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[RP] Quand même c'est lugubre

Jhoannes
Autun.

Planté devant sa baraque, Jhoannes questionne l’agencement extérieur de cette nouvelle acquisition. La maison rectangulaire avec son toit jaune ébourrifé, en soi, se fond bien dans le décor. Il y aurait bien quelques travaux à faire pour remettre d'aplomb la clôture qui vient encercler son coin de verdure, mais ce qui le fait tiquer, là, c’est cette pierre tombale plantée en plein milieu du tout. Déjà, à première vue, il avait trouvé ça grotesque.

- Et… on a enterré qui là ?
- On sait plus. Elle vous dérange ?
- Bah un peu… normalement on fout ces trucs-là dans des cimetières quoi.
- Si je m’en fie au cadastre, on a encore des emplacements juste derrière l’église.
Ah ouais, l’église ? Mais le dimanche je cuve moi, alors les sons de cloches pleine balle, non merci.
- Nan mais j’vais m’y faire.

Non, il s’y fait pas. Et puis les gravures sur la stèle sont émoussées, aucun moyen de récupérer des indices sur la nature de cette cohabitation. Est-ce que ça se fait, de rebaptiser un cadavre ? Est-ce que quelqu’un va réellement s’en offusquer ? ça te gêne si je fais les cents pas autour de ta dernière demeure pour te trouver un petit nom ? C’est difficile de faire connaissance sans ça, et, non pas que je tienne vraiment à copiner avec toi, mais on risque de se croiser assez souvent dans les temps qui viennent. Vu que tu crèches devant l’entrée. Faudrait pas partir du mauvais pied sous terre. Haha.

Alors qu’il égrène les potentiels patronymes post-mortem - Roseline ? Richard ? Patoche ?, un pigeon voyageur lâche une lettre qui rebondit sur la tombe, et termine son voyage par un atterrissage bancal sur l’herbe. On y lit un nom : Johannes.

L’Office des Postes est d’une diablerie sans nom.

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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
L’intérieur ne respire pas la prospérité non plus. Une paillasse, encadrée par deux tabourets (ressortissants de la lignée abâtardie des chaises). Sur l’un, un lumignon froid. Sur l’autre, un crâne de bestiole.

Décidément.
C’est pas toi qui a craché du sang la semaine dernière ?
C’était pas du sang, c’était de la sauce au vin.
Mais bien sûûûr…

Le blond décachète le pli avec anxiété. Sa dernière correspondance n’a pas eu de quoi être qualifiée de jouasse. La lecture des premiers mots adoucit ses traits. Un sourire se forme, avec une miette de tristesse au coin des lèvres qu’il balaie d’un revers de la main.

Citation:
Papa Johannes,

Oui c’est moi. Papa. Papa-qu’est-pas-là.

Citation:
C’est vilain d’espérer que maman soit morte. Il faut pas dire ça.

C’est vrai. C’est vilain. Je le dirai plus, promis.

Citation:
Moi je veux pas qu’elle meure.

Tu es une brave enfant. Je n’ai jamais “vraiment” voulu qu’elle meurt non plus. Enfin jamais définitivement.

Citation:
Après je serai toute seule, et maman dit que je suis encore trop petite pour comprendre les choses de la vie…

C’est pour cette raison que je ne vais pas t’expliquer pourquoi j’ai voulu sans vouloir que ta mère aille bouffer des racines de pissenlits.

Citation:
… ou tenir une arbalète.

Putain. Astana. Non ! Non.

Citation:
J’aime bien les arbres mais je connais pas encore tous les noms. On a le droit de les inventer ?

Bien entendu que tu as le droit d’inventer des noms. Pour les arbres, les morts…

Citation:
Tu me montreras un jour ?

Aïe.

Citation:
Moi je peux te raconter des histoires avec Odin ! Maman dit que tu aimes bien les histoires.

Maman parle de moi ? Ah bon…

Citation:
Surtout celles qui veulent rien dire – mais ça j’ai pas trop compris… parce qu’une histoire ça veut toujours dire quelque chose non ?

Évidemment. Et puis les histoires, c’est mieux que les arbalètes, si tu veux mon avis.

Citation:
Pour les cailloux j’en ai déjà plein ! Des ronds puis des plats, et des qu’ont pas trop de forme. C’est mes préférés.

Méfie-toi quand même des cailloux qu’ont l’air louche ma fille.

