Deux adultes, trois gamins, des milliards de possiblités...

Ilmarin

Ni le premier, et encore moins le dernier. Encore un voyage, plus ou moins chargé, plus ou moins en catastrophe. Le train fut soutenu, il fallait arriver avant les premières neiges.
Et les premières neiges tombèrent sans égard pour la petite caravane.

Reprenons.
En tête de colonne, deux gamins, montés sur leurs poneys. Enfin gamins...
L'un est un garçon, d'une douzaine d'années, peut-être, blond aux yeux verts, se dirigeant vers l'adolescence avec une tranquilité contrastant avec sa recherche permanente du coup fourré. Sous la cape de laine épaisse et les vêtements de toile un peu étriqués, une cicatrice barre son flanc gauche. Si jeune et déjà marqué. Vaillamment. Par la défense d'un de ses loupiots que sa Daronne lui confie régulièrement.
L'autre est un presque garçon, de peut-être cinq années son cadet, allez savoir. Une petite fille cachée sous des frusques du sexe opposée au sien, trop grandes car héritées du compagnon précédemment décrit, brune aux yeux verts elle aussi, les cheveux courts, la langue un peu trop pendue ces derniers temps. Un de ces loupiots confiés à la Daronne.

En suite de colonne, sur un frison noir dont c'est sûrement le dernier voyage, la matriarche du lot. Une Dame de Saint-Front-d'Alemps, fille adoptée d'Azayes, fiancée du Grand Maître de la Licorne, du Loup de Delle; sa blondeur et ses yeux émeraudes en feraient la mère parfaite pour les deux clowns la précédant, mais elle n'est que leur patronne. Son dos un peu trop raide, sa main droite gantée sont autant de marques visibles de son passé mouvementé; les fines rides apparaissant au coin des yeux et sur les plis de sa bouche quand elle sourit sont autant de marques du temps passé et des inquiétudes diverses et variées.

En arrière, un garde aux armes de Delle qu'elle avait contacté quelques jours plus tôt pour les rejoindre en cours de route, trainant deux autres canassons. C'est que le départ de Millau se voulait non définitif mais certes très long et elle avait tenu à emporter "quelques" affaires.

Son coeur s'emballait à mesure que l'embranchement approchait. Bien cachée sous sa capuche pour lutter contre le blizzard qui se levait, elle reconnaissait pourtant la route sans erreur.

Allez Amrod... Nous y sommes presque... Quelques carottes, du foin bien chaud et tu resteras à te reposer...

Son talon s'enfonce doucement dans le flanc de l'animal, mais par pure routine. Il avait déjà lancé un petit trot pour rattraper les gamins et la mettre à leurs hauteurs.
Haussant le ton pour se faire entendre dans le chant de la brise, elle se tourne vers les deux monstres. Mouais... A la mine de Luthi, la conversation devait pas être innocente...

- On arrive les mômes, faut tourner au prochain carrefour.
- Yep Daronne. J'ai hâte d'être arrivé, mes panards s'changent en comme t'as dit là; en cons qui gèrent.
- Luthi! Congère! Ce sont des congères, comment je dois te le dire!
- En l'chantant Daronne? Eclat de rire du gamin. Au moins, le froid semble pas trop le toucher. Vu où elle l'a trouvé, elle devrait même pas être étonnée...
- Je dois vous répéter les règles de Delle?
- Daronne... Soupir exaspéré. Pas comme si elle l'avait matraqué cent fois. Pas de bruit vers leurs appartements, pas de bêtises dans la cour, pas touche à la forge. Et comme d'hab, pas s'faire chopper par les adultes. C'bon, je con gère.
Sourire niais qui enchaine. La Panthère lève les yeux au ciel. Pas la peine d'insister. Ce sera l'horreur. Elle préfère même s'éloigner, elle s'était jurée de ne pas rire à ses aneries devant lui, histoire de pas l'encourager. Même si quelque chose lui dit que c'est raté.

- M'demande ce qu'elle nous cocote la Daronne... Nan 'ttend. C'pas le bon mot. Comment qu'elle dit d'jà. Ah ouais. Concocte.
Regard suspicieux vers sa voisine. Sa petite voisine. Il en a des amis, plus ou moins de son âge, qu'elle lui a collé dans les pattes. Adrian est le plus ancien, dont il n'a plus de nouvelles depuis plusieurs mois. Tristan et Lucas à Millau. Mous' maintenant.
P'tite Mous. Bien sûr qu'elle est sous sa surveillance. Nan nan pas elle. Il. Mous' est un p'tit gars, comme lui. Y'a que Daronne et lui qui savent; sachent? sachions? 'fin un mot bien compliqué de la langue d'oil qu'elle lui apprend quoi. Mais l'aime bien cte môme. Elle a de l'avenir à la Cour. Nan, pas la Cour. C'plus son avenir à lui là-haut. L'a de l'avenir avec eux. Pourvu que Daronne la garde comme page encore un bout...
T'as vu son sourire quand j'ai d'mandé ce qu'on allait faire là-haut? Y'a du louche. Moi j'te l'dis.
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Laïs

Pitchounette qui frissonne.
Le chaperon presque vissé jusqu’aux yeux, la capuche enfoncée sur la tête, elle a l’air d’un sac à patate. Faut dire elle est pas habituée… quand on est née en Languedoc et qu’on a vécu en Guyenne, le froid comme ça, c’est pas le truc qu’on côtoie. Même en hiver. Alors là sur son canasson demi portion, elle fait pas la fière. Ses menottes sont blanches comme de la craie et les rênes, ben elle a just’ l’impression qu’ils lui rentrent dans la peau même à travers les épais gants de cuir qu’elle porte.

Just’. En exagèrant pas du tout… Comme qu’elle dira pas qu’elle a râlé comme une voleuse (intérieurement hein pas folle la p’tite Mous’) quand la Daronne a voulu l’emmitouflée comme une saucisse, en lui mettant elle-même le chaperon sur la caboche après avoir assisté droite comme un giber d’potence, à l’habillage de la môme. Epaisseur des chausses, surchausses, chemise, doublet en laine dont la Daronne a attaché elle-même les aiguillettes bien serrées comme il faut, petite houppelande de page dessus, puis ledit chaperon et pour finir la lourde cape en laine… tout était passé au crible par l’œil de la Daronne qui avait permis aucun écart. Ça avait été laborieux et un peu bizarre surtout à cause de la droite gantée de la dame, que Laïs savait toujours pas pourquoi elle la cachait.
Bref au final, c’est un saucisson, la Laïs, un p’tit pâté en croûte de laine comme avait dit Luthi hilare pendant toute la séance essayage. La pitchounette avait fusillé du regard l’Allongé en se mordant la joue pour pas lui dire d’aller voir chez les bretons si elle y était. Puis elle était vexée… vertement vexée… l’était pas une poupée, foutredieu de pute vérolée (ça c’est Luthi qui lui a appris et elle trouve les mots claaaaaaaaaaaasses !). Elle est un p’tit mec, merde, et elle est plus un bébé. Et l’aut’zouave qui s’marre et qui fait mine de sucer son pouce. Qu’elle te lui en aurait collé une à lui en décrocher son sourire narquois… avant de partir en courant. Ouais parce qu’elle est pas branque, elle sait très bien qu’il s’y connaît bien plus en torgnoles l’Allongé…. Mais ouvrir sa trogne, c’est s’exposé à la soufflante de la Daronne et elle sait qu’c’est pire que les railleries de Luthi. Alors elle encaisse la pitchounette, elle encaisse, écarlate, la bouche pincée et les poings serrés en rêvant de lui en écraser un sur la figure.
Elle a pas eu besoin la pitchounette de s’battre contre le jobastre… une fois que Daronne a arrêté de la triturer dans tous les sens à force d’enfiler des gailles, elle s’est tournée vers l’Allongé qui en a perdu et son sourire et son air malicieux. Elle avait pu lire, Mous’, dans les yeux d’son compagnon d’entourloupe. Non…. Non…. Noooooooooooooooooooooon ! Et si, pauv’naze, toi aussi t’vas t’faire saper, et j’doute que ça t’plaise… p’tite brunette qui reste là avec un sourire en coin, les bras croisés, à regarder l’Allongé avec toute l’ironie de ses yeux verts, qu’elle se fout d’lui sans rien dire… même pas b’soin d’user d’la salive pour lui. Sait très bien c’qu’elle veut dire… d’ailleurs à son tour de tirer la tronche et de grommeler à travers ses émeraudes tout c’qu’il sait à son encontre. Na… bien fait…

