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[RP] Préface d'une guerre intestine

Saens
[Rp ouvert.]

Il était fait comme un poireau, cuit comme un rat. Il postulait, sur la route de Murat.

En posant les châsses sur le passé, forçant ce grave messire à relever ses jupes, tombait un constat : il avait toujours été brigandé d'allant du Sud au Nord, et jamais par la réciproque. On ne touchait semblait-il pas aux hommes qui dirigeaient leur couenne vers le midi ; on martelait ceux qui voulait s'élever jusqu'aux plateaux boueux de France.

On, c'était une bande de béotiens cachés derrière les buissons pinailleurs, et qui, au premier bruit du pas, s'éjectaient de leur planque arbustive pour aller chaparder deux miches de pain, dix écus et un caillou, arguments manuels à l'appui. Il s'était foutu de ces aléas des chemins comme d'une guigne jusqu'à ce jour, où l'injustice venait de lui éclater en pleine gueule.

Il leva une arrête nasale teintée d'aquilin vers les cieux. Rétive et révoltée. Parce qu'il allait jusqu'en Flandres, il allait devoir se coltiner tous les détrousseurs du coin ? Arriver le museau noir et les pommettes en bouillie ? Courbaturé ? Peinturluré ? Archi-tambouillé ? Nenni Grand Barbu, nenni. Les frères sourcils se froncèrent, méchante ourlure, c'était la guerre au passe-droit des méridionaux, aux affiliés du pastaga qui rampaient jusqu'à la garrigue.

Tout perdre, soit, surtout qu'on ne traine que sa chemise et un bout de pain - quoique, une tourte... - se prendre une talmouse dans la narine, passe encore, deux, pourquoi pas, on est endurant, mais, par le Sein!, que ce soit la prune du Hasard ! Le hasard oui, avec un grand Z, celui qui distribue les cartes, les rois, l'excuse et le valet sans se soucier des points cardinaux. Sans chicane et sans lois.

Il rabaissa un visage décidé, lui là, qui d'habitude n'avait pas la main assez assurée pour se tailler des certitudes, presque noblement cruel le visage, avec ses mèches noires et son regard d'argent-vif. A vingt-huit berges, il réalisait qu'il supportait toutes les iniquités des hommes et des fous, sauf lorsqu'elles s'en prenaient à la sacro-sainte question de l'aiguillage.

Alors il allait sortir la belle artillerie, siffler les pioupious de la malice et les troufions en hallebarde, et les soudards d'Afrique, et les fantassins bordés de nouilles,
Sus aux forces malveillantes des routes du septentrion !
Le septembre trions !
Dans l'Nord, ya la Marise,
Elle a d'belles cuisses,
Et la motte lisse,
Lalalala...

Et tous en sangle, ils allaient lui dérouiller sa jolie face à la corniaude, à la peau d'vache, et ils pourraient cheminer, libres de se faire attaquer par les grands brigands, apaisés par la pensée réconfortante que ceux d'en bas, eux aussi, étaient en train de se prendre une raclée de tous les diables. Il inclina la tête vers le côté, frappé par cette nouveauté rhétorique. S'éclaircit le gosier une nouvelle fois.
Sus aux forces malveillantes des routes du sudptentrion !
Du grabuge pour les gars du Sud !
Liberté de se faire rompre les rognons !
Au Sud, ya la Denise,
Elle a de gros tétins,
Et du blanc sur la main,
Lalalala...

Sur une pierre posée là s'assit. A présent qu'il avait rassemblé sa rutilante armée de paillards et d'embobinés, il fallait réfléchir à un plan. Un beau plan. Net, froid, sanglant. Avec des enluminures au quatre coins et de grandes lignes rouges comme des vérités indiscutables. Le vagabond cala son menton noir dans sa paume. Venait une rude question. Comment le petit poisson de rivière qui va d'aval en amont peut-il déjouer la grande garce du courant sans se faire gober par les truites ? En faisant croire à la garce qu'il va dans l'autre sens. Et les sens il était censé s'y connaître un brin, Saens.

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Saens
Nous, Saens de Rasefretin-Bollège, dict le Pourfendeur du Déterminisme, avons décidé que ce gracieux après-midi de l'an de Pasques mil quatre-cent cinquante-sept, sur la route de Murat noyée de murènes mûres, mus par la volonté impérieuse d'œuvrer pour la Contingence de nos pas et des belles rossées que l'on se prend, serait in extenso dédié à l'étude de moyens efficaces et déloyaux pour contrer le terrible fléau des nordiques brigandés et bafoués, en leur âme et corps, et des méridionaux épargnés contre leur gré.

