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[RP]Quête, requête, enquête

Ilargia
Reprise d'un rp parti au délestage avant sa fin... ^^

Ilargia a écrit:
Castel de Lesparre, chambre baronniale
La blondinette s'était figée net. Pour la première fois depuis des semaines, Boucles d'Or avait cessé de s'agiter et de délirer. Pour la première fois, elle avait lâché des paroles compréhensibles et non les gémissements et hurlements auxquels sa soeur aînée ne parvenait pas à s'habituer. Hélas, trois fois hélas ! Cette maigre amélioration n'avait guère duré, et déjà l'enfant sombrait à nouveau dans la fièvre et le délire, au grand désespoir d'Aélis.

Incapable ne serait-ce que d'envisager que sa petite soeur pût ne jamais se remettre de son mal, la blondinette rageait intérieurement de ne pouvoir rien faire pour la guérir. Mais les bribes de mots lâchées par la malade venaient de lui donner furieusement à penser. Certes, elle n'avait pas recueilli grand chose. Un nom, qui ne lui évoquait absolument rien, et ce mot de "chantier" qui l'intriguait. Elle ne parvenait guère à trouver de rapport entre un éventuel chantier et sa douce et délicate frangine, qu'on imaginait fort mal au milieu des gravats et des manoeuvres. Ceci dit, la blonde enfant n'avait guère fréquenté que Lesparre et Bordeaux au cours de sa jeune vie. Et comme le castel n'était pas en travaux, le chantier en question se trouvait forcément dans la capitale ducale. Peu chalait dès lors à la blondinette de savoir de quel chantier il s'agissait. Tout ce qui lui importait, c'était que celui ou celle dont le nom avait réussi à calmer momentanément le délire de Boucles d'or devait se trouver à Bordeaux.

Ni une ni deux, voilà la blondinette qui se lève, fonce à la porte et attrape au vol une meschine qui passait par là, les bras chargés de linge.


Toi là ! File me chercher Pascual, et en vitesse !

La pauvre fille ne prit pas l'ordre à la légère et partit aussi rapidement qu'elle le pouvait en direction des communs. Il est vrai que le domestique de Lesparre n'avait guère tardé à réaliser que si l'héritière du domaine était un ange de douceur, son aînée et tutrice en revanche n'avait rien à envier, pour l'autorité et le caractère, à feue la duchesse Izarra...

Le zèle de la servante n'empêcha pas l'irritable blonde de se mettre à marteler le sol du pied en signe d'impatience, martèlement qui ne s'interrompit que lorsque le solide basque l'eut rejointe.


Ah, Pascual! J'ai une mission pour toi! Tu vas partir sur l'heure pour Bordeaux. Il te faut mettre la main sur un _ ou une _ dénommé "Narvi". Qui que soit celui qui porte ce nom, tu vas me le trouver et me le ramener ici. Et si tu ne le trouves pas à Bordeaux, retourne la Guyenne pierre par pierre s'il le faut mais déniche-le! Est-ce clair?

- Euh... Oui damoiselle, c'est on ne peut plus clair mais... Mais que dois-je lui dire pour le faire venir? C'est qu'il pourrait refuser si je lui ordonne ça comme ça, sans explication...

- Hum... Pas faux... Ecoute, ce Narvi a du rencontrer ma soeur. Je ne sais ni où, ni quand, ni comment, mais elle s'en souvient visiblement, même dans son état. Dis à cette personne... Ma foi la vérité: qu'Elianor est gravement malade et que _ le Très Haut seul sait pourquoi d'ailleurs! _ elle le réclame.

Un peu interloqué, le soldat n'en fit pas moins un vigoureux signe d'acquiescement. De toute façon il n'était pas envisageable de refuser l'ordre, si saugrenu qu'il paraisse. Résigné donc, il regagna les communs, sella sa robuste monture et prit sans plus tarder ni discuter la route de la capitale.

La blondinette quant à elle reprit sa veille silencieuse au chevet de la malade.
.


Pascual a écrit:
Sur les routes, puis à Bordeaux

Foutredieu de sacrebleu de requête à la mord-moi-le-vit ! Et puis requête, requête... Ordre oui ! Injonction, commandement! Ah ça, elle s'y entendait à diriger son monde la damoiselle de Beaulieu! Désormais seul sur la route de la capitale, à l'abri des oreilles, le soldat laissait libre cours à son énervement. Il était homme d'armes, crénom de nom, pas garçon de courses ! Et quelle course en plus, dont il ne savait même pas où trouver l'objet! Ah non mais j'vous jure, des trucs pareils, ça lui donnait envie de foutre le camp et de retourner dans son pays.

Se calmant peu à peu à mesure que les lieues défilaient sous les sabots de sa monture, le Pascual finit par admettre qu'il n'y retournerait pas de sitôt, au pays. Au fond, sa situation _ en général _ lui plaisait. Et même s'il fallait de temps à autre supporter les lubies de ces dames, il y gagnait aussi de solides avantages. Après tout, la feue duchesse lui en avait fait voir de belles aussi de son vivant. Il gardait cuisant souvenir de leur folle chevauchée vers le Maine au moment du remariage de la dame. A côté de cette équipée dépourvue de sens commun imposée par la mère, la mission dont le chargeait aujourd'hui la fille paraissait de tout repos. Et puis, il fallait bien l'avouer, s'il y avait une chance de guérir la petite demoiselle, il aurait bien retourné tout le sud ouest et pas seulement la Guyenne...

Mouais. En attendant, il fallait attaquer par cette fichue cité de Bordeaux, qu'il connaissait mal et n'appréciait guère. Trop de monde pour lui, trop de vauriens, de tire-laines et autres fleurs de gibet à son goût de rustique. Il ne savait pas par quel bout attaquer son enquête, le brave homme. Juché sur son canasson à l'entrée de la ville, il se gratta machinalement la tête, cherchant une idée.

Voyons voir. L'Harlegnan avait dit que celui ou celle qu'il cherchait connaissait la ptiote duchesse. Vu que celle-ci avait pas du beaucoup traîner ses poulaines dans les quartiers populeux de la ville, y avait des chances pour qu'elle ait plutôt rencontré c'Narvi chez elle. 'fin chez son oncle. Or donc, il commencerait ses recherches par là.