Du coup l’voyage il commence bien pour la Pitchounette. Malgré le froid et les frissons passagers. Elle est sur son poney dont les crins la chatouillent tellement la soufflante du nord les harcèlent. C’est rigolo d’ailleurs. Elle fait des grimaces à Luthi (faut pas changer les bonnes habitudes) et s’fout d’sa gueule pendant tout le début du périple. P’être un peu trop même… parce que l’Allongé l’est vexé. Même pas une bonne volée d’mots pour la r’mettre en place. Même plus d’torsions d’bouches ni d’regards de travers… y a même plus de regard du tout… Pitchounette qui s’inquiète du coup. L’Allongé l’a d’l’humour pourtant. L’a mal pris là… suceptible… j’vais t’la faire passer l’envie d’faire la gueule ou j’vais t’donner une bonne raison moi…. Moustique qui prend du retard petit à petit… lent’ment sans en avoir l’air… et hop en vitesse hors champs d’vision du larron, on s’empare d’un paquet de neige ramassé sur le muret qui jouxte la route. Un, deux, trois… puuuuuuuuuuuuuuull ! Objectif atteint capitaine, head shot ! Un beau lancé en cloche qu’il lui est atterri sur la tête à Luthi, dans un bruit savoureux de fruit pourri qui s’écrase… roh la tronche ! Pitchounette qui part d’un fou rire cristallin qui doit résonner bizarre aux oreilles de l’Allongé qui virent aux rouge. Qu’elle en chiale en plus la brunette à se bidonner à en tomber sur le poney… sauf qu’elle en oublie d’lire c’qu’il pense dans ses yeux de larron… « Alors là, ça va être la guerre. Un coup d'oeil en arrière, Daronne bouge pas un arpion. Elle sourit même. Oh? Sérieux? Je peux la poutrer sans que tu m'sautes sur l'poil? Banco! Rester sage. S'tenir bien droit. Ne pas réagir. Ralentir aussi, tout doucement… »

Et ‘ffectivement il ralentit pendant que la pitchounette s’marre…. Et de se mettre à sa hauteur
Et de prendre un air perplexe, ennuyé, passant de droite à gauche comme si quequ’chose tournait pas rond, et de faire la moue… Pitchounette qui s’penche, qui r’garde et qui s’interroge… qu’est c’qu’il mijotte l’Allongé ? Et qu’il s’met à gueuler en montrant par terre d’un doigt accusateur…

Darooooooonne! J'crois que le canasson l'a un souci à la patte. Mate donc!

Hein quoi ? Qu’elle a rien senti ! P’tain non pas à pied… peut pas lui faire ça l’canasson… pas possible… et qu’elle se penche pour regarder, tirant sans attention sur les rênes. Et qu’le poney il fait des ronds… pas pratique pour mater le ‘blème…

Fais don'mater l'moustique, t'as le cul plus lourd qu'une barrique pour qu'il boite comme ça....

Regard furibond au larron qu’se marre et qui s’penche …

Que t’as vu le tien ? Si j’suis une barrique toi t’es un tonneau ! C’est la cave qui s’fout du cruchon !

Sauf que pendant qu’elle râle la pitchounette, s’est baissé l’Allongé… et que quand il s’relève, elle a pas le temps d’esquiver quoi que ce soit.

Banzaiiiiiiiiiiiiiiii!!

Vlan. Un paquet blanc lui arrive dans la tronche et ça pique, p’tain la neige en pleine face. Et puis ça s’fout dans les tissus et ça descend dans le col du doublet et de la chemise… froiiiiiiiiiiiiiiid ! L’est furieuse la pitchounette, furieuse ! S’est faite avoir comme un bleuet… rageusement elle efface les traces de neige et cherche de ses émeraudes orages l’autre naze qu’a fait ça… l’est parti au galop !

Luthiiiiiiiiiiiiii ! R’viens ici si t’es un homme !

Et d’piquer des talons pour le suivre… et ce bougre il cavale comme si l’Sans nom voulait lui piquer ses arpions…

Moi? Un homme? Nan nan, chuis un Courien qui veut vivre!

Et qu’ils cavalent les morveux… la neige vole sous les sabots… l’vilain courrien qui s’planque derrière un talus… rah le fourbe… elle arrête son cheval la pitchounette et en saute au bas plus vite que jamais pour s’cacher derrière… s’ensuit c’qui devrait s’ensuivre… ça vole pire que les flèches à Azincourt… que la pitchounette fait une charge héroïque vers le talus en s’en prenant plein la tronche… et qu’elle saute sur le Loupiot pour un rouler bouler dans la poudreuse avant que….

Ça suffit !

Elle décolle du sol suspendu par la main d’la Daronne… et zut… Luthi pend au bout de l’autre bras… s’font passer une gueulante mémorable et un averto comme quoi zont pas intérêt de moufter sur l’fait qu’il fait froid et qu’ils se les gèlent…
Remontée express sur les poneys… et sourires en coin… t’as gagné une bataille mais pas la guerre… t’perds rien pour attendre… ils se tiennent à carreaux les deux compères ceci dit, chevauchant côte à côte en s’baffouillant deux trois trucs à voix basse. Luthi qu’il lui fait l’topo des lieux, les coins à fouiner, ceux où s’cacher… la pitchounette interroge, imagine, trépigne sur sa selle… c’est bon d’voyager au grand air en pensant aux lendemains qui semble chanter dans c’château qu’à l’air d’être un bout d’paradis… toute heureuse elle en colle un baiser sonnant sur la joue du Loupiot, quand la daronne s’approche au p’tit trot. Motus des deux minots qui s’donnent un air angélique… si c’est possible.

On arrive les mômes, faut tourner au prochain carrefour.

Il se fout d’la Daronne l’Allongé… elle aim’rait avoir la même gouaille picthounette. Elle sait pas faire comme lui… surtout pour le sourire angélico-niais. Faudra qu’elle s’entraîne devant la glace. La Daronne s’en va avec un regard desespéré pour prendre les d’vants.

M'demande ce qu'elle nous cocote la Daronne... Nan 'ttend. C'pas le bon mot. Comment qu'elle dit d'jà. Ah ouais. Concocte.

Elle s’rtient de rire… pour la précision faudra r’passer hein…

T'as vu son sourire quand j'ai d'mandé ce qu'on allait faire là-haut? Y'a du louche. Moi j'te l'dis.

Petite moue de la brunette, qui prend un air sérieux…

J’sais pas Luthi… mais quand elle sourit, c’est qu’c’est pas bon pour nos tronches, j’suis d’accord… va falloir qu’on s’tienne à carreau ou alors qu’on fasse gaffe quand…

Coup d’œil des mioches en cœur…. On f’ra gaffe…
Le détour du chemin avait été passé et … la pitchounette se r’trouve devant le château et son pont-levis.

Mazette…

Pour sur qu’c’est grand… plus que Lesparre… Elle rest’ là, bouche ouverte à gober les flocons, en regardant l’entrée…

C’est pas là dis…
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Luthi

Pour sûr qu'il bougeonnait dans son coin, l'gamin. L'était un presqu'homme maintenant, pourquoi Daronne lui avait-elle fait ce coup-là?
Encore que...
Ouais, sois honnête Luthi. T'avais beau râler pour pas perdre la face, c'tait bien agréable de se faire soigner comme ça. Ouais mais t'as grandi gamin. Ouais mais pas tant que ça... D'sons que... Bah qu'il aime bien ce qu'il vit. Etre un gamin surveillé et être assez vieux pour veiller sur quelqu'un.
Et puis bon, la boustifaille de Daronne, même si elle l'a fait pas, l'est loin d'être dégueu... Elle sait y jeter un oeil, pas de doute.
Vivement Delle tiens.

D'ailleurs en causant de Delle...
Bon, y couperont pas au bain, aux frictions, à la punition de deux heures d'vant l'chauffant sans moufter un tif. Mais avant? Ou bien après? Fallait guider la gamine. 'fin le gamin. 'fin son protégé quoi.
D'un coup, une myriade de conneries défilent devant ses yeux. Mais bien sûr! C'était lévy-sans-dent! Y pourrait y faire goûter un peu de Paname à la loupiotte!
Et puis, vu le sourire de Daronne, elle prépare sûrement un mauvais coup. Comme quand elle l'a choppé pour le forcer à apprendre à écrire et compter. Bon, c'sûr que pour filouter, t'as un avantage sur l'autre quand tu sais combien rapportent deux rombières secouées par cinq gars. Mais sur l'coup! Vla la torture!
Alors y se méfiait, et certainement pas sans raison, vous lui enlèverez pas ça de la trogne...
Alors comment qu'il...

