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[RP] La débâcle des sentiments.

Terwagne_mericourt
Palais Sainct-Pierre :

Un bruit de verre brisé, et quelques minutes plus tard la porte qui s'ouvre pour laisser sortir une Dame de Thauvenay à la démarche plus que décidée...

C'est ainsi que tout commença, ou plutôt que tout se termina de ce qu'elle avait pris pour une jolie amitié. Une amitié profonde dans son coeur à elle, entière comme tous les sentiments pouvaient l'être chez elle. Il ne l'avait pas compris, l'avait déçue plus qu'il ne pourrait jamais le comprendre.

Sans un regard vers cet homme qui venait la voir dans son bureau certains soirs pour échanger sur la poésie et la difficulté de faire le deuil d'un être cher, elle s'engouffra dans les couloirs qui menaient à son bureau de Présidente du Comité des fêtes ducales.

Une fois arrivée dans son antre, elle se laissa tomber dans son fauteuil et ouvrit le tiroir de sa table de travail, pour en sortir un dossier épais qui contenait un projet d'animation sur lequel elle travaillait en secret depuis plusieurs jours. Ce projet, c'était lui qui en avait émis l'envie un soir, devant un verre partagé, et sans le lui dire, pour lui faire plaisir, elle s'était mise à y travailler dans l'ombre, comme nombre de choses qu'elle faisait.

Dans un geste rempli de rage et de colère envers lui, elle prit les feuilles, une à une, et les jeta dans le feu qui brûlait dans l'âtre...


Il ne restera de ce projet que des cendres, tout comme vous avez décidé d'en faire avec notre amitié.

Se laissant choir assise sur le sol, elle prit ses genoux entre ses bras, le regard fixé sur les flammes, tandis que dans son esprit défilait les derniers mots échangés entre eux... Juste après qu'il n'aie lancé la carafe d'eau contre le mur devant lequel elle se trouvait.

C'est dommage, elle était belle cette carafe...
Enfin, y a pas à dire, vous êtes plutôt doué pour casser les choses fragiles.

Vous vous êtes toutes passé le mot pour venir pleurer sur mon épaule?

Je ne pleure pas sur votre épaule...
Elle ne m'inspire absolument plus la confiance.

Je vais me taire, ça vaudra beaucoup mieux pour vous et pour moi, puis qui sait, ça me permettra peut-être de me souvenir plus des soirées poésies que de la fin de notre "relation amicale" dans quelques semaines, ou mois.


Pleurer sur une épaule... La seule épaule sur laquelle elle pouvait parfois pleurer n'était pas là, et elle ne la reverrait pas avant de nombreux jours. Cette pensée qui la rendit encore plus triste que ce qu'elle ne l'était jusque là la fit se lever et quitter son bureau.

Pleurer sur une épaule... C'était tout simplement odieux et ridicule de sa part à lui d'avoir prononcé une telle phrase!

Ridicule parce qu'il savait pertinemment bien que ce n'était pas son genre à elle de larmoyer, et odieux puisqu'il savait fort bien que Walan était tout sauf le genre d'homme à écouter et encore moins comprendre ou soigner les tourments d'un coeur féminin... Walan qui de toute façon était encore au milieu de ses soldats... Walan qui ne la comprenait pas...

Alors qu'elle franchissait la porte du Palais abritant notamment les locaux du Comité des fêtes ducales, elle ne pouvait s'empêcher de repenser au début de sa relation avec cet homme qui venait de la mettre dans un état qu'elle-même aurait eu bien du mal à décrire.

Un amour qu'elle lui avait offert et dont il n'avait pas voulu, ayant déjà une relation avec une femme mariée et sur laquelle elle avait gardé le secret malgré sa déception, par respect pour lui. Ensuite ses visites nocturnes à lui et l'amour transformé en amitié profonde et sans faille de son côté à elle. Parce que oui, son chagrin de l'avoir vu refuser son amour, elle avait réussi à passer outre, et à en faire naître quelque chose d'aussi fort et même plus beau, l'amitié... Cette amitié qu'il venait de trahir!

