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[RP] Y a des jours comme ça

Jhoannes
Les vantaux de l'atelier ont été laissés ouverts pour accueillir le zéphyr de mai, et le rappel des cloches vient de sonner sexte. Debout devant l'établi, entouré de gerbes de passeroses plus tellement fraîches, Jhoannes pile méthodiquement des pétales dans un mortier. Portée tout contre lui, en écharpe, s'endort la petite Paola, deux mois, qui a enfin lâché son rot. Il n'en est pas le père mais fait comme si depuis que sa collègue de l'université lui en a confié la garde. La sienne de fille, huit printemps et demi de son état, est en train de jouer à chat-loup-araignée dans le jardin, en faisant tour à tour les voix de ses compères fictifs. Régulièrement, il tend le cou vers le dehors pour garder un œil sur elle, plus inquiet qu'à l'ordinaire. C'est pas la semaine de l'éclate, pour Hazel, et il en est conscient, du moins partiellement. Déjà, ses deux parents risquent d'aller faire la guerre. Mercredi, elle s'est ouvert le dessous du bras en sautant d'un rocher, pour bien leur faire comprendre qu'on peut se faire mal, si on fait des choses dangereuses. Et puis vendredi, elle est tombée malade, et sans doute qu'elle a attrapé la même saloperie que son père couvait en début de semaine. Pour couronner le tout, elle a un peu vomi sur sa tête d'ours, et il a dû l'en priver pour la laver encore. Pas une mince affaire, d'enlever ce machin du crâne de la gamine. La tête d'ours, la fameuse, première lubie qu'il a connue d'Hazel, qui refuse de boire, manger, jouer, dormir ; donc vivre ; sans être coiffée de cet étrange chef animalier qui pue, depuis qu'il a eu la brillante idée de l'en couronner, pour blaguer, en début d'année. Mais Jhoannes réalise qu'il est en train de s'égarer dans ses pensées, comme fréquemment, et se reconcentre brusquement sur le gringalet rouquin, adossé au mur, les bras croisés, qui en train de lui faire causette. Lui, c'est Athelstan, l'homme de main de sa femme qui s'est transformé, au fil du temps, en homme à tout faire de la maisonnée, et que le blond a rapatrié chez lui pour quelques jours, puisque sa danoise d'épouse est occupée à tirer des fils de stratégie militaire dans une tente. Athelstan, qui a appris à râler discrètement quand on lui impose une corvée, n'en trépigne pas moins à l'envie de se barrer d'ici. Jeter son torchon de nourrice pour aller rejoindre le campement de l'armée. Voire même, enfourcher une autre chimère qui vit sur Dijon, sous les traits d'une belle de nuit qui lui a laissé un souvenir que les mois n'ont pas suffi à tiédir. Depuis l'hiver dernier il en cause, de sa dinde.

- « Et sa poitrine je te jure, Jhoannes... deux globes laiteux qui... »

Le blond tourne la tête un bref instant vers son interlocuteur, dont les mains sont occupées à soupeser de l'air pour illustrer son propos, et acquiesce. C'est bon, il a l'image en tête. Brièvement, il baisse le menton pour lancer un regard en biais vers le bébé, comme pour s'assurer que non, elle ne peut effectivement rien piger à cette conversation, et se concentre à nouveau sur sa tâche.

- « So milky... »
- « Non mais t'inquiète, j'ai le visuel. »
- « Je précise parce qu'avec la danoise peut-être t'auras oublié... »

Un petit rire con fuse, que le blond s'autorise à partager. C'est vrai que la danoise n'a pas, ce qu'on pourrait appeler, du monde au balcon. On peut néanmoins voir par le carreau les silhouettes des gens qui sont restés à l'intérieur du salon, parce qu'ils sont frileux. N'empêche que Jhoannes culpabilise sur les bords, parce qu'il les aime sincèrement comme ils sont, les jumeaux de sa dame.

