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[RP] Le terrier douillet de Loctavia

--Le_cavalier
Jacquot ne savait plus quoi penser. D'abord rassuré par le rire du jeune homme, il fut aussitôt après envahi par un sentiment intense de découragement lorsque Loctavia, encore souriant, lui annonça qu'il avait mal rempli sa mission. Mais alors que Jacquot s'apprêtait à récupérer la lettre, pressé à présent de partir et d'en finir, Loctavia l'avait coupé dans son élan, d'une voix tremblante et à peine audible. Le voilà maintenant qui lui demandait un temps de réflexion...

J'ai été jeune, mais ai-je déjà été aussi lunatique ? pensa Jacquot en lui-même.

Mais Loctavia lui était sympathique, et la fatigue lui faisait préférer n'importe quelle concession à une discussion qui n'aurait dans tous les cas que trop duré.

Bien entendu, messire, répondit-il aimablement. J'aurais même envie de vous conseiller une bonne nuit de repos. Vous reprendrez vos cogitations demain, la tête fraîche et reposée, ne croyez-vous pas ?

Sur ces entrefaites, il se leva et salua le jeune homme qui semblait l'avoir oublié :

J'ai repéré une auberge où dormir en venant. J'y vais de ce pas. Bien le bonsoir messire...

Il se tourna vers la porte, et fit un premier pas lorsqu'une voix dans son dos lui intima de rester.
Loctavia
Même s'il ne se sentait pas dans son état normal, Loctavia savait encore être un hôte digne de ce nom. De sa voix éteinte, il rappela le cavalier qui s'apprêtait à le quitter.

Restez donc l'ami. Vous avez sans doute faim, et j'ai de mon côté peu envie de me retrouver seul face à mon assiette et mes questions... Asseyez-vous, asseyez-vous, insista-t-il en joignant le geste à la parole. Je sais encore recevoir les gens honnêtes qui me visitent !

Pendant que Jacquot regagnait son tabouret encore chaud, Loc se leva et entreprit de préparer le repas. Tout en réunissant sur la table le jambon, le pain et le fromage, Loctavia questionnait son visiteur sur ses voyages, sur la Bourgogne, et sur cette Dame Della De Volvent dont la lettre le troublait encore. Jacquot répondait docilement, tout en dévorant des yeux les victuailles qui s'offraient à lui. Bientôt, c'est la bouche pleine qu'il répondit à Loctavia, mais toujours avec cette sympathie amicale dans le regard. Loctavia, de son côté, se réjouissait de la présence de Jacquot, car plus que jamais l'idée de la solitude le terrifiait. Une fois le festin terminé et la bouteille de liqueur vidée, Loctavia et le cavalier rirent encore un moment des aventures de ce dernier. Puis les premiers bâillements apparurent sur leurs visages rouges, et Loctavia s'en fut préparer le lit de la deuxième chambre.

Voilà de quoi dormir aussi bien qu'à l'auberge, dit-il en désignant sa couche à Jacquot.

Il fut remercié longuement, puis les deux nouveaux amis échangèrent leurs voeux de bonne nuitée avant de sombrer dans un sommeil lourd et agité.
Loctavia
A l'aube, Loctavia ne dormait pas. Il était à l'arrière de la maison, adossé au mur en torchis, cherchant du réconfort auprès de ce soleil pas encore brûlant qui pointait doucement son nez derrière les collines. Le cavalier ronflait encore - Loctavia pouvait l'entendre du dehors - et c'était mieux ainsi. La bouche plissée, Loc soupira. C'était un soupir las et inquiet. Son visage pâle et tendu marquait tout entier l'angoisse du jeune homme devant la journée qui l'attendait. Fallait-il prolonger ce supplice de l'attente ou affronter la douleur inéluctable le plus tôt possible ? Car durant cette nuit agitée, Loctavia avait senti monter en lui cette impression de plus en plus forte, celle qui lui disait que la lettre ne mentait pas, et ne se trompait pas.

Il est tôt mais ils sont déjà levés, pensa-t-il. Alors, qu'est-ce que j'attends ? Ce ne sont que deux vieillards après tout, qu'ai-je à craindre de leur part ?