Dehors, le froid la surprit un instant, mais cela ne dura pas, puisque son coche l'attendait et qu'elle s'y engouffra sans tarder, donnant l'ordre au cocher de la ramener au Castel de Pierre-Scize.

Il était plus que temps pour elle de préparer son départ et de quitter ce Duché où elle avait voulu donner, servir, aimer, mais où pour la première fois de sa vie elle ressentait ce sentiment si neuf et effrayant chez elle...

La haine!

Oh oui, là ce n'était pas seulement un mélange de déception, de tristesse et de colère... C'était bien plus que cela, c'était une haine destructrice qu'elle ressentait. Une haine que seule la distance parviendrait peut-être à calmer.

Haïr... Non, cela ne pouvait pas lui arriver à elle, elle qui n'était qu'amour, trop même!

Ce n'était pas elle qui ressentait ce sentiment!
Cela ne se pouvait pas!

Elle n'était plus elle-même, voila! Elle s'était perdue! Et surtout, elle détestait cette femme qu'elle commençait à devenir, celle dont à force de briser les rêves ils étaient en train de faire une autre.

Cette femme dans laquelle elle ne se reconnaissait pas, celle qui haïssait, elle eut soudain l'envie folle de la voir mourir.

Elle fit arrêter le coche et en sortit, au milieu de nulle part, avant de donner l'ordre au cocher de rentrer au castel sans elle, ce que l'homme fit au bout d'une longue discussion au cours de laquelle elle finit par monter le ton.

_________________
Terwagne_mericourt
Auberge municipale de Vienne, le lendemain soir :

Le dos appuyé contre le coin du mur, les jambes étendues sous la table, elle fixait la collection de verres vides étalés devant elle.

Vides, ils étaient tous vides! Et malgré l'alcool qui diluait son sang depuis lors, rien de son chagrin ne s'était amenuisé.

Si la nuit précédente avait été remplie de déception par rapport à une amitié en laquelle elle avait cru, celle-ci était encore pire, et pour d'autres raisons. D'autres raisons qui accentuaient encore son envie de tout planter là... Pourquoi donc le sort s'acharnait-il ainsi sur son coeur en ce moment? S'étaient-ils tous donné le mot pour la pousser à bout?

Elle revoyait encore dans son entièreté la scène qui s'était produite plusieurs heures plus tôt, dans ses moindres détails...

La porte de l'auberge poussée presque par hasard, et la vue de Walan, à son grand étonnement à elle, elle qui le savait à Lyon et attendait impatiemment son retour sans aucune nouvelle de sa part à ce sujet... Walan, un sourire sur le visage, attablé devant un verre avec une inconnue qui lui offrait le sien en prime, lui qui depuis si longtemps désertait les tavernes, lui qu'elle avait mis des mois à faire sourire enfin.

Ensuite, Anne était arrivée, et avait annoncé à Terry que la demoiselle en question lui tenait désormais compagnie à l'Hôtel de Culan, avant de parler d'un jeu que visiblement Sans-Repos partageait avec la même demoiselle, celle qui donnait envie à celui-ci de sourire étrangement.

Pour sûr, cela lui avait suffit à elle pour se sentir de trop, elle à qui Anne avait bien fait sentir quelques jours plus tôt qu'elle n'était pas de son sang ni de sa famille, elle à qui Walan n'avait même pas pris la peine d'annoncer son retour.

Une légère crise de jalousie au Vicomte, c'était ainsi que cela avait commencé, avant de dégénérer grandement suite aux paroles de la charmante inconnue qui s'était mêlée de ce qui ne la regardait pas, s'était permise de la juger sans la connaître, et pire encore avait déclaré être prête à se damner pour avoir l'amour de Walan et de Anne.