Tout content d'avoir trouvé un plan d'action, le soldat remit sa monture en marche et la dirigea vers l'hostel Vergy-Harlegnan qui dressait son opulence non loin de la cathédrale. Arrivé là, il mit pied à terre, toqua à l'huis et décocha une oeillade conquérante à la servante venue lui ouvrir.


Holà ma belle! J'arrive de Lesparre. Le seigneur Phillau peut-il me recevoir?


Phillau a écrit:
A Bordeaux

Le jeune seigneur avait péniblement regagné sa demeure, lui qui avait redécouvert de vieux démons et rouvert sa jambe. Même avachi dans une carriole trainée au pas par deux percherons des plus doux, chaque pouce de dénivelé et chaque choc qui venait faire tressaillir l'engin retournait Phillau d'une douleur atroce.

Après quelques jours de souffrance, donc, pour revenir de Bourges, Phillau avait enfin posé le pied dans Bordeaux. Même si il était rentré couché dans son hostel proche de la cathédrale, il était heureux de revenir dans sa ville et de bientôt y marcher gaiement comme un gamin. On n'y était encore pas, les médecins hésitaient entre le rétablissement et l'infection de cette ancienne blessure, ce qui, cette fois, lui couterait sa jambe.

Seul des charlatans peuvent un matin penser à l'ablation et au retour du déjeuner prier Aristote de ce rétablissement fulgurant. Si seulement Izarra était encore de ce monde, elle pourrait prendre soin de Phillau comme elle l'avait déjà fait.


Monseigneur, un homme veut vous voir.

C'était Alactar, lui qui remplaçait feu Nestor dans le rôle d'un chambellan. Encore un homme qui venait quérir la générosité relative du bourgmestre ou qui souhaitait vendre sa pauvre marchandise au marchand.

Dans tout les cas, des balivernes et une perte de temps. Mais Phillau souhaitait voir du monde, quel qu'il soit et qu'importe le sujet. Il fit donc signe à Alactar de l'amener ici.


Pascual a écrit:
Rapidement introduit près du maître de céans, le soldat le salua respectueusement.

Lo bonjorn messer d'Harlegnan. J'arrive de Lesparra, je suis envoyé par la damoiselle de Beaulieu.

Pascual s'accoissa. c'est qu'il voyait mal, d'un coup, comment en venir à son affaire. Il ne pouvait pas tout de go réquisitionner l'ancien bourgmestre pour l'aider dans ses recherches, ce haut seigneur s'en serait offusqué ! Il convenait tout d'abord de lui donner les dernières nouvelles de la baronnie, avant d'en venir à la mission confiée par l'intraitable tutrice de la duqueseta. Va pour les nouvelles donc, même si celles-ci n'étaient pas bonnes.

La petite damoiselle Elianor ne va pas mieux messer. La fièvre et le délire ne la lâchent pas et ses forces s'amenuisent. Dans son agitation confuse, elle a tout de même eu un moment d'apaisement, pendant lequel elle parlait de "chantier", et d'une personne appelée "Narvi". Damoiselle Aélis m'a aussitôt envoyé vers vous, se demandant si ces paroles vous évoqueraient quelque chose? La petite duchesse paraissait soudain si calme en les prononçant que sa soeur veut tout faire pour retrouver cette personne et la faire venir à Lesparre.



Phillau a écrit:
Les nouvelles allaient vite. Ainsi sa grande nièce, Aélis, était donc arrivée à Lesparre, le fait qu'elle n'ait pas eu de soucis sur les chemins malfamé de Guyenne le rassurait. Son autre nièce, à l'inverse, semblait continuer de sombrer dans la démence même si elle avait des moments de lucidité.

Le chantier. Cela se pouvait-il qu'elle fasse référence aux chantiers des murailles de Bordeaux ? Elle qui avait passé tant de temps à côtoyer le cartel là-bas, se pourrait-il que ça ait une liaison avec sa folie ?


Narvi, vous dites ?

Phillau n'avait jamais entendu ce nom mais même s'il ne connaissait pas tout les membres, il ne lui semblait pas que cela soit un membre du cartel. Quel soulagement que sa petite nièce ne quémande pas la présence d'un brigand durant l'un des pauvres moments de lucidité qui lui restait.

Narvi. S'était-elle éprise de quelqu'un, avait-elle été battue, quel type de personne avait-elle bien pu rencontrer dans ses pérégrinations bordelaises. Tant de question auxquelles Phillau n'avait pas les moindres prémices de réponse.



Lorsqu'elle fait allusion à un chantier, je pense qu'elle parle des remparts. Elle y passait tant de temps

Qui avait-elle bien pu rencontrer ? Phillau se leva, se trainant jusqu'à la large fenêtre, il regarda la cour désespérément vide sans la présence de ses nièces. Qu'il aimerait tant qu'elles reviennent ici, qu'Elianor se rétablisse et qu'il puisse reparler avec Aélis. Sa grande nièce qui l'avait évité et qui ne lui avait guère laisser de mot depuis leur dispute du GFC.

Vous direz à ma nièce... Vous direz à ma nièce que je suis heureux qu'elle ait pensé à moi pour l'aider. Je retrouverais ce Narvi

Phillau prit congé, il était fatigué


Pascual a écrit:
Bon, on avançait. Doucement, mais on avançait. Le Pascual n'avait toujours aucune idée de qui pouvait bien être ce Narvi, mais au moins il avait une piste à suivre: le chantier des remparts. Le senher Phillau allait sans doute effectuer ses recherches de son côté, compulser ses papiers, chercher peut-être une liste des ouvriers étant intervenus dans la construction des remparts. Toutes choses dans lesquelles il serait certainement fort compétent, et Pascual totalement inutile.

Non, lui, il était homme de terrain. Inutile de balancer bien longtemps donc pour savoir que faire maintenant: il allait faire un petit tour du côté de ces fameux remparts. Qui sait, il y trouverait peut-être, à défaut de celui qu'il cherchait, d'autres indices.


