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[RP] À qui troublera le sommeil du Juste.

Gerfaut
Il hurle. Brièvement. Gerfaut a toujours été quelqu’un de plutôt contenu. A genou sur un sol qui connaîtra bientôt ses premières gelées, il ravale sa salive, son sang et sa douleur, tandis que ça papillonne rude dans son épaule. Même chose, d’une autre sorte, devant ses yeux. Pourtant il ne manque pas de remarquer la blonde se piquer dans le champ en essaimant ses mollards, alors son regard trouble s'arrime à elle. On ne sait pas bien trop si ce sont des larmes de sueur ou de douleur qui lui rincent le visage.

« C’est tout ce qu… »

Un élancement. Il serre les dents, inspire, achève dans un souffle précipité.

« … tout ce que j’avais à dire. »

Nouvelle vague. Le vaincu se tasse sur lui-même, respire plus à fond, grinçant un peu. D’instinct sûrement, il a placé son bras invalide en équerre le long du corps et sous le plexus, l’autre en soutenant l’avant-bras. Ça lui prend une demi-minute pour se recomposer un semblant de contenance, s’il est possible d’y prétendre dans son état. Mais après la douleur immédiate, il n’est pas difficile de comprendre le supplice épargné à ne pas mouvoir la zone touchée. Alors, péniblement, il se redresse sur ses cannes – ce qui n’a jamais suffit à le mettre à l’exacte hauteur de la piquée – et articule dans un effort pour maîtriser sa peine.


« Si voulez ajouter quelque chose, libre à vous. Je ne vous demande rien sinon. »

Qu’on se souvienne qu’il s’agissait de pousser sa gueulante.
Astana
Un ange passe.

Astana ne tire aucune satisfaction a être sortie victorieuse d'un duel qu'elle n'a pas demandé. Il l'avait terrassée à bien des égards et aucun coup en traître ne pourrait inverser la tendance. Certaines lignes ne se franchissent qu'une seule fois. Il lui faut un temps de latence pour qu'elle reprenne pleinement ses esprits et qu'elle essaie de prendre le pas sur le ballet désordonné d'émotions qui la submerge. À bien y regarder, on peut voir que la blonde lutte intérieurement pour ne pas en rajouter une couche, que son poing droit est agité d'un tremblement équivoque. Lorsque ce dernier se lève, comme pour frapper, sa bouche se tord en une grimace qui montre tout le mal qu'elle a à ne pas lui cracher sa bile au visage.

Mais il retombe à plat. Comme ces mots qu'elle ne prononce pas.

Il ne sert plus à rien de batailler. C'est terminé. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Astana ravale tout, de l'usure jusqu'aux brisures, et s'avance, une paume levée battant pavillon blanc.


- « Allongez-vous. »
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Gerfaut
Lorsque Astana baisse son poing, retombe avec lui toute la tension qui soutenait encore Gerfaut. Sa nuque ploie de quelques degrés sous le poids de la douleur, de l’épuisement, de la nuit et du froid, et ses paupières vont si bien pour se clore qu'au moment où elle s’adresse à lui, il a déjà l’air de celui résigné à se laisser crever sur place dans un silence digne. Néanmoins, il lui montre de l’attention.

La réaction est un peu plus lente à venir. Il décale les yeux d’elle et regarde au-delà, comme si était besoin de se rappeler qu’ils sont piteusement debout par une froide nuit d’automne au milieu d’une jachère. Son regard se porte ensuite sur l’intérieur qu’ils ont quitté quelques minutes plus tôt à peine, ou une éternité déjà, et qui ne se trouve en somme qu’à deux jets de pierre. On imagine sans la voir la cheminée qui fume.