Ces mots avaient sans doute été ceux de trop, surtout de sa part à elle qui avait déjà commencé à la prendre sa place, elle qui occupait sans aucun doute l'ancienne chambre de Terry dans l'Hôtel familial, elle en face de qui Terwagne venait de trouver celui qu'elle attendait, en train de sourire, chose pour le moins inhabituelle chez lui.

D'étage en étage, la tension était montée, ainsi que la violence des mots, pour s'achever sur le départ de la Dame de Thauvenay, le coeur en lambeaux.

Depuis, elle n'avait cessé de boire, espérant sentir enfin s'arrêter sa douleur de battre dans ses veines, son chagrin de l'étrangler. Mais rien n'y faisait. Elle revoyait ce sourire sur ses lèvres à lui lorsqu'elle l'avait surpris en entrant, elle ré-entendait les mots de la demoiselle "je me mêle de tout", elle ressentait encore et encore son coeur voler en éclats.

Elle était désormais seule dans un Duché où l'amitié l'avait trahie, où sa "nièce de coeur" la considérait désormais comme une étrangère, et où l'homme à qui elle avait confié son coeur lui préférait la compagnie d'une autre. Une autre qui en quelques heures sans doute avait réussi à faire ce qu'elle-même avait mis des mois à faire... Faire Walan sourire et sortir de sa froideur.

A l'heure qu'il était, elle était persuadée que c'en était fini de leur histoire à tous deux, que dans quelques jours à peine l'autre aurait bel et bien pris sa place à elle dans sa vie à lui, lui qui n'avait rien compris de l'amour qu'elle lui avait porté et du mal qu'il lui faisait en ce moment-même.

Elle décida de lui écrire, d'une main tremblante de fatigue, de chagrin, et aussi d'ivresse.


Citation:
A vous,


A vous dont j'attendais impatiemment le retour à Vienne, dont je me languissais en silence depuis plusieurs jours, je voudrais dire tant de choses ce soir...

Vous dire que si dans la discussion certains mots ont pu dépasser ma pensée, ils n'en étaient pas moins bien en dessous de la douleur que j'ai pu ressentir en voyant cette scène en entrant dans l'auberge, ce sourire sur votre visage, cet échange entre vous et elle.

Oh bien entendu vous ne comprendrez pas, une fois de plus... Vous croirez que tout ceci n'est qu'une nouvelle preuve de mon côté "tempête", celui qui me fait gronder et puis me calmer.

Mais imaginez un seul instant Walan, qu'alors que vous attendiez mon retour de voyage, alors que je vous manque, vous me trouviez soudain là en compagnie de Messire Raithuge, par exemple, de qui vous êtes si jaloux... Et imaginez surtout que sur mes lèvres vous aperceviez quelque chose que vous-même avez eu bien du mal à faire naître...

Voila, voila exactement ce que moi j'ai reçu en pleine figure ce soir!

Je me suis retrouvée face à l'homme que j'aime, dont j'ai si longtemps désespéré de le voir enlever son armure de froideur, en compagnie d'une inconnue qui elle avait droit à tout cela d'un simple battement de cils. Une inconnue qui visiblement n'en était pas une pour vous, et que vous aviez du prévenir de votre retour, contrairement à moi.

J'aurais voulu vous dire tellement d'autres choses, tellement de mes projets et rêves brisés en moins de deux jours, mais je crains fort que cela ne serve plus à rien, dans moins de deux minutes mes larmes dilueront l'encre sur le vélin et vous n'y comprendriez sans doute rien.

Sachez juste que mon coeur était à vous, et que ce soir mon chagrin et mon dégoût de la vie ne portent pas le nom d'un oublié, mais bien le vôtre.


Terwagne,
Celle que vous n'auriez pas du sauver d'elle-même.

_________________
Terwagne_mericourt
Castel de Pierre-Scize, deux jours plus tard :

Des chiffres, des chiffres, et encore des chiffres... Devant ses yeux, il n'y avait que cela, des feuillets remplis de chiffres, dans lesquels elle aurait voulu être capable de se noyer suffisamment pour en oublier les tourments de son âme. Elle aurait voulu, oui, mais n'y parvenait pas, ou plus.

