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[RP] De la couleur en noir et blanc

Astana
    Septembre.


    Oh, l'été avait été globalement clair et doux, parfois brièvement assombri ou rafraichi par quelques coups de vent et averses qui n'avaient heureusement pas duré. Des petites dépressions de rien du tout. De la gnognotte sur l'autel de leurs journées roses et jaunes. D'un jaune propre au cœur d'un oeuf à la coque, rose pâle telle une floraison de marjolaine. Des motifs qu'ils avaient songé à s'encrer mutuellement dans la carne depuis belle lurette, et dont l'acte venait de se préciser. Là. Maintenant, ce soir, cette nuit. Après une étreinte salée. Viens, on se grave des restes d'été pour se porter chance. Faire rempart au gros nuage qui se profile à l'horizon. Celui des emmerdes. Le déluge nommé Vran. Et certes, Johannes et Astana n'ont pas grand chose en commun avec des prévisionnistes météo bien qu'ils sachent reconnaître le vent quand il tourne et le ciel lorsqu'il se couvre pour annoncer la pluie, mais pas besoin d'être un génie pour savoir qu'ils finiraient trempés. D'une manière ou d'une autre. Mais j'veux pas là tout de suite, y penser, me prendre le chou, me mettre martel en tête, m'angoisser, m'asphyxier, songer trop, craindre grave, me couvrir, affûter ma lame, me parer de blanc au détriment du rouge au museau, ni même aller réviser le mécanisme de mon arbalète. Non, j'veux pas. C'est encore l'été, il fait toujours chaud. Alors ouais. Y'a pas que les talismans dans des pochettes ou des médaillons, qui comptent.

    Alors de l'encre pour s'ancrer. Je t'ai déjà dans la peau, mais.

    Sur l'assise d'une chaise, un petit pot rempli d'une teinte noire de fumée, plusieurs aiguilles, un bol d'eau et des linges pioncent en attendant qu'on les sollicite. A leurs côtés, une bouteille d'eau vive, forte et sérieuse, passe d'une main à une autre. Accroche les lèvres. Elle a des accents fortement herbacés. Il fait chaud, il fait soif, et puis ça pourra toujours servir pour nettoyer s'il faut. Allongée dos sur cette table sur laquelle elle n'a plus mangé ni bu depuis des années et redressée sur les coudes, Danoise s'abreuve d'une gorgée en observant l'archiviste faire sa petite cuisine, un éclat amusé dans les mirettes grises. Qu'est-ce que t'es beau quand t'es sérieux, comme ça. Je m'en lasserai jamais. Est-ce que c'est parce qu'il veut pas se foirer sur l'ouvrage à venir ou parce qu'il endure une fois encore ses lubies passagères, ça elle sait pas. Mais elle se gondole un chouïa tout en expliquant son choix, pragmatique :

    - « Une table c'est moins mou, sur un matelas on est jamais tout à fait aligné correctement. »
    Et j'ai envie d'être tatouée droit, toi aussi, soyons d'accord là-dessus.

    Son dos épousera tout à fait les planches lorsqu'il lui donnera le signal. En attendant Sa Blondeur boit au goulot et manque de s'étrangler lorsqu'une pensée fugace mais sincère lui traverse la caboche et qu'elle se bidonne de plus belle. Légère toux et châsses grises qui balancent un petit « navrée pour mon humour de merde » d'avance.

    - « 'fin ça dépend pour quoi. »
    Krkrkr.

    Rho.

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                                                  Merci JD Sadella ♥
Jhoannes
Après l'étreinte salée dans l'eau douce, il s'était séché les miches — votre tour viendra plus tard les filles — et avait enfilé une paire de braies, pour le confort, et la galanterie. C'est vrai, qu'il avait aligné les outils sur la chaise avec sa tête de garçon concentré. C'est parce qu'elle était pleine d'autres choses, des saletés du passé et des angoisses de l'avenir, et qu'il aimait pas ça, le blond, que le temps lui ronge le cerveau. Il cherchait à faire peau de carafon lisse, pour que les pensées amères ne s'y accrochent pas, qu'elles aillent se noyer dans l'eau du bain et ne polluent pas le rituel. Car piquer sa peau d'encre, c'est sacré, et que quand il était gosse, il n'y avait bien que les templiers et autres féroces qui se marquaient à ce point. La danoise, elle portait une part de sacré en elle. Peut-être que c'était dû au blond immatériel de ses cheveux, ou parce qu'il en était amoureux. Même quand elle faisait de l'humour bien lourd, elle était sacrée à sa manière. À la vanne, il répond par un bref regard amusé. Même pas je te juge. Je suis pas connu pour ma finesse légendaire, moi non plus.

