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[RP] La tectonique des blonds

Jhoannes
 
    Dix ans après, il était revenu à l'endroit où la terre avait avalé Le Puy, et il y avait traîné son épouse — elle, qui avait échappé un rire incrédule quand il lui avait raconté cette histoire l'hiver dernier. Non, il était pas sur les lieux au moment du drame, mais il avait lu un témoignage sur une impression. Même qu'il s'était pointé ensuite pour aller regarder la grosse crevasse dans le blanc des yeux. Sauf qu'elle voulait pas gober cette affaire, c'était trop gros. Il lui aurait bien répondu qu'elle en avait gobé des pires, mais il avait préféré se la boucler et patienter. Un jour, un jour sa Blondeur, tu verras comme j'ai raison et comme tu as tort. Alors lorsqu'ils s'étaient enfin échappés de Limoges pour rejoindre la mer au sud, Jhoannes avait clairement sauté sur l'occasion. Après un brusque virage à bâbord sur un carrefour où une pancarte moussue indiquait Le Puy sans plus trop y croire elle-même en son âme de pancarte, ils s'étaient cogné la montée nocturne jusqu'aux ruines de la ville, elle, lui, chacun sa charrette et deux saloperies de chevaux attelés à tout ça. Le cheval, la bête la moins fiable du règne animal, qui se chie dessus dès que l'ombre de son sabot casse une branche. Les baudets, au moins, c'est du béton.

    Au flanc de la danoise, quelques heures plus tard, il avait rouvert les paupières sur les vestiges de l'ancien cœur de la cité. Un fantôme de cathédrale, démoli et lézardé, dominait toujours le lieu. Une longue et large faille, aujourd'hui recouverte de vert et encore dégueulante de décombres, déchirait la place en deux jusqu'aux pavés du parvis. C'était là, en janvier de 1459, que les villageois avaient entendu un grondement sourd venu d'ils ne savaient où, et que tout s'était mis à trembler ensuite, les murs, les commodes et les verres d'eau, et que la terre s'était ouverte en deux. Sauf qu'au lieu de donner naissance à un nouveau monstre incroyable, elle avait englouti les choses et les gens. En tout cas c'est le souvenir qu'il s'était construit du drame, après avoir lu trois fois la feuille de chou qui le relatait. N'empêche que l'endroit témoignait pour lui-même, même une décennie plus tard, même après que la nature ait lentement repris ses droits sur les bâtiments écroulés et les pillards fouillé les restes pour faire leur beurre. De nuit, on s'en rendait peut-être pas franchement compte mais là au petit jour, ça sautait aux mirettes. Il braqua un regard sur la blonde encore endormie, puis sur son ventre à la blonde, porteur d'un petit pois en devenir.

    Alors, c'est pas un romantique ton père ? Pèlerinage en lieu de massacre pour les vacances en amoureux, check.

    Il se sentait con, comme souvent. Sans doute parce qu'il l'était réellement sur les bords, qu'il songea en quittant leur pieu de fortune. Il entassa ses fringues de la veille sous un bras, cala ses bottes sous l'autre et fit un détour par une des charrettes pour attraper un linge au passage. Descendant la Grand-Rue défoncée où fanait déjà le chèvrefeuille, défrusqué comme au premier jour de sa naissance — personne pour venir te coller une affaire pour trouble à l'ordre public au cul dans une nécropole — il rejoignit un cours d'eau qui coulait sous le pont du Puy, et dont il ignorait le nom, pour une toilette matinale à la fraîche. Le soleil commençait déjà à faire comprendre qu'il allait encore cogner dur aujourd'hui. Le barbu laissa tomber son fion dans la terre pour tendre ses guiboles dans la flotte, et en recueillit plusieurs fois entre ses mains en coupe pour s'asperger la tronche. Le couac de la discussion de la veille lui revint en tête. Un énième petit couac, un couac de trois fois rien. Un tout petit loupé. Une réponse sortie trop tôt des usines de sa pensée, pas poncée, pas polie aux angles, et qu'il avait eu du mal à s'expliquer lui-même sur l'instant, tant elle le trahissait, et sans qu'il parvienne à mettre le doigt sur le pourquoi.

Citation:
ASTANA — Vous auriez pu m’emmener dans une auberge cinq étoiles quand même…

Astana sourit en coin, dos à lui.
Jhoannes qui commençait à se demander s'il avait mal fait, la prend un peu au mot et lâche un très bas mais sincère :


JHOANNES — Désolé. Dem... Demain on retrouve une ville, promis.

Astana s’alarme au ton, se tourne vivement pour l’aviser et lui pose rapidement une main sur le torse.

ASTANA — Hé… Johannes. J’deconnais. Je… j’te taquinais. Qu’est-ce qu’il y a ?

Jhoannes pose le bout de ses doigts contre le dos de sa main.

JHOANNES — N... non mais j'aurais dû réfléchir avant de t'amener là, en plus avec la gosse en route...

Astana plisse un front soucieux, s’allonge à ses côtés, sur le flanc pour lui faire plus ou moins face et approche le museau pour lui déposer un baiser dans le cou.

ASTANA — J’ai fait la guerre avec Hazel dans le ventre, tu l’as dit toi même. C’est pas l’ascension de la petite pente du Puy qui va m’faire peur. Je suis contente d’être là.

JHOANNES — C'est casse-gueule quand même...

Jhoannes dodeline en frottant la tête contre sa manche et tourne le nez vers elle.

JHOANNES — Comment tu t'sens, au fait ?

Astana songe sérieusement à renommer Johannes l’Esquive, à la place de la Fugue. Étire un sourire.

ASTANA — J’me sens bien. T’es heureux ?

Jhoannes hoche doucement la tête.

JHOANNES — ça va.

Jhoannes tique. Non, c'est pas du tout ça qu'il avait en tête.

JHOANNES — Al... alors oui. Si.

Astana hausse les sourcils. Ah oui quand même.