Repoussant tous ceux-ci sur le côté, elle poussa un profond soupir et sortit de son corsage deux lettres et le brouillon d'une troisième. Les deux missives avaient été écrites par Walan, le brouillon par elle-même. Une des deux lettres resta pliée, elle la connaissait par coeur déjà. Le brouillon par contre, elle le relut.


Citation:
Cher Walan,


Moi qui malgré ma colère et ma tristesse, malgré ma fierté et mon côté têtu, avais décidé de vous écrire la nuit dernière, en mettant tout cela de côté, en m'excusant même de certains mots - chose qui chez moi est bien rare, vous le savez mieux que quiconque - j'espérais que vous verriez cette lettre pour ce qu'elle était, une main tendue, un pas en avant pour renouer le dialogue, et même un aveu de mon amour malgré tout, je m'aperçois que je me suis trompée.

Oui, en lisant votre réponse, et même en la relisant tout au long de cette journée, je me demande si vous les avez vus ces passages où je conjuguais le verbe "aimer", "me manquer", et où je vous parlais de "projets", "rêves", "coeur"...

Certes, ces aveux étaient entourés d'autres mots, mais ils y étaient dans cette lettre.
Les avez-vous seulement vus?

Je vous l'y criais cet amour pour vous, malgré mon chagrin et ma déception, malgré mon incompréhension.


Dans votre réponse, vous parlez du temps et des sourires que je partage avec d'autres - auxquels vous donnez les noms de Raithuge, Hardryan et même Sagaben - et je n'ai nullement l'intention de le nier, sachez-le...

Seulement, ce surplus de temps auquel vous faites allusion par rapport à celui que je passe avec vous n'a pour unique raison que vos indisponibilités, ce n'est pas par préférence d'être avec d'autres plutôt qu'avec vous, loin de là. J'ouvre ma porte à ceux qui viennent y cogner.

Et ces sourires dont vous parlez, ne sont pas chez moi une chose compliquée à obtenir ni précieuse comme les vôtres le sont...

Si vous étiez du genre jovial, à sourire toujours avec tout le monde en toute occasion, ce sourire que j'ai vu sur votre visage hier ne m'aurait absolument pas intriguée, ni rendue jalouse. Mais vous savez tout comme moi à quel point un seul de vos sourires est une chose précieuse et fragile, difficile à obtenir. Un sourire au coin de vos lèvres, c'est un cadeau, voila. Les miens ne le sont pas, vous le dites vous-même, vous n'avez cessé de me voir sourire à tout le monde depuis que nous nous connaissons.

Je voudrais également revenir sur autre chose dans votre réponse qui me... je ne trouve même pas le verbe, au fond...

Je parle de ces accusations que vous me faites de vous manquer de respect et d'estime, de ne pas vous comprendre parce que je ne veux pas vous comprendre, dites-vous. C'est injuste, et faux! Certes je ne vous comprends pas plus que vous ne me comprenez parfois, certes je vous ai soupçonné hier, comme vous-même l'avez fait il n'y a pas si longtemps encore, mais jamais je ne vous accuserais de ne pas me comprendre par non-envie de le faire! Jamais!

Je ne vous ai pas compris, soit, c'est un fait. Mais de quel droit pouvez-vous affirmer que je n'en avais pas l'envie?


Faites ce qu'il vous plaira de cette lettre, répondez-y ou pas.
Faites ce qu'il vous plaira de notre relation, tentez de la sauver avec moi, ou pas.
Pensez ce qu'il vous plaira de mes sentiments à votre égard, de mon respect et de mon estime, moi je sais ce qu'il y avait en moi.


Terwagne,
Celle qui ne doit sans doute pas être faite pour rendre quelqu'un heureux.


