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[RP] - L'arme ultime.

Aleanore
[Suite au viol perpétré à Mâcon]



Ombre esseulée dans les ruelles de Mâcon-la-Rusée qui titube, qui manque de s’effondrer. Coquillage brisé, nacre souillée, le corail recouvert de sang du tissu des jupons traine dans la fange de la rue, de la vie, de sa vie. Ces mots lointains qui résonnent à ses oreilles, obscurs, sournois, aller au diable, elle le quitte, elle quitte l’Enfer. Damnée. Quelques pas, trouver la force de s’abandonner décemment au moins cela, esquif troublé, elle quitte un bouge mal famé pour gagner une auberge où elle pourra se laisser aller. Enfin, les noisettes discernent l’en-tête de l’auberge où elles logent. Ombre esseulée dans les ruelles de Mâcon-la-Rusée qui titube et s’engouffre dans l’embrasure de la porte, capuche recouvrant le profil fin, laissant s’insinuer à l’extérieur, les mèches salies d’une soie ténébreuse. Chatte sauvage blessée, poupée cassée, la peau livide recouverte de sang, blanc et pourpre, deuil et union. Destruction.

Lentement, accrochée aux murs, elle avance. Lentement, gagner sa chambre, le repos. Pourquoi ne peut-elle y avoir accès.. Requiem Aeternam, les mots reviennent, cantique cynique, litanie qui détruit. Autour d’elle le silence, sont-elles parties ? Abandon qui lui vrille le cœur, au moment où elle voudrait.. Mais ne peut pas.. Evidence qui la frappe, se taire, elle doit se taire, encore un coup de couteau dans le cœur trop fragile. Le faire taire lui aussi. Se taire et se terrer. Animal blessé qui aspire à panser ses plaies, la porte de la chambre s’ouvre, regard qui erre sur l’univers qui s’offre. Clarisse est passée par là, les tentures personnelles et préférées ont été accroché même pour une nuit, Clarisse est passée mais n’est plus là. La porte se referme, instant de latence, perdue au milieu d’un décor familier, un instant, elle titube, se rattrape à une chaise, bascule en avant, la tête lui lance, le corps lui lance. Etre vivante la tue.

Les mains machinalement détachent la mante fourrée qui glisse au sol, sur le parquet souillé par les jupes qui trainent. Machinalement, elle passe une main dans ses cheveux. Souvenirs qui lui vrillent l’esprit. Ses mains dans ses cheveux. Main qui vient étouffer un gémissement, les dents se plantent sauvages dans la chair tendre pour taire la douleur du cœur. Reflet du miroir qui présente une jeune fille.. Une femme aux yeux hagards, yeux fous. Les lèvres tressautent, les dents s’entrechoquent et tombe comme un couperet la conclusion.


-« Je suis folle. »

Noisettes écarquillés qui fixent un visage qu’elle ne reconnaît pas, cernées de n’avoir pas dormi ou trop peu, lèvres gonflées d’une nuit qu’elle se réapproprie petit à petit. Abandon, les mains en coupe réceptionnent le visage. Se souvenir, savoir. Elle revoit la chambre. Elle entend les injures. Leur dispute, une de plus. Mais après, la migraine.. La douleur en bas, trop bas. Beaucoup trop bas. Douleur présente, lancinante, vivante. Trop vivante. Beaucoup trop vivante. La main gauche vient balayer d’un geste brusque tout ce qui occupe la tablette de la coiffeuse, les noisettes fixent un instant, la main. Traces de sang séché sous les ongles, sur les mains. Souvenirs, son dos qu’elle revoit en lambeaux, déchiqueté par les ongles en furie, lâchés à l’assaut pour repousser ou accueillir le sien, elle ne le sait même pas. Qu’a-t-elle fait ? Qu’ont-il fait ? Que lui a-t-il fait ? Les questions tourbillonnent dans sa tête qu’elle tient à deux mains, compresser, écraser, les faire fuir, revenir, le passé, pas l’avenir. Et le cri s’échappe.

-« JE SUIS FOLLE ! »

Combat perdu d’avance contre la raison. Animal blessé qui hurle sa douleur, râle désespéré de qui a peur, elle souffre la poupée dans son âme et conscience de ne savoir qui a mené ou terminé la danse. Les noisettes allumées d’un feu nouveau tressautent, chavirent comme le cœur. Souffre-douleur, évacuer, les ongles se font destructeurs, arrimés à la première tapisserie trouvée, cri de rage tandis qu’ils déchiquettent savamment l’œuvre précieuse. Sur les joues, le torrent de larmes ne s’arrête plus, intarissable source de sa peine, les griffes destructrices s’activent, jetant au sol une porcelaine délicate. Petit à petit, la chambre décorée avec soin devient le champ de bataille d’une lutte qui n’oppose que sa folie à elle-même. Rendre les armes. Jamais ! Les yeux se posent sur la cotte enfilée avec hâte, cotte tâchée du sang d’un homme qu’elle ne connaissait même pas, cotte qui lui fait horreur. Horreur comme le cri qui s’échappe des lèvres, nerveux et fébriles les gestes pour l’arracher de son corps ce tissu souillé du sang d’un autre, de la vie. Et la sienne ? Qu’a-t-il fait de sa vie ? Frémissantes, les mains pleines de plusieurs sangs mêlés achèvent d’enlever la cotte. Nue pour la deuxième fois de la journée puisqu’elle n’a pas pris le temps d’enfiler autre chose avant de quitter le bouge. Nue et souillée pour la deuxième fois de la journée.

Corps qui se tend à l’extrême, hurlement sauvage, la douleur à l’état pur, c’est donc cela. Et soudain, le cri s’arrête, suspendu, plus d’air, les lèvres happent un dernier souffle, les noisettes clament leur fureur de vivre, trop lâche pour mourir. Brisée, la corde rompt et la poupée retombe disloquée sur le lit, plus soigné que celui qui a vu sa jeunesse et sa pureté partir en fumée. Corps d’albâtre marbré à divers endroits, elle n’était pas faite pour l’amour, elle n’était pas faite pour cet amour, trop violent. Et sur les cuisses, derniers vestiges d’une immaculée, le sang séché d’une vierge éplorée. Les noisettes fixent, lueur folle, l’oreiller. Pendue au coin des cils, au bord du cœur, au saut de l’âme, perle de cristal. L’arme ultime d’une jeune fille devenue femme. Devenue folle pour l’amour d’un homme. Et entre les lèvres qui tremblent, les mots glissent, limpides, souffles éphémères, répétés pour mieux convaincre.


-« Folle, je suis.. folle. »

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Kilia
[Le monde est fou]

Encore une nuit où elle a du mal à dormir, encore une nuit à se poser les questions sur leur à venir... avenir. Plus question de suivre sans savoir, plus question d'épuiser ses filles, sa nièce et la petite nouvelle qui a agrippé son cœur...plus possible. Elle s'en veut de tout cela, se demande si c'est un bien ou un mal de ne pas avoir combattu. Une perte de temps mais peut être que dans sa folie de vouloir prouver qu'elle est Pair, qu'elle mérite sa place, que le prix à payer aurait pu être plus lourd de conséquence. Emmener celles qu'elle aime le plus en croisade. Qu'elle manque de jugement. Tout ça pour ne pas faire de la peine...mais quelle mère était-elle pour les avoir emmenées si loin pour se battre. Pour ne pas avoir voulu les abandonner encore une fois pour ses idées, et ne pas leur avoir dit non, ou plus encore, ne pas avoir décidé de rester avec elles... cette fois si...

Son sommeil est perturbé, elle se bat toujours contre le néant, son néant... elle-même. Mélange entre cauchemar et réalité, les bruits d'objets renversés se mêlent à ceux de ses rêves. Elle s'extirpe de ses songes pensant entendre un cris. Dans le brouillard de ses propres chimères elle ne peut discerner la réalité. Elle se tourne, se retourne et encore une fois elle se relève afin d'attiser le feu. Silhouette aux pieds nues qui s'accroupit, main agrippant le tisonnier? Le fer pénètre méticuleusement dans la buche pour y décrocher les braises. Elle reste ainsi fixant les petites étincelles qu'elle regarde s'envoler comme tous ses espoirs passés.

Elle se crispe, son oreille se redresse subitement, un quart de seconde pour comprendre que c'est un cri de femme et celui-là bien réelle . Elle sert plus fermement le tisonnier, agrippe son mantel, la duchesse est déjà sur le palier de la porte quand elle s'enveloppe du vêtement, oreille et yeux aux aguets. Pas le temps de penser elle court jusqu'à la porte d'où provient le hurlement. Quand elle s'y engouffre le silence à reprit son droit et c'est Aléanore étendue sur le lit qu'elle perçoit. Elle se précipite pour l'examiner et de ce spectacle miséreux elle ne met pas longtemps à comprendre.
Mais déjà bruit de pas dans l'escalier qui la fait repartir dans le couloir et sans réfléchir elle indique de la main à la jeune servante de se stopper. D'une voix marquant sans nul conteste son autorité.

Attendez-moi là.

Kilia entre à nouveau dans la chambre prenant soin de verrouiller la porte tisonnier dans une main et l'autre prenant la dague dans le revers de son mantel.

N'ait pas peur Aléanore, c'est Kilia, je suis là.