    À ses mains, il lui restait huit doigts, et il planquait cette perte en portant des mitaines lorsqu'il frayait avec la société. Par pudeur, au départ, et puis par sorte de coquetterie ensuite. Bien la seule qu'il s'autorisa quotidiennement. Il en payait le prix les étés, et entre ses jointures qui marinaient sous le cuir en plein cagnard, s'étaient formées des plaques rouges qu'il ne pouvait s'empêcher de gratter pendant la nuit. Occupé à rincer ses croûtes à l'eau claire, Jhoannes ressassait encore sa bourde en se félicitant intérieurement. Bien joué, champion. Encore une comme ça et on te file les palmes d'honneur. Noteras que t'es pas con uniquement sur les bords, dans des moments pareils, non, t'es con jusqu'au trognon mon gars. Le barbu coula un regard vers ses braies qui gisaient à côté de lui, dont l'une des poches abritait un caillou, nommé Caillou, son fidèle et unique emmerdeur serviteur, sa petite voix intérieure, verte, gardienne des coffres de sa conscience, plus particulièrement de ceux qui renfermaient les trucs qui puent et qu'on veut pas forcément s'avouer tous les quarts d'heure. Il l'entendait déjà, en train d'agiter le trousseau de clefs en cadence avec la petite brise languedocienne qui venait lui rétrécir les burnes.

    Eh bien ? On est pas heureux ?
    Si. Surtout ces derniers jours.
    Mais... ?
    Mais... rien ?
    Mais...

    Mais on est heureux en sursis. Parce qu'après l'aller, il y aura le retour, et qu'au bout du tunnel, c'est Limoges, et une vie dont certaines pièces combinées lui donnaient sur les nerfs depuis des mois malgré ses efforts. La vie avec Astana, c'était un gros gâteau avec des parts douces et avec des parts amères, ça il le savait. Mais il y avait un grumeau qui passait pas. Un grumeau du nom de Kriev. Un noyau de farine faisandée qui se faufilait peu à peu dans toutes les portions. Dès la première rencontre, il avait pas pu l'encadrer, et la loi de réciprocité avait frappé. Aujourd'hui, il pouvait l'encadrer. Il l'aurait pas accroché au mur de la cheminée non plus, mais il pouvait. Enfin, il aurait pu, plus exactement, si les choses s'étaient passées différemment. Là, il se matait le film des derniers mois, où il avait assisté, impuissant, à la naissance de leur allégeance, intime et dissimulée, finissant par se réduire lui-même à devenir muet, puis à les fuir pour pas trop douiller. Et c'était pas affaire de cul, il la croyait, quand elle disait que non. Mais c'était affaire, quand même, et les mots de la danoise venaient s'emplâtrer pleine balle dans les bribes de réalité dont il supportait d'être témoin ; d'une attirance incarnée tout de même, qu'il n'entravait absolument pas.

    Y avait une dissonance, entre le discours qu'elle lui donnait, et le changement qu'il voyait s'opérer en elle dès que l'autre mousquetaire se pointait dans la pièce. Et à sons sens, au barbu, ils cochaient pas mal de cases sur le formulaire des amoureux. Au final, il savait bien, rationnellement, que c'était pas tant ce type, le problème. Lui ou un autre, ça aurait pas changé la forme du gadin pointu qu'il se traînait dans la botte — la gauche, côté cœur. Alors c'est quoi ou c'est qui ?, qu'il s'interrogeait, en immergeant sa carcasse dans l'eau. Caillou se mit à gigoter sur sa chaise, depuis le fond de la salle de classe, près du radiateur, en agitant son bras pour pas crier qu'il avait la réponse. Y a des gens qui essaient de travailler à côté. Jhoannes, les orteils dans la vase, grattait nerveusement ses chairs — le peu que son corps, qui avait décidé de commencer à se momifier bien avant sa mort, voulait bien garder en réserve entre la peau et l'os — et Caillou trépignait toujours en tentant d'attirer son attention, en traçant d'amples mouvements dans l'air pour le guider sur la piste d'atterrissage des vérités qui font pas tant plaisir à entendre. Arrête de te laver avec tes ongles, aujourd'hui, c'est le cancre qui va rendre la meilleure dissertation.


    C'est ta face le problème ! Tu peux te remplir les oreilles d'eau, ça sert à que dalle ! Tu m'entendras quand même. Écoute, ton caillou. Là. L'embrouille dans ce lot, c'est que tu es en train de changer de caractère. Enfin t'as l'impression. Parce que d'habitude, c'est le genre d'affaires dont t'aurais rien à carrer. Et c'est normal, puisque tu te fais un point d'honneur inexplicable, et inexpliqué, à t'en battre les rouleaux, de tout ce qui se passe autour de toi. Espèce de vieux péteux prétentieux. Sauf que quand ça touche à la danoise... tout de suite, c'est vachement plus compliqué, d'en avoir rien à fiche. Elle là, c'est une part de toi à vif. On le sait, et on y peut rien. Alors jusqu'ici, tu te la coulais quasiment peinard face aux évènements désagréables, et t'arrivais même à pas être trop gland dans tes réactions. Mais sans gloire, mec. C'est facile, d'accepter ce qui peut pas t'atteindre. Tout de suite moins simple, de répondre bien, quand on a mal.

    Le visage fermé, Jhoannes se hissa sur la berge, s'enroula dans le linge et fureta dans son pantacourt quinzième siècle pour en extirper Caillou, sous sa forme réelle de caillasse, qu'il soupesa dans sa paume puis menaça de balancer à la flotte.

    HÉ HO !
    Tss. J'déconnais. T'as eu peur ?