Ces mots, elle les avait écrits la nuit précédente, celle qui avait suivi sa première réponse, en en espérant une seconde moins froide, une qui lui rendrait l'espoir qu'il n'était pas trop tard et que cette simple dispute certes intense, mais simple dispute malgré tout, finirait par tomber dans l'oubli.

Il n'en fut rien... Et elle avait beau se relire, elle ne comprenait pas ce qui dans sa missive à elle provoquait les accusations débordantes de la seconde réponse, celle qui lui avait été délivrée cette après-midi, et sur laquelle elle se replongea une fois encore, la vingtième fois au moins en quelques heures.


Citation:
Ma dame,

Quelle autre réponse aurais-je pu faire en lisant une lettre dans laquelle je n'ai vu que plus de reproches et d'accusations infondées par rapport à vos mots en taverne ? Comment aurais-je pu percevoir ces mots tendres, tant ils sont masqués derrière ceci ?
Que dire de cette nouvelle lettre où vous en ajoutez encore, mêlés au reste ?
Comment puis-je réagir à ce qui commence comme des excuses avant de se transformer en charge en règle ?

Si j'ai crains de vous voir m'annoncer que vous étiez infidèle, c'était non pas par soupçon mais parce que je ne voyais que ceci pour justifier votre crainte de me parler et votre peur que je vous haïsse, parce que je n'imaginais rien d'autre qui puisse vous mettre en un tel état à l'idée de me l'avouer. Je me trompais et déjà alors, j'ai été blessé de cette façon que vous aviez de me voir comme incapable d'écouter ou de comprendre.
Plus tard, je ne vous ai toujours pas soupçonnée, ma dame, mais simplement demandé si vous ne pensiez pas que certains pouvaient être attirés par vous, vos manières et le temps que vous passiez avec eux. Malgré mes explications d'alors, vous continuez pourtant de me reprocher d'avoir douté de vous alors que ce n'était pas le cas.
Ne voyez vous pas comme il peut m'en coûter et m'être douloureux de ne pas être cru et de constater que, même en m'expliquant longuement et sincèrement, même en m'ouvrant à elle et en lui exposant mes craintes, la femme que j'aime n'en persiste pas moins dans ses visions négatives de moi quelle construit de toutes pièces ?

Vous m'avez reproché un sourire. Je me trouvais quant à moi heureux d'avoir, grâce à vous, retrouvé le goût de plaisanter, de rire, d'être joyeux et de le montrer. Heureux de pouvoir redevenir celui que je fus avant que le deuil ne vienne, de pouvoir laisser le passé derrière moi pour me concentrer sur un présent et un avenir plus radieux. Heureux de pouvoir montrer aux gens un visage différent de l'image sévère, stricte et incapable d'autre sentiment que la colère que les gens ont de moi.
Voudriez vous donc que je reste sombre et endeuillé comme je l'étais, ne souriant que très peu et riant encore moins, vous faisant alors pester de mon manque d'expressivité ? Me faudra-t-il enfermer la joie en moi après avoir emmuré la peine ?

J'aime une tempête, et pensais ne rien craindre venant d'elle, mais peut-être ai-je eu tort et peut-être cette brisure que j'ai ressentie était-elle celle de l'arbre qu'un vent trop fort abat.
Je vous aime, ma dame, mais ne suis visiblement pas capable d'endurer autant de vents violents sans avoir d'épisodes de calme, de brise, de zéphyr et d'alizés.
W.


Mais où diable voyait-il de nouvelles accusations et de nouveaux reproches? Non, décidément elle avait beau se relire, elle ne voyait rien de cela dans ses mots à elle! Elle ne voyait que des interrogations... Des "Avez-vous au moins vu mes mots d'amour?", des "Je ne sais ce que vous déciderez de faire". La seule affirmation qu'elle y faisait était de se révolter contre cette conclusion hâtive de sa part qu'elle ne voulait pas le comprendre. Mais nulle part et ne lui reprochait rien, nulle part elle ne l'accusait de quoi que ce soit!