« L’eau doit être chaude, maintenant. »

Par contraste avec leur sens, ses mots s’évanouissent en volutes d’eau condensée. Alors il soupire et son bras toujours maintenu immobile, va pour s’allonger en grimaçant là où il se trouve, dans les mauvaises herbes et les pieds d'artichauts.
Astana
- « Elle le sera encore lorsque vous rentrerez. »

Astana dit « vous », s'excluant du tandem malheureux. Ses affaires ont beau être toujours à l'intérieur, lâchement abandonnées sur la table, elle ne souhaite ni chaleur ni eau chaude ; choses qu'il ne lui a de toutes façons jamais proposées. Elle n'aspire à rien d'autre que le froid et la solitude de son pieu, à l'autre bout de cette maudite ville. La fatigue pèse à présent que l'adrénaline n'est plus. Elle sent la douleur lui ceignant les flancs, et les futurs bleus qui orneront sa gorge au matin. Blondeur a la peau qui marque, qui n'oublie pas. Et de tous les vestiges de leur duel, ce sont bien les marques à son cou qui la nargueront le plus longtemps.

Dans sa songerie, Sørensen s'est agenouillée à ses côtés par automatisme. Et s'il a décelé l'absence temporaire de la blonde, il n'en dit rien. Secouant la tête, Astana adopte à présent la mine fermée de ceux concentrés sur leur ouvrage. Ses mains saisissent fermement le poignet et le coude, relèvent l'avant-bras et dégagent le bras blessé de son corps pour former un angle droit. Une fois fait, elle tire, mettant une partie de son poids en arrière pour compenser sa position et le fait qu'elle soit à proprement dit lessivée. L'opération est lente et sans à-coups, mais la danoise connait son affaire ; peu à peu l'os rejoint sa cavité initiale. L'étreinte est relâchée quelques secondes en retard sur la remise du membre.


- « J'ai des herbes pour vous. »

Réalisant brusquement la connerie que représenterait sa phrase en l'état, compte tenu que toute cette histoire avait été provoquée - ou grandement aidée - par des plantes en premier lieu, elle précise à la va-vite en lorgnant un truc flou et sombre au loin :

- « Pas celles de Toulouse. Pour moins déguster, juste. »
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Gerfaut
Qu'il ait compris ou non l'intention derrière l'ordre, Gerfaut laisse faire. Lorsqu’elle débute ses manipulations et que le doute n'est plus permis, il rabat son avant-bras valide devant ses yeux fermés, broie des mâchoires, et attend que ça passe en se concentrant sur tout sauf les sensations qui le lancinent dans l’épaule gauche. La froidure humide de la terre. L’âcreté du sang sur sa langue. Le contact des mains d’Astana sur son bras meurtri. Après qu’elle ait fini aussitôt qu’elle le lâche, il se fait violence pour revenir assis.

« Moi aussi. », lui répondit-il.

Et autant qu’elle l’a fait, il précise, tout en faisant jouer précautionneusement sa main droite le long de son épaule gauche pour réaliser l’étendue du mal et de la réparation :


« De la pulmonaire ; assez pour tout l’hiver. »

Ce dont la danoise avait cruellement manqué lors des derniers mois froids. Sur un coup de tête, elle ait embringué son homme de main en baguenaude dans ses terres natales nordiques ; il l’avait alors un peu trop souvent entendue rendre poumons et trachée, impuissant à la soulager de cette faiblesse persistante. Seul au retour de beaux jours, il avait régulièrement fait cueillette de feuilles fraîches qu’il avait mises à sécher puis soigneusement entreposées.

Cette nuit, Astana ne tousse pas. Gerfaut lui est saisi d’un tremblement invisible dans l’obscurité, résultant de tout de trop cumulé, et en réaction duquel il se déplie tout à fait. Ça prend son temps.


« Rentrons. », dit-il.

Consciemment ou non, son propos à lui est inclusif.
Astana
Hochement de tête.

Astana n'oppose aucun refus ni objection à son propos, sans pour autant avoir l'air ravie d'être ainsi mise au pied du mur. Par les herbes promises et ses affaires, pour ne pas dire Gerfaut tout court. Son visage ne renvoie aucune émotion particulière, la blonde semble juste vidée de toute vie et caractère. Il n'y a que lorsqu'elle se déplie à son tour et que le mauvais genou craque que transparaît une grimace malheureuse. Chez la danoise, il n'y a pas que les poumons qui déconnent.