    Vexé comme un pou, Caillou se retira dans les tréfonds de sa conscience pour aller faire du boudin en bonne et due forme. Le barbu, lui, se sécha à l'arrachage, renfila ses vêtements histoire de sentir la sueur après avoir pris un bain et refit chemin en sens inverse, jusqu'à la cathédrale démolie, la crevasse inquiétante dans la terre et la blonde qu'il avait laissée pas loin de là. Il revint s'allonger auprès d'elle, appuya un baiser au-dessus de son nombril nu, puis son front contre ses seins. Je t'offre le bonheur de sentir des tifs mouillés contre sa peau au réveil, sa Blondeur. Mais tu m'excuseras, c'est bien un des rares endroits ici-bas qui fasse taire les voix, la verte et les autres, et endormir l'araignée qui tisse des toiles d'horreur dans mon crâne. Et puis tu voulais voir Le Puy sous le soleil, et t'avais dit que tu préparerais le petit-déj. Lorsqu'il sentit qu'elle sortait des vapes à son tour, il tourna dans son esprit la page noircie et raturée du vingt-trois juillet 1469 pour entamer un feuillet neuf, vierge d'un nouveau jour où ils pourraient noter plein de nouvelles conneries entre les instants lumineux, un jour qui démarra par :

    - « Bah ? Ils sont pas cuits les œufs ? »

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    Qu'elle est douce, cette rosée matinale artificielle qui vient lentement la tirer de sa rêverie. C'est une petite touche de frais rendue d'autant plus manifeste qu'une brise souffle aux abords de la cathédrale mangée par la végétation et lui fait réagir l'épiderme. Des tréfonds lumineux de coton d'où elle émerge, Astana tire un léger sourire et laisse ses bras s'enrouler doucettement autour de la silhouette contre elle. Lento. Quant à l'esprit de la danoise, il fait jour à peine a-t-elle ouvert ses châsses grises sur le monde. Elle est de ces êtres qui s'éveillent prêts, la plupart du temps avec le soleil modeste des premières heures du jour. Peut-être les gestes paraissent-ils engourdis, pourtant ils prennent simplement leur temps. En contraste. On est pas pressés, Blondin, c'est les vacances. Ainsi l'étreinte s'étire-t-elle dans la durée, autant que faire se peut avant que le silence qui les enveloppe ne devienne douteux pour rien et ne déclenche une alarme. On t'a posé une question, Sørensen.

    - « Att- menu raclement de gorge, le temps de trouver sa voix. Attends. C'est des œufs spéciaux. Ils sont timides. Faut pas les invoquer trop tôt. »

    Il est encore de bonne heure, la position du soleil dans le ciel est nette. Or Johannes n'est pas un être qui s'épanouit au luisant, justement. Il est bien trop tôt. Et si la danoise note bien la légère rupture dans l'habitude de marmotte, aucune question n'est posée sur l'origine de cette césure. Ils sont au Puy. L'endroit est déjà mystique, sans doute génère-t-il encore de légères ondes. Comme des vaguelettes venant s'échouer sur le rivage et qui chatouillent les orteils en passant. Nous sommes le vingt-quatre juillet 1469, et Astana est investie d'une mission. J'ai pas le pouvoir d'aligner correctement les planètes qui distinguent les journées roses des bleues ni même de tirer la bonne carte de tarot, astre de mes jours, mais je peux agir là-dessus à notre niveau très terrien. Alors, lentement, elle l'amène sur le dos et appuie un de ces longs baisers qui causent pour deux contre ses lèvres, bientôt suivi d'un sourire évident. Bonjour.

    - « Je vais nager. Repose-toi. Je te réveille lorsqu'ils sont mûrs. »

    Une paire de doigts se fait caresse sur la joue avant qu'elle ne se redresse et passe sa chemise de la veille. Bien sûr, qu'un œuf ça ne pousse pas sur un arbre, ni dans la terre. Et que les philosophes des temps anciens s'étaient demandé longtemps qui était arrivé en premier entre l’œuf et la poule, sans jamais trouver la réponse à cette question ô combien existentielle — pour certains. Mais les œufs du Puy sont à la fois palpables et faits d'éther. Alors ils mûrissent, ou cuisent à petit feu, et pour le moment ne sont pas encore aptes à la dégustation. Astana ne dirigerait pas le reste du séjour, ni les itinéraires, ni les auberges, ni les endroits où monter leur camp sauvage, peut-être pas les menus et encore moins les baudets ; et d'ailleurs c'était déjà appréciable d'être gardée de ces responsabilités pour une fois, mais elle prendrait les rênes là-dessus. Rien qu'une fois avant Marseille ou au-delà. Parce que Ça avait été foutu en touche depuis Limoges. Et qu'il fallait que Ça arrive avant. Pour se laisser tout à fait porter après.

    Inspirée, la blonde avait décidé depuis la veille de provoquer un chouïa le sort avec l'espoir de peut-être réussir à faire péter une plaque d'armure nouvellement posée chez Johannes en bonus. Mais c'est pas maintenant. Dors, Minou. Clos tes paupières encore un peu. Laisse-toi dériver en toute sécurité. J'suis là. Je pars pas long, ni loin, j'ai juste rencard avec la part de moi qu'est naïade. Redressée à la verticale, elle entame un premier tronçon de pente où les herbes folles ont à trois quart recouvert les pavés défoncés de la rue, direction les charrettes. Dans la sienne, elle fouille jusqu'à sortir un linge propre de son paquetage, et après avoir établi que le blond aux tifs cendrés a bel et bien rejoint Morphée ou une figure similaire, un vêtement fabriqué d'étoffes vertes. La vêture calée sur l'épaule, Danoise fait un détour par ce coin de terrain plat qui devait anciennement être une grange où ont pioncé les montures pour les descendre avec elle au point d'eau.

    Premières ablutions et prière de rosée faites, l'épouse de l'archiviste se glisse pleinement dans la flotte. Capricorne aux accents sincères de nymphe, elle nage contre et avec le courant, profitant de l'occasion pour faire une petite buée. Sa chemise crasse de la veille est trempée rapidement dans l'eau, frottée avec le composite du lit de la rivière. Tout le temps que cette petite échappée dure, les pensées errent sans but précis. Parfois, elles rebondissent sur une porte fermée, d'autres fois encore elles en ouvrent de nouvelles, glissent sur les coursives, mais jamais elles ne se stabilisent sur une position précise. C'est bien. La forteresse mentale de la blonde est en paix ce matin. Il faut. Sortie, séchée, tressée et désormais habillée d'une robe aux teintes forêt ou nuances nature du Puy, elle gravit la pente en sens inverse flanquée de ses deux équidés acolytes. A l'arrivée, ils se voient offrir du foin et Sa Blondeur s'échappe en quête de fruits et d'herbes qui auraient résisté à La Faille.

