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ou " De ce que peuvent devenir deux vies un soir d'été... "

[RP] Donatio sanguinis

Cerridween
[De retour à Limoges]

Une goutte de sueur nait sur sa tempe. Elle s'attarde un instant, avant de glisser sur la joue colorée de pourpre et de descendre le long de son menton. Elle tombe après avoir hésiter quelques secondes dans les plis de la chemise noire entrouverte.
Le soleil est de plomb sur la route qui la ramène à Limoges.
La main dextre vient essuyer son front et se repose sur les rênes avec une trace brillante. Les mèches rousses ne sont qu'un agglomérat sur son front en petit serpents plus sombres, lovés et immobiles, refusant tout mouvement, alors que le fichu qui emprisonne le reste de la chevelure ne trahit pas l'humidité qui l'imbibe. Elle bénit la couleur sombre, la Pivoine, harassée de chaleur et de fatigue, même si elle étouffe sous la chaleur qui semble peser sur ses épaules comme un bloc de pierre de pilier de cathédrale. Hadès lui, souffle, aussi fatigué que sa maîtresse, sa robe sombre maintenant grise de poussière qui s'agglomère sur les poils détrempés.

Elle n'a jamais été aussi heureuse de voir se profiler les faubourgs et les remparts de la ville. C'est presque à l'unisson qu'elle laisse échapper un soupir et qu'Hadès fait entendre un hennissement sonore qui sent la joie de sentir l'écurie approcher. Elle doit réprimer le galop du shire, de plusieurs pressions sur les rênes et de quelques paroles murmurées à son oreille. Elle lui promet de l'ombre, un pansage par ses soins, une mangeoire et de l'eau fraîche. Le shire obtempère à contre coeur, gardant une allure de pas bien plus pressé que sur le chemin du retour inondé de rayons brûlants. Elle n'a jamais été aussi heureuse d'entendre les sabots percuter le sol de la cour de l'hôtel de Lazare. Même si cette joie n'est pas complète. Même si elle est teintée de mélancolie. Melancolia profonda. Le mal est de nouveau dans ses veines. Elle s'insinue quand elle trouve l'écurie aussi vide qu'à son départ, après s'être laissée glisser au bas de l'immense monture qui se tourne vers l'abreuvoir en buvant à grosses gorgées bruyantes. Aucune monture de nouvelle, aucune arrivée. Pas de trace de la jument baie du Grand maître... le calme, qui règne toujours, retentissant, dans la cour inondée de soleil. Tu soupires beaucoup trop, Pivoine... elle prend le temps de s'occuper comme elle l'a promis de son cheval qui tremble quand la paille vient essuyer la sueur qui perle toujours sur sa robe. Elle remplit son devoir envers celui qui ne l'a jamais quittée, qui ne l'a jamais abandonnée, par tout temps et en tout lieu.

La fraîcheur de l'entrée la fait frissonner.
Le vieil intendant arrive avec lenteur la saluer avec le respect et la discrétion qui le caractérise. Elle demande si des missives sont arrivées. Il esquisse un signe de tête en guise de réponse négative, avec un peu de tristesse ou de compassion au fond de ses yeux, cernés de rides. Les sinoples ne semblent pas avoir pu cacher leur déception. Elle le remercie et se dirige vers les appartements à l'étage. Une fois arrivée sur le pas de la porte, les yeux sinoples s'attardent, cherchant quelque chose. La chambre n'a pas bougé. Le mantel est toujours posé sur le dossier de la chaise. Ses affaires toujours soigneusement rangées dans le coffre. Le lit est fait, sans pli, sans mouvement. Le broc d'eau est soigneusement posé sur la table, dramatiquement central. Pas un objet sur le sol, pas un bout de feuillet qui dépassent sur le bureau. La pièce est désespérément inchangée. Tristement morne. Parfaitement morte. Après un moment de latence, elle laisse tomber ses fontes au sol sans prendre cas de l'endroit où elles reposent. Cette symétrie l'angoisse. Cette vacuité lui rappelle... qu'elle est encore, toujours, seule. Nouveau souffle qui percent ses lèvres restées clauses pendant plusieurs jours. Lassitude qui s'installe, entre poussière, sueur et silence. Elle repasse d'un pas lourd dans le couloir et hèle qui voudra bien venir. Un serviteur se presse et demande en quoi il pourrait lui être utile, comme pressé d'avoir enfin une tâche à faire dans la demeure qui semble endormie. Un bain... un bain... il s'en retourne après avoir salué la maitre d'arme qui trainent ses bottes tout en langueur de nouveau vert la chambre. Les lames se posent sur le bureau une par une, ceinture par ceinture. La main cherche une nouvelle parure noire, se pose sur un dossier. De nouveau les sinoples cherchent. Un livre, quelque chose. Rien. Rien. Aucune envie ne l'attend, comme personne.


[Lorsque le jour s'éteint.]


Elle était sorti du bain... elle avait revêtu de nouveau son uniforme sombre, semblable à celui qui la paraît en tout temps. Le délassement avait été comme l'onde. Bienfaisant au début... la sueur et la poussière n'était devenu qu'un mauvais souvenir, s'évanouissant un peu plus à chaque passage de l'éponge gorgée de savon. Elle retrouvait forme humaine en même temps que l'eau froide évinçait le feu de son corps. Mais quand l'apaisement de sa peau laissait la place libre à une autre douleur autre que la morsure de l'astre solaire. Les questions. Les questions encore et toujours. Et seul le silence daignait encore lui répondre. Elle avait de nouveau regarder sur le bureau à la recherche d'un velin, d'une nouvelle et n'avait rien trouvé.
Refusant de tourner en rond dans l'hôtel plus longtemps, elle avait décidé de sortir. Le silence était trop assourdissant, les murs trop vides. La douceur de l'air frais de l'hôtel lui paraissait plus étouffante que le dehors. Ses pas s'étaient perdus au dehors, entre les rues. Le nez pleins des odeurs plus ou moins rances des échoppes. Les yeux mornes ne cherchant rien que l'oubli entre le bruit et les silhouettes. Suivant le chemin des pas perdus, des esprits égarés ou préoccupés. Un chemin sans but, sans itinéraire précis. Juste celui qui suit le temps qui passe, inexorablement. Elle entre dans la cathédrale un peu par hasard. Ses pas résonnent entre les murmures des prières pendant que de nouveau la chaleur s'éclipse. L'Enfer n'entre donc pas ici... Lentement elle se dirige vers un des grands piliers de la forêt de pierre qui s'étend entre les voûtes. Elle se laisse glisser au sol au pied de l'un d'entre eux et ferme les yeux. Depuis quand n'est-elle pas venu dans ce lieu. Elle n'est pas une croyante assidue. Elle n'a jamais été une fanatique. Élevée à Carcassonne au milieu des cathares, elle a une idée de la foi personnelle et particulière. Les yeux se perdent vers les silhouettes figées. De toutes les questions, une la taraude plus que les autres. Pourquoi n'a-t-il rien dit... pourquoi se besoin de partir. Pourquoi ce mutisme de longues semaines. Les saints restent sans secours. Elle reste là longtemps. Jusqu'à ce que la lumière décline. Elle n'a plus qu'à rentrer. Pour une autre soirée solitaire.

Le chemin du retour est fait comme dans un rêve...
Elle passe la porte de l'hôtel... et s'arrête net sur le pas de la porte. Le bruit vient de lui heurter les oreilles. Des pas de chevaux et des hommes. Tous arborant une licorne ou des armes trop connues et vite reconnues. Il est revenu. Sans rien dire et sans prévenir. Elle regarde, la bouche entrouverte, le remue ménage. Les cuirs dehors qui sèchent, les étendards rangés dans un coin, les armes qui sont graissées avant d'être rangées.
Elle s'apprête à courir vers l'intérieur de la demeure quand un homme portant une quarantaine d'années et les armes du Bazaneix et de Saint Julien s'approche d'elle un pli à la main.


Maître, j'ai un message pour vous.

La Pivoine regarde la porte puis l'homme sans comprendre l'urgence d'un pli en comparaison au retour du maître des lieux. Entre agacement et sourire forcé, elle tente de passer.

C'est que...

L'homme lève doucement la main et dit avec calme.

Il m'a demandé de vous remettre ceci et de vous escorter.

Elle reste quelques secondes silencieuse, les sinoples passant du pli cacheté tendu par la main burinée au visage de l'homme qui semble avoir la confiance du Grand Maitre. Lentement, elle prend le vélin et le parcourt. Il y a peu.

Citation:
Suis le. Je t'attends.

Enguerrand.


L'homme entend qu'elle relève de la tête pour ajouter.

J'ai pris la liberté de faire préparer votre monture, maître. Si vous êtes prête, je me charge de vous conduire dès maintenant.

Les pensées s'entrechoquent pendant que l'inquiétude grandie. Elle demande un instant, pour prendre son mantel et ses armes. Les pas avalent les marches, la porte de la chambre claque, les ceintures entourent sa taille, bouclées fébrilement et un juron s'échappe lorsqu'un des rivets ne s'attache pas assez vite. En bas le shire l'attend déjà comme l'homme qui doit l'escorter et qui, sans rien ajouter, l'aide à se hisser sur la grande monture. Elle ne pose pas de questions. Il lui aurait donné la raison. Secret d'État ? Affaire grave ? Complot ? Licorne menacée ? L'homme claque des talons sur un alezan blanc et s'avance dans les rues. Elle suit, la Pivoine. Les nerfs passant de l'inactivité des dernières semaines et de l'ennui latent à une anxiété grandissante, oppressante. Bientôt, au grès d'un galop, les murs de Limoges disparaissent peu à peu, alors que le soleil décline dangereusement sur l'horizon.

L'homme tourne la bride vers un bois et s'y engouffre en ralentissant l'allure. Bientôt elle découvre une clairière près d'un plan d'eau, miroir lisse sans mouvement. De grandes voûtes avortent, ruines pleines de lierres, vestiges de ce qui a dû être une abbatiale ou une église. Les pierres sont noircies... un incendie. Dans la pénombre qui s'installe près d'un petit feu, une silhouette. Des cheveux grisonnants et un mantel licorne.
La Pivoine arrête son cheval... l'homme qui l'accompagne salue d'un signe de tête et tourne la bride, repartant sur ses pas.
Il s'est retourné. Elle reste un instant sur sa selle à chercher un sens. Un indice. Un tressaillement. Une expression qui peut trahir... quelque chose. Mais qu'elle sache.
Lentement, elle approche son cheval de la lumière et du Grand Maitre. Un instant encore à regarder ce visage qui s'est caché pendant trop de semaines. Elle arrive à se détacher à sa contemplation pleine d'angoisse pour se glisser au bas de son cheval. Les bottes se déposent dans les herbes folles et elle se tourne vers lui.
Les sinoples le regardent, masquées par quelques mèches pourpres, indisciplinée par la chevauchée, qu'elle ne prend pas la peine de remettre en place.


Tu vas bien...

Elle a dit la phrase pour elle même plus que pour lui... il semble aller bien semble le mot juste. Il ne semble en tout cas pas blessé. Il ne semble pas non plus contrarié. Son visage est calme et les ambres la regardent avec ce qu'elle espère être encore un peu de tendresse. Elle n'ose pas s'approcher. Elle n'ose pas espérer. Elle n'ose rien. Elle veut savoir, comprendre. Son silence. Ce lieu. Elle n'ose pas le toucher. Les souvenirs... la puissance des souvenirs... ce premier baiser... elle cherche un échappatoire, en regardant autour d'elle.

Pourquoi...

Il finira la phrase à sa convenance. Elle veut juste... des réponses...

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Si vous voulez participer contactez la Pivoine ou Enguerrand
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Enguerrand_de_lazare
Au matin du même jour. Limoges

Sortir de son fief du Bazaneix. Quitter ses terres. Sa demeure. Ses gens. Sa quiétude.
Sa solitude.
Longue avait été sa retraite. Méritée. Indispensable. Salvatrice.
Nul contact avec l’extérieur. Point de missives arrivant incessamment, sans répit ni pitié. Point d’alertes ou de conflit à gérer. Point de dangers à affronter. Point de frères ou sœurs sur qui veiller.

Pour un instant. Pour quelques jours, à peine quelques semaines, le Grand Maitre de la Licorne s’en était allé, laissant les rênes de l’Ordre à ses frères Chevaliers, membres de son Haut Conseil. L’animal mythique n’avait point été décapité, loin s’en fallait, et l’homme savait que l’Ordre avait été placé entre de bonnes mains.
Sans un regard en arrière, il avait tourné dos aux immenses murs de la forteresse, ce bastion de la Licorne qu’était Ryes, fier et imposant vaisseau surplombant la campagne normande. Chevauchant léger, escorté par les plus fidèles parmi ses hommes d’arme, il avait longuement voyagé, se rapprochant jour après jour du Limousin, de ses terres bien aimées, celles qui lui avaient un jour été confiées par le Comté.

Recueillement, lectures, administrations et tâches quotidiennes d’un baron de province. A peut qu’il n’y eut pris goût s’il s’était laissé aller à ses aspirations du moment. Finir ses jours entre les murs rassurant de l’antique château, parcourir ses terres sur sa jument, apportant aide et réconfort aux paysans dans le besoin, protégeant ses gens des troupes de brigands et routiers en tout genre, surveillant récoltes et élevages. Rendant justice. Aménageant son domaine.
Il lui aurait fallu si peu faire pour que cela devienne réalité et qu’enfin il savoure cette tranquillité à laquelle parfois il aspirait tant.
Il lui aurait fallu si peu faire, mais cela lui aurait tant couté. Il avait prêté serment. Il avait juré accomplir sa tâche, remplir les devoirs de son grade, servir jusqu’à la mort ou l’épuisement son Roy et ses principes.
Sentant ses pieds chaque jour passant s’enraciner plus encore dans cette terre grasse et fertile, voyant son regard de moins en moins enclin à se porter par delà les collines qui étaient siennes, il comprit enfin qu’il était temps pour lui de quitter ce chimérique paradis pour retrouver l’enfer de la vie réelle.
Ainsi la nuit précédente, sans même prévenir sa maisonnée, il réveilla à brule pourpoint ses hommes d’arme et à peine quelques instants plus tard, la demi douzaine de cavaliers franchissait le pont levis du Bazaneix, s’enfonçant dans la noirceur de la campagne environnante, laissant derrière elle ces désormais souvenirs de jours bienheureux.

Le soleil se levait par delà les murs de Limoges, à l’heure où les portes de la capitale, closes pour la nuit, afin que d’éviter assauts inopinés et tentatives de pillage, s’ouvraient, laissant se déverser à l’extérieur manœuvres, bucherons et paysans, prêts à nouvelle journée de labeur leur donnant leur pain quotidien, tandis qu’en sens inverse s’engouffraient dans ses entrailles les marchands, maraichers et artisans divers venant vendre leurs productions et réaliser, le souhaitaient ils, prolifiques affaires, empreints qu’ils étaient encore en cette matinale heure à doux et sonnants espoirs. Flux et reflux de cette artère là, alimentant la ville entière, comme souffle de vent faisant vibrer d’immenses poumons de pierre et de bois.
La petite troupe ne s’arrêta que le temps de se faire connaître par la garde, se faufilant ensuite prestement en direction de la demeure du Grand Maitre, cise rue des navetiers.

A peine les montures arrivées en la cour de la demeure, que le vieux Pierre se précipitait vers son Maitre, haletant et suant à foison, son palpitant manquant rater ses battements et laisser choir sur le sol son malheureux propriétaire. Pour l’heure celui-ci tenait en sa main parchemin, ondulant sous le souffle du vent, tel étendard fièrement perché sur le mat d’un antique navire poussé par les alizés. Planté devant le baron, prêt à cracher tripes et boyaux, il lui tendit enfin ce qu’il devait pour l’heure considérer comme étant le Saint Graal personnifié.


Elle revient ce jour Maitre. Elle revient.


Citation:
A l'intendant Pierre Charney,
Respect et amitié.

Je pense avoir assez séjourné à Tulle, n'y ayant plus rien à faire mes « escortés » étant repartis. J'arrive dans trois jours, au vu du soleil et de la difficulté de cheminer par une telle chaleur. Ainsi vous ne serez pas pris au dépourvu. J'ose vous demander de me mettre missives et plis qui seraient arrivés pendant mon absence de côté.

Prenez soin de vous,
Cerridween de Vergy.



Rapide lecture du message. Elle revient. Ainsi donc était elle partie…
Crainte s’emparant soudainement du chevalier. Comment allait-elle. Qu’avait elle pu endurer durant ces dernières semaines. Immobile, il ne bougeait plus, tandis que rapidement en son esprit son plan se mettait en place, chaque pièce s’imbriquant dans la pièce voisine, il pensait.

Il pensait, reprenant souffle, ayant encore difficulté à accepter d’avoir quitté ce qui avait été sa vie ces dernières semaines, comme sorti qu’il était d’un doux rêve, les effluves oniriques s’éloignant doucement, tandis qu’apparaissaient autour de soit par touches subtiles de pinceaux, les traits et couleurs de la vie réelle.
Il pensait. A ses amis qu’il avait quittés pour quelques temps. A sa famille, cette sœur désormais loin de lui, mais tout aussi proche en son cœur. Mais plus que tout, à elle, cette rousse qui avait su enflammer son cœur. Cette pivoine qui l’avait entrainé dans les plus profonds méandres de la terre et de son esprit, pour parvenir à l’extirper du mortel piège dans lequel il s’était enfermé. Cette femme, de prime sœur du même ordre, qui lui avait révélé son amour et grâce à qui il avait enfin pu ouvrir son cœur, faisant quelque peu se refermer anciennes et mortelles blessures. Où était-elle cette sœur, cette amante ? Qu’avait-elle pu endurer durant ces longues journées d’absence ? Maintenant qu’il se retrouvait en ces lieux, il ressentait remord et culpabilité. De l’avoir laissé seule. De l’avoir, délaissée. De ne pas avoir pu l’accompagner en les épreuves qu’elle avait sans nuls doutes traversées.