Narvi a écrit:
[Bordeaux, dans un coin d’une cathédrale solitaire]

Les entrechocs sur le dallage résonnent solennellement dans l’église déserte. Accroupi dans un coin, un môme joue tout seul, des cailloux en guise d’osselets. Seul comme à l’accoutumée, l’orphelin sans ami. Il avait d’abord cru s’en faire un, ainsi qu’un protecteur, en la personne d’un chat errant. Mais on le lui avait repris. L’ingrat animal s’en était allé rejoindre sa maîtresse sans un dernier regard pour le gamin qui l’avait nourri. Pas même un peu de reconnaissance du ventre…

La petite bouche laisse échapper un soupir trop grand pour elle, qui emplit la cathédrale d’un écho flûté.

Dépité, il s’était consolé en songeant qu’un chat ne savait ni jouer au ramponneau ni marauder des pommes. Il lui fallait un copain pour ça, un autre gosse de son âge. Malheureusement ceux-ci ne courraient pas les rues. Dans les tavernes les villageoises étaient souvent flanquées de nourrissons, mais Narvi n’avait que mépris pour cette engeance braillarde et vagissante. Et il semblait que les poupons ne dépassassent jamais ce stade. La faute à la mortalité infantile, sans doute.

À l’ouverture de la cathédrale, emballé à l’idée d’inaugurer une ville neuve, il avait pensé y rencontrer d’autres enfants poussés par la même curiosité. Las, encore une fois il s’était retrouvé le seul de son âge. Jusqu’à cette bouleversante rencontre.

Si inattendue au milieu d’un chantier, la blonde enfant était légèrement plus grande que lui, si belle et imposante, malgré la douceur de son sourire, qu’il en avait perdu tous ses moyens. Vêtue comme un garçon, mais un gosse de riche, un nobliot aux braies élégantes et à la chemise brodée, elle l’avait pourtant traité en égal, lui donnant le bras sans façons pour lui permettre de la raccompagner. Ce qui avait clos cette merveilleuse journée. Jamais plus il ne l’avait revue.

Souvent pourtant il était venu rôder devant son hôtel, sans jamais ne serait-ce que l’apercevoir à une fenêtre. L’avait-on punie pour son escapade ? Lui avait-on interdit de revoir ce petit pouilleux ? Ou bien était-ce de sa propre volonté qu’elle l’évitait ? Avait-il gaffé, eu un geste déplacé ? Il déplorait ses manières de gueux, qu’il avait pourtant essayé de masquer en sa présence. Mais chassez le naturel… À coup sûr il avait dû se montrer ridicule et elle ne souhaitait pas s’afficher de nouveau en sa compagnie.

Parmi toutes les suppositions qui lui torturaient l’esprit, une surtout lui était douloureuse.

La belle enfant était en âge de se marier.

Refusant de penser plus loin avant, de lui imaginer un riche et noble fiancé, pis, peut-être déjà un mari, qu’elle aurait suivi dans une lointaine contrée, Narvi lança rageusement les cailloux à travers la nef. Recroquevillé sur lui même, la tête dans les bras, il serra les dents sans pouvoir réprimer un sanglot.


Pascual a écrit:
Dépité, découragé, désemparé, et tout autre qualificatif en "é" qui vous viendrait à l'esprit, voilà ce qu'il était, le Pascual. Cela faisait des heures qu'il arpentait la ville, en vain. Du côté des remparts, il avait fait chou blanc: peu de monde et pas le moindre petit renseignement. Le nom de Narvi ne disait rien à personne,en admettant que les deux ou trois paysans hébétés qu'il avait interrogés aient réellement compris ses questions.

Il n'avait guère eu plus de succès dans les tavernes de la capitale. Un soudard aviné l'avait bien expédié dans l'un des lupanars du quartier des docks, lui assurant qu'il trouverait là-bas ce qu'il cherchait. Doutant fort que la personne que réclamait la duqueseta puisse se trouver dans un lieu de débauche, il s'y était quand même rendu, plus par acquis de conscience que par conviction. Et en avait conclu que la matrone vers qui on l'avait expédiée n'était évidemment l'objet de sa quête. A défaut de Narvi, il était tombé sur "la Marvi" _ diminutif de "maravillosa" _ surnom que la vieille ribaude avait du recevoir dans sa très lointaine jeunesse, avant que le temps ne fasse ses ravages coutumiers. Quand celle-ci eut enfin admis qu'il ne comptait vider ni sa bourse de cuir ni celles de chair, elle le ficha à la porte dans un flot de jurons bien digne des portefaix qui formaient sa clientèle habituelle.

Il se retrouva donc sur le pavé, Gros-Jean comme devant, et repris à pas pesants la direction de l'hostel d'Harlegnan, avec la perspective de se prendre une avoinée corsée lorsqu'il rentrerait à Lesparre. C'est donc avec la vision peu réjouissante d'une Aélis en furie l'agonisant d'injures qu'il traversa la place de la cathédrale. Et s'immobilisa, repris d'un soudain espoir. Après tout.... N'est-ce pas au Très Haut qu'il faut s'adresser en dernier recours? Notre Pascual avait gardé la foi simple du paysan de Navarre, et c'est persuadé de la bienveillance de l'intercession divine qu'il pénétra dans le lieu saint. Sans prêter attention aux silhouettes présentes _ quelques grenouilles de bénitier, un mioche, les habituels mendiants et tire-laines _ il vint s'agenouiller lourdement sur un prie-Dieu, joignit ses paluches et se mit à prier. A haute voix, comme il en avait l'habitude. Les gens de Lesparre avaient beau le moquer pour cela, lui demeurait persuadé que le Seigneur entend mieux vos prières quand vous les faites tout haut.


Ô Très Haut, toi qui nous vois tous, daigne abaisser ton regard sur ton serviteur Pascual. Je t'implore car je ne sais plus que faire Seigneur. Je n'arrive pas à mettre la main sur ce Narvi que je cherche. Et pourtant, notre petite damoiselle le réclame dans ses douleurs, pauvrette qu'elle est. Je t'implore et m’en remets à Toi, Créateur de toute chose. Fais que ma recherche aboutisse, je t'en prie.

_________________
--Narvi


Une exclamation lui fit relever la tête en un léger sursaut.