    Une heure plus tard, les œufs sont parfaitement cuits et présentés sur un tranchoir avec le butin-cueillette du jour, majoritairement constitué de framboises et de mûres sauvages fourrées avec des feuilles de basilic sauvées des mauvaises herbes. De l'eau chaude au thym repose paisiblement dans un cruchon en étain. A côté du feu se détache un petit coffre qui n'était pas présent la veille, le fameux Ça, mais pas plus que le foyer de fortune assemblé pour l'occasion, et à nouveau c'est une paire de doigts qui vient doucement effleurer la pommette de l'archiviste. Éveille-toi encore.


    - « C'est prêt. »

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Jhoannes
 
    𝘐𝘭𝘴 𝘷𝘪𝘷𝘦𝘯𝘵 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘧𝘰𝘳𝘦̂𝘵 𝘥𝘦𝘱𝘶𝘪𝘴 𝘣𝘪𝘦𝘯 𝘭𝘰𝘯𝘨𝘵𝘦𝘮𝘱𝘴,
    𝘑'𝘢𝘪 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘭𝘪𝘦𝘶 𝘥𝘦 𝘤𝘳𝘰𝘪𝘳𝘦, 𝘴𝘪 𝘫'𝘢𝘪 𝘥𝘶 𝘣𝘰𝘯 𝘴𝘦𝘯𝘴,
    𝘲𝘶𝘦 𝘴'𝘪𝘭𝘴 𝘴'𝘢𝘪𝘮𝘢𝘪𝘦𝘯𝘵 𝘥'𝘶𝘯 𝘢𝘮𝘰𝘶𝘳 𝘤𝘰𝘶𝘱𝘢𝘣𝘭𝘦,
    𝘪𝘭𝘴 𝘯𝘦 𝘱𝘰𝘳𝘵𝘦𝘳𝘢𝘪𝘦𝘯𝘵 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘥𝘦 𝘷𝘦̂𝘵𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵𝘴,
    𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘦𝘶𝘹 𝘥𝘦𝘶𝘹 𝘪𝘭 𝘯'𝘺 𝘢𝘶𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘶𝘯𝘦 𝘦́𝘱𝘦́𝘦.
    Béroul, Le roman de Tristan


    Est-ce que le roi Marc aurait été aussi clément si Yseut avait largué des œufs au plat au lieu d'une épée entre elle et son amant ? Probablement pas, mais après tout le roi Marc n'était pas là, et Tristan avait la dalle. Un Tristan sur le retour, certes, et si Marc était passé quelques heures avant, il aurait peut-être été sujet à une crise d'apoplexie foudroyante car l'amour que Tristan vouait à sa mie était quand même un brin coupable, hein, sur les bords et en dedans ; mais comme le dit cette belle formule : de jeune ermite vieux diable. C'est l'odeur de cuisson qui l'extirpe en premier du brouillard. Jour est Grand. Yseut a fait la popote. Elle a cuit des œufs.

    Après qu'Astana lui a dit de se rendormir, Jhoannes a mentalement protesté contre la douce injonction pendant sept secondes quarante-deux avant de fermer les paupières. Ensuite, il n'a plus bougé d'un poil, si l'on oublie ceux de sa moustache qui frémissaient lorsqu'il ronflait — fallait pas le laisser sur le dos. Là, tiré des bras du sommeil, il ouvre les yeux sur une branche de châtaignier qui danse la samba dans le vent. Il roule sur le flanc, bouscule un peu le tranchoir d'un coup de coude maladroit, se demande qu'est-ce que ça fout là et s'appuie sur un avant-bras pour observer la danoise et les indices de son petit-déjeuner surréaliste.

    Les yeux noirs se mettent à clignoter, amusés, sous le front plissé de ces gens qui, par instinct, mettent du temps avant de sourire d'une surprise, pour savoir qu'elles peuvent être mauvaises sous leurs allures bonnasses, les surprises. Astana s'est parée du vert des arbres, et sombre, et doux, de ceux qui peuplaient les bois des contes violents, ceux-là mêmes qui ont emprisonné son esprit alors qu'il était encore marmot — un vert qui ne tient pas du hasard, déjà parce qu'elle ne la porte jamais, cette couleur, de deux parce que le barbu est du genre à radoter ses fadaises. Touché. Jhoannes se retrouve en panne sèche de mots pour dire, comme souvent. Alors il sourit.


    - « Et... »

    Une feuille de basilic est calée sous la molaire pour se donner le temps de réfléchir à la suite de cette phrase qui n'aurait jamais dû être entamée. Encore une. Et puis ça file bonne haleine.

    - « ... »

    Un nouveau regard est rehaussé vers la blonde : oui, je me désole aussi, mais ne désespère pas, je vais arriver à dire un truc. Et si on est en veine chérie, ça sera une vanne pas trop trop pourrie. Ou alors, le silence. Le silence c'est bien aussi. Et comme pour le justifier, il plante un index sans appel au centre d'un œuf, et le suçote, agrémentant la dégustation d'un : « Hum ! », qu'on pourrait traduire par : gloire au jaune d'oeuf et gloire à toi, Sørensen. Pour un peu, il en oublierait ce premier souvenir culinaire partagé, sous les poutres de son ancienne piaule parisienne, et la vision encore vive de sa Blondeur en train de frapper une poèle contre le rebord des fourneaux, en insultant une paire d'œufs carbonisés de tous les noms d'oiseaux que le Danemark avait su inventer. Et, la trogne ahurie, il avait pensé : ah, cette fille est totalement timbrée. Faut qu'je l'épouse. Riche idée ça.

    - « Bah ils sont royaux tes svin*... »

    Demeure la grande inconnue de l'équation : la boîte. Le barbu interroge du regard son épouse, au poignet de laquelle il noue ses doigts. J'ouvre ou tu m'expliques ?


    *salauds, en danois

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    Comment t'aguiches avec ta boite et ta robe, Sørensen.

    - « Eh, j'me suis pas foutu de ta gueule. »

    Même que.

    - « Des mois ça m'a pris pour les maîtriser. »

    Danoise se pare d'un de ces airs de sérieux, front gravement plissé et bouche pincée en un trait, qui indiquent : c'est pas du flan que j'te sers mon chou. Bah ouais, c'est des oeufs nature, espèce d'imbécile. Ju-ré. Pourtant, Astana, cette farceuse de cantine, a un éclat roublard au fond des mirettes. Au vrai, ça lui avait pas pris plus d'une poignée de minutes à piger correct la technique. J'ai peut-être pas les talents culinaires des nénettes qui te font des pâtisseries, mais.

