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[RP] Deux plumes en Elles

Rouge_gorge
Après la conversation avec la rouquine, Rouge ne savait tout bonnement pas sur quel pied danser. Cette dernière qu'elle considérait réellement comme une amie ne semblait pas voir leur relation de cet oeil. Et comme à chaque fois, l'Oiseau, à l'abri des regards indiscrets, perdait de sa confiance pour se remettre en question. Qu'avait-elle fait de trop ou au contraire, pas assez, pour que la Flammèche mette en doute sa sincérité?

De leur échange, le plus dur n'avait pas été la méfiance ou la pointe de jalousie décelée, c'était sa vision. Sa propre vision d'elle-même. La Cendrée n'était pas surprise que la Belle n'est pas son aplomb, rare sont ceux qui ont autant d'égo que l'Oisal au Chapal. Mais le doute était si présent chez l'Amie qu'il semblait lui dicter ses faits et gestes.

Ce jour-là, la Chapeautée sut qu'elle avait foiré parce qu'elle n'avait pas trouvé les mots. Quels mots? Ceux qui comprendraient, ceux qui réconforteraient mais surtout ceux qui convaincraient. Elle s'était mis en tête de lui faire ouvrir les yeux, de lui tendre son prisme pour que la Rouquine se voit alors comme Rouge la percevait, l'estimait.

C'était un défi de taille, peut-être un échec inévitable mais l'Oiseau aurait fait de son mieux et plus égoïstement, pallié à sa culpabilité.


Alci, l'Amie,

Tu trouveras ci-joint un brin de lecture, de quoi accompagner ton cheminement.

Rouge




Il était une fois, un oiseau de feu. Son plumage n'était pas de teinte mais réellement de flammes. Il prenait son apparence comme une malédiction parce que là où il se posait, branches et feuillages se consumaient. A s'approcher trop près d'autrui, il marquait de brûlures. Le volatile se sentait condamné à errer, solitaire. Il disait s'accommoder de son sort mais peut-être la vérité était autre?

De quelques battements d'ailes, un rouge-gorge, comparse plumé, rejoignit l'oiseau de feu dans les airs et lui siffla:
"Hé l'ami, ne t'envoles pas si vite! Ni si loin!"
Mais l'oiseau en flammes ne l'écouta pas et poursuivit sa volée. Poussant sur ses ailes, le volatile a la gorge rouge le suivit dans son sillage.Ils montèrent haut dans le ciel, si haut qu'ils pouvaient toucher les étoiles de leur bec. L'oiseau de feu ne comprenait pas comment le si petit passereau pouvait le suivre dans sa course. Si bien de leurs congénères y auraient perdu leurs plumes ou seraient transi de froid, le rouge-gorge, en suivant les traces de son ami, puisa la force de continuer dans la chaleur dégagée par les flammes.

De nouveau, l'oiseau chanteur siffla:
"Tu peux faire le tour du ciel et te percher sur les astres, ton plumage restera incandescent!".
A la maladresse du passereau qui ne fit que souligner le défaut du grand oiseau, ce dernier piqua du bec et partit vriller encore plus haut et plus loin. Mais le volatile au col coloré suivait inlassablement en quête de la douce chaleur du plumage en feu. Petit à petit, au fil de ses acrobaties aériennes, d'autres congénères entrèrent dans la danse majestueuse de l'oiseau de feu. Il ne s'en doutait pas mais dans son errance, il guidait d'autres petits moineaux. Dans la nuit, il éclairait leurs envols et dans les froidures de leurs ascensions, les réchauffaient.

La liberté du grand oiseau brisait les cages des petits. Et si le rouge-gorge ne sut chanter assez juste pour consoler l'oiseau de feu, il continua de danser dans les airs, à ses côtés comme bien d'autres.

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Alcithoe
Un regard sur la taverne..

Suçotant la plaie de sa lèvre, Alci avait la satisfaction d'être chez elle.. Un peu comme un refuge, les jours de pluies ; comme un fruit mûr, les jours de faim ; comme une caresse, les jours de morgue..

Elle résidait seule ici, depuis quelques nuits déjà et se faisait un devoir de rester fidèle au "Nid de paille & Gueule de bois", même si cela devait la récuser du reste du monde.