La maison est à deux pas mais leur retraite lui semble durer des plombes, en partie parce qu'ils sont tous deux éclopés et n'ont rien à se dire. Arrivés devant la porte, et après s'être donné du « après vous / non, je n'en ferai rien, allez-y » silencieux, ils entrent enfin, blonde en tête. Pour la première fois depuis des longes, Astana tire un tabouret et s'y pose. Bien trop claquée pour faire des manières ou sermonner leur propriétaire quant à son mauvais goût en matière de mobilier. Cependant que la chaleur nouvelle l'écrase, elle étale son bordel sur la table à gestes lents et mesurés : le paquet long et fin entouré d'une toile, accompagné d'une lettre pliée en quatre qui lui sont tous deux toujours destinés, et une pochette de cuir semblable à celle qu'il lui avait lancée il y a une éternité déjà. S'occuper les mains pour ne pas penser, ni le regarder.


- « Mettez-en dans votre eau chaude. Maintenant. »

Se faisant, la blonde fait glisser sur la table une poche plus petite, sortie de la plus grande, remplie d'écorce de saule blanc.

- « Il y a de quoi tenir une bonne semaine. »

Elle lâche un soupir long et las, tout en se passant une patte sur le visage. Résignée qu'elle est à devoir se relever pour prendre congé, ce qu'elle ne fait pas encore. Est alors annoncée une évidence des plus inutiles tant elle tombe sous le sens :

- « Vous avez besoin de dormir, et moi aussi. »

On s'en serait pas doutés. Merci.
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Gerfaut
Il a fermé le battant sans mettre le loquet, l'eau sifflait sous le couvercle. Et tandis qu’elle s’assoit, lui s‘agenouille aussi souplement qu’il peut devant l’âtre pour réorganiser le feu. Évidemment, il ne manie la pince et le tison qu’au bras droit, et pour se relever, utilise ce dernier planté dans la terre battue comme une canne. La main dans un torchon plusieurs fois replié, il décroche ensuite la petite marmite, la pose sur la table, et en ôte le couvercle. Une bouffée de chaleur humide s’en échappe.

Dans la continuité de ces préparatifs, il apporte d’un modeste vaisselier mural – six équerres, trois étagères – deux bols taillés à même le bois. Il déplace ensuite du même endroit, manipulation plus délicate d’une seule main, un coffret qui trônait tout en haut à gauche pour le poser sur la table également. En sortent d’abord ce qui semblent être de nombreuses lettres, toutes différentes par leurs dimensions, leurs teintes de papier, leurs épaisseurs. Une cordelette les relie en un paquet, que Gerfaut jette au feu. Aussitôt la lumière se fait plus vive et les ombres plus tranchées, tandis qu’un ronronnement croît dans le foyer. En dessous et qui occupait l’autre moitié du coffret, lié par une cordelette identique, un autre paquet. Celui-ci, un peu plus grand qu’une taille de main d’homme par deux pouces d’épaisseur au moins est enveloppé d’un linge de chanvre légèrement cireux au toucher. Gerfaut le dépose près d’Astana. Ce faisant, s’il ne peut manquer qu’elle a procédé à propres ses déballages, il n’en commente rien. Il s'assoit simplement.

Échange de bon procédé, Astana lui glisse un pochon en retour.


« Merci. »

Mais notablement, Gerfaut tarde à s’en saisir.

Son regard s’appesantit sur l’objet, et comme s’il était inéluctable qu’il ne suffise à lui seul à le déplacer jusqu’à sa main, celle-ci se tend finalement. Tout en en délaçant le cordon, il prend la parole en réponse aux derniers mots de la blonde.


« Pour cette nuit, je ne dormirai plus. »

Un peu du contenu de la poche est versée dans un premier bol. Il l’en arrose d’eau bouillante. Autant de manipulations pendant lesquelles tout le haut gauche de son torse demeure redoutablement immobile.