- « J'préfère. J'nie pas l'hypnose des grosses loches qui rebondissent, mais j'avoue qu'à côté, deux p'tits seins qui tressautent, j'ai toujours trouvé qu'c'était quand même plus b... »
- « PAPA ! »
- « Hé bouchon ! »

Hazel débarque en trombe dans l'atelier. Les deux oiseaux n'ont pas besoin d'échanger un regard pour clore la discussion de concert se composent une face enjouée, trop forcée pour être naturelle. Illico, Jhoannes réenfile sa casquette paternelle et redevient un hommes sans passé, sans opinion particulière sur les fruits féminins, non, des seins je sais pas ce que c'est, une légende urbaine sans doute, d'ailleurs avant ta mère j'ai jamais connu personne, et même qu'avant d'être ton père, je n'étais pas réellement moi-même, une personne.

- « On mange quoi ? »

Ah. Heu...

- « On mange... »

Il répondrait bien : un truc. Mais par expérience, il sait que la réponse ne passera pas les douanes de l'appétit de sa gamine. Un truc, c'est trop vague. Réfléchir vite. Qu'est-ce qu'on a dans les placards ? La récolte de l'avant-veille. Sauf que les légumes, c'est pas ses potes, à Hazel. Mais est-ce qu'il a encore le temps de passer au marché ? Non. Et puis elle est malade, la petiote. Les légumes, c'est bien quand on est malade, non ?

- « Des légumes. »
- « Pouah ! »
- « Arrête, hum, trop bon les légumes. »
- « J'aime pas ça. »
- « Oui mais quand on est malade on mange des légumes. »
- « Pourquoi ? »

Parce que je viens de l'inventer.

- « Parce que... Hé Athelstan, tu veux bien... »

Un regard appuyé vers la pièce d'à côté. Tu veux bien t'occuper des légumes ?

- « J'y vais... »

Le rouquin se détache du mur et file aux fourneaux, en cachant bien sa joie.

- « Pourquoi papa ? »
- « Pourquoi quoi ? »

À cet instant, Jhoannes réalise qu'il est en train de taper dans du pigment déjà réduit en poudre depuis deux minutes et recharge le mortier en fleurs.

- « Pourquoi quand on est malade on mange des légumes ? »
- « Parce que ça... soulage l'estomac. »

Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Non. Petite moue désappointée d'Hazel.

- « Tu veux pas plutôt aller acheter du poisson au marché ? »
- « J'ai pas l'temps Haz... »
- « Pourquoi ? C'est juste à côté... »

Parce que je dois finir de tabasser du colorant, faire la vaisselle, arroser les plantes de la pépinière, arroser les plantes du jardin, arroser le potager, écrire à ta mère, passer au conseil, tenter de trouver une solution magique pour rouvrir les portes de l'université, te convaincre de ranger un quart de ta chambre car si j'aime le chaos, ton jouet en bois dans mon talon ce matin, c'était quand même moyen, écouter Athelstan se plaindre afin qu'il accepte de bien vouloir nous aider dans ce périple familial magique, changer ton pansement au bras parce que, ma fille, je te rappelle que tu as sauté du haut d'un rocher pour envoyer un message fort, il y a quatre jours, vérifier que tu prends bien tes médicaments tout en veillant sur l'enfançon qui est en train de baver, pendu à mon cou, là, et qui finira bien par se réveiller et oh, aussi, nettoyer ses langes, et…

- « T'as lavé ma tête d'ours, au fait ? »

Merde, la tête d'ours, qu'il réalise. Il a oublié la tête d'ours. Deux jours sans la tête d'ours, c'était le marché conclu entre eux. Le temps qu'elle sèche. Un jour de lessive en retard.

Petit froncement de museau en guise d'aveu.