- Mazette…
Sourire en coin du page autoproclamé chef du rang de la marmaille. Dire qu'il gardait le silence depuis des jours pour pouvoir mater l'effet sur la môme. Et l'résultat, il était là.
C’est pas là dis…
- Et si. C'pas bien grand, j'sais. Mais Daronne et son régulier voulaient un truc nain-time. T'vois, une turne avec deux-trois piaules, pas plus.
Nouveau sourire. Bien sûr que c'était impressionnant de reluquer la "maison" de ses darons. Mais il se serait foutu la main au feu plutôt que de l'avouer.

- Tu t'fous d'moi courrien d'mes fesses ? ça doit être des p'tains de grandes piaules alors si y en a qu'trois ! J'pense que j'ai surtout pas assez d'doigts sur mes marottes pour les compter...
Leurs regards s'échangent. L'un rieur, voire même ironique; l'autre inquiet. Tu vas pas m'laisser toute seule là d'dans hein ? j'vais m'perdre....
Une autre idée est en train de germer dans ce qu'on pourrait plus tard qualifier d'esprit retors. Mais c'était pas l'moment. Autre chose lui venait en tête et maintenant, ça lui démangeait les ratiches.

- Bien sûr qu'non. Mais si tu te paumes, c'que t'es pas douée. Tu comptes pas me coller la honte non?
- T'façon tu débarass'ras pas d'moi comme ça.... j'te colle aux basques... Et d'enchainer directement, leurs voix se superposant dans un concert inaudible de vexitude profonde et de jouasserie sans limite, tant que Daronne était encore loin, déjà presqu'arrivée aux herses pour les annoncer. Ce serait couillon de se faire planter en revenant chez soi, faut dire.
Dis voir Mous'... T'y tiens à ton médaillon j'me gourre? T'veux le garder avec toi? Ouais, niveau approche, y'a plus finaud. Mais que voulez-vous. On peut pas être Gamin courien et diplomate. Y sait pas faire.

Les yeux écarquillés d'la pitchounette, qui porte sa menotte à son cou, sont clairs. Il a réussi son cou, elle s'y attendait pas.
- Plus que tout... c'maman qui m'l'a donné... elle a dit qu'ce dragon, ben, il m'protègerait d'tout... j'le quitte jamais, tu l'sais bien... Une p'tite lueur dans les émeraudes qui se plantent dans celle du Loupiot s'allume, de défi. Et j'peux t'dire que si quelqu'un l'prend, j'lui marave sa tronche que sa maternelle elle le reconnaitrait plus...
- Et bah là d'où je viens, rien n'est acquis, tout s'choppe à la sueur de ses mains et à la finesse de ta trombine, tétard. Alors voilà ce qu'on va faire. Je te lance un défi. T'as jusqu'au lendemain, même heure, pour l'avoir fait, et d'vant témoins ou avec une preuve.
Si t'le gagnes, tu gardes ton médaillon et je dois en trouver un autre à te faire faire.
S'tu le paumes, je prends le médaillon et c'est pour ma trogne jusqu'à ce que je perde un défi que tu m'lanceras.
S'tu refuses, même combat.

Le regard de la pitchounette s'agrandit et le rouge sur les joues pointe la colère qui emballe son p'tit coeur... pas son médaillon... c'est tout c'qui lui reste de maman... elle va dire non... l'truc c'est qu'si elle dit non elle l'perd... et le Loupiot fait une tête d'plus qu'elle et a d'l'a suite dans les idées... alors par la force ou la ruse il l'prendra... elle le déteste là, elle le déteste. Elle s'retrouve acculée comme un bleuet encore....
Un p'tit murmure jaillit, parfait pour que ça reste entre eux:
- T'as pas l'droit... t'as pas l'droit d'me d'mander ça...
Elle serait en train de gagner du temps pour voir c'que ça donne que ça l'étonnerait pas l'loustic. Il le sait qu'elle y tient. Mais lui veut lui apprendre la vie. Et il cédera pas.

- Ouais et? Daronne a été claire. T'es sous mes ordres et je dois t'apprendre la vie. Et la vie, bah elle est comme ça. T'as pas le choix. Et je prendrais mon dû, c'la régle.
Son visage se fait sévère. L'aime pas la leçon, mais il doit tenir pour lui apprendre. Et puis la suite sera plus drôle, il en est certain.
Cap ou pas cap de faire le tour des douves en glissant sur la glace, et sans t'faire chopper par Daronne ou Gauvin, ou le Loup avant la fin?
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Rhuyzar

Voyage de retour un peu trop long à son goût. Hâte de rentrer chez lui le Loup, marre des chemins et des régions en tout genre, qui se succèdent, qui l'agacent. Même têtes, même problèmes, même noblesse qui se chamaille pour des conneries et qui donne des grands banquets où tout le monde se regarde avec un grand sourire en se balançant les pires horreurs au fond de leur esprit.

Sa Vicomté n'est peut-être pas le paradis sur terre, mais au moins il s'y sent bien, il s'y sent chez lui, avec les gens qu'il aime et qu'il apprécie. Ou tout du moins celle qu'il aime beaucoup plus que tous les autres réunis.

C'est la fin d'une époque pour le Loup. La fin d'un âge qui l'a vu guerroyer partout. Il a réalisé ses rêves de gosse. Il est devenu un Chevalier, un vrai, avec une grosse épée et un bel écu. Avec une princesse aux cheveux dorés et des dragons malfaisants à combattre et à terrasser. La seule différence, c'est que dans ses bouquins les Chevaliers avaient la peau douce, la tronche aimable et un grand sourire perpétuel. Ils parlaient comme personne ne parle et charmaient tout ce qui passait, avec leur armure rutilante et les poèmes qu'ils déclamaient à qui mieux mieux. Lui il a les cheveux blancs, un peu gris, les traits tirés, des cicatrices et un air méchant, ou grognon, quand il est de bonne humeur. Son armure est usée et sa lame devrait être rouge pour tout le sang qui a coulé dessus. Des poèmes il n'en connait point, mais des jurons, il en maitrise un paquet. Rien à voir avec un bouquin en gros, évidemment, lui c'est un vrai Chevalier.

La petite troupe est entrée à Delle. Rhuyzar, Ali, les six Hafsides qui le suivent comme son ombre et un invité surprise. Adrian, que sa mère leur a confié. Le fils de Bralic, son vieux frère d'armes aujourd'hui décédé. Le môme est arrogant, noble et têtu comme l'était son père. Mais il a compris que le Vicomte n'était pas la cible à viser pour qui veut éviter les gros problèmes. A défaut d'être aimable et agréable il se tient tranquille. Reste à voir si ça va durer entre ces murs. Pas dit. Une forte tête à dresser, un nouveau combat qui débute pour le Licorneux, comme s'il avait besoin de ça...

On s'empresse de refiler les montures aux palefreniers du domaine. Il faut les soigner les bêtes, elles ont souffert de ce long périple. Hors de question de remonter dessus avant quelques semaines. Particulièrement le poney du jeune garçon, tellement mal entretenu qu'on croirait voir une mule sortie de trois années d'ermitage dans les montagnes. La bestiole est solide. Surement pour ça qu'elle est encore debout.

Rhuyzar a congédié les berbères. Pas une proposition, un ordre. Qu'ils aillent se reposer et s'installer dans leurs quartiers. Ali lui, tient à rester. Il veut saluer la maîtresse de maison qui devrait arriver dans la journée. Il y tient, question de politesse, et il occupe Adrian en lui racontant de vieilles histoires pendant que le Vicomte devise avec Gauvin sur l'état du château et de ses environs. Pas d'incident à déplorer. Pas de grande rénovation à prévoir, ni de renouvellement d'effectif. Sur consigne de Rhuyzar, les gardes vont régulièrement faire des patrouilles dans les campagnes pour en vérifier la sécurité et s'assurer que les paysans du coin ne meurent pas de faim dans leur chaumière. L'hiver peut être rude et personne n'est jamais à l'abri de la famine. Sa fortune permettant au Vicomte d'importer nombre de produits, il ne tient pas à voir ses gens tomber comme des mouches pendant qu'il ferait bombance entre ses murs. Ce qu'il a lui suffit, nul besoin d'amasser, il est heureux entre ces pierres.

Les rapports sont expédiés, quelques instructions sont données à Gauvin, notamment sur les prochains arrivages de nourriture et de produits. Il faudra augmenter les commandes, la population du château va légèrement croître dans les jours qui viennent. Cela ne l'inquiète pas outre mesure, mais il préfère être prévoyant.

Une heure est bien passée depuis qu'ils sont arrivés quand une sentinelle de la tour de garde se met à crier en direction de la cour, de sa voix grossière:

Messire Vicomte ! V'la un équipage sur nos ch'mins ! marchent vers nous ! Une donzelle, et deux chiards ! Ou alors c'est des nains, mais sont pas bien grands ! Quoi qu'on fait ?