Ô Très Haut , toi qui nous vois tous …

La voix s’amplifiait en ricochant sur les murs de la cathédrale désertée. Narvi laissa échapper un sifflement agacé entre ses dents. Qui était l’impudent qui venait ainsi troubler son désespoir et, pis, surprendre ses larmes ? D’un pan de chemise sale il essuya celles-ci, sans prendre garde aux grandes traînées grisâtres qu’il laissa sur ses joues.

…daigne abaisser ton regard sur ton serviteur Pascual…

L’enfant eut une nouvelle mimique exaspérée, puis décida de prendre son parti de la présence du trouble-chagrin. Puisque la situation semblait désespérée, il valait mieux penser à autre chose. Il essayait de se raisonner. Si oublier sa petite princesse, l’incarnation de ses rêves de chevalerie et de fin’amor, lui paraissait pour l’instant la plus insurmontable des épreuves, il espérait que le temps lui facilitât la tâche. Pour commencer, il allait quitter la capitale, cette ville maudite où l’espace d’un moment de grâce, il s’était cru dans un conte de fées. Peut-être même lui faudrait-il quitter le duché, son duché natal, pour partir à la découverte du vaste monde qui l’entourait et qui fourmillait sans doute de quêtes en tous genres pour apprentis chevalier, voire de demoiselles en détresse.

…Je t'implore car je ne sais plus que faire Seigneur…

À force d’exhortations, il calmait peu à peu son tourment, et un mince sourire forcé renaissait sur ses lèvres. Il s’obligea à détester Elianor, cette petite bêcheuse qui s’était servi de lui comme d’un jouet avant de l’abandonner à son triste sort et qui l’avait probablement déjà oublié, elle… Mais si elle s’était imaginé que…

Il lui sembla qu’on l’appelait. Par réflexe, il se redressa instantanément.


Oui ?

Mais l’église était vide à l’exception de l’intrus qui continuait à psalmodier dans son coin. Narvi se sentit stupide. L’homme avait dû prononcer un mot qui ressemblait à son prénom, voilà tout. Il avait remarqué que chez les villageois à confesse revenait souvent le nom « Marvi », sans qu’il sache qui il désignait. Sa curiosité aiguisée, il décida d’écouter la suite. Les confessions étaient toujours très amusantes à entendre, bien qu’il n’en comprisse souvent pas la moitié.

…Et pourtant, notre petite damoiselle le réclame dans ses douleurs, pauvrette qu'elle est.

Le cœur du gosse se serra. Sans doute une mourante qui réclamait un prêtre. Il se signa aussitôt et s’approcha à pas feutrés, se demandant à quel point la damoiselle était « petite ». La formule n’était-elle qu’affectueuse, ou désignait-elle bien une enfant ?

Pris d’un doute affreux, il se jeta soudain aux pieds de l’homme.


Qu’avez-vous dit là ? De qui parlez-vous, de quoi parlez-vous ? C’est elle n’est-ce pas ? C'est elle ! Elle va mourir ? Elle ne peut pas mourir ! Je veux la voir, où est-elle, montrez-la-moi je vous en prie !

Emporté par sa fougue il s’était remis à pleurer et inondait les chausses du brave homme.
--Pascual
Ebahi, le garde baissa son regard sur le ptit bonhomme qui s'était brutalement jeté à ses pieds et sanglotait à fendre l'âme. Le Pascual trouvait que c'était là une réaction un peu excessive tout de même. Que le gamin ait entendu sa prière et qu'il compatisse à l'idée d'une enfant malade soit, mais de là à pleurer ainsi...

Bonne pâte, le brave homme n'en répondit pas moins aux interrogations précipitées de l'enfant, se signant au passage à l'évocation de la faucheuse.


Je parle de ma maîtresse, la duchesse Elianor de Vergy, qui est grandement malade, pauvrette.

Mourir? Non, non ! Nous prions tous pour qu'elle ne meurt pas! Mais qui es-tu toi, pour te soucier ainsi de son sort?
--Narvi


La dussèche ?

Bouche bée, il fixait le garde, si stupéfait que ses pleurs avaient immédiatement cessé. La jolie damoiselle serait donc une dussèche ? Bien sûr il la savait de haute condition, et bien sûr il l’avait rêvé princesse, mais de là à l’imaginer remplir si hautes fonctions… Un instant il crut même à un malentendu, pourtant l’homme avait bel et bien parlé d’Elianor de Vergy, le nom sous lequel s’était présenté la blondinette.

Grandement malade ? Qu’a-t-elle donc ? Vous allez la sauver n’est-ce pas ? Dieu ne saurait l’abandonner, elle si jolie, si jeune, si pure…

Sa gorge se serra et il s’interrompit, craignant de se remettre à pleurer devant un inconnu, qui de plus connaissait Elianor et serait à même de rapporter ces sanglots à sa petite maîtresse. Son orgueil de futur chevalier errant l’aida donc à ravaler ses larmes pour répondre aux interrogations du garde.

Je suis…

Mais il s’interrompit de nouveau en se tripotant les doigts sans savoir que répondre. Il était évident que dire son nom n’avancerait en rien l’homme qui n’avait aucune chance de connaître celui d’un petit pouilleux. Alors que répondre, et comment expliquer son affection pour la jeune fille ?

Je suis…

Il n’aurait su non plus se dire l’ami de celle qu’il n’avait vu qu’une fois, et qui sans doute l’avait déjà oublié, sans parler du fossé que creusait entre eux leur différence de condition.

Alors lui vint aux lèvres la réponse la plus juste et la plus sincère qui soit.


Je suis son chevalier servant.
--Pascual
La préoccupation, visible, du mioche, pour la santé de la duqueseta fit chaud au coeur du Pascual qui se sentait du coup moins seul à porter sa peine.

Ce qu'elle a? Eh pitchoun, si seulement on le savait! Même le savant médecin qu'on a fait venir n'a pas su quelle maladie la frappait. Pour lui, elle est atteinte à la tête plus qu'au corps.

Le garde laissa échapper un soupir. Le diagnostic du vieil Hélianthus avait causé bien de l'inquiétude aux gens de Lesparre. Prise à la tête, leur petite damoiselle? Pour tous ceux de la baronnie, ça ne pouvait que faire peur. On se rappelait trop bien les derniers mois de la feue duquessa, mère de l'actuelle, qui avait fini ses jours dans la démence. se pouvait-il que le Très Haut soit assez cruel pour imposer le même sort à la pauvre Elianor? La mesnie entière espérait que non, mais les voies divines sont hélas impénétrables...