Yeux toujours aux aguets avant de se précipiter sur la belle à nouveau. L'idée que le diable est peut être encore là. Elle veut être certain que celui qui lui a fait cela n'est plus dans la chambre et si il l'est, sûr qu'il a intérêt d'être bien agile pour en réchapper. Quelques secondes à fouiller les recoins, la duchesse même en vêtement de nuit ne baisse jamais sa garde avant d'être certaine qu'il n'y a plus de danger. Elle défait son mantel et enveloppe Aléanore.

Dans toutes vies nous voyons des choses qui marquent à jamais, et l'image de cette jeune fille salie, meurtrie ainsi lui fit monter en elle cet haine ce dégout pour le genre humain. Pour toute l'horreur que Kilia pouvait s'imaginer de la scène qui s'était déroulée, elle avait envie de crier et pourtant elle n'avait rien subit...elle.

Mains qui se font douces et rassurantes, regardant le visage tuméfié de la jeune femme.

Aléanore, c'est Kilia réponds moi, je vais m'occuper de toi ne t'en fait pas.


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[Décloisonnez les Fofos!]. Pair de France, Mère d'anjou
Aleanore
Où vont les rêves des amants ? Leurs mots, leur fièvre, je reviens, je t’attends.. Et quel amant, mariage raté du vice et de la vertu. Les choses ne sont jamais ce qu’on voudrait qu’elles soient, et la jeune fille comprend enfin tout ce qu’on lui a caché dans l’enfance. Tout ce qu’elle n’avait pas encore compris, toute la folie de la vie. Et la bulle de folie, pauvre enfant perdue qui ne comprend plus, se voit crevée par une voix. Voix d’une mère, présent de Dieu qui a mis les femmes sur la terre pour préserver ses enfants, et la jeune fille devenue femme lève des prunelles angoissées et vide de lucidité sur la femme, la mère, l’amie, la sœur. Plus encore que le mantel, ce sont les mains qui réchauffent le corps glacé de la poupée disloquée, les noisettes glissent sur le visage rassurant de la femme devant elle. Combien d’hommes l’ont aimée ? Combien d’hommes l’ont fait pleurer ? Et si la bouche est scellée, le regard interroge inlassablement. Est-cela être femme ? La douleur, la peur, l’amour, la haine.

Pendue au coin des cils, elle attend son heure, larme ultime qu’elle refoule pour ne pas se laisser submerger par les flots qu’elle sait d’avance intarissables si ce n’est par l’épuisement. La main tachée du sang des hommes se lève pour venir se poser sur la joue de la mère en face d’elle. La mère. La sienne avant toutes les autres, son amour ravageur, protecteur, ses noisettes semblables aux siennes, si ce n’est le vert dont elles se chargent quand vient la rage. Sa mère qui tuerait si elle savait, sa mère qui désespère de lui apprendre l’humilité et qui lui a appris l’amour, plus beau encore, plus fort. La mère Ortense, fragile et douce mère supérieure aux yeux enjôleurs, qui a su comprendre l’âme torturée d’une enfant arrachée à sa moitié. Humilité, peine perdue, don de soi, trop, elle aura tout donné ce soir. Plus tard, quand elle aura quitté la chambre, quand elle aura dressé des murs autour de son cœur et de sa folie, la Meyre qui un soir d’hiver aura percé la défense d’une jouvencelle aux paroles d’adultes, mais à l’âme d’enfant. Où l’acier perçant d’une renarde aura su faire flancher la garde d’une poupée, hébergée pour une nuit dans cette auberge simple, si simple qu’elle en devient intime, partir pour ne pas toujours rester. Et se souvenir que la Meyre sera aimée. Et maintenant, devant elle, sous sa main, se tient la Mère de l’Anjou, femme qui a vu mourir des hommes, naitre des enfants, hurler des vieillards et pleurer des femmes. Et alors que l’arrogante poupée devrait se dresser pour rassurer, civilités mal placées mais qu’elle aime à utiliser, la folie la retient, implacable prison qui la rejette dans les affres de son âme.

Masochisme mental qui lui renvoie Ses paroles. Plus rien. Sans valeur. Et la mémoire se déroule, quatorze années en arrière, touchant des sommets, frôlant les nuages, doigts enfantins qui caressent les ailes d’un papillon écarlate, et déjà, elle redescend, la terre ferme, le regard éteint de sa mère et le dos d’un père. Aperçu, jamais revu. Dans les bras de sa mère, les doigts enfantins s’emmêlent à ceux de son jumeau, sa moitié. Promesses d’éternité, ne pas faire comme les adultes, ne jamais se quitter. Et les murs du couvent entre elle et sa famille. Education. Rébellion d’une fillette de dix ans qui voudrait pouvoir continuer à jouer. Echo qui répercute son prénom. Arthur.. Arthur n’est plus, on lui a dit. Calmement, sereinement, pour ne pas qu’elle pleure, il s’est éteint, la maladie comme leur oncle. Elle ne doit pas pleurer, elle doit prier, elle est grande. Et dans la chambre du couvent, l’infante caresse les cheveux de sa poupée en bois, voix cristalline qui se fait sévère. Voix chaude d’une adolescente qui retrouve en un instant les mots qui ont cerné son enfance.


-« Allons, il ne faut pas pleurer. Tu es grande, nous allons te faire jolie. Toujours très jolie, Arthur aime cette couleur. Allons, il ne faut pas pleurer. Tu as passé l’âge, que dirait Arthur, s’il te voyait. Allons, il ne faut pas pleurer. Arthur n’est pas mort, tu sais, il est juste.. parti ailleurs. Il a dit qu’il partait lui aussi, pour apprendre. Allons, il ne faut pas pleurer. Il va revenir, il l’a promis. Il m’a promis. »


Et sous la pression nerveuse de la main, le bois fin rompt. Et sous la pression nerveuse de la douleur, la main retombe. La poupée s’est cassée. La paupière cligne, la perle de cristal, de son âme est refoulée au plus profond d’elle-même. Aléanore ne pleurera plus. Les noisettes se lèvent vers la femme à ses côtés, inquiète. Pensée fugitive. Toutes les mères sont inquiètes. Eteinte la voix s’élève.


-« J’ai mal. »

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Kilia
Ses yeux scrutent les siens pour rechercher la vérité, pour chercher l'âme qui semble ne plus vouloir revenir dans se corps bafoué.

J'ai mal

Avec une infinie prudence Kilia lève la main pour lui caresser la joue, lui retirer les mèches de cheveux qui lui barrent le visage. Faire sa main la plus douce possible afin d'effacer la violence qu'elle avait dû connaître.

Je sais mal belle, je sais... Ça va aller mieux...

Est-ce un mensonge, le besoin de le croire?
Elle la recouvre de l'édredon, elle la sent gelée.
Avec ce qu'elle a vu de ce corps tuméfié, elle doit en effet avoir horriblement mal et si les saccages à l'intérieur ont était aussi violent qu'à l'extérieur elle doit affreusement souffrir. Déjà évaluer les dégâts, la laver de tout ce sang et voir.

Elle retourne dans le couloir où la servante attend, et en chuchotant.

Un cauchemar...elle est tombée du lit et s'est blessé, pouvez vous me faire chauffer de l'eau, beaucoup d'eau chaud, ça lui fera du bien et me rapporter des linges propres. Déposez le tout devant la porte et ne dites rien...demain vous aurez quelques écus en plus.

Une question qui n'en est pas une, le ton n'y est pas, un ordre. La Servante hausse les épaules mais hoche de la tête et s'exécute.
Faire en sorte que ce qui arrive à Aléanore se tait, Kilia sait ce que cela signifie pour une demoiselle noble, cet outrage peut devenir le doigt tendu qui la poursuivra toute sa vie.
Elle part dans sa chambre, heureusement elle a toujours ses sacoches avec elle et les petits sachets vont lui être d'un grand secoure. Faire taire la douleur...
En entrant, haut-le-cœur qui lui prend, grande respiration et coup de pied dans une buche. Pas de chausse... grognement. Bordel! Rage, si elle tient celui qui a fait cela...

Elle repart vers la belle, repart vers cette écrin brisé, ce trésor dévasté. Ne surtout pas la laisser seule, ne pas la laisser encore plus sombrer, lui parler d'une voix douce et rassurante, voix maternelle celle de la vie, pour que la vie reprenne le dessus, toujours reprendre le dessus, sur tout, sur l'infamie, l'ignominie... l'horreur, le déshonneur. Elle lui explique tout, commente un à un ses gestes juste pour qu'elle sache, qu'elle ne soit pas encore une fois contrainte.

Je suis allée chercher quelques plantes dans ma chambre, ne t'inquiètes pas, je sais ce que je fais, tu vas être soulagé...La femme de chambre va apporter de l'eau chaud...elle restera derrière la porte je la paierai pour son silence, rassure toi je ne lui ai rien dit, autant que personne ne vienne nous déranger...t'es en sécurité, ça je te le promets.