Décision fut prise. Courte halte ce sera donc, afin que se reposent les montures et se sustentent celles-ci comme leurs cavaliers. Quelques ordres brefs de la part du chevalier, tant à ses hommes d’arme qu’à ses serviteurs, les lieux sortant enfin de leur torpeur, bruissant de mille sons, quittant cet ensommeillement qui l’avait envahie telle voile vaporeux et insaisissable, durant ces dernières semaines. Ils devraient aller vite et garder l’effet de surprise.

Alors que tous allaient de dextre et de senestre, le Grand Maitre s’était isolé un instant, debout en sa bibliothèque, le regard plongé vers les toits de la ville, glissant par instant dans la rue en contrebas qui, lentement, s’éveillait elle aussi après une nuit des plus méritée. Il aimait ce lieu plus que tout, entouré qu’il était du savoir des plus grands, sentant cette odeur de parchemin, de vélins, que peu avaient la chance de pouvoir côtoyer.

Un coup frappé à l’huis entrouvert de la pièce aux murs tapissés d’ouvrage.


Grand Maitre, nous sommes prêts.

Un signe de la main, tournant le dos à l’homme d’arme qui se tenait dans l’encoignure de la porte, lui signifiant qu’il arrivait. Profond soupir. Il était temps. Sa vie après cette nuit à venir ne serait plus jamais la même, il le savait.
Il était temps.




Quelques heures plus tard. En les ruines de l’abbaye.

Le lieu avait été choisi avec soin. Il recelait aux yeux du Grand Maitre aura mystique et irréelle. Vestiges d’un temps ancien, couloirs et arcades tombées en ruine, bruissant encore des pas des moines qui en avaient occupé les lieux, se rendant heure après heure en leur église pour psalmodier cantiques et messes, ombres fantomatiques se dessinant en contrejour.
Clairière par l’homme en partie défrichée pour accueillir en son sein serviteurs d’Aristote.
Le soleil s’était levé et jetait lumineux rayons parmi les colonnes de pierre, les voutes, arches et abside. Filtré par la végétation alentour, traversant les branchages des arbres centenaires surplombant les lieux, il faisait danser en ses traits chatoyants une myriade de grains de poussière, transformant l’espace en une pluie scintillante, comme tombant du ciel sur leurs épaules.

Le petit groupe avait mis pied à terre, les hommes d’arme se dispersant alentour, tandis que deux restaient auprès du chevalier. Ces premiers serviraient à sécuriser les lieux et veilleraient à ce que ce qui se déroulerait là ne soit par aucun interrompu.
Rapide déblaiement par le trio effectué, dégageant chemin parmi les tas de gravas et de pierraille, traçant voie artificielle vers le cœur même de l’abbaye, là où buches de bois avaient été entassées afin que d’entretenir feu à venir.

Leur tâche effectuée, le Grand Maitre envoya les deux hommes à leur mission. Le premier serait porteur d’un sibyllin message à la rousse destiné, tandis que le second se posterait en retrait de la route, à une demi-lieue de distance, et fermerait discrètement la marche, une fois que la jeune femme et son messager seraient passés, s’assurant qu’aucun inopportun ne se serait aventuré à la suivre.

Le soleil pouvait à présent poursuivre sereinement sa route, et l’attente se faire.
Le lieu avait été choisi, le moment toutefois n’était pas encore précisément venu.




A la nuit tombée. Ruines de l’abbaye.

Bruit de sabots. Deux chevaux menés en sa direction. Ils étaient là.
Le Grand Maitre se tenait immobile, face à un feu crépitant, tournant le dos à l’entrée de la clairière.
Revêtu de sa cape de la Licorne, son collier d’or autour du cou, l’animal à corne reposant sur sa poitrine, au dessus d’une chemise de lin blanc immaculé, il attendait.
Sur son visage dansaient les ombres par les flammes dessinées. Au dessus de lui, la pâle clarté des étoiles, tout juste accentuée par le croissant de la lune, nimbait les lieux d’une lumière irréelle, crépusculaire. Disparues les lueurs ensoleillées qui toute la journée durant avaient occupé les lieux, rattrapées désormais par les ombres blafardes qui hanteraient ces murs jusqu’au prochain cycle, le jour succédant à la nuit, la nuit succédant au jour.

Il s’était retourné, une fois le silence revenu, tout juste interrompu par le souffle des montures. Il l’observait, tandis qu’elle se tenait immobile, juchée sur sa selle, scrutant les lieux, sa silhouette, son visage. Regards se croisant, enlacés à nouveau, comme envoutés par quelque ancien sortilège.
Ses bottes avaient enfin touché le sol. Elle se tenait aux côtés de sa monture, avant que l’homme d’arme qui lui avait servi d’escorte ne s’éloigne lentement, entrainant le shire à quelque distance de là.
Ils étaient désormais seuls, isolés en cette enceinte jadis sacrée.
Il la sentait anxieuse, emplie de questions. D’hésitation se peut ? Il ne parvenait que fort peu à distinguer ses traits, les flammes dans son dos ne parvenant pas assez à percer la noirceur qui nimbait les lieux.

Quelques pas dans sa direction, ses bottes venant frapper le sol de terre battue. Sur son flanc dextre oscillait son épée, prolongation de son être. A sa senestre, courte lame pour l’heure encore rangée en son fourreau, attendant patiemment le proche accomplissement de sa tâche.
Se plaçant devant l’être aimé, il tendit lentement les mains en avant, enserrant dans ses paumes celles de la jeune femme. Son regard vint se placer dans le sinople de ses yeux. Echange silencieux. Profond. Sincère.
Puis, lentement, il s’est rapproché, posant ses lèvres sur celles de son amante, échangeant doux et profond baiser. Il y avait si longtemps. Si longtemps qu’ils n’avaient pu se retrouver seuls. Si longtemps qu’ils n’avaient pu gouter pour quelques instants à douce quiétude. Si longtemps qu’ils ne s’étaient vus, tant leurs vies semblaient se jouer d’eux, prenant plaisir à les réunir pour mieux les séparer.

Regard à nouveau plongé dans celui de la rousse, alors que le baiser s’était achevé.
Profonde inspiration, avant que la voix du Grand Maitre, douce, calme, chaleureuse, ne vienne résonner parmi les ruines alentour.


Cerrid…pardonne moi cette mise en scène. Pardonne-moi cette absence. Pardonne-moi ces dernières semaines. L’épuisement et la lassitude m’ont conduit à me retirer pour quelques temps de la vie des hommes, me forçant à gouter en mes terres une vie que j’aurais pu choisir, si mon destin n’avait été celui qu’il est. La fuite a été salvatrice, même si elle a bien failli me conduire à piège d’où je n’aurais pu sortir, tant la tentation de ne plus quitter mes terres fut malgré tout grande. Mais un visage m’a fait revenir à la vie. Un visage à la rousse chevelure et au regard sinople.

Légère pression des mains, avant de reprendre.

Mais de prime, avant de répondre à ta question, permets-moi, je t’en prie, de prendre enfin de tes nouvelles. Je voudrais savoir comment tu te portes. Que s’est il passé pour toi durant mes semaines d’absence ? Comment…

La voix s’était tue.
Questions dérisoires s’il en était. Comment après pareille absence pouvait on prendre ainsi nouvelles de l’être aimé ? Comment pouvait-il espérer que, sans hésiter, elle lui conterait ce qui avait été sa vie durant son éloignement ?
Et pourtant. Pourtant son cœur souffrait de celà. Son esprit était torturé par ce doute qui l’habitait.
Il la voyait désormais bien mieux qu’auparavant.
Il la sentait hésitante. Réservée. Craintive ?
Fasse Aristote que tout aille bien.
Fasse qu’elle n’ait pas eu encore à souffrir plus avant.
Il avait peur et ne pouvait détacher son regard de celui de celle qu’il aimait, douce captivité dans laquelle il pourrait rester enchainé pour le reste de ses jours.

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Cerridween
Tout se passe comme dans un rêve.

Dans ce lieu qui transpire le mysticisme, un halo sacré flottant autour d'eux, le poids du passé cérémonieux et des âmes pesant là, entre le lierre et les pierres. Il s'est approché en la dévorant des yeux, de ce pas lent qui distillait tout l'aura qui émanait de sa personne, au delà du charisme d'un collier d'or et d'un tortil. Elle n'a pas bougé. Papillon de nuit, sombre des pieds à la tête, capturé par la lueur d'un feu et des ambres qui approchent, elle ne peut ni protester ni faire un pas. Chaque mètres qu'il avale renforce les certitudes. Il lui a manqué. Elle n'a pas vécu le temps de son absence. Pas vraiment. Cherchant l'air, qui rentrait pourtant dans ses poumons, abattue d'une langueur dont elle ne connaissait pas la cause ou plutôt, qu'elle ne voulait pas reconnaître. Les mains s'approchent. Elle s'était promis d'être ferme, presque froide, de garder ce masque qui était le sien, celui de la glace et de l'insensibilité. Elle s'était promis de savoir avant toute chose les raisons de son échappée, savoir si elle avait été belle ou destructrice et savoir si elle était la cause de cette tristesse. Savoir pourquoi. L'éternelle question qui la hante. Essayer de suivre les fils tissés par le destin et à hauteur humaine, percer le cœur des hommes. Et celui ci était resté secret si longtemps...

Elle n'aurait pas voulu frissonner autant, quand les mains du Grand Maitre ont pris les siennes, comme une droguée en manque de ce qui fait éclater son cœur et décuple ses sens. Elle n'aurait pas voulu se trahir, quand les lanières vacillent. La volonté contre lui s'évapore. Il n'a pas répondu, non... il n'a rien dit. Et si ses lèvres s'ouvrent après un long moment à plonger dans l'eau verte de son regard, ce n'est pas pour laisser échapper des mots. Lentement elles s'approchent et emprisonnent les siennes qui n'ont pas pu et pas voulu, trouver un échappatoire. Tout s'arrête. Les pensées, les questions avortent. Savoure le jour, savoure le temps. Le feu se rallume, brûlant la glace et malgré elle, elle répond à la déclaration silencieuse. Les doigts se resserrent imperceptiblement, pendant qu'elle tangue un instant.

Le temps reprend ses droits lorsqu'il se détache et il plane encore quelques notes qui résonnent contre les murs. Les yeux sinoples se rouvrent accueillis par les ambres qui n'ont pas perdu de leur intensité. Le souffle de la respiration d'Enguerrand vient caresser son visage avant qu'il ne parle enfin. La voix est celle de l'homme plus que du Grand Maitre, celle qui lui est réservée dans les moments où ils sont seuls et nus, découverts de tout titre et de tout devoir... instants trop courts le plus souvent.


Cerrid…pardonne moi cette mise en scène. Pardonne-moi cette absence. Pardonne-moi ces dernières semaines. L’épuisement et la lassitude m’ont conduit à me retirer pour quelques temps de la vie des hommes, me forçant à gouter en mes terres une vie que j’aurais pu choisir, si mon destin n’avait été celui qu’il est. La fuite a été salvatrice, même si elle a bien failli me conduire à piège d’où je n’aurais pu sortir, tant la tentation de ne plus quitter mes terres fut malgré tout grande. Mais un visage m’a fait revenir à la vie. Un visage à la rousse chevelure et au regard sinople.

Mise en scène. Pour quel acte ? Déjà l'esprit refait surface, reprenant ses droits sur le corps cotonneux et qui a ressuscité lorsqu'il lui a rendu son souffle entre ses lèvres offertes. Elle savait qu'il était chez lui. Elle savait cette lassitude du monde. Elle l'a respectée. Se refusant le droit d'aller interrompre cette retraite contre questions, envie, impatience, désir. Elle n'a rien reçu de lui. Les nouvelles étaient attendues tous les jours, tous les soirs, quand le vieux Pierre Charnay venait recevoir requêtes, ordres ou simplement venait savoir si la semi prisonnière de ces murs se portait bien. Anne, ma soeur, Anne ne vois-tu rien venir, de cette tour d'ivoire où j'attends... Rien. Le silence. Et elle en garde encore les échos, de ces dernières semaines, comme les douleurs de blessures anciennes qui se réveillent parfois. La sensation d'abandon. Morsure venu des tréfonds du passé, qui a rougeoyait un peu tous les jours, dans le vide. Il est revenu pour elle cependant. Pour elle seule. Entre deux eaux elle le regarde du bout des sinoples, la raison ne sachant sur quel pied danser, entre sentiments et ressentiment.
Il lacontemple encore de la douce lueur des prunelles. Souffle à court et pensées diffuses. Que dire, que faire, quand on a l'aveu d'un retour pour soi, d'un amour toujours présent malgré la séparation et le temps. Mais la question, celle qui Le concerne tourne toujours autant, renforcée par les réponses qu'elle n'a pu qu'imaginer. Et au jeu du pire, elle est la meilleure... trop habituée aux coups du sort pour être optimiste. Trop abimée, pour supporter les faux espoirs.

Mais de prime, avant de répondre à ta question, permets-moi, je t’en prie, de prendre enfin de tes nouvelles. Je voudrais savoir comment tu te portes. Que s’est il passé pour toi durant mes semaines d’absence ? Comment…

A-t-il vu au fond de ces yeux ce doute, ce bout de grésil qui reste insensible à sa présence, à ces mots... sa voix s'est éteinte.
Elle a réprimé un sourire quand il a prononcé le mot enfin. Et elle sourirait à la question. Qu'a-t-elle fait ? Elle a attendu. La solitude n'existe que pour ceux qui restent. Rongée d'inquiétude dissimulée, de culpabilité, se disant qu'elle pouvait être une partie des causes de cette fuite. Languissante d'ennui, dans cet hôtel qui n'est pas le sien, même s'il lui avait dit être chez elle. Laissant passer le temps, entre entrainements, missives parcellaires, commencées, raturées, jamais envoyées. N'ayant même plus Isles comme échappatoire à l'ennui et au désœuvrement, puisqu'elle laissait son écuyer faire son choix seul. Limoges était maintenant trop familière, trop connue, dépourvue de ce charme qui fait les découvertes. Elle avait maintenant la chaleur aigre douce du quotidien.

Elle soupire un instant baissant les yeux... avant de répondre d'une voix qui essaie de cacher anxiété et lassitude. Elle essaie de faire un compte rendu éludant la question avortée, de son état à elle. Un compte rendu qui se veut froid et qui trahit pourtant ce qu'elle aurait voulu cacher.


Adrian s'est retiré dans ses terres. Il en avait besoin lui aussi. Il a vu tant de choses... il a dû perdre tellement d'illusions... il m'a demandé la permission de quitter mon service un temps. J'ai accepté. Il doit faire son choix... seul... et je sais que ce choix est difficile... je le laisse en paix le temps qu'il me donne sa réponse.

Comme je t'ai laissé partir... Elle ne l'a pas ajouté. Les sinoples trouvent la force de se relever pour retrouver les yeux du Grand Maitre.

Partir ou rester. Continuer sa vie de noble sans histoire ou engager définitivement son sang et son âme sur la voie que nous suivons. Quant à moi...

Les sinoples veulent fuir encore mais s'accroche comme la Pivoine à ce qu'elle doit dire et qu'elle a du mal à prononcer.

Je suis donc restée à Limoges... rien à signaler du côté des conflits. Rien à signaler dans la capitale. Je reviens juste d'une escorte à Tulle. La seule action de ces semaines...

Elle se tait un instant...
Une légère brise se lève, commençant une légère mélodie de bruissements de feuilles. La lueur de l'astre solaire n'est plus qu'un souvenir à l'horizon qui commence à piqueter sa robe sombre d'étoiles. Il le faut. Briser les non dits, ces chaînes qui la retiennent. Briser ce sceau du secret qu'elle a trop laissé sur son cœur et sur sa bouche. Elle perd son regard dans les méandres des yeux bruns avant de pouvoir murmurer de nouveau...


Pourquoi...

Le mot est répété une nouvelle fois. Pourquoi cette absence de tout, ce grand rien. Et plus que tout, la suite murmurée, pendant que les mains abimées de la maitre d'arme serrent celles qui l'ont accueillie, cette phrase qui s'échappe à travers sa bouche où s'attarde encore la douceur du dernier baiser donné.

Et pourquoi... pourquoi ne m'avoir pas dit qu'Il était toujours là...
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Enguerrand_de_lazare
Pourquoi…

Les mots avaient frappé son esprit plus fort encore que lance recouverte de métal heurtant poitrail en quelque joute ou combat sanglant. Ils avaient pénétré son cœur, telle flèches galloises transperçant la chevalerie française, fauchée dans les champs d’Azincourt. Ils avaient ébranlé son âme à l’instar d’un tremblement de la terre en colère menaçant de faire sombrer dans les flots la paisible ville côtière apposée sur ses falaises de roche.
Pourquoi était-Il toujours là ? Entre mille questions, mille interrogations, mille reproches, il ne s’était attendu à celle-ci.
Il avait pourtant ressenti le doute qui avait enveloppé la jeune femme, la drapant dans une aura de retenue, presque de méfiance. Il avait palpé ce sentiment de tristesse, mêlé à celui de déception. Il avait cru en comprendre les raisons. Son absence, le manque de nouvelles, son retour non annoncé. Et là, alors qu’il se tenait devant la jeune femme, il venait de se rendre compte qu’il s’était totalement fourvoyé, trompé qu’il avait été par ses propres impressions et sentiments.