    Elle arrache l'extrémité d'une tranche de pain épaisse et l'amène faire trempette dans un jaune coulant. Mouillette gobée en une poignée de secondes. C'est le temps qu'il lui faut pour se figurer le prochain mouvement. Et comme elle approche le coffret des mains du barbu intrigué, elle engouffre un second mouillon en souriant à demi. Parfois, Astana sait lire dans les silences de Johannes, dans ses embryons de phrases, ses onomatopées et les plis au coin de ses yeux. D'autres fois, il lui semble que certaines connexions sont rompues et que d'autres scènes sont entourées d'un petit cordon « Défense d'analyser ». Du kit qu'elle garde depuis la foirade de Limoges, elle désire simplement, avec pudeur, qu'elle parviendra à lire l'instant. Être à la hauteur, peut-être. Arracher un peu de joie aux jours qui filent, sûrement. Parce que sur une partie du motif brodé la veille, elle avait à nouveau repéré un vilain cafouillis de fils et avant qu'elle ait pu défaire le nœud, une plaque s'était rajoutée dessus. T'es heureux ? Ça va. Ah. Alors la danoise commence la broderie du jour en piquant de nouveaux points à côté du nœud. Peut-être que ça finirait par le recouvrir, ou qu'il paraîtrait plus si important une fois le motif achevé. Léger mouvement de menton vers le coffre, sourire sincère aux accents chauds.


    - « Je t'avais dit que t'aurais plus à attendre longtemps. »

    Ce sont tes mitaines d'été qui dorment dans le coffre, Blondin. Courtes, de cuir clair et doublées de lin, parées d'un sobre « J » à l'intérieur du poignet. Et dessous les mitaines, une pipe bourrée d'un mélange chanvre, lavande et camomille – le fameux calumet des cinq compliments ; et un pot d'argile, rajout de dernière nécessité, étiqueté : « Douceur à jointures ».

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Jhoannes
    Lentement, le blond comprend que c'est Noël avant Marseille. Et se loue intérieurement lui-même, oui, parfaitement, d'avoir décoincé bien avant le départ pour se retrouver aujourd'hui avec un présent à échanger. Détendez les mollets, c'est dans la charrette. Parce que la danoise avait demandé un cadeau, elle aussi, et que ça l'avait plongé dans une merde noire pendant plusieurs semaines. C'était encore autre chose que d'offrir une bricole sur un coup de tête, ici fallait composer avec des espérances dont on ignorait tout, même si on se doutait qu'il n'y en avait pas tant. Jhoannes, ça avait jamais été le genre de type à noyer sa dame sous les fourrures et les bagouses à vingt-huit carats. Notamment parce qu'il avait passé la moitié de sa vie à être fauché comme les blés mûrs. C'était plus le cas, mais il avait dû se remuer la cervelle pour trouver une idée qui faisait sens dans tout leur bordel-à-deux et… Mais d'abord les oeufs. Ils sont encore chauds. Un sandwich pain mouillette, oeuf, basilic, double-framboise dans une main, l'autre ramenant la boîte vers lui avec un petit sourire fiérot :

    - « J't'avais déjà raconté que j'avais été sacré roi de la mouillette 1436 ? »

    Et d'un regret immédiat d'avoir prononcé cette phrase, il secoue la caboche. Non mais c'est faux. Ne rebondis pas là-dessus. J'sais même pas si ça existe, en plus, ce genre de compét' dans les royaumes… et auquel cas il faudrait l'inventer, en reformulant un chouille le titre en lice, parce que ça sonne bizarre, on va pas se mentir mais chut, je n'ai rien dit. De toute façon je pouvais pas parler, j'ai la bouche pleine, regarde. Hum, trop bon. Et ça c'est quoi ? De l'eau avec du thym dedans ? Merveilleux. Y allant d'une prière pour que la tisane ait eu le temps de passer sous la barre des cent degrés, il se rince le gosier des mots qui ont le chic pour sortir au mauvais moment et leur offre un trajet aromatique direct jusqu'à la case censure. Trois mûres gobées plus tard, il gigote pour se caler proprement en tailleur et ramène la boîte à lui, avec une furieuse envie de la secouer près de son oreille, qu'il réprime de justesse. On sait jamais, même s'il verrait pas bien pourquoi il y aurait du cristal à l'intérieur. Le couvercle est soulevé de l'espace d'un ongle, puis rabattu aussi sec. Il se lève.

    - « J'reviens. »

    Pour de vrai, pas comme les gars qui disent qu'ils vont aller acheter un sac de blé et qui partent refaire leur vie ailleurs sur un coup de tête dans un virage de ruelle, non, je reviens vraiment. D'ailleurs, je m'en vais pas loin, là, juste un aller jusqu'à ma charrette avec au retour, une clef lourde dans la poche, en argent orfévrée d'un entrelac feuillu, et un truc rectangulaire dans les bras.

    À côté de la danoise, il pose une boîte. Surprise. Une autre boîte ! Une boîte faite de plusieurs autres petites boîtes. C'est un casier d'apothicaire, taillé dans le bois de cœur d'un cèdre, haut de vingt pouces, large de douze et profond de cinq, construit en trente-deux tiroirs carrés, dont la ferronnerie en argent, au même motif que la clef, est ornée d'un anneau pour tirer mais ne permet pas d'y insérer une clef. Seize tiroirs sont fermés, les seize autres sont entrouverts et ne contiennent rien. L'unique serrure se trouve sur la paroi haute de la boîte, côté ouest. Le bois porte cette simple notice :


𝑨𝒓𝒄𝒉𝒊𝒗𝒆𝒔 & 𝒃𝒓𝒆𝒍𝒐𝒒𝒖𝒆𝒔. 𝑬𝒏 𝒄𝒂𝒔 𝒅𝒆 𝒕𝒆𝒎𝒑𝒔 𝒐𝒓𝒂𝒈𝒆𝒖𝒙, 𝒅𝒆 𝒑𝒆́𝒓𝒊𝒐𝒅𝒆 𝒃𝒍𝒆𝒖𝒆 𝒑𝒓𝒐𝒍𝒐𝒏𝒈𝒆́𝒆 𝒐𝒖 𝒅𝒆 𝒇𝒓𝒊𝒏𝒈𝒂𝒍𝒆 𝒔𝒚𝒎𝒃𝒐𝒍𝒊𝒒𝒖𝒆 : 𝒖𝒕𝒊𝒍𝒊𝒔𝒆𝒓 𝒍𝒂 𝒄𝒍𝒆𝒇.