Mains qui encore une fois se fait douceur et caresse la joue de la belle avant de repartir vers la table de la coiffeuse déjà débarrassée, y déposer les sacoches. Elle a retrouvé ce calme qui ne l'abandonne que très rarement, ses gestes sont méticuleux. Faire taire la douleur... dans sa main le sachet qu'elle s'interdit d'utiliser sauf en cas de grande nécessité et là pas le choix, rien d'autre ne pourrait faire taire la douleur...à part cela et pourtant elle en connait les dangers. Aléanore n'est plus là, et elle doit apaiser pour la retrouver. Elle en a vu des regards et Kilia en voyant les prunelles de la jeune fille à de suite compris. Le choc de l'horreur, l'âme qui ne veut plus vivre dans ce corps et la folie qui ne veut que prendre place. Si elle ne lui donne pas, elle risques de perdre son âme à jamais. Faire illusion, lui donner le calme et soulager le corps pour la faire revenir...pas le choix...elle restera près de la jeune fille pour la surveiller, ça ne peut pas être pire...non ça ne peut pas.

Elle jette du bois dans la cheminée, il lui faut réchauffer la jeune femme, faire chauffer de l'eau pour ses infusions.
Grattement à la porte et murmure L'eau est là. La servante aura bon gage elle est intelligente et tout ce que kilia a demandé est là.
Elle prend les deux sceaux, prend le bassinet , et les linges, refermer soigneusement et lui parler.

La servante m'a apporté l'eau chaude, je vais te laver de tout ceci, mais avant il va falloir faire un effort pour boire ma tisane.

Elle fait infuser l'angélique et y délaye le contenue de sa petite bourse en tissu, un mélange noir qui endort les douleurs et embrume l’esprit. Elle s'assoit sur le lit près d'Aléanore le temps que l'eau soit à bonne température et toujours lui parler, mains qui se font douces. Puis la redresse pour lui faire boire.

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[Décloisonnez les Fofos!]. Pair de France, Mère d'anjou
Aleanore
Elle voulait savoir la vie, maintenant, elle sait. La vie est sale, comme son corps. Souillée par les hommes. Puisque le mal c’est cela, il faut l’enrayer. Elle a senti la caresse de la main, entendu les murmures. Murmures ? Si cela venait à se savoir.. Les mains agrippent les draps, se cacher, voiler ce corps qui lui fait honte, qui la tue parce qu’il vit, les jambes se crispent pour se replier un peu plus. Disparaître. Soudain, c’est le vide. La présence réconfortante est partie, noisettes affolées qui guettent les recoins de la pièce, les lèvres tremblent en quête des mots à dire, à crier. Et si elle aussi, la quittait ? Un bruit dans une des pièces voisine, elle sursaute, gémissement qui s’échappe des lèvres abimées, et si c’était lui qui venait. Revenait. Finir ce qu’il a commencé, mais finir quoi. Elle n’a plus rien à offrir, l’Etincelante poupée brisée par sa propre vanité.

Et de nouveau, la présence rassurante de la femme assez forte pour toutes les deux, présence chaleureuse autant que le feu rallumée dans le foyer. Les noisettes fixent ardemment le visage en face d’elle, se concentrer sur les lèvres, comprendre ce qu’elle lui dit, retenir l’essentiel s’il en est encore. Soulagée. Silence. Sécurité. Trois mots qui percent les entrelacs de la folie. Frisson quand la main se pose sur la joue meurtrie par sa main à lui, elle sera soulagée, elle lui a promis. Elle esquisse un mouvement pour déplier ses jambes, vite repliées, la lèvre est mordue au sang, un peu plus, un peu moins. Pourvu que ça s’arrête. Que la douleur s’arrête. Que les souvenirs s’arrêtent. Et la vie ? Les noisettes guettent un instant autour d’elle, et par terre, à côté des vestiges de la cotte, la dague offerte par sa mère.

Le corps blessé se meut, chairs meurtries, âme finie, l’échappatoire au pied du lit. Noisettes déterminées, et dans la tête, de la jeune fille, revient comme une entaille sournoise, les mots qui affaiblissent la volonté folle d’une enfant désespérée. Dignité, tiens-moi. Pas le temps de lutter que déjà Kilia revient vers elle. S’extirper du piège de la démence pour saisir le sens de ce qu’elle lui dit. Laver de cela, de sa condition de femme qui la fait coupable d’avoir été victime, les noisettes implorent pour que ce soit fait dans l’immédiat. Et les mots tombent comme un couperet, faire un effort. Elle voudrait hurler, elle a assez fait d’efforts, ne peut-elle simplement laver ce corps, l’oublier, s’endormir. Les ongles s’accrochent à la manche de la main qui la caresse tandis qu’elle la sonde du regard. Entend elle la douleur ? Là, dans son cœur, dans son corps. L’étreinte se détache tandis que l’angevine se lève pour mieux revenir, corps qui ne lui appartient plus qu’elle redresse facilement. Pourquoi tout le monde est-il si fort ? Pourquoi est-elle si faible ? Pourquoi faut-il que l’on fasse de l’histoire de sa vie, une comédie, une farce.

Les lèvres salies par la folie d’un homme s’ouvre sur la tendresse d’une femme et ses soins. Liquide brûlant qui glisse dans son corps, s’infiltre, s’insinue. Chaleur diffuse. Tandis que contre le corps de l’angevine, la poupée tente de conserver la tasse dans ses mains tremblantes, noisettes levées vers le visage au dessus d’elle. Et la tasse est repoussée. Finie. Vidée. L’attente ? Elle a promis que cela s’arrêterait. La chaleur diffuse du liquide lutte contre le froid emprunté à la douleur, à l’horreur de son corps. Et les noisettes se perdent dans les émeraudes, tandis que le corps frêle de l’enfant brisée se laisse aller contre la Mère. Lèvres entrouvertes pour laisser s’échapper les mots qui la taraudent.


-« Vostre Grâce. »
Boule dans la gorge, comme il est loin le temps où ces mots avaient un sens dans la bouche arrogante de la jeune fille au port altier. « Je croyais en l’amour, tu sais. Mais il me fallait les preuves. C’était si beau comme ils en parlaient tous, comme ils le vivaient. Tu aimes toi ? » Question posée par la voix aux accents chauds. Papillon arraché à son Limousin pour une Bourgogne froide et dure. Trop pour elle qui s’est brûlé les ailes. « Je ne veux plus aimer, je crois. Cela fait trop mal. Si mal. Pour lui, j’ai tout quitté. Pour lui, j’ai même tué. » Les mots s’écoulent, simples, enfantins. La migraine est partie. La tête est apaisée. « Je suis si fatiguée, je ne veux plus rien. Simplement m’allonger et te prendre la main. Je peux ? » Les paupières se ferment, tentative puérile pour ne plus voir le monde qui l’entoure. « C’est fini.. Je ne veux plus rien savoir. Il n’y a plus rien à croire. » Et lentement, l’Etincelle s’éteint dans un demi-sommeil. La douleur s’est tue et dans l’esprit de la jeune fille, tout n’est que brume opaque. Enveloppe épaisse qui recouvre les tortures psychiques de l’âme torturée. Et alors que l’opium prend le dessus sur la haine et la folie, les paupières se relèvent dans un dernier effort, tandis que les lèvres se descellent pour un mot, une entité. Son premier.

-« Merci. »


Et la poupée de s’abandonner au soulagement de l’oubli après la folie. Ne plus penser. Ne plus souffrir. Ne plus vouloir mourir et dormir, veillée par une Grâce. Requiem Aeternam.

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Kilia
[Certains jours ne finissent jamais]

Elle regarde cette enfant tombée du nid, ce petit moineau déchiqueté par la rage de l'homme. Qu'il est difficile de voir les gens souffrir et parfois on aimerait tant prendre une partie de leur peine, mettre un peu de ce fardeau sur soi afin d'alléger leur souffrance. Mais la vie n'est pas ainsi, chacun son bagage, et vis ma belle et lève la tête ma belle, tu devras le porter comme les autres, parce que tu dois vivre et même si tu veux lâcher cette vie cela ne se fait pas si facilement. Kilia en sait quelque chose. Elle la regarde boire comme si elle regardait un enfançon.

« Je croyais en l’amour, tu sais. Mais il me fallait les preuves. C’était si beau comme ils en parlaient tous, comme ils le vivaient. Tu aimes toi ? »

Boule dans la gorge de la duchesse qui ne répond que pas un léger hochement de tête, oui, elle aime et même elle a toujours eu le cœur trop grand pour ce monde qui a fait à chaque fois que cet amour la broie chaque jour. Comment le dire? Non, ne rien dire... elle ne parle que très rarement de cela.

« Je ne veux plus aimer, je crois. Cela fait trop mal. Si mal. Pour lui, j’ai tout quitté. Pour lui, j’ai même tué. »

Elle garde le petit moineau tout contre elle. Elle sait qu'un jour où l'autre Aléanore aimera encore puisque l'amour est le pire des venins et même s'il a failli nous tuer, même si l'on pense avoir trouvé l'antidote, il ressurgit en chacun. Car une fois que l'on a aimé, le venin est en nous et peut faire faire les pires des choses. Elle a tué...

Laa, laa ma belle, ça ira mieux...

Elle la berce doucement machinalement comme une mère avec son petit. Qu'elle aimerait poser la question, comme ça lui brule la gorge de retenir, mais ce n'est pas le moment. Aléanore doit oublier un moment toute cette nuit, dormir... oui... Dormir .