Le Loup doit retenir un accès de colère. Se rappeler qu'il a refusé d'embaucher des mercenaires allemands ou italiens et privilégié ses gens pour garder Delle. Il avait ses raisons. Tirer ceux qui ne veulent pas de cette vie de la paysannerie. Il respire un grand coup avant de répondre au garde:

Bah tu ouvres la porte triple andouille ! Et tu t'magnes le fion ! S'ils doivent attendre pour rentrer tu seras de corvée de récurage de douves pendant une semaine !

Le comtois a compris sa connerie et s'empresse de donner les instructions pour qu'on abaisse le pont-levis et qu'on ouvre la herse. Les mécanismes se mettent en branle, dans de sonores craquement et d'insupportables grincements. Bientôt, la voie vers la cour est libre pour les arrivants.
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Laïs

Ouais et? Daronne a été claire. T'es sous mes ordres et je dois t'apprendre la vie. Et la vie, bah elle est comme ça. T'as pas le choix. Et je prendrais mon dû, c'la régle.
Cap ou pas cap de faire le tour des douves en glissant sur la glace, et sans t'faire chopper par Daronne ou Gauvin, ou le Loup avant la fin?

Le loupiot la r’garde de tout’la détermination de ses émeraudes, le buste bien droit sur sa selle, en la toisant de sa superbe de chef désigné à la mord moi l’nœud. Le pitchounette boue de rage et d’peur. Elle sait qu’elle peut pas la ram’ner, Mous’, elle l’sait que trop bien. Il a tous les pouvoirs, l’salopard, même pour les conneries. Sauf que là elle sent qu’c’est la limite d’la légalité. Pas sûre qu’il outrepasse po ses prérogatives (wouha ça c’est du mot savant que m’man s’rait fière)… elle plante ses sinoples dans l’regard du Courien qui cille po, faut pas croire qu’elle lui foute les chocotes, tiens. Mais bon c’pas une balance et puis d’abord elle a pas peur non plus, pas moyen qu’elle s’défile… quoi que les mots Daronne et Loup sonnent déjà à ses oreilles comme les futures soufflantes si elle s’fait gauler. Gauvin, elle connaît pas, mais si l’Allongé l’a placé sur la même ligne qu’les deux autres, ça doit po être un enfant d’cœur.

Sa menotte a pas quitté l’médaillon qui pend à son cou. C’est un dragon, un joli p’tit dragon de métal qu’elle a jamais quitté d’puis la dernière fois qu’l’a vu maman. Elle lui avait acheté sa jolie maman quand à Bazas elle reluquait la d’vanture d’une boutique de joaillier (encore un mot classe, là elle se surpasse la morveuse). Elle était resté comme une carpe sortie d’l’eau devant le médaillon et avait planté ses sinoples dans celles, plus grandes, d’ sa Licorne de maman. Maman, elle avait cédé pour une fois, elle était rentrée dans la boutique en d’mandant à la pitchounette de pas moufter (enfin elle le dit pas comme ça maman) et elle était revenue avec le médaillon à la main avant d’le passer au cou d’la môme. Sa jolie maman rousse lui avait dit de jamais l’perdre, parc’qu’il s’rait là pour la protéger, quand elle s’rait pas là. Alors mettre ça en gage Mous’ franchement ça lui déchire l’arrière train, comme dirait son tortionnaire de courien. C’est son porte bonheur à elle, c’est tout c’qu’elle possède à elle toute seule. Tout le reste c’est de Daronne. Ou de lui.

Il est l’Courien d’merde à la regarder, un poil arrogant. Pas l’choix Mous’. Il est plus fort que toi. S’tu r’fuses, soit il l’prendra d’force et vu qu’il a une caboche d’plus que toi il l’aura à coup sûr. Soit il l’aura par la ruse, et pour ça aussi, il la dépasse grave aussi. Les poneys se sont arrêté pendant qu’les morveux se regardent dans l’blanc des mirettes. La pitchounette reste un moment à cogiter sévère. Pas l’choix pitchounette. Va falloir plier. Mais avec classe s’iouplait. Elle baisse sa capuche, puis son capuchon sans quitter les émeraudes qui la regardent. Lentement et cérémonieusement, Laïs détache le médaillon et le prend dans sa micro menotte. Elle prend celle d’l’Allongé et lui colle dedans en refermant ses doigts dessus.

Cap… si tu l’perds par contre j’te déboite la tête de d'ssus tes épaules et je joue à la soule avec…

Remise direct du chaperon et de la capuche pendant qu’ces mirettes relancent l’éclair de défi lancé. Elle reprend les rênes et talonne son cheval pour rattraper Daronne alors que la grille s’ouvre. C’est là qu’elle voit les douves en passant sur le pont levis. Grimace. Grosse grimace de déplaisir sur la frimousse du Mous’ qui serre les dents. P’tain d’merde c’est profond. C’est grave profond. Et la couche de glace… ça la fait frissonner d’avance. Puis c’est pas p’tit comme parcours… elle zieute le chemin de blanc argenté qui se faufile derrière les murs du château. Elle va mettre des plombes… puis elle a jamais marché sur la glace… obligé que quelqu’un la voit…. Sauf si… non pas de nuit, déjà qu’elle est pas douée, mais alors dans l’noir c’est mort. Mais… ouais vite… faut faire ça vite… tant qu’ils sont tous occupés aux écuries, aux fourneaux et à se bécoter pour le Loup et la Daronne. Faut l’faire vite.

Petit regard vers Luthi qui l’a rejoint et voix basse qui complote...

Après avoir laissé les canassons aux écuries… tu d'mandes à Daronne que tu me montres les environs…. Je ramène mon derche et on s’tire dans les douves… c’toi l' témoin…

Petit coup de talon et son cheval avance dans la cour… c’est parti… ce jeu, il a commencé avec un joli médaillon et un putain d’p’tit con de courien.
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Ilmarin

Nouveau coup de talon dans le flanc de sa monture, elle fuit les mômes et leurs regards brillants pour aller les annoncer aux gardes. Et surtout profiter des derniers instants de calme, faire le tri de ses pensées et de ce qu'elle voulait évoquer avec Lui.
Enfin les fuir, c'est vite dit. Avec l'âge, la sagesse vient parait-il. Elle n'en était pas aussi certaine, mais il faut avouer que la responsabilité de gamins lui faisait moins peur qu'à une époque, voire l'amusait. Même si la présence de Rhuyzar était certainement pour une grande part dans cette sérénité.

Elle avait souri en recevant la lettre de son Loup, lui proposant de se retrouver à Delle. Elle voulait fuir Millau, l'occasion était trop belle, d'autant plus qu'il ramenait Adrian avec lui. Luthi pourrait retrouver la première victime de ses expériences, il ne pourrait qu'en être transporté d'idées vicieuses germant plus vite que du chiendent dans un potager.
Mais la suite de la missive avait un peu terni l'enthousiasme; le gamin avait changé en grandissant. Pas besoin de chercher bien loin, entre la mort de son père, le remariage de sa mère et la naissance de Bérénice, il devait se sentir seul, surtout si elle l'avait envoyé dans sa famille pour commencer son éducation.
Du coup, la Blonde avait gardé le silence sur la venue de l'héritier Fauconnier; que Luthi ne se fasse pas trop de joie et qu'au final, il soit déçu de ne pas retrouver son complice.
Ces idées tordues, envoyer chez d'autres des gamins pour les éduquer... Et ils s'étonnaient d'avoir des relations tendues avec leur progéniture... Sa langue claque sur son palais. Ceux qui lui seront confiés, et Lais en tête, n'en feront jamais les frais. Enfin, autant que faire se peut...

Bon, faut se réveiller là, les grilles approchent. Plissant les yeux pour mieux voir dans le blizzard qui danse autour de sa monture, elle devine de l'agitation sur les remparts.
Dans un grincement insupportable pour ses dents, la forteresse s'ouvre. La fille adoptive d'Azayes n'ose croire qu'ils l'ont reconnu, doués comme sont les comtois qu'il a recruté. Serait-il déjà entre les murs alors? Le bois a à peine claqué sur le support en pierre que les sabots d'Amrod résonnent déjà dessus, vite suivis par ceux des poneys et des trois montures de bat. L'impatience des derniers mètres motive la petite troupe.

Ses mains relâchent les rênes, la gauche repoussant sa capuche, maintenant qu'ils sont plus ou moins protégés du vent, ce qui n'empêchent pas ses mèches blondes de voleter autour de son visage et d'attraper quelques flocons au passage. Un sourire radieux étire ses lèvres quand elle l'aperçoit, se dirigeant vers elle.
Très doucement, par pitié pour son dos bien assez maltraité par ces semaines de route, le froid et la selle malgré la rigidité de sa ceinture de cuir qui ceint ses reins, elle descend de sa monture et finit de combler la distance, l'enlaçant de toutes ses forces.

