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[RP] Et j'irai bientôt bouffer les pissenlits par la racine.

Astana
    [ÉTÉ '64, QUELQUE PART SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS]

Plein été, l'air est moite, il vous colle à la peau. Il dépose sur votre nuque, vos bras, votre gorge, une fine couche poisseuse que rien ne semble pouvoir enlever. Ni l'eau, ni le tissu, ni vos mains, rien. La chaleur puise dans vos moindres forces pour se repaître et tâcher d'achever les moins résistants. Comme tant d'autres avec elle, Sørensen combat la tiédeur en levant le coude. L'endroit est blindé, et vas-y que ça braille et que ça se donne des tapes viriles dans le dos. Tu devrais sortir t'aérer le museau, Sa Blondeur, plutôt que de cuire à petit feu dans cette marmite géante. Mais non. Ce soir, pas de Blondeur qui tienne, ni d'Astana. Elle n'a ni passé, ni futur. Et d'ailleurs, ne s'appelle pas du tout.

Attablée avec trois autres gusses bien avinés, la danoise joue aux dés. Les siens sont évidemment pipés, mais qui irait l'accuser alors qu'elle-même a perdu plusieurs fois d'affilée ? À bien des égards, c'est un travail bien mené. De blonde prétendument bien imbibée la voilà fraudeuse, déplumant ses compagnons sans compter. Le temps passe, et avec lui, sa chance. Qui s'amenuise à mesure que la température monte et que les verres se vident. Les regards finissent par se faire lourds de sous-entendus, insistants, comme s'ils désiraient voir au travers de la vêture noire. Les tifs cendrés étant relevés, offrant la nuque à vue, son voisin de gauche y fiche une patte pour dessiner les contours de sa cicatrice. L'échine se hérisse. Dans le carafon fêlé de la ferrailleuse, l'alarme tinte enfin.

La grisaille n'est plus rieuse mais sombre. Le regard intime un « Non » ferme et sans appel en même temps qu'elle se dégage de son emprise pour prendre congé.

- « Allez quoi, on peut pas jouer un peu ? », qu'il balance en la retenant par le bras.

Le coup part sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Un violent revers de main s'écrase contre la joue du soulard. Cette même gifle semble avoir happé tout l'air du rade, où plus personne ne dit mot. Mais fuse bientôt un ricanement, puis deux, et c'est bientôt tout l'établissement qui se paie la tronche du zouave. Il n'en faut pas plus à Astana pour prendre la tangente et retrouver l'air frais du dehors. Prenant un moment pour elle, le corps est appuyé contre la pierre froide. Là, respire. Les truchements du palpitant se stabilisent peu à peu, cessent de faire des bonds. Et Sørensen de se gondoler nerveusement dans le noir. Ha, t'es con. Je te jure. Elle se marre tellement que ça lui fait mal aux côtes ; et qu'elle n'entend pas qu'on s'approche.


Ce n'est qu'une fois entré dans son champ de vision qu'elle pige à quel point elle est faite. Comme un rat aux Oeufs à la Coque entre les mains du Mazovien. Le faciès déjà blanc se décompose. T'es pas en état d'aligner qui que ce soit, t'es cuite et désarmée. À chaque pas fait dans sa direction elle en fait un en arrière, prudemment... pour se heurter contre la deuxième enflure qui la saisit par les épaules et la renvoie dos au mur. Pierre froide, idées presque claires. Dans leur délire, ses agresseurs se sentent d'humeur à discutailler la sauce à laquelle ils vont la manger, tandis qu'elle les observe, mutique. Astana ne tremble ni ne pleure, elle s'économise. Quand ils en reviennent à sa personne, un crachat cueille l'un d'eux sur le pif.

La suite se passe très vite. Celui à sa droite va pour lui décorer la pommette d'un bleu rageur, et comme elle l'esquive de justesse, son poing s'écrase contre la pierre. Parce qu'il hurle sous le regard vide et choqué de son complice, elle le fait taire en envoyant sa tête flirter avec le mur. Quelqu'une chose craque. Un sur deux. Bien sûr qu'elle n'aura pas l'autre. D'ailleurs il est déjà sur elle, l'envoie au tapis d'un coup de poing qui lui fend l'arcade. Saisie par les cheveux, Astana est traînée sur quelques mètres en retrait du chemin, là où personne ne s'aventurera pour lui sauver la mise. Le liquide poisseux lui obstrue bientôt la vue, mais peu importe. Tant que l'inconscience n'aura pas frappé à la porte, Sørensen ne lâchera pas. De coups brouillons, vidés de leur sécheresse initiale, elle en place autant que possible ; de la main, du pied, du genou, qu'importe. En réponse, chaque heurt qui lui est causé se fait plus sauvage, hargneux, esquinte un peu plus un épiderme déjà raturé, mais les détourne de leurs plans initiaux. Mieux vaut rendre l'âme plutôt que de finir salie. Une salve portée au ventre la fait se recroqueviller en deux sur le côté, le souffle coupé, en quête d'air. Les châsses captent alors une énième silhouette surgissant de l'ombre, qu'elles identifient par défaut comme le troisième homme.

Cette fois ça y est. Tu vas vraiment bouffer les pissenlits par la racine.
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--Loras.
- Je croyais que tu les aimais beaucoup plus jeunes...


Justement, la main qui se pose sur l'épaule du vandale est aussi ferme que la cuisse d'une pucelle, mais celle qui s'abat sur sa trogne beaucoup moins douce cependant. Le coup est brutal, sans équivoque.