Délicatement elle s'écarte un peu d'elle afin de la rallonger et lui prend la main, petite main sans force, celle d'une poupée sans vie, petit pantin désarticulé que l'on a jeté après s'en être amusé, main froide et réagissant à peine.

Dors ma belle... dors bel oiseau.

Elle attend que l'opium ait complètement fait effet avant de lui lâcher la main. Ses yeux fixés sur son visage, attendre que les traits de douleur se détendent, attendre... La duchesse fait aussi un gros travail sur elle afin de résister à la haine qui brule son intérieur, s'empêcher de lui crier "Qui? Qui t'a fait cela ? Je vais lui retirer vivant les entrailles de son corps, le découper morceau par morceau des extrémités jusqu'au trognon." Se retenir pour la poupée, pour la laisser un moment oublier, laisser son âme se reposer. La main est posée avec mille précautions, main de porcelaine qui à tout moment semble pouvoir se briser.
Et le manège du linge dans l'eau chaude commence. Linge devant passer sur chaque trace de sang afin qu'il n'en reste plus une trace. Seul le bruit de l'eau emplit le silence, manège long, gestes minutieux. Yeux qui se froncent en voyant les traces de coups, les griffures, et nausée retenue quand il faut regarder les dégâts secrets. Respiration retenue, yeux qui se ferment d'eux même...retenir la haine...

Il fait jour quand les dernières traces de sang sous les ongles ne sont plus, Kilia a pris milles précautions. Elle ouvre un petit pot de terre contenant un baume à l’arnica qui en couche bien épaisse est étalée sur tous les coups. Elle finit par lui poser sur le corps un vêtement de nuit propre et la borde bien comme un enfant.

Le temps de bruler tout le linge rougi excepté le mantel d'homme qu'elle va cacher à la hâte dans sa chambre en même temps qu’elle va s'habiller. Se dépêcher de vider l'eau sanglante dans la cour et attendre auprès de la belle son réveil.

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[Décloisonnez les Fofos!]. Pair de France, Mère d'anjou
Aleanore
[Requiem Aeternam]

Plus rien n’a d’importance, cette vie en transparence où une femme s’occupe du corps déchiré d’une adolescente, ce n’est plus la sienne. Sourire qui flotte sur les lèvres blessées, trahies par des serments bafoués. Non, cela n’a plus d’importance, elle n’est plus là l’Etincelle. L’esprit a quitté pour le corps pour gagner le monde onirique où elle revoit les murs ensoleillés du couvent limousin où elle a passé son enfance. Les pieds nus de la jeune fille glissent, traces légères, éphémères, qui semblent flotter sur les pavés, le corps se tend, guidé par les chœurs qui ont empli ses journées. Ombre évanescente qui s’avance dans le cœur du couvent, éclairé des sourires de celles qui ont accompagné les heures passées entre les murs, altos, la voilà, contre-altos, chantez bas, soprano, je vous vois. Et la voix de la petite choriste s’élève, affirmée, assurée. Rassurée. Et les mots prennent leur ampleur dans l’envol que la voix amplifié par le lieu sacré confère. Sanctuaire. Requiem Aeternam.

Non, elle n’a pas souffert. Non, ce n’est pas elle. C’était une autre qu’elle ne connaît pas, qu’elle ne se connaît pas. Et tant pis, si le monde se bat dehors, Aléanore chante. Et tant pis, si le monde meurt dehors, puisqu’Aléanore chante. Requiem Aeternam. La poitrine frêle se gonfle d’un air qui ne demande qu’à expulser les mots, les émotions, ressenti, la douleur est finie. Les noisettes se posent sur les choristes autour d’elle, enfants, jeunes filles, femmes, savent-elles qu’on peut souffrir dehors ? Envie de leur confier l’horreur de l’extérieur, mais les mots continuent à s’envoler, plus fort qu’elle, plus fort que la haine, emportant au passage la douleur, les doutes, les pleurs. Elle ne sent plus son corps. Elle ne sent plus son cœur. Il peut bien s’effondrer le monde, Aléanore s’en fout puisqu’elle chante. Les mains se lèvent et sans surprise, elle remarque qu’elles sont propres. Derrière une colonne, appuyée sur l’éternelle canne en merisier, la Mère Supérieure, regard tendre d’une femme qui n’a jamais eu d’enfants si ce n’est ces filles. Noisettes tournées vers le visage que l’âge a travaillé, redessiné, gravé d’une centaine de peines et de sourires, les lèvres s’entrouvrent, cantique offert pour une éternité à rêver, il suffit de chanter.

Elle s’avance, soie sauvage qui s’écoule, et se déroule en boucles volages dans le creux du dos, mains tendues en offrande à qui veut de ces mots, elle, à qui l’essentiel a été dérobé, les noisettes dilatées visent le ciel dans un semblant de reconnaissance pour la paix enfin trouvée. Noisettes vite abaissées, aveuglées par un rayon de soleil. La main se porte devant le regard pour dissimuler la lueur trop vive qui déjà ravive la migraine qu’elle s’imaginait partie à jamais. La tête se tourne pour esquiver l’éclat vivant d’un soleil du nouvel an. Les noisettes se posent autour, plus de couvent, retour dur à la réalité, elle a rêvé, et même si c’était beau, ce n’était qu’un rêve. Le regard se pose sur la main, qui elle, est toujours propre comme dans son rêve. Comme le reste de son corps du reste, constat fait en même temps que celui de la présence latente de la douleur dans la tête, dans le corps, moindre que la veille, mais présente. Où es-tu ma Grâce ? Les noisettes interrogent, tressautent, flottent, encore embrumées de ce brusque retour à la vie, ou quand on quitte l’oubli sans préavis. La tête se repose sur l’oreiller un instant, évacuer les pensées qui se jettent dans la mêlée sans distinction, sans chronologie. Comme il semble loin le calme de son rêve.

Et la poupée de relever la tête, un peu, soupir poussé. Jusque là, tout va bien. Implacable réalité, oui mais demain ? Tais-toi mon corps. Les coudes servent d’appui tandis qu’elle redresse le buste. Jusqu’ici, je me survis. Inexorable vérité, et sans la vie ? Tais-toi mon cœur. Le regard se pose sur l’ange gardien qui la veille, tête qui inévitablement glisse de côté, paupières lourdes qu’elle tente de garder ouvertes. A-t-elle veillé toute la nuit, la Grâce ? La jeune fille rougit de se dire que cette femme si titrée à sacrifier une nuit pour sa survie, alors même que cela aurait du être à elle de la servir. Choc qui ébranle les convictions orgueilleuses d’une fille de nobles. Appuyée sur les mains, elle redresse le corps jusqu’à se retrouver assise, appuyée contre les oreillers, les noisettes parcourent sans mots son propre corps, en savoir autant qu’elle sur ce qu’il s’est passé. Ouvrir les portes aux souvenirs et risquer la folie une deuxième fois, frisson qui la prend, qui la laisse pantelante sur les rives de l’angoisse. Regard jeté à l’angevine, avant de repousser les couvertures, les noisettes se posent inquisitrice sur les jambes fuselées. Il lui faudra plier ce corps, il ne saurait en être autrement. Doucement, la jambe gauche glisse la couche, suivie par sa sœur. Les dents s’enfoncent dans la chair tendre de la lèvre inférieure, réfréner le gémissement quand les pieds se posent enfin sur le sol. Les paumes des mains posées sur les draps, ongles crispés dans les replis, reprendre haleine, reprendre courage, se remettre debout.


-« Dignité, tiens moi. »


Donner l’impulsion qui la relèvera, et qu’il se plie à sa volonté ce corps qu’elle hait parce qu’il l’a souillé. L’espace d’un instant, la tête lui tourne manquant de la faire retomber. Dignité. La couverture est embarquée, et l’Etincelle s’en drape. Le pied gauche est fixé avec le même regard implacable. Avance. Et d’offrir au jumeau le même traitement. Les élancements dans le bas-ventre la brûlent de l’intérieur, feu douloureux d’un traitement scandaleux. Et à pas comptés, la poupée gagne la fenêtre, noisettes perçantes qui guettent les ruelles de Mâcon. Inquisitrice. Et sans se tourner, la voix s’élève.


-« Il me faut oublier. Pour pouvoir lutter, cela ne restera pas impayé. »


Elle se tourne, noisettes implorantes, elle y a goûté, elle peut bien recommencer, prête à toutes les promesses pour regoûter aux moments d’ivresses que procure l’oubli. Se reconstruire à travers l’oublie. Se redresser à travers l’oubli. Les noisettes fouillent les émeraudes, reconnaissantes, mais suppliantes.


-« Vous comprenez.. Je dois oublier.. »


Le profil fin se tourne vers la ruelle, à la recherche du bouge où il se traine, l’auge où il crèchera, soulagé d’avoir pu en user. Et dans le cœur de l’Etincelle, quelque chose brûle, s’enflamme d’un feu ardent qui fait briller les noisettes d’une lueur d’un genre différent. La haine. Il lui faut oublier, se reconstruire et le détruire. L’évidence-même s’offre à elle. De nouveau, les noisettes glissent sur la duchesse, sourire tendre, confidence pour confidence, à elle qui l’a soignée qui lui donnait ses jolis petits noms qu’elle distinguait à peine dans le sommeil. Offerte en cadeau de remerciement, cette intimité qu’elle ouvre, regard qui se glisse et caresse les traits apaisants de l’angevine. Prête à tout, prête pour vous, ma Grâce.