- Tu es déjà là... Vivant et entier... Tu es en progrès...

Ses mains gantées gagnent ses joues, les caressant tout en le regardant amoureusement. Tant pis pour les gardes, les domestiques, les palefreniers et Ali qui s'approche, discret, elle ne peut résister et doit l'embrasser sur le champ. C'est si bon un Loup qui vous étreint...

- Bonjour Ali, je suis ravie de vous revoir. Gardant sa main autour de la taille de son compagnon, elle s'incline pour saluer le berbère, un léger sourire aux lèvres marquant par de petites rides ses joues. Puis s'écarte d'un pas pour indiquer les monstres en train de lâcher leurs propres montures. Vous vous rappelez sans doute de Luthi et Moustique, mes deux pages. La rencontre fut si rapide...
- 'chanté M'sieur Ali. Chevalier, 'chanté de vous voir en pleine forme. Pas passe qu'on est fils de la Cour qu'on est un sauvage. Et puis, ça lui plait bien à sa Daronne quand il remplit bien sa part du contrat. Donc, le visage solennel, il pose sa main droite sur son ventre et se plie en deux pour saluer les deux hommes, après avoir poussé Mous' du coude pour qu'elle fasse pareil bien sûr.
La gauche par contre reste plongée dans sa poche. C'qu'il avait récupéré un trésor. Y savait bien, le loupiot, combien elle tenait à son joujou sa Mous'. Mais c'tait tout l'intérêt du jeu. Fallait la motiver, sinon autant se foutre dans le plumard et attendre de claquer. Daronne, Mous' connait pas ben la turne. J'peux lui montrer la cambrousse avant de grailler?

Soupir désabusé de la Daronne en question. Jamais il parlerait correctement ce gamin. Jamais. Même si elle se doutait fortement qu'il en faisait exprès devant Rhuyzar et elle, pour se donner son air revêche.
- Pas des plombes Luthi. Voilà qu'elle aussi se laissait aller. Oh et puis pour ce que ça change... Vous allez être trempés par la neige et chopper la mort. Une heure, pas plus. Vous rentrez au premier appel. Et pas de bêtises!

Ils avaient détalé comme des lapins, n'entendant ou faisant mine de ne pas entendre l'avertissement. Obligés, ils étaient partis faire une connerie. Pourquoi préférer rester dehors alors qu'une maison bien chaude et immense à explorer vous tend les bras? Elle jette un regard à son Loup, murmurant doucement.
- Si nous nous promenions sur les remparts pendant que tu me donnes les nouvelles de Delle et de ton périple? Que je vois les derniers aménagements.
Tirant délicatement sur sa taille toujours enlacée, elle s'approche de Gauvin pour le saluer et lui demander de bien vouloir transmettre aux femmes de chambre de préparer les salles d'eaux, les bains et de faire ronfler les cheminées des chambres et du salon. Le remerciant chaleureusement avant de se diriger vers le chemin de ronde dans un nouveau sourire destiné à son ange aux cheveux couleur argent.
Inutile de préciser que, de là-haut, ce sera plus simple pour surveiller les mouflets tout en écoutant son récit.
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Rhuyzar

Avant la cour du château était agitée de quelques valets vaquant ici et là à leur tâches journalières. Avant, si le calme ne régnait pas, au moins l'organisation était-elle de mise. Avant, Rhuyzar et Gauvin s'accordaient sur les prochaines choses à faire, sur de menus détails du quotidien de Delle. Avant Ali occupait Adrian par quelques histoires de son pays tout au sud et le jeune garçon semblait écouter, sans faire de conneries. Avant, était le silence. Mais tout cela, était avant que trois montures ne passent la herse ouverte pour l'occasion...

Alors le semblant d'ordre qui paraissait définir les règles du lieu disparut. Deux enfants et une jeune femme. Tandis que les deux premiers se chamaillaient bruyamment à propos d'une affaire sans intérêt, la seconde descendait, impatiente, de sa monture et sautait presque au cou du Vicomte. Habitué à ces retours Gauvin avait salué la Dame avant de s'éclipser discrètement pour donner les conseils du Vicomte à droite et à gauche. Sans être un parfait rustre, le Chef de la Garde de Delle n'avait rien d'un personnage mondain. Il savait saluer respectueusement et dire bonjour sans éructer, mais c'étaient surtout ses qualités d'intendant et de soldat qui lui avaient valu la place un temps convoitée dans toute la région.

Dans le même temps, un large sourire apparaissait sur le visage du Loup à la vue de sa panthère qui rentrait en la tanière. Sourire fatigué, certes, mais sourire tout de même. A leur longue étreinte succédèrent quelques légers baisers, une manière de vérifier que l'un comme l'autre ils étaient vivants et en bonne santé. Ali rendit son salut à Ilmarin et s'éclipsa à son tour pour s'occuper d'Adrian. Bien lui en prit, il échappa surement à la garde des deux démons qui formaient l'escorte de la jeune femme. Dingue ce qu'ils pouvaient courir vite quand ils avaient, visiblement, une idée derrière la tête. Rhuyzar n'y prêta guère attention, les réflexes viendraient surement avec le temps. Pour l'instant son esprit était fixé sur ses retrouvailles avec celle qu'il aimait. Elle lui demandait des nouvelles, il promit de lui en donner.

Et, alors que les palefreniers menaient les bêtes aux écuries pour les panser et les réchauffer, le couple, bras dessus, bras dessous, prit la direction des remparts qui couraient tout autour des bâtiments.

Sous leurs yeux s'étendait la campagne comtoise. Les terres étaient recouvertes de l'épaisse couche de neige habituelle de l'Hiver. Les arbres qui poussaient un peu partout se dressaient, secs et froids, tels de vieux épouvantails abandonnés, pliés par le vent, attendant la fin de ce calvaire pour se parer de nouveau de leurs tenues chatoyantes. Le long du chemin de ronde avaient été installés quelques braseros dont les braises rouge vif réchauffaient les doigts et les articulations des gardes condamnés à surveiller les alentours.

Serrant sa panthère contre lui, le Vicomte commença à lui raconter son voyage en compagnie de Daresha et Adrian, la rencontre d'Apo en Bourbonnais, assez peu de choses finalement pour qui se serait attendu à des récits d'histoires hautes en couleurs et en exploits. Il était fatigué, cela se lisait sur son visage. Usé par le temps et le service il était venu se réfugier pour une longue période dans sa grotte. Et à son tour il lui demanda de ce qu'elle avait à lui narrer.
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Laïs

Les deux loupiots s'étaient réfugiés un instant dans l'écurie...
ça se prépare un cap ou pas cap.... vous prenez la pitchounette pour qui ?
Elle avait farfouillé par ci, par là à la r'cherche de quelqu' chose, un truc, 'fin ce qu'elle cherchait quoi, pendant que Luthi la regardait perplexe les bras croisés, un sourcil levé, qu'on dirait Daronne.
Après prospection intense, la pitchounette était reviendue ( revenue ? Ouais mais ça sonne vachement moins bien) avec un panier en osier et un vieux bout de drap en lin qui un jour avait du être blanc, enfin dans une vie antérieure...
Elle les brandit victorieuse, à bout de ses p'tits bras en regardant Luthi.

Vala, j'suis parée pour aller voir les douves !

L'sourcil du Loupiot s'en va flirter avec les nuages tellement qu'il se lève haut. Toujours pas un mot, il lui fait signe de se mettre en route, plus piqué de curiosité qu'une pelote d'épingles. La pitchounette fourre le bout de drap dans le panier. Coup d'oeil dans la cour... y a plus la Daronne et le Loup. Alors ça décale en cavalant vers l'dehors. La pitchounette se pare de son plus beau sourire angélique devant les gardes, qui les regardent passer se demandant surement si c'est autorisé, puis rendant le sourire au p'tit brun qui passe. Elle sait trop y faire la gamine quand il s'agit de sourire et d'attendrir. Elle sait po faire grand chose mais ça elle masterise. Grave. Les bottes claquent sur le pont levis alors qu'ils sont frappés de plein fouet par le blizzard à décoiffer les boeufs. P'tain mais c'est quoi ce pays ?! Y a des fois où on se les gèle pas ? Elle frissonne la pitchounette en cavalant sur le chemin à la suite de l'Allongé. Elle a essayé de pas regarder les douves par dessus l'pont. P'tain elles sont toujours pas moins profondes et glauques. Elles sont toujours pas plus accueillante. Et l'p'tit coeur de la loupiotte bis a pas envie de ralentir non plus. Mais quand faut y aller, faut y aller. Pas question qu'elle laisse son médaillon chéri à cet empaffé de courien de ses fesses qui a décidé de jouer au p'tit chef, parc'qu'il a l'droit oui, l'enfoiré, d'la torturer... mais pas question qu'elle passe pour une poule mouillée (elle serait plutôt gelée d'ailleurs) et qu'elle jarte sa seule possession sans s'battre ou l'y foutre un coup d'rateau dans l'dos ou de ratiches. Nan.