Loctavia se mordit les lèvres d'avoir eu cette dernière pensée. Il aimait ses parents, et il craignait de ne plus en être capable s'il devait apprendre que... Une accalmie passagère dans les ronflements de son visiteur le fit sursauter, et ce bond lui donna la force qui lui manquait pour se lever. La tête haute et les yeux gris, il prit la direction du village.
--Le_cavalier
Jacquot fut réveillé par le bruit de la porte qui se refermait sur les pas de Loctavia. Il bâilla avec nonchalance, s'étira longuement, puis se leva. S'étant habillé, il partit à la recherche de son hôte dans le jardin car ce dernier n'était pas dans la maison. Ne l'y trouvant pas, il s'allongea à l'ombre du pêcher après en avoir cueilli un fruit et planta ses dents dans la texture douce et fruitée. Avec plaisir, il repensa au repas de la veille, à la nuit fraîche et reposante, et à ce réveil tranquille sous un feuillage protecteur : tout semblait si bon ici... Petit à petit, il envisageait de rester, prétextant à lui-même que le jeune homme qui l'avait accueilli avec autant de bonnes manières n'aurait pas de trop d'un cavalier de sa trempe pour assurer sa défense...

Brave garçon, pensa-t-il. Mais où a-t-il bien pu aller ? Ma foi, cela ne me regarde sûrement pas...

Songeant de nouveau à ses envies d'installation comme une enfant rêverait au prince charmant, il se redressa et partit à la découverte de Chambéry.
Loctavia
Lorsqu'il revint à la nuit tombée, Loctavia avait oublié le cavalier Jacquot et ne fut donc pas surpris de ne pas le retrouver chez lui. Il quitta ses chausses et gagna le jardin. Les pieds nus sur la terre encore brûlante, il leva la tête vers le ciel sombre et ferma les yeux. La brise légère du soir caressait ses joues comme une mère qui essaierait de consoler son plus chétif enfant. Puis soudain, sa tête retomba en avant. Il regarda le sol, cette terre chambérienne qui l'avait vu grandir, et il pensa :

Comment as-tu pu laisser faire cela, toi ? Toi mon refuge, toi ma seconde mère, toi la plus pure et la plus franche de toutes les compagnes...

Il s'accroupit, resta un instant ainsi dans cet espace à mi hauteur entre les hommes et la terre, puis s'allongea, les paumes collées au sol. Il repensa à sa mère, cet être d'amour parfait qui l'avait élevé comme son fils quand il n'était qu'un étranger. Il ne savait pas pourquoi, l'idée que son père lui ait menti lui apparaissait plus acceptable. Mais elle... Et alors qu'il pensait à cela, il prononça ce mot tout haut sans s'en rendre compte, "elle", une moue de dégout sur le visage. Et maintenant c'était comme si sa vie d'avant n'avait été rien d'autre qu'une illusion, une erreur. Maintenant il lui paraissait insupportable de rester en ce lieu chargé de souvenirs qui n'en étaient plus vraiment...

Fils d'une union illégitime... murmura-t-il entre ses dents. Quelle médiocrité dans l'originalité ! Pour un amateur de poésie, quelle infamie ! Raaah mais que faut-il donc faire ?

En parlant ainsi, il interrogeait le ciel. Son corps tendu comme un arc était tout entier un appel désemparé et déchirant. Face au silence qui lui répondit, Loctavia pleura un moment. Il ne voyait pas quoi faire d'autre.
--Le_cavalier
Le ciel était déjà fort sombre lorsque Jacquot rentra chez son hôte. Une atmosphère encore lourde pesait sur le village, et Jacquot se dirigea machinalement vers le jardin car la chaleur le faisait fuir l'enfermement. Il y trouva Loctavia allongé au sol, la tête tournée vers lui, les yeux clos. Comprenant qu'il était endormi, Jacquot s'approcha lentement et se pencha sur lui pour le transporter à l'intérieur. Il le souleva, le trouva plus lourd qu'il ne l'aurait imaginé, puis le porta ainsi jusqu'à son lit de paille. Là, il l'étendit sur sa couche, prenant soin de ne pas troubler son sommeil. Il le regarda une dernière fois et crut alors apercevoir sur la joue droite du jeune homme quelques traces de terre. Jacquot sortit son mouchoir et, assis sur le bord du lit, commença à nettoyer le visage de Loctavia à la lumière de la pleine lune qui éclairait faiblement la pièce.