Loras n'était pas intervenu immédiatement. Non. Assis à sa table, jouant de ses cartes, il avait repéré depuis son entrée la blonde et la ribambelle de problèmes qu'elle allait s'attirer, et qu'elle trainait derrière ses groles avec une certaine lassitude. Il n'avait pas vraiment quitté des yeux son adversaire, qu'il dépouillait allègrement , sans tricher d'ailleurs. Une femme lasse, voyez-vous, ça invite au divertissement. Plus que tout, ici, une femme tout court, ça invite tous les hommes après trois pintes et quelques défaites au divertissement.

La baffe avait fusée, les yeux de Loras s'étaient baissés sur ses cartes, lorsque tous les regards se tournaient vers l'altercation. Le début des réjouissances. Il était certain que la soirée d'une poignée de mâles était faite. Il avait laissé les gaillards se chauffer, puis sortir, pour sauver leur honneur du bout de leur queue. Il avait un As à abattre, lui. Et d'une main victorieuse, il rafla la mise, sans un sourire, sans un sursaut d'excitation. L'adversaire quitta la table, déçu et soupçonneux, pas assez malgré tout pour se mesurer à la trop peu rassurante tranquillité du vainqueur qui tendait à dénoter dans cette atmosphère chargée d'alcool et d'injures, de rires et de bruits de pièces.

Novgorod avait parcouru en balayant l'assistance du regard les quelques mètres qui le séparaient de l'entrée du bouge, posé sa patte calleuse sur l'épaule de la gargotière comme un au revoir tendre et silencieux et s'était fondu dans la chaleur de la nuit. L'argent avait glissé dans une poche dissimulée, dans les replis de sa cape. Cette fameuse cape qu'il avait gagné une autre nuit, une autre fois, dans un autre tripot. Un fade sourire s'étira à la commissure de ses lèvres, à l'évocation... Bien vite effacé par la vision inévitable de l'équation alcool, femme et égo masculin, illustrée là, à quelques mètres dans la pénombre.

L'épaule avait prit appui sur le plan du mur, les doigts jouant avec les piecettes dans leur écrin de tissus, comme un geste voulant désamorcer une nervosité latente. Les yeux noirs du Novgorod suivirent la course de la main qui agrippait les cheveux blonds, narine frémissante. Le geste éveillait en lui des restes de nuits à l'odeur de souffre et l'ire de sa jeunesse. Les portes défoncées, les chaumières en feu, et les femmes emportées. Cette vie de soldat qui venait le retrouver parfois, quand le sommeil se faisait attendre. Et tout au fond de lui, comme un grondement sourd, l'épaisseur ténue de sa patience cédait lentement. Cette joute inégale commençait à lui courir sur le haricot.

Loras n'était pas intervenu immédiatement. Non. Il avait attendu que la joueuse n'ait plus de carte à sortir. Car dans tout combat, même le plus inégal, ce qui importe à l'homme c'est l'honneur. Celui d'abord de ne pas se laisser trop vite secourir. Et pour la combattivité de celle qui aurait mieux fait de porter des couilles cette nuit là, et pour sa consciente riposte aux conséquences déclinées là... Il n'avait qu'une place à prendre. La sienne. Au bon moment. Pour ne pas froisser plus que ce que n'était déjà. Lui n'aurait pas apprécié qu'un connard viennent jouer les bon samaritains au moment le plus inopportun...

    Tu sais très bien que c'est un monde d'hommes. Et tu t'y donnes. Pourtant, la prudence n'épargne personne, quand il s'agit de rester entier. En vie. L'envie de survivre, ce soir, est une constante que tu as mal évaluée.


Elle avait sans doutes ses raisons. Mais rien qui ne permette au renégat de la laisser se faire déshonorer, sous son nez. Comme si le spectacle pouvait lui être plaisant à regarder... Alors, le corps s'était séparé du muret. Consciencieusement, la dextre avait habillée la senestre de sa ceinture, préalablement retirée. Les phalanges avaient retenu les épaisseurs du cuir, protégeant les osselets frappeurs. Et je peux vous dire, oui, que lorsque la main qui s'était posée sur l'épaule du vandale s'est abattue sur lui, elle était aussi ferme que la cuisse d'une pucelle, mais beaucoup moins douce cependant.

Dans un élan de rage incommensurable et démesuré, à la force de ses poings et à la furie qui s'était emparée de lui, Loras écrasa littéralement le visage du malandrin pour le réduire en purée d'os et de cervelet, rougissant ses poings et son visage, dans une posture offensive et hargneuse qui l'aurait débarrassé d'une cohorte entière, si elle était passée par là.

On ne touche pas à une femme désarmée lorsque ce n'est pas sur un champ de bataille, juste pour s'y soulager la queue.

__________________________
Astana
Une phrase lâchée. Des os craquent. Ce ne sont pas les siens.

Dans le tumulte, Sørensen se traîne vers des horizons plus accueillants, à deux pas vers un carré d'herbe ni plus vierge ni plus vert qu'un autre. De sa gorge malmenée ne sort qu'une plainte sifflante, manquant d'oxygène pour se faire entendre. L'esgourde est sourde à la scène qui se déroule à quelques mètres à peine, n'ayant d'ouïe que pour son propre sang cognant contre ses tempes. Sueurs froides. Envie de gerber. En appui sur paumes, Astana crache du sang et vomit du vent, l'estomac secoué de spasmes cuisants. Comme un hérisson qui se promènerait entre ses entrailles.