La rouquine était de ces gens loyaux, discrets et malhabiles avec les émotions.
Veiller sur les lieux, à l'abri de tous regards, le temps de son séjour, c'était sa façon à elle d'une étreinte sincère et sans théâtralité, à la Teigne Proprio des lieux.
Et puis les rats étaient de compagnie acceptable. Ne se confondant pas en conneries et autres loquacités insipides, ils se contentaient de poursuivre leur course et donnaient presque à la jeune femme, un sentiment d'acceptation quant à sa présence constante.

Rouge comptait. L'Alezane le savait.
Quelque chose les rassemblait. Une sorte de besoin sauvage et douloureux qui les poussait toujours plus en avant. L'urgence de vouloir vivre sans passer à côté de soi, à côté de l'inconnu, à côté de l'essentiel..
L'Oisal était intelligent, vif et profitait avec aisance des opportunités alors qu'Alci passait son temps à regarder les portes béantes, cherchant le piège qui la retiendrait à la geôle qu'elle s'était forgée, méfiante de tout et surtout d'elle-même.

L'attachement faisait mal.
S'attacher, c'était risquer de perdre, de décevoir, d'être abandonnée, de devenir dépendante, de vouloir rester, appartenir, compter..
Elle avait perdu, une fois. Elle ne voulait jamais revivre ça. Pourtant, l'envie était là.. Humaine, évidente, naturelle..

Mais elle avait perdu !
Son espoir et son essence. Son savoir et ses possibles.

Chatouillant son menton de la plume qu'elle tenait en main, pour ce soir, elle choisit, tous risques mesurés, de laisser l'absconse impulsion prendre son envol et, à l'image de la femme qu'elle était, elle donna signe, pudique, maladroite, assaisonnant de banalité pour compenser les mots du cœur qui ne viendraient pas, mais qu'elle savait logés quelque part en dedans.


Rouge,

Aujourd'hui, je suis à Tours..
J'me fais grandement chier et si je n'avais pas quelques difficultés à me remettre d'une rencontre fortuite en pleine nuit, je me serais déjà barrée, tu t'en doutes.

L'Ancêtre s'est pointé ce matin, bouche en cœur, donzelle au bras. 'Parait qu'il t'attend. Et le bougre a su m'convaincre d'attendre aussi.
Tout couillon qu'il est, il a réussi à s'planter un clou dans l'pied. Comme c'est précisément dans ton bouge que ça lui est arrivé, attends-toi probablement à c'qu'il cherche à t'flanquer sa vue basse sur le dos.

T'vas avoir l'air vachement maligne, à t'pointer pour un contrat, avec un estropié sous chaque bras, moi j'te l'dis !

Parlant d'estropié.. Comment va Ludry ? J'm'inquiète pas pour lui, hein. Il a dû en voir d'bien pires, mais.. Ouais, si. Sans trop savoir pourquoi, j'm'inquiète pour lui.
Il a ce don des silences qui font du bien à l'âme et égoïstement, j'ai peine à me dire qu'il serait un jour possible de ne plus les entendre.

Vic' m'a écrit.
Elle semble heureuse. J'espère qu'il en est de même pour toi.
Ca m'ferait foutrement mal au cul qu'tu t'mettes à regretter, vu que j'me sentirais obligée d'courir la récupérer pour la ramener à ses pénates.
Et plus simplement aussi, j'ai vraiment envie qu'vous l'bouffiez jusqu'à plus faim, votre bonheur. Parce que d'abord, c'royaume porte bien trop d'pleureuses, et qu'ensuite, merde, vous l'méritez !
Ton trèfle est un peu la mère qu'j'ai jamais eu. Pis toi.. Toi.. T'crois qu'ils font les mêmes, en homme ?

En passant, j'ai beaucoup aimé ta p'tiote histoire. Je l'ai lu avec attention, et vu qu'j'avais rien d'autre à foutre, j'ai eu l'occasion d'la relire quelques fois de plus que nécessaire. Tes talents d'auteur n'ont d'égal que tes talents de rossignol. T'as déjà pensé à faire carrière ? Je suis sûre qu'ça pourrait t'rapporter un paquet d'blé, sans déconner.
N'enpêche qu'c'est con, un piaf, quand même. ça pourrait bouffer, chier, dormir, mais non.. faut qu'ça aille s'épuiser à contre vent, à becqueter des utopies..
Bref !