Revenant à son vis-à-vis haut comme trois pommes, le garde esquissa un maigre sourire.


Son chevalier servant pitchoun?

L'était attendrissant au fond, ce mioche. Mais, chevalier? Et de leur damoiselle? Alors que lui, toujours sur les terres de Lesparre, ne l'y avait jamais vu. Il était sur le point de se moquer gentiment des rêves du petit traîne-savates, mais une sorte de crainte superstitieuse le retint. Après tout, le môme avait l'air sincèrement inquiet. Se pouvait-il que....Ce serait trop de chance! Le garde tenta quand même son va-tout et posa la question qui lui brûlait soudain les lèvres.

Mais dis-moi petiot, comment on t'appelle toi?
--Narvi


« Pitchoun »… L’appellation, aussi affectueuse soit-elle, le blessa. Il était clair qu’une dussèche n’avait aucune raison de se préoccuper d’un « pitchoun ». Pourtant la suite des paroles du garde lui fit bien plus mal. Il ouvrit de grands yeux terrifiés.

Atteinte à la tête ?...

Il revoyait les corps épars près des remparts bordelais, certains la tête transpercée d’une flèche, d’autres le crâne défoncé, pour quelques uns même la tête arrachée ou tranchée… Il frissonna et tâcha de se raisonner. Ce ne devait pas être le cas d’Elianor, sans quoi le médecin aurait tout de suite compris l’origine de son mal. Il avait sans doute voulu dire qu’elle avait des migraines, ou bien de la fièvre, ou encore… La petite bouche se tordit en un rictus d’angoisse. Ou encore que la jeune fille était devenue folle. La vision fugitive d’une Elianor échevelée, la bave aux lèvres et les yeux hagards, lui traversa l’esprit. Secouant la tête il se remit à pleurer.

Et le garde, en l’appelant de nouveau pitchoun, ne fit qu’accroître sa peine. Manifestement il ne croyait pas à son statut de chevalier servant, et ne se retenait qu’à peine de se moquer de lui, ce sans doute uniquement par égard à la maison du Très-Haut. L’enfant baissa le menton en hoquetant et ses larmes inondèrent sa chemise.

Oui m’sire, son, son chevalier servant ! Quoi… Quoiqu’on puisse penser j’serai toujours, toujours là pour elle ! J’l’abandonnerai jamais, jamais, même, même si elle veut pas d’moi et même… même si elle devient folle ! On m’appelle Narvi, m’sire, Narvi de Marmande…
--Pascual
Narvi? Narvi? Etait-ce possible, une telle chance? Diu vivan! Le Pascual en aurait bondi de contentement, n'eut été le saint lieu où il se trouvait. Abattant sa poigne sur l'épaule du gamin, il laissa libre cours à sa joie.

Narvi hein? Bénis soient le Très Haut, ses prophètes et tous les saints du paradis d'avoir entendu ma prière! Sais-tu que je te cherche depuis des heures pitchoun? Oui-da! On pourra dire que tu m'auras fait courir, Narvi de Marmande!

Serrant toujours, avec affection désormais, l'épaule du môme, le garde reprit cependant un air plus grave pour expliquer la raison de ses recherches.

Notre duqueseta t'a appelé dans son délire... A plusieurs reprises, elle a prononcé ton nom. Seulement voilà, personne au castel ne le connaissait, ton nom. Alors la damoiselle de Beaulieu, la tutrice de notre pichona senhora, m'a envoyé à ta recherche. Il faut que tu m'accompagnes pitchoun... On ne sait plus quoi faire pour sortir notre damoiselle de sa langueur et de ses fièvres...On sait juste qu'elle te réclame... Si tu le veux, je t'emmène sur le champ la voir, à Lesparre...
Eloin
[Lesparra, chambre baronniale]

Une veille, longue, ardue et lassante s'estoit dès lors organisée au castel entre la blondinette damoiselle de Beaulieu et la brune dame de Chérancé. Dès que l'une avoit un empeschement ou se trouvoit trop fatiguée pour assurer la veille de la jeune baronne, l'aultre prenoit le relais, parfois -mais rarement, tant elles rechignoient à laisser cette tasche à une simple meschine- elles laissoient leur place à une servante de confiance, essentiellement à la vieille Margaux, ancienne suivante de la duchesse.

Nulle amélioration n'estoit à noter, malgré la présence constante de quelqu'un à proximité immédiate de Boucles d'Or, si ce n'estoit quelques mouvements de la teste et quelques paroles incompréhensibles. Le nom du jeune roturier revenoit souvent, assez pour qu'Aélis envoie Pascual chercher l'enfant à travers la cité bordelaise. Initiative à laquelle la jeune mère avoit aquiescé en silence, partageant l'inquiétude et les questions que se posoit la blondinette.

Cet accès de folie luy rappeloit oh combien, et point seulement à elle, les derniers jours de la duquessa, alors que son esprit estoit totalement en proie à ces démons qui luy avoient pris toutes ses forces et sa joie de vivre, pour finir par luy oster la vie et faire d'un tout jeune fils un orphelin qui jamais ne pourroit cognoistre sa maternelle.
Lors, tous ou presque se demandoit, au seing du castel médoquin, si la petite n'estoit point atteinte du mesme mal que sa mère, et si la folie n'alloit point l'emporter dans la mort tel ce qui estoit survenu à la ducale navarraise quelques mois auparavant. Le diagnostic du vieil Hélianthus estoit loin de les rassurer, et, pour sa part, ses cognoissances en médecine se résumoient encore à quelques minces enseignements de l'ordre lescurien, en faict, rien qui ne puysse réellement l'aider en ce présent cas.

Alors on attendoit le retour de Pascual avec ce petit, tel un messie escorté de son apostre, parce que chacun savoit, au fond, que le salut de la duquesseta résidoit dans la voix de cet enfant pour le moment inconnu de tous...