Ceci fait, un pressentiment étrange l'incita à observer le visage plus attentivement. Il scruta alors ces joues qu'il avait connues la veille roses et brillantes comme celles des enfants. Elles étaient pâles, ternes, telles que sont celles des malades fiévreux que l'on emmenait aux hôpitaux. En continuant son observation, Jacquot découvrit des yeux cernés, un front creusé d'une affreuse ride, des traits tirés au niveau des tempes et une bouche sévère, grimaçante.


Pauvre messire, murmura-t-il pour lui-même. Puis-je seulement saisir sa douleur ? Et si je le pouvais, serais-je au moins en état d'y trouver un remède ?

Comme dépité, il haussa les épaules et se leva. Il rejoignit son propre lit où il dormit jusqu'au chant du coq.
Loctavia
La nuit porte conseil : au matin, Loctavia se réveilla changé. Il ne savait pas trop s'il vivait un de ces instants de grâce et de répit que veut bien parfois vous laisser la vie, ou si sa métamorphose était réellement effective, mais il pensa qu'il valait mieux ne pas se poser la question, et profiter de sa forme psychique et physique.

Étendu dans son lit où il avait atterri il ne savait comment, il songea à la vie qui l'attendait et en voyait ses plus belles facettes : il s'imaginait en Bourgogne, en compagnie de Dame Della, cherchant sur son visage des traits familiers. Enfin! il avait une sœur, et peut-être y en avait-il d'autres, qui savait ?! Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Et de quelle couleur était ses cheveux ? Noirs comme les siens ? Blonds, auburn ? Rah... il lui tardait à présent de connaitre tous ces détails !

Dans la pièce voisine, un bruit se fit entendre : Jacquot se levait. Loctavia bondit de son lit et sauta accueillir le cavalier au pied du sien.


Eh! Bonjour l'ami ! s'enthousiasma-t-il en voyant son compagnon. Je suis heureux de vous trouver encore ici ! Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

Le cavalier parut surpris, mais ses yeux écarquillés firent vite place à un large sourire.

Ma foi plutôt bien, et vous-même ?

Je vais sans doute vous étonner,
répondit Loctavia, mais je me suis rarement aussi bien senti. Mais venez, venez ! Allons au jardin, nous serons mieux pour discuter. Car il faut bien que je vous raconte tout ce que j'ai cogité ce matin alors que vous ronfliez de plaisir sous vos draps !

Les deux compères s'adossèrent au vieux pêcher, et Loctavia fit part de ses projets pendant que Jacquot, l'écoutant attentivement, dégustait les pêches mûres à point. Hier encore, il était désemparé, mais aujourd'hui, il réalisait sa chance : d'un côté, une famille aimante, honnête et travailleuse qui l'avait élevé autour de valeurs fortes de respect et d'amour ; d'un autre côté, une famille moins modeste mais toute aussi sincère puisqu'elle prenait le risque de s'attirer l'infamie en invitant chez elle un membre illégitime ! Hier encore, il craignait tel un enfant que ses parents adoptifs le renient en apprenant qu'il savait tout, mais bien au contraire ils avaient fait preuve d'une immense bonté d'âme, lui demandant pardon humblement pour leurs mensonges... Non vraiment, il ne voyait pas d'homme plus heureux que lui en ce jour !

Lorsqu'il avait réalisé cela, il s'était inquiété de la manière dont il devait agir à présent. Et finalement, il avait pris la décision suivante : il écrirait très vite une lettre à Dame Della (qu'il n'osait encore appeler "sa sœur") et il chargerait Jacquot de lui la remettre. C'était bien à elle en effet, et seulement à elle, que revenait de prendre une décision à propos du sort de Loctavia, et elle ne pourrait le faire qu'en connaissance de cause. C'est pourquoi il se devait de lui écrire afin de lui expliquer sa situation. Après quoi, elle donnerait suite à cette histoire, faisant ainsi preuve d'une grandeur d'âme inespérée, ou y mettrait un terme, jugeant à juste titre qu'un frère de cette sorte n'était pas digne de partager sa vie de châtelaine.

Loctavia regarda Jacquot, attendant de son ami une forme quelconque d'assentiment.


Eh bien, qu'attendez-vous ? demanda Jacquot en souriant. Elle ne va pas s'écrire tout seule cette lettre !