J'm'en vais retourner visiter ta cave. J'ai cru déceler quelques perles au reflet gouleyant.
T'en fais pas trop, va. Ta bière restera.

Puisque nous sommes amenées à nous revoir bientôt, je te demande de faire gaffe à ta sale gueule, en attendant. J'crois qu'elle me manquerait.

Alci
Rouge_gorge
La correspondance des deux femmes s'était achevée sur ce pli maladroit mais si précieux de la rouquine. Rouge, comme tous les plis importants à ses yeux, avait conservé ce feuillet dans l'arrière-salle d'un de ses bouges. Juste pour ajouter à sa collection de mots doux "Toi.. T'crois qu'ils font les mêmes, en homme ?". De paires en troupe, elles avaient repris leur cheminement ensemble. Un soir, au détour d'une conversation qu'accaparait encore l'Oiseau, il y avait eu cette phrase, lancée maladroitement entre deux tirades du Maitre-Chanteur. Tandis qu'il nourrissait l'appétit de son Amie et de la poulette de Lanscanette sur son passé, qu'il dépeignait le triste et sombre hasard qui l'avait mené à être ce qu'il était, Rouquine lui avait témoigné son respect. Profond et sincère. Sous l'éternel sourire de parade, sous le couvre-chef plumé, c'était l'écroulement soudain et total. Comment une si mauvaise journée qui avait ruiné toute une conscience, une morale, une putain d'existence pouvait faire naître ce sentiment si puissant et vénérable qu'est et qu'impose le respect? Rouge n'en savait rien et elle n'en montra rien.

Pourtant, après quelques nuits de route, Alci avait disparu, à nouveau. La Cendrée aurait du s'y attendre, même si dans le fond, on n'est jamais prêt que pour son propre départ -et encore, quand celui-ci est planifié-. Rouquine était partie sans un "Tantôt", c'était Lanscanette qui lui avait appris la nouvelle et l'Oiseau encaissa sous son immuable sourire. Où allait-elle? Qu'allait-elle faire? Avec qui le ferait-elle? Rouge n'aurait su dire et poursuivit son propre chemin dans le même silence, respectant le mutisme de l'Amie.

Arrivée à destination avec le reste de la troupe, Maitre-Chanteur fit son petit quotidien, quand Lanscanette revint avec de fraiches nouvelles:


Alci dit que tes chants lui manquent, la Ratée.

Il n'en fallut pas plus pour que l'Oisal décrocha sa plume de Chapal.

Mon Amie,

Je vais bien, je te remercie de t'inquiéter pour moi. Je vais reprendre la route, ce soir et seule car là où je vais, je ne pense pas que l'on puisse me suivre sereinement. Comme d'habitude, je me suis concoctée un carnet de route de compositions entrainantes pour occuper ma marche. Ci-joint, ma dernière oeuvre.

Puisse-t-elle accompagner ta route!
Rouge




Ton nom, Chérie

Il y a ton nom, Chérie,
Que les poissons dans la mer,
Pleurent et crient,
Dans les lacs et les rivières,

Il y a ton nom, Chérie,
Que les fleurs et leurs racines,
Même gorgées d'eau de pluie,
N'en trouvent pas l'origine,

Il y a ton nom, Chérie,
Que les oiseaux dans le ciel,
Guettent et épient,
Sans le toucher du bout des ailes,

Il y a ton nom, Chérie,
Que les tristes humains,
Rêvent et prient,
Au fond de leur verre de vin,

Il y a ton nom, Chérie,
Qui dans ma chair et dans mon sang,
Coule comme la vie,
Même si je fais bien semblant,

Oh Ma Liberté Chérie,
Je te traque sans relâche,
Dont mon coeur s'est épris,
Et ce, jusqu'à ce qu'il me lâche,

Oh Ma Liberté Chérie,
Dis moi, es-tu un mirage?
Réponds moi, je t'en supplie,
Est-ce toi que je sens dans mon sillage?