-« Ma sœur m’avait donnée un surnom. ‘Nore. »


Qu’elle fasse ce qu’elle veut de cette intimité qu’elle lui révèle, elle sait qu’elle ne peut imaginer sa vie sans l’angevine. Attente d’une réponse favorable, la délivrance, les noisettes glissent inexorablement vers le dehors. Murmure sifflé entre les dents.


-« Nore.. avec une Haine majuscule.. »

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Kilia
Les yeux enfin s'ouvrent et Kilia ne bouge pas. Lui laisser le temps de reprendre vie, comme un papillon sortant de son cocon, elle doit appréhender la vie avec ses douleurs, son cœur pressé comme une éponge, elle doit reprendre place dans ce corps qui sera à jamais le sien. Elle la regarde n'osant pas briser le silence, pensant que si ce n'est pas Aléanore qui parlait maintenant elle risquait de ne plus jamais le faire. Kilia est là, présente par son regarde, la soutenant de son mieux par sa présence, ses yeux lui crient « oui, vas y ma belle, marche, je sais que c'est difficile, je sais que tu as mal, mais il le faut... »

Elle n'ose respirer de peur que son souffle sur la belle si fragile la fasse retomber au sol. Papillon qui s'est brulé les ailes, attirés par la lumière qui lui a tué sa jeunesse. La duchesse sait que la belle gardera toujours la blessure. Et de ses quelques mots elle comprend surement plus que ce qu'elle veut laisser percevoir. La Duchesse se lève doucement et vient poser sa main sur l'épaule de la jeune fille. Son regarde à elle aussi part sur la ville et la même question se pose, où est celui qui a fait cela?

Je vais faire en sorte que tu oublies, oui, le temps que ton corps se remette, mais ce ne sera que très peu de temps, Aléanore.

L'oublie a un visage bien dangereux qui peut entrainer la mort, et Kilia connait assez bien ce visage pour ne point le souhaiter à la jeune fille. Le néant a une force d'attraction diabolique, et la duchesse fera tout pour que la jeune fille n'y prenne pas goût.
Sa main se fait plus ferme afin de l'inciter à aller se recoucher. Son bras se glisse sous le sien et l'aide à ne pas tomber.
Ses yeux se posent sur le visage tuméfié et d'une voix douce, mais ne pouvant plus retenir cette question qui lui brule les lèvres depuis qu'elle l'a vu habillé de son sang.

Et maintenant que tu as repris un peu de force Aléanore, dis moi son nom. Je ne te demande pas de me dire ce qui c'est passé parce que je l'imagine très bien, mais juste un nom. Aléanore, juste un. Il sera fait selon ton souhait. J'en ai parlé à personne, mais je peux faire en sorte qu'il paie.

La duchesse si posée qu'elle soit aujourd'hui connait la haine, connait l'envie de se venger mais elle sait aussi ce que cela veut dire. Elle sait vers quel chemin on se dirige quand on ne ressent plus que ça. Pour le moment cette haine servira au papillon pour reprendre son envole, mais après...
Le plus important est qu'elle reprenne des forces afin de quitter cette ville de malheur, ce duché diabolique qui à chacun de ses passages s'amuse à les broyer elle est ceux qu'elle aime.

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[Décloisonnez les Fofos!]. Pair de France, Mère d'anjou
Aleanore
Il est des mystères qu’on ne peut percer, et la complexité de l’âme humaine est de ceux-là, pourquoi alors que tout va mal, alors qu’on voudrait enfin pouvoir se retirer, individu parmi tant d’autres, être insignifiant s’il en est, pouvoir obtenir la rémission des fautes commises et enfin, pouvoir obtenir le droit de se mettre en marge de la vie. Pourquoi faut-il qu’une personne vienne, lueur vacillante, pour tendre une main qu’on hésite à tenir, parce qu’on sait qu’elle nous forcera à nous remettre debout alors que finalement, c’est à terre qu’on se sent le mieux, puisque c’est là qu’on a le moins de surprises, finalement. A terre. Loin du regard des hommes, loin des « je te pardonne », loin de ceux qui feignent la compassion, loin des « c’est fini, allons ». A terre, face contre terre, au sol pour feindre de ne plus sentir les lames de l’enfer qu’est la vie sur terre. La main tendue est là, impossible de l’ignorer, de l’oublier puisqu’elle brise l’obscurité, qu’elle fend les défenses, les murailles dressées par une conscience à bout de souffle qui préfère protéger ce qui lui reste, plutôt que d’abandonner pour de bon.

Et c’est cette main sur son épaule qui retient l’âme au bord du gouffre, puisque le corps souffre. Les noisettes se perdent dans les émeraudes, à la recherche d’une vérité. Comment faire ? Le cœur est serré dans l’étau de sa propre faiblesse. Etre femme et ne l’être qu’à moitié. Ni amante, même pas mère, piètre fiancée, pantin désarticulé, bafoué parce qu’elle n’a pas pu résister. Qu’est ce qu’être femme ? Si ce n’est un être fait de chair et de larmes. Impérieuse la présence ducale qui la presse contre elle pour la guider jusqu’au lit sur lequel, elle se laisse tomber. Finie la dignité de la journée. Demain peut être. Pour l’instant, elle se concentre sur l’accord tacite entre sa Grâce et elle. Oui, pour l’oubli mais oubli à temps partiel. Raisonnable. Elle se glisse sous les draps, lentement. Méditer la question, le regard, les conséquences que ce nom aura sur la suite, si elle l’offre. La mine se ferme tandis qu’elle regarde sans le voir ce corps qui lui appartient à lui plus qu’il ne lui a jamais appartenue à elle. Elle hésite. Mentir à cette femme merveilleuse et généreuse qui lui a fait confiance dès le premier jour. Ou lui refuser ce nom tout simplement. La main fine s’extirpe de sous les draps et vient glisser dans celle de Kilia.


-« Je ne vous le dirai pas. Vous le saviez avant même de poser la question. Jamais. Et à personne. Mais il paiera, et il faudra m’aider pour cela. Je dois apprendre. Tant de choses. »


Noisettes au regard confiant qui s’écoule pour se perdre, se lover dans celui étincelant et tranchant des Emeraudes. Confidences pour confidences, en silence. La haine entre elles, commune, finalité qui lie plus encore les deux femmes. Les paupières se voilent doucement, emportées par la fatigue, et les nerfs qui retombent. Encore un peu de repos avant le départ de Mâcon, main toujours ancrée dans la sienne. Derniers moments d’intimité entre deux écorchées.



[Au soir d'une aube nouvelle ou d’un crépuscule final.]

Fils de soie, fils de toi, délicats qui coulent entre les doigts. Mèches de cheveux, brunes toutes deux, qui s’envolent dans la brume d’une Mâcon qui voit deux destins se séparer pour mieux se retrouver. De l’intérieur de son coche, l’Etincelle alanguie dans les coussins regarde un étalon noir emmener sur son dos, une femme à la chevelure aussi sombre que son crin. Les lèvres vermeilles esquissent une moue boudeuse avant de se rappeler que ce n’est qu’une séparation et qu’elles se retrouveront en Terre d’Anjou.

Enfoncée dans les coussins, la jeune fille attend que Clarisse ne donne l’ordre, direction Sémur, elle doit voir sa famille une dernière fois, avant de quitter la Terre des Géants et n’y plus jamais revenir. Les noisettes glissent sur les rues de Mâcon à la recherche d’une ombre, dans les veines coulent un poison qui a un nom : La haine.

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Aleanore
[Quatorzième jour de janvier de l’an de grâce 1457, en les murs de Château-Gonthier, Terre d’Anjou.]

Dans la plus haute chambre de la plus haute tour de Château-Gonthier, une chambre aux tentures ocres et écarlate, une chambre aux malles envahissant les coins et recoins, une chambre dont la poupée, heureuse propriétaire des lieux, se trouve être la jeune fille simplement vêtue d’une chainse à la teinte écrue, qui contraste avec la cotte brune passée par-dessus, assise devant un miroir de bonne facture. Noisettes dans le vague qui ne regardent plus l’image offerte par le miroir, tandis que les doigts fins se glissent dans la chevelure d’ébène, séparée en trois lourdes mèches vouées à se rejoindre pour de nouveau, ne former plus qu’une. Dans un angle de la pièce, pliant et dépliant des tenues, une servante blonde assiste avec résignation au spectacle devenu quotidien. Et toujours les mêmes questions.