_________________
--Narvi


L’enfant se passait la main sur un front où perlait la sueur. Tout s’embrouillait, il n’était plus sûr de n’être pas en train de vivre une espèce de mirage provoqué par l’inhalation des vapeurs d’encens. La jolie princesse dont il avait tant rêvé, et qu’il avait cru perdre, lui était enfin redonnée… Qui plus est, saisie de fièvres, c’est lui qu’elle appelait à sa rescousse. Elle avait donc bien remarqué sous ses guenilles l’étoffe du chevalier errant en devenir.

Se sentant beaucoup plus invincible tout à coup, il redressa le menton, ravala ses larmes, qui ne convenaient pas à sa nouvelle carrure. Il ouvrit la bouche pour répondre à la proposition de Pascual, mais sa gorge nouée par l’émotion ne laissa passer qu’une sorte de couinement dont il rougit violemment.

L’étoffe était déchirée. Honteux, il décida de se réjouir qu’au moins Élianor n’eût pas été témoin du grotesque piaulement. Un toussotement lui éclaircit la voix.

Oui !! Oui. Je veux.

Affirmation appuyée par force hochements de tête chevalins.
--Pascual
Le basque ne perdit point de temps. A peine le marmouset avait-il acquiescé que la solide poigne du soldat l'entraînait, vivement mais sans rudesse, vers la sortie de la cathédrale. Il ne leur fallut guère de temps pour traverser la place et gagner l'hostel Harlegnan où le garde de faction laissa entrer Pascual sans difficulté, mais non sans jeter un air surpris au galapian qui l'accompagnait. Surprise dont le Pascual n'avait cure en se dirigeant vers les écuries. Sa seule idée était de gagner Lesparra au plus tôt maintenant qu'il avait accompli sa mission. Se mettant prestement en selle, il hissa Narvi à sa suite sur sa solide monture. Tâche aisée: le galopin ne pesait guère lourd. L'ayant juché à califourchon devant lui, il sourit et lui demanda en riant tout en se dirigeant vers la sortie de la ville.

Alors pitchoune, comment te semble la ville vue de plus haut?

Ils sortirent de la cité par la porte Médoque et longèrent le fleuve pour remonter vers le nord de la presqu'île. Pascual était heureux de retrouver les vastes étendues du Médoc, qu'il se fit un plaisir de commenter à son jeune compagnon à mesure qu'ils avançaient.

Là pitchoune, c'est Blanquefort. Une fière citadelle, le verrou du Médoc. Et puis regarde le fleuve, comme il est parsemé d'îles:île Verte, Margaux, Cazaux, et plus loin Beychevelle et Patiras...

Ils parcoururent plusieurs lieues en silence avant que le basque ne reprenne la parole tandis qu'ils bifurquaient vers l'intérieur des terres, laissant le fleuve derrière eux.

Ca pitchoune, ce sont les terres de Saint Estèphe. On va devoir les traverser pour atteindre Lesparre mais rien à craindre: le seigneur Gil Galad est vassal de notre petite demoiselle.

Encore quelques lieues et le soldat se redressa, fier comme si ce qui s'étendait à perte de vue devant eux lui appartenait. C'était un peu le cas d'ailleurs: il servait la famille depuis si longtemps qu'il se sentait ici chez lui.

Nous y voilà! Ici commencent les terres directes de Lesparre.

Lesdites terres montraient bien peu de culture. Le Médoc était terre de pacages, de forêts dont les pins et les chênes se dressaient fièrement à l'horizon, et bien sûr de vignes qui produisaient le plus gros du revenu du domaine.

Sous peu, nous atteindrons le castel. Mais je te préviens chevalier, avant de voir ta dame, tu vas devoir affronter sa tutrice, et la soeur de notre duqueseta n'est pas commode: elle tient de sa défunte mère...

Placé comme il l'était, le galapian ne pouvait pas voir le sourire qui accompagnait ces paroles. Le Pascual noircissait un peu le tableau, la jeune Harlegnan n'ayant tout de même point pour habitude de manger les enfants. Mais enfin avec elle, on ne pouvait jamais deviner l'accueil qu'on allait recevoir.
--Narvi


Les petits pieds décollèrent brusquement du sol entrainés par l’élan du soldat. La menotte perdue dans le poing calleux qui l’agrippait, Narvi volait presque derrière lui, ravi de l’aventure et de la perspective de revoir Elianor. Il reconnut bientôt la façade devant laquelle il l’avait vue pour la dernière fois : celle de son hostel, qui l’avait tant impressionné, et dans lequel on le laissait à présent librement entrer. Devant ces magnificences, l’enfant peinait à garder la bouche fermée, et à peine eut-il réussi à la clore dignement qu’il dut la rouvrir pour marquer son admiration face aux écuries.

Ooh. Des ch’vaux.

N’allez pas le prendre pour un ignare, il en avait certes déjà vu, mais jamais d’aussi beaux et près à la fois. Sans lui laisser le temps de les admirer, Pascual le hissa sur l’un d’eux, et le gamin crut toucher le ciel. Ayant pris place derrière lui, le garde éperonna en riant de son éblouissement.

Alors pitchoune, comment te semble la ville vue de plus haut?

Sans même relever le « pitchoune », Narvi répondit par un sourire béat.


Belle ! Si belle...

Il se sentait des ailes. Il volait, ou presque, à califourchon sur la bête il faisait deux mètres, il était grand, il était fort, et il était amoureux.

Les joues rouges d’émotion, il sentait son sang y cogner, écoutant distraitement les commentaires géographiques de son compagnon de voyage, qui soulignaient l’exotisme de l'équipée : île Verte, Margaux, Cazaux, Beychevelle, Patiras... Autant dire Thulé, Cocagne, Atlantide, El Dorado… Enfin ils atteignirent Lesparre. À son évocation, le ventre du gamin se contracta brièvement. Dans sa tête résonnait la voix de sa demoiselle :


« Là où j'habite, quand je ne suis pas à Bordeaux, ça s'appelle Lesparre… »


Depuis leur rencontre, Lesparre avait symbolisé l’inaccessible étoile qu’il ne connaîtrait jamais. Et le voilà qui foulait, non de ses propres pieds, certes, mais par le biais des sabots de sa monture, le sol tant fantasmé. Les paroles du Pascual ne firent qu’ajouter à son euphorie : une tutrice revêche à affronter ? Enfin il allait pouvoir casser du dragon ! Et faire étalage de sa vaillance et de sa bravoure devant la belle damoiselle…
Ilargia
Chambre baronniale

Donzelà? Un cavalier approche...