Citation:
Câlin de loin, Hazel.

Double aïe.

Et en post-scriptum :

Citation:
[C’est Athelstan qui a écrit parce que moi ça faisait des merdes des cacas. Mais j’ai fait le dessin !


Athelstan ? Le rouquin de maman ? Celui qui a une tronche plus louche que le plus louche des cailloux ? Elle te laisse avec ? Le dessin ? Oh le dessin…

Oh, une feuille dans une feuille, une boîte dans une boîte…
Chuuut. Regarde le dessin... Elle sait dessiner… Avec ses mains… Elle a des mains… Même sur le dessin elle a des mains… C’est un chat ça ? Hér… Hérant. Le chat-hérant ? C’est brillant Hazel. Et c’est quoi cette chose à côté ? Un monstre… ? Mi-ragondin mi… c’était pour te moquer d’Athelstan c’est ça ? C’est bien petit pois. C’est très bien.

Je lui confierai pas une voûte de chapelle à peindre non plus hein…
Chut… chut, tais-toi.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
Caillou a été mis au coin, malgré ses protestations, car la réponse nécessite d’avoir un esprit clair. Limpide. Enfin le moins dérangé possible. C’est important. Parce que t’as pas demandé à v’nir au monde, Hazel. Et c’est sans doute une phrase que tu crieras avant de claquer la porte dans quelques années, lorsque viendra l’aire boutonneuse des Remises En Question De Ce Bordel Qu’Est Le Monde, et même si tu récolteras des regards outrés en retour, n’empêche que t’auras pas tort.

Tu m’en veux pas si je te réponds au dos du dernier compte-rendu de vote qui opposa Monseigneur du Fion sur la Commode contre Machine de Saint-Prout, hein ? J’ai rien d’autre sous la main. Le parchemin c’est pas donné, et papa et l’argent… tu vois l’tableau. Alors. Encre. Plume. Action.


Citation:
Hazel,

Votre dernière lettre me fait très plaisir. Je suis encore désolé d’avoir écrit ces choses sur votre maman. Sachez que je l’aimais beaucoup, et je crois qu’elle m’aimait beauc…


Secouage de tête. On ne sait pas sous quels regards ça pourrait tomber.

- Non. Non, non.

Tu m’en veux pas si je te réponds au dos d’un compte-rendu de vote un peu déchiré ?

Citation:
Hazel.

Vous lire me réchauffe le cœur. Moi non plus, je ne veux pas que votre maman meurt, mais ces mots qui ont été écrits, impardonnables, votre papa n’a pas le pouvoir de les effacer. Même si je mange la lettre toute entière, leur marque dans le cœur est tenace (ne mangez jamais du papier, car ça a très mauvais goût). C’est pour ça qu’il faut toujours bien se relire avant d’envoyer une lettre. J’aimerais beaucoup que vous me racontiez une histoire, et apprendre les noms que vous inventez pour les arbres. Vous pouvez aussi en créer pour les fleurs et les cailloux. J’ignore si quand je pourrai vous voir, mais voilà ce que je vous propose en attendant : racontez-moi votre histoire préférée dans votre prochaine lettre, et je vous répondrai avec une des miennes.

Je vous fais un énorme câlin.

Jhoannes

Post-scriptum : Votre dessin est superbe. Je vais l’accrocher au-dessus de ma tête, pour qu’il me fasse faire de jolis rêves aussi.

On y croit dur.
Ah tiens, il reste un peu de place en bas.


Citation:
Post-post-scriptum : Qu’est-ce qu’on dit quand un matou pète ?


Réponse au dos du paquet :

Citation:
Chat-pue !

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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
Un temps plus tard, à l’aube.

Alors ? Dijon ? C’était bien ?
T’étais dans ma poche tout le long.
J’ai dormi.
Tiens, bonne idée ça. Je, suis, fourbu.

Mais c’est sa fatigue préférée, au blond, celle d’après une nuit de marche, où il sent plus ses pieds à la fin, mais ses poumons clairs et sa tête vidée. Et puis ce petit soleil d’automne qui se lève pour rendre leurs couleurs aux arbres, c’est quand même quelque chose.

Ses pas s’amusent à suivre le labyrinthe des ornières jusqu’à chez lui. Tiens, une fleur violette qui a encore assez de cœur pour affronter la saison. Jhoannes se penche. De l’agripaume. Celle-ci, Hazel mon enfant, on l’appelle patte-de-sorcier. C’est joli non ?