La tête lui tourne, trop pour qu'elle se redresse mais pas assez pour qu'elle ne tombe dans les vapes. À terre elle est, à terre elle demeure. Là. C'est pas si grave. C'est confort le sol aussi, pas de quoi en faire un drame. On oublie vite qu'un sol est la base de tout, sans quoi rien n'est fait. Alors reste-y un peu. T'es plus à ça près, Sa Blondeur. Laisse couler.

Les pattes portées à hauteur de museau, aussi meurtries qu'elles sont tremblantes, s'ouvre puis se referment, la rassurant sur un point : elles ne sont pas cassées. En arrière plan, flou mais présent, son libérateur toujours aux prises avec les restes d'un de ses agresseurs. Il doit être déjà mort depuis des longes, mais la danoise ne dit mot. Ce n'est pas le moment de l'ouvrir, ni de lui rappeler qu'elle respire toujours grâce à lui. La fureur dont elle est témoin est trop saisissante pour cela. Est-ce qu'elle le connaît ? Non. Astana ne connaît qu'une seule personne capable de dégommer quelqu'un de la sorte, mais il n'a pas sa carrure. Qui alors ? Ça fait belle lurette qu'elle n'adhère plus au numéro du héros bien intentionné.

Les sourcils vont pour se froncer, qui réveillent une douleur vive. L'arcade. Elle est ouverte et pisse tout ce qu'elle peut de carmin. Mais difficile de dire où ça pourrait couler ailleurs dans le bordel qu'est le minois nordique. À qui le sang, à quoi la plaie ? Une nouvelle fois, le cœur au bord des lèvres la pousse à se courber en deux. Et la bile, une fois encore, lui fait faux bond. Plus tard, probablement. Une fois le choc passé et sa connerie pleinement digérée. L'horreur de ce qu'il aurait pu se passer s'il ne s'était pas pointé intégrée. L'effroi de la guerre n'a pas grand chose à voir avec le fait d'être femme, cornue sûrement, mais femme soumise à la force brute de l'homme. On peut crever des deux, mais elle vivait avec le premier depuis des années et s'était faite à l'idée de n'être qu'un cadavre en sursis sur le champ de bataille. Parmi les coquelicots.

La grisaille se relève alors sur la silhouette dans la pénombre.


- « Il est mort. »


La voix éraillée lui fait défaut. Raclement de gorge.

- « Vous l'avez refroidi. »

Du coup, si tu pouvais arrêter ta bouillie ici...
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--Loras.
Y'avait bien une chouette qui hululait sans trop se préoccuper de la scène, dans le coin. Mais à l'heure où le visage ne ressemblait plus réellement à un visage, l'oiseau de malheur s'était tu, laissant comme fond sonore les relents de la blonde et la respiration sifflante de Loras, achevant d'un irrépressible dernier geste la vandalité de son oeuvre. Se dépliant en s'écartant de son massacre, le jeune renégat peina à retrouver son souffle, évincé par l'apnée de sa folie meurtrière.

Meurtrière.

Sourcils arqués comme incrédules, il souffla d'une voix étranglée qu'il ne se reconnut pas quelques mots bien malheureux.


- Ouais... Ouais. Vous avez raison...


Je l'ai refroidi.

Le constat est muet lorsqu'il essuie son nez d'un revers de pouce nerveux et sanguignolant, souillant son visage d'une trainée d'hémoglobine et qu'il chancelle un peu sur ses jambes comme s'il reprenait pied avec la terre ferme. L'atterrissage est amorcé. Brutal, comme les poings de Loras. Incroyables, comme le camaïeux des contrastes qui l'étreint parfois. L'impulsivité est encombrante. Lorsqu'elle sort de nulle part, on ne sait plus bien où la ranger après. Il fait quelques pas et tourne le dos à la femme, jambes tendues, reprenant appui sur ses genoux. Les poumons se gonflent de l'air brulant de cette nuit aux allures si tranquilles... Les criquets reprennent leurs chants de séduction, malgré la hulotte qui n'ose plus becter une seule note.

Il l'a tué. C'est sûr. Il l'a tué. Il ne fera pas l'affront d'aller vérifier. Le type n'a plus de figure à lui montrer, ni à perdre. Et la douleur qui se réveille enfin dans son poing comme un coup de trique n'a rien à rajouter.

Sensation désagréable, que de revivre ce qu'il avait laissé somnoler. Tuer n'est jamais apaisant lorsqu'on le le fait pas pour sa survie.

Même pour celle d'un autre.

Il se redresse, penchant sa tête en arrière un instant. Regard coulant sur l'intéressée. Et de se justifier, presque.


- Il 'merd'ra plus personne...
Astana
- « Vous semblez doué pour énoncer des évidences. »

La phrase est lancée telle qu'elle est, amère et sans enrobages.

Ce qui n'est pas un manque de respect ; encore faut-il être habitué aux intonations danoises, aux accents tranchés et à toute la rudesse que cela suppose pour le comprendre. Quoi qu'il ne semble pas être de ceux s'encombrant de choses pareilles. Il doit probablement s'en battre l'orbite. Difficile de faire la fine bouche après avoir défoncé un crâne à mains quasi nues devant témoin, en même temps.

Les deux mains passent sur son visage, jusqu'aux cheveux à la naissance du front et qu'importe le douleur, comme si cela pouvait l'extirper du mauvais rêve dans lequel elle s'était fourrée. Un cauchemar aux contours connus et déjà vécus, où le destin se payait votre tronche pour avoir pris à droite plutôt qu'à gauche. Une grimace mauvaise lui déforme les lèvres qu'elle efface d'un revers de manche, arrosant au passage l'herbe d'une énième dose de rouge. Et Astana, en fille longue et résignée, de se remettre peu à peu sur pieds. Un appui après l'autre, jusqu'à ce que ses échasses puissent porter le poids de sa carcasse défaite. Une main placée en garde-fou contre le mur, et en dépit des côtes martyrisées sous l'effort et des aiguilles dans les poumons, la blonde réduit un peu la distance qui les sépare.