Elle suit Luthi jusqu'à ce qu'il s'arrête devant le grand fossé. Y a un endroit où la terre s'est un peu éboulée. C'est un chouilla plus facile d'accès. 'fin faut le dire vite. C'estunchouillaplusfaciled'accés. Ouais pas mieux.

C'la qu'on commence ?

Comment essayer de gagner du temps en une leçon foireuse par une petite De Vergy.

Ouais et bouge tes miches, je me pèle le cul grave dit-il en s'emmitouflant dans sa cape, bien content que daronne lui ait collé sur le derche.

Loupé, pour le mode gagner du temps, on repassera. Dernier p'tit regard imporant et gros gros soupir. Quand faut y aller...
La pitchounette elle commence à causer. Un peu trop. Pas sa faute quand elle a la trouille, elle cause comme une pie jacasse. Elle explique à Luthi pendant qu'elle met le grand drap sur ses épaules et sur sa tête, avec un ton doctoral pas bien maîtrisé.

T'vois c'est du camouflage. Comme ça d'en haut on m'voit pas. C'comme une cape magique. J'suis sure qu'ça doit exister. Et que si ça existe pas un jour ça exis'tra. Ça serait l'panard une cape que quand tu te caches dessous, ben y a personne qui te vois. Que tu peux aller partout, écouter les conversations, faire de l'espionnage quoi, plein d'trucs chouettes ! P'être qu'on pourrait demander à des sorciers hein... ça doit bien exister des écoles de sorciers ou des trucs du genre... ou des sorcières j'suis pas sectaire.

Le courien ravale vite un sourire le chef de la marmaille. elle est comme lui, bavarde mais bavarde! un jour peut-êt' qu'il comprendra pourquoi qu'ils causent autant tous les deux.

Pour sûr que ça existe les sorcières, tu sors d'une grotte? même qu'ils en font brûler régulièrement et même qu'à la Cour, les enfumés ont tenté de l'faire et qu'les Couriens se sont défendus. s'tu veux, ce soir, je t'en causerais, de ces vieilles toupines.

Vexée la ptichounette. Comme un poux. Elle est pas née dans une grotte, naméo. Elle sait pas tout, c'est tout. Elle visse d'un geste sec son drap sur la tête et fait un noeud, ben oui faut avoir les mains libres, et elle entreprend de descendre dans les douves. Lent'ment... sur les fesses.... pieds en avant...la terre gelée s'est pas commode et la neige ça picote les doigts. L'étendue de glace se rapproche, se rapproche. Jusqu'à ce que ses deux petons bottés se posent dessus délicatement. On se redresse.... doucement.... on met une main en avant d'abord... puis on pousse leeeeeeeeeeeeeeeentement sur le bord de la douve pour parvenir à se mettre debout. La voilà donc sur le terrain, la pitchounette, debout tout'raide, les bras écartés en balancier.

Aller on essaie d'avancer ? Serrage de dentines et froncement d'nez pendant qu'elle se fait harceler par le blizzard qui s'engouffre dans les douves comme dans une arène et qui y tourne et retourne comme un char tiré par une centaine de ch'vaux. Elle glisse son peton droit... p'tain c'est galère... mais ça passe.... peton gouche itou.... ça tangue.... re peton droit.... et là ça commence à devenir très très instable. Peton gauche qui rapplique, trop vite, beaucoup trop vite et pitchounette qui après plusieurs moulinets de gambettes se retrouve sur les fesses en réprimant un gémissement de douleur.

Foutredieu d'âne batté !

Mouahahah! jolie pirouette!

Éclat de rire venant de la berge, de l'ainé et néanmoins initiateur de ce pari débile suivant depuis la rive sa progression. J'te hais, courien d'mes fesses ! J'te déteste tout ce que j'sais !

T'vas pouvoir danser comme ces emplumés de nobliaux bientôt!

Il se bidonne comme une baleine de là haut, le con. P'tite étincelle sadique dans la caboche toute rouge de rage de la pitchounette. J't'en collerai des danses moi. Pis tiens j't'en collerai une oui... on va voir c'que tu diras quand j'aurai récupéré mon dragon et que j'demanderai comme cap ou pas cap d'avoir un cour de Daronne sur le menuet le tout habillé en fille !
Elle se met à quatre pattes la môme, et elle entreprend de se r'mettre debout. C'pas aisé, mais au bout de quelques tentatives ça passe. De guigois, pas très assuré, mais ça avance. Petit à petit. Elle prend le coup de main ou plutôt d'pied la pitchounette. Toute heureuse d'avancer, au fur et à mesure de ses pas en s'éloignant du pont levis. Tu vas voir qu'elle va l'faire. Tu vas voir qu'elle va réussir. Dans les dents, l'courien ! Elle prend un peu de vitesse. Le drap de lin est emporté par une bourrasque plus violente et va se perdre dans les fonds des douves. Tant pis. A c'train là elle aura fait l'tour en un claquement de mirette.

Elle lève la tête la pitchounette pour toiser le courien qui la suit à côté de haut. Regard style "ça te la coupe hein ?!" même si elle sait carrément pas ce que ça veut dire. Erreur fatale. En tournant la tête, ses épaules tournent aussi, et la voilà qui tombe, violemment vers l'avant, s'écrasant de tout son poids sur la glace, les poignets et les genoux amortissant le choc que dalle de chez que dalle....

Elle reste un instant en pestant son chapelet habituel de gros mots avant de se taire d'un coup. Le bruit vient d'lui pétrifier l'sang.
Là sous ses mains viennent d'apparaître, craquelantes, des étoiles sur le sol glacé des douves...
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Luthi

Pas de bêtises, pas de bêtises... Comme si c'était not'genre Daronne.
On est toujours sage. Ouais euh... Faut pas abuser, la sagesse, c'est lourd.
On est presque toujours sage. Hum... En y réfléchissant, y'a un mot de trop...
On est souvent sage...? Si regarde bien. Euh... Quand euh... AH! Quand on pionce! Donc au moins sept heures par jour, voire huit si la journée précédente a été fructueuse. Ouais, il va garder l'argument dans un coin de sa caboche pour l'ressortir à Daronne; du feu de dieu celui-là.

L'en était là de ses pensées quand il prend conscience du bordel qu'est en train de coller la loupiote. Sourcil levé - ouais Daronne le fait et purée, ça lui donne trop la classe, l'sérieux et tout et c'pas si dur à faire, ça vient tout seul - il mate la môme courant de droite et de gauche comme si ses arpions cachaient des aiguilles. Bizarre... Mais, baste, cap ou pas cap? L'avait pas donné de restrictions, elle pouvait bien rameuter tous les démons des Enfers si ça la faisait marrer.

En tout cas, faut dire que lui, il se marrait bien. Il se bidonnait sévère même.
C'tait pas une bourrée pour sûr qu'elle dansait la gamine; on aurait dit un d'ses menuets pour ses enrubannés qui puaient la cocotte à des lieues et qui s'rendaient à la cour du Roy. Ouais, il en avait maté une fois, par la fenêtre d'un hôtel particulier à Paname. Y prenait des leçons le godelureau et c'était bien fendard. Mais vraiment, et Mous', là, elle y ressemblait comme deux gouttes de gnole.
Ca lui arrache les tripes d'le dire, mais elle se débrouille bien. Et pi c'patinage improvisé, ça lui en rappelle, des bons souvenirs. Demi-Lune et lui qui s'lançaient sur la Seyne, gelée à pierre fendre, dans des courses d'autant plus frénétiques que Fouine refusait qu'ils le fassent. Il quitte les douves des yeux un instant, croyant voir devant lui l'ombre de la Tour ou de la Bastille, brillantes au travers des cristaux de gel suspendus dans l'matin froid de la capitale. C'tait les seuls moments où les rues puaient pas comme des charniers, même l'odeur tombait au sol tellement qu'ils se pelaient les miches...