- « Papa ! »
- « Promis cet après-midi. »
- « Sûr ? »
- « S... »

La voix d'Athelstan, vraisemblablement paumé dans l'organisation de la popote, retentit :

- « ELLE EST OÙ LA POÊLE ? »
- « Sûr. PENDUE À DROITE DE LA CHEMINÉE ! »
- « Mais ça va faire plus de deux jours... »
- « J'sais, désolé bouchon… Tu couves encore ton œuf ? »

Seconde lubie d'Hazel : la couvaison occasionnelle d'un œuf de poule volé à il-ne-sait-qui-et-tant-pis, dans l'espoir de faire naître ce qu'elle appelle « sa merveille ». Jhoannes n'ose pas lui dire que si un poussin en sort, déjà, ça sera une drôle de victoire sur la nature.

- « Oui ! Ce matin je l'ai laissé au chaud dans la t... »
- « JE TROUVE PAS ! »
- « Ah heu… À GAUCHE PARDON ! GAUCHE ! Tu couves encore ton œuf ? »
- « Oui... »
- « THANKS MAN ! »
- « C'est bien ça. »
- « On mange quand ? »
- « Très bientôt. »
- « Bientôt quand ? »
- « ... »
- « Papa pourquoi tu tapes les pétales comme s'ils t'avaient fait du mal ? »
- « Parce que… tu veux pas retourner jouer dehors ? »
- « Non, je veux ma tête d'ours. »
- « ... »

Papa t'aime, Hazel. Très fort. Mais parfois il rêve que tu t'envoles loin très loin pendant une petite heure. Sur un nuage, en toute sécurité. Mais loin quand même.

- « Parce que je te connais, tu dis cet après-midi mais en fait tu feras ça tout à l'heure, parce que t'es étourdi, et ça fera TROIS JOURS sans ma tête d'ours et... »

D'accord, on arrête de torturer les fleurs pour rien. Le pilon est abandonné, Paola légèrement bercée. Tiens d'ailleurs, est-ce que ce petit fumet qui remonte jusqu'à mes narines ne serait pas le signal qu'il est temps de te changer, Paola ?

- « C'est bon. C'est bon. J'y vais. Je vais la mettre à tremper. »
- « Maintenant ? »
- « Oui, maintenant. »

Le blond joint le geste à la parole (là, regarde, j'y vais maintenant), quitte l'atelier, traverse une chambre, sent une main de poupée lui rentrer dans la plante du pied, lâche un juron en pensée, file vers les fourneaux, essuie ses doigts rougis par les pigments sur un chiffon au hasard…

- « Au fait, je t'ai pas dit tout à l'heure... »
- « Ouais mais plus tard. »

... débarque dans la chambrée de sa fille, s'empare de la tête d'ours, entend un bruit de coquille qui se casse et se fige net face à la porte. Le bec pincé, il lance un regard par-dessus son épaule pour vérifier, qu'effectivement, il vient de faire tomber l'œuf d'Hazel sur le plancher, et que ce dernier n'aura pas survécu à la chute. Et, oui, pendant rien qu'une petite seconde, il considère sérieusement un projet. S'il s'enfuit maintenant, et qu'il se met à courir, il pourra peut-être atteindre l'Auvergne avant que sa fille ne réalise qu'il a détruit sa merveille et ne le rattrape pour lui décerner le trophée du père le plus merdique de l'humanité. Surtout que la danoise va sans doute lui faire reproche de l'autre côté. C'est là que Paola se décide à pleurer. Un long sanglot d'éveil.

- « Tu choisis bien tes moments toi hein ? »
_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Hazel_
    Ce n’était déjà pas facile d’avoir huit ans, mais depuis qu’une demie année s’était ajoutée au poids des entières, Hazel trainait des pieds. A moins que ça ne soit le manque de sa capuche en tête d’ours. Ses parents prenaient un malin plaisir à la laver dès qu’elle était sale ce qui ne semblait pas plaire à leur fille unique.


-« Oui, maintenant. Oui, mais plus tard. Très bientôt. Promis, cet après midi ».