Les yeux de Loctavia s'éblouirent de joie, et il courut chez son voisin, un érudit fort apprécié, lui demander sa plus belle plume et son plus beau parchemin.
Loctavia
Mais les murs en torchis de sa maisonnette ne l'inspiraient guère. Il écrivait à une châtelaine, il lui fallait donc être dans un château... Pourquoi n'irait-il pas à la Confrérie ? C'était bien là en sus qu'il écrivait avec le plus de facilités à ses heures perdues. Et puis Titca l'y attendait peut-être ? Elle serait de bonne compagnie dans ce genre de situation. Déterminé, Loctavia roula son parchemin, quitta son logis, salua Jacquot qui menait avec entrain les vaches de son hôte au champ, et se dirigea vers le château de la Confrérie Troubadour.

Il revient vers 11 heures, ne voulant pas trop faire attendre Jacquot pour dîner. Il tenait au bout de son bras la lettre adressée à Dame Della et qui le tourmentait sans répit. Sur le chemin du retour, il n'avait cessé de s'interroger sur la qualité de ce qu'il avait écrit. Avait-il décrit les choses de la manière adéquate ? Ne manquait-il rien, n'avait-il rien omis ou mal transcrit ? En quelques heures, il avait le sentiment de l'avoir relue cent fois déjà, mais ce n'était jamais suffisant. Arrivé devant se porte, il ouvrit une dernière fois le parchemin, et y lut :



Chère Dame Della De Volvent,

Comment pourrait-on trouver audacieux et cavalier que vous preniez la peine et le temps de m'écrire lorsque l'on connaît votre condition et ce qui l'éloigne de la mienne... C'est un double honneur que vous me faîtes, d'une part en m'accordant votre attention, d'autre part en me révélant des vérités que j'ignorais et qui ne peuvent que me réjouir.
Permettez-moi de vous expliquer ma situation après que les personnes m'ayant élevé m'ont éclairé à ce sujet. Et veuillez accepter toutes mes excuses pour les peines que je pourrais vous infliger concernant feu votre père.
Dame Heliabel, la jeune femme dont vous avez retrouvé les lettres, s'est trouvée être la maîtresse de votre père il y a de cela 24 années. C'était une paysanne de Chambéry, une jeune fille plutôt simple qui aura attiré l'attention de votre père par sa candeur et sa joie de vivre qu'on disait fort appréciées. Leur liaison, bien que plutôt brève, suffit à mettre cette demoiselle enceinte, et quelques mois plus tard, je naquit, fruit d'une union qui n'aurait jamais dû être mais que l'on ne pouvait plus ignorer. Votre père, durant tout ce temps, fut grandement bon pour ma mère. Il fit en sorte que sa maternité ne lui cause aucun tort, et s'engagea à prendre soin de mon cas, de manière indirecte certes mais fortement engagée.
Ainsi me plaça-t-il, en accord avec ma mère, auprès d'Hector et Valentine, deux paysans de sa connaissance qui désespéraient de n'avoir point d'enfant, et dont l'âge avancé laissait peu d'espoir à ce sujet. Il prit la peine de leur expliquer sa situation, ne leur cachant rien et faisant preuve d'une grande honnêteté. C'est ainsi que j'ai grandi, ignorant mes origines, au sein d'une famille que je croyais mienne et que je ne saurais renier aujourd'hui.
Voilà donc la médiocre réalité de ma destinée : suivant le chemin de mes parents adoptifs, je ne suis moi-même qu'un simple paysan. Conscient du trouble et du déshonneur que peut causer mon existence auprès des vôtres, je ne saurais vous demander de m'accorder plus d'attention. Sachez tout de même que j'aurais grand plaisir à correspondre encore avec vous, et à connaître les enfants de celui que je n'ose considérer comme mon père sans risquer de vous blesser, mais pour qui j'ai une très grande estime.

Dans l'attente de votre éventuelle réponse, veuillez donc recevoir, chère Dame Della, l'assurance de mon plus grand respect.

Messire Loctavia


Ayant terminé sa lecture, Loctavia soupira longuement, et replia le parchemin. Puis il ouvrit sa porte et rejoignit Jacquot au jardin, son lieu de prédilection. Là, sans un mot, il lui remit sa lettre.
Jacquot la glissa sous sa chemise, à l'endroit même où se trouvait la lettre de Della quelques jours plus tôt. Puis il tapota l'épaule de Loctavia, et signifia en se grattant le ventre qu'il mangerait bien un bout avant de partir pour son voyage.
--Le_cavalier
Lorsqu'il entendit Loctavia revenir, Jacquot sentit la nostalgie de cet endroit s'abattre sur lui violemment : si la lettre était prête, il allait devoir partir, au plus vite, rejoindre la Bourgogne et Dame Della qui attendait son retour. Il inspira une bouffée d'air du pays et soupira longuement. Loctavia s'approcha, et Jacquot regarda sa main droite. Il y vit ce qu'à la fois il redoutait et espérait. Se saisissant du papier, il le plaça sous sa chemise, à l'endroit exact du courrier de Dame Della. Comme il ne voulait pas partir de suite, il frotta sa main sur son abdomen, feignant d'avoir faim alors que son estomac noué disait tout le contraire.