Il…l’Autre. Cette part de lui née ce terrible matin à des milliers de lieues de là où il se tenait à présent. En ces contrées que bien peu en ce Royaume avaient connues. Cet Orient funeste qui l’avait vu naitre et grandir. Vivre et mourir. Ces déserts où partie de son esprit avait à jamais été rendue captive.
Cet Autre était né d’une terrible épreuve. Celle qui voit l’être aimé mourir. Celle qui voit son sang périr. Celle qui voit un homme perdre tout ce qu’il avait été. Longtemps il avait réussi à
Le contenir, Le garder captif en quelque recoin de son esprit. Si longtemps. A tel point qu’il l’avait cru à jamais disparu, oublié, dompté. Mais tel le lion du désert, Il avait trouvé sombre repli de son âme et s’y était dissimulé, pour pouvoir ressurgir puissant et indomptable comme jamais, il y avait maintenant de cela plus d’un an, lors de la terrible défaite des champs de Vendôme. Et depuis ce jour là, plus que toute autre épreuve, il n’avait cessé de lutter contre cette partie de lui, n’aspirant qu’à haine, vengeance et souffrance.
Et alors qu’il était déjà presque perdu, oscillant au bord de l’abime de la folie, ayant péniblement trouvé refuge en les paradis éthérés et sans pitié des drogues, elle l’avait sauvé. Elle l’avait forcé à affronter son démon, à lutter contre lui heures après heures, interminables et effroyables combats qui avaient vu les entrailles de la terre leur offrir arène à leur mesure.
Elle avait cru le voir vainqueur.
Il n’avait eut droit qu’à répit.

L’Autre depuis, s’était à nouveau tapi en sa tanière, attendant qu’il respecte la promesse qu’il Lui avait faite, pour qu’enfin Il accepte de cesser cette lutte destructrice qui les aurait tous deux menés à leur perte. Cet accord, ce pacte, il n’en avait parlé à personne, pas même aux êtres les plus chers à son cœur. Les clauses en étaient si terrifiantes qu’il n’arrivait encore à ce jour à y repenser sans sentir son cœur frémir d’effroi, à l’idée de ce qu’il avait promis à cet Autre qui était partie de lui.

L’ambre des yeux du chevalier se fixa dans les iris sinoples de la jeune femme.
Un instant, le temps d’un battement de paupières, son esprit s’évada de ce lieu, de ce temps présent, cherchant à comprendre. Comment. Comment avait elle pu savoir.
Rapide survol de ces derniers mois. Jamais depuis les cellules de Ryes il n’avait…La taverne. Sa sœur. Leur rencontre en la salle discrète du vieux François. Ainsi donc Marie avait parlé.
Sentiment de trahison envahissant soudain son esprit. Sa sœur. Celle sur cette terre en qui il avait le plus confiance avait parlé. Elle...elle…

Explosion intérieure. Déchirure brutale d’un voile devenu depuis ces derniers mois de plus en plus mince. Rupture dans ce qui avait été jadis solide muraille dressée en son esprit. Assaut brutal de cet Autre par la colère rappelé, se délectant de pouvoir, dès lors que l’esprit du chevalier se faisait plus faible, surgir de son néant pour reprendre le combat pour lequel il avait été créé. La voix, tranchante, acide, brutale, résonna en son esprit, tel coup de tonnerre déchirant les cieux. Il ne La connaissait que trop bien, pour l’avoir entendue tant et tant de fois. Il la redoutait. Il l’attendait.
Il était revenu.
Il était là.

Elle t’a trahi sombre imbécile. Ta sœur. Ta chère sœur t’a trahi. Elle est allée baver à la rousse. Elle n’a pas pu s’empêcher de médire sur toi, pauvre pantin. Et maintenant elle sait. Elle sait que Je suis toujours là. Elle sait que tous ses efforts ont été vains. Elle sait qu’au fond de toi tu n’as pas changé. Et maintenant elle va vouloir t’aider. Recommencer à te faire souffrir. T’emprisonner peut être. Regarde la, chevalier de pacotille, regarde la bien !

Et les yeux du baron de s’enfoncer plus avant dans les sinoples de la jeune femme, non pas poussés par cette voix crainte et haïe mais mus par la volonté d’y rechercher un soutien, un appui, auquel se raccrocher. Désespérément.
Les mains tressaillirent, dans celles de son aimée, seul signe physique visible du trouble qui l’avait une fois de plus envahi.

Qu’attends-tu pour lui dire la vérité ! Ne vois tu pas qu’elle n’attend que ça ! Elle n’attend que de voir ton échec. Ta faiblesse. Ta souffrance. Alors dis lui, petit baron ! Dis lui pourquoi je suis encore là. Dis lui ce que tu m’as promis et que tu n’as pas encore eu le courage de faire ! Montre lui ce que tu as du accepter pour que je ne te tue point !

La douleur lui vrillait la tête, l’enserrant dans impitoyable étau, se resserrant tour après tour, au point de manquer lui faire exploser le crâne.
Soudain, son regard se fit plus vif. Les pupilles s’étrécirent, tandis que ses mains relâchaient leur étreinte. Bras ballant, il fit quelque pas en arrière, prenant profondes respirations.
Il connaissait les moyens de Le faire partir. Il était encore temps. Sa force n’était pas encore assez grande pour l’empêcher de lutter. Leur dualité était si ancienne qu’ils se connaissaient tous deux tels deux vieux ennemis ayant passé leur vie à lutter. Il était Lui.

Respirer. Reprendre pied. Faire disparaître ce souffle chaud et sec qui à chaque apparition de l’Autre l’enveloppait, résurgence des courants brulants du désert. Repousser cette voix, détestée et parfois si tentante. Ramener en son esprit les souvenirs heureux de ce passé révolu. Revivre les instants partagés avec la femme qui se tenait devant lui.

Peu à peu, lentement, la colère et la fureur refluaient, la Voix n’étant plus désormais que murmure presque inaudible. La marée dévastatrice redescendait, s’éloignant petit à petit des rivages de sa conscience.

Une dernière inspiration, regard un instant levé vers la cathédrale d’étoiles scintillant au dessus d’eux, la légère brise à nouveau perceptible. Il tressaillit. Il avait froid. Il était soudain épuisé au point de ne plus souhaiter que s’allonger et sombrer, inconscient.
Baissant à nouveau la tête, il déglutit difficilement. Sa gorge le brulait, mille lances semblant transpercer sa chair. Sa bouche était sèche, sa langue le dolant comme s’il n’avait bu depuis des jours et des jours.
Ses traits étaient tirés, reflets de ce qu’il venait brièvement de se passer, mâchoires serrées au point d’en déclencher nouvelle douleur.
Sa main dextre, sans même qu’il n’y songe, reproduisait ce geste mille fois réalisé, se glissant vers cette bourse de cuir, désormais vide, qu’il portait encore à la ceinture, témoin physique de ce qu’il avait pu être.
Sa voix se fit alors entendre. Rocailleuse et faible de prime, pour prendre progressivement quelque assurance superficielle.


Oui, Il a toujours été là, Cerrid. Toujours. Continuer la lutte nous aurait conduits à une mort certaine. Souviens-toi de ce combat en la cellule où tu m’avais enfermé. J’étais épuisé, à bout de force, sur le point de rompre. C’est alors que les paroles du géant noir, ce Kekidi qui était venu te prêter main forte, m’ont fait réaliser que je ne parviendrais jamais à Le détruire. Ni la force ni la colère ne pouvaient avoir raison de Lui. Le terrasser signifierait me tuer également…Il est en moi. Il est moi. La lutte est sans issue. Il ne pourra jamais me vaincre entièrement comme je ne pourrai jamais Le vaincre.

Une pause, tandis qu’une expression de tristesse profonde se faisait jour sur le visage du chevalier.

Je…Il…J’ai accepté. Un marché. Quelque chose…quelque chose que je dois garder pour moi. A nul autre je ne peux le dévoiler…pas même à toi. Sans quoi je ne pourrais souffrir de vivre plus longtemps, tant celui-ci me pétrifie d’effroi.

Il s’était mis soudain à trembler, une goutte de sueur glacée perlant sur son front, descendant lentement le long de son visage, tandis que la douleur en son crâne se faisait de plus en plus violente.

Je n’ai pas trouvé la force de t’avouer cela. J’avais honte je crois. Peur aussi. Et plus que tout je craignais que tu ne t’éloignes, toi qui est mon pilier, celle qui m’a permis de lutter, celle qui s’est damnée pour m’aider. Celle qui me sauvera, je le sais.

Celle que j’aime.


Soudain, la fatigue et la tension ayant raison de lui, il chuta brutalement à genoux, posant ses deux mains sur le sol de terre, sa cape azur l’entourant, telle fantomatique aura.
Il sentait son cœur battre en sa poitrine en une infernale cadence, tandis que sa respiration se faisait hachée, haletante.
Son bras dextre, lentement, se leva en direction de la jeune femme, paume tendue vers le haut, tandis que relevant la tête vers elle, il reprit d’une voix frêle et presque inaudible :


Pardonne moi, Cerrid…Pardonne moi, je t’en supplie…
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--Estelle_la_formidable


“- I’m your Venus, I’m your fire at your desiiiire!”

Et, avec un sourire qu’on qualifiera aujourd’hui de sourire Colgate numéro 36, la blonde adressa un clin d’œil aguicheur à son reflet.
Comme il était bon d’être morte !
Savez-vous que notre ectoplasme est une parfaite reproduction de nous – bon certes un peu plus transparente – au summum de notre beauté ? Oui bon, elle n’était pas belle, on le sait mais morte, la Varenne avait des traits un peu moins anguleux, une peau un peu moins terne, et des cernes moins prononcées. De plus, sa tenue était celle de sa mort : une délicieuse chemise en lin blanc. Simple mais efficace. Petit sourire carnassier qui se dessine sur les lèvres vermeil en pensant à tous ces hommes ayant l’éternité devant eux avec qui elle passait de long, très longs moments. Ah si elle avait su plus tôt que la mort c’était ça, pour sûr qu’elle n’aurait pas autant tardé à mettre fin à ses jours.

Après s’être une dernière fois admirée dans le miroir, la Blonde se leva et se dirigea vers la sortie… Enfin… Traversa la porte. Depuis quelques temps elle n’avait pas trouvé de demeure plus décente pour elle que ces tout à fait charmants et gigantesques appartements particuliers au Louvre. Un avantage de plus lorsqu’on est mort : c’est journée porte ouverte partout on le souhaite. Petit soupir d’aise et elle prend son envol tranquillement vers le Limousin, plus précisément Limoges. Les mirettes grises se penchèrent sur sa main pâle ou se trouvait encore la cicatrice faite devant Ryes, à trop serrer le poignard de Richard alors qu’elle prend son envol. Mais contrairement à avant, aucun pincement au cœur, plus de douleur sourde, plus de torrent de larmes silencieuses, juste un petit sourire. Richard était avec elle maintenant, ils étaient à nouveau ensemble, à jamais, et vivaient d’amour retrouvé, d’espionnage de mortels et de critique intensive des autres ectoplasmes. Quel dommage qu’il n’ai pu venir… Mais qui sait, peut-être ferait-il une apparition surprise. L’ectoplasme Estellien savait, même si cet homme fier et dur ne le disait pas, qu’il était heureux de voir la belle Pivoine à nouveau heureuse. Et rien qu’en pensant à elle la Blonde fit un petit looping dans les airs, montrant ainsi son Vicomtal fessier aux autres morts sur l’autoroute A63 du ciel. Cerridween… Bien plus qu’une amie. Si l’Estelle avait un cœur il se serait serré de joie à la perspective de la voir à nouveau. Si elle avait en effet joué à la voyeuse avec bien de ses proches encore vivant, elle n’avait jamais osé aller voir la belle Vergy. Pourquoi ? Tout simplement car elle savait lui avoir fait du mal, trop de mal durant les derniers mois de sa vie. Comme si la belle rousse n’avait pas déjà assez souffert… Tout d’abord elle l’avait ignorée à l’annonce de la mort de Richard, ne lui avait adressé aucun mot de soutient alors que leurs deux cœurs pleuraient tout autant, puis, elle était revenue vers elle bien trop de mois plus tard pour récupérer la dépouille de cet homme qu’elles avaient perdu, l’amant pour l’une, le frère pour l’autre… Elle s’était excusée, la rouquine avait accepté ces si minces mots pour oublier des mois de silence mais, en grande dame qui aime toujours surprendre son entourage, la Blonde n’avait rien trouvé de mieux que de se tuer… Et lorsqu’elle avait appris l’heureux événement à venir – ne cherchez pas, les ectoplasmes savent tout - elle n’avait pu s’empêcher d’y aller… Même vivante elle aurait tenté d’être là, comme une amie emplie de regrets, qui aurait assistée, la chevelure couverte et au fond de l’église, au mariage d’une amie chérie mais si souvent malmenée … Une personne exceptionnelle qui avait su lui accorder son pardon, une personne exceptionnelle dont elle ne raterait pour rien au monde les noces !

Oui bon d’accord, ce n’est pas des noces, mais même morte la Blonde reste têtue : dans son esprit c’était un mariage, point. Quelle idée avait eu la Pivoine de faire ce pacte étrange qui empêche de se pavaner dans une superbe robe dans une église pleine à craquer de personnes ô combien superficielles, mais terriblement jalouses ? Haussement d’épaules de l’ectoplasme. C’était pour ça que Cerridween de Vergy était ce qu’elle était et tenait cette place dans le cœur de notre Estelle.

De la puante au capitale au calme tranquille des terres Limousines, un ectoplasme sentait – au sens propre - plus que les vivants les différences éloignant ces régions. Un air moins saturé, moins embaumé des multiples odeurs pestilentielles de cette affreuse capitale… Et oui, même l’air du Louvre est mauvais ; que pensez-vous, innocents, que parce que c’est un lieu « Royal » l’être humain n’y exprime pas sa … Nature… La plus profonde ? Haussement d’épaules Estellien. Son esprit, qui avait été durant tout le reste du voyage chahuté entre des sentiments amicaux débordants et les regrets de cette époque ou elle avait du sang dans le corps, était maintenant en quête du courant d’air qui la mènerait vers ce sinistre lieu où les deux âmes avaient décidé de s’unir. Sinistre… C’était pour le commun un lieu romantique, idéal pour deux individus si libres et profondément épris l’un de l’autre. Mais l’Estelle, spécialiste des avis tranchés et des affirmations plus que catégoriques, pensant que ses sentiments font légion, ce n’était pas un vrai mariage donc c’était forcément sinistre, glauque et sûrement aussi insalubre que cette bénie Cour des Miracles. Finalement, après avoir croisé une chouette et un hiboux en pleine scène de ménage, un autre ectoplasme qui lui prenait la route de la Bretagne, et avoir fait la nique à une bonne trentaine de moustiques – et oui ils ne pouvaient plus la piquer, nananananèère – elle aperçut les lieux.
De haut, elle distinguait à peine les silhouettes des amants. Au début, elle entreprit une descente lente et contrôlée n’étant pas encore parfaitement habituée à cette aptitude à voler. Mais plus elle réalisait qu’elle allait enfiiiiin revoir Pivoine et qu’elle allait assister à un instant de bonheur – son côté, certes très enfoui, de midinette - pur son vol se fit de plus en plus rapide, ses gestes brusques et … Dangereux. Elle manqua, pour la énième fois d’atterrir la tête la première dans la poussière mais les mirettes grises encore agiles distinguèrent a une distance acceptable du sol la Blonde une voûte, pile au dessus des deux âmes. Ce fut non sans peine et merci Seigneur sans douleur car elle était déjà morte qu’elle posa avec fracas son divin fessier sur la pierre âgée. Bon, pour être franche, elle n’ouvrit pas les yeux immédiatement, encore secouée par son vol et sa presque humiliation. Hop, une des mirettes grises qui s’ouvre, hop, une autre… Droite, gauche, au dessus… Aucun autre être de sa condition ne l’avait vue. C’est donc tout sourire collé aux lèvres qu’elle se dandina un peu sur son fauteuil de fortune afin de s’installer le plus confortablement possible. Puis, avec la lenteur d’un enfant ouvrant un papier cadeau, soit aucune lenteur, elle plongea son regard… Pour tomber sur le spectacle de la belle Vergy et de son chevalier d’amant.
Certaine d’être le seule ectoplasme des environs, elle s’autorisa de faiblir… Sourire niais, mirettes grises parsemées d’éclats de joie et pensées dégoulinantes d’attendrissement… Ce n’était pas glauque : c’était beau, romantique, touchant, fantastique, oh si elle avait pu avoir ce genre de cérémonie aussi et oooooh qu’ils étaient beaux tous les deux…
Merci Seigneur, aucun autre ectoplasme n’était là pour voir Estelle de Varenne, cœur de pierre numéro 1 et despote doublée de folle en puissance, dans un tel état de niaiserie.


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Vous pensiez être débarrassé d'elle ?
--Apolonie_de_nerra
Combien de temps… Cela se mesure-t-il seulement à son échelle ? Elle flotte depuis des lustres à ce qu’il lui semble. Depuis qu’elle s’était enfin séparée de cette carcasse devenue inutile par tant de maltraitance à l’aube d’un amour dévoilé, elle parcourt un monde qu’elle aurait aimé sauver. Délivrée des affres d’une enveloppe douloureuse et si contraignante, elle avait enfin trouvée la liberté qui lui convient. La visite guidée que Willen lui avait fait des tavernes célestes lui avait plu, mais pas assez pour la contraindre à la douce quiétude d’un au-delà qui l’ennuyait déjà après quelques heures.