Au couteau, il taille une mine de plomb, la version du graphite 8B du XVème siècle, pour en affiner le plus possible la pointe. Dans l'exercice, il remarque la référence du verset dont il a marqué sa main d'estropié à l'encre, il y a neuf longes bientôt. C'est pas comme s'il la voyait pas tous les jours, mais à cet instant il s'en souvient. Tout ça c'est parti à cause d'un réformé qui avait eu la brillante idée de lui clouer une paluche sur une porte d'église. Le gars qui l'a emmerdé ce matin, lui aussi, il aime bien s'en prendre aux arpions des gens. Quelle boucle symbolique de merde. Hein blondeur, tu trouves pas ? Et tu penses pas aussi que les gens ont quand même une rude tendance à vouloir se foutre sur le nez, en ce bas monde ? Hein, la mercenaire ? Sauf que la femme qu'il interroge silencieusement du regard à l'instant est simplement mère, au présent et surtout en devenir. Preuve en est de ce ventre courbé par trois mois glorieux de gestation qui, il le réalise à cet instant, ne va pas forcément lui faciliter la tâche.

Dans les grandes lignes, et courbant davantage la tige que sur l'esquisse flanquée sur sa cuisse, il reproduit un brin de marjolaine en fleur. De loin, on pourrait croire qu'il noircit au pif un rectangle de chair sous le sein gauche d'une blonde, mais dans sa tête, il voit à peu près où il va. C'est juste un plan. Histoire que tu te retrouves pas coincée à vie avec un végétal difforme sur le cuir. Comme ces anecdotes merdiques, dont on met des années à rire soi-même. Autant éviter. Et puis les seins d'Astana sont sacrés aussi, à leur manière. Non, il veut pas se louper. C'est le genre de tapisserie qu'on peut pas décrocher facilement, et il est fils de barbier, pas de tapissier. Peu à peu, la répétition du geste engloutit ses pensées amères et son attention s'arrime au là maintenant tout de suite. Là maintenant tout de suite, Astana, tu vas t'aligner t'allonger, sur cette table, sans doute elle aussi porteuse de souvenirs bien joyeux, dans ton appartement où les nuages des menaces à venir n'ont pas droit de cité.

Le menton vient légèrement râper l'arrondi du ventre.
La pointe de l'aiguille, trempée dans le noir.
Et d'un murmure audible :


- « Et maintenant, mini-bouchon, on va transformer ta mère en herbier sur pattes... »
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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    - « Ah non. »
    C'est venu du tac-o-tac. Paf.

    Là, il y a une infime apnée, le temps que les deux paires de châsses se rencontrent et s'accrochent. Je te vois. Seulement alors, un bout d'hilarité sort de sa cachette grise. Un léger rire qui ricoche entre ses côtes. Le corps s'agite de mignons soubresauts en même temps qu"il se vide un peu d'air. Attends attends, me lance pas le regard qui tue pour me dire de la fermer, pas encore, je vais t'expliquer :

    - « L'herbier sublime sur pattes, c'est toi. »

    Ah, le Monde, tu sais pas ce que c'est de découvrir Johannes en bure par un beau matin d'hiver, froissé et souriant, avec une corde autour de la taille en guise de ceinture. Non, tu sais pas que mon époux est le fils spirituel d'un druide. Tu sais pas les couronnes, les talismans, les brins de marjolaine enfermés dans des médaillons, les cailloux, l'herbe coupée, les astres ni les grains de lavande. Moi je sais. J'ai vu et vécu la Guyenne de 1469, la rue Coquillère, Bruges, la Toulouse du début des années 60, Limoges et le bosquet dans un jardin. Et oui, peut-être que c'est moi qui me fais encore ancrer une fleur en pleine chair et que techniquement, je réponds aussi à la qualification. Mais non. Parce que tu sais pas, le Monde.