-« Mangerez-vous ma Demoiselle ? »
-« Plus tard. »
-« Vous m’avez dit cela voilà une heure. »
-« Et bien, repose la question dans une heure qui sait. »


Mèche de droite qui vient au milieu, la gauche, la droite, manège répétitif qui ne demande pas de se concentrer. L’esprit s’envole, quitte l’espace restreint de la pièce, rejoint le martèlement des sabots d’une monture aux armes de la Batarde, s’accroche à l’espoir d’une réussite, se glisse contre l’encolure de l’animal pour le presser. N’être plus qu’un et faire que son espoir ne soit pas vain. Reviens. La complainte silencieuse s’adresse plus à la bête qu’au valet dépêché. Les pointes déjà se font sentir, la senestre s’élève et récupère un ruban brodé d’or qu’elle noue, avant de rejeter la lourde natte en arrière. Sans un regard pour l’image reflétée, la jeune fille se lève pour aller vers la fenêtre, incarnant pour qui lèverait les yeux, une vierge éplorée attendant quelque amant. Et pourtant, dans les noisettes de l’Etincelle, nulle trace d’amour, pas plus sur les lèvres vermeilles, sourire trop rare et bien souvent cynique. Elle n’attend pas l’amour, mais la mort. Et les noisettes perdues dans le lointain, aperçoivent enfin la forme désirée. Un cavalier qui déboule en trombe pour s’insinuer entre les portes ouvertes de l’enceinte de Château-Gonthier. La main manucurée vient se glisser sous le ventre d’une Fiora désespérément alanguie dans l’attente de la promenade quotidienne et qui se retrouve sur ses quatre pattes, tandis que la phrase tombe comme un couperet sur l’inactivité latente des jours derniers.

-« Clarisse, un châle ! Une mante ! Vite ! Nous sortons ! »


Pas le temps d’attendre que la jeune fille dévale les escaliers faisant fi des valets et servantes encombrant les marches, suivie par une chienne qui galope à sa suite, manquant se rompre le cou à chaque marche sautée. Et au loin, des mèches blondes s’échappant d’un petit bonnet vert, Clarisse, les mains chargées de châle, fourrures, qu’elle tente de ne pas faire trainer tout en regardant où elle court. Et la jeune fille si maniérée d’ordinaire, se retrouver à sauter à pieds joints au bas de l’escalier, bras étendus à l’horizontale pour recevoir le cocon de fourrure sur les épaules, les mains se glissent dans les coins de la fourrure avant d’en rabattre les pans contre son corps, parée à affronter le dehors ? Pas du tout ! Néanmoins, l’hiver en Anjou n’a rien de comparable à l’hiver bourguignon ou suisse. Et c’est une Aléanore qui se jette presque sous les sabots du coursier, pressée d’obtenir enfin ce qu’elle attend. A peine, le valet est-il descendu au bas de la monture que déjà la jeune fille enchaine les ordres pour qu’il n’ait pas à s’occuper de sa monture. Occupe-toi de moi ! Dis-moi. Vite. Impérieuses, les noisettes qui fixent avidement l’homme du commun, suivant du regard, le palefrenier qui emmène l’animal, la jeune fille fait signe au valet de la suivre. Gagner les écuries, où même si l’odeur est déplaisante, au moins la chaleur est réconfortante, s’offrir un moment de distraction en admirant sa nouvelle acquisition. Elle aurait pu choisir, suivant les conseils du palefrenier d’acheter une haquenée. Cela aurait du.. Si cela avait été une autre qu’Aléanore Jagellon Alterac qui avait entendu parler des percherons que l’on pouvait trouver en Alençon. Pour la jeune fille qui se savait trop fragile, quoi de mieux qu’une monture imposante, et c’est donc ainsi qu’était arrivé aux écuries de Château-Gonthier, un percheron gris pommelé issu des élevages de Nogent-le-Rotrou, étalon nerveux, refusant le contact des laquais. Sourire cruel qui se glisse sur les lèvres purpurines tandis qu’elle repense au garçon que l’étalon rétif a estropié, brave bête que celle-là. Et l’Etincelle de parcourir silencieusement, l’allée menant à la stalle de l’imposant destrier. Gravées dans le bois, six lettres trônant fièrement au dessus de la stalle : Bélial. Animal à l’orgueil au moins aussi développé que celui de sa jeune maitresse, et alors que la jeune fille s’arrête à un mètre de distance de la porte, et que le messager persuadé de pouvoir se reposer s’appuie au mur, la tête massive de l’étalon sort, suivi d’un renâclement caractéristique d’une contrariété passagère de l’animal. La tête imposante se balance, tentant d’attraper l’épaule du valet, et finalement se tourne vers la jeune fille restée impassible devant la scène. La main blanche vient calmement à la rencontre de l’animal, tandis que les noisettes dénuées de tout sentiment si ce n’est la haine, se coulent dans celles, plus sauvages encore de l’étalon.

-« Tesoro mio .. »

Rudiments d’italien que le commerce avec les lombards lui aura appris, quand on est friande de soie florentine, on s’adapte. Et tandis que la silhouette colorée se glisse contre la porte pour se lover contre le cou massif de l’animal, la jeune fille prend enfin la parole.

-« Alors ?Qu’en est-il de ce dont je vous ai chargé de vous entretenir ? »
-« Pour ceux que vous m’avez chargé de trouver, même si cela était dur, j’ai pu mettre la main sur l’un d’eux, qui m’a chargé de vous dire que si le prix était intéressant, il ferait ce qu’il faudrait pour vous satisfaire. Oui, c’est bien cela. Je crois..»
-« Oui, ensuite ? »


Main qui s’immisce entre les crins épais de l’animal, tandis que déjà, sous la masse ébène de sa chevelure, les turbines s’activent. Empoisonneurs, coupes-jarrets, qu’ils accomplissent ses basses-besognes, elle ne se sent pas le courage de se retrouver avec son sang sur les mains. Vermeil impur d’un corps qui ne trouvera son pardon que dans la putréfaction. Car l’Etincelle ne l’imagine plus autrement que mort. Mort après mille et une souffrance. Mort la peau arrachée en lambeaux. Mort, un corps à bout de souffle, brisé par la douleur. Mort, rongé par la vermine qui n’aurait jamais du le voir naitre. Qu’il meurt pour qu’elle vive de nouveau vraiment. Et alors qu’elle part dans des considérations d’ordre tout à fait sadiques, la jeune fille ressent plus qu’elle ne sent la main qui se pose sur son bras. Bras vivement retiré tandis que la main, quelques instants plus tôt emmêlée dans la crinière de l’étalon, vient étaler sur la joue de l’homme sa marque. Stries sanglantes d’où s’échappe l’or écarlate. Et l’Etincelle de siffler entre les lèvres presque jointes pour former une ligne à la courbe cruelle.

-« Si tu comptes pouvoir te servir de nouveau de ta main, ne la poses plus jamais sur moi, espèce de misérable petit cloporte insignifiant. »

Geste de la main dédaigneux pour l’inciter à poursuivre tandis que du plat de la main, elle flatte l’encolure puissante, murmures à mi-mots glissés à l’oreille de l’étalon. Mots d’amour, qui sait. Et le sourire méchant qui affleure sur les lèvres fraiches de la jeune fille n’a rien pour rassurer le valet qui s’exécute à grands renforts de soupirs pour expirer un trop plein d’angoisse.

-« Et pour ce que vous m’avez demandé. J’ai.. C’est.. Là. »

Les mains du valet se glissent dans sa besace, en ressortant une petite boite en fer forgé qu’il glisse sans mot dire dans la main de la jeune fille. Ce n’est pas le moment de vérifier, et pourtant, l’envie lui prend d’ouvrir le réceptacle pour se griser de Sa présence. Un regard au valet, une dernière flatterie à l’étalon, avant de quitter les lieux sans rien rajouter. Et de nouveau, le froid de l’hiver, la dextre s’élève, signe de main évasif et pourtant significatif pour une Clarisse avertie qui tend sans se faire prier un pli au valet, ainsi qu’une bourse. Plus de regard, plus rien. Il a rempli son office, et repart s’acquitter d’une autre mission. Les bons valets se font si rares. Sans appel, la voix de la jeune fille s’élève tandis qu’elle serre contre elle la petite boite.


-« Rentrons, j’ai à faire. »

Oublié le valet, elle lui a préféré.. l’Oubli.

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Aleanore
[A l’aube du dix-neuvième jour de janvier, dans la pénombre d’un studiolo]

L’or des cheveux blonds d’un enfant. L’écarlate de la cape d’une autre. Les crépitements joyeux comme autant de rires qui se propagent dans le studiolo de la jeune fille assise devant son secrétaire la plume à la main, engoncée dans une cotte de lin fin ocre, les cheveux détachés balayant le creux des reins. Les noisettes perdues dans les flammes du foyer tendent à échapper de fixer le vélin désespérément immaculé. Pour une fois, les pieds sont libérées des éternelles – et délicieuses qu’on se le dise – mules tendues de soie florentine, et s’insinuent en direction de la large cheminée où crépite une flambée matinale. Froid. Elle a si froid. Comme un frisson, comme une ombre qui refuse de la quitter, la peur de faillir est si palpable qu’elle lui glace le cœur d’effroi. Peur de ne pas arriver à ses fins, peur que cette vie qu’elle sait si fragile ne la quitte si vite. Savait-elle la Mère d’Anjou que l’opiacé allait la ronger plus vite que d’autres ? Savait-elle que le manque d’appétit et les nerfs à fleur de peau aideraient à la détérioration de la faible constitution de la jeune fille. La peau déjà pâle de l’adolescente était devenue tellement fine que beaucoup s’inquiétaient de la voir un jour tomber. Les noisettes indécentes frôlent les flammes incandescentes dans une danse où ne pourrait dire qui est le plus brulant du feu dans l’âtre ou de la volonté haineuse qui fait briller le regard de l’Etincelle. Qu’elle tombe, peu importe, si elle l’entraine dans sa chute. De nouveau, les noisettes se posent sur le parchemin, effleurent un instant, la surface vierge d’encre, avant de glisser sur la servante blonde entrain d’agrémenter un mouchoir d’une broderie au coin de la fenêtre.