Enfin, l'était loin de se plaindre, le bébé Courien. Son regard tombe sur deux silhouettes, en haut des remparts. Il sourit en coin, Daronne veille, la confiance règne en dehors desdites heures de sommeil. Là aussi, il se damnerait plutôt que d'l'avouer mais ça lui faisait au chaud au coeur d'se sentir entouré comme ça. Vraiment.
Les deux joyaux couleur émeraudes continuent leur retour dans la réalité et se posent sur Mous'. Tiens, elle est à genoux la môme. Qu'est-ce qu'elle fiche, pourquoi elle se relève pas. C'quoi ce bruit... Ca ressemble pas au sifflement du vent... Après l'eau, c'est à son tour de son sang de se glacer. Bordel. Trop fine arrivée au centre. Il a oublié de la prévenir. Mais il pensait pas qu'elle s'éloignerait autant, le temps de cligner des mirettes quoi.
Ne pas paniquer. Garder une voix calme et sereine en entament sa propre descente vers les douves.

- Mous', j'vais venir danser avec toi, ça me plait ton style. T'bouges pas d'accord?

Par respect pour les âmes sensibles, il ravale la bordée de jurons qui lui vient en tête; aussi pour pas faire qu'elle panique, si elle se relève tout de suite, ça va craquer plus surement que le cou d'un poulet. Précaution, précaution...

On va revenir vers les berges, tu m'attends. D'ac? Va pas t'péter les ratiches, t'auras un sourire en damier après, t'aurais l'air con quand même...

Vla qu'il arrive plus à la fermer à son tour maintenant. Manquerait plus qu'il se foute à trembler et ce serait complet...

DARONNE? T'viendrais pas danser des fois?

Prévoir le coup tant qu'il passe sous son nez. Toute façon, si ça craque, il serait coiffé pour un paquet d'année...
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Laïs

Elle regarde avec anxiété la glace la pitchounette...

Ça a beau scintiller comme des diamants un peu partout, ça a une lueur inquiétante, flippante. L'éclat de la glace résonne encore dans ses oreilles. Ses émeraudes restent fixées sur les fissures qui gisent sous ses mains. Elle connait pas la glace, la môme. Elle connait que le soleil du sud, les simples gelées qui viennent faire briller les toiles d'araignées qu'on dirait des colliers entre les branches qui se figent dans une gangue de givre. Elle connait les glissades sur les plaques de verglas qui s'évanouissaient dès que le jour se faisait trop pressant. Elle connait que les neiges éphémères, celles qui partent le temps que le soleil pointe son nez quelques jours. Juste le temps de faire une batailles de boules de neige et ça s'évanouit comme son sourire là, à l'instant. Jamais elle n'a vu un paysage figé jusqu'à la moelle de ses eaux. La Garonne, elle imperturbable, continuait à changer de sens selon les marées, ne se laissant pas perturbée par les éléments, charriant les barques par tous les temps, qui restaient rarement emprisonnées par l'hiver, pas assez vigoureux. Mais là, d'instinct, elle sait que ce bruit de fêlure est pas du meilleur augure pour elle. Son corps a réagi bien avant sa trogne figée... Les muscles se sont serrés et un frisson lui a parcouru l'échine. Elle entend plus qu'son p'tit coeur qui lui envoie des signaux de détresse, en faisant battre ses tempes sous le capuchon comme un tambour.

Le blizzard a redoublé de violence dans les douves et les éclats de glaces viennent lui piquer les yeux. Elle lève ses mirettes embuées de larmes et elle regarde vers la berge. L'courien vient d'arriver. Qu'est ce qu'il dit ? Entre le capuchon et le vent qui la harcèle, elle comprend pas grand chose la pitchounette. Elle se calme un instant, essayant de fixer son attention sur lui. L'a l'air de vouloir la rejoindre et commence à descendre prudemment... danser ? Mais p'tain qu'il est con, elle veut pas danser là, elle veut sortir ! Sortir d'là !
On va y arriver jusqu'à la berge hein... on va y arriver...
Lentement elle essaie à quatre pattes de bouger pour se tourner vers la rive.
Nouveau craquement lugubre....
La caboche regarde en arrière... la fissure vient de s'agrandir jusqu'à ses genoux et vient entourer ses mains posées en avant. Pas la peine de lui demander si elle panique, la môme. Suffit d'voir la brume qui sort de ses lèvres gercés par le froid et qui va et vient par saccade. Va falloir s'lever... va falloir s'lever vite. Faut décamper.
Lentement elle se relève et se met debout. Un pied vient se poser sur la glace. On pousse doucement sur ses appuis... l'autre... pourquoi Luthi lui fait des grands gestes là bas ? Elle est debout la pitchoune, et elle avance lentement.... un pas qui se glisse sur l'étendue qui se rebelle mais qui tient... un autre pas... craquement.... celui là beaucoup trop flippant pour la pitchounette... elle vient de sentir le sol bouger sous ses pieds.... une fissure vient de se frayer un chemin jusqu'au pieds de Luthi, près de la berge.
Panique.
Les petites jambes marchent toutes seules vers l'avant. Elle tente de courir la pitchounette vers la berge et Luthi qui vient de crier. Quelques pas et elle attrape le bras tendu. Quelques pas... sa main va bientôt toucher celle du courien.... plus qu'un....

Craquement sinistre... le dernier...
Le sol se dérobe dans un bruit de cristal brisé. Cri viscéral de la pitchounette avant qu'il n'avorte lorsqu'elle tombe lourdement dans l'eau. Son corps rencontre l'onde glacée. Comme une lame invisible qui la transperce de part en part, brûlante. Comme si elle était tombée dans un tonneau d'acide. Si elle pouvait hurler de douleur la pitchounette, elle le ferait. Un sentiment intense, puissant est en train de s'emparer d'elle. L'effroi qui s'insinue dans ses veines aussi vite que le froid. L'instinct de survie qui la prend aux tripes. Respirer. Respirer. Ses poumons paniqués lui demandent de l'air, de l'air, dans des spasmes douloureux. Mouvements de bras désespérés de la pitchounette qui réussit à atteindre une fois la surface. Respiration bruyante quand sa caboche sort de l'eau.
Un instant.
Juste le temps pour sa bouche de capter un peu d'air et de voir et d'entendre Luthi, le visage déformé par un appel, déchirant. Yeux exorbités et fous qui demandent, l'espace d'une fraction de seconde, dans un hurlement silencieux, de l'aide.
Un infime instant avant de replonger.
C'est si lourd la laine mouillée. Les bras de la pitchounette s'ébattent à la surface pendant que son capuchon flotte. Ça devient si dur, si dur de bouger. Elle s'englue dans ses frippes, déjà trop grandes pour elle, qui en plus commencent à la tirer vers le fond comme des poids morts. Petit à petit la morsure du froid se fait anesthésie, commençant à alourdir ses mouvements. Engourdissement, pendant que ses poumons se rebellent de plus en plus dans ce silence inquiétant...y a plus que le son des bulles qui éclatent aux oreilles de la pitchounette, clochettes aquatiques qui semblent tintinnabuler dans une symphonie morbide . Il n'y a que la terreur qui reste inchangée, la vrillant de ses griffes, pendant que le froid continue sa morsure mortelle et venimeuse. Ses yeux regardent la surface et voit une silhouette qui se penche. Elle voudrait tant crier mais... elle voudrait tendre le bras...
Respirer faut... faut...
Remonter...
Elle a si mal, si froid, si....
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Ilmarin

Que raconter de ces semaines passées à Millau pendant son voyage? Rien de bien extraordinaire mon Loup. Je passais mon temps entre batailles de farine, dégustation de pains, fourches à la fleur d'oranger - chose étonnante s'il en est - et autres brioches, soirées en tavernes avec des crétins, discussions avec Maharet et Milo, surveiller les gamins. Il peut pas se rendre compte à quel point ils sont vivants. Mais vivants. Ni à quel point les salles de bains, la salle de l'auberge ou encore les écuries sont propres, à force d'être récurrées.
Ni à quel point, finalement, elle tient à eux et voudrait qu'il les supporte pour le moins. Elle veillera au grain, ta Panthère, leur a déjà répété les consignes de la maison. Ah oui, y'a eu aussi l'attaque de Tarrelian, le geste de bravoure de Luthi, prêt à perdre la vie pour sauver Tristan. Mais si, rappelle-toi, le fils de Maha. Non non, il va bien; il a juste gagné sa première cicatrice en duel.
Se serrer contre lui, respirer son parfum, ça chasse tout. Personne n'a idée de la magie de ce moment...

- DARONNE? T'viendrais pas danser des fois?

Regard vert surplombé d'un sourcil levé quand la voix encore aïgue de son page se fait entendre. Pour sûr il va pas tarder à muer, quelques intonations un peu graves se font entendre parfois. Mais pas quand il lutte pour dissimuler son inquiétude.

- Qu'est-ce qui... LAIS! LUTHI! NE BOUGEZ PLUS!

Elle rêve. Dites-lui qu'elle rêve. Ils ont osé??