« Vos appartements sont à l’opposé de la ville, le Blaireau n’est guère plus près, et vous n’êtes pas plus en état d’en couvrir la distance que je ne le serais. »

Le premier bol versé est pour elle. Après le lui avoir glissé, il se prépare le second. L’eau chaude en clapotant lentement lui donne un répit avant qu’il n’achève de se formuler. Bien qu’Astana décèlera son hésitation à initier le propos, sa voix dès les premiers mots n’est pas moins résolue qu’à l’habitude.

« Restez si vous le souhaitez, au moins jusqu’au jour. J’entretiendrais le feu. »

Regard en point d’orgue, jusqu’à l’extinction du souvenir de son timbre. Alors, il lève le bol à ses lèvres, et dans un dernier murmure avant sa première gorgée :

« Vous pouvez prendre le temps de boire pour y penser. »
Astana
Comme il boit sa première gorgée, Astana se fait miroir en gestes, et après avoir soufflé sur l'eau pour en refroidir temporairement la surface, y trempe la lèvre supérieure. Brûlure dans la gorge, goût amer dans la bouche. La grisaille passe du paquet non déballé à Gerfaut, de Gerfaut au lit, pour finalement se fixer sur la lettre pliée. Lentement, sa main droite glisse sur la table pour se l'approprier, et une fois fait s'empresse de la froisser. Dans son poing se forme une boule qu'elle donne au feu à détruire. Lors que les arabesques rougissent, peu à peu réduites en cendres, elle explique :

- « Nous nous sommes déjà tout dit. »

Ou si peu.

Du menton, la danoise désigne l'autre paquet au contenu encore non dévoilé.

- « Ça allait avec la lettre. Pour vous. »

Ça, est un scramasaxe dans son étui. Le manche est en os, tout comme la garde qui est formée d'une pièce gravée de lignes entrecroisées, enserrée entre deux plaques de fer ; quant au pommeau, il se trouve également orné des mêmes motifs. Un souvenir de leur échappée dans le Nord l'hiver précédent, qu'elle avait failli à lui offrir. Probablement parce que tu t'es tirée avant d'en avoir l'occasion, Sa Blondeur. Là où certains offrent des bijoux, Astana offre parfois des poignards. Une sorte de coutume non-officielle mais pas moins familiale, ayant commencé avec une arbalète donnée par Maleus, et qui s'achèverait là où Dieu le voudrait. Ainsi, l'arme traduit ce que la nordique passe sous silence aujourd'hui mais qu'elle admettra quelques jours plus tard : Gerfaut n'a plus d'homme de main que le nom, et guère plus la fonction.

Deuxième gorgée, plus longue cette fois-ci, comme pour leur laisser à l'un comme à l'autre le temps d'imprégner. Il reste encore de l'infusion dans son bol lorsqu'elle le repose sur la table. Après, il ne lui faut pas long pour trouver son regard, qu'elle soutient consciemment pour la première fois depuis qu'ils sont rentrés.


- « Vous faites incroyablement sens. Et je devrais vous écouter. Mais vous savez comme moi qu'il ne serait pas... correct, que je dorme ici. »
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Gerfaut
Pas plus de commentaire lorsqu’elle contribue à son tour à alimenter le feu. Quant à l’objet qu’elle lui désigne, Gerfaut y a simplement laissé courir ses doigts à travers la toile avant de faire lui aussi miroir à sa vis-à-vis, et de replonger dans son eau chaude.

Lorsqu'elle reprend la parole, il demeure silencieux. Probablement parce qu’il n’a rien à répondre à son propos.

Et bien vrai que cette tisane est amère. Mais ça doit passer le goût du sang et d’autres choses encore, parce qu’après un temps de réflexion, il l’achève en quelques gorgées seulement. Un instant, il profite du flot de chaleur interne ainsi procuré tout en se frottant ce coin de menton qui a fait connaissance un peu plus tôt avec la botte d’Astana. Puis il désigne à celle-ci son propre bol encore à demi plein.