    La fillette semblait imiter son paternel, de l’intonation de la voix à la ponctuation, du regard plein d’espoir qu’elle retranscrivait, avec les mêmes yeux, à sa poupée au petit sourire contrit, Hazel, en cet instant, ressemblait à un mini Jhoannes.
    Elle avait rejoint l’extérieur (là, regarde papa, tu laves ma capuche dans la minute, je vais dehors comme tu me l’as si gentiment demandé), trainé la semelle de ses chaussures dans la poussière avant d’escalader un arbre, mais fût stoppée net dans son élan : Paola chialait.


    Paola, comme tous les autres enfants du monde, pleurait, avant. Mais depuis qu’elle passait le plus clair de son temps contre le torse de SON père, Paola chialait. Avant, elle émettait un petit bruit tout mignon après avoir tété, maintenant, elle était vraiment impolie. Et Hazel assurait, regard noir fiché dans les yeux des adultes qui lui posaient la question, dans une réponse nette et sans appel :


-« Je ne suis pas du tout jalouse, j’ai dépassé ce stade.».

    Hazel, elle, ne le savait pas encore, mais les seuls stades qu’elle avait dépassé avec succès étaient l’oral et l’anal. A l’horizon se profilait le très attendu « complexe d’Œdipe » (Patience Papa !)

    Il y a des missions qu’on n’attend pas, et Hazel, tympans transpercés par les cris de Paola pris son courage à deux mains pour affirmer SA possession. Mais à huit ans ET DEMI, le seul moyen de pression dont on dispose, c’est de montrer qu’on existe.


    Tornade Hazel lancée à pleine balle déboulait dans la maison pour traverser l’atelier, fit un bond d’au moins trois marches pour éviter la poupée qui trainait dans une chambre, sa chambre semblait renfermer les cris du bébé voleur de père, pourtant, alors que la cuisine n’était qu’une toute petite étape avant l’objectif final, les pas ralentissent, jusqu’à s’arrêter.
    Y voyant une nouvelle manière de faire râler son père, la main enfantine se saisit de la louche pour remuer un peu la pitance.


-« Heureusement que j’étais là, sinon ça collait ! Elle est lavé ma capuche ? C’que tu peux me ramener ma merveille ? On mange quand ? On a encore le temps d’aller au marché pour le poisson t’sais, avec Athelstan pendant que tu t’occupes du bébé».
Jhoannes
Alors qu'il tente de consoler Paola qui, probablement, est en train d'exprimer au monde l'injustice totale de s'être retrouvée aujourd'hui dans cette putain de famille qui n'est pas la sienne, et qu'il esquisse un premier mouvement en-dehors de la chambre, les pas de sa fille dans la cuisine lui alarment le tympan. Blondin se fige. Son sursis vient d'être réduit à quelques secondes. Les méninges s'activent à pleine vapeur sous le crâne doré. C'est un carrefour de type choix moral. Les pires. Les différentes pancartes directionnelles se mettent à clignoter dans sa tête.

Tourner à gauche et confesser sans attendre qu'il est le meurtrier de l'œuf. C'est sa première impulsion. Bouchon, tu vas rire, papa a détruit tes espoirs de donner la vie parce qu'il était fatigué. Tu sais, papa, celui qui t'as croisée deux fois après ta naissance et qui s'est tiré ensuite pour ne se repointer qu'à l'aube de tes huits ans ? Ton padre tellement légitime. Haha. Non, il va perdre tout son amour. Sûr. Non.

Virer à tribord et se démerder pour planquer les dégâts et remplacer l'œuf par un autre. Sournois, mais, admettons qu'Hazel ne cape pas la différence, personne n'aura le cœur brisé. Tout irait dans le meilleur des mondes. Papa n'aurait qu'à simplement filer le long de ses jours avec ce poids en plus sur la conscience. Et, peut-être, quand elle serait en âge de l'entendre, d'ici une vingtaine d'années… Non, il aura calanché d'ici-là.

Foncer vers le nord et accuser Athelstan. Non, c'est trop moche.