Faut dire aussi qu’Aristote dans ses choix n’est pas éclairé. A croire que tous se retrouvent là-haut. Les bons comme les mauvais. Triste réalité d’une confession tardive qui octroie le pardon. Elle a bien reconnu dans les formes éthérées des hommes et femmes qui n’avaient pas leur place au Soleil. Et puis il faut bien avouer qu’Apolonie, depuis la Gascogne, a beaucoup de mal à supporter la chaleur.

Alors elle se promène. Son esprit fantomatique lui permet de choisir tenue et mode de transport. Si vous saviez comme c’est chouette l’omniscience, l’omnipotence et tout le reste. Elle en avait eu un aperçu à son propre enterrement. Voir les visages faussement tristes de ses assassins, les voir la regretter… Voir sa belle-mère partir après lecture du testament, dépitée et attristée, voilà qui lui avait réchauffé un cœur éteint. Cœur qui s’était en revanche serré quand elle avait vu les siens la pleurer sincèrement. Maintenant, le deuil est fait, elle le sait, elle va souvent les voir, l’air de rien, pour prendre des nouvelles.

L’azur désormais fondu au ciel en aura vu des choses ces derniers mois, ces dernières années. Suivant dans une brise ectoplasmique les progrès de ses proches. Arthur et ses sourires qui lui reviennent petit à petit, Thea et son intégration à la Licorne, les moulinois et leurs aventures, l’Auvergne et ses déboires. Elle avait piqué un sacré fou rire la veille en survolant la manifestation des paysans et soldats. Lanfeust duc alors qu’il n’avait pas remporté les élections… Marrant comme ça lui en rappelait, des souvenirs, à la vicomtesse qui aurait du être duchesse si elle avait eu un peu moins de présence dans les rues du Bourbonnais-auvergne… Ce qu’ils peuvent être naïfs…

De l’Auvergne, elle était passée en Bourgogne, bien sur. Elle qui habite les vieilles pierres d’une forteresse angevine où a pris ses quartiers l’armée de son âme sœur ne peut décemment pas rater une occasion d’aller voir ce qu’il devient… Elle le connait mieux que personne dans ce royaume, elle qui l’a aimé sans le vouloir à elle, elle qui ne lui a rien demandé et tout offert, elle qui est morte dans ses bras, auréolée de son amour. Ce frère qui est bien plus que ça, et qui se laisse emporter dans ce qu’il est de plus sombre… si elle n’a qu’un regret, ce serait celui-là, d’avoir volé avec son dernier soupir l’âme du Colosse devenu diable…

Blessé, emprisonné, torturé, il esquisse toujours un demi sourire quand elle l’effleure… S’en rend-il compte, Eikorc ? Peut-être… Elle l’avait vu… Cachée, planquée, elle l’avait vu mourir. Rejeté par Aristote, il avait compris qu’il ne la rejoindrait pas dans la mort, elle en avait souffert, les sachant par la même occasion condamnés à errer sur Terre et qu’en l’attendant, jamais le repos elle ne trouverait là-haut sans lui. Et il avait vécu. Elle avait souri.

En Bourgogne elle avait vu son fils aussi. Rapidement. S’arrêtant sur un Perce-Neige malheureux, elle avait souffert pour son amie à laquelle elle avait confié si lourde charge. Nez fantôme qui s’était plissé, regrettant de ne rien pouvoir y changer. C’est un peu le souci de l’omniscience ectoplasmique, on sait mais le pouvoir d’y remédier n’est plus. D’une seconde à l’autre elle est déjà repartie. Tellement de choses à voir, et le temps terrestre qui défile à la fois si vite et si lentement. D’un souffle la voici en Limousin. La dernière fois qu’elle y est passée… Voyons… Il y a des siècles. Rencontre avec une comtesse qui lui assure qu’elle n’est pas sur les listes, un ventre distendu, déjà, par la grossesse, une alliance neuve à son annulaire. Elle se rendait en Périgord, voir un Colosse blessé, encore… En était revenue avec une cicatrice le long de la colonne, encrée, en écho à celle qu’elle avait elle-même taillée sur le biceps d’Eikorc. Limousin… Une abbaye en ruines… Des pierres… Une aura mystique qui s’en dégage, et qui la happe alors qu’elle voulait aller jusqu’à la mer, noyer l’azur dans le bleu profond de l’océan.

Surprise. Pour le coup, elle ne s’y attendait pas, la brunette, à croiser ici son accoucheuse. Deux chevaliers en goguette dans ce coin reculé. L’omniscience a ça de bon qu’elle n’a pas besoin de remuer les souvenirs de Vendôme pour reconnaitre le Grand Maitre. Pourtant ils se ramènent quand même, en clin d’œil taquin. A l’époque, il n’avait pas encore ce charisme, cette force, ce trouble. Il était perdu dans les méandres d’une mémoire effilochée, combattant des démons dont la jeune fille naïve qu’elle était encore avait eu un peu peur. Mission confiée par les sentinelles de le ramener avortée, par crainte d’aborder celui qui s’effilochait. Et puis déjà, l’amitié avec Marie-Alice naissait, comment la trahir en approchant ce frère si précieux à ses yeux ?

Azur fugueur qui le quitte pour appréhender la Maitre d’Arme. Messagère mortifère la dernière fois qu’elle l’a vue. Pivoine habillée de noir qui lui avait ôté l’espoir un matin dans sa chambre vicomtale, posée sur le bord de lit de couches qui deviendrait son tombeau. Rousse aux sinoples dures et fermées, qu’elle aurait voulu tuer de ne pas l’avoir sauvée. A qui elle a pardonné instantanément, au moment de la mort, en comprenant que la seule artisane de ce décès, ç’avait été la mercenaire et son rythme de vie effréné, ses principes ancrés aux chevilles qui lui refusaient la démission, qui l’empêchaient de se défaire d’un BA assassin. Elle sait, Apo, que le Colosse le lui a fait payer.

Retrouvant ses habitudes, et son insatiable curiosité prenant le dessus, la sentinelle vient se poser sur une branche d’arbre, en tailleur, noir fantôme qui observe d’un azur délavé la scène. Ainsi, ils se connaissent, ainsi ils sont en couple, ainsi ils s’aiment. Pointe de jalousie comme elle en ressent toujours en voyant des personnalités faites l’une pour l’autre se trouver et l’admettre, le vivre, plutôt que de s’en rendre compte trop tard.

L’homme perdu de Vendôme est devenu fort et droit, chevalier et Grand Maitre. La Rousse est plus dure encore que dans son souvenir. Plus éprouvée, et si seule. L’empathie qui la lie aux solitaires de ce monde crée un pincement dans les tripes de l’ectoplasme. Etre si entourée, et si seule. Elle a mal pour Cerridween, comme seul quelqu’un qui a connu cette solitude infinie peut souffrir de concert. Le devoir, quelque soit la forme qu’il revêt, pèse lourd sur les épaules de celui qui s’y croit soumis.

L’omniscience ne permet que la connaissance du présent et passé, mais l’avenir dépend de tellement de choix qu’il est impossible de démêler les fils qui y conduisent. Certains s’y essaient, Apolonie a toujours été dans l’action, laissant la réflexion aux moments d’ennui. La scène qui se déroule sous l’azur ne lui en laisse pas l’occasion. Les mots s’enflamment et même murmurés lui parviennent. Sursaut.

Reconnaissance. Voilà qui devient intéressant. L’Apo en elle gigote. Entité reformée et maintes fois dissoute pour absoudre la douleur et l’émotion, elles cohabitent maintenant en bonne intelligence. Mais seule la mort leur aura apporté cette paix. Elle ne se souvient que trop bien des crises de l’Apo, des résurgences, de la souffrance, du combat à mener pour se retrouver, pour laisser le bleu remplir l’iris, l’amour pénétrer un cœur maltraité trop souvent, pour se laisser être soi-même. Sourire narquois. Ainsi, lui aussi a son Autre… Passionnante cette halte.

Elle ressent avec lui la chaleur étouffante de la présence du Mal, elle sent l’azur s’assombrir jusqu’à en devenir noir, regard que la Rousse avait compris pendant l’accouchement, elle s’en rend compte maintenant, elle saisit mieux pourquoi. C’marrant quand même c’que les gens peuvent être si simples, alors qu’la dualité alternative est si drôle. L’une pour souffrir, l’autre pour expier… L’Apo s’régale du spectacle, f’rait bien d’l’Autre son quatre heures. Aussi délurée qu’Apolonie est prude, c’pas peu dire. Il a l’air bien sombre, bien destructeur lui aussi. Et s’dit qu’elle a merdé elle, avec l’Honnie, parce qu’elles n’ont jamais réussi à s’parler avant qu’la faucheuse n’vienne les cueillir. ‘Tain si elle avait pu p’têtre bien qu’elle aurait gagné l’combat et qu’elles s’raient toujours vivantes. Quel dommage, c’monceau d’possibilités perdues… « Chut ! y’en a qu’essaient de suivre ! » Ok, j’me rentre c’bon, même là c’toi qui gagnes. C’que c’est chiant les gens bien…

L’azur revenu se cale tranquille sur sa branche. Arf… Mais c’est qu’on n’est pas seule ! Ectoplasme blond qui ne se trouve pas loin. Mais l’aura du lieu rend les perceptions fragiles. Flotter, se déplacer un instant. L’omniscience on vous dit… DameBlondeur. Estelle de Varennes. Une de ces Dames dont Apolonie avait entendu parler depuis son investissement dans le royaume. A chaque fois la rencontre s’était ratée de peu. Voilà qu’elle est possible. Décidément, la journée recèle de ces surprises. D’autant plus que la Blonde n’a pas l’air bien habituée à l’ectoplasmisation encore, toute retournée par l’évènement, un sourire niais -dont Apo était pourtant la spécialiste, la prochaine elle brevetera- accroché au minois. ‘Tain elle est rayonnante, l’ex vicomtesse se demande soudain si elle aussi, dans la mort, elle a retrouvé les attributs de son minois d’ange. Enfin elle se le demanderait si ça l’intéressait. En attendant, elle propose une gorgée fantôme de bouteille fantôme.


« ‘Lut… Moi c’est Apolonie de Nerra, ou c’qu’il en reste. Mais vous d’vez l’savoir…
Alors, le spectacle ?
Z’êtes là pour l’baron ou la rousse ? Y’a un côté prévu pour chacun ? »

A la noce comme à la noce… quelle qu’elle soit. Et dire qu’elle s’croyait débarrassée des cérémonies maintenant qu’elle est morte.

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Apolonie de Nerra, ex tout, Fantome.
Cerridween
Les mains n'ont pas bougé.

Les yeux d'Enguerrand restent fixés sur les siens. La surprise en premier lieu y prend pied en élargissant les pupilles. La bouche s'est légèrement ouverte, sous l'effet de l'annonce. Puis il devient statue de sel. Elle sent le poids de ce regard sur elle. Elle sent les mains comme devenues prison.
Le corps de la maître d'armes se raidit, réflexe conditionné par l'expérience.

Cette expérience née de l'affrontement et des coups. Reçus et donnés.
Il y a longtemps qu'elle Le connait. Il est des hivers qui marquent durablement. Le sien avait commencé avec la mort. Il avait continué avec la souffrance. Pourquoi avait-elle proposé son aide ce jour de février... pour oublier ses blessures tout simplement. La plaie béante d'une perte, d'une part de son être, d'un frère, d'un tout, de tous les petits riens qui faisaient qu'elle était la Pivoine rouge et que la couleur selon l'adage lui allait si bien. Oublier la morsure de la douleur et du deuil, de l'absence, de ce gouffre qui mangeait, macrophage impénitent, toute sa force vive. Il était venu, il était si las, il était si faible. Elle ne le connaissait que peu. Et dans ses devoirs, les soins étaient encore en première place, avec celui des armes. Elle avait écouté, elle avait découvert au fil des mots murmurés, cette terrible histoire. Un passé lointain, au delà des mers, dans un pays de soleil et d'épices, un pays qui semblait un rêve s'il n'avait pas été aussi cruel. La perte d'une femme et de deux enfants. Vendôme. Le choc, qui persiste, qui bouleverse, la tête et les perceptions. La naissance d'une douleur languissante, de visions. La déroute. La supplique. La sienne. Elle l'avait aussi rencontré Lui. Lui qui s'était réveillé à la vue d'un poignard et qui s'était jeté sur elle pour la détruire. C'est ce jour qu'elle avait rencontré Enguerrand de Lazare, simple errant, dont le grade lui allait, malheureusement comme un gant. Comme il collait à sa peau à elle. Enguerrand de Lazare le droit, le juste, en proie à un démon, retord, violent. Lui si blanc. L'Autre si noir...

Elle avait juré de l'aider dans le silence, dans l'ombre. Sans autre appui que ses bras. Allant jusqu'au parjure, pour la première fois. Ne pas dire qu'il était un danger, pour ne pas détruire ce qui encore le maintenait en vie. Veiller de loin. Le plus possible. Être confidente et se confier. Tisser sans le vouloir des liens indéfectibles, en suivant le fil d'Ariane de ce serment particulier. Il avait été son soutien en Bretagne, lorsqu'elle était tombée, une épée vrillant son flanc, la veillant, elle, la simple dame, la petite errante, lui le Connétable. Il y eut aussi le soir où il l'avait vu pour la première fois nue, sans ce masque froid et glacial qui était son rempart et sa protection, lorsque minée par les coups d'un Colérique et ceux d'un destin, elle avait laissé couler des larmes. Il y avait eu le pavot qui passait dans les veines de celui qui était devenu cavalier. Il y avait eu les recherches à la lueur de la chandelle, lectures ininterrompues et veines, de celle qui se rendait bien compte que son serment ne tenait plus seulement par l'honneur et la droiture. Et il y avait eu... un soir, ce baiser, le premier. Qui d'un Eden l'avait transportée en Enfer. L'Autre était venu plus fort que jamais, faire valser une chaise à travers la petite chambre de Ryes et la plonger dans les ténèbres, en même temps que lui. Dans sa chair encore, là, sur l'arcade droite, la petite cicatrice de son combat pour le faire plier, pour réussir à l'enchainer dans les geôles de la forteresse de l'ordre. Là dans son cœur, les échos des mots prononcés, des insultes. Encore imprimé, le combat, la demande de cet Autre de la rejoindre dans son monde.

En ce cas, viens à moi, car déjà tu me ressembles...

Mots terribles qui n'avaient pas été effacés par le temps. Elle était sorti de cette ombre, de ces geôles en pensant qu'il avait vaincu la noirceur. Tout avait fait qu'elle l'avait cru. A la douleur des mois traversés, avait succédé la douceur. Plus de coups, plus de violence. Juste le répit. Ce qu'elle ne savait pas encore. Et le coup était tombé dans une taverne, devant cette sœur qui avait révélé que tout n'était pas fini.

Les mains du chevalier la quitte et il recule. Elle plante ses pieds dans le sol, les doigts fébriles, sachant déjà le chemin de la dague qui pourrait être secourable. Cette retraite est un aveu. Comme ce regard qui se perd au firmament implorant de l'aide peut-être ou maudissant le Très-Haut. Elle attend. La tête analysant tous les éventualités possibles, tous les échappatoires. Elle a vu le changement de regard, elle a senti le tressaillement, elle voit l'abattement, le visage tiré. La bourse qui a contenu le poison qui lui a fait défaut et dont elle a été l'infortuné instigatrice qui est palpée sans secours.

Enfin la voix du chevalier perce le silence.
Et il avoue.
Il avoue la défaite. A elle d'avoir les bras qui tombent. Ressurgit encore cette culpabilité, dont les racines remontent loin dans les souvenirs et le terreau qui la nourrit, la Pivoine, celle de ne pas être assez, de ne pas pouvoir sauver ceux qu'elle doit, ceux qu'elle voudrait et qui lui échappent comme du sable à travers ses doigts. Souviens toi de ce combat. Elle en frémit. Elle n'a pas besoin qu'on le lui rappelle. Elle ne s'en rappelle que trop bien de ce choix. Ce choix qui s'est imposé de lui même et qui lui a coûté des blessures, une nuit d'insomnie, une dette envers un tavernier. Des larmes, des angoisses, des heures, de la force. Non, elle n'a pas besoin de se rappeler. Elle peut encore le vivre. Le revivre, à la seule évocation du nom de cet Adversaire. Elle peut encore se sentir, acculée au mur froid et suintant des cellules de Ryes, regardant épuisée, la partie d'échec qui se perdait sous ses yeux. Elle avait pensé, pauvre naïve, elle avait pensé qu'il était échec et mat. Que le roi noir était tombé sous les assauts de la dame et de la tour blanche qui l'avait affronté. La partie n'avait jamais été finie... ils avaient été mis hors jeu. Restait les deux pièces principales qui s'étaient accordées un statu quo.

Un marché.
Un marché si secret qu'il ne puisse qu'en énoncer la nature et non le contenu. Un pacte... qui sent la douleur et le souffre mêlés dans une alchimie dangereuse. Quoi d'autre avec l'Autre... que peut-il faire de plus. De nouveau l'ombre, cette ombre qui les séparent. Qui se terre dans un coin et qui brandit cette fois, avec un sourire moqueur, goguenard, une légitimité, un droit, laissé par son propriétaire. Qui ne peut pas, ne peut plus être chassé. Qui est la condition sine qua non à Enguerrand de Lazare. A sa vie. A sa présence. Son souffle qui se tasse et cette voix qui décline. Il est ces gouttes de sueurs et ce regard triste. Il est le revers des ambres, l'envers des pensées, le négatif... comme lui, le chevalier reste la part blanche. Duo.