T’es totalement défoncé ma parole.

Retour à la maison-mère d’Autun.
Passage devant la tombe anonyme.


- Salut !

Le baptême est reporté jusqu’à nouvel ordre, même pas Jhoannes lance une œillade à son nouveau pote mort, non, il cherche autre chose. Quelque chose qui a la forme d’une lettre. En vain. Flûte.

Les bottes ôtées, laissées pour compte au bord de sa paillasse, les bras calés derrière la nuque, il repense à la palabre qu’il a tenue il y a quelques heures, avec une blonde du genre à traîner ses savates comme lui. Depuis qu’il a ouvert des coffres, c’est quand même plus simple de parler.

Sa fille ?
Oui. Il attend une lettre de sa fille. C’est important.
Et la mère ?
Oh, la mère. Atrocement blonde, la mère.
Elle a un nom la mère ?
Astana.
Non, tu déconnes ? Astana !?

Du tout. J’ai été l’époux d’une super-star. Même quand elle est pas là, même paumé dans un rade dijonnais, milieu de nuit, le poids de sa pensée occupe une chaise en plus.


C’est bien la première fois que tu parles d’elle sans douleur.

Le temps, ça coule. Moi j’veux pas rester sur le rivage.

Tiens d’ailleurs, il a des points à noter, un score d’un jeu né de l’entrevue, dont il aura oublié les règles au réveil. Parfait, ce bout de parchemin déchiré, là.

Citation:
A - 17
J - 1


Tu veux pas rajouter un peu de contexte ? Parce que là ton papelard il va se glisser sous un meuble, tu le retrouveras des années plus tard en te demandant : c’est quoi ce truc déjà ?
Ouais. C’est l’idée.

Donner une apparence d’importance à l’insignifiant, prétendre qu’on s’en bat les noix de l’essentiel. Allez, dodo.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Athelstan
Plus tard, toujours.
Peut-être que c'est la nuit. Ou le petit jour. Voire midi.
A combien vole un oiseau de l'Office des Postes ? Est-ce que ce type de volatile vole plus vite qu'un autre ?

Réponse au prochain épisode.



Citation:
    Papa Johannes,



    Tu connais Odin ?
    Odin, c’est le roi des dieux, il a un cheval à 8 pattes et il est très intelligent. Mais il veut être encore plus intelligent. Alors il va chez son tonton qui s’appelle Mimir et qui a un puits. Dans le puits il y a de l’eau qui rend très sage (ça veut dire intelligent), et Mimir il buvait tout le temps dedans quand il était jeune avec une corne. Même que le voyage est dangereux parce qu’il faut traverser le pays des géants, mais comme Odin a très soif il s’en fiche du danger. Puis quand il arrive chez Mimir il demande à boire, mais Mimir il veut pas partager son eau pleine de connaissances. Il est pas sûr qu’Odin soit vraiment prêt. Alors il lui fait passer une épreuve et il lui dit qu’il veut son œil ! Son œil, tu te rends compte ? Et Odin, bah il prend un poignard et schlak ! il s’arrache l’œil gauche et il le fait tomber dans le puits. Mimir est content, et Odin a le droit de boire. Après il devient très, très sage. Donc quand on veut, on peut.

    Comme toi avec tes doigts et Maleus ! Maman m’a tout raconté.
    T’es très sage maintenant.

    A ton tour !

    Câlin de moins loin.


      Hazel.
Jhoannes
Être vieux garçon, c’est une routine avec ses inconvénients et ses avantages. On pense le monde différemment des gens-qui-sont-attendus-quelque-part. On finit par croire qu’on a plus rien à prouver à personne, ni à soi-même. Après tout, on fait ce qu’on veut, quand on veut, dans une certaine limite. Et c’est une pensée plutôt rassurante. D’accord, chez moi c’est silencieux, mais le bruit du vent est toujours plus doux que la semonce d’une mégère, non ? D’accord, en hiver, la couche est froide, mais je peux m’astiquer le manche sans avoir à me planquer dans la cuisine. D’accord, au réveil, je puais des aisselles, mais…

Mais rien du tout, là c’est plus possible, fais quelque chose.
D’accord.