    Et comme il en a fini avec son esquisse et qu'il trempe l'aiguille dans l'encre noire, Danoise pince les lèvres et se tait. Elle s'allonge complètement, les vertèbres épousant à mesure le bois de la table et le bras gauche mis en oreiller de sorte qu'il ne gêne pas dans la manœuvre à venir. Lors-qu’arrive la première piqûre, elle expire longuement. Petit froissement au-dessus des sourcils, la peau se tend. Aie. Une douleur éphémère, qui s'évapore presque aussi vite qu'elle est arrivée. Astana garde la lippe scellée. S'en suivent des dizaines et des dizaines d'autres, des piqûres à la pelle, qui tracent durablement les contours d'un brin juste là, sous le sein gauche. Qui font disparaître et exploser les diverses angoisses. Qui engourdissent le reste. Tout sauf l'instant. Des petits pics de douleur attendue. Bonjour, je suis la petite goutte noire, faites place nette j'ai un truc à faire apparaître. C'est un truc archi sérieux entre adultes consentants. Combien de temps est-ce que ça dure, Astana ne sait pas. Quinze minutes ? Une heure ? Parfois, elle fige la grisaille sur sa main gauche qui tire sa peau, d'autre fois elle fixe son front auréolé de blond, tout sérieux, qui s'affaire, avec un vague sourire rivé aux lèvres. Plus que la marjolaine, c'est l'acte dans lequel elle trouve de la beauté maintenant. Il y a un côté très rituel, très symbolique. Astana ne pense ni ne dit « sacré », mais ça pourrait, dans le temple sis dans sa forteresse mentale.

    Et comme il y a une brève pause, le temps d'essuyer le trop plein d'encre, elle demande :


    - « Alors, j'fais une bonne planche botanique ? »

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                                                  Merci JD Sadella ♥
Jhoannes
Un point après l'autre, comme quand on marche sur la route. Une fois que la tige est encrée, il passe un coup de linge trempé pour se faire une première idée du rendu. Et non, c'est pas parfait. C'est de la bidouille avec une aiguille, faudra sans doute fignoler dans quelques temps, mais au moins, ça a une forme de tige comme sur le brouillon. Alors pause. La gorge est sèche, il repose l'aiguille enveloppée dans son carré de coton imbibé de noir et plonge ses doigts, dont le bout a été attaqué par l'encre aussi, dans son pochon de lavande. Et d'allumer sa pipe, histoire de se cramer davantage l'œsophage. Il la reposera fumante, en libre service, près de la blonde. Il essuie son front moite d'un avant-bras ; limite qu'il transpire plus qu'après un après-midi à récolter des panais. C'est de la sueur de focalisation, le cerveau qui condense via les pores.

- « Alors, j'fais une bonne planche botanique ? », qu'elle demande.

Ses billes se posent instantanément sur l'avant-cœur de son épouse, qui n'est pas renommé pour être fourni. Et si Jhoannes a déjà prouvé à maintes reprises son allégeance aux hémisphères timides qui le narguent, là, il a un instant de flottement. Est-ce qu'on la balance, la vanne sur la planche, ou est-ce qu'on ferme bien sagement sa gueule pour éviter un drame diplomatique ? C'est pas qu'il doute de l'auto-dérision de la blonde, mais là c'est la blonde, avec des hormones en plus. Les hormones, il sait pas ce que c'est, et au fond de lui il soupçonne les utérus de contenir quelque espèce de matière diabolique qui retourne la raison des femmes. Et c'est pas forcément de leur faute, n'empêche qu'il a pas envie de se cogner un retour de bâton démoniaque et imprévu. Sauf que c'est plus fort que lui.


- « Bah Sørensen, c'pas grande nouvelle quand même, que t'es une bonne planche. »

Vite, le bécot préventif sous le menton. Un partout pour l'humour de daube chérie. Balle au centre. Soudain, il reprend un air bien sérieux. Fini les conneries. On a une marjolaine à faire éclore, parce que madame le voulait en fleurs, en plus, son brin. Exigeante, la reine des neiges. Et putain qu'est-ce qu'elle peut être chiante, qu'il songe en se marrant, alors qu'il reprend la route de l'encre. Point par point. À s'en arracher les tifs, par touffes, certains jours. Et qu'est-ce qu'il aime ça, au fond, de se heurter au pan de forteresse. Et son sens du symbole, auquel il comprend rarement quelque chose, et ses idées étranges, ses délires d'un temps, ses préjugés fixes, et son froid. Astana est dure. Et lui aussi, à sa manière. Faut bien ça pour qu'ils parviennent à s'encaisser tous les deux. Une, longue, heure, plus tard, il pique les derniers poinçons sur ses côtes, d'un brin de marjolaine, de caractère.

- « J'crois que tu vas pouvoir te venger maintenant... »

Nettoyage final et petit sourire collé aux lèvres.
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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Astana
    Oh putain. Il a mordu.