-« Clarisse, ma Clarisse, ne vois-tu rien venir ? »
-« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie. »
(*)

Et l’Etincelle de soupirer à fendre l’âme d’un bourrin, maudissant le temps qui ne va jamais aussi vite qu’on le voudrait, et surtout aussi vite, qu’elle le voudrait. Les doigts, enfin, lâchent la plume pour attraper un fruit confit dans la coupelle devant elle, un sourire gentiment moqueur affleure sur les lèvres de l’Etincelle tandis que sur le visage de Clarisse, un espoir renait. Doucement, la jeune fille se lève, rejoignant l’âtre, arrêtant d’un geste de la main, la camériste qui se redresse pour venir l’aider. Pas impotente, éternellement fatiguée au matin, même si elle le refuse, la jeune fille a bien compris d’où la fatigue intense venait. L’oubli a deux tranchants, en oubliant la douleur, elle pourrait bien oublier la vie. Noisettes rivées sur une buche cernée par les flammes, le bout de femme réfléchit à comment elle peut gagner le repos sans mettre fin à ses jours. Les mains attrapent une longue mèche brune qu’elle entortille distraitement, bien trop perdue dans ses songes. Elle a bien compris aux remontrances de Jules qu’elle avait changé et pis encore, les remarques de la blonde Karine sur son teint trop pâle. Si d’autres s’en rendent compte, que dira-t-on à sa mère ? Pauvre Maman, moue chiffonnée sur le visage de l’Etincelle, décidément, elles n’auront jamais rien fait de bien.. Rien. La mèche s’échappe pour rejoindre ses sœurs tandis que les mains se crispent sur le giron de la jeune fille qui se retourne vivement.


-« Clarisse, ma Clarisse, ne vois-tu rien venir ? »
-« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie. »


Trouver l’oubli, trouver la paix mais pas à travers la mort, pas la sienne. Celle d’un autre, de cet autre qui a détruit sa vie. L’idée ne l’a pas quittée, l’Etincelle veut tuer. Et pour cela, elle doit apprendre. Tellement à apprendre. Un sourire cruel s’insinue sur les lèvres vermeilles, quatre années au couvent, l’apprentissage, les études, la jeune fille s’y connaît, elle excelle dans le domaine, et c’est tout naturellement qu’elle avait fait dépêcher des hommes pour trouver des manuscrits à étudier. Instant de lucidité dans le crâne de la jeune fille, pour tuer, il faut connaître le corps, alors elle apprendrait, et apprendrait encore et encore. Les ongles taillés en pointes acérées s’enfoncent dans le bois tendre du secrétaire tandis qu’elle s’imagine les enfoncer dans la gorge de celui qui.. Râle de rage qui s’échappe des lèvres purpurines alors qu’elle relève deux noisettes étincelantes de haine sur la servante.


-« Clarisse, ma Clarisse, ne vois-tu rien venir ? »
-« Je vois des cavaliers qui viennent de ce côté, mais ils sont bien loin encore. »


Remisant la lettre à un autre moment dénué d’occupation, la jeune fille se tourne, envol de soie dorée, et mèches sombres pour gagner la porte du studiolo. Et la voix de la poupée s’élève, résonnant dans le couloir de Château-Gonthier.


-« Des cavaliers arrivent, allez donc ouvrir ! Et qu’on fasse venir des chandelles, il fait si noir, on se croirait dans un tombeau. »


Tout est dit, un tombeau voilà dans quoi la jeune fille se cachait. Maintenant, qu’elle peut se consacrer à l’aboutissement de sa volonté, elle peut revivre et quelle renaissance que celle d’une poupée brisée qui se relève, forte d’une haine implacable qui ferait frémir les plus cruels des hommes. Vierge chasseresse aux desseins insaisissables pour le commun qui se glisse à travers les rideaux de la fenêtre, Fiora dans ses bras pour l’occasion. Sourire amusé en regardant la chienne se battre contre une mèche ébène venue lui chatouiller la truffe. Une intruse qui résiste aux assauts répétés de la levrette qui finalement décide de l’ignorer. Trop faible, petite merveille. Mine indulgente qui vient s’agrémenter d’une caresse. Trop faibles, mais elles deviendront fortes. Et elle ne fera pas cela seule. Les noisettes glissent sur l’écurie où résonnent les hennissements rageurs de l’étalon, le regard poursuit sa route vers Saumur où elle sait qu’un homme peut l’aider. Il doit savoir, et il doit lui apprendre. Il n’y aucun doute dans l’esprit de la jeune fille, il doit lui apprendre, elle doit juste faire en sorte qu’il accepte, il ne saurait en être autrement. Comme un signe du destin, ce nom, celui d’une personne chérie au de-là du raisonnable, et la jeune fille revoit en un souvenir, les azurs tranchants qui savent se faire si doux, la haute stature qui rassure, son presque-frère. Azurs qui font place à d’autres azurs plus durs, à une taille plus impressionnante encore, pas de trace de tendresse dans ce Nerra-là. Et pourtant, cela se doit.

Alors que dans le cabinet de travail, les valets arrivent, détenteurs de la lumière qui éclairera la scène, dans la cour, les cavaliers et leur chargement sont accueillis et déchargés. Reposant la chienne au sol, la jeune fille regagne le fauteuil devant le secrétaire, les mains d’ordinaire à la recherche d’une occupation quelconque, reposant sagement sur les jambes croisées. Pour qui ne connaitrait pas l’Etincelle, l’image offerte est celle d’une adolescente convalescente qui attend sagement qu’on lui ramène de quoi occuper ses journées de repos, peau diaphane d’une jeune vierge, l’or de la tenue rehaussant plus encore l’encre de la chevelure, jeune fille de bonne famille qui ne demande qu’un peu de lecture. Mais les envoyés de la Bâtarde savent que la propriétaire des lieux n’a rien de commun avec l’image reflétée.

Et enfin, les coursiers entrent dans la pièce dans un brouhaha assourdissant qui en temps normal aurait exaspéré la jeune fille, trop impatiente pour l’heure, pour s’intéresser à autre chose que le contenu des malles et sacoches. Les manuscrits sont déballés sous les noisettes inquisitrices, certains sont tendus et récupérés par les mains blanches qui feuillettent négligemment les lourds ouvrages, tandis que son regard fouille à travers les valets celui qu’elle attendait plus que les autres et qui n’est pas là. D’un geste agacé de la main, elle renvoie les valets, laissant à Clarisse le soin de sortir les manuscrits des malles pour les déposer sur le secrétaire. Et alors qu’elle s’apprête à se jeter boudeuse dans les coussins en compagnie de sa chienne, la porte s’ouvre sur un valet essoufflé, tenant dans ses mains, un paquet long et fin, entouré dans un linge grossier.


-« Et bien pose le donc. »


Fébriles, les mains blanches libèrent le coffret de bois massif déposé sur le secrétaire par le laquais. Tremblants, les doigts font sauter le verrou et ouvrent le coffret, révélant un stylet étincelant tant par sa garde d’argent massif serti d’un rubis flamboyant, que par la fine larme travaillée avec soin.


-« A nulle autre pareille. »


Les doigts fins courent sur la garde, puis sur la lame, doigts arrêtés par une main grossièrement posée sur la sienne. Les noisettes étincelantes se tournent vers l’homme tandis que la pression se fait moindre et que la main du valet s’ôte, alors que la sienne resserre sa prise sur la garde du stylet. Les mots s’échappent des lèvres purpurines frôlant le menton du valet.


-« C’est la deuxième fois que tu me touches. »
-« Je.. J’ai.. Vous allez vous bless.. »


Mots achevés dans un gémissement tandis que la lame du stylet s’enfonce dans la tempe du laquais. Les lèvres vermeilles s’entrouvrent, hésitant entre la surprise de voir à quel point cela peut être facile de mettre fin à la vie d’un homme. Et l’amusement de lire dans les yeux la résignation de l’homme qui savait qu’il finirait par mourir. Et finalement, la lame s’extrait du crâne de l’homme tandis que la main libre se porte à la bouche de la jeune fille.


-« Oups. »


Volte-face de la jeune fille, stylet sanglant en main, qui penche la tête, un sourire juvénile aux lèvres, et alors, qu’elle repose le stylet dans le coffret, sous les yeux terrifiés de la camériste, le bruit mat derrière elle, la renseigne, le corps s’est affaissé.


-« Clarisse, je crains de n’avoir pas été assez prudente, voilà que j’ai blessé notre ami. Fais donc chercher des gens pour nous en débarrasser. »


Sans accorder plus d’intérêt à la jeune blonde qui part en courant chercher des domestiques enlever le corps encore chaud de l’infortuné coursier trop téméraire, la jeune fille attrape un mouchoir de soie dans le panier à broderie de Clarisse et vient se placer, stylet en main, près de la fenêtre, les yeux tournés vers le Limousin. Et alors que le tissu précieux vient effacer avec application les traces de sang sur la lame, les noisettes, elles, fouillent le lointain, à la recherche de la seule vie qu’elle prendra avec délectation pas comme celle-ci qui déjà ne l’intéresse plus. Y avait-il un valet dans cette pièce ? Peu lui chaut, un bon gueux est un gueux mort s’il ne sait pas juger de la décence des relations qui les séparent de la noblesse. Et la voix douce s’élève.