La Blonde se penche dangereusement par-dessus les remparts pour leur hurler sa consigne.
Bordel de merde. Et encore, c'est la version édulcorée. Pas besoin de beaucoup réfléchir. L'avait fallu qu'ils partent patiner. Elle savait que Luthi le faisait souvent à Paris, mais jamais elle n'aurait pensé qu'il aurait entraîné Moustique, ici, sur les douves.
Regard émeraude qui plonge dans celui de son amour. A peine une demi-seconde. Contre-poussée pour donner l'impulsion et voilà la cavalcade qui commence; malgré son dos, malgré la fatigue de son Loup.

- GAUVIN! LA GARDE! AUX DOUVES!

Enfiler les escaliers à moitié gelés, s'agripper au mur pour ne pas glisser et rajouter à la catastrophe une jambe pétée.
Se mêler aux bruits de bottes de Rhuyzar, de celles des deux gardes en faction qui partent dans leurs traces. Gagner la rive le plus vite possible.

Jeter un regard par-dessus les chaines.
Ne pas crier, lèvres scellées sous la colère et l'angoisse. Le regarder s'approcher de la faille s'agrandissant. Lui hurler de rester en arrière.
Et rien ne sort.

Courir dans la neige, oublier le bonheur de la petite musique cotonneuse pliant sous leurs pas pour n'y voir qu'un avertissement mortel.
Contempler les volutes de vapeur exhalées, le souffle qui se raccourcit. La distance n'est pas longue, mais l'hiver semble vouloir jouer contre eux.
Les craquements lui viennent jusqu'aux oreilles maintenant, emportés par le vent redoublant de violence, en un rire sinistre se délectant de la situation.
Comme s'il fallait les empêcher de venir les sauver...

Bordel de merde de bordel de merde de... Longue litanie qui s'égrène dans sa tête et l'enflamme dangereusement. Vous avez jamais vu votre Daronne en colère? Bah là, c'est pire.

- LAIIIIIIISSSSS! DAROOOOOOOONNE!!!

Il appelle à l'aide celle qu'il passe son temps à défier mais la seule en qui il est une confiance aveugle.
Son amie, sa meilleure amie, celle sous SA responsabilité pour qui il conçoit des sentiments allant au-delà de la simple affection se laisse couler, tétanisée, happée par des bras invisibles qu'il ne connait que trop bien. Y'a que toi qui peut m'aider Daronne...
Qu'a-t-il fait... Pas elle... Non... Pas ma Lais...

- LUTHIII!! NE BOUGE PLUS!!

Non... Non. NON! Reste où tu es on arrive! Par les ENFERS! Une fois dans ta vie, écoute MOI!!
Non, bien sûr que non, ce serait tellement plus simple. Elle ne fait même plus attention où elle pose les pieds, obnubilée par le spectacle désastreux.

Son page qui plonge à moitié dans l'eau glacée pour attraper la main de Lais et la tirer hors de l'eau.
Le poids des vêtements bien trop lourd pour lui; nouveau cri silencieux en le voyant se débattre de toutes ses forces pour la hisser.
La glace craque à tout rompre, dans un bruit sinistre rebondissant sur les murailles.
Sébastien entraîné à son tour dans la faille...

Rhuyzar va arriver trop tard... Non pitié... Non... Pas les gamins...

Tout devient flou, en dehors du trou noir qui l'hypnotise.
Une main la retient en arrière, sans doute celle d'un garde, qu'elle repousse d'une bourrade sèche.
Elle finit de glisser sur les rebords, au moment où la main de Rhuyzar se referme sur la ceinture de Luthi, sa cape claquant furieusement dans le vent.
Sa senestre plonge à son tour pour les aider à remonter la petite. Elle ne sent même pas la morsure sur sa peau. Pas besoin de regarder son amour, leurs gestes se coordonnent d'instinct, même si sa force fait la différence, le temps qu'un autre garde vienne les aider.

Toussant comme des dératés, essouflés, les uns gelés et à moitié évanouis par la claque du froid, les autres trempés de la sueur de la panique, deux gamins et quatre adultes se retrouvent pantelants sur les berges.

- Faut... Pas... Rester là...

Voix qui se mélangent, pensées qui ne font plus qu'une. A peine ont-il réalisé que les gamins sont sortis des eaux que l'étape suivante est déjà claire dans leurs esprits. Après la noyade, le danger n'en est pas moins grand. Apoplexie.
Les réchauffer. Faut que le sang rebatte à leurs tempes. Tout de suite.

Poussant douloureusement sur ses genoux - éclair de lucidité, elle ne se souviendra jamais de ce qui s'est passé exactement - son dos manifestant contre un nouveau geste brusque, sa main toujours fermée sur la cape de Moustique tire l'enfant vers le haut de la berge, aidée du soldat qui voulait la retenir, Luthi pris en charge par son camarade et Rhuyzar.
Après l'instinct, est venu le temps de la froide réflexion guidée par la surive, la colère noire qui commence à gronder chassant la peur de les perdre, menaçant d'exploser si violemment qu'elle en pince ses lèvres en un mince trait de mauvais augure.

- Courrez... Chateau... Baquet... Frictions... Salon...

Regard interrogatif de l'homme d'armes, pas certain d'avoir bien compris. Retour de regard couleur orage avant de détaler comme un lapin.
Rhuyzar soutient Luthi par les épaules, qui crache ses poumons tout ce qu'il peut, cherchant un signe de vie sur le visage de Lais.
Gamine prise en charge par Daronne, qui refuse de la lâcher, et l'autre homme.

Allongeant le pas pour avoir une chance de les maintenir en vie.
_________________

Laïs

Elle a senti...
Là...
Une main qui a attrapé la sienne. Une main pas encore très grande mais qui l'accroche à lui casser les doigts. Et qui la tire, la tire de toutes ses forces.
La tête de la pitchounette refait un instant surface. Grande respiration rauque pendant que seul son visage flotte un instant entre le tissu et les cheveux, minces algues qui viennent encadrer sa peau qui est devenu marbre blanc. Les yeux toujours aussi exorbités cherchent un visage....
Son courien. Il est là penché sur elle, hurlant à la mort, le bras tremblant, tétanisé par l'effort...

Luth.....

L'eau s'engouffre, glacée comme une lame dans sa gorge, pendant qu'elle se débat dans un sursaut de volonté. Sa main se crispe encore plus sur celle de son alter ego, pendant que son bras libre essaie de lever le poids des laines qui l'épuise. Se maintenir à la surface. Y a une voix qui lui hurle de le faire dans sa tête.

Luthi !

Elle a réussi. A crier. La terreur du cri a dû glacer les entrailles du courien. Quinte de toux noyées dans l'onde qui perfide s'engouffre toujours à travers ses lèvres ouvertes. Tenir, tenir.... il a appelé Daronne. Il a appelé Daronne. Elle est toujours là Daronne quand on a besoin d'elle. Toujours. Elle est forte Daronne. Elle va les sortir de là. Tenir, tenir.... avant que....

Nouveau craquement sinistre et d'un coup, plus de tension sur le bras de la pitchounette. Un vague vient la submerger pendant qu'elle sent le corps du courien s'enfoncer dans l'onde meurtrière. Mais elle coule, elle coule pendant que ces yeux ouverts voit les jambes de Luthi, déformées par l'onde, qui tend à la rejoindre dans sa prison liquide et glacée. Elle hurle intérieurement... Laisse moi ! Tu vas tomber aussi ! Lâche moi ! Tu vas mourir! Pitchounette qui essaie de lâcher la main qui l'agrippe toujours, sans vouloir déserrer son étreinte d'un poil, lui broyant les phalanges, qui glissent comme des anguilles à travers les siennes. Elle pense pas une seconde qu'elle va y passer.... Daronne va arriver.... Daronne arrive toujours à temps... Da...ronne...

Son corps secoué de spasme commence à trop s'épuiser dans la lutte inégale contre l'eau, qui elle se bat à la dague de glace en l'immobilisant avec des boulets de tissu.... se débattant... de moins... en … moins...

La suite ?
Elle sait pas trop la pitchounette. Elle s'est sentie sortir de l'eau. Elle a senti ses poumons chercher de l'air et cracher de l'eau. Elle a senti des mains la porter, l'emporter.
Elle tremble, elle tremble.... de moins en moins... Elle essaie d'ouvrir les yeux à travers le voile d'inconscience qui commence à la recouvrir.

Luthi... Luthi... Luthi...

La petite murmure, murmure de moins en moins, pendant que ses lèvres se colorent d'un bleu inquiétant et que sa peau se lacère de trainées violettes, devenu marbre blanc veiné.
Un dernier papillonnement... Daronne ?
Un dernier soupir. Luthi ?
Et elle sombre la pitchounette, elle coule cette fois, pour de bon.
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Deux adultes, trois gamins, des milliards de possiblités...

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