Le chuchotis de la servante tira la blondinette de sa semi-torpeur. Un cavalier? Le Très Haut serait-il finalement assez miséricordieux pour qu'il s'agisse de Pascual? Et pour qu'il ait rempli sa mission? La jeune fille n'osait y croire, tant elle craignait que ce fragile espoir ne vole en éclat, lui aussi. Tout comme celui qui les avaient agité quelques heures auparavant. Echappant à leur surveillance,le demi-Louvelle avait attrapée sa demi-soeur anémiée et délirante, et s'était mis à la secouer sans ménagement. Et lorsque contre toute attente, Boucles d'Or avait ouvert les yeux sous ce traitement, la blondinette s'était trouvée à deux doigts de crier au miracle!

Le miracle hélas, n'avait guère eu de suite. L'enfant, certes avait cessé de délirer à voix haute. Mais elle n'en était pas guérie pour autant. Au grand désespoir de sa tutrice et d'Eloin, elle s'était depuis enfermée dans un mutisme qui les effrayait presque plus que ses élucubrations précédentes. Allongée toute la journée, sans force, les yeux ouverts sur un affreux regard vide qui ne s'animait quelque peu que lorsque Faran se trouvait à ses côtés, Boucles d'Or semblait décider à se laisser mourir à petit feu, et son aînée perdait espoir d'heure en heure. La petite avait eu tous les soins possibles, sans aucun résultat. Comment croire encore à l'impossible? Comment se raccrocher encore à la mince idée qu'un parfait inconnu, quand bien même on parviendrait à lui mettre la main dessus, réussirait à la sortir de cette langueur? Emportée par un reste de volonté, la blondinette se résolut tout de même à gagner la cour pour accueillir ce fameux cavalier, laissant Elianor à la garde vigileante d'Eloin, à laquelle elle adressa un pauvre sourire avant de sortir.


Basse cour du castel

La blondinette plissa les yeux sous l'assaut du soleil et fixa son regard vers le châtelet d'entrée et la silhouette, grandissante, qui s'en approchait. Lui! C'était bien lui! Le dévoué Pascual! Dévorée d'impatience, l'Harlegnan ne put se retenir davantage et fonça à la rencontre de la monture, trépignant d'impatience de savoir si le Basque avait trouvé ce qu'il cherchait.Visiblement oui, à en croire le sourire qui ornait sa trogne!

Adiou Pascual! Alors, l'as-tu trouvé?

Oui-da donzelà, avec un peu de peine et beaucoup de chance, mais je l'ai trouvé! Je vous présente Narvi.

Le garde désigna de la main la silhouette juchée devant lui sur sa monture, et à laquelle la jeunette n'avait jusque là pas prêté attention. Ramenant son regard sur le gamin, elle laissa échapper un hoquet de surprise

C'est... C'est lui Narvi?? Mais... Mais ça n'a pas de sens enfin! Pourquoi diable Elianor réclamerait-elle depuis des jours un... un... un petit loqueteux comme lui??
_________________
--Narvi


Une jeune nobliote, qui à l'enfant parut vieille par comparaison, se précipita à leur rencontre. Le Basque lui sourit et, l'air satisfait de lui-même, lui présenta Narvi. Celui-ci se redressa fièrement, heureux de se sentir attendu et euphorique à l'idée que sa belle était toute proche à présent. L'espoir peint sur le visage, la dame tourna ses regards vers le môme, qui vit l'expression de confiance et de joie réservée aux messies se muer immédiatement en un mélange de surprise et de dégoût.

Profondément vexé par les paroles qui appuyèrent sa réaction, il plissa les yeux en une mimique défiante, concluant en son for intérieur qu'il ne se pouvait agir que de la fameuse sœur "pas commode" moquée par le cavalier. Aussi, se tournant vers lui, il chuchota de manière assez audible pour être entendu de la "vieille" :


Alors c'est ça, le dragon ?

Aussitôt les paroles échappées d'entre ses lèvres, il s'en repentit. D'abord pour avoir manqué de respect à la parente de son aimée. Ensuite parce qu'il craignit que cette saillie l'empêche finalement de la voir. Il eut une brève vision de la dame échevelée et hystérique le rouant de coups d'éventail avant de le faire mettre en pièces par ses chiens.

Le menton tremblant, il songeait au moyen de se sortir de ce mauvais pas. Quoique gêné par la tête du cheval, il s'efforça pour commencer de se plier en une profonde révérence, déjà expérimentée avec succès auprès d'Elianor. Puis relevant la tête, il baissa les yeux dans l'attitude modeste qui seyait à sa condition.


Le bonjour damoiselle, si j'en crois mon compagnon de voyage je suis attendu ici. J'aurais voulu voir Elianor, et vous-même dites qu'elle me réclame...

Lui revinrent aux lèvres les paroles qui avaient su attendrir Pascual.

Chuis son chevalier servant, damoiselle.
Ilargia
La blondinette s'empourpra de colère. Loqueteux, et insolent de surcroît! C'était un comble! Assurément, il ne pouvait s'agir de la personne réclamée par Boucles d'Or. Elle se trouvait certainement devant un rusé garnement qui avait du profiter de la naïveté de Pascual pour s'incruster sur les terres de Lesparre, espérant sans doute y trouver pitance. Ou y faire quelque volerie. Et bien il allait être déçu, le moutard! La jeunette posa ses deux poings sur ses hanches et foudroya l'insolent du regard. Déjà, elle ouvrait la bouche pour ordonner à Pascual de ramener ce misérable miséreux dans la fange où il avait du le trouver. Mais le gnome la devança en reprenant la parole le premier et en adoptant, habilement, une attitude nettement plus déférente qui adoucit quelque peu l'humeur de la blonde.

Celle-ci restait néanmoins méfiante. Elianor? Il se permettait de l'appeler "Elianor"? De la nommer par son seul prénom quand un gouffre séparait sa duchesse de frangine de ce petit mendigot? Il ne manquait pas d'audace, ce manant! Foutredieu, si c'était bien là le Narvi qu'elle appelait, qu'est-ce qui avait bien pu passer par la tête de Boucles d'Or pour qu'elle se lie avec un gueux? Elle coula au garçonnet un regard suspicieux. Serait-ce donc de la naïveté de sa jeune demi-soeur qu'il aurait abusé, et non de celle du Pascual?


