse gardée, chasse gardée ! » Plus la blonde approche du rade, plus la clameur est assourdissante. Parvenue devant la porte, la danoise fait face à un écriteau des plus singuliers : « Prix d’entrée : une botte. »

Lorsqu’elle s’éveille, châsses grises ouvertes sur l’heure bleue, Astana reste immobile un temps. Couchée sur le flanc gauche, elle fixe droit devant elle, prête l’esgourde au sang qui pulse dans ses tempes. C’était quoi ce bordel ? Ta conscience qui se réveille. Ça fait tout drôle, hein ? Ta gueule. Sørensen s’extirpe de la couche le plus discrètement possible. Il doit lui rester une heure, tout au plus, avant qu’Hazel ou Athelstan ne soient levés aussi. Pieds sur sol froid. Grimace. Elle attrape ses vêtements de la veille, qu’elle aurait mieux fait de conserver au chaud sous les couvertures, et se rhabille à la va-vite.

Bientôt, il y a de l'eau qui chauffe dans le coquemar. L'infusion de pulmonaire sera bientôt prête. Une fois qu'elle l'est, Astana s'attable avec son bol de flotte aromatisée. La première lampée, brûlante, lui crame la bouche toute entière. Elle relit la lettre de Johannes. L'enfoiré magnifique. Oui, mais un enfoiré qui raconte de belles histoires. Et puis la Leçon est édifiante. Vraiment. Enfoiré. Deuxième lampée, nouvelle grimace. Salaud. Tu mériterais que… Astana brise le sceau de cire qui scelle la réponse d’Hazel. Une feuille de châtaignier se trouve dans le pli. Elle la met de côté. La blonde prend plume, et rajoute en petites lettres un post-scriptum qui devrait faire écho, là-bas, quelque part sur Autun.





Citation:

    Papa Jo,


    Moi j’aime les renards. Et les blaireaux.
    Tu crois qu’ils sont copains dans la vraie vie ?
    Ou ils sont fâchés comme les chaises et les tabourets ?
    J’aime bien les tabourets aussi.

    Tu peux me raconter l’histoire du ruisseau magique ? Le caillou que la Renarde a trouvé, c’est un caillou tout plat ou sans forme ? Qu’est-ce qu’il a de spécial ? Parce que j’en ai trouvé un hier dans la forêt avec de la mousse dessus ! Il était tout seul au pied d’un très gros arbre. Oh, il y avait aussi un champignon, mais lui on l’a mangé. Regarde, j’ai aussi ramassé une feuille toute jaune – comme les bottes de la Renarde !


      Hazel.


    P.S : Surtout pas pour les blaireaux qui crèchent, créchaient ou crècheront rue Coquillère.
Jhoannes
Citation:
Très chère Hazel,

J’aime aussi les renards et les blaireaux, et je pense que les renards et les blaireaux devraient s’aimer entre eux. J’ignore s’ils sont copains, mais si d’aventure je croise la route d’un renard, ou d’un blaireau (votre maman vous dira peut-être que je devrais simplement me regarder dans un plat de cuivre poli, n’y prenez pas garde), je n’oublierai pas de lui demander. Si vous aimez aussi les tabourets, c’est que vous avez un grand cœur, car il faut bien de la vertu pour aimer ces bêtes-là, qui n’ont que trois pattes, et qui ne sont pas fiables.

LA TRISTE HISTOIRE DU RUISSEAU MAGIQUE ET DU CHEVALIER PERDU

Campée au flanc d’une colline verdoyante, était la petite maison d’un chevalier qui y vivait avec sa femme, dame de bonne nature, et ses deux enfants, qui passaient leurs journées à jouer et à monter aux arbres, et leurs nuits à faire de jolis rêves. Le chevalier aimait son épouse (pensait-il, alors), et sa femme lui rendait toute la tendresse du monde. Cette famille coulait des jours bienheureux, jusqu’à ce jour tragique de décembre, lorsque le chevalier, pris d’une envie soudaine de manger une tourte aux champignons, décida d’aller se faire une petite cueillette en solitaire.

Ah, grand mal heur ! Funeste balade ! Il avait plu ce matin-là, et dans les sous-bois avaient éclos une grande quantité de champignons. Le chevalier, captivé par la perspective d’une grosse tourte, s’enfonça dans la forêt, allant d’un cèpe à un cèpe, d’un pied-de-mouton à un autre, et se perdit en route. Les dernières lueurs du soleil éclairaient les feuilles dorées des châtaigniers, et le chevalier tentait encore de retrouver son chemin vers sa maisonnée, lorsque le murmure d’un ruisselet l’appela. Guidé par le chuchotis de l’eau, il marcha jusqu’à sa source. Il vit alors la plus belle chose qu’il avait jamais vue au monde : un fin ruisseau, à peine un ru, où coulait une eau argentée, si claire et si glaciale qu’il en tomba fou amoureux. Le chevalier ôta son armure, et tomba genoux à terre. Sous la lune clémente, il se baigna toute la nuit. Lorsque l’astre contraire pointa de nouveau le bout de son nez, le frêle ruisseau lui dit :
- Si tu suis mon cours, tu retrouveras le chemin vers chez toi.
Le chevalier aurait voulu rester dans ces eaux pour toujours, mais la voix se tut, et il obéit.

Tourmenté, à son retour, il trouva que sa tourte aux champignons tant désirée était bien fade. Le réconfort qu’il trouvait d'ordinaire dans le bras de sa femme était absent. Quand il dormait, il rêvait du bruit de l’eau. Un jour, alors que son épouse était en train de pétrir de la pâte à gâteaux, le chevalier ne tint plus et lui dit :
- Femme, j’ai trouvé l’amour dans les bois, et il faut que j’y retourne, car fol je suis.
Ses mains jetèrent de la farine, et elle eut beau lui répéter combien fol il était, et d’autres choses aussi que nous tairons, le chevalier n’entendit rien, car il était déjà perdu, et il s’en alla dans la forêt se perdre encore.