Ce qui explique en partie pourquoi, alors qu’un pigeon supersonique fonçait bec baissé vers la porte du blond, ce dernier était à poil devant la cheminée en train, tout à la fois, de se laver, de mordre dans une part de tarte à la citrouille (salut toi, cadeau inespéré au réveil de l’homme affamé) et de tirer des taffes sur une pipe bourrée aux herbes un peu rigolotes.

Un SBONG! contre la porte vient couper court à cet instant multitâche.

Drapé dans sa cape polaire, il découvre une lettre, et un pigeon dont la vélocité vient de rencontrer une porte, marquant d’une fin sinistre son dernier service rendu au royaume. Brave pigeon, on ne t’oubliera pas.

Pipe reposée. Repas différé. Instant lecture.

Le récit sur Odin est parcouru d’un regard attendri. N’est-ce pas croquignolet ? Un brin sanglant, d’accord, mais les mythes et les contes doivent bien évidemment puiser dans un imaginaire mémorable pour bien imprimer leur leçon dans les esprits.

Et puis, les dernières lignes :


Citation:
Comme toi avec tes doigts et Maleus ! Maman m’a tout raconté.

Et elle veut pas parler de quelqu’un d’autre des fois, maman ? Ou parler de trucs qu’elle connaît ? Parce qu’elle était pas là, mon petit pois, quand ton grand oncle, sur un “coup de sang” a cloué les doigts de ton père sur une porte d’église. Moi j’y étais par contre, quand Maleus s'est mis en mode j'ai la rage et je m'appelle Bob le Bricoleur.

Citation:
T’es très sage maintenant.

Ouais, je me disais bien que ta mère racontait des conneries dans les grandes largeurs.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
Propre, rassasié, un petit quelque chose de nuageux dans la démarche et le regard, c’est avec une pointe de bonheur que Jhoannes confie son pli à un nouveau pigeon, qui espérons-le, sera un peu moins zélé que son prédécesseur.

Citation:
Hazel,

C’est une très belle histoire.

Comme promis, en voici une autre en retour.

Cette histoire s’est déroulée dans un lointain, très lointain royaume, qui a aujourd’hui disparu. Le peuple qui habitait ces terres était divisé en deux clans : les Blaireaux et les Renards. Les Blaireaux étaient des gens très grincheux, qui ne s’habillaient qu’avec des couleurs sombres, ne souriaient jamais, et avaient la fâcheuse tendance à vouloir TOUT interdire. Ils vénéraient leur propre dieu, et pensaient que ce dernier vivait au-dessus de leur monde, dans un grand appartement divin, très moche, avec que des murs gris partout. Les Renards, eux, n’avaient pas peur de sourire, de porter des robes de toutes les couleurs de l’automne et préféraient s’amuser plutôt que d’obéir à des ordres bizarres. Ils vénéraient le même dieu, mais avaient compris que celui-ci était partout dans ce monde, dans les âmes, les chaises, et tous les brins d’herbes de la terre. Comme tu as pu le deviner, les Blaireaux et les Renards ne s’entendaient pas du tout du tout.
Un après-midi, une jeune Renarde décida d’enfiler ses bottes jaunes et d’aller se promener dans la forêt à la recherche de nouveaux cailloux. Au détour d’un grand chêne, elle croisa le chemin d’un Blaireau. C’était vraiment un très, très gros Blaireau. Il avait une longue barbe de Blaireau toute pleine d’asticots blancs.
- Pourquoi es-tu dans les bois, Renarde ?, lui demanda-t-il.
- Je cherche un beau caillou gros Blaireau, répondit la Renarde.
- La couleur de tes bottes m’insupporte, Renarde. Ôte-les, où je te tranche les mollets avec ma hache.
- Tu rêves. Mes bottes ont la couleur du soleil, et je ne les enlèverai pour rien au monde ! Tu es juste jaloux.
Furieux, le gros Blaireau arma sa hache et s’élança vers la Renarde pour la faucher aux genoux. Mais il était aveuglé par sa haine, il respirait très fort, et se pensait déjà victorieux. La Renarde, qui était beaucoup plus maligne, fit un pas de côté en riant. La tête du gros Blaireau s’enfonça dans le tronc du chêne jusqu’au cou. Alors la Renarde ramassa la hache qui était tombée au sol, trancha la tête du Blaireau, et la donna à manger aux asticots. Elle pris bien soin de laver les taches de sang qui avaient perlé sur ses bottes jaunes au bord d’un ruisseau magique (ce sera une autre histoire mon enfant), sur le rivage duquel elle rencontra le plus étrange des cailloux.