-« Tu vois, c’est si simple au final de laver un affront. Il suffit d’exterminer ce qui salit. Comme mettre le feu à un nid d’hérétiques.. »


Et la jeune fille s’imagine déjà enflammer le corps du Balbuzard, quand enfin la lame lui semble parfaitement nettoyée.


-« Je t’appellerai Sandres, tu verras, nous ferons de grandes choses ensemble. »


Et alors qu’une fille adoptive le quitte pour rejoindre celle qu’il aime, un Balbuzard dort, sans se douter qu’à plusieurs lieues de là, la Haine l’aime avec trop de passion pour le savoir encore en vie.



(*) Bon d’accord, Fitzounette n’a rien de Barbe-Bleue, mais je me suis fait plaisir.
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Aleanore
[Vingt-cinquième jour de janvier de 1458, quand sonne Prime.]

C’est un nouveau jour qui s’était levé sur l’Anjou, un nouveau jour où les rayons de soleil glissent sur la chambre d’une adolescente assoupie.. Non, Aléanore ne dort pas ce matin-là, trop occupée qu’elle est à veiller sur le sommeil de deux fillettes dormant sur les couches installées dans sa chambre. Pour quelles obscures raisons, la jeune fille avait-elle réclamé la présence des enfants dans sa chambre alors que Château-Gontier en était rempli, nul n’aurait su le dire, et Aléanore encore moins que les autres, comme rien ne peut expliquer la raison de son éveil toute la nuit durant où le moindre frémissement des petits corps lui avait arrachée des sursauts de peur. Aussi le soleil hivernal de ce matin de janvier avait-il trouvé l’Etincelle emmitouflée dans une fourrure sur le rebord de sa fenêtre, dans l’attente du réveil du château, pour se préparer, assister au lever de la Duchesse, préparer les deux enfants et rejoindre Saumur où tout se passait pour elles. Voilà, une journée qui débute comme toutes les autres depuis qu’Alycianne et Natsuki sont arrivées à Saumur pour rejoindre une Etincelle pas du tout au courant. Mais ce n’est que le début de la journée justement.


[Après la rencontre avec un Borgne, pour None.]

Dans la cour de Château-Gontier, Aléanore, surexcitée, descend du coche, laissant à Clarisse le soin de récupérer une Fiora que l’excitation de sa petite maitresse a mis sur les nerfs, et la jeune fille tenant dans la main, un couteau à la lame recourbée de se diriger à toute allure vers les écuries, vision effrayante pour qui connaît l’Etincelle, et les lads de s’écarter à vive l’allure de la jeune fille aux tendances sadiques qui est armée cette fois. Mais point de torture ce jour, la poupée sanglante veut juste montrer son nouveau cadeau à son ami, son seul vrai ami, celui qui sait tout mais qui ne répètera jamais rien, celui qui sait la réconforter sans paroles vaines. Et aussi, est-ce dans une envolée de jupons que la jeune fille s’engouffre au fond des écuries pour gagner la stalle réservée à l’orgueilleux étalon, couteau à la main, la porte du box est ouverte à vive allure et la jeune fille est déjà contre l’animal, arme en main. Contraste étonnant que le petit bout de femme qui se tient près de l’animal à la carrure imposante mais des pattes puissantes ou de la lame incurvée, qui pourrait le premier tuer ? Ni l’un, ni l’autre, puisque déjà, l’Etincelle se glisse entre les pattes avant de l’étalon, appuyée contre le poitrail fort, doigts qui glissent sur la lame, tandis qu’elle raconte à l’animal à mi-voix, murmures entre eux deux, haineux de la vie, éternels assoiffés de violence. Le couteau ? C’est un borgne qui lui a offerte. Maleus, qui connaît sa mère. Le borgne lui a expliquée qu’avoir une arme ce n’est pas tout, il faut aussi savoir s’en servir, mais elle apprendra, tout s’apprend, Aléanore le sait. Alors elle raconte encore à l’étalon qui était encore un poulain, il y a peu, la lame n’est pas faite pour planter, mais pour trancher, les noisettes étincellent quand elle explique à l’animal que c’est pour faire un deuxième sourire, et que le borgne avait surnommé l’arme : L’égorgeuse de maréchaux. Et c’est avec le sourire que la jeune fille raconte tout cela, parce que cela signifie qu’elle pourra un jour se venger, lui faire payer. Mais en attendant, elle doit faire vite, elle appris que la Féline de la Zoko voulait la mort du Balbuzard, et dans l’esprit de la jeune fille, il n’est pas question que quelqu’un d’autre qu’elle puisse le tuer.


-« Nous l’aurons, Bélial. Tu m’aideras n’est-ce pas ? »


Les bras malingres de la jeune fille s’enroulent autour de l’encolure puissance de l’animal, sa robe serait gâchée, mais tant pis, il y en aura d’autres. L’affection d’un ami, la chaleur voilà ce qui manquait à la jeune fille qui essayait d’entourer ceux qu’elle aimait d’une tendresse souvent étouffante, et l’étalon, instinct animal aidant, constitué à lui seul, la dose de chaleur et de réconfort nécessaire à une jeune fille trop orgueilleuse pour admettre qu’elle avait besoin des autres. Alors qu’elle se laisse bercer par la respiration profonde de l’animal, un murmure, un souffle la tire de ses rêveries, visage qui se tourne pour tomber sur une Clarisse qui tente de lui souffler des informations sans se faire remarquer de l’animal qui l’inquiète, entre deux claquements de dents, l’Etincelle apprend qu’il est question de ceux qu’elle avait fait demander. Geste de la main pour l’inciter à les faire venir, elle n’a pas envie de se déplacer, de quitter le cocon réconfortant et chaleureux de l’animal. Une flatterie à la bête avant d’épousseter quelque peu sa tenue, et puis qu’importe même si elle avait chevauché l’animal – dans le cas où elle serait capable de monter à cheval – elle était sure qu’elle était bien mieux habillée que ceux qui ne tarderaient plus à arriver.

Appuyée contre l’animal, épaule contre épaule, chevelure dénouée, tombant en vagues sombres sur le corps frêle, yeux cernés, et un couteau fait pour les mutilations dans la main gauche, la jeune fille attend sagement, sourire cruel aux lèvres. Enfin son heure approche, lentement, inexorablement. Car si elle ne peut le tuer elle-même, elle veut qu’il meurt en sachant que c’est elle qui a commandité sa mort, et si les hommes de main échouent, cela lui laissera le temps d’apprendre, ainsi se déroulait le plan dans l’esprit de l’Etincelle. La mort, toujours, seul et unique alternative qu’elle lui laisse. Et ce sont des noisettes étincelantes d’une lueur meurtrière qui se posent sur les trois hommes qu’elle a fait venir, lentement, elle les détaille, des faciès peu amènes, mais au demeurant assez communs.


-« L’homme est en Bourgogne. Je le veux mort. Je veux qu’il souffre. Je veux qu’il sache que c’est moi, avant de mourir. »


Les mots sont lâchés, froids, durs, cruels et sans appel, et alors qu’elle les a déjà oubliés et qu’elle pose sa joue contre l’encolure de la bête, celui-ci renâcle et piaffe, noisettes relevées sur l’un des trois hommes qui s’est avancé. Sourcil arqué, la main se resserre sur la garde du couteau. Pas de peur sur le visage du coupe-jarrets, de l’étonnement peut être en voyant une jeune fille avec une arme si peu conventionnelle protégée par un étalon, et la voix sifflante s’élève.


-« Des preuves de sa mort ? En voulez-vous ? Un doigt ?Une oreille ? »


Doigt à l’ongle crasseux qui se glisse dans l’échancrure de son col pour pouvoir respirer pour allégrement, dévoilant une cicatrice le long de la gorge. Un instant la surprise s’insinue sur le visage de porcelaine de la poupée avant qu’il ne laisse place à un masque haineux, et finalement, c’est un rire qui s’échappe des lèvres de la jeune fille, décontenançant tout à fait les trois malfrats.


-« Il est dommage qu’il soit mort, au final, il a su faire son travail jusqu’au bout. Et parfaitement. »
Il ? Rappelez vous le valet téméraire ayant posé la main sur l’Etincelle. « Non, je ne veux pas de bout de lui, mais oui, je veux des preuves, trois. Son épée, le ruban qui tient ses cheveux et un chapelet qu’il a autour du cou aussi. »

Preuves dérisoires aux yeux des trois hommes qui ne laissent rien paraître et s’en retournent chercher les derniers ordres auprès d’une Clarisse bien trop débordée par tout cela mais qui se contente de faire. L’Etincelle quant à elle, sourit dans la stalle de l’Etalon. Et se laisse même aller à rire aux éclats d’une joie éperdue, s’imaginant avec Victoria, Son épée dans les mains, ce ruban lui venant de sa défunte épouse, Enyz et le chapelet qu’elle-même lui avait offert. Alors oui, si ces trois objets lui revenaient, le Balbuzard ne serait plus. Et le rire de l’Etincelle de s’élever de plus belle dans les écuries de Château-Gontier, mélodie d’un cœur en folie.

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