Faict sur cette même route,
Le douzième jour du mois de septembre de l'an de Pasques mil quatre-cent cinquante-sept, au mitan du jour.

Rasefretin.


L'annonce, de belle encre mais mauvais papier, avait été placardée sur tronc d'une femme, ou d'un hêtre c'est selon, avec un clou de girofle. La longue écriture tortueuse du brun s'étalait en pattes de mouches écrasées, annonciatrice des premières hostilités. Quelques petites phrases noiraudes et fourmillantes ; on eut dit que ces drôles d'hyménoptères se fussent d'eux-mêmes mis en rang d'oignon au beau milieu d'un champ de bataille, soldats un tantinet bordéliques mais volontaires, accordons-leur, et bouillants jusqu'aux funiculus, désireux de guerroyer et de trancher des têtes.

Sous le beau soleil d'un été qui allait vers sa mort, allongé dans l'herbe pâle et entouré de ses troupes, Saens forgeait ses hypothèses. Ou comment faire croire que l'on va du Nord au Sud lorsque l'on va du Sud au Nord, idées pour ce faire, poinçonnées Rasefretin-Bollège, troisième du nom. Il se délia les phalanges et s'empara d'une seconde feuille, qu'il barbouilla comme sa précédente.

Adoncques, il pouvait se livrer à diverses expériences. Il pourrait détourner l'attention du Grand Barbu, en compagnie d'une vierge blonde de quatorze ans ou d'un beau mouton auvergnat, ou tout objet éminemment clair et servile. Mais également faire mine de marcher vers l'avant en allant vers l'arrière, dans un subtil balancement de bras qui, à la longue, risquait de lui causer des crampes à vomir. Ou voler. Ou encore, s'il ne pouvait changer ses pas, il changerait les routes car après tout, il avait suffisamment d'hommes pour organiser une mutinerie à l'échelle du royaume. Ou bien se faire sacrer Dieu par l'Autre là-haut, et décréter qu'au Nord serait le Sud, et réciproquement. Il en nota quelques autres.

D'office, furent rayées la dernière et l'avant-dernière rapportées ci-dessus. Il était trop âgé à présent pour accomplir tous les bienfaits nécessaires à se faire sacrer Dieu - et un après-midi n'y aurait pas suffit, quant à ses hommes, pour la plupart des fourmis anglaises, ils avaient attrapé un rhume la semaine dernière. Par la Sainte Gidouille, mon armée la goutte au nez déserte, et mon ennemi c'est Aristote. Mais Saens était d'un naturel optimiste en ce qui était des causes perdues. L'absurdité des raisons et des ruses lui causait un émoi à se donner sourire aux lèvres, et les babines retroussées de plaisir, ça lui donnait envie d'y croire pour rien, juste pour embêter le monde, pour se saucer le pinceau de la bigote logique.

- interlude -

A nonnes, le brun se tenait debout sur une haute branche du hêtre. Il avait des ailes. Toutes les feuilles alentours, toutes les ficelles qui marécageaient au fond de sa besace y étaient passées. Les deux ailes étaient accrochées à ses épaules par des cordes vétustes qu'il avait marchandées à un passant, contre un peu de tord-boyaux. Noué à des branches courbées, qui de haut en bas allaient de plus en plus fines, était son viride pennage. Aux extrémités, de longues feuilles caduques de saule, fines comme des lames de barbier, vert chartreuse, car coincé entre tous ses épineux, un saule ne pouvait être que maladif. Sur la rangée du contrebas s'alternaient feuilles de chêne et d'hêtre, d'un vert plus sombre, les unes dentées, les autres lisses, certaines tachetées de roux et de jaune, petites flaques d'or, prémices de l'automne arrivant.

Elles étaient longues de cinq empans chacune, et larges de trois palmes. C'étaient des ailes de vagabond, l'une était déjà vaguement trouée en son centre, l'autre était un peu bancale. Autant dire qu'il allait devoir faire confiance aux légères bourrasques qui venaient régulièrement ébouriffer les herbes, ainsi qu'à la magie occulte des limbes, des cordelettes et des branches d'épicéa. L'amalgame eut été fatal s'il s'était envolé de la cime. Il s'en doutait, s'en moquait même un peu. N'avoir plus qu'une chemise sur la peau et des lettres parfumées de sauge dans son sac, ça vous amplifiait ce sentiment de n'avoir rien, et donc, rien à perdre. Et puis, comme disait une sauterelle brune, c'est bien de voyager léger. Il sourit et sauta.

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Saens
Et il vola.