- « En voilà une autre pour vous : il faut qu'on décarre. »

Elle relève la tête, cherchant à accrocher son regard dans la pénombre. Un instant, les lèvres s'entrouvrent mais il n'en sort aucun mot, aucun son.

Est-ce vraiment une bonne idée ? — Arrête, c'est pas comme si tu pouvais cavaler où que ce soit dans ton état.


- « Soyez ma béquille le temps de trouver un endroit plus tranquille, ensuite... »
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--Loras.
Ta béq...

-uille?


On ne saura jamais vraiment si c'est cette drôle de demande ou le bruit d'un groupe d'hommes sortant du bouge qui interrompit l'échange entre la Cynique et lui. Ce que l'on saura, c'est qu'il ne fallut qu'une seconde dans l'esprit vif du renégat pour tracer le scénario qui allait se dérouler s'il n'agissait pas vite et bien.

Le groupe d'homme allait sortir bruyamment, saoul et sans le sou à force de défaites aux jeux. Vu qu'y voir double n'aidait jamais à dédoubler les écus... Ils s'arrêteraient devant les restes de leur vieux pote de beuverie, celui qu'aimait les petites filles, mais qui avait jeté son dévolu sur la blonde. Vu que l'alcool aidait à élargir les goûts. N'en croiraient pas leur yeux, lesquels buteraient bien vite sur eux deux, là contre le muret, à se tailler une bavette avec une gueule à faire peur. Et malgré le vin, et malgré la bière, malgré même la jambe de bois du plus agé, ils courraient bien plus vite qu'une estropiée et un ex soldat la tirant par la manche...

Ce qu'elle accrocha dans le regard de Loras sans doute, ne lui plu pas. Sans doute. Mais sans lui laisser le temps de le lui dire ou de réagir, ni de nous le partager, novgorod l'assomma d'un coup sec sur la tempe. Propre, mais brutal. Assez propre pour ne pas la souiller du sang du soudard, assez brutal pour ne pas lui donner l'occasion de vérifier. Et de récupérer dans l'amplitude de son bras le corps sec de l'inconnue, au moment où les autres arrivèrent à leur hauteur, poussant déjà des exclamations de gorets à la vue de l'affreux spectacle.

Non, pas la Danoise. Le réduit de cervelle en deux temps. Bien sûr.


- Ho mon dieu ! Mais c'est.. qui?
- Méconaissaaaaable ...
- Puteborgne, c'est jéhan! Je reconnais sa...
- Hé, toi! C'est toi qui....
- Je l'ai vue la première.


Etrangement, parfois, nul besoin de pérorer... Une bonne affirmation avec assurance... Et en resserrant blondie comme un sac de navet contre son torse... Tant qu'à faire. Voilà que tout le monde se mit d'accord. La blonde était à lui. Personne n'avait rien vu. Jéhan n'était qu'un sale mauvais perdant, de toutes façons... Circule, virgule.

Dans un geste sans grand effort, Loras porta l'inconnue sur son épaule, bras resserrant son étau sur ses cuisses. Elle n'aurait pas pu les sortir de là de toutes manières... Avec sa gueule patibulaire et son accent de porte qui grince. Il s'éloigna de ce beau merdier sans se presser, retrouvant un calme bien peu naturel, comme si rien de tout cela ne venait de se passer...
Astana
    Ploc. Ploc. Ploc.
Le nuage semble planer directement au-dessus d'elle, ombrant chacun de ses mouvements. Comme s'il avait été créé et n'existait que pour sa pomme. Elle essaie de le distancer, de s'enfuir, mais réalise à présent qu'elle est à l'horizontale, ses jambes se déplaçant inefficacement de long en large dans la boue épaisse et lourde où elle est couchée. Plus il pleut, plus la boue s'arrime à son corps défendant. Sa tête, ses jambes... tout lui pèse. Bientôt, elle n'aurait plus la force de bouger du tout. Et tout aussi soudainement qu'elle a commencé, la pluie s'arrête. À la suite de quoi ses poumons s'emplissent de l'odeur - l'arôme amer et humide que les tempêtes laissent avant que le sol ne sèche et que le déluge ne soit oublié. À ceci près que cette pluie goûte différemment. Qu'est-ce qui peut bien la faire sentir si drôle ? Le sang, ou... Plus de doute, Astana rêve, et elle le sait. La chose avait été assez évidente du tout long, mais le songe était si vif qu'elle s'était laissée aller avec lui l'espace d'un instant, ne souhaitant pas se réveiller.
    Ploc. Ploc. Ploc.
On la tire de là, lui plante des aiguilles dans le visage.

La grisaille s'ouvre alors sur le monde, et Sørensen bisque sévère. Se redressant vivement en même temps qu'elle arrête la main au-dessus de son visage, il lui faut quelques secondes pour faire le point. Le regard passe de l'homme à la piaule, de la piaule à l'homme, et puis ça lui revient comme un poing dans la tronche : la raclée prise, la bouillie de cervelet, « sauvez-moi les miches », des éclats de voix et puis... le noir. Sur le linge qu'il tient en main, du sang. Le sien probablement. T'étais en train de me refaire une dignité ? Elle s'arrime à son épaule pour se redresser en position assise, sans gêne.