« Il vous en reste encore un peu. Vous avez le temps d’en profiter. »

Ce disant, il descend de son tabouret pour s’agenouiller devant le paquetage toujours debout au sol contre un pied de la table. En quelques manipulations, il en a dessanglé une couverture roulée de laine bouillie dont la finesse n’empêche pas le poids. L’étoffe est très dense, et va atterrir avec un bruit étouffé sur la pelleterie en courtepointe du couchage de Gerfaut, non sans perdre de son pliage au vol. On fait les lancers qu’on peut avec un seul bras. Cela fait, Gerfaut va à son lit et fourre la couverture jetée l’instant plus tôt ainsi que la peau-courtepointe en boule dans la couverture du lit dont il fait un baluchon improvisé en se saisissant des quatre coins, sans souci de défaire tous les draps au passage. Tout en s’escrimant à prendre d’une seule main le paquet ainsi formé, il adresse à la blonde :

« Vous serez sans doute intéressée à savoir, si vous ne le savez pas déjà, que votre cousin a été appelé à rejoindre les rangs royaux en Anjou. Je l’accompagne. Nous partons ce soir. »

Il est parvenu pendant ce temps à jeter la couverture de lit pesante de son contenu vraqué en baluchon sur son épaule droite. Il a traversé la pièce ainsi chargé et s'arrête au pas de la porte. Un peu moins chargé, un peu plus fringuant, il y aurait comme un parallélisme de scène.

« Le long du mur arrière qui donne sur la jachère, il y a une dalle pavée. Peut-être le reste d’une resserre, qu’importe. C’est agréable d’y veiller, l’été ; la dalle est toujours sèche, et le mur abrite du vent. Vous n’y seriez pas chez moi… Mais faites comme bon vous semble. »

Et pour la seconde fois, il sort.
Astana
Mais qu'est-ce qu'il branle ?

Oh, elle l'avait regardé faire avec la couverture, tout paralysé qu'il était du côté gauche. Elle avait observé le manège sans mot dire, et d'ailleurs sans chercher à le comprendre vraiment. Pour le peu qu'elle sache, il aurait pu enrober ses draps et sa couverture pour dormir par terre et lui laisser le pieu. Bien son genre. Gerfaut savait se faire définitif tout en se passant de mots, lui imposant une volonté têtue et sans failles. Trait de caractère agaçant auquel elle pliait pourtant certains jours. Pas cette nuit. Par deux fois, la blonde avait arqué les sourcils comme il lui balançait une première évidence à la tronche, suivie de près par une connerie aussi grosse que lui. Et puis il était sorti.

Paumes à plat sur la table, Astana va pour se déplier d'une traite mais doit marquer une pause lors que les côtes crient à l'aide. Se ménager, Sa Blondeur, se ménager — ta gueule. Une main fichée contre son flanc droit, l'autre se saisit de la cape abandonnée à la volée. Paix à l'âme du bol qui tombe et se brise dans le tumulte. Dehors, le vent qui s'était tenu tranquille se fait glacé. À passer du chaud au froid comme une girouette tu vas attraper la mort, Astana. Couvre-toi. Voilà. La quinte de toux se pointe pour dire bonsoir, sèche et déchirante. Cependant, la crise n'a pour le moment pas la violence des jours précédents, elle n'est qu'un prélude, qu'un échauffement des poumons à d'autres quintes plus graves qui pointeront la truffe plus tard. C'est un simple coup de semonce, qui ne la retarde pas - ou peu - dans sa lancée. S'essuyant la bouche d'un revers de main, elle localise bientôt ce gars qu'elle ne comprend pas et force le pas pour parvenir à lui mettre la main dessus, le forçant à se retourner plus violemment que prévu. Ça tombe sur l'épaule libre, la gauche, tant pis.


- « Putain de... Il vous manque des cases. Vous m'expliquez ce que vous foutez comme un con avec votre baluchon ? C'est pas la guerre, c'est la nuit ! »

Se faisant, elle tente maladroitement de le tirer vers elle, autant que faire se peut lorsqu'on a les côtes fragiles et qu'on vous oppose une résistance.