Faire demi-tour et pondre un gros bobard d'enfumeur. C'est une façon d'avouer sans confier qu'il est le coupable. Un demi-aveu. Tu vas jamais me croire, mais un goéland vient d'entrer par le carreau, oui, un goéland du Limousin, le fameux goéland du Lim… Attends, Hazel, tu savais pas qu'on avait des goélands dans le Li-mou-sin ? Non mais qu'est-ce qu'on va faire de toi ? J'en parle tout l'temps, des goélands du Limousin ! Une plaie !


- « Haz... »

Son nez se fronce. Paola se remet à sangloter un peu plus fort.

- « Haz papa a fait une bêtise... »

Et comment te dire qu'il a pas l'air fier.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Hazel_
    Hazel ne connaissait pas les goélands du Limousin, l’excuse n’aurait jamais fonctionnée, car Hazel écoute toujours son père. Même lorsqu’il fait des allusions qu’elle ne comprend pas. Même lorsqu’il pose sur elle un regard réprobateur. Même quand il rit. Même dans ses silences. Surtout dans ses silences, car Hazel, depuis qu’elle avait retrouvé son géniteur, en avait fait un père, et arrivait désormais à comprendre tout ce qu’il dit, sans le dire. L’excuse des goélands du Limousin p’pa, c’était cramé direct.


    Elle avait bien noté à la démarche paternelle qu’il y avait un poil dans la soupe, et à voir son nez froncer quand Paola se met à sangloter plus fort, il n’y avait plus de doute possible : il n’y avait pas seulement un poil, dans la soupe, mais un postiche tout entier. Assez pour lâcher la louche dans la gamelle sans se soucier de se faire fâcher parce qu’il faudra se brûler les mains pour la récupérer.
    On peut avoir huit ans et demi, et sentir quand le monde va s’écrouler.


-« On fait tous des bêtises Papa. ».

    Et ce qui pourrait ressembler à une horrible technique de manipulation pour obtenir ce qu’elle souhaite est simplement de la naïveté enfantine. Ne t’en fais Papa, je vois que tu as un problème, mais je vais le régler, parce que tu sais ce qui compte ? C’est l’Amour.
    Elle était descendue de la chaise pour glisser sa main dans celle de son père en lui offrant un sourire qui présageait le meilleur, un « ensemble on vaincra » nullement déguisé.


-« Même les parents ! Et ce n’est pas grave, car on peut toujours se racheter. Quand ma merveille sera grande et que je serai une mère, moi aussi, je ferai aussi des bêtises tu sais.».

    Hazel le savait, aucun humain n’était infaillible et même s’il était parfois difficile d’accepter que ses propres parents étaient comme les communs des mortels (en mieux quand même), elle tenait à réconforter son père, il serait pardonné.


    Le visage du paternel ne semblait pas s’adoucir, et les sanglots de Paola résonnaient plus forts encore et il vint à l’esprit de la gamine, que peut être, son père était en burn-out.


-« Papa ?».
Jhoannes
Blondin s'est calé dans l'embrasure de la porte, pour planquer sa bourde pendant quelques instants encore au regard de sa fille. Il berce la crevette tenue en écharpe contre lui, qui sanglote toujours, et enveloppe Hazel d'un regard fier. Oh, il n'est pas tant naïf. Il se doute que les belles paroles vont retourner leur chemise de belles paroles dès qu'elle aura découvert qu'il a refait le parquet de sa chambre avec de l'œuf éclaté sa merveille. Mais n'empêche. N'a-t-elle pas été rudement bien éduquée cette enfant, sous ces airs de sauvageonne ? Et ses valeurs, vous avez vu ses valeurs, comme elles brillent même en plein jour de printemps ?

Une lueur d'inquiétude vient bousculer tout ça. À présent il redoute un phénomène qu'il ne parvient pas à définir précisément dans son esprit, là, mais qu'on appelle en général : l'ascenseur émotionnel. Ah tu pensais encore que tes parents étaient des gens biens ? Incapables à jamais de briser tes espoirs dans l'œuf ? Non mais c'est que t'as pas fini de rencontrer ton père, en fait. Papa il pète tes projets d'avenir et l'œuf avec en bonus. Attends, on va terminer les présentations. Ensuite tu vas pouvoir m'atomiser le cœur, mais en pleine conscience. Et c'est important, le libre-arbitre. La pierre d'angle pédagogique de ton père en stage d'apprentissage. Donc, papa...