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Alcithoe
Alci avait déserté la taverne des Corleone qui ne cessait de désemplir.
Le besoin de se recueillir l'avait poussé à, tout naturellement, venir se perdre aux murs crasseux d'un nid abandonné de tous. Ici, nul faste, nul épanchement salivaire, nul sentiment autre que la fidélité des cœurs sauvages.
Rouge lui avait sifflé la chansonnette. Rouge et ses ombres.. Rouge et ses sourires mensonges.. Rouge et sa sagesse construite à l'échafaud ténébreux d'un soleil sans rayons..
Rouge et le soleil qu'elle faisait éclater pour tous sans en soustraire sa dose de chaleur..
Rouge ! L'amie décadente, ascendante, intime et impersonnelle à la fois.

De toute sa distance et sans même en avoir conscience, Rossignol avait apaisé, éclairci.
Et si de routes, Grive solitaire devait se passer pour l'heure, la pointe de ses ailes brassait ce chant de liberté, le préparant à la résurrection.

De son empire de poussière, l'insignifiante et fidèle puisa à l'encrier, les quelques mots qui sauraient la garder vivante à la mémoire des instants partagés.



Rouge,

Aujourd'hui je suis à Limoges.

J'me suis faite avoir. Le coeur piqué au mauvais buisson, j'attends que l'épine ait fini de me saigner.
Ce qui ne saurait tarder. J'imagine que l'histoire est assez banale pour que tu la connaisses.

Je n'ai jamais dû avoir les bonnes définitions, car si je croyais que l'amour ressemblait à deux oiseaux de proies, tournoyant dans les airs, férocement accrochés aux serres de l'autre, je n'en vois que le simple état d'un vulgaire tir aux pigeons.
Plume chatoyante vibrant dans l'air, quand flèche décochée entame son ascension, jusqu'à toucher sa cible. Le tout retombant mollement, telle une merde s'écrasant dans l'herbe bien trop verte pour que le décor puisse paraitre réel.

Ces jeux ne sont pas fait pour moi. Inculte dans l'art de complaire.
Si je sais la dextérité de me saisir d'une bourse, la finesse de fomenter les projets les plus ardus, la furtivité de guetter la proie choisie, je suis en revanche bien malhabile à ravir l'objet de quelques songes dès lors qu'il s'agisse d'en tirer du beau.

Comme tout parait facile, pourtant, quand on les regarde, les ignorants, les audacieux.. Je les envie.

Ainsi donc, te voilà revenue à ta solitude.
Quoi que remarque, même entourée, la mienne ne me quitte jamais vraiment.

Quels sont donc ces chemins que tu arpentes, privée de toute sérénité ? Vous sembliez pourtant si forts, ensemble. Qu'existe-t'il en ce monde que vous ne soyez capable de surmonter, la bande et toi ?
Aujourd'hui, j'ai croisé un artiste. Il m'a parlé de toi. D'une œuvre à ton image. J'aime l'idée que tu vives encore ici malgré l'absence. Quoi que de toutes façons, tu ne me quittes jamais vraiment. Ainsi, tu es partout où tu n'es pas.

Reviens quand même un peu, si tu as le temps.
Et chante ! Chante encore et toujours. C'est beau, ça fait du bien, et ça coûte que dalle.

A bientôt, l'Oiseau.
Que le jardin de tes envies se cultive au gré de tes pas.

Alci.
Rouge_gorge
Si les prunelles sombres s'étaient heurtées au filet d'encre -Non, parce qu'Alci écrit mal mais que Rouge lit comme une enfant en apprentissage-, les images dépeintes dans les écrits lui apparaissaient claires et limpides. A l'abri sous Chapal, le sourire s'était tari le temps d'un battement de coeur. La plume de l'Amie avait décontenancé l'Oiseau de par les thèmes abordés et les questions soulevées.

Maitre-Chanteur savait broder des mythes et des légendes, embellir des échecs et des mensonges, polir un souvenir, faire éclore une émotion, souligner la beauté d'un paysage, flatter les courbes d'une jolie dame. S'il pouvait se targuer d'avoir eu mille visages avant les rides de son trentième printemps, se vanter d'offrir moult leçons de vie et d'égrainer sa sagesse, de se prévaloir de talents peaufinés avec l'expertise et le temps, il avait de ces sujets qu'il n'abordait pas. Comme une zone d'ombre sur son plumage coloré, l'Amour, sentiment cruel et égoïste, avait entaché son coeur et l'avait salit très certainement à jamais.