    Absolument pas sûr de son coup, après avoir passé des semaines à tailler des plans sur les parchemins derrières les comptoirs et le bureau juridique — un corps de métier qui laisse du temps pour soi, il pince un petit sourire gêné vers son épouse. Oui madame, je fus charpentier et j'aime crocheter les serrures. Ne faites pas l'étonnée. Tu savais qu'un jour je t'offrirai un appareil avec des goupilles qui fonctionnera une fois sur deux. Faut juste taper sur le côté droit si ça déconne un peu, mais il lui expliquera plus tard. Il lui laisse le temps de se familiariser avec la baraque. Et puis un geste avorté marmite encore.

    Finalement il ouvre la boîte. Ce sont les mitaines qui lui sautent aux yeux. Il ne pipe pas un mot mais les décortique à l'œil nu. Laisse percer un sourire solaire, en ce qu'il traduit la chaleur qui lui prend au cœur et fige ensuite son regard, une seconde de trop sans doute, sur la broderie à une seule lettre qu'il aperçoit, et qui vient lui pincer ce même cœur. Les initiales font donc chambre à part. Un caillou saillant dans la botte… et une clef oubliée dans la poche. Il fouille dans cette dernière, une narine retroussée par l'effort, et pose ladite clef près de sa Blondeur.


    - « Ça pourra aider. »

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    T'as scruté, Sa Blondeur. Particulièrement ce petit bruissement dans les fourrés, cette branche qui craque au loin, celle qui trahit une présence étrangère. C'est l'espion envoyé sur la muraille du château mental de Johannes, celui qui guette à travers le soupirail, la pièce que tu offres en sacrifice. Le coup de l'initiale unique. Est-ce que c'est l'idéal ? Non, bien sûr. Mais parfois, la danoise fait des paris, elle prend des risques pour provoquer des réactions qui causent toutes seules. Parce qu'elles embrouillent moins la carafe. Les tics ne mentent pas. Ils sont francs. Et c'est une dynamique un peu étrange qu'il y a là, parce que qu'il a fini de sourire, Johannes, et qu'elle se laisse aller à rayonner plus fort, Astana. Les châsses grises accrochent les billes noires en vis-à-vis et disent : je sais que ça pique un peu, là maintenant tout de suite, mais tu comprendras bientôt, Blondin. Fais-moi confiance. Parce que je suis amère et douce à la fois.

    Alors elle se laisse tout aller à la contemplation du présent qu'elle avait oublié avoir un jour demandé. Astana n'est pas femme à quémander des cadeaux sérieusement. C'était parti d'un jeu. d'une soirée gaie où naissaient des plans de vacances. Ses doigts effleurent les petits casiers de bois, glissent sur le travail d'argent, s'attardent sur l'inscription comme pour en imprimer mentalement chaque mot ; et la blonde envoie une prière silencieuse à un dieu, n'importe lequel, le sien ou celui de quelqu'un d'autre, d'avoir aligné correctement les planètes pour eux. Après la boîte à rêves, c'est ma seconde boîte préférée au monde. Parce qu'il y a des bouts de Johannes dedans. Et sans plus attendre, la clef tourne dans la serrure, déverrouillant la dixième case et son contenu. S'offre alors à vue un écu, accompagné d'un mot :

Qu'un miséreux voulu bêtement donner à un jeune page.

    Seconde prière silencieuse. Béni sois-tu, Dieu des orages. La pluie qui tombe est chaude. C'est une pluie d'été qui te donne envie d'aller courir sur la plage avec celui qu'a des mollets taillés par des créatures célestes. Des instants clairs, il y en avait eu beaucoup d'autres depuis l'esquisse du projet Marseille. Mais pas comme là. Putain. Le geste est vif, sincère, lorsqu'elle vient l'embrasser en plein milieu des lèvres avant d'aller fouiller un instant dans sa besace pour faire réapparaître sous leurs yeux sa main fermée, doigts tournés vers le ciel.

    - « Ça te dit d'apprendre à broder ? »

    Et les doigts de s'ouvrir, dévoilant une aiguille transpercée de fil noir dans la paume. Là, le kit est complet.

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Jhoannes
    Il avait envoyé un agent-double en face aussi, pour prendre la température dans la salle de réception du château danois ; un gars assez fin qui aimait écouter aux portes. L'esgourde tendue, il avait guetté le rythme des déclics et celui de la bille en plomb qui roule à l'intérieur de ce bazar mécanique. Non parce que la ferrure qu'est pas centrée sur le huitième tiroir, dans l'absolu, c'est pas bien grave, un simple aléa sur la route des travaux manuels, par contre, le bruit de la bille… là ça avait valu le coup d'y passer quelques nuits blanches. Faut pas chercher. Danoise, elle dit plus rien. Il pense : merde. J'me suis foiré. Elle est tombée sur le numéro seize. C'est pas pile poil le bon moment, pour le numéro seize.

    Il lit l'inscription sur le pot d'argile, l'attention lui arrache un sourire mais pas aussi net que le premier — déjà plongé dans l'énigme de la lettrine absente au revers des mitaines, se demandant ce qu'il doit en déduire, sachant bien que dans tous les cas, c'est pas un oubli, c'est pas le hasard. Pas du genre tête-en-l'air, la nordique. Elle est pleine de couches, cette fille. Avec des petits messages embusqués par-ci par-là. Celui-ci pue un peu, au premier reniflage. Mais il veut pas s'emballer, le barbu. Parce qu'il va encore s'embrouiller dans les verbes et dans le ton, ça va sortir mal ou pas comme il voudrait, et Monsieur Malaise va débarquer dans la place, en riant, sous la cathédrale pour s'abriter des gouttes de la discorde.