Elle reste là à le regarder entre peine et peur...
A elle de devenir double. De cette part de glace qui refuse, en rempart et garde fou d'entendre, de comprendre. Cette partie froide, acquises dans l'hiver et la neige, insensible, qui la prend et la pare pour la couvrir et la protéger du monde. Celle qui a poussé à l'extrême ce devoir imposé et voulu, des serments, de l'honneur, de l'ordre. Celle qui prend le pas, quand le destin s'acharne sur cette partie innée, celle qui se reflètent dans sa chevelure, celle du feu, celle de l'impulsivité. Celle des sentiments, celle qui se rebelle. Celle qui lui a valu cette devise non officielle. Pivoine le rouge te va si bien. Pivoine, le rouge t'allait si bien... avant que de noir tu te pares. Déchirée entre l'aveu et ce qu'elle prend pour de la trahison et ces quelques mots échos de ceux qu'il a prononcé après le combat de plusieurs jours avec cet Autre invaincu, dans la petit chambre de Ryes, scène de leurs secrets et de leurs rencontres, elle reste immobile, le souffle rare et le cœur serré.

Mais quand le chevalier tombe à genou, les deux parts se rebellent de la même façon. La glace et le feu mêlés cette fois et qui réagissent de concert pour différentes raisons.


Debout !

La maitre d'armes prend cette main tendue et tire un peu rudement sur le bras en avant pour qu'il se redresse. C'est titubant que sous l'élan, il se reste debout. Les émeraudes le regardent presque dures si elles n'avaient pas cet éclat particulier de la mélancolie.

Jamais...

La voix s'est un peu cassée sur les syllabes.

Jamais à genou... Ni devant Lui, et encore moins devant moi.

Elle reste les poings serrés, réprimant une envie de lui mettre une claque bien sentie. Pour ne lui avoir rien dit. Alors qu'elle a tout partagé avec lui de sa vie présente. Pour s'être mise à nue jusqu'au tréfonds de l'âme. Et que si elle est chevalier, elle n'en reste pas moins femme et qu'une femme accepte difficilement les silences même s'ils sont péchés par omission.
Mais également pour s'être abaissé à cela. Il n'a pas besoin de s'abaisser à quémander. Surtout un pardon. Elle n'a jamais été de ceux qui ont couru après les honneurs et les distinctions. Elle les a en sainte horreur. Elle sait que les médailles qu'elle respectent le plus ne sont pas faites de métal, ni ne prennent la forme de couronnes. Elle a les siennes qui résonnent encore dans une clairière illuminée de torches et qui s'impriment sur sa peau. Et il est Licorne. Chevalier. Grand Maitre. A genoux... Il n'y a qu'une personne devant laquelle il peut se prosterner. Et ce n'est et ce ne sera jamais elle.

Un instant de latence, seulement troublé par le crépitement du feu et par les deux respirations hachées. Elle arrive enfin à desceller ses lèvres et à calmer ses rancœurs. Savoir avant d'agir. Toujours. Et il y a toujours une question en suspens, puisqu'il l'a éludée... parce qu'elle ne l'a pas correctement formulée... et pourtant elle est aussi essentielle que la précédente. Elle ne prendra sa décision qu'après qu'il lui ait répondu.


Pourquoi suis-je ici...
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--Estelle_la_formidable


Pourquoi ne s’était elle pas mariée, foutredieu ?
C’est vrai quoi, c’est beau un mariage… Nez qui se plisse alors qu’elle ressasse de vieux souvenirs… Trois fois. Trois fois elle aurait pu se marier. Une fois avec le père de sa fille mais elle avait promptement refusé au vu de son statut et du sien, une autre fois avec un individu avec qui ça avait royalement foiré, et une fois avec une personne qu’elle respectait plus que tout, voyait plus comme un père qu’un amant mais qui avait eu la divine idée de disparaître alors que ça devenait intéressant. Un petit soupir à fendre l’âme file. Elle aurait pu avoir une sacré belle couronne… Pourquoi pour elle tout avait été si compliqué ? Pourquoi est-ce qu’elle ne savait pas, comme les deux charmants tourtereaux en bas, se battre, être plus tenace en ce qui concerne l’autre, ce genre d'autre avec qui on pense partage notre patrimoine génétique ? Et cette déprime passagère laisse la place à un cynisme qui lui est propre, oui, même morte ses humeurs sont des montagnes russes… Le seul intérêt du mariage était de gagner plus de terre, plus de renommée pour une famille plus de… Ooooh mais ils étaient tellement mignons….

Il aurait été probable qu’elle passe tout le temps de ces « noces » à se morfondre sur sa condition, puis s’extasier avec une bêtise déplorable sur les effets du romantisme, à applaudir tous les bisous-bisous des tourtereaux puis à chercher, comme elle le faisait tous les jours de sa mort actuellement, un moyen de le retrouver, celui qu’elle avait presque failli aimer – même morte, elle se ment à elle-même ! -, celui qui l'avait tant déçue comme tant retourné les tréfonds. Saleté de sentiments retourneurs de tréfonds ! Les traits de la mélancolie commençaient alors à s'esquisser lentement sur son visage… L’Estelle avait pensé qu’une fois six pieds sous terre ce « problème » allait enfin la quitter mais non, il restait là, même plus enfoui, à l’orée de son cœur qui certes n’émet plus de battements mais à gardé son atroce capacité à souffrir. Alors oui, elle s’apprêtait à passer une nuit mortuaire de plus mais le destin en a décidé autrement. En l’espace d’une seconde l’air autour d’elle avait changé, il avait gagné en vibrations… Ces vibrations, ces saturations dans l’air qui signifient qu’il y a un autre ectoplasme dans le coin. Le temps qu’elle tourne la tête, une petite brunette était assise à côté d’elle, sur SA voûte.


« ‘Lut… Moi c’est Apolonie de Nerra, ou c’qu’il en reste. Mais vous d’vez l’savoir…
Alors, le spectacle ?
Z’êtes là pour l’baron ou la rousse ? Y’a un côté prévu pour chacun ? »


Immédiatement son plus grand réflexe de mortelle revint : la mélancolie s’estompa de son visage pour laisser ce faciès un peu hautain qui l’avait caractérisée.
Les pupilles grises scrutèrent la jeune femme. Apolonie de Nerra. Son statut d’ectoplasme lui permettait de mettre un nom sur ce visage mutin mais sa mémoire d’humaine elle, lui permettait de dire deux trois choses : ambassadrice et sorte d’affiliée Libertad, ou groupe du même genre faisant mumuse avec les bourses des gens sur les chemins isolés. Comment savait-elle ? La vie de la Blonde avait été marquée par la diplomatie puis par les ragots en tout genre, simplement. Elle se rappela vaguement de la prise de cette ville par le Béarn… Puis des rumeurs sur le Périgord et… Bref. La Blonde se redresse er toise une dernière fois la Nerra.


- « Bonjour. La voix est détachée alors qu’en son for intérieur, c’est l’extase : la mort ne lui a pas enlevé cette capacité à être un glaçon sur pates coiffé de cheveux blonds ! Je sais qui vous êtes oui, non seulement car nous les morts savons tout et ensuite, j’ai de vagues souvenirs humains quant à votre nom…. Vous connaissez Pivoine ?

Regard qui fait mine d'être interrogateur.
En fait, ce n'est ni plus ni moins qu'une question à laquelle on attend pas de réponse. La petite brunette lui paraît hostile. Pourquoi ? Car elle pense à une dualité entre les deux tourtereaux là en bas, mais nenni. Puis, une pensée lui traverse l'esprit : s'il le faut elle est le seul ectoplasme de l'histoire des ectoplasmes à toujours savoir... Tout. Comme par exemple que le "spectacle " allait être deux vies unies. Bouffée de fierté qui l'envahit : elle est une morte super puissante, et tac. Alors, elle se radoucit, pensant être hautement supérieure à sa voisine. C'était ni plus ni moins qu'un don du Créateur pour tous ces actes héroiques accomplis durant sa vie. Elle était l'Elue, elle était la Fabuleuse ! Et oui, garce un jour, garce toujours, garce pistonnée une fois morte. Surtout " fais toi des films un jour, fais toi en toujours. "


- Question stupide, vous la connaitriez, vous ne poseriez pas la question. Je suis pour la rousse, évidemment. On ne dirait pas mais elle est beaucoup plus forte qu'on le pense. Je suis sûre que si ça déviait elle serait capable de l'émasculer alors qu'il serait toujours en contemplation devant ses beaux yeux entrain d'écouter les battements de son coeur qui le poussent à vouloir lier sa vie à la sienne.

Et là, c'est le drame.
Alors qu'elle voulait regarder le couple, les mirettes grises se sont posées sur ELLE. ELLE ! La bouteille. Bou-tei-lle. Trois syllabes oniriques pour un maximum de sensations. Trois syllabes qui lui rendent soudain la bouche extrêmement sèche, qui rendent ses mains moites et qui provoquent des frissons tout le long de sa colonne vertébrale. La Varenne, alcoolique notoire du temps ou elle vivait n'avait pas bu depuis... Bien trop longtemps. Et qu'est-ce que ça lui manquait ! Ce liquide qui coule dans le gosier et qui, au fur et à mesure des gorgées vous enlève tout problème, vous rend stupide et léger... Et ce divin mal de tête le lendemain matin... Etait-ce bien une...? Et... Pourquoi la Nerra pouvait boire et pas elle...? Etait-ce une... Oh seigneur.


- Est-ce... Est-ce... De l'alcool? Les mirettes grises se mettent à briller et la bouche entr'ouverte elle ne quitte pas le récipient des yeux. On peut boire ?

La langue Estellienne passe lentement sur ses lèvres, qui sont depuis cette vision divine très, très sèches... Puis, son regard se pose dans celui de la Nerra. Si elle ne lui propose pas à boire, elle la volera cette bouteille.

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Vous pensiez être débarrassé d'elle ?
--Apolonie_de_nerra



T’enflammes pas, blondasse… Non mais pour qui elle s’prend la Varenne là ? « Nous les morts savons.. » Bah merci j’suis au courant hein, j’te rappelle que j’suis morte avant toi. ‘Tain y’a plus d’respect j’vous jure. Gorgée d’alcool qui vient se nicher dans l’estomac après avoir copieusement arrosé le palais. Hum, vraiment pas dégueu ce petit vin d’Anjou…

Mais on dirait qu’elle se sent plus fantomiser la p’tite là. Azur bien noir comme il faut qui se pose sur l’éthérée blonde. Léger soupir, teinté d’exaspération. L’omniscience, cocotte, ça se partage, c’est un truc d’ectoplasmes. Grâce à ça, on peut se moquer, critiquer, voir, entendre et surtout comprendre. De quoi assouvir la curiosité de la plus fouineuse des auvergnates, et ça ma p’tite, c’est pas une mince affaire. Donc arrête de te la péter un peu. Pis t’es pas la seule à pouvoir la jouer genre j’suis super froide hein. Moi aussi j’peux. Atta que j’demande à l’Apo d’revenir sur le devant la scène, et on est deux contre une hein.


Question stupide, vous la connaitriez, vous ne poseriez pas la question. Je suis pour la rousse, évidemment. On ne dirait pas mais elle est beaucoup plus forte qu'on le pense. Je suis sûre que si ça déviait elle serait capable de l'émasculer alors qu'il serait toujours en contemplation devant ses beaux yeux entrain d'écouter les battements de son coeur qui le poussent à vouloir lier sa vie à la sienne.

« Bah si j’la connais. J’connais les deux en fait. » Ah ah ! On la ramène moins hein blondie ? « Et vu comme ils se mirent le blanc des yeux, m’étonnerait qu’elle l’émascule, sembleraient qu’ils en soient plutôt au stade ‘Tiens si on s’entrainait à faire des mini-nous. »

Tiens d’ailleurs ils en sont où, les tourtereaux ? L’azur tranquille, ‘tanche à la main, se porte sur le couple qui papote en bas, comme si la Terre était ronde, comme si les fantômes n’étaient pas là. Lui à genoux, elle, droite comme la justice. Enfin la représentation qu’on en a, parce que bon dans l’absolu, la justice, c’est plus un concept qu’un monument hein. Une sorte d’idéal. Et ça ne tient donc pas très droit.

« Jamais à genoux… bla bla bla.. » Mais qu’est ce qu’elle raconte la Rousse ? Apolonie lève ce qu’il lui reste de regard au ciel. Soupir. Toutes les femmes de ce monde n’attendent que ça, un Grand Maitre, ou un petit d’ailleurs, ne soyons pas sectaires, à ses pieds. A toi l’argent, la coke… euh non. C’est plus tard ça. Mais les terres, la reconnaissance, et clairement, la tranquillité. Non mais… La mort a de ces effets secondaires. A tous les coups elle a piqué cette pensée à une Malemort sur le chemin.

Parce qu’objectivement, Apo n’a jamais été comme ça. Les hommes à ses pieds, elle en a eu plus que son quota, et pourtant, jamais elle ne les y a laissés, au contraire. Elle comprend bien la Rousse… Et aussi le besoin de faire reculer l’Autre. Enfin en attendant ça avance pas cette cérémonie. Foutrecul, elle espère que son mariage n’avait pas été aussi long au démarrage. Tiens, y’avait il eu des ectoplasmes à son mariage ? Mais ouiiiiiiii… C’est vrai, Willen était venu. Il le lui avait raconté quand il est venu la chercher à son enterrement.

Sacrée cérémonie, ce mariage. Qu’elle ne désirait pas vraiment. Précipité, avec un homme qu’elle connaissait au final plutôt mal, un nom qu’elle avait accolé à Nerra, vicomté dont elle n’avait rien à s’couer... Dans la chapelle berrichonne, un colosse qui s’était levé, furieux, était sorti, courant d’air glacé qui avait manqué figer le mariage. Mais elle avait tenu bon, femme de devoirs et d’obligations en tout sens. Elle avait épousé Alayn, pour le retrouver décomposé dans une ruelle clermontoise quelques semaines plus tard, le ventre rond de leur progéniture.


« Elle ne m’a pas sauvée. Elle était là à mon accouchement, elle était là pour ma mort. Elle ne m’a pas sauvée. Lui… lui ça remonte à bien plus loin, et pourtant pas tant que ça. » Elle a parlé comme pour elle-même. Jusqu’à se faire happer par le regard de la blonde, lui-même rivé à sa bouteille. Ah tiens, elle serait pas un poil alcoolo la p’tite ? Sourire qui se glisse en coin sur les lèvres de la brunette.

Est-ce... Est-ce... De l'alcool? On peut boire ?

« Bah non, c’est de la pisse de canard… » Y’en a que la mort rendent pas finaudes quand même… Lueur amusée qui brille dans l’azur moqueur de la vicomtesse, qui se lève tranquillement pour aller flotter un peu plus loin, levant la bouteille à bout de bras.

« T’en veux ? T’es sure ? Un petit vin d’Anjou qui se laisse boire… Tu crois que tu le mérites, Estelle ? »

Et en attendant que les amoureux se décident, Apolonie décrète qu’il est temps de jouer un peu. Faut dire qu’on se croise pas si souvent sur Terre, entre ectoplasmes. Ce serait dommage de rater l’occasion.

« Si t’en veux, va falloir te bouger pour en avoir. Et on va voir comme ça si tu sais te déplacer un peu… T’étais peut être une Grande de ton vivant, mais là, Mademoiselle de Varenne, t’as l’air un peu paumée. »

Et qui qui frime là ? Hein, hein ?

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Sexectoplame, libre pour tout mariage, baptême, pactes de sang, commentaires en tout genre.
Enguerrand_de_lazare
Debout !

En d’autre temps, prononcé par d’autre qu’elle, ce simple mot ordonné aurait valu à son propriétaire de rencontrer la pointe d’une lame par une main vengeresse tenue, prête à trancher la gorge qui avait prononcé cet ordre.
Parce que c’était elle, parce que cet Autre maudit avait reflué en quelque recoin de son esprit, il s’était laissé mené, reprenant position debout, les deux pieds plantés à nouveau sur ce sol rocailleux, son corps tanguant un instant, incontrôlable pantin encore épuisé et affaibli par la lutte qu’il venait de mener.


Jamais à genou... Ni devant Lui, et encore moins devant moi.

Leurs regards s’étaient croisés. Ils s’observaient tous deux, tels deux combattants prêts à rentrer en quelque surréaliste arène. Ils l’avaient fait une fois déjà, en des lieux de pierre, humides, sombres et lugubres. Ils avaient mené combat. Ils pourraient recommencer là, ici même, en cet instant précis. Il ne lui suffirait que de s’avancer d’un pas. Un unique et simple pas, et il serait sur elle, déclenchant le choc et la fureur.
Il pourrait.
S’il laissait l’Autre revenir. Si une fois de plus il montrait faiblesse et couardise.
S’il oubliait la raison qui avait été à l’origine de cette rencontre. S’il oubliait l’amour qu’il ressentait pour la jeune femme.

L’amour, cette force incommensurable qui l’avait perdu, et qui l’avait sauvé. Cette puissance prompte à vous déchirer l’âme et le cœur lorsqu’elle vous était enlevée, capable en même temps d’ériger infranchissable forteresse lorsqu’elle vous soutenait, faisant faire mille exploits, mille merveilles à celui qui en était possédé.
Cet amour qui, même lorsque chaque parcelle de son être était envahie par la colère et le sang, lorsque son esprit entier était maitrisé par la Bête qui sommeillait en lui, cet amour là continuait à illuminer partie de son âme, faible lueur dans les noires profondeurs des abimes vengeurs. Elle vacillait alors faiblement, telle la flamme au bout d’une brindille menée au gré des courants d’air les plus faibles, menaçant de s’éteindre à chaque instant. Elle vacillait lorsque soufflait le vent de la violence, lorsque tonnaient Rage et Folie, lorsque tempêtait ce passé brulant qui menaçait à chaque instant de l’emporter. Elle vacillait mais jamais ne s’était éteinte.