Inconscient, il se défit une nouvelle fois de son armure et plongea son corps dans le ruisseau.
- Ô, je t’aime, ruisseau, toi qui as fendu mon armure comme mon cœur, lui déclara-t-il alors qu’il avait la tête sous l’eau.
- Et pourtant, tu ne peux pas demeurer en mes eaux, car tu t’y noierais.
- Je nagerai jusqu’à mon dernier souffle.
- Tu te noierais quand même. Bientôt, je ne serai plus ruisseau, mais une rivière. Et je rejoindrai les bras des fleuves, et je serai fleuve à mon tour. Voudrais-tu que je reste si frêle pour toujours ?
Le chevalier ne sut quoi répondre, car il était encore jeune, ma foi, ou du moins pas trop vieux, et qu’il n’avait jamais réfléchi à ces choses-là. Désolées par son silence, les eaux se retirèrent et il se tint bientôt au milieu d’un lit asséché, nu comme un vers et plus perdu que jamais.

Ni les jours, ni les mois, ni les saisons qui suivirent, le chevalier n’entendit plus raison. On peut le croiser parfois à la jolie lune, errant, traînant ses bottes le long d’une rivière dont il entend la voix ; mais la rivière refuse d’entendre la sienne, alors il lui arrive de déposer à son bord un caillou en espérant que l'eau l'emporte, un caillou gris souris, ou un rouge, et même une fois un caillou vert-de-mousse en forme d’oreille - c’est celui-ci que Renarde ramassera quelques siècles plus tard.

Prenez bien soin de vous petit pois.

Jhoannes

_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Astana
    [Nevers, le 7]



C’est tard. Tout le monde pionce, ici et ailleurs. La danoise s’est enfumé le museau avec ses herbes helvètes qu’elle affectionne tant. Elle est entourée d’un nuage de gris qui stagne dans la piaule. Deux jours, il lui a fallu. Deux jours pour digérer les insultes, les remontrances, les appels au meurtre, le vice. Deux jours pour écrire des tissus d’horreurs. Sa plus belle création, celle qui se terminait par « S’il vous reste un soupçon d’amour pour moi, prenez-le. Prenez-le. Et allez vous faire mettre avec. » avait fini au feu. Trop de vérités dedans. De vilaines, très vilaines vérités pleines de (res)sentiment. Finalement, Astana s'était adoucie. A grand renfort d'herbes. A présent, elle sourit tandis qu'elle achève son dernier courrier. C'est certain, lui ne finira pas au feu.




Citation:

    J,


    Catin lorsque je lève et repose mon flanc. Mais aussi ribaude à midi, ribaude au digestif. Folle femme aussi bien été comme hiver. Et surtout, putaine dans les bras des autres.

    Les Autres.

    Ceux que vous connaissez et que vous ne nommez pas. Ceux dont vous n'entendrez jamais parler.
    Les riches, les moins riches. Les ferrailleurs, les hommes de main, feu notre ancien Roi et tous les autres.

    Catin du Sentiment, des champs de bataille, de la Réforme.
    Catin du Renard, des Oeufs à la Coque, de la rue Coquillère.

    Alors Client, êtes-vous satisfait ?
    Là. C A T I N.

    A ce titre, permettez-moi de vous réclamer la somme qui m'est due. Au bas mot dans les 22 000 écus.
    J'ai fait les calculs, voyez-vous. Et encore, je vous fais une fleur car je ne compte que les six années passées, et non pas celles qui ont précédé. Six années de Sentiment. Je vous ai fait une petite ristourne pour votre fidélité sans failles.

    Comment souhaitez-vous régler ?

    Je ne vous embrasse pas, car je me verrais obligée de vous le facturer aussi.

    A bientôt.


      A.
Jhoannes
Retour du même pli, avec une réponse rédigée au verso en lettres nettes, cassantes.

Citation:
C,

Catin a pris le sens récent, et limpide vous allez voir, de : arrêtez de foutre votre museau dans ma correspondance avec Hazel. S’il vous reste des crottes de haine ou d’amertume à mon sujet, répétez l’exercice auquel vous vous êtes adonnée : déposez un parchemin au sol, accroupissez-vous au-dessus, poussez bien fort, soulagez-vous, et signez de votre nom comme une grande fille.

C.

Puisque vous y tenez, voici deux écus, en avance de salaire pour notre commerce passé. Je répugne à les lâcher car l’eau a coulé sous l’aqueduc, et votre souvenir me laisse froid, mais j'honorerai ma dette.

_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Astana
Loués soient les pigeons de l'Office des Postes qui voyagent à une vitesse ahurissante.

Citation:

    Johannes,


    Mon souvenir ne vous laisse pas froid. Il vous échauffe le palpitant et la carafe. Il y a quatre ans, j'étais encore votre tendre amour (vos mots, pas les miens). Sans doute le suis-je toujours. Vous ne vous donneriez pas autant de mal pour me meurtrir autrement. Si mon souvenir vous laissait froid, vous ne répondriez pas. Vous vous contenteriez d'échanger avec votre fille sans prêter attention aux divagations de votre ex-femme, qui vous aime toujours et cherche désespérément à vous toucher. D'une manière ou d'une autre.

    Là. Je n'ai pas peur de le dire.

        Je vous aime.


          Et je vous démolirai.



      Astana
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