    En plus il pleut vraiment. Pas beaucoup. Comme si le ciel, aussi, voulait lui envoyer un message qui pue sur les contours. Une validation de pressentiment. Au premier grain d'eau qui vient assombrir sa manche, il pense à la survie des boîtes, oublie de demander le sens du dernier item (la pipe prête à l'emploi) et cherche du regard de quoi recouvrir tout ce bois vulnérable et pas traité du XVème siècle. Là il rencontre un baiser, brut, qui le coupe dans son élan. Bon, elle a raison de pas s'affoler. C'est pas encore le déluge non plus. Et puis c'est quoi, une lettre en tissu à l'échelle de l'univers ? Minuscule. Insignifiant. Mais pas rien non plus. Il a souvenir d'un dialogue entre eux qui fait office de jurisprudence à ce sujet.


    - « Ça te dit d'apprendre à broder ? »

    Par tous les diables. Quelle garce t'es, Yseut. Il claque un grand sourire, le bide doucement secoué par rire un silencieux. J'ai une tronche à adorer le point de croix ?

    - « N… non ? »

    Et d'une main agile, autant qu'elle puisse l'être dans son état du moins, il vient chiper la clef en argent. Pour rééquilibrer la balance. Un de ses marottes à lui.

    Faussement grognon, pour pas montrer le soulagement — et préserver sa part virile qui vient de prendre un énième coup dans les rondelles, quand même :


    - « Ttt. J'te rendrai la clef quand t'auras fini ton œuvre. On termine ses cadeaux AVANT de les offrir, Sørensen. C'est la base. »

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    « Avant que le chant vous vienne, il faut longtemps
    déambuler, couvrir ses pieds d'ampoules en allées et
    venues, tandis que dans la vase du cœur doucement
    barbote la sotte sardine de l'imagination. »

    — Vladimir Vladimirovitch Maïakovski, Poèmes


    Hin.

    Souvent, les prises de risque d'Astana l'amènent au bord d'un précipice. C'est une abysse familière, installée là depuis presque aussi longtemps que la crevasse du Puy. Parfois, Astana se trouve balancée en plein dedans, entraînée par le poids des mots, qu'ils soient les siens, ceux du blond ou ceux des autres. Mais pas cette fois. En neuf piges, les pieds de la danoise avaient souffert de beaucoup d'ampoules, de sales crampes et d'écorchures et s'ils dérapaient parfois, et qu'ils se vautreraient encore, aujourd'hui ils demeuraient stables sur leurs appuis. Elle étire un sourire profondément amusé.

    La clef d'argent repasse de l'autre côté de la frontière et la main se referme alors sur l'aiguille.


    - « Et le don de la connaissance, alors ? »

    A elle de secouer la tête, maintenant. T-t-t. Et je sais que tu t'en tamponnes les orbites d'apprendre la broderie et que fatalement on s'en fout de ton skill couture parce que ça te sera aussi utile dans la vie que de savoir distinguer une hirondelle d'un martinet, Blondin, mais c'était pour le geste. N'empêche que c'est fendard comme certaines choses ne font sens que dans sa tête à elle. Qu'il termine le motif, c'était conjurer la mésinterprétation autour du premier, sur les mitaines d'hiver. Pas grave, j'vais conjurer toute seule, va. Heureusement que les blonds ne s'étaient pas arrêtés au moindre petit vent un ton plus froid qui s'était mis à souffler sur la prairie. Autrement ils n'auraient jamais passé la première heure. Elle récupère la paire de gants dans la boite et pique l'aiguille dans un. Tranquillement. Point de tige après point de tige se dessine le début d'un A.

    - « Si t'as la clef ça veut dire que j'peux te filer procuration pour en ouvrir un à ma place ? »

    Elle relève un brin la tête pour l'aviser, toujours une petite lueur enchantée dans le regard.

    - « J'en veux bien un nouveau. »

    Grisaille vogue brièvement sur la pipe qui demeure éteinte, gardée des trois gouttes qui ont plu, et revient à son ouvrage sur la première des deux mitaines. Bah ouais, le temps que j'finisse proprement ça.

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Jhoannes
    Jhoannes répond habituellement à une logique primaire — sauf s'il vrille parce que les voix dans sa tête sont trop fortes, mais l'apposition récente contre les deux buttes timides de la blonde a fait taire les voix. Comme c'est dur de se bourrer la gueule avec de la tisane au thym, il a le carafon rationnel. Tu veux aller à gauche ou à droite ? Gauche. Noir ou blanc ? Gris. Tu veux broder ? Non. Ce n'est qu'après, en voyant la mercenaire se coltiner le travail d'aiguille sans rechigner, qu'il capte qu'il a potentiellement oublié un élément de poids. Un truc qué s'appelerio la sensibilité. Non, c'était pas une invitation pour entrer dans l'arène, Blondin. En fait, y'avait pas d'arène. Pas besoin de cogner des plaques d'égo entre elles. Pas de pièges derrière les dalles à motifs exotiques, ni derrière les portes.

    Comme elle agite le drapeau blanc, plein phare sous le soleil mouillé du Puy, il sort le sien. Écru, ça compte ? C'est une sorte de blanc qui aurait pris du retard sur les autres. Mais il essaie très fort. C'est pas de sa faute s'il est un peu trop nature.


    - « Non mais Sø... Sørensen, j'peux faire des points mais j'risque de ruiner la fabrique...»

    Et ça serait dommage, avoue. C'est pas des mitaines de connard chaton, franchement ça serait bête de les abîmer, résonne-t-il intérieurement de mauvaise foi, alors qu'il s'installe en face de la boîte, clef à la main. En plus c'est long non, de broder ? Il lui semble, à lui.

    - « … puis j'suis maladroit comme tout, tu m'connais...»

    La clef est tournée, la bille roule. Le barbu coule un regard de bonheur sur la machinerie, celui de l'inventeur au rabais qui entend que sa création fonctionne au poil de cul. Pour l'instant. Tant qu'on tombe pas sur le tiroir numéro seize, tout va bien.

    - « … j'vais tout faire de traviole...»

    Clic. Seize.