Le repas fut plutôt bon et bien garni : un pain moelleux et doré accompagnait la tranche de lard et les légumes croquants et colorés. A la fin du dîner, on alla cueillir quelques pêches, et on les dégusta jusqu'au bout des doigts. Mais il était déjà plus de midi, et Jacquot sentait que dans le coeur de son compagnon, les minutes étaient plus que des jours. Le regard brûlant, il tendit la main à son ami :


Cher Loctavia, cette rencontre a été fort plaisante pour moi, et je ne sais comment vous remercier pour votre hospitalité et votre bienveillante amabilité... En espérant que nos chemins aient l'occasion de se recroiser...

Leurs mains se serrèrent, et Jacquot quitta le jardin. Il scella son cheval, posa le pied sur l'étrier, et prit place. Il sentait le regard de Loctavia qui examinait ses gestes, et se tourna vers lui une dernière fois.

Vous êtes le bienvenu ici, lui lança le jeune homme, aujourd'hui comme demain. J'espère que vous ne manquerez pas de revenir ?

Que l'occasion m'en soit donnée, et je répondrai présent ! lui répondit Jacquot. A bientôt dans ce cas ?

C'est cela, à bientôt Jacquot !

Aussitôt, Jacquot tourna la tête et lança son cheval. Il n'aurait su dire ce qui attachait tant son coeur à ce gamin sans prétention, mais il l'aimait bien, voilà tout. Et tandis que Jason galopait, l'éloignant de la maison du p'tit gars, les pensées de Jacquot restaient plantées au pied du pêcher, à l'ombre du feuillage tendre et sauvage, sous les senteurs divinement fruitées.
Loctavia
Loctavia regarda s'éloigner Jacquot. Son coeur et le bruit des sabots de Jason battirent un moment à l'unisson, rappelant l'amitié indéfinissable qui liait le jeune paysan et le vaillant cavalier. Puis Jacquot disparut au coin d'une ruelle, et Loctavia fut à nouveau seul. Le soleil tapait fort à cette heure-ci, et Loctavia dut se résoudre à rentrer. Entre les murs de sa maison, il sentit tout le poids de la solitude, cette solitude qu'il avait choisie en quittant ses parents pour adopter cette petite maison en célibataire.

Il s'assit sur son tabouret. Sa vie d'avant reprenait son cours, même si les choses étaient un peu différentes maintenant : Jacquot pouvait réapparaître tantôt, apportant sous sa chemise une autre lettre tout aussi troublante. En attendant, il fallait poursuivre son bout de chemin. La compagnie des chambériens lui manquait. Ce soir même, il irait faire un tour en taverne.
Loctavia
Ces derniers jours, Loctavia retrouvait doucement sa joie de vivre et sa tiède tranquillité. Les premiers temps, il se réveillait fréquemment la nuit en sursaut, croyant entendre les sabots de Jason qui cognaient le sol autour de la maison ; aujourd'hui, ses nuits étaient à nouveau claires et sereines, les cauchemars s'étaient dissipés, on aurait presque pu croire que rien n'avait jamais changé.

Il faut dire que depuis la visite de Jacquot, son travail à la brigade avait repris de plus belle, Erelos était rentré de sa retraite, et désormais, on parlait de la prochaine élection du conseil de Savoie, élection où Loc jouait l'avenir politique de son parti. Sa tête, qui arpentait avec plaisir les rues de Chambéry, était donc bien remplie de tous ces projets, au dépit du reste.

Cependant, une chose tout de même travaillait Loctavia : en tant que membre d'un parti politique, il aurait voulu être irréprochable, et ses braies lui causait en ce sens une vraie contrariété : mal ajustées à sa taille, elles glissaient piteusement et de façon chronique, si bien que Loc devait régulièrement les remonter dans un geste de la plus vile grossièreté. Autant dire que pour lui, cet acte reproduit à plusieurs reprises dans la journée représentait la pire des humiliations...