- « Merci pour ça. »

Qu'elle lâche en désignant sa tempe de sa main libre.

Dans sa voix, nul reproche, l'esgourde un tant soit peu habituée au sarcasme pourra même y trouver une pointe d'amusement. Et comme le large baquet situé dans la pièce fume d'une eau chaude ou tiède, elle demande :


- « Vous étiez sur le point de prendre un bain, ou de m'y noyer ? »
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--Loras.

Il regarde la main qu'elle tient fermement, comme pour lui dire qu'elle peut la lâcher. Il ne posera plus ses pattes sur elle. Pour ce que ça donne... Et lorsqu'elle se redresse, il reste quand même à ses coté, pas certain qu'elle ne fasse pas un coma post raclée.

- Je comptais t'y jeter, si jamais la méthode douce ne fonctionnait pas.

Et d'étirer un sourire ténu, histoire de dérider blondie. C'est qu'elle est pas belle à regarder, avec sa gueule toute gonflée et son sourire aussi rare que les cheveux sur la tête à Mathieu. Faut dire qu'elle a eu une sacré mauvaise soirée. C'est ce qui devait certainement jouer sur son attitude aussi chaleureuse que les geôles de Touraine. Sarcasme faite femme.

Blondie est d'une minceur à faire pâlir les morts, et son muscle est plus sec que le sien, recouvrant pingrement les bras sur lequel des bleus ont fleuris. L'oeil brun ne s'y attarde pas, cherchant à définir en fixant le bain qui d'eux deux en avait le plus urgemment besoin. Lui, avec le sang écaillé qui lui donnait un air de boucher ou elle et ses brins d'herbes dans les cheveux, et la marque pourpre de son poing au coin de l'oeil...


- Passe la première, je ne regarderai pas.


Loras est courtois, sous la cuirasse. Il désigne le baquet, en réalité intimement convaincu qu'elle salirait moins l'eau que lui, ce qui est préférable pour celui qui passe après... La main calleuse vient étirer les mèches blondes au dessus du front de l'inconnue pour vérifier la profondeur de la plaie, chose qu'il n'a pas vraiment fait en lui essuyant le visage. Le geste est mécanique, et leur proximité ne s'embarrasse d'aucune gêne. Comme deux compagnons d'armes sur le champ, qui composent malgré eux dans la non intimité de la guerre. Ne l'avait-il pas portée comme un sac d’épeautre sur plus d'une lieue avant de regagner sa piaule?

Les noirs croisent les grise-mines avant de s'échapper vers un semblant de repas. Le renégat se lève en la questionnant sans détour.


- Pourquoi tu étais désarmée, dans une fausse aux cons?

    A vouloir bouffer des pissenlits par la racine... Malheureuse. T'as pourtant pas l'air si con que ça.


Dos à elle , les mains saisissent le couteau, non loin du pain.
Astana
Du vous au tu, mais pas du coq à l'âne.

- « Bah, un peu comme toi qui défonce un crâne à mains nues devant témoin, on mettra ça sur le compte de la chaleur. »

Et comme Astana en a pris la mauvaise habitude, elle ponctue avec les épaules, qu'elle hausse. En l’occurrence, la blonde était sortie désarmée à dessein, ne souhaitant pas s'encombrer d'un poids supplémentaire par cette soirée au climat déjà écrasant. Pas dans ses habitudes, donc, mais cela ne faisait pas non plus figure d'exception. Mettons cela sur le compte d'une rengaine bien huilée, où la danoise de relative bonne humeur n'escompte aucun grabuge, n'a pas les dents qui rayent le parquet et se juge apte à fausser compagnie à tout fauteur de trouble éventuel.

Call me naive, but...


- « J'étais sortie boire un coup, pas me faire tomber sur le râble. »

En causant, Astana commencé à se défaire de sa vêture sombre. Les bottes d'abord, puis les braies. Et s'il n'y a pas grand chose à signaler en zone inférieure, c'est une toute autre histoire lorsqu'elle tombe la chemise. Une plainte à peine étouffée se fait entendre lors qu'elle constate l'étendue des dégâts tout en trempant un pied dans l'eau. Et encore, t'as pas vu ta gueule, tu l'imagines juste. T'es pas belle à voir, Sa Blondeur. Dis voir, entre les bleus, les rouges et les vieilles ratures, tu crois qu'il reste des espaces vierges ?

Il y a une limite certaine entre ne pas être pudique et être exhibitionniste. Et si la danoise fait très certainement partie de la première catégorie, elle ne prend jamais part à la deuxième. Ainsi, Blondeur se fout bien de savoir si les châsses noires fixent ce qu'elle a dévoilé et qu'elle enfouit peu à peu dans l'eau sans parader. Ça brûle. Partout. Le bain n'est pourtant pas si chaud, mais couplé à la chaleur ambiante... Astana doit se faire violence pour ne pas en ressortir illico. Au bout d'une minute, la grande navrée est déjà plus à l'aise et va même jusqu'à tenter l'immersion complète. Qui n'arrive en fait pas, comme elle relève brusquement la tête - ce qui déclenche une grimace - pour aviser son complice d'une nuit :


- « Tu dois en avoir, des choses bien crades dans la tête. Pour avoir fait ça avec une telle violence. »

Violence, mot sur lequel elle a volontairement forcé l'accent. Une violence ayant tout de l'acharnement qui lui faisait à présent se demander chez quel drôle de type elle avait atterri.
_________________
--Loras.
Novgorod coupe son pain, d'une main sûre. Il la laisse apprivoiser l'eau tiède, l'enviant un peu. L'atmosphère est d'autant plus lourde que le bain exhale son humidité dans la petite chambre. Les yeux rivés sur son ouvrage, il a un léger hoquet sarcastique à sa remarque. Il s'en fallut de peu que de témoin il n'y eut plus.