Cet amour était sa vie. Il était ce qui le rattachait à cette existence. L’amour des êtres perdus à jamais conservé, telle relique des temps anciens précieusement gardée. L’amour de ses amis, de cette sœur adorée qui tissaient cocon protecteur autour de lui. L’amour de cette femme qui se tenait devant lui, et qui l’avait fait ressortir des abysses.
Cet amour là plus que tout lui avait donné la force d’affronter un ennemi que l’on ne pouvait jamais vaincre. Ennemi intérieur, Adversaire indomptable, aux racines enchevêtrées dans celles de son propre esprit. Cette puissance aurait pu réussir à remporter le combat, s’il n’avait compris au dernier instant qu’il en aurait perdu la vie.

Silencieux, désormais immobile, ce n’était plus le Grand Maitre qui regardait maintenant la jeune femme, mais un homme. Simple. Seul. Avec ses faiblesses et ses blessures. Ses peines et ses souffrances, à l’instar de tout être humain.
Il plongeait son regard dans les sinoples qui lui faisaient face et il pouvait maintenant y lire ce que ressentait la jeune femme. Colère. Déception. Regret ?
Comment en aurait il pu être autrement ? Elle avait tout accepté pour lui, pour l’aider à vaincre son Démon. Elle l’avait écouté, aidé, assisté. Elle l’avait emprisonné. Elle avait parjuré. Et, croyant le combat terminé, elle avait appris qu’il lui avait menti, que toutes ces peines, ces efforts, ces souffrances, pour elle avaient été vains. Car Il était toujours là. Il le contrôlait toujours. Il reviendrait, encore et encore abreuvant son inextinguible soif de violence et de terreur.


Pourquoi suis-je ici...

Profonde inspiration silencieuse. Puiser dans ce regard ce qui lui donnait force et courage. Se renforcer de cet amour partagé. Panser pour un instant blessures et plaies toujours béantes de ce passé maudit, et se tourner enfin vers l’avenir, cet avenir représenté par cette femme qui attendait une réponse.

Une réponse.

Fermer les yeux. Un instant. Faire le vide. Oublier. Retrouver calme et sérénité. Chasser de son esprit les sombres nuages noirs et angoissants semblant tournoyer sans cesse en une spirale infernale. Reprendre respiration posée et régulière. Attendre que les battements de son cœur enfin ralentissent.
Fixer à nouveau le visage de l’être aimé, détailler chacun de ses traits, chaque détail qui en faisait sa beauté.
Un pas en avant. Lentement. Calmement.
Tendre les bras vers la jeune femme pour enserrer délicatement ses mains encore serrées sous le coup de la colère.


Cette mise en scène, Cerridween, avait pour but de t’apporter preuve de l’amour que je ressens pour toi. De te montrer à quel point tu as pris place de la plus grande importance en mon cœur. De te dire combien mon âme est transcendée par les sentiments que je ressens pour toi.

Une pause, à peine une brêve interruption, tandis que peu à peu les traits crispés du Grand Maitre se détendaient.

Tu es ici Cerridween pour qu’à jamais, si tu l’acceptes, nous soyons tous deux liés.
Dures ont été les épreuves que nous avons partagées ensembles. Difficile à été notre histoire passée. Terribles ont été les souffrances que nous avons pu endurer. Car ainsi en est-il de notre destin, fils tissés en des temps immémoriaux auxquels nous ne pouvons échapper.
Il est cependant une lueur que j’ai un jour entraperçue en les couloirs de Ryes, à moins que ce ne soit sous cette tente plantée en la campagne de Touraine. Cette lueur était rousse et portait regard sinople. Cette lueur était l’ébauche d’un amour que j’ai vu grandir jour après jour pour enfin s’imposer comme l’évidence même, le souffle de la vie, l’essence de mon existence. Cette lueur s’appelait Pivoine. Cette lueur s’appelait Cerridween. Cette lueur était toi. Et depuis, elle ne cesse de m’éclairer, me réchauffer, m’apporter réconfort et assistance, me guidant lorsque je suis perdu, me corrigeant lorsque je m’égare, me transcendant lorsque je m’épuise, me rassurant lorsque je doute, m’épaulant lorsque je lutte.


Un discret sourire, encore pâle ombre de ce qu’il pouvait être, se faisait lentement jour sur le visage du Chevalier, tandis que doucement ses mains enserraient un peu plus celles de la jeune femme.

Ce destin dont je parlais fait que ni toi ni moi ne pourrons jamais prétendre à union maritale, comme le commun des mortels pourrait y aspirer. J’ai déjà, tu le sais, été marié à une femme, et jamais plus je ne pourrai l’être à nouveau. Notre vie est telle que ces liens là ne sont pas assez forts, assez puissants pour égaler le tourment de la voie que nous avons choisie, pour supplanter les peines et les épreuves que chaque jour nous combattons.

Lentement, sous l’impulsion du Grand Maitre, leurs bras se plièrent peu à peu, leurs mains désormais enlacées se relevant pour venir se placer entre leurs deux poitrines.

Aussi, mon amour, acceptes tu ce jour que nous nous affrèrions ? Acceptes tu que nos sangs soient mêlés pour qu’à jamais nous nous promettions de nous aimer et de nous apporter soutien et assistance éternelle ?

Il s’était tu à nouveau. La question avait été posée.
Allait-elle comprendre ? Allait-elle accepter ce qu’il lui demandait ?
Sacrifice d’une vie, de deux âmes, de deux cœurs. Union plus puissante encore que tout ce que dogme ou traditions pouvaient offrir, ancrée qu’elle était dans les racines même de l’humanité, forte des générations passées et des temps immémoriaux qui l’avaient vu naitre.

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Cerridween
Elle tressaille...

Pas en avant.
Réflexe conditionné par les souvenirs. Poings en attente, aux aguets. Esprit taillé à vif, alors qu'il est détaillé sous toutes les coutures. Observation. Genoux ployés sans en avoir l'air, prêt à esquiver, parer, contre attaquer, encaisser. Les émeraudes cherchent, un froissement, un détail, un battement de cils de trop, la crispation d'une mâchoire ou l'agrandissement d'un iris qui mangerait cet ambre qui lui appartient. Sous la crispation des traits de la Pivoine, la petite cicatrice se souligne, s'anime, sur son arcade. Marquée par le temps. Marquée durablement par Lui et sa rage, par cet assaut, où elle a fait le sacrifice d'un corps en rempart, d'un visage sans protection.

Mais il s'approche lentement sans que rien ne trahisse ce changement qu'elle ne connait que trop bien. Son visage est marqué mais le souffle chaud n'arrive pas jusqu'aux pupilles de la rousse. Il s'approche lentement, avec douceur et sans geste brusque, comme on s'approche d'un animal blessé. Comme s'il voulait apprivoiser cette colère et cette tristesse qu'elle ne peut masquer, comme s'il voulait les dissoudre à mesure qu'il avance. Elle reste figée, encore sous le coup de la révélation et de la déception de ce mensonge par omission, de cette confiance trahie et qu'elle ne pensait jamais pouvoir être rompue de la sorte.

Pourquoi suis-je ici...

Dans ces arcades abandonnées et rongées par le temps, devant toi, sans savoir, sans comprendre. Pourquoi suis-je ici chevalier ? Vas-tu m'annoncer une autre mission ? Une autre mort ? Un autre événement funeste ? Pourquoi ce mystère, pourquoi ces ruines ? Tu ne choisis rien au hasard... Tu as renvoyé jusqu'à tes hommes de confiance, tu as fui ton toit. Qu'est ce que ce secret qui ne peut être dit, pas même entre les murs qui sont tiens... Dans l'esprit cartésien et habitué aux enquêtes, à suivre les fils des pistes et des possibilités, tout se tisse l'improbable comme le vraisemblable, l'imprévu, l'impossible. Rien, à bien y regarder, ne l’est vraiment… au vu de sa vie, ces mots là ont disparu de son vocabulaire. Et elle n'est au final que l'homme de main, de l'ombre, celle sur qui on peut compter, pour sa fidélité sans faille, à définir et finir les affaires d'honneurs, des plus lumineuses aux plus sombres.

Il avance doucement ses mains vers les siennes. Les sinoples scrutent toujours les ambres à la recherche d’une réponse qui pourrait se profiler, espérant le miroir mordoré de cette âme perdue lui parle avant même qu'il n'ait ouvert la bouche. Elle réprime un mouvement de refus. Lentement très lentement, les doigts du chevalier viennent décrisper les siens pour qu’ils se mêlent de nouveau.
La voix d’Enguerrand vient l’envelopper comme du coton.
Ce n’est pas ce qu’elle attendait. Il ne s’agit pas de mission. Il ne s'agit pas de secret, pas de nouvelle d’un destin qui se jouerait encore des vies de ceux qui l’entourent. Il ne s’agit pas d’une attaque d’une bande de routiers ou de mercenaires, il ne s’agit pas d’une nouvelle bévue des représentants du pouvoir royal, ni des innombrables arcanes de celui-ci qui lui sont lointaines à défaut d'êtres méconnues.

Une preuve d'amour...

Elle reste là à dévisager les traits burinés du chevalier et grand maitre, méfiante encore. Les preuves d'amour... les preuves d'amour elle sait ce qu'elles valent. Si peu parfois. Quelle preuve après une trahison. Après un si grand silence. Quelle preuve ? Et pourquoi ? Encore les questions qui viennent si vite, trop vite. A défaut de bien vouloir écouter son cœur encore une fois la tête revient à l'assaut. Une preuve. Pour qui ? Pour te rassurer ou me rassurer ? Pour prouver quoi ? Que tu as toujours le souvenir de ses mots prononcés dans la petite chambre de Ryes ? Parce que...


Tu es ici Cerridween pour qu’à jamais, si tu l’acceptes, nous soyons tous deux liés.

La bouche s'ouvre dans un mouvement ralenti par la surprise...
Liés à jamais.
Le mot. Le mot non-dit tourne dans sa tête. Ce mot qui a des résonances profondes et douloureuses dans la chair et dans les souvenirs de la Pivoine. Elle ne veut pas entendre ce mot. Pas avant qu'il soit formulé en toutes lettres. Ils lui ont toujours promis ce mot. Le premier fut le père de son enfant, enamouré, plein d'attentions. Le premier qui a touché le cœur de cette jeune rousse à qui le rouge allait encore si bien et à qui la vie n'avait pas encore fait trop de plaies. Il lui avait promis, oui. Elle le fut. Par trois fois. Mais le prêtre aristotélicien n'était pas venu. Il n'avait jamais été valide. Et le temps avait fait son œuvre, inexorablement. Quand elle avait vu son ventre s'arrondir, elle avait eu beau demander et demander encore. Il était loin. Loin dans des responsabilités d'un ordre, loin dans ses habitudes et ses préoccupations. Tant et plus qu'il n'avait plus était là... même pour elles. Elle avait accouchée seule dans une clairière avant de disparaître. De lui il ne restait rien qu'une petite brune et des serments creux, qui en avaient fait une fille mère. La deuxième fois que ce mot était réapparu dans sa vie, c'était sous les traits du devoir. Le mot « arrangé » l'accompagnait, comme il accompagnait un promis, un Colérique qui n'y voyait, dans ce mot, qu'une descendance et une femme servile. Il prenait la forme de chaines, d'une cage dorée, d'un mouroir, pour le plaisir non dissimulé de celui qui devenait son bourreau, son maitre, qui souriait déjà de plaisir à l'idée de briser sa fougue et son indépendance. Elle y avait résisté. A sa manière. Sans parjure. En gardant l’honneur d’une famille qui en avait décidé autrement. En portant un deuil qui n'était pourtant pas feint et qu'elle porte toujours. Encore et toujours. La troisième fois que ce mot était apparu dans sa vie, il avait prit les traits angéliques d'un soleil blond qui lui avait promis de l'emporter au loin. Il sonnait la promesse, l'avenir heureux enfin, la fin de la noirceur. Il sonnait la revanche, il sonnait la victoire, la victoire des sentiments sur la raison, de la liberté sur la haine non contenue, contre celui qui avait décidé sa perte en lui passant une bague au doigt comme on passe un anneau à la cheville d'un prisonnier. C'était la clef de Domfront qui pendait à sa ceinture ou à son cou, le sésame qui lui donnait l'accès à l'évasion, à un ailleurs sincère, un ailleurs autre que l'enfer et l'ombre. Un ciel azur comme les deux yeux qui la regardaient de loin, lui parlant sans mot. Et le bonheur avait pris la clef des champs, lorsqu'il avait été fauché devant les murs de Rennes, comme un oiseau en plein vol par une flèche décochée. Abruptement, sans préavis, sans semonce. Ne restaient que les fers que le deuxième brandissait encore, menaçant, menaçant même jusqu'à la chair de sa chair. Elle avait jeté ce souvenir dans la mer du Nord, comme elle avait jeté ses titres, pour s'affranchir de tout lien. De ce mot elle n'attendait plus rien... et elle ne s'attendait pas à ce qu'il réapparaisse dans cette vie dédiée aux lames et aux chemins.

Les mots du chevalier s'écoulent, comme une onde, pendant qu'elle reste interdite. Les souvenirs affluent pendant qu'il remémore ce qu'ils ont vécu. Des alentours de Ryes aux guerres, des sourires aux larmes, des coups aux âmes, des bas fonds aux étoiles, du sang aux larmes. Rien d'un long fleuve tranquille, rien d'une histoire facile. Et au milieu de ce chaos, au milieu du courant, des marées et des lames de fonds, elle est sa lumière. Elle la noire, la secrète, la sombre. Elle, la discrète, la silencieuse, l'avare de mots, à défaut des maux qui l'accablent et la musèlent. Elle la simple dame lorsqu'il l'a connue, maintenant sans terre, avec un simple nom, scarifié par une barre de bâtardise, un collier, un simple collier d'argent pour toute richesse et toute possession. Lui le baron, le seigneur, l'ancien connétable, le Grand Maitre, le chevalier. Le destin dont il lui parle semble être particulièrement taquin... en plus d'être cruel.
Au milieu des mots éclot un sourire, mince, faible mais présent. Les mains d'Enguerrand se pressent sur ses doigts. Elle se laisse faire encore sous le coup de l'annonce... pour voir ses nouvelles certitudes de nouveau s'effondrer. Il ne parle pas de mariage. En tout cas pas du leur. De nouveau l'ombre d'un fantôme vient réapparaitre. Diya. Le nom résonne douloureusement dans la mémoire de la Pivoine. Ce nom qu'il a usé sous l'emprise d'une vision lors d'un premier baiser qui a été les prémisses d'un des plus gros ouragans de l'Autre. Elle ne comprend plus rien la Pivoine qui rive maintenant ses yeux dans ceux ambrés qui la regardent. Il l'approche lentement de lui jusqu'à la toucher, bras contre son torse. La question arrive, réponse à toutes les interrogations qui restent encore en suspend.


Aussi, mon amour, acceptes tu ce jour que nous nous affrèrions ?

Les mains fuient celles d'Enguerrand. Le corps s'échappe et elle le regarde dans un mélange de peur et de stupeur.
Il lui demande... il lui demande...
Elle le regarde, cherchant un indice d'une blague, d'une bévue... en réponse les yeux ambres la fixent calmement.
L'affrérement...
Un long frisson passe le long de la colonne vertébrale de la Pivoine. L'affrérement était au dessus de tout. Un mélange de foi, de sorcellerie, de valeurs chevaleresques et charnelles mêlées. C'était le lien, le lien de sang des frères d'armes, des amants légendaires, le lien des templiers. C'était le serment des corps, plus puissant que celui des mots. Les deux créatures humaines qui le prononçaient se faisaient plus unies que jumeaux, ce que chacun possédait devenait possession de l'autre. Il se devait protéger en tout et ne pouvaient accepter de se survivre. « Ils doivent être affrérés... ». On chuchotait cela de certains couples avec un petit tremblement à la fois de crainte et d'envie*.
Ce serment, fait de sang partagé, ne pouvait pas se rompre. Il ne pouvait pas se reprendre, ni s'annuler. Il était le tout avant le rien. Il lui demande... il lui demande... de prendre la responsabilité d'être la cause de sa mort si elle devait périr... et les occasions ne manquaient pas. Elle sera la cause de sa perte, jusqu'au bout. Elle a déjà failli une fois en lui donnant un remède qui s'est révélé un mal. Il lui demande pire. Il lui donne sa vie au creux de ses mains, lié à la sienne comme un fil, qui sera coupé avec le sien lorsqu'elle fermera les yeux une dernière fois. Revient ce serment qu'elle a fait à son frère dans la neige froide d'un hiver. Il lui a demandé de rester en vie. Il lui a demandé de ne pas le suivre pour protéger la mesnie, la sienne, la leur, de continuer son serment de vassalité au delà de lui. Elle sait le poids de ce serment. Elle le porte sur ses épaules depuis des années. Des années où déjà, les falaises de Ryes l'ont appelé comme des sirènes, lui susurrant que la vie serait si belle dans les flots, au grès des ressacs de l'océan, loin des hommes et des heurts, vers l'horizon... la mort semble si belle et si tranquille**.
Ironie cruelle. Il lui demande aujourd'hui, l'homme qu'elle aime et qu'elle haït aussi, le total contraire. Il lui demande de partager sa vie, jusqu'à son souffle, jusqu'au sang qui bat dans ses veines. Il lui demande de l'accepter pour l'éternité jusqu'à ce que la mort les rapproche et les unisse à jamais. Il lui demande de l'aimer malgré tout et envers tout, envers cet Autre qu'elle sait maintenant par son aveu, toujours hanter son être. Il lui demande de l'aimer sans condition aucune, sans mesure, ni garde fou.