Au-delà de l'inspiration que n'importe quelle damoiselle savait lui insuffler et de la passion ardente dont elle pouvait faire consummer sa couche pour honorer ses "douces de nuit", la Cendrée était d'un naturel romantique. Fidèle transie et loyale éprise, son coeur n'avait battu et ne battait que pour une seule femme. Pour parfaire le tableau dramatique de sa tragédie, cette Unique ne la voyait pas, même en demeurant à ses côtés et à la serrer parfois dans ses bras. Rouge taisait ce sentiment si tortueux qui lui rongeait le coeur car elle savait, au fond d'elle, que même en choisissant les mots les plus sonnants de ses plus belles tirades de ses plus longs poèmes sur ses airs les plus mélodieux, elle ne saurait décrire assez justement ce qui la tiraillait. Et de peur de ne pouvoir en décrire la beauté, elle se contentait de la contempler.

Le deuxième tic se fit à l'évocation du groupe. Rouge était partie en froid avec Ludry et dans le silence de Siegfried. Le reste de la "bande" n'avait que peu de valeur à ses yeux. Mais de ça non plus elle ne pourrait ouvertement en faire mention. Si elle fanfaronnait sous le couvre-chef plumé du Lansquenet -vestige de leur première approche-, elle ne pouvait pas parler de sa rencontre avec le Silencieux. Ça les trahirait tout les deux. Elle n'allait pas non plus gaspiller du temps et du matériel pour épancher leurs derniers mots. Le trio avait surmonté des évènements plus terribles que des éclats de voix et des silences. Le Poméranien et le Germanique étaient les garde-fou de l'Oiseau. Ils l'avaient apprivoisés avec le temps, chacun à leur manière, lui faisant comprendre que tous les hommes n'étaient pas que des monstres. Ils l'avaient rassuré, épaulé, ramassé et aiguillé. Leurs cris, leurs rires, leurs mots résonnaient encore en elle. Leurs sourires, leurs regards et leurs gestes s'étaient gravés dans sa rétine. Leurs protections, leurs jugements, leurs respects la maintenaient droite et fière.

Maitre-Chanteur ne s'est pas forgé seul, il y a eu des femmes, des hommes, des opportunités et des évidences. Mais sous son orgueil démesuré, il gardait le silence pour que personne ne puisse jamais le faire chanter à son tour.

Alors que répondre à tout ça? Que raconter à la rouquine cette fois?


L'Amie,

Je lis que tu es pleine de ressources pour imager des concepts aussi complexes que l'Amour. A tes mots, j'ai senti les battements d'ailes lourds et puissants de l'oiseau. Cette force qui le maintient dans les airs. Ne dit-on pas que "l'Amour donne des ailes"? Puis l'ascension vive et fatale de la flèche qui, de sa pointe dardée, ficha le pauvre volatile éperdu. Enfin la terrible chute de ce dernier meurtri. Il agonise là sur l'herbe grasse, pieu dans le coeur et cette image me soulève bien des interrogations:

La première est "Quid de cette flèche?" Est-elle volontairement assassine? Ou n'est-ce qu'un tir manqué? Qui l'a décoché? Une tierce personne rongée de convoitises? Ou une partie de nous même par mégarde?

La seconde et, à mes yeux, la plus importante "L'oiseau survivra-t-il à cette blessure?" Va t-il reprendre son envol? Planera-t-il aussi haut qu'avant?

Bien que je ne pense pas qu'il n'y ait qu'une Vérité pour tout volatile fauché en plein vol, je souhaiterai ton avis sur celui que tu m'as décrit tantôt.

Comme toi, mon Amie, oui, je suis revenue à ma première compagne. Nette est la différence dans mon esprit entre l'isolement imposé par autrui et la solitude parfois tant chérie. Aujourd'hui, je suis revenue à ma fidèle alliée qui, je te l'avoue, m'avait un peu manqué. Non que j'apprécie son précieux silence et sa présence discrète mais comme bien des choses en ce monde, elle souligne à merveille, la cacophonie qui me plait tant et la compagnie houleuse d'autrui. Il n'y a pas d'ombres sans lumière diront certains.

Je n'ai pas peur de la côtoyer, nous nous sommes apprivoisées il y a bien des lunes et son existence me fait du bien alors c'est en toute quiétude que je chemine.

Quels sont tes projets, Alci? Couche-moi donc tes aspirations à la volée, tes désirs fugaces.