Dubitative, elle l'était encore plus devant les deux dernières phrases tracées par la main aimée...

Comment devait-elle les comprendre ces mots? Etait-ce ceux qu'il employait pour rompre et mettre fin à leur histoire? Non, il y disait bien l'aimer, pourtant. Mais alors quoi? Que voulait-il dire par "cette brisure que j'ai ressentie était-elle celle de l'arbre qu'un vent trop fort abat." ?

Elle ne savait... Elle était perdue...

Il lui semblait que pourtant elle avait bien fait preuve dans ses lettres à elle de son envie d'effacer cette crise, de passer outre, de faire se rendormir la tempête.

Que devait-elle faire de plus?
S'excuser, elle l'avait fait!
Lui expliquer ses raisons? Elle l'avait fait aussi!


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Terwagne_mericourt
Six février 1458, début de soirée :

Non, décidément, elle n'y comprenait absolument plus rien!

Depuis les dernières missives échangées tout était pourtant rentré dans l'ordre entre eux deux, et pour cause, elle avait eu tellement peur de le perdre qu'elle avait été jusqu'à faire une chose totalement à l'opposé de l'attitude qu'on lui connaissait... Des excuses publiques à tous trois : Walan, Anne, et même Katara.

Et oui, pour ne pas perdre celui qu'elle aimait, la Tempête s'était remise en question, avait fini par admettre que peut-être ses craintes de ce soir-là n'étaient pas justifiées, qu'elle s'était sans doute mise en colère pour rien, et s'était excusée.

Tout c'était arrangé au point que deux jours plus tard tous deux parlaient d'un voyage qu'elle avait envie de faire avec lui à Montélimar, revoir cette taverne où tous deux avaient passé leur première soirée ensemble lorsqu'il y était de faction, et que lui lui avait demandé de revenir vivre à Meyrieu. Elle avait dit qu'au retour de ce voyage elle le ferrait, oui... Une soirée qui l'avait rassurée sur leur avenir ensemble, avant son absence prévue du lendemain.

Le lendemain, elle avait en effet été retenue à Paris, à la Cour d'Appel, et lui avait écrit, ayant hâte de le retrouver le jour suivant... Hâte, oui, elle l'avait, autant que ce qu'elle était à présent perplexe et remplie d'incompréhension devant ce qui c'était passé lors de ces retrouvailles.

Regardant cette porte par laquelle il était sorti en lui disant ne plus être capable de reconnaitre en elle celle qu'il connaissait et aimait, elle se décida à lui écrire, une fois encore, ne supportant pas de ne pas savoir de quoi seraient fait leurs lendemains. Elle avait patienté vingt quatre heures, fermant les yeux sur le fait que par deux fois au cours de la journée qui avait suivi elle avait aperçu leur deux silhouettes, à lui et Katara, côtes à côtes à travers la vitre d'une taverne, se convainquant qu'il n'y avait rien à voir là-dedans, juste du hasard, comme il le lui avait dit.

Elle prit la plume, et vida son coeur, sa peur, son incompréhension, mais aussi ses espoirs sur le vélin qu'elle lui envoya immédiatement après.


Citation:
Très cher Walan,


Savez-vous dans quel état d'incompréhension j'ai passé la dernière nuit? Non, sans doute que non...

Et pourtant, oui, cette nuit a été pour moi épouvantable, hantée par l'insomnie et les interrogations nées de vos dernières paroles en taverne hier soir.

J'ai eu beau tourné et retourné dans tous les sens les instants précédents en compagnie de Anne, Katara et vous, dans cette même taverne, je ne vois absolument pas ce qui vous a mis dans un tel état, ni où vous avez perçu des sous-entendus dans mes propos échangés avec Anne au sujet de la difficulté qu'ont certaines personnes à exprimer leur attrait.

Qu'ais-je donc bien pu commettre comme impair en parlant d'Aldara la rouge et du sieur Crategos en Berry?