    La contrée des blonds est aujourd'hui arrosée des meilleurs auspices. Les planètes sont alignées, eux aussi. Le rire est léger, décomplexé, clair comme cette eau de roche qui dévale contre des cailloux verts moussus. Ni tonnerre, ni fracas. Rien qu'un rictus satisfait, nettement affiché. Ce sera là la seule réplique d'Astana. Qui pendant l'heure qui suit, se tient bien sage. On va pas se bidonner de trop, ni se lancer dans une grande et chaude embrassade à la volée, hein, c'est qu'il faudrait pas que tu dérapes, Blondin. Pique pique pique. L'heure n'est pas aux cafouillis. Pique pique pique. Et comme il a fini, maintenant, et passe le dernier coup de linge salvateur, la blonde se redresse lentement, une paume calée en appui après l'autre. C'est marrant, parce qu'à cet instant là, elle a l'impression que son sang refait tout le chemin inverse dans son corps. Tellement que ça lui colle des fourmis plein les jambes. Alors, le temps que tout ce petit monde se calme et cesse cette fiesta sauvage, Danoise observe l'ouvrage réalisé. De haut. Vient le sifflement admiratif, suivi d'une goulée d'eau-de-vie. La bouteille change de mains, le foyer de pipe est ravivé. Une pause dans la pause.


    - « T'as l'air d'avoir vachement hâte d'avoir mon prénom sur le cul », qu'elle balance en glissant de la table.
    Non, j'ai pas oublié cette histoire. T'inquiètes. Mijote pendant que j'vais passer une chemise, va.

    Parce que non, Minou, je vais pas t'aiguiller de noir les seins à l'air. On a beau être pro-communion avec la nature – je t'ai déjà causé des Spinozistes, dis ? du quartier naturiste de Saumur ? mais oui, mais oui, et même qu'il s'en tamponne les orbites, ton époux, des spinos et des gens qui se trimbalent les cuisses à l'air pour faire leurs intéressants et il a bien raison au fond –, on va pas provoquer le sort. Revenue sapée au prix d'une manœuvre désagréable, Astana constate que sa toile vivante est déjà en place, face contre planches. Tête s'incline de côté. Oh, en voilà une jolie vue. Si elle se rince l’œil, une poignée de secondes tout au plus, elle ne traîne cependant pas. A elle la pointe de plomb qui trace les contours rapides de cet œuf à la coque promis, pas réellement plein cul mais à droite, sous les lombaires. La mémoire du geste. Parce que cet œuf là, elle le dessine depuis un bout déjà. Soucieuse de pas se foirer et de rendre un bel ovale. Juste avant de débuter son travail d'encrage, elle relève un pan de sa chemise pour lui embrasser un carré de peau sur le dos. La vengeance, c'est pas pour tout de suite.

    Pique pique pique.

    Le geste est précis, concentré, efficace. Astana a du talent pour ces trucs-là, étonnement. C'est l’œuf à la coque que tout le monde aimerait grailler et trouver sur son ovier. Ouvert comme il faut sur le dessus. Je le goûte presque. Promis, j'ai pas loupé la cuisson de celui-ci. Pique pique pique. Est-ce que tu dors ? Ah, j'ai cru. Pardon. Mais t'as raison, je vois ta peau qui se tend et détend en cadence. Les muscles qui se contractent. Non, tu pionces pas. Pique pique pique. Oh, tu te lances dans des ombrés, Sa Blondeur ? Ouais, même pas peur. Pique, pique, pique. Points espacés. Gestes économisés. C'est la fatigue qui se fait sentir dans ses propres muscles. Pause nettoyage et rire foireux qui fuse. Elle vient de s'imaginer rajouter un regard de connard mystérieux à l’œuf, et comme Astana constitue son meilleur public, toujours, elle se poile un brin. Ça doit l'alerter un peu, Johannes, parce qu'il cherche à se décoller de la table pour balancer un regard vers l'arrière, en première ligne. Non, regarde pas. Le geste est doux lorsqu'elle l'invite à recaler sa tête entre ses bras.


    - « Bon ! Pour le prénom : plutôt lettres cursives ou gothiques ? »

    Et sans attendre de réponse, la blonde pique et pince.
    La coquille d’œuf. Parce qu'il manquait un point, juste là. Et puis la fesse.

    J'espère que t'as flippé.

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                                                  Merci JD Sadella ♥
Jhoannes
Alors que sa Blondeur s'était éclipsée pour passer son corps sous la censure textile, il avait eu un éclair d'esprit pratique. Il avait joué aux types organisés. Minou, il avait bien sagement baissé son froc jusqu'à mi-fesses, pas besoin d'offrir un spectacle de pleine lune pour ce qui allait venir, et s'était allongé à plat ventre sur la table. Est-ce que c'est confortable ? Absolument pas. Mais elle avait dit que c'était plus droit. Lui, ça l'aurait pas dérangé d'être droit sur un support moelleux, mais il allait pas batailler sur la marche à suivre. Le temps de filer dans sa piaule et de chourrer un drap pour en faire une grosse boule en guise de repose-tête, et il avait repris place comme si de rien n'était. Bah quoi, danoise, t'as jamais vu un mâle alpha ? Cherche bien, il est peut-être caché quelque part dans cette pièce.