- « Pap… papa… enfin je... »

C'est qu'il a l'air bien emmerdé, papa.

- « Tu te souviens, quand tu étais malade et que tu as vomi sur... »

Oui, elle se souvient, ils viennent d'aborder le sujet y a même pas cinq minutes.

- « Et j'avais prom… promis de faire attention à pas casser ta merveille parce qu'on a dit que tu allais la mettre en couveuse dans ta tête d'ours ? Et... »

Petit pas de recul. Il est temps qu'Hazel découvre la réalité, rude, de la vie. Comme ici, une omelette crue sur un parquet, et un père en déni total de sa propre maladresse. Un père, en train de guetter avec appréhension la réaction de son bouchon, tentant toujours de calmer les pleurs du nourrisson qui viennent ajouter une note de calme à la scène. Un père dont le flair lui indique en parallèle encore que, oui, effectivement, il est temps d'aller offrir une toilette confort à Paola, et qu'Athelstan est en train de faire cramer les poireaux dans la casserole. Un père qui voudrait avoir le don d'ubiquité et celui de rembobiner le temps pour réparer les coquilles et les confiances. Sauf que ça fonctionne pas comme ça.

- « J'suis désolé... »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Hazel_
Hazel, en effet, découvrait la réalité, rude, de la vie. Un père pouvait avoir l’air emmerdé. Un père pouvait bégayer. Un père pouvait même rabâcher. Et c’est ça, qui avait fait tiqué la mini Blandeur. Papa rabâche. Papa hésite. Papa cherche ses mots. Et Hazel n’est pas dupe, elle a beau connaitre son père depuis quelques mois, qu’elle a déjà bien noté ses habitudes. D’abord papa la regarde. Puis papa inspire une bouffée de sa pipe. Papa relâche un nuage de fumée. Et ensuite, quand le silence s’est fait entendre pendant deux minutes (parfois trois, il y a des sujets qui choquent les pères) : Papa parle. Il commence sa phrase par « bouchon » quand il veut réconforte, et par « Hazel » quand il veut fâcher.

Oui, Hazel découvrait la réalité, rude, de la vie, et elle pouvait déjà l’affirmer sans douter : c’était vraiment dégueulasse, la vie.
    -« Ah. ».

Et s’il y a bien autre chose qu’elle avait remarqué chez son père, quelque chose que tous les adultes avaient en commun, c’est qu’ils ne s’excusaient que lorsqu’ils étaient vraiment (mais vraiment) dans le caca.
Mais Hazel était bien trop occupée à sonder le regard paternel pour comprendre que tout se jouait à ses pieds. Non, Hazel ne verrait pas l’omelette de Merveille tout de suite, elle notait avec gravité la sévérité de l’instant, le moment où, son père, aussi grand et beau soit-il aurait voulu disparaitre dans un trou de souris pour ne plus jamais en sortir. Enfin, jusqu’à…

    -« Oh.».

Hazel avait vu. Et même si son esprit, aux premiers abords, avait imaginé que peut-être, Papa lui avait fait une blague, elle comprenait à son allure bien ennuyée que c’était bien Merveille, qui gisait sur le parquet. Les yeux remontaient doucement vers le padre, noir rapidement submergé par les larmes, la bouche enfantine se mit à trembler pour finalement articuler dans un reniflement, en toute dignité :
    -« T’as un petit peu de merveille sur ta chausse.».

Il n’y aura pas de regard méchant ou de reproches. Non, Hazel partirait seulement en courant dans son autre chambre, chez Maman. Là où, pour l’heure, il n’y a ni coquille, ni confiance à réparer.
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