Mais elle a raison. Même si cela l'agace de l'admettre. Perdre son sang froid, comme ça... Ce n'était pas l'attitude la plus prudente qu'il pouvait avoir... Pourtant. Pourtant... Il avait jusque là réussi à contenir beaucoup. Amasser le ramassis de merde qui lui trottait dans la tête à certains moment dans le plus poussiéreux de ses tiroirs. Les tiroirs s'oublient. Jusqu'à ce qu'une main viennent les ouvrir de nouveau. Libérant l'ire et les remords. Le poids des erreurs du passé. Il met fin à cette remise en question aussi désagréable qu'inutile en coupant une tranche d'un geste plus sec que les autres. Fixant le mur en face de lui, il murmure comme une évidence.


- Hé bien, c'était extrêmement imprudent de ta part.


Donneur de leçon Loras? Loin s'en faut. Juste désespérément tenace. Si blondie était sortie agiter une fourmilière en s'enduisant de miel, il y avait une bonne raison. Et cette fausse indolence l'insupportait. Il s'était lui, ouvert les mains pour la sortir de son guêpier. Une mise en forme qu'il aurait cependant préféré éviter. Cette femelle là avait l'habitude de la rudesse, l'habitude de la côtoyer. Elle n'aurait sans doute pas tenté le diable si elle n'avait pas un peu l'envie de le chatouiller de près.

Le pain est porté à sa bouche, il le mastique sans en rajouter. Les pattes rugueuses au sang séché et noirci saisissent un nécessaire à fumer, soigneusement engoncé dans un petit coffret de bois. Le briquet d'étoupe allume la pipe de chanvre préalablement extraite, la manoeuvre lui prend quelques minutes. Juste de quoi deviner au bruit de l'eau, quelle partie de son corps la blonde s'apprête à immerger. Respectant son bain, il tire une longue bouffée concentrée, mêlant à la vapeur d'eau d'arachnéens volutes de fumée âcre. L'esprit se reconcentre à peine, pénible machine sans repos, avant que ne vienne troubler la question. L'annulaire et le majeur viennent essuyer au coin de la lippe une poussière imaginaire.

Irrémédiablement, le visage du renégat vient saisir l'image de cette naïade improvisée, au corps qui ne souffre de rien sinon de la rencontre, au moins, avec une vingtaine de fourmilières... Et de revenir fixer ses groles en massant un peu sa nuque douloureuse. L'aveu n'en serait certainement pas un, à voir à qui il avait affaire. Elle ne semblait pas bien traumatisée, malgré son altercation. Pour sûr, elle en avait vu d'autres... Aussi s'en libéra-t-il sans tergiverser.


- J'étais soldat d'infanterie.


L'emploi du passé pourrait lui laisser tirer les conclusions qui s'imposent. Et vogue la galère. Loras était depuis quelques mois un homme libre, sans attaches, désormais renégat sans bannière.
Astana
- « Je vois. »

De la même manière qu'il est demeuré concis dans son propos, elle l'est autant dans sa réaction. Laconique. Il y a des choses qui ne s'embarrassent pas de convenances, on ne répond pas « navrée » à un gars ayant côtoyé de futurs cadavres qui s'ignoraient, ou ne s'ignoraient pas, selon leur propension à voir la réalité en face. C'est ridicule. À chaque guerre, beaucoup partaient, bien peu revenaient, et le mieux que vous aviez à faire c'était encore de ne pas penser au pourquoi du comment, vous, vous étiez encore là. Le fracas, le bruit des corps qui s'entrechoquent, les cris... surtout les cris, se chargeraient bien d'habiter vos rêves. À ceux qui pavoisaient, ornés de leur gloriole éphémère en mettant ça sur le compte du talent, Astana répondait souvent que ce n'était simplement pas leur tour de calancher ; les gars se marraient, elle éclusait une gorgée, fin de l'histoire.

Alors, la blonde ne dit pas qu'elle est navrée. Pas plus que la grisaille ne s'orne d'un air désolé. À la place, elle lâche plutôt un :
« Nous sommes entre ferrailleurs, donc. », avant de brièvement immerger la tête dans l'eau. Signe qu'elle pige mais ne poussera pas. Tête réapparue à la surface, les mains viennent effacer les salissures logées à son corps et visage dans une gestuelle mécanique, naturelle sans l'être complètement. Faire disparaître ce qui peut l'être ; remiser, loin, l'assaut à son encontre. Sørensen cloisonne petit à petit, pour mieux tout envoyer valser une fois seule. Et de la solitude, t'en a à revendre en ce moment, Sa Blondeur. Viendra sûrement le jour où t'en auras marre de causer aux coins, mais pas encore. Quoique.

La dextre monte à sa gorge pour triturer distraitement l'Ichtus resté pendu à son cou, tandis que les yeux cherchent de quoi s'enrober au sortir de l'eau.


- « Je t'en dois une sacrée. Ça ne sera pas oublié. »

Il y a quelque chose de définitif, là-dedans. Qui ne souffrira ni des jours, ni des mois. La danoise n'a qu'une parole, dont elle n'use jamais à la légère.

- « Quel est ton nom ? »
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--Loras.
Ferrailleur. C'est ça.