- « Krkrkr... »

Il dandine du croupion entre les tracés de mine — bah oui, ça chatouille — et surtout, il se concentre, une oreille posée sur le linge entre le nid de ses bras. Il surveille, au toucher. Toute son attention est concentrée sur les lignes qu'elle trace sur sa miche droite. Parce qu'il flippe déjà un peu. C'est qu'elle peut être joueuse, Sørensen, quand elle s'y met. Une vanne mal interprétée et il pourrait réellement finir avec son patronyme sur le siège arrière. C'est bien un ovale qu'elle trace ? On dirait bien. Et ça c'est un départ de lettrine ? Je sais plus, je suis perdu, il s'est passé trop de lignes. Non… Non. Elle oserait pas. Bref regard soucieux vers l'artiste au derche. Hein t'oserais pas ? Non. T'es mon amour. Mon amour appliquée.

Blondin au cœur fondant, double-vanille avec glaçage à la feuille d'or, aura donc subi en silence les pique pique pique, et les point par point qu'elle vient lui planter sous le derme. C'est la semaine de l'aiguille, mais ça, il le sait pas encore. Le mois prochain, il priera pour un thème moins incisif. Ses muscles tressautent de moins en moins souvent alors que l'opération s'étire dans la nuit. Il voudrait pas que ça dure trois longes, mais il finit par s'y faire. Même pas qu'il a failli s'endormir, non. Il avait juste fermé les paupières parce qu'il était content. Parce qu'elle s'occupe de lui, après qu'il se soit occupé d'elle. Là non plus, il referait pas la même activité tous les dimanches, mais c'est doux, le temps qu'on accorde à l'autre.


- « Bon ! Pour le prénom : plutôt lettres cursives ou gothiques ? »
- « Hé... »


Tu pinces, ma dame.
Petit regard outré.
Oui, j'ai flippé.
T'es contente ?


- « Est-ce que vous auriez, à tout hasard, une surface réfléchissante dans laquelle je puisse contempler un reflet d'cul ? C'est pas que j'ai pas confiance, mais comprenez que la curiosité m'assiège. »

M'assiège ? Tu l'as ? Gracieux comme une plume de duvet jetée en haut d'une tour, non ?

La nuque vrillée au maximum vers l'arrière, une paluche tenant un petit miroir en métal face à l'œuf, le blond inspecte les travaux finis. La vision, pas forcément très nette mais suffisante pour avoir un rendu fiable de l'affaire, lui arrache un sourire. Un sourire qui contient beaucoup de choses dedans, mais qui ne passeront pas la barrière de la voix. Après tout, elle sait, et lui aussi. Non, à la place, le filet de mots qui sort remonte directement jusqu'à la source intarissable des conneries-qu'on-balance-quand-on-sait-pas-dire-le-reste. Un pied malheureux dans une flaque d'âneries et on chute, mais si l'on s'y penche et qu'on sait y voir, c'est comme les miroirs, ça réfléchit toutes les horreurs qui campent dans le fond. Et Astana sait le voir, lui, entre les mots maladroits et les silences bizarres.

- « C'est moi où le jaune a l'air coulant ? »

Le rituel tiendra jusqu'au petit jour, lorsque le premier rayon de soleil viendra frapper une cheville blonde, après qu'ils se soient raconté l'histoire de leurs corps avec la peau et les mains, et murmuré des horreurs, les fameuses, les nouvelles et les anciennes, entre des regards de rire et des baisers de foi — pas parce qu'ils auront peur de passer pour des fragiles dans l'intimité de leur refuge, mais parce qu'ils savent entendre, et sentir, et lire, dans le noir d'encre d'une chambre et les nuances de leurs gestes, et qu'ils ont peu à peu appris à chanter leur amour, jeune de dix années et pourtant vieux, et dense, comme si c'était dix siècles, avec leur propre accord de couleurs.

Il se réveillera, le blond, avec une certitude barrée sur le visage. Il viendra poser son front contre le nombril d'Astana, son port de l'âme, et racontera à voix basse l'histoire, en quelques phrases brèves, d'une blairelle qui aura retourné le bide d'un renard quand il avait trente ans, et que depuis il sait, même s'il a souvent voulu l'oublier, qu'il l'aimera encore quand les gens auront appris à voler dans des machines en fer, et que ceux qui sauront écouter les nuages entendront l'écho de ce chant. On a dit coulant, le jaune.

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
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