A tel point que ce matin, au sortir du lit, Loctavia sauta sur sa table en chêne et, armé d'une plume d'oie sauvage, il écrivit sur un parchemin l'appel au secours suivant :




Chers chambériens, chères chambériennes,
Votre dévoué brigadier achète à qui veut bien lui vendre toute ceinture qui pourrait lui seoir.
Merci de me signaler votre offre.
En attendant votre acte salvateur, je vous salue de toute mon amitié,
Loctavia


Satisfait de lui, il s'habilla, et sortit sur le pas de sa porte accrocher son annonce. Puis, les mains sur les hanches, il étudia l'effet du parchemin et de l'encre noire, remonta ses braies, et rentra chez lui.
--Le_cavalier
L'été n'était pas terminé que déjà les couleurs de l'automne faisaient leur apparition. Le ciel ce matin-là, caché derrière un épais manteau de nuage n'arborait pas sa belle couleur azurée, et le froid, sec et glissant, griffait à chaque coin de rue le visage rouge des chambériens.

Jason avançait au pas entre les maisons grises et les portes fermées. A ses côtés, Jacquot, tenant les rênes, marchait d'un pas prudent : les pavés encore mouillés de rosée étaient traîtres pour qui ne s'en serait pas méfié. C'est à ce rythme lent et maussade que le cavalier arriva devant la masure de Loctavia. Sur la porte, il put voir les restes encore lisibles de l'affichette que Loctavia avait accrochée là. Irrépressiblement, il sourit. Ainsi Loc avait le coeur à rire, même de lui-même. C'eût été, foi de Jacquot, une très bonne chose, s'il n'y avait eu cette seconde et tout aussi mystérieuse lettre confiée par Dame Della.

Fallait-il que les doutes, le chagrin, le désespoir viennent assaillir à nouveau le coeur de son ami ? Et fallait-il qu'une fois encore ce fut lui, Jacquot, qui soit porteur de ce malheur ?

Il se sentait tellement las, de ce voyage, de cette lourde et angoissante mission, de ces idées noires qui avaient accompagné sa route qu'il soupira et baissa la tête un moment. La relevant finalement, il accrocha toute son attention à l'affichette face à lui, et frappa.
Loctavia
Les premiers temps après le départ de Jacquot, Loctavia croyait souvent entendre, bien que rien ne s'y prêtât, le hennissement d'un cheval, ou le bruit de sabots près de sa porte. Aussi, quand Jason et son maître arrivèrent, Loc renia ce que lui disaient ses oreilles, et resta affairé tranquillement à son appétissant déjeuner.

Toc ! Toc ! Toc ! fit soudainement la porte en bois.

Loctavia tourna violemment la tête. Lui apportait-on une ceinture ? Si oui, elle était fort bienvenue, car l'exercice ces derniers temps lui avait fait perdre quelques kilos sans que la taille de ses braies ne soit ajustées par la même occasion. Pressé d'être soulagé, il se rua sur la porte, déjà prêt à sauter au cou de celui qui lui porterait ce cadeau tant attendu. Quelle ne fut pas sa surprise de tomber nez à nez avec... son cavalier préféré !

Le visage s'illuminant, il retint son mouvement vers Jacquot, et le dévisagea avec un réel plaisir.

Comme tu es beau mon Jacquot ! dit-il d'un ton joyeux et coquin. Un vrai prince en voyage ! Entre ! Entre ! Laisse ton Jason à l'entrée, et viens donc boire avec moi à la santé de ton retour !

Il fit place à son ami, lui tendit un tabouret et chercha sous ses bouteilles de lait vides le trésor qu'il avait caché là. Puis soudain, il exhiba avec fierté une bouteille de liqueur, l'ouvrit, remplit deux gobelets, et en tendit un à Jacquot. Ce dernier s'en saisit sans sourciller, et le liquida de la même manière. Ceci fait, il se regardèrent en souriant, puis Loctavia demanda enfin :

Humm, des nouvelles peut-être ?
--Le_cavalier
Jacquot n'en pouvait plus d'attendre. Si les choses devaient mal tourner, autant ne pas faire durer les prémices de cette affaire.

Oui, effectivement, mon retour n'est pas seulement amical.