- « Vous allez me faire le plaisir de rentrer votre carcasse à l'intérieur ou bien je vous déboite aussi l'épaule droite. »

Et t'ira ni faire la guerre, ni rien du tout.
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Gerfaut
Oui, peut-être Astana devrait-elle lui déboîter aussi l’épaule droite. C’est en tout cas l’avant-bras valide qu’il croise en travers de sa clavicule lorsqu’il la bouscule et la plaque au mur extérieur en retour de la demi-volte qu'elle lui impose. Même s’il y porte tout son poids, lui au moins n’aura pas appuyé là où elle souffre déjà – et de fait, il avait lâché sa charge, à l’instant même où elle lui avait titillé l’épaule sensible. Puis ce plaquage ne dure guère. Le temps qu'un autre sentiment gagne brièvement sur sa réaction de colère. Il recule alors de deux pas, le poing droit cependant toujours serré.

Jusqu’ici, malgré le déchaînement de violence qu’il avait démontré plus tôt et l’abattement et la douleur qui s’en étaient suivis, il avait gardé maîtrise de lui-même. A présent, il est au bord de se laisser dépasser.


« Vous êtes une putain d’emmerdeuse, Astana, mais je ne laisserai pas la nuit finir le boulot à ma place, et c’est hors de question que vous courriez la ville à cette heure dans votre état. Alors vous aussi vous allez me faire plaisir, et camper dehors, ou dedans, je m’en fous. Mais vous ne quittez pas cette baraque de plus de vingt pas. »

Un débit de parole est soutenu par une sourde rage qui peine à se contenir.

« Et n’allez pas croire que je vous ai démonté les côtes pour le plaisir de vous retenir le reste de la nuit. Ç’aurait tenu à moi… »

Le verbe propulsé par la colère a devancé la pensée qui parvient à reprendre tête, mais un peu tard.

« Et merde ! »

C’est le tas de couvertures tout flasque au sol qui prend dans le ventre. Malgré sa lourdeur, il vole sous le pied. Et le visage de Gerfaut de se tordre en retenant un second juron, car dans l’élan de son coup son bras gauche a pivoté en jouant sur l’articulation douloureuse.
Astana
Dans un monde parallèle au leur, probablement que l'un ou l'autre se tire et ne se retourne pas ; et que dans un autre ils se tombent dans les bras. Dans celui-ci, l'un martyrise un tas de couvertures pendant que le second plisse les yeux, affichant un air mauvais et à la fois coupable de le voir ainsi limité par sa blessure à l'épaule. Et si le sang ne circulait pas ? Et si... Une langue claque contre un palais. Sonore. Et puis, un index se lève, pour faire chier son monde. Le ton que la danoise adopte alors, étrangement calme compte tenu de la situation et de son état nerveux - qui n'est pas meilleur que celui de Gerfaut -, n'augure rien de bon pour la suite :

- « Il existait d'autres moyens plus agréables pour me retenir, en admettant que ça ait été votre idée initiale. »


Blondeur se décolle du mur en s'aidant des épaules, sans pour autant s'en éloigner. Pour le moment.
Le ton monte d'un cran, tant au niveau sonore qu'en terme de dureté, comme ce sera le cas pour chaque phrase à venir.


- « Sauf que ça ne l'était pas, n'est-ce pas ? »

Elle effectue un pas dans sa direction, veillant cependant à ne pas trop réduire une distance déjà courte.

- « On est passés de "je vais pousser une gueulante" à "je vous broie les côtes", juste comme ça ? »

Encore un pas. Elle penche la tête de côté, et déclare avant de ponctuer d'un rire mauvais :

- « Je ne crois pas. »

Ultime et dernier pas. À présent qu'elle est là, bien devant lui, un pied sur le tas de couvertures, une grimace tente de contenir sa hargne. Le regard qu'elle lui adresse est difficile à cerner, tant on ne sait si elle souhaite lui démolir le faciès ou cherche désespérément un vrai contact. Probablement un peu des deux, pas nécessairement à mesures égales. La suite ne sera pas jolie à voir, ni à entendre. On y arrive, à la gueulante promise. Doucement mais sûrement. Excepté que ce n'est pas Gerfaut qui balance le premier pavé dans la mare pour les tremper tous les deux, mais Astana.