Ou alors... il lui demande d'être assez folle pour l'être, justement, ce garde de ses folies dangereuses et secrètes. Au delà de la mort et des biens matériels, il y a cette promesse de l'aider et le protéger. Le protéger contre lui même. Être celle qui sait cette part, qui sait ce démon. Celle qui a les armes et le droit comme le devoir de le faire taire. L'ombre toujours. Le destin en a décidé ainsi Pivoine. Que tu sois elle ou que tu la combattes, de la pointe de la lame aux intrigues, engluant tes vêtements, elle est et sera ta compagne à jamais. Et tu n'as que cela à lui offrir. Y a-t-il réfléchi ? Tu n'as rien à donner qu'une vie dévouée à un ordre, une fille d'une dizaine de printemps. Tu n'as rien qu'un bras armé, des poisons cachés, des plaies suppurantes. Pas de biens, que ceux que tu portes et ceux qui sont entreposés dans la chambre qui est ton refuge et ton seul toit à Ryes. Il ne fait rien au hasard... la décision est tienne maintenant, Pivoine. Es-tu capable de sauter dans le gouffre qui s'ouvre devant toi ? Es-tu capable de lui pardonner au point de faire le don de ta vie ? Es-tu capable encore de faire don de ta vie d'ailleurs, toi qui a enfin réussi à être ton seul maitre ? Es-tu capable encore de supporter la noirceur et ses conséquences ? Et... es-tu capable de le rejeter, alors qu'il est depuis qu'il est apparu un matin de février, comme le seul qui ne t'ai jamais apporté un soutien et une chaleur que tu pensais devoir oublier ?

Elle regarde le chevalier, immobile.
Puis lentement, très lentement sa main se porte dans son dos. Le bruit de métal de la lame de son couteau se fait entendre dans le silence des pierres abandonnées. Ce poignard a été le début de sa rébellion. Le début de sa volonté d'être libre. La découverte que les règles peuvent être contournées, qu'on peut flirter avec les interdits sans les violer. C'est la réponse à ce serment qu'elle s'est fait d'essayer de ne plus jamais être impuissante comme ce jour enneigé et tâché de sang. Elle le regarde avant de le tendre le manche vers Enguerrand, marqué encore des traces des conséquences d'une lettre d'appel au secours et d'un autre serment, encore, qu'elle a respecté et qui marque ses côtes et son bras.

Elle ne dira rien de ses doutes et de ses questions. Elle ne dira rien de ses peurs. Il n'y a de toute façon plus la place pour tout cela. La décision étant prise, une seule chose est à dire.


Oui.



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* Maurice Druon, Les rois Maudits, La louve de France.
** Dédicace spéciale aux fantômettes que je remercie pour les fous rires et l'écriture parfaite... ça donne envie d'être mort !
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--Estelle_la_formidable


La Blonde ouvrit la bouche pour parler mais la ferma aussi rapidement.
Enfin non, plutôt, ses lèvres se pincèrent, très fort, vous voyez quand ça fait cette esthétique forme de cul de poule ? Voilàà. Et ça que se soit vivante ou morte ce n’est pas très bon signe, pas très bon signe du tout. Vivante on disait souvent lorsque la colère la piquait qu’Aphrodite se transformait en Médusa et c’est bel et bien le cas. Si elle peut être froide et glaciale mais à la fois polie et distinguée, comme cette catin d’Aphrodite qui elle par contre a semblé servir de modèle aux donzelles bien différentes de notre blonde du Royaume avec ses courbes délicieuses, ses fesses rebondis et ses beaux seins tout rond, elle peut aussi être… Affreuse. Laide. Comme Médusa. Lorsqu’Estelle de Varenne se fâche, ses traits se tirent, ses mirettes grises qui peuvent sembler charmantes s’injectent de sang au fur et à mesure qu’elle crie et on une certaine propension à vouloir sortir de leurs orbites et sa bouche s’ouvre, s’ouvre, s’ouuuuvre… Pour proférer ou cris hystériques ou insultes venimeuses pendant une bonne dizaine de minutes sans répéter deux fois la même. Et ouais.

La transformation s’opère donc.
Un petit regard en bas… C’est bon, pas encore de noces car la Rouquine lui rouspète après. Les deux ectoplasmes de fortune ont donc largement le temps de s’expliquer, un peu. Enfin… Même si elle semble très en colère la Blonde ne la ramène pas. Elle a beau avoir une haute estime d’elle-même et savoir qu’elle est l’Elue des ectoplasmes elle n’est pas morte depuis longtemps et ne maîtrise pas encore tous les tenants et aboutissants de son statut. Et cette Nerra là… « C’est de la pisse de canard » se répète d’une voix intérieure moqueuse l’Estelle. Bon. La brune a l’avantage de l’expérience sur la Blonde il ne faut pas le nier… Trouver un moyen de gagner du temps, gagner du temps, ne pas crier desuite, retenir ses yeux dans leurs orbites…


-" Du vin… D’Anjou ? Petit rire sardonique. Oups, faut faire attention aux yeux. J’en buvais que en était encore à jouer avec les vers de terre et escargots. Quant à mon mérite… Il n’est pas en remettre en question. Après tout nous avons su toi et moi pour la petite sauterie de ce soir. Nous sommes là pour la même personne. En même temps, la Blonde se lève et époussette sa robe de poussières imaginaires. Nous ne devons pas être si éloignées donc…. Elle t’as aidée à accoucher, dit-tu ? Cette Pivoine… Même là pour les jeunes donzelles en détresse.

Silence.
L’ectoplasmique Vicomtesse de Domfront sourit et flotte légèrement au dessus de la voûte. Pas très haut non plus hein il ne faut pas rêver. Instant de battement. Que faire ? Continuer à parler, à faire mumuse avec de mignonnes joutes verbales parsemées de mots d’amour fleuris? Non, elle sera lâche et Dieu sait que ça ne lui réussit pas : tellement lâche qu’elle s’est suicidée, tellement pas douée qu’elle s’est ratée. Et c’est en cet instant là, précis, qu’elle regrette de ne pas avoir une arme de destruction massive sournoise comme un troisième bras camouflé qui ferrait peur à la brunette ou une de ces choses qu’inhalait Harry le jour de sa mort ou un parfum d’une fleur qui n’existe même pas au moyen-âge ou des poumons tellement énorme qu’elle ne l’aurait pas regardée dans les yeux et qui aurait donc détourné l’attention… Ah non mince, c’est une femme. Blonde qui déglutit. Imaginez que vous ayez une addiction. Une grosse addiction. Les premiers jours sans l’objet de cette passion sont longs, douloureux, terribles. Et puis, quand on vous met cette chose chérie sous les yeux c’est alors un supplice encore plus insupportable : les mains deviennent moites, on a chaud, une drôle de sensation vous retourne l’estomac… Et bien là, c’est ça. Elle a soif, elle veut boire. Donc, elle doit agir. Elle déglutit à nouveau. Et Blonde qui se met à flotter tranquillement vers cette affreuse personne qui la fait chanter grâce à ses faiblesses. Elle lui fait un peu penser à sa sœur et sa sœur, il s’en était fallu de peu pour qu’elle l’enferme dans un couvent… Enfant sauvage ! Face à elle, un sourire amusé décore le visage anguleux de la Blonde, douce façade, alors qu’à l’intérieur elle se retient de ne pas baisser les yeux pour se rendre compte à quel point elle est… En hauteur.


- Je suis là. Et j’ai soif. Chacun à ses faiblesses… Maintenant que vas-tu faire ? Faire un cours de transplantation ou de murmures à l’oreille des chouettes ? Faire une chasse au trésor vers la cachette des bouteilles fantômes ? Ou… Théâtrale, elle fait semblant de réfléchir. En fait, elle tente de calmer son rythme cardiaque, à supposer qu’elle en ait un enfin dans tous les cas, de calmer cette chose qui lui donne une nausée ectoplasmique. T’envoler gaiement dans les airs ta bouteille à bout de bras en hurlant que je vienne la chercher, tout simplement, enchainant looping sur looping ? Attention, on pourrait voir là-dessous. "

Petit sourire mesquin alors que son menton désigne la tenue d’Apolonie la vilaine fille. Sa gorge devient sèche et sa hâte encore plus insoutenable quand elle réalise que peut-être, être ivre morte – pas de jeu de mot ! – ne donne pas les maux de tête du lendemain. Peut-être qu’être ivre une fois morte donne le plaisir, le plaisir et juste le plaisir. Regard qui se pose à nouveau sur la bouteille puis, tente de se stabiliser dans celui de la brunette. Alors ?

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Vous pensiez être débarrassé d'elle ?
--Sirius_de_margny




Au revoir pauvre monde. A nous deux la lumière.

Je suis mort.
C'est une évidence que je suis maintenant contraint d'accepter depuis que l'on m'a enterré dans le caveau familial, aux côtés de mon aïeul, Tristan de Salignac, et de mon fils aîné, Gawen de Margny-Riddermark. Je ne m'en suis pas rendu compte sur le coup, puisque pas vraiment en état d'ouvrir un œil pour m'en apercevoir. J'imaginais cela beaucoup plus douloureux qu'il n'en fut réellement. J'eus le poumon perforé par la lame de Lothilde Adams de Mélincour, la Vicomtesse aux pieds nus. Je crois qu'elle n'avait jamais vraiment eu l'intention de me tuer ; ce qui fait notre grande différence. Oh pour sûr j'aurais eu quelques regrets si mon bras aurait été amené à mener la pointe de mon épée dans son coeur. Mais elle n'en restait pas moins que mon ennemie. Et comme tout ennemi qui se respecte, on s'en débarrasse, quelqu'en soient les moyens. Le Franc-Comte et Baron, Pinss, peut en témoigner. Il n'est pas très loin, d'ailleurs. Lui aussi profite, tout comme moi, du repos éternel que nous a offert notre mort. Et pour la première fois de ma vie, j'eus présenté des excuses. Sincères, qui plus est. Il faut dire que je ne considère pas vraiment l'âme comme une personne à part entière, tant qu'elle est dénuée de son enveloppe charnelle. Ainsi, l'on pourra toujours dire que Sirius de Margny-Riddermark ne s'est jamais abaissé à demander le pardon d'un Homme. Je conserve alors le semblant de dignité qu'il me reste, même dans l'Au-delà. Ce qui est bien inutile, vous en conviendrez.

Je lui eus tenu à peu près ce langage :


Hé ! bonjour, Monsieur le Baron.
Que vous êtes rayonnant ! Que vous me semblez bon !
Sans mentir, si votre plumage
Se rapporte à l'adage,
Vous êtes l'ange des hôtes de ce ciel.


C'est une entrée en matière comme une autre. Un élan poétique, l'on peut dire. Je ne connais pas l'adage en question, et Pinss n'a pas plus d'ailes dans le dos que moi. Je me serais plains, le cas échéant. Je continuai en lui présentant donc les fameuses excuses. Il n'eut pas l'air de les refuser. Après tout, il me devait bien ça : il avait tout de même renversé son affreux jus de carotte sur mon mantel d'azur juste avant que je ne lui plante ma dague entre les deux omoplates. Je ne lui ai jamais demandé s'il avait souffert. La flaque de liquide rouge dans laquelle avait baigné son corps m'a toujours laissé penser que oui, plus ou moins. A vrait dire, ça m'importe que bien peu. Même dans la mort, je n'ai que faire des sentiments ressentis par les autres. Excepté ceux de mes plus proches parents.

Il est fort probable qu'ils aient pu percevoir ma présence, à un moment ou à un autre. Je passai les premiers instants de ma nouvelle vie à déambuler, flotter, et tournoyer au-dessus de leur tête, à observer leur nouvelle vie. La période de deuil révolue, Eiddin avait acquis les titres, la richesse et la gloire, en bon héritier qu'il était ; Soeli avait décidé de suivre mon plus fidèle ami, Jontas de Valfrey, en quête d'aventure ; et Negan fut envoyée en Lorraine par sa famille maternelle. Ma vassale, Hanadora Grimwald, avait trouvé refuge dans le comté de Toulouse. Je ne savais si sa peine s'était enfin étanchée, et à vrai dire, je n'osais pas me renseigner à ce sujet. Les raisons ne regardent que moi. Les autres ? Quels autres ? La mesnie de Margny est devenue l'ombre d'elle-même et je ne peux que le constater jour après jour, avec tristesse et colère. Sans parler de Saulx. Mon domaine, la grande et belle vicomté franc-comtoise, forteresse de la sauvegarde de la noblesse telle qu'est est censée être, et rempart contre la décadence du peuple comtois, n'est plus qu'une vulgaire bâtisse où seuls quelques étendards d'azur au lion coupé d'or flottent encore, tandis qu'une poignée de paysans parmi les innombrables que j'avais soumis et exploités durant ma vie terrestre continuent de récolter le fruit de leur labeur... sur mes terres, ma gloire. Maintenant, Saulx n'est plus qu'un terrain de jeu pour enfants en mal d'aventure, espérant y dénicher les restes du pillage de Vesoul et Dole. C'est triste mais c'est ainsi. Je ne peux plus revenir, chasser ces parasites d'un coup de pied au fondement, et les engueuler à m'en écorcher la voix. Et lorsque l'idée de me pendre me vient, afin de mettre fin à cette vision qui m'était d'horreur, je soupire, simplement. Pendre un mort est bien inutile, à priori.

Passée l'étape de la découverte de mon nouvel état - tant ectoplasmique qu'indescriptible - et des avantages que me procure celui-ci, je me lasse rapidement de ces observations minutieuses des êtres que j'ai jadis engendrés ou aimés, les deux n'étant pas forcément incompatibles. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'apparence physique est toujours présente une fois mort. Certainement une manière de se faire une représentation de l'âme, d'un seul coup d'œil. Bien utile lorsqu'on rencontre d'autres êtres dans le même état que le notre. Sans trop m'avancer, je peux affirmer que j'ai gardé le corps que je possédais au moment de ma mort, les blessures en moins. Je n'ai aucune difficulté à respirer, sans doute mes poumons, ainsi que la totalité de mes organes, sont-ils opérationnels. Ou alors je n'ai plus le besoin d'inhaler l'air par mes narines pour le rejeter quelques secondes plus tard, dans un mouvement de ma cage thoracique le plus naturel au monde. C'est certainement ça, oui. Respirer est le propre des vivants, et moi je suis mort.

On se fait vite à cette idée, mine de rien. Parce que c'est agréable, et une sensation de liberté nous étreint. Par "nous", j'entends moi, et les autres décédés, de vieillesse, de maladie, d'assassinat, d'absurdité... Nous sommes tous dans le même sac, maintenant. J'ai beau brandir mes titres, mon nom et ma réputation, ils ne valent pas forcément grand-chose ici. Je crois que j'ai réalisé que les gens précèderaient dorénavant mon nom d'un joli "feu" à deux moments : le premier, ce fut lors de la veillée funèbre. Ils auraient presque réussit à m'émouvoir, ces idiots. Je contemplai alors mon corps allongé et inerte, côtoyant celui de Gawen, assassiné par son propre frère, et celui d'Eragon, le chevalier qui m'assista dans ma folie. Autour de moi, ils pleuraient ou débitaient un discours digne d'un requiem. Savaient-ils que je les écoutais alors ? J'ai toujours trouvé étrange de parler à un mort, croyant savoir au fond de moi qu'il était impossible pour ce mort de nous entendre. Maintenant je sais que c'est possible, j'en suis la preuve vivante, si l'on peut dire. Encore une chose que m'aura appris mon trépas.
Le second moment, celui qui mit fin définitivement à mes interrogations existentielles, eut lieu peu de temps après. Il est alors facile de supposer que ce moment n'est autre que mon enterrement. Mais ce serait trop simple, et je suis quelqu'un de compliqué. Non, il s'agit de la mort d'Aleks. Celle qui n'est autre que la mère de Negan, la fille du Baron Greenwarrior, une femme qui porte le nom de l'ennemi, mais que j'aime pourtant. Je suis compliqué, j'ai prévenu. Ainsi, j'ai cru qu'il serait temps pour elle de me rejoindre, mais mon statut de mort me mit face à une situation que je n'aurais jamais imaginé : que fais-je de mon épouse, la Louvelle qui avait mis fin à ses jours des années auparavant ? Peut-être m'attendait-elle, quelque part dans la brume ? Je ne savais pas. J'ai donc fui. Je me convainquis que ce n'était pas par lâcheté, mais pour leur propre bien. Le pire est que j'y croyais, et y crois toujours. Je suis mort, je fais ce que je veux.

Je suis fou. Déjà vivant, je l'étais. Mais l'impression de l'être d'autant plus depuis mon décès est persistante. Je joue aux cartes avec Eragon, et je perd toujours, ou presque. Je bois sans que l'alcool me monte à la tête et sans vomir les litres d'un liquide éthylique dont j'ignore le nom. Je dors parce que je n'ai rien d'autre à faire. J'écris des lettres sans destinataire, parce que ça me manque. J'y appose d'ailleurs mon sceau, de temps à autre. L'univers dans lequel je vis n'est pas descriptible. Du moins je n'arrive pas à trouver les adjectifs correspondants, ni même les noms pour désigner ce qui m'entoure. Imaginez-le donc brumeux. Beaucoup de brume, une atmosphère sombre, et ce que je veux. Un encrier et une plume par exemple. Sur un bureau d'ébène. La mort prend la forme qu'on lui donne. C'est ainsi pour moi, en tout cas. La Lune ? Le Soleil ? Qu'en sais-je ? Il y fait trop sombre pour que ce soit le Soleil, et trop chaud pour que ce soit la Lune. Moi je l'appelle mon univers. Mais il m'est tout à fait possible, comme vous l'aurez compris, de rejoindre la Terre, dès que l'envie m'en prend.