N’acceptez jamais d’enlever vos bottes pour un gros blaireau. La leçon est peut-être obscure aujourd’hui, mais elle vous servira dans plusieurs années.

Je vous serre très fort dans mes bras.

Jhoannes


J’espère que l’histoire te plaira. Et que tu la raconteras à maman. Je suis sûr qu’elle va adorer.

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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
Nuit de décembre, Autun.

À son plus grand désarroi, Jhoannes découvre qu’il existe deux sortes de jours : ceux où il ouvre une nouvelle lettre de sa fille, et les autres. Ce fut une journée sans lettre. Comme il n’était pas d’humeur à se soustraire au principe de causalité - on va le tourner comme ça, sa réserve d’herbes séchées qui aident à faire passer le temps s’est considérablement amoindrie. Il en reste quelques miettes vertes collées sur la pulpe de son pouce. Sa mâchoire s’agite de temps à autre pour donner naissance à des ronds de fumée qui viennent entretenir l’épais nuage qui plane au-dessus de son crâne. Aucune formation d’arabesques gracieuses et lascives à l’horizon, juste un gros brouillard puant. Le blond fait clairement la tronche.

Entre ses doigts roule Caillou le caillou. Caillou est du type pas régulier, pas réglo.


Et sinon ça t’foulerait la rate de t’dérider ?

Tu m’donnes envie d’crever dans une pâquerette.

C’est quoi, c’est elle ?

Un rond de fumée dans un rond de fumée. Votre compétence “S’enfumer avec classe” vient de s’améliorer. Bravo.

C’est elleS ?

D’accord, elles. Mais là c’est plus la mère ou la fille ?

La voyageuse blonde ?
Non.
Mais ça a remué des trucs, votre causerie, hein ? Surtout qu’elle est blonde pareil que...
Je voudrais bien que tu la fermes.
Nan, mais la ressemblance…
Je sais. J’suis peut-être un connard, mais j’suis pas aveugle.
Ah ça…

Bon, accouche. Sinon je pars à la pêche aux infos moi-même, et tu sais comment c’est désagréable.

Tu veux écrire à la mère c’est ça ?

Rond de fumée dodu.

Et merde.

Plus tard, alors que la lune a changé de bord :

Citation:
Astana,

J’étais bourré.
Vous n’êtes pas une catin.
Je crois que notre fille aimerait me voir.
Je suppose que vous non.
Comment on fait ?

À v
Bien cord
Je pense que
Tu
C’est drôle,


Fous ça dans le feu.

Et pour une fois le blond écouta son caillou.
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Jhoannes
- Rouuuuuu rouuuuuu.
- Zzzzz.
- Rouuuuuu rouuuuuu !
- Zz. Raa…. Non noZz.
- Rouuuuuu…

Posté sur le rebord de la fenêtre, le pigeon-postier fixe le blond endormi à travers le carreau. Ses conditions de travail se détériorent de plus en plus. Fini, l’époque des belles damoiselles qui vous accueillent à bras ouverts, et vous offrent une petite caresse sur la tête en guise de pourboire, avant d’ouvrir avec fièvre le dernier pli de leur doux ami, parfumé au musc et à la violette. Maintenant faut se cogner de vieux ingrats qui vous envoie péter en ronflant. Y a plus d’respect. Voilà un temps qu’il pense à prendre sa retraite anticipée, Pigeon. Surtout depuis la réforme des RTT - ah les salauds ! Des mois qu’il a des aigreurs d’estomac à cause de ça. Mais bon, à côté, il y a madame, ses regards noirs et ses oisillons, et ils vont bouffer quoi les oisillons, hein, s’il se retrouve au chômage ? De la paille ? Super. Tiens bah toi, c’est ton jour à pas d’chance, tu vas prendre pour les autres et ta lettre, je te la fous bien dans la terre, et même que j’vais couler ma p’tite moulure écrue dessus en bonus. Là ! Allez, salut ! Pauv’con !

Flop flop.

Un peu plus tard, c’est donc une lettre tachée de terre humide, avec une grosse fiente superposée au cachet de cire, que le blond ramasse avec une mine outrée.


- La Poste c’est plus ce que c’était, non mais vraiment. Quelle indignité.