Il parcourut très exactement soixante-deux pieds avant de se ratatiner au sol comme une galette auvergnate. De la branche où il s'était perché au milieu de la flaque d'herbe qui le cernait. Le périple lui sembla pourtant bien plus long ; l'étendue verte était une plaine monotone, une toundra des pays écartés, et les fleurs brunes les paysans qui trimaient sous son auguste envol. Les rafales épicées de septembre, les rouleaux venteux, l'avaient fait se soulever, comme un seigneur accepterait d'ouvrir un pan de son manteau pour y conduire une bête verte et poilue sur quelques toises, et la reposer au bord de la fosse. Il atterrit en se cassant la gueule, et cette gueule qu'il avait d'habitude si marmoréenne, éclata dans un beau rire. Paumé dans un trou perdu d'Auvergne, entre un hêtre et deux pâquerettes, il se tordait dans l'herbe, se roulait dans ses ailes feuillues. Par le Tétin de Ste-Rubilgude, s'ils savaient. Il en avait mal aux côtes.

Les corbeaux eux, qui tout d'abord avaient pris peur à son essor, étaient revenus crocheter leurs pattes amères sur leur fief branchu. Ils le regardaient de leurs grandes billes noires et outrées, et jabotaient comme ici :


"Avez-vous vu Mastre de l'Obscure Rémige, le vol de ce noir olibrius ?"
"Comment ?! Ce moineau à poils ?! De la poudre aux prunelles ! De la poudre ! Vous dis-je !"
"Tout de même, tout de même..."
"Rotomontade ! De l'esbroufe, de l'esboufre ! Du chiqué de Pasques aux tilleuls ! Du fla-fla !"
"Justement Mastre, justement, du fla-fla. Il flaflatait. Et s'ils se mettent à flaflater, c'est la fin, je le crains."


Et les cafardeux à plumes eurent beau tenir conciliabule, la vérité demeurait inaltérable, Saens flaflatâte, et il pouvait le conjuguer à tous les temps. Il se torsadait encore les entrecôtes et le bréchet lorsqu'il se redressa, dans toute sa gloire, encore ailé. Et les feuilles-plumes virevoltaient bellement autour de l'homme, tandis qu'il fourrageait dans sa besace pour une tierce feuille. Il y inscrit d'une écriture agitée ce qui suit :

Nous, Saens de Rasefretin-Bollège, dict le Pourfendeur du Déterminisme et des Airs, avons, en ce douzième jour du mois de septembre de l'an de Pasques mil quatre-cent cinquante-sept, prit envol du haut d'un hêtre. Et avons parcouru à vol d'oiseau vingt toises, de la cinquième branche du susnommé hêtre au milieu de la plaine herbacée qui à ses racines s'étendait. Que cette date capitale s'inscrive dans le cours de l'Histoire et du Temps, et des Hommes, et des Mouettes, et des Vierges Callipyges Enrobées de Miel Roux. Néanmoins, la lutte poursuivrons.

Sus aux forces malveillantes des routes du subseptentrion !

Faict sur cette même route,
Le douzième jour du mois de septembre de l'an de Pasques mil quatre-cent cinquante-sept.

Rasefretin.


Il la figea artisanalement en-dessous de la première, annonces éphémères qui se perdraient, comme sa guerre, avec le temps et les pluies, sans qu'onc ne les vit. Mais en eut-il été autrement de Saens ? Il claboterait au bord d'une route, ou se pendrait à un frêne, et son corps retomberait en terre sans qu'il ait jamais refoutu un pas dans la sienne. Qu'était rouge, au levant. Il n'en parlait guère, il avait les yeux rieurs encore. Et puis, l'après-midi n'en était qu'à son préambule préambulatoire. Le trimardeur ôta ses ailes et les abandonna au pied du tronc de l'honneur, et s'en alla plus loin.

Après son départ, la verdure resta toute coite. Le hêtre lorgnait d'un œil torve vers les herbes, qui elles se regardaient les unes les autres, percluses de stupeur, un peu abruties comme une dame qui vient de passer la mâtinée à renifler du datura. Les corbeaux s'étaient tus, l'un d'eux alla lire ce qu'on avait griffonné à leur arbre et le rapporta à ses confrères en chuchotant. Les fleurs avaient cessé de labourer les champs et se tenaient, transpirantes, contre des meules imaginaires. Les arbres qui avaient aidé à l'empennage ne riaient plus, ni ne se moquaient, mais fixait au ciel de leurs quinquets blanchâtres et tombants, la trace encore palpitante de l'homme qui s'y était élancé, un court instant. Quant aux ailes, elles ne vivaient plus.

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