Ce jour, j'en ai envie, justement. Je ne sais pas encore où je vais me rendre, ni même ce que je vais y faire, mais j'y cours, ou j'y vole, je ne sais pas trop. La vue qui s'offre à moi, plongeante, me laisse penser que mon âme est en suspension dans les airs. Pas trop haut non plus, j'ai toujours eu le vertige. Les paysages sont bien plus beaux vus d'en haut. Je décide de suivre le cours d'une rivière, la Vienne pour être plus précis. Le nom m'est venu tout seul, je ne m'étonne même plus des connaissances insoupçonnées qui se cachent en moi et qui se dévoilent à leur gré. Laissez-moi croire à mon génie. J'aimais être adulé de mon vivant, je l'aime tout autant dans l'Au-delà.
La rivière traverse moult bois, croise le chemin de plusieurs routes, mais je ne m'y arrête pas. Le vent me porte, et je le laisse bien volontiers me guider. Peu à peu, je m'éloigne de la Vienne, survolant des bourgs dont j'aurais pu citer le nom, les yeux fermés. Je descend, plus bas, encore plus bas, frôlant les toits de bâtiments imposants. J'aurais très bien pu en percuter un, il est vrai. Mais aurais-je vraiment senti quelque chose, spectre que j'étais ?

Bientôt, j'arrive au-dessus d'une clairière. L'eau d'un étang tout proche ne reflète pas l'apparence que je crois avoir. Le soleil couchant et l'obscurité grandissante n'aident pas vraiment, de toute façon. Je me suis habitué au fait que je n'existe plus vraiment. J'ignore encore pourquoi je me retrouve perdu au beau milieu du Limousin, tandis que je me rapproche dangereusement du sol, cherchant à y poser mes pieds bottés sans être secoué comme un prunier. Dans le pire des cas, mes jambes s'enfonceraient dans la terre comme dans du beurre. Après tout, mon corps est bien capable de traverser des murs épais comme le ventre du Prince de Condé, alors pourquoi pas un sol... La question ne se pose pas puisque je sens enfin le contact de la surface de ce monde terrestre sous mes pieds : l'atterrissage est plutôt agréable finalement. Mon regard se détache de l'herbe pour être attiré par la seule source de lumière digne de ce nom. Un feu flamboyant et crépitant - l'ouïe ectoplasmique est comparable à celle de Clark Kent au meilleur de sa forme - est dressé au beau milieu de ruines donc j'en comprends rapidement l'état. Les flammes ont ravagé ce qui fut il y a quelques temps une église. Il me semble apercevoir deux silhouettes, bien heureuses de profiter de la douche chaleur de ce feu. Moi je n'ai pas ce problème, et ne me rapproche pas des ruines pour cette raison.

Que font deux personnes seules dans une clairière à la tombée de la nuit ? Je n'en sais rien, et en vérité, je m'en contrefous. La curiosité est forte, et je sens une autre présence au fur et à mesure de mon approche. L'homme et la femme réunis autour du feu sont des Chevaliers, je viens de le comprendre à la Licorne visible sur leurs vêtements. Et aussi parce que je sais tout depuis que je suis mort. L'animal à la corne est mythique, même depuis les terres de l'Empereur. Il faut dire que Bralic et Rhuyzar n'étaient pas des inconnus, en Franche-Comté. Des Vicomtes, comme moi, ayant servi l'Empereur durant un temps, et le Roy de France par dessus tout. De plus, le premier était le père de mon cousin, Adrian de Fauconnier. Mais la Franche-Comté les a détruit, comme elle m'a détruit. L'ennemi n'est pas toujours celui qu'on croit, et Bralic le sait tout autant que moi. J'irais le saluer à l'occasion. J'ai l'éternité devant moi, de toute façon.
Je suis à une dizaine de pas. La scène qui se déroule devant moi n'est rien d'autre qu'une demande en mariage. Du moins, ça y ressemble fortement. S'il m'aurait été possible de cracher à terre à ce moment précis, je l'aurais volontiers fait. Mais je n'ai plus de glandes salivaires. Enfin, je crois. Je ne peux qu'exprimer mon aversion d'un sourire à mi-chemin entre la niaiserie et le dégoût. Il y a bien longtemps que j'ai oublié les valeurs des épousailles et je ne m'en porte pas plus mal. Et eux... je leur lance un dernier regard dédaigneux qu'ils ne peuvent pas voir... eux sont simplement ignorants. Je ne leur briserai pas leurs rêves, parce que je ne sais pas comment faire dans l'état actuel des choses. Je suis invisible pour le commun des mortels, il faudrait voir à ne pas négliger l'évidence.

Maintenant que je suis tout proche, je comprend enfin. Il n'y a pas que moi dans ces ruines. Mis à part les chevaliers, je veux dire. C'est une présence que je ne peux pas ignorer, en bon Margny que je suis. Je fais quelques pas sur le côté, toujours pas décidé à lever la tête. Je m'arrête soudain, c'est juste au dessus de moi. C'est attirant, affriolant, et ça me manque terriblement.
De la vinasse d'Anjou. La seule chose potable dans ce duché pourri.

Alors que je m'apprête à lever les yeux afin de chercher la bouteille tant chérie et qui me provoque ouvertement, ayant fait abstraction de la voix des chevaliers qui philosophent, j'entends une autre voix, féminine. Je me fige pour mieux entendre et ne capte que la fin, malgré le raffut qu'elle et sa comparse, à laquelle elle s'adresse, font.


... tout simplement, enchainant looping sur looping ? Attention, on pourrait voir là-dessous.

Ma tête se penche d'elle-même en arrière, il y a des choses qui ne s'expliquent pas, et j'obtiens enfin une vue d'ensemble de la situation. Deux ectoplasmiques femmes qui se chamaillent, rien d'étonnant me direz-vous. Sauf que l'une d'entre elle, celle qui sait s'habiller, y a pas à dire, tient la bouteille dans la main, et forcément, je me sens obligé d'intervenir. Le temps de toussoter pour bien faire voir que je suis là, et je me lance.

Je confirme.

Bah quoi ? Ce n'est pas de ma faute, non plus.

Dites, les femelles... quand vous aurez fini de jacasser, vous m'enverrez la bouteille que la brunette tient dans les mains ? J'vois que vous ne vous en servez pas, alors autant m'en faire profiter.

Celle qui tient la bouteille, c'est Apolonie de Nerra. J'ai déjà entendu son nom, et je peux enfin mettre un visage dessus. Il aura fallu tout de même attendre notre mort respective... c'est un comble. Mais c'est qu'elle connaît le mioche Von Frayner qui a voulu me transpercer les burnes, en plus. Oui, je sais tout, vous dis-je. A l'image de quelques sorciers qui font la même chose sur Terre. Bref, je ne vais pas lui en tenir rigueur, à la brune. L'autre, c'est Estelle de Varenne. Aussi blonde que sa sœur que je n'ai pas eu le temps de voir, et encore moins d'épouser. Je trouve vraiment pratique de savoir à qui j'ai à faire du premier coup d'œil. Je ne me présente pas, ça doit fonctionner pareil pour elles, malgré qu'elles ne soient certainement pas aussi intelligentes que moi. Je leur souris tout de même, histoire de faire bonne impression et, main tendue vers elle, j'attends que la Libertad me donne ce que je suis venu chercher jusqu'ici, sans même le savoir. Et ouais les donzelles, vous avez cru quoi ? Qu'il était possible de me cacher du vin, certes bien moins de qualité qu'un Bourgogne, mais qui n'en restait pas moins un vin ?

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Mort-vivant.
--Apolonie_de_nerra


Soupir… ‘Tain mais c’qu’elle a pas fini de se la raconteur la Varenne là ? Apolonie arque un sourcil, vagu’ment agacée. Non mais sérieux, pour qui elle s’prend la Blonde ? Avec une couleur de cheveux pareille, purée, on évite de se faire repérer, on s’fait discrète et puis on s’fait oublier.

S’tu savais c’que j’ai fait d’ma vie… tu la ramènerais pas comme ça, blondasse de salon. C’est qu’il y en a qui ont fait de vraies choses de leur vie. Peut-être, voire même surement, que tu as bu du vin d’Anjou avant moi. Certainement même… Apolonie n’a commencé à boire que lorsqu’elle est devenue Apo. Pendant plus de dix-neuf ans de sa vie, elle n’a fait qu’enchainer les tisanes, parfumées d’un miel qu’on lui apportait de partout. Beaucoup se moquaient d’elle. Encore fraiches dans son esprit les taquineries de Bireli quand elle commandait, invariablement, son eau chaude en taverne, y plongeant de généreuses rations de miel.

Elle se souvient de ses premiers rires avec Sélène, quand elles comparaient les miels de Montélimar, de Provence ou d’Auvergne. Du gout sucré au palais d’une cuillérée fondante, elle se rappelle le plaisir. Huuum… De tous ses voyages, elle n’avait pas manqué de rapporter à chaque fois un pot de miel et un sac de miettes… Le vin… la bière… l’alcool… Elle n’y avait gouté qu’à Angers, après la défaite de Varades. Burin et une vanillée avant l’heure qui avaient décidé arbitrairement qu’ils ne passeraient pas. Un premier assaut normand, aux couleurs d’un Chat qui ridiculement s’était couché dans les premiers. Elle n’avait appris qu’après coup le comique de sa situation.

Elle, de noir vêtue, avait combattu pour la première fois. Et avait vaincu le premier assaut vaillamment. Le deuxième avait été une autre affaire… Les armes qu’elle avait repérées… les blasons auvergnats lui avaient fait lâcher son épée. Si seulement à cette époque elle avait su ! Et cette lame, dans son ventre, qui selon le médicastre angevin, la privait de toute maternité… Rire sardonique qui s’élève au souvenir. Tu parles, Charles. Elle avait pu enfanter, c’est même ce qui l’avait tuée.


Elle t’a aidée à accoucher, dit-tu ? Cette Pivoine… Même là pour les jeunes donzelles en détresse.

Elle m’a aidée… oui... vaguement… j’en suis morte quand même hein…
Et la Blonde va falloir t’ancrer dans l’crane, si un jour t’veux gouter d’ce nectar alcoolisé, que j’suis loin d’être une jeune donzelle en détresse…


Sourire en coin, air goguenard. Bah elle a bien vu la vicomtesse, que l’autre bavait d’vant la bouteille. Mais pour y avoir droit va falloir qu’elle apprenne à connaitre Apolonie de Nerra. Et l’est pas facile à apprivoiser la brunette… S’la mettre dans la poche, beaucoup ont essayé, peu ont réussi. Caractère à la con planqué sous un minois av’nant. L’azur rieur s’détache un instant d’la Varenne, s’posant sur le couple en bas, tout en lichant une gorgée, faudrait voir à pas oublier l’essentiel !

Ah tiens, c’est pas un mariage qu’il lui propose. Pourtant avec un discours si fleur bleue et romantique qu’il en a fait fuir l’Autre (bien plus intéressant à son sens que le Baron) et qu’on entendrait presque les violons jouer de leur musique sentimentale, on aurait pu y croire. Plutôt que d’offrir à la Rousse une cérémonie dans une belle robe rouge et des tas d’invités, c’est le carmin de leurs sangs mêlés qu’il suggère, qu’il quémande presque. Sourire qui se glisse en coin sur les lèvres encore humides du vin angevin de la vicomtesse.

Souvenir qui se ramène en caboche, frétillant. Sang, douleur et lame… Elle se souvient, Apo, de cette soirée à Angoulême, alors que déjà son ventre abritait l’héritier mortifère d’un Viverols qui ne tarderait pas à mourir. Vexé, le jeune marié, quand il avait appris que la main calleuse où brillait l’anneau d’or encore neuf, avait tenu une dague enduite d’encre et de sang. Juste après leurs noces, elle avait pris la route du Périgord où son frère était tombé, pressée et inquiète. Dans une grotte près du village où ils étaient retenus par leurs blessures, elle avait gravé leur devise dans l’intérieur du bras d’Eikorc. « Pour Toujours… » Quelques minutes plus tard, elle s’était, dans le froid glacé de leur caverne, dépouillé de sa chemise, offrant son dos nu et vierge à la lame de son âme-sœur, qui y avait inscrit « … A jamais ». Pas le premier tatouage dont elle parait son corps, sans doute le plus important.

Elle n’avait pas compris alors la colère de son tout nouveau mari, lorsqu’elle lui en avait parlé, à lui qui n’avait plus le droit de la toucher depuis qu’il l’avait mise enceinte. L’azur posé sur le couple de chevaliers, elle saisit maintenant qu’elle n’aurait pu faire de cérémonie plus intime avec Eikorc sans trahir son serment de fidélité, et qu’avec lui elle avait mêlé le sang, sans le savoir. Reprenant une gorgée, elle poursuit son étude de la Pivoine…

« Oui »… Bien sur que c’est oui. Comment pourrait-il en être autrement ? Trahisons ou pas, ils sont faits pour n’être qu’un, ces deux-là. Pointe de jalousie qui étreint le cœur sans vie d’Apolonie de Nerra. Avant de remarquer le couteau. Tiens, elle l’aura donc gardé, ce morceau de bois et de métal ? Sur le manche, on peut distinguer, bien clairement, les marques des canines de la brunette.


Tu vois, Estelle, elle va s’affrérer avec mon souvenir… Ce sont mes dents qui ont abimé ce bois, pendant que mon fils m’arrachait les entrailles.

Chaque occasion de frimer est bonne à prendre. L’azur se tourne de nouveau vers la Blonde, interpellé par ses paroles. L’air goguenard de la Sentinelle s’amuse encore un peu des assertions. C’est plus de l’amour à ce stade-ci, mais une réelle dépendance… Et bien Estelle, n’as-tu pas d’amis au Soleil pour t’apprendre à boire même ectoplasmisée ? Quel dommage…

Je suis là. Et j’ai soif. Chacun à ses faiblesses… Maintenant que vas-tu faire ? Faire un cours de transplantation ou de murmures à l’oreille des chouettes ? Faire une chasse au trésor vers la cachette des bouteilles fantômes ? Ou…T’envoler gaiement dans les airs ta bouteille à bout de bras en hurlant que je vienne la chercher, tout simplement, enchainant looping sur looping ? Attention, on pourrait voir là-dessous. "

Léger rire. Voir sous quoi ? Ce cadeau de Tixlu ? Cette tenue de cuir aux mille poches, coupée à ma taille, et quasiment neuve ? je ne crois pas non… Au pire ça tatera des dagues que tu vois sur mes cuisses, Estelle. Rha la la, ces donzelles et leurs jupons… Soupir qui s’exhale dans l’air, interrompu. Regard qui se tourne, à la recherche de l’importun. Mais oui, cette présence. Le sourire s’efface, alors que l’azur se teinte d’une lueur métallique.

Je confirme.

Tiens donc… il confirme… Dois-je déceler, Vicomte, une étincelle de déception dans tes mots ?

Dites, les femelles... quand vous aurez fini de jacasser, vous m'enverrez la bouteille que la brunette tient dans les mains ? J'vois que vous ne vous en servez pas, alors autant m'en faire profiter.

‘Tain z’ont décidé d’l’emmerder, tous, là ? C’te réunion d’vicomtes va finir par s’transformer en réelle mondanité. Elle l’a reconnu, Sirius, bien sûr. L’omniscience, bien entendu. Et puis faut dire que son écuyer lui en avait souvent parlé. Chlodwig et ses drôles d’amitié. Un homme qui avait ruiné quelques cérémonies d’allégeance, un impérial. Nez qui se fronce. Elle ne saurait pas dire pourquoi, mais elle se méfie des impériaux depuis que Trollfarceur, son homologue en Lorraine, alors qu’elle n’était encore qu’une jeune ambassadrice ignorante des armes, avait tenté une incursion de sa grosse paluche dégoutante sur sa cuisse encore frêle.

Elle l’étudie quand même. Peut être parce que justement elle a bien changé depuis cette période. Et puis, grande et gironde comme elle l’est, elle peut se le permettre. Regarder un homme dans les yeux n’est pas donné à beaucoup de femmes. Elle en a pâti, qualifiée d’insolente, elle qui ne faisait qu’observer. Plutôt beau gosse, plus vieux qu’elle assurément, une certaine prestance, les muscles dessinés pour le port des armes, l’allure militaire. Un de ceux qu’elle peut respecter, parce qu’un noble s’il ne vit pas les armes à la main ne compte pour rien. Léger coup d’œil dédaigneux à la Blonde et sa toilette.


La ‘tanche, d’mandée comme ça, t’peux t’asseoir dessus Vicomte. Pour peu que tu sois aussi doué que la d’moiselle, t’es pas prêt d’y gouter. L’intérêt d’mourir la première sans doute, ou d’avoir plus d’amis alcooliques qu’sont déjà passés d’l’aut’ coté… Se tournant vers Estelle.

Les loopings t’oublies, on est pas chez les gaulois ici… En r’vanche, apprendre à t’déplacer correctement et d’mander poliment, essaie toujours, sur un malentendu…

Et franch’ment moqueuse maint’nant, elle file s’coller, en tailleur, sur une branche qui surplombe l’couple qui les ignore complèt’ment. La courtoisie, c’plus ce que c’était dans la chevalerie. Même pas qu’elle aperçoit un buffet dans l’coin. Tiens, la Varenne voudra-t-elle apprendre à manger aussi ? Portant le goulot à ses lèvres, elle goute de nouveau le pinard, main gauche sur une dague. On sait jamais. Lame ectoplasmique pique toujours les fantômes. Les plaisirs de la mort et l’ironie de la vie. Alors les enfants ? Qui qui veut jouer ?

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Ectoplasmique esprit, qui brille encore de son pâle reflet.
Pour toujours et à jamais...
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