Retour au chaud, le fion posé devant l’âtre qui ronronne. Si l’enveloppe est crasse, son contenu est précieux. Et informatif, tiens. Tiens, tiens… Il y a une petite ligne bizarre, tout à la fin. Pas l’écriture du roux sournois, ça, non. Une petite phrase pleine de fiel, ça lui rappelle un pas si ancien goût de fer dans la bouche.

Mais on sait qui l’a écrite, n’est-ce-pô ?
Ouais. Pas d’doute.

Les lèvres si pincées qu’on en voit plus la trace, le blond tente de reconstituer la suite logique des événements, là-bas, à Angers. Un, j’écris une lettre (vilaine, vilaine lettre), et puis je l’oublie. Deux, Celle-qui-fut découvre la lettre des années plus tard. Trois, elle décide de s’en foutre de la date, m’engueule, et me demande, non pas, m’ordonne, de ne plus jamais (Jamais.) lui écrire. Quatre, je reste docile. La galanterie c’est important. Cinq, elle m’écrit. C’est quoi Sørensen ? ça passe pas ? T’as encore un truc coincé dans la gorge ? Y a personne pour te taper sur l’omoplate et t’aider à cracher ça ? À ce point que t’en viennes à… attends, refais voir le cachet ? T’es sérieuse là ? Tu fais ton petit trafic dans le dos d’une enfant ?

Oh la garce !
La garce !
Garce froide !

Caillou ? Vite. Encre. Plume. Papier. J’ai une nouvelle histoire à raconter.
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Jhoannes
Un échange nerveux.
Et puis une lettre.
La lettre.

Dans l’esprit du blond, il y a un vieux château moussu, dont il rêve parfois, bien qu’il n’en soupçonne pas toute l’ampleur. Dans ce château vit Caillou, la voix qui émerge parfois dans son crâne pour venir le taquiner. Le blond est son maître, mais Caillou a pris soin de cacher les clefs du château dans sa poche. La poche émeraude d’un grotesque pantalon bouffant, qui fait ce bruit agaçant de soie à chacun de ses pas. Aujourd’hui, il a décidé de traîner sur les remparts, de conter fleurette au soleil, faire une petite sieste, admirer le paysage alentour depuis les hauteurs. Le temps est plutôt doux, pour l’automne, et il a bien mérité un jour de repos. Accoudé à l’avant-mur donnant sur la place forte en contrebas, le serviteur promène son regard sur les tours de la forteresse qui ne se sont pas encore écroulées. Plus que deux sur quatre. À quand la troisième ?

À cet instant Caillou pousse un cri de douleur vive. Quelque chose vient de lui déchirer la joue. Abasourdi, il passe la main sur son visage et fixe avec effroi le velours de son gant vert pomme taché de son propre sang. Attaqué ici ? Il court vers l’avant-mur opposé et s’y penche jusqu’à s’en pétrir les entrailles. Une ligne difforme et sombre s’est formée à l’horizon, qu’il sait de mauvais augure, pour avoir vu des guerres. C’est une armée, et elle approche. Ses yeux se plissent sur le détail écarlate d’une bannière, trop éloignée pour qu’il en reconnaisse le motif, mais suffisamment flamboyante pour qu’il en reconnaisse instantanément la couleur. Et il aurait troqué sans hésiter l’assaut d’un bataillon bien plus lourd, contre l’arrivée de cette compagnie-ci. De trois bataillons, même.

Un souffle, un juron, Caillou dévale les remparts jusqu’aux escaliers.

Traversant la cours comme un dératé, les bras ballants, il hurle :


- Sonnez la cloche ! Barricadez tout ! Barricadez tout ! Elle arrive ! Celle-qui-fut arrive ! Elle arrive aux portes !

Comme s’il avait le diable aux trousses, il longe le mur d’un couloir, se tord une cheville sur la marche d’un escalier en colimaçon, se frappe la joue pour reprendre sa course sans tarder, et s’engouffre enfin la loge du capitaine des armées.

- Al…Alerte ! Elle arrive. Celle-qui-fut-arrive.
- Une attaque ?
- Imminente !
- J’peux lui envoyer deux troupes de fantassins dans la trogne à la dame.
- T’es nouveau toi, hein ? Celle-qui-fut arrive ! Regroupe tout, les hommes, les femmes, les gosses, les vers de terre, je m’en fous, tout !
- Attends avant de t’affoler…
- De m’affoler !? Elle est aux portes, je te dis ! Elle est déjà venue ! Elle a déjà gagné ! Elle connaît mieux les lieux que moi !
- Eh bah j’vais envoyer tout c’que j’ai…

Caillou agite fébrilement son museau. Non non non. T’as rien compris mon gars.