- « Vous vouliez me refaire le portrait. Vous en aviez envie. Pour me faire payer le fait de m'être barrée. Parce que ça vous écorche sûrement la gueule de le dire, mais ça vous a BLESSÉ ! »

Un nouveau pas, en arrière cette fois-ci. Viennent bientôt un deuxième puis un troisième. De fait, la danoise s'en va, non pas pour briser la limite imposée des vingt pas, mais bien dans l'optique d'aller camper dedans, où le vent ne sévit pas.

Plouf.

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Gerfaut
Face à la montée en puissance de ce discours qui trouve lui-même les réponses aux questions qu’il soulève, Gerfaut demeure lèvres scellées. A-t-il son mot à placer ? Et quand bien même l’aurait-il, n’a-t-il pas décrété plus tôt qu’il s’était défait de tout ce qu’il avait à dire ? Cela n’empêche, le corps parle. Si c’était possible, il se tend davantage à chaque pas qu’elle franchit vers lui, comme la corde d’une catapulte à deux brins de rompre en envoyant sa charge dans un claquement dont on ne percevrait le mouvement qu'après en avoir encaissé l'envoi. Mais elle assène son mot final, et il ne se passe rien.

Elle s’en retourne d’où elle vient, et lui ne bouge toujours pas. Comme statufié.

Quelques minutes s’écoulent. Gerfaut a lentement, très lentement desserré le poing.

Il fixe un temps l’épaisse étoffe de laine bouillie où l’empreinte d’Astana demeure visible. Puis toujours aussi lentement, d’une lenteur qui n’est pas seulement imposée par sa condition physique grandement diminuée, il la ramasse avec son contenu préservé de la terre, de l’humidité et des graviers. Enfin, il rentre à son tour.

Une pièce de bol brisé lui tient lieu d’accueil. Gerfaut en y butant l’expédie dans quelque encoignure de la pièce, et sur le coup, laisse choir le baluchon de couvertures. On l’entend soupirer.


« Arrangez-vous chaudement... Et s’il vous plaît, n’ajoutez rien. Je veux que cette nuit s’achève. »

Il ne l’a pas regardée avant de couvrir les quelques pas qui le séparent du foyer. Parvenu au plus près de la chaleur, il se laisse choir assis devant à même le sol, le front en appui contre linteau latéral droit et le bras indemne en soutient de l’autre. C'est alors seulement qu'il réalise que le tremblement intérieur qui l’avait saisi plus tôt est de nouveau là, sans pouvoir déterminer depuis quand. Peut-être d’avoir longuement pris le vent. Tiens, une autre pièce de bol brisé, à portée de main. Ou peut-être celle-là même dans laquelle il a buté. Il la jette au feu.
Astana
Lorsqu'il rentre enfin, la blonde est un peu retombée en pression. La pipe de chanvre préalablement préparée et allumée n'est pas étrangère à la quiétude relative de la danoise. Mais qu'importe. Puisqu'il souhaite qu'elle se taise, il serait malvenu d'objecter quoi que ce soit s'il tient à être exaucé. Elle le suit des yeux jusqu'au foyer devant lequel il s'affale comme lesté de tout le poids du monde. Comme s'il avait subitement pris dix ans, tandis qu'elle en perdait autant sous les effets des herbes.

Un temps passe, incertain, rythmé par les bouffées qui viennent temporairement enfumer le museau de la blonde. Tranquille. Aucune question ne parasite sa pensée, libre de s'échapper vers des horizons plus joyeux. Tout est clair. Elle avait lâché ce qu'elle croyait être la vérité, n'avait rien attendu en retour, ni rien obtenu, mais elle s'était au moins déchargée d'un trop plein de semi-évidences qui lui avaient navré le crâne autant que la couenne.