Fossoyeur conditionné. Chaque fois où il a levé son épée et qu'il s'est pris pour dieu, abattant sa sentence dans une giclée chaude et visqueuse. Chaque fois où il a décidé d'épargner ou de condamner, chaque fois où il a manqué d'y rester.

Soldat passeur, glaneur d'âmes moribondes. Anonyme masqué aux combats vagabonds. Novgorod avait appris à côtoyer ses propres peurs et à danser avec le diable, sans lui marcher sur les pieds. Et pour chaque vaincu, plus de folie à répandre. Plus de douleurs à semer. Muré dans l'armure d'indifférence, protection qui n'a plus rien d'efficiente dès lors que l'on ne la garde plus sur soi. Dès lors qu'on l'enlève pour pieuter. Manger. Se reposer.

Se laver.

Loras fait quelques ronds évanescents, les observant s'élever sur sa tête en auréole d'un oeil teinté d'absence. Seule la voix de la blonde vient briser le clapotis de l'eau, et les pensées infécondes.


    Heureuse sois-tu de te débarrasser si aisément de ta crasse. Elle ne s'en va plus bien, lorsqu'elle a atteint la carcasse. Une fois dehors, on devient perméable. La raison prend l'eau.


La pipe est renversée dans un récipient de terre cuite, laissée mourir ainsi, le bec à terre. Refermant avec le coffret le flux de ses réflexions, Loras abandonne l'enveloppante nuée à l'odeur entêtante, défaisant d'une main qui ne connait pas l'hésitation les liens de sa chemise. Renégat jouit d'une patience à toutes épreuves. Toutes sauf celle du sang sec qui gratte sa peau rugueuse. Echaudée de devoir supporter autre que le sien. Sensible, d'en avoir trop vu. Loin d'être précieux, l'homme appréciait malgré tout de ne pas s'encombrer de souvenirs qu'il avait déjà, marqués dans sa chair.

La déclaration de blondie est accueillie sans joie. Il sait combien le sentiment d'être redevable est un fardeau. Il ne s'embarrasse pas de délicatesse lorsqu'il trouve à répondre, du tac au tac.


- Pour t'embarrasser de dettes, il te faudrait déjà retenir encore un peu d'avenir.


Le sourire qu'elle ne voit pas en dit cependant long sur l'image qu'il se forge d'elle. Banderilla sans matador. Frontale, tenace et solitaire. Vice versa féminin, ce pur objet de confrontation. La chemise choit, délivrant les dos aux multiples entailles depuis longtemps refermées. Assorties au reste, qui se dénude sans grâce faisant fi de pudeur. Pain et vin sont abandonnés, l'homme se retourne pour poser ses frusques sur la couche. A la question, il cède son nom.


-Loras Novgorod.


Et, sans prendre le temps d'éprouver la température de l'eau; se fait baptême dans le mince espace restant du baquet. Sensation espérée, piquant les plaies de ses poings. Intrus sans calcul, renâclant à garder les stigmates éphémères étiolés en éclaboussures. Il avait dit qu'il ne la regarderait pas. Il n'avait pas menti. Les yeux noirs du renégat restent accrochés aux délavés grisâtres, comme à un fil d'Ariane qu'il serait bien dommageable de lâcher.Et d'un doigt dénué d'intention, pointe à même l'épiderme la cicatrice qui est venue nouvellement égayer ce tableau chaotique, là sur l'arcade. Il avait dit qu'il ne la regarderait pas. Il n'avait pas juré qu'il ne la toucherait pas.


- Celle-là, c'est pour te sauver les miches.

L'index se pose sur la clavicule de blondie. Ne sont-ils pas égaux? Aussi marqué par la vie qu'elle, dans sa déchirure? Quand se dénuder des mots s'avère souvent plus difficile que de s'alléger du tissus?


- Celle-là?

Novgorod n'a qu'une parole, et beaucoup de façons de ne jamais la reprendre.
Astana
Le manège du Novgorod, loin de passer inaperçu, n'arrache qu'un haussement de sourcils à la danoise couplé à un hoquet à demi amusé venant le cueillir dès lors qu'il amorce le mouvement pour s'immerger à son tour. Ah, Loras, ce toupet que tu as. L'homme a l'assurance tranquille, comme s'il avait pu deviner qu'elle ne bougerait pas d'un pouce à son arrivée, autrement que pour replier les jambes. Soirée surréaliste en-dehors du monde, où les sauveurs d'un instant se muent en compagnons de bain sans pudeur celui d'après. Quelque part, l'action en elle-même a un côté absurde et plaisant à la fois, qui estompe un peu les contrariétés essuyées des derniers mois ; et brise le pathos lâche et plombant. Loras a beau s'inviter comme s'il était maître de l'univers, c'est franc du collier ; humain. On fait difficilement dans l'humain en parlant à des coins et en noircissant des parchemins que l'on n'envoie pas.

Comme un enfant qui demande innocemment pourquoi le ciel est bleu, ou pourquoi l'eau mouille, lui pose l'index et interroge. Le premier contact lui fait décaler la tête dans le sens opposé, mâchoires brièvement contractées, cherchant à fuir le doigt arrimé à son arcade douloureuse. Au deuxième, Sørensen baisse le menton pour aviser sa clavicule raturée. La dextre monte alors doucement au créneau pour poser ses doigts par-dessus l'index du Novgorod, l'enrober un instant et l'en chasser après. Cette clavicule et son travail de couture ont été aimés par quelqu'un, en des temps lointains ; et par la force des choses, la danoise ne les aime plus.