- Pauvre fou ! On est en sous-nombre ! T'envoies rien du tout ! C’est une guerre de siège ! Une guerre où on attend, et où on prie.
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En noir c'est Jhoannes.
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Jhoannes
Extraits des nouvelles du siège, dans le château mental de Jhoannes, tenues par le dévoué Caillou :

[...] Les troupes ennemies ont encerclé la forteresse avec une efficacité terrifiante. J’intuite qu’ils avaient déjà plusieurs longueurs d’avance sur nous. On a rien vu venir. Le premier assaut a été lancé dans l’après-midi. Net et précis. Ces ordures ont catapulté un gros boulet, ouvrant une brèche au nord de la citadelle - Ô mais quel glorieux boulet, lumineux boulet, enfant-boulet ! L’infanterie a pénétré dans l’enceinte. Avons subi trop de pertes pour les bouter hors des murs, ai décidé de poster des unités à cheval pour empêcher tout repli. Qu’on les enferme et qu’on les enfume ! Bien que pour l’enfumage, ils semblent vouloir s’en charger eux-mêmes. Une boîte dans une boîte, une lettre dans une lettre, un siège dans un siège. Je suis le général Caillou, et je tremble. Prions pour nous.

[...] L’heure est grave. Un émissaire furtif est apparu - Ô glorieux, étincelant émissaire !, et a piégé les dirigeants des deux armées. Par un audacieux tour de manivelle diplomatique, il a enfermé Celle-qui-fut et mon vénéré maître à l’intérieur du château. Les discussions pour la paix ont démarré sous un mauvais jour. J’ai assisté, moi, Caillou, à une escalade de violence qui me fait encore trembler, alors que je trace ces lignes. J’ai fui la salle, et l’émissaire a été mis à l’abri, pour sa protection. Mais j’ai continué à épier la rencontre par le carreau. J’ai vu Celle-qui-fut, la Sournoise, profiter d’un instant de faiblesse de mon maître pour lui mettre épée sous la gorge. Je remercie les Saints, et tous les ruisseaux du monde, car il a été suffisamment alerte pour lui plaquer sa dague contre le ventre, avant qu’elle ne le fasse périr. Prions pour qu’un accord naisse, si ce n’est de paix, au moins de trêve.

____________

Autun, devant la tombe, un autre jour de décembre.


Donc on les suit à Limoges.
Ouais.
On suit la mère ou l’enfant ?
La mère est comprise dans le forfait.
Et tu l’aimes ?
Oui.
Et elle t’aime ?
Oui.
Mais…
Mais rien.
Alors pourquoi se le dire ?
J’en sais rien.
C’est chiffonnant cette affaire, tout de même.
Hum. T’as qu’à foutre ça dans un coffre. Et puis tu le refermes. Et puis jette la clef dans les douves aussi.

Le blond met fin à sa discussion intérieure et se penche vers son ornement de jardin funéraire, ainsi que sur cette question épineuse : est-ce que ça se fait d’emporter une stèle avec soi lorsqu’on déménage ? Dis Bernard (c’est ainsi qu’a été baptisé son occupant), est-ce que tu m’en voudrais ? Sincèrement ? Toi qui nourris les vers depuis des centaines d’années, à vue-de-nez, est-ce que tu en as encore quelque chose à fiche d’avoir un toit au-dessus de la tête ? Vu que t’as plus de tête. Et que ton toit protège de rien.

Même si on sent qu’elle a vu les saisons passer, elle est encore pas trop mal ta maison. On peut toujours distinguer que la pierre a été finement taillée sur le bas. Une sculpture appliquée. Les gens t’ont pleuré pour de vrai, quand t’es parti vers la Lune ou le Soleil. T’étais un chic type, j’en doute pas. Et une pierre comme ça, ça peut toujours se revendre. Ou être utile dans l’urgence, si jamais quelqu’un de son entourage meurt comme ça d’un coup, par exemple en mangeant un mauvais champignon, sur une bête envie d’omelette.

T’es un altruiste Bernard.
J’oublierai pas.
En plus on m’a dit que la mairie prêtait des pelles en ce moment.

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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
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