Finalement, les pieds du tabouret raclent le sol tandis qu'elle quitte les abords de la table pour aller trouver les couvertures, non sans se munir du torchon utilisé un peu plus tôt par Gerfaut. La logique voudrait qu'elle s'en saisisse. Mais Astana a les idées lumineuses, qui nécessitent une mise en application particulière. Elle les pousse du bout de la botte jusqu'à ce que le tas informe parvienne à gauche de l'âtre, où il n'est pas mais où elle se trouve déjà. Plutôt que de s'y emmitoufler après avoir touché terre et s'être adossée au mur, elle s'en ménage plusieurs coussins ; l'un va contre ses reins, l'autre sous le mauvais genou. Les draps épargnés par la pratique finissent en boule, jetés sur le lit. Ne reste plus que le torchon, qu'elle noue, dénoue, renoue et triture un moment pour en former une écharpe qu'elle agite ensuite dans le champ de vision du taiseux. Emmerdeuse, elle l'est très certainement présentement pour celui qui ne demande que la paix, mais Astana est une amie qui vous veut du bien. Allez, c'est pas tenable ton histoire sans écharpe pour soulager ton bras, semble dire la mine aux yeux rougis.

« Mais taisez-vous, Sa Blondeur ! »
Il n'avait rien dit à propos du langage des signes, et elle s'était arrangée chaudement, presque prête à pioncer, mais pas tout à fait.

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Gerfaut
Dans la pièce embaumée des fumées de la blonde, il a fermé les yeux et s’est concentré sur sa respiration. Il se souvient comme elles l’insupportaient à ses débuts auprès d’elle, puis comme petit à petit, il avait appris à associer ses volutes gentiment irritantes et leur fragrance si difficile à cerner à des moments partagés de silence apaisé. A la fin, il ne manquait jamais d’avoir une petite dose de ce tabac particulier, prélevée dans la réserve principale de la blonde au cas où celle-ci viendrait à bout de sa portative. Il ignorait de quelle composition était ce mélange d’herbes et n’y avait jamais touché pour lui-même.

Sauf une fois. C’était fin mars dernier, à Toulouse.

Encore un pari foireux contre la danoise. Le genre qui l’avait mené à lui sculpter des blaireaux de neige dans l’hiver nordique. Une autre fois, elle lui avait fait baragouiner quelque chose en danois à une rude écailleuse d’Aarhus qui en retour de son mot à la prononciation bâtarde l’avait retapissé d’un plein seau d’entrailles de poisson. Probablement le meilleur coup de la blonde aux yeux de Gerfaut, qui s’interrogeait encore parfois sur le sens de ce qu’elle lui avait faire dire. Lui aussi en gagnait, des paris foireux. Celui de Toulouse il l’avait gagné, imposant en gage à Astana de lui faire goûter de son tabac dont elle était si avare. Non pas qu’il ne pouvait lui en subtiliser, ou se servir dans la réserve de secours qu’elle l’ignorait avoir constituée. Juste pour la narguer. Astana ne formalisait pas, ou peu, de gages engageant le physique ou les apparences. Il fallait l’agacer sur d’autres terrains.

En obtenant de tirer sur sa pipe, il avait touché juste. Mais elle avait trouvé moyen de le retourner contre lui, la garce.

La nuance qu’il avait décelée dans les fragrances de volutes auraient du l’amener à se méfier davantage.


Un torchon noué lui pendulant devant les yeux l’extirpe de son train de pensées. Astana qui l’exhibe à bout de bras est parvenue à retenir son attention. Il cligne des paupières, se remettant d’un instant de flottement. Et lorsque enfin l’intention de la blonde atteint sa compréhension, il se redresse de la cheminée qui l’appuyait et acquiesce en tendant mollement la main vers le torchon savamment arrangé. C’est une idée.

Ce bout ici, et cet autre là, ou en faisant glisser ce coin plus bas peut-être. L’affaire n’est pas si simple qu’elle le paraît, et Gerfaut ne semble ni d’humeur ni de forme à persévérer. Alors il garde simplement le linge en main, et rebascule contre la pierre tiède. Un bras en appui de l'autre, c'est tout aussi bien.
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