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[RP] Soliloque en la mineur

Saens
Un jour où il avait fumé plus de jusquiame qu'à l'habitude, étendu sur une couche nîmoise - ou était-ce en Arles ?, Saens entendit une voix. Ou plutôt, une voix se fit entendre. Apparut ainsi d'entre les volutes âcres qui se déliaient jusqu'aux poutres sombres, sans grand coup de tonnerre ni vif éclair - dehors un soleil radieux, des rues en sieste. La voix était un peu nerveuse, et commença par ne rien dire - ce qui, pour une voix, est assez ennuyeux. Elle venait du plafond, silencieuse, ravalée. C'est le brun qui entama le dialogue, de sa belle manière :

- Hum ?

- Bonjour. Ce n'est que moi.

- Vous. Hum. Gratouillage intensif de tempe. Grand Barbu ?[/i]

- Non non. Mais appelle-moi maestro, ça ira très bien.

- Bien... Epaules se haussent, la pipe se pose.

S'ensuivit un long silence, que le brun n'osa rompre, furieusement égal à lui-même. Là-haut, la voix se sentait de la moutarde au nez, toisait le trimardeur de ses yeux plissés. Quelques minutes plus tard elle éclata, cette fois un peu plus ancrée dans une thématique orageuse.

- Tu ne pourrais pas faire un moindre effort ? De départir de ce mutisme agaçant ? Je te vois en taverne tous les jours, pitoyable taiseux, ta langue est rompue qu'elle ne sache pas converser ? Oh, je sais, tu préfères les dialogues. Et encore, paresseux, ça n'est pas toi qui fais avancer le débat, toi tu écoutes, tu acquiesces, tu ponctues le tout de sarcasmes qui donnent un zeste de profondeur à ta verve sans éclat, opaque oui, vert veau Pâques.

- Je...

- Je sais, tu sers faire autre chose de ta langue. Probants, les résultats de cette dernière semaine. Chapeau.

- Humpf.

- Non vraiment. Regarde-toi, affalé dans ta chainse albuginée, la pupille dilatée comme un gros rond de cuir. Tu étais fait pour porter du velours sombre et des poulaines qui te montent jusqu'au vit -oui oui, si haut, pas ce vieux coton filasse et ces chausses ternies.

Et de déglutir.

- Il faudra songer à t'acheter un mantel pour l'hiver aussi, Saens, et soigner ta haridelle bigarrée, et tailler tes mèches noires.

- Autre chose ?

- Oui. Que ne fusses-tu un simple françois ?

- ça t'aurait facilité la tâche maestro ?

Il faut le dire, un peu. Au lieu d'être, ce qu'il est, disons-le nettement, un exilé avec des miettes rances de croate au fond du gosier, un moineau de gamin attaché à une mère, lavandière de son état, trop libre du cabochin, et trop leste dans la dette, qui après un périple maritime et didactique autour de la chaude bottée, débarqua un jour dans le bel Empire, et bien au lieu de tout cela, le brun aurait été un bien brave arlésien qui, par un après-midi trop doré, aurait décidé de s'en aller par les routes.

- Un peu. Un tout petit peu.

- Bah, il y a de jolis mots croates. Je crée des ogres avec.

- ça m'aurait arrangé que tu l'oublies totalement, ton natif de langage.

- Navré. Moi j'aurais voulu avoir dix ans de moins.

- Impossible. Ton passé ridicule aurait été bien trop frais, imagine, les courants d'air, joli pantin. J'ai déjà parfois du mal à comprendre comment tu tiens sur tes cannes, et marche de ville en ville.

- Je vacille tu sais.

- Oui. C'est charmant. Soyons honnêtes, tu es très charmant quand tu veux. Et tu as de belles fesses.

- Je sais.

- Tu devrais les montrer plus souvent. Tu devrais écrire aussi. Mets-toi à la pastourelle, fais des petits rondeaux, compte tes pieds.

- J'en ai deux.

- Revois ton humour. Et souris un peu. Ouvre tes grandes billes claires et grisâtres, je ne te les ai pas données pour rien, et lave ta chemise.

- Entendu majka.

Un peu rassurée, la voix s'en alla comme elle était venue, c'est à dire sans trop savoir comment. Le brun s'assoupit, dans des rêves particuliers, qui se passaient non loin d'ici, dans des jardins de ronces dorées de vieux soleil, où se cachaient des lézards noirs et des princesses capricieuses, des loups boiteux et des nains paillards. A son réveil, son quatrain ne sera pas plus sage, il ne sera pas moins slave, ni moins cornichon. Mais Saens, Saens.
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