    - « Haha ! »

    C'est un bref rire jaune, un rire qui maudit un nouveau dieu. Celui de la pluie qui s'arrête d'un coup. Un anneau reluit au fond du casier malchanceux, un anneau en argent sombre, estampé en creux et en relief — la moitié d'un corps de blairelle, l'autre d'un renardeau, dont les gueules se mordent entre elles en son centre. Bijou démodé, presque, ancien d'il ne sait combien de décennies, la veuve n'avait pas su lui dire, mais dont la taille et la scène qui s'y déroulait lui avaient accroché l'œil. Dans le contexte actuel, c'est risqué comme offrande. En fil de pensée, il déroule les interprétations foireuses qu'elle pourrait en tirer. Non, je cherche pas coûte que coûte à te faire porter une marque, c'est juste… oui, je sais, on s'est engueulés y a à peine une semaine parce que tu portais l'anneau d'un autre mec, mais, ce tiroir-ci, je l'ai scellé bien av… Ou alors, il peut juste le refermer en douce et prétexter qu'il avait oublié une case…

    Il pose quelques doigts hésitants sur le bord du tiroir.
    Y a juste à donner une petite poussée efficace...
    Ni vu ni connu j't'embrouille…
    Ah non. Elle me regarde.
    Flûte.


    - « Allez file… file-moi ça, là. J'vais broder, ça va être d'la crème... »

    Petit hochement de tête. Jhoannes s'improvise couturière pour s'occuper les mains. Le tiroir ? Quel tiroir ? Je brode moi. Ardemment. En plus ça a pas l'air sorcier, une fois qu'on a compris le concept global...

    - « Raa. »

    Comment ça pique une aiguille.

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    Ding ding ding. Alerte, alerte. Vite, que quelqu'un aille chercher la réf' de ce rire aux archives. [...] Merde, cheffe, c'est le rire jaune du coup du sort qui s'abat sur un coin de votre auguste figure. Ouah non, attendez, c'est p'têtre celui que vous lâchez après avoir évité un sale truc de justesse. Genre, un peu comme quand vous remarquez un taon sur la croupe de votre cheval et que vous l'virez avant qu'il n'ait l'temps de mordre, voyez ? Alors vous vous poilez en vous essuyant le front : « Haha je l'ai échappé belle Bernard j'aurais pu finir le cul dans les fourrés ! » Voilà, bon, désolé, on a eu un souci aux archives et j'peux pas faire plus précis. C'est un des deux. Démerdez-v... Aïe.

    La blonde relève le pif. Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Sous ses yeux clairs le moment de flottement est des plus perceptibles. Et surtout, se matérialise une seconde paire de mains sur les mitaines. Mais ! Au vol- ouais, non, pousse pas trop quand même Sørensen. C'est une esquive, une vraie que voilà. Dans le tiroir, y a un truc tellement pas net que ça fait passer la couture en tête des occupations premium du moment. Bah ? t'as foutu des pièges dans mon cadeau, Blondin ? C'est quoi, des punaises ? La fin d'une lettre qui déclame et promets : « Je vous aime, et je vous démolirai » ? Une araignée nommée Céline ? Une énigme dans une fiole ? Une promesse écrite pleine de voyelles ? L'envie première, la pulsion curieuse, souhaite aller fureter côté tiroir, voir ce qui l'a rendu tout chose. Mais le blond est en plein naufrage avec la succession de petits points. La danoise, à l'aise sur son embarcation mentale, tend une patte pour lui porter secours. C'est pas une porte du Titanic de la Blanche-Nef, y'a large la place pour deux. Viens.


    - « Attends. Regarde... »

    Doucement, les mains s'apposent sur les siennes, guident le mouvement pour quelques enfilées. L'aiguille est ton cheval, c'est toi qui diriges le point qui trace le motif, tu peux courber ou tracer droit, autant que tu veux.

    - « On a l'temps. »
    Tu l'as dit hier.

    Et lentement, la blonde se détache de son époux pour se rapprocher du coffre aux tiroirs mystères. Visée directe sur le casier portant le numéro seize. Et voilà le rire qui fuse, droit dans l'air. Oh là là. Ouais, c'est cocasse. J'te comprends, la Fugue. Elle fait tourner l'anneau entre ses doigts, s'attardant sur le relief gravé afin d'en prendre la pleine mesure. Plus l'anneau tourne, plus l'hilarité cède place à un doux chahut interne qui lui irradie le palpitant. Sans doute rayonne-t-elle plus fort aussi. Il se trouve une place de choix à l'annulaire gauche. Est-ce que c'est une alliance ? Astana sait pas. Elle s'en fout. Pour une fois, elle ne cherche pas d'autre symbolique que celle première, de ce qui saute à vue : il y a un blaireau et un renard qui sont impliqués dans une fusion. C'est organique. Limpide. Ses lèvres trouvent la peau sous une oreille. Bécot.


    - « Vieux renard de mes jours, va. »
    Gaffe, tu dégoulines Sa Blondeur. Oups. Pardon.

    Nouveau déclic dans la serrure. Le trajet de la bille se fait entendre dans son petit toboggan de bois. C'est pour pas lui agiter l'anneau sous le nez tout de suite, tenir éloigné Monsieur Malaise et sa famille de rabats-joie. Avant le seize, il y a le quinze et c'est lui qui s'ouvre à présent. Dorment à l'intérieur une aiguille rouillée ainsi qu'un bris de chope triangulaire :

    Saumur, 1462.

    Et du tac-o-tac :


    - « Oh ! une aiguille de remplacement. C'est pour broder des symboles anciens et mystiques sur ma robe ensuite ? »
    , qu'elle balance, en raillant un brin en même temps qu'elle s'allonge le dos. Le corps secoué de petits sursauts amusés, elle pique l'aiguille à l'ourlet d'une manche et reporte son examen sur le bris triangulaire. Saumur, 1462. Probablement encore un éclat violent, une sortie de route édition spéciale Danoisie. Ah, il fut un temps où les projectiles étaient sacrément aériens, ouais. Il fut. C'est plus. Pfiou, évaporée cette facette. Promesse, promesse. Et tu sais quoi ? Ça me manque pas. J'ai compris, j'ai grandi, j'ai...

    - « Aïe. »


    Le plat du pouce a ripé sur le tranchant du bris, il se pare délicatement de rouge. Et la ferrailleuse se marre. A chacun son châtiment divin. Ça t'apprendra à taquiner trop net, va.

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