Ci-joint mon nouveau conte que j'espère avoir le loisir de raconter à ma prochaine veillée.

Rouge




L'horizon de Pierre

Depuis son plus jeune âge, notre héros Pierre voue une fascination sans limite à Dame la Lune.

Quand il était encore dans ses langes emmailloté, allongé dans son berceau, il l'observait de ses grands yeux bleus. Sa forme ronde lui rappelait le ventre de sa mère qui l'avait porté puis son sein qui l'avait nourri.

Quand il fut en âge de rêver et que ses songes le tiraillaient, il venait trouver du réconfort à sa fenêtre. Sa lumière douce et rassurante le veillait silencieusement.

Quand il grandit un peu plus et qu'il apprit à compter, il remplaça vite ses dix doigts par les mille et un astres qui parait le ciel d'encre. La Lune fut la préceptrice de ses nuits.

Quand il atteint sa puberté, la Lune était celle qui, immuable dans les cieux, observait sa croissance sans le juger.

Quand il devint un homme, la Lune fut témoin de ses premiers émois et en garda le délicieux secret de ses premières maladresses.

De tout temps, Pierre se confessait à Elle. Des aveux les plus tortueux aux désirs les plus impies en passant par les prières les plus intimes. La Lune était son repère et de son regard bleuté, il la couvait en écho d'une admiration fiévreuse.

Un jour qu'il baignait son visage encore jeune dans ses faisceaux pâles et lui fit part d'un terrible secret:

"Je t'aime"

Le murmure au clair de lune délivré resta sans réponse.

Tous les soirs, Pierre l'observait dessiner son arc, parée de sa myriade d'étoiles. Elle allait et venait sous son nez de ses courbes les plus menues à son imposante rondeur. Jamais de son cycle, elle ne répondit à Pierre.

Notre héros était profondément blessé d'un tel mutisme de sa part. Bientôt, l'affection qui lui portait vrilla en rage. Il se mit à détester le soleil dont les rayons le brulaient et sa magnificence qui le narguait, l'Amant indigne de Sa Dame!

Pierre, comme bien des hommes égoïstes qui ne vivaient que pour leur propre désir, se mit en tête de la décrocher. Il gravit les plus hautes montagnes pour l'atteindre, construisit les plus longues échelles. Toutes ses tentatives furent des échecs. Au fur et à mesure de ses plans, son coeur se noircissait davantage.

Alors qu'il la lorgnait, une fois de plus, de son oeillade torve et envieuse, il remarqua que son chemin était toujours le même. Son ascension naissait d'un bout de la terre pour décliner de l'autre côté. Là lui vint l'idée de sa vie, Pierre irait cueillir la Lune au bout de la terre. C'est ainsi qu'il entama sa longue, très longue course contre l'horizon.

Notre héros parcourra le monde, les yeux rivés sur la ligne d'horizon. Ses pas le menèrent plus loin que sa vie le destinait à aller, sa traversée le poussa plus loin qu'on n'aurait su l'imaginer. Ainsi il arpenta le monde tout le reste de son existence aveuglé par les astres qui tournaient inlassablement au-dessus de sa tête. Jamais il ne se retourna sur son sentier, jamais il ne profita d'un paysage, jamais il ne se posa quelque part.

Quand les os de Pierre ne surent plus le porter et que son regard bleuté se plissa de maintes rides, il posa un genou à terre au bord d'une falaise. Face à l'eau, il pleura et hurla.

"J'ai passé ma vie à te suivre sans relâche, je t'ai tout donné! Et toi, qu'as-tu fait pour moi?"

Avec le temps et la rancoeur, Pierre en avait oublié tout ce qu'il avait aimé chez Elle. Tandis que la Lune déclinait dans les vagues, il se jeta à l'eau et entreprit de nager pour la rejoindre une ultime fois. Il y perdu sa force, son souffle et la vie.

La Lune s'éveilla le lendemain et tous les autres soirs qui suivit sa disparition.

La morale de l'histoire, s'il y en a une, est que si le temps de certaines choses est immuable, la vie de l'Homme est bien trop éphémère pour courir après celles-ci. Ne blâmez donc pas la Lune qui illuminera éternellement la nuit, plaignez Pierre qui aveuglé, n'a jamais su profiter du temps qui lui était compté.

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