Chuis son chevalier servant, damoiselle.

Et là, la blondinette comprit tout. Evidemment. Si le loqueteux jouait au chevalier, elle voyait tout de suite mieux ce que sa soeur à la tête farcie de romans courtois lui avait trouvé. Elle imaginait d'ici Boucles d'Or jouant à la princesse de conte, ravie de l'aubaine. Elianor n'avait jamais été entourée que de vassaux bien plus âgés qu'elle, ou du mini-Louvelle bien plus jeune et qui ne semblait guère enclin à jouer auprès d'elle les nobles soupirants. Qu'elle croisât un gamin sensiblement de son âge et prêt à endosser le rôle, et bien sûr, elle aurait balayé négligemment son habituel mépris pour les roturiers...

Elle examina à nouveau, plus attentivement et plus objectivement, l'apprenti damoiseau. Certes, elle comprenait à présent pourquoi il avait pu marquer la mémoire de la petite malade. Mais que pourrait-il bien faire pour la guérir de son étrange mal, quand les meilleurs mires et les soins les plus attentionnés avaient été inutiles?

"c'est à la tête que cette petite est atteinte".

Les paroles du vieil Hélianthus lui revinrent soudain en mémoire. Marquée, comme tous ceux de la mesnie, par la démence qui s'était emparée de la défunte matriarche, elle avait craint que le même mal ne frappe aujourd'hui la benjamine de la famille. Et cette crainte l'avait tenaillé à tel point qu'elle n'avait finalement pas songé à chercher une autre cause au mal. Jusqu'à maintenant. Car en cet instant, face à ces histoires de chevalier, de dragons et de damoiselles en détresse, elle entrevoyait une possible explication. Ca n'était pas la folie maternelle héritée qui frappait Boucles d'Or. C'était le choc entre le monde de rêveries et de romans où elle avait vécu jusqu'alors et le monde bien réel des fourbes, des menteurs, des guerres, de la misère, qu'elle n'avait pas supporté. La petite dernière couvée, surprotégée, et de ce fait ignorante avait dû tomber de bien haut en réalisant ce qu'était le monde hors des murs de Lesparre...Elle en était problement tombée malade et s'était raccrochée à ses rêves d'enfant, où figurait certainement le jeune Narvi. Voilà pourquoi elle le réclamait. Voilà aussi pourquoi il pourrait peut-être la sortir de sa langueur. Seulement... Seulement le remède ne serait-il pas pire que le mal?

L'Harlegnan se décida d'un coup. Tout plutôt que de laisser sa soeur continuer à dépérir à petit feu.


Pascual! Aide-le à descendre je te prie.

Sitôt l'enfant à terre, elle lui fit signe de la suivre.

Allons Lancelot, viens avec moi. Je t'emmène voir ta dame.

Et de s'engouffrer à l'intérieur du castel, de traverser salles et couloirs ornés de tentures, de blasons et de meubles précieux, jusqu'à la chambre de la miniature ducale. Pousser la porte qui s'ouvre sur le navrant spectacle d'une Elianor, si frêle sous les édredons de plumes, pâle, silencieuse. Une Elianor qui ne tourne même pas les yeux vers eux, son regard inexpressif restant fixé sur le ciel de lit.
_________________
--Narvi


Lancelot… Malgré le ton ironique, le surnom était une sacrée promotion au regard des « pitchoune » du Pascual. L’enfant aurait préféré être rebaptisé Keu, mais enfin on ne peut pas tout avoir. Et l’essentiel pour l’heure était d’avoir triomphé de la dragonne, qui lui accordait la permission de voir sa princesse. Il la suivit donc en trottinant allègrement dans des enfilades de salons surchargés de tentures et de tapisseries, glissant sur les parquets et les carrelages. Son visage avait pris l’air blasé que sa fierté le poussait souvent à adopter dans des circonstances analogues quoique jamais si impressionnantes. Les yeux mi-clos, il se retenait de laisser errer son regard sur les broderies et les ornements, un regard apparemment indifférent et qui seyait mal à son caractère, au contraire prompt à s’émerveiller de tout. Mais puisqu’on l’avait traité de loqueteux, il mettait un point d’honneur à rester de glace.

Glace qui fondit brutalement à son entrée dans la chambre ducale. De l’amas d’édredons émergeait la frimousse chérie, où la craie avait remplacé la rose. S’approchant à pas timides, il observa les joues pures et naguère rebondies, creusées par le jeûne, les yeux verts enfoncés dans les orbites, rivés au plafond. L’enfant lui parut toujours aussi belle malgré la maladie, mais d’une beauté douloureuse, qui lui crispa le ventre, la beauté immuable et morbide d’une statue.

Il voulut raviver le sang de ces joues pâles, la flamme de ces yeux morts. Sa science des contes et légendes ne lui fut pas d’une grande aide quant à la marche à suivre. Il hésitait, se balançant d’un pied sur l’autre. Tantôt il fallait embrasser la princesse, tantôt l’enfermer dans un cercueil de verre avant de le jeter par terre, tantôt la pousser vivante dans la fournaise… À la réflexion le plus réalisable était de l’embrasser. Seulement… Jamais il ne s’en serait senti le courage. À plus forte raison sous le regard malveillant d’un dragon.

Pourtant les petites lèvres ourlées, pâlies, mais d’une douceur de pétale, lui étaient une terrible tentation. Il se pencha au dessus de son visage, la main levée comme pour le caresser mais sans oser y toucher. Dans l’air il en traça le contour, dessina la bouche et les hauts sourcils avant de se perdre dans les cheveux. Un rire nerveux le prit à la gorge. À la fois profondément ému par l’intimité de la situation, affligé par le triste spectacle de sa princesse malade, et terrifié à l’idée de perdre à nouveau, il laissa échapper un hoquet dont l’incongruité l’horrifia.

Alors le rire réprimé éclata, traversa malgré lui le petit corps qui se tordait et se convulsait sous son effet. Jusqu’aux larmes, dont une perla à son menton avant de tomber sur la bouche d’Élianor.
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