Fourrant sa main sous sa chemise, il attrapa la lettre cachetée qu'il sortit et tendit à Loctavia.

Bien que je sois ravi d'être ici, voilà la véritable raison de mon retour, avoua-t-il honteux.

Puis il regarda Loc ouvrir la lettre et la lire attentivement.
Loctavia
Loctavia se saisit de la lettre, et, après l'avoir décachetée, en parcourut les lignes, lentement et consciencieusement. Della y avait écrit :



Loctavia,

Bien le bonjour à vous.

Merci de votre lettre. Elle m'a fait plaisir et en même temps est venue confirmer ce que j'avais compris, déjà.
Je vous rassure, à moi, vous ne faites aucune peine concernant mon père. Les liens que mes parents entretenaient avec moi étaient tenus et dès lors, je ne peux vous en vouloir, à vous, le fruit de l'amour de mon père pour votre mère.

J'ai mis mon frère Eldwin de Volvent, l'aîné de notre famille, au courant de votre existence.
Il en a été bouleversé, je le comprends.
Pourtant, il m'a autorisée à vous écrire, à nouveau. Ce qui, selon moi, indique qu'il vous considère lui aussi, un peu de la famille.
Si je dis lui aussi, c'est que pour moi, vous êtes du même sang que le mien.

Je me permets de vous parler un peu de cette famille de Renart, belle et quelque peu remuante.
Nous étions sept enfants. Nous demeurons, aujourd'hui, quatre. Je suis la plus jeune, la seule fille en vie.
Eldwin est, comme déjà précisé, l'aîné. Il a deux enfants, magnifiques et adorables. Il est prêtre ayant choisi cette voie après son veuvage.
Thomas et Godefroid viennent ensuite. Thomas est prêtre également.
Pour ma part, je dirige le domaine viticole de Beaumont, castel de notre famille.
Notre famille, d'ancienne souche bourguignonne, compte aussi de nombreux autres membres, neveux, nièces, cousins et cousines.
Et puis, vous...notre frère.

J'ose croire que vous considérer comme mon frère ne vous contrarie pas.
Dans ce cas, je m'excuserais sans souci.

Je ne veux pas vous vexer ni vous blesser, comprenez-le bien.
J'aimerais seulement pouvoir me dire que l'un de mes frères vit quelque part près de Chambéry avec, peut-être, un jour, l'occasion de lui rendre visite ou de l'accueillir, ici, à Beaumont.


J'achève ici cette lettre, espérant qu'elle vous trouve en grande forme.

Soyez assuré de mon amitié fraternelle.

Della de Volvent.


Loctavia n'en croyait pas ses yeux. Jamais il n'aurait pu imaginer une aussi belle grandeur d'âme, surtout de la part de toute une famille. Ainsi on l'avait pour ainsi dire presque accepté, et même on "l'attendait", à Beaumont... Soudaint ce nom, Beaumont, lui parut terriblement attirant et exotique. Il eut envie de partir sur le champ, de les rejoindre tous, sa famille, ses frères, sa sœur... Comme il était doux d'imaginer toute cette ribambelle dans le même château !

D'un bond il se leva, et relut, à voix haute cette fois, la lettre écrite par Della. Son bonheur s'entendait dans sa voix pleine d'exclamations joyeuses, et son sourire resplendissait malgré le temps chagrin.

Ah mon Jacquot, comme je suis heureux ! dit-il en se tournant enfin vers son ami. J'ai une sœur, entends-tu, une sœur ! Et des frères !

Il exultait, et sa gaieté sans faille finit par entrainer Jacquot dans son épopée. Ce dernier se leva à son tour, et embrassa son ami en le félicitant, tout à fait comme si Loctavia venait de devenir papa...

Alors, tu rentres avec moi à Beaumont ?demanda-t-il curieux.

Loctavia parut réfléchir, puis avoua :

J'ai des obligations politiques ici, bien que je n'en ai pas l'air. Je ne peux pas partir tout de suite, mais rentre donc toi, dis à Della que je viendrai bientôt, dis-lui bien comme je suis heureux et honoré de sa lettre. Et le jour viendra bien vite où je pointerai mon nez là-bas ! Ah comme j'ai hâte !

Loctavia leva les bras au ciel, puis agrippa la bouteille de liqueur. Ainsi les deux amis fêtèrent pendant de longues heures leurs retrouvailles et la bonne nouvelle qui venait d'arriver.
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