- « Un accrochage avec la douane volante d'Anjou. Ils ne nous ont pas reconnus, mon cousin et moi, dans le noir. »

Quittant la clavicule désaimée, les doigts viennent successivement désigner la légère rayure à sa pommette droite, ainsi que la large estafilade de son avant-bras gauche sorti de l'eau pour l'occasion.

- « Celles-là proviennent de la même fournée. »

L'avant-bras n'a pas encore fini de goutter lorsqu'elle le retourne, côté peau fine et lisse, pour offrir la paume à vue, ornée d'un X.

- « Celle-ci date d'un peu avant. Lorsque je frayais avec deux Novgorod à Saumur. »

Prise à son propre examen, Sørensen s'observe un peu, ouvrant et fermant sa main pour faire courir les doigts sur les irrégularités de sa paume - du doux au nervuré. À vivre avec, on s'y habitue et ne fait plus attention aux changements de texture. L'année 1961 avait été foutrement généreuse en navrures. Mentalement, la blonde se les énumère : dix-neuf dont neuf cette année-là. Ainsi, Astana a de quoi alimenter une heure de conversation avec ce qu'elle a sur la carne. La grisaille finit éventuellement par revenir à son vis-à-vis, mettant fin à son errance momentanée. Un fin sourire croît, dont on ne saura dire s'il lui est vraiment adressé ou s'il n'est que la conséquence du constat de l'esquintée qu'elle est.

- « Serguei et Natasha. Des relatifs à toi ? »
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--Loras.
Lorsqu'elle tourne le chef, il perd un instant de vue les mirettes grises. Et lorsqu'elle enrobe le doigt pour le chasser, il ne trouve rien à redire. Le dos vient se coller aux parois du baquet, ce réflexe d'auto défense est naturel et finalement, rassurant. Blondie n'aime pas le contact. L'exact contraire de lui. Il cale ses pieds, genoux repliés non loin des hanches tranchantes. Respectant le mince espace vital de l'autre.

Lorsqu'elle épilogue les ratures, il ne dévisse pas ses prunelles noires de ceux incolores, de l'étrangère. Les cicatrices, il les devine sans peine, il en a eu un aperçu de dos avant qu'elle ne s'immerge. Qui qu'elle soit, elle ne devrait plus être là. Mais l'esprit semble de fer, et le corps préserver ses sens. Sans doute a-t-elle développé par cette détermination le plus bel exosquelette qui soit. Meilleur que toute les armures du monde, par le simple fait de ne pouvoir jamais être enlevé... Sinon fendu. D'un coup perfide. Qui sans l'en délivrer pourrait infecter la blessure. Loras passe sa main ravisée sur son visage, se délestant de ses peintures primitives.


- L'Anjou, ses fous...


Il en connait bien un rayon. Les gouttes s'immiscent dans ses sourcils, perlant avant de s'évanouir. Il y a quelque chose de vital à l'homme de se rappeler d'où il vient. Pour savoir où il se rend. Le bain est un rituel intermède, ressourçant et propice aux conversations. Habituellement, il converse avec lui même, dans les méandres vertigineux de son esprit. Mais puisqu'aujourd'hui il est hôte de blondie, il ne rechigne pas à lui donner de l'écho. Saisissant le savon de cendre attenant.


- En effet, ça sonne bien de par chez moi. Mais les Novgorod sont... Légion.


Dit le soldat.


- Et toi, quel est ton nom?


Il cesse de la regarder, se concentrant sur sa toilette, troublant l'eau d'un voile opaque.
Astana
C'est à son tour de le fixer tandis que les salissures fondent sous la surface. Sa réponse est à l'image de l'eau : opaque. Mais cela n'a pas d'importance, le rattacher à une famille mal connue n'apportera ni cachet à l'homme, ni confiance aveugle à la blonde. S'il avait posé des questions précises en retour, elle n'aurait pu satisfaire à la curiosité relative du Novgorod. De cette année à Saumur avant l'épisode de la clavicule, Sørensen ne garde que de maigres souvenirs épars ; la faute à ce sinistre coup sur la tête l'ayant envoyé dormir plus longtemps que prévu. Depuis, certains tableaux s'étaient fait la malle et pour pallier à la perte de mémoire, la blonde notait. Tout. Pour ne plus oublier et échapper au sentiment de vide ainsi provoqué. Par automatisme, les doigts ont fouillé le crin pour atteindre la cicatrice ; et quand elle s'en aperçoit, la main retombe à plat dans l'eau, arrosant légèrement les deux comparses.

- « Astana d'Assay-Sørensen. »

Et comme le regard de Loras a enregistré la cicatrice ainsi que le renoncement de la blonde, un bref sourire se pointe pour dire bonjour.

- « J'ai été chauve après celle-ci. Tu m'aurais probablement noyée si tu m'avais trouvée ainsi. »

Si Sørensen est courant plus au nord, le mélange avec le breton en revanche, ne l'est pas.

- « Nulle légion chez moi. »

Loras a loupé des endroits en nettoyant ce qu'il ne voit pas. Certaines taches demeurent au niveau du front, là où naissent les cheveux, ou bien encore à la tempe. Créant un remous, dont la vague va-et-vient entre eux deux temporairement, Astana approche corps et mains pour les faire disparaître lentement du pouce. Les châsses grises mémorisent traits et expressions, tandis que les doigts œuvrent sans toutefois s'aventurer là où le raisiné n'a pas giclé. Action désintéressée, bientôt ponctuée par un mouvement du menton en direction de la pièce dénuée de caractère.

- « Nous ne sommes pas chez toi, ici. Depuis combien de temps vadrouilles-tu ? »

Ou que fuis-tu, peut-être.
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