Et où donc avez-vous perçus des piques et des sous-entendus (en tous cas c'est cela que vous sembliez soudain me reprochez) dans la discussion précédente, celle où nous devisions d'amitiés parfois surprenantes?

Non, décidément, malgré les nombreuses heures passées à y réfléchir, je ne vois pas. Vraiment, je ne vois pas, et ne comprends pas.

Depuis quelques jours, tout entre nous était rentré dans l'ordre, nous avions même passé une fort agréable soirée deux jours plus tôt, faisant des projets de voyage et de retour à Meyrieu de ma part après ce voyage, et soudain...

Soudain, sans que je n'y comprenne rien, vous voila en train de me dire que vous ne reconnaissez plus en moi la femme que vous avez connue, et pire encore que vous ne savez même pas si vous reconnaissez encore celle que vous avez aimée, arguant de ces sois-disant sous-entendus et piques que vous avez imaginés.

Où en êtes-vous aujourd'hui? Comptez-vous me laisser passer une seconde nuit dans l'incompréhension la plus totale, mais également l'angoisse de ne plus jamais sentir votre main autour de la mienne?

Depuis votre départ hier soir, chaque minute s'écoulant est pour moi un enfer, et chaque bruit contre la porte de mon bureau me fait tressaillir de l'espoir fou de recevoir une lettre de votre part, ou mieux une visite, qui m'indiquerait que tout cela n'est qu'un affreux cauchemar, et que non vous n'avez pas cessé de m'aimer...

Si d'aventure tout cela était réel, ayez au moins le respect de me le dire franchement, de me donner le coup final plutôt que de me laisser agoniser entre espoir et désespoir comme je le fais depuis hier soir.

Avec tout mon amour,
Terry



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Sept février 1458 :

Les larmes? Elles ne voulaient même plus couler de ses yeux.

Sans doute la rivière de sa tristesse s'était-elle tarie en même temps qu'elle s'était sentie mourir...

Morte, elle ne l'était pas physiquement, pas encore, mais c'était tout comme au fond. A un point tel qu'elle ne ressentait plus rien qu'elle aurait été capable d'analyser en les regardant à nouveau tous deux attablés côte à côte dans cette taverne où son univers et la terre s'étaient écroulés sous ses pieds quelques heures plus tôt.

A sa lettre, elle n'avait reçu aucune réponse au bout de vingt quatre heures, aussi avait-elle fini par chercher à le croiser, et y était-elle parvenue, le trouvant dans une taverne, en compagnie de Dame Katara, le hasard faisant décidément bien les choses depuis quelques temps. Persuadée qu'elle ne dérangerait pas, puisqu'elle n'avait rien à craindre d'après lui, elle était alors entrée.

Sursaut de la demoiselle attablée et départ immédiat, la laissant elle seule avec Walan. Un Walan au visage étrange, et lui annonçant qu'elle avait raison depuis le départ, que la demoiselle qui vient de sortir est bien éprise de lui et vient de le lui avouer.

Ainsi donc, enfin on avouait qu'elle ne fabulait pas, qu'elle n'avait pas des hallucinations, qu'elle avait vu juste?

Faisant fi de cette pensée qui lui traversa l'esprit en premier, mais aussi de la tempête qu'elle sentait battre en elle, elle resta calme, comme il aimait à la voir, s'assit, et lui répondit qu'après tout lui n'en pouvait rien, qu'on n'est pas responsable des sentiments qu'on éveille chez d'autres, et que l'important était que lui et elle s'aiment...

Oui, c'était ce qu'elle avait dit, avant de l'entendre lui avouer que lui ne savait plus. Oui, il avait dit ne plus savoir ce qu'il ressentait pour elle,pour Katara, pour d'autres.

Il ne savait plus...

C'est là que la terre avait tremblé lui semblait-il à présent, juste à cet instant qu'elle avait senti la vie quitter son âme à défaut de quitter son corps.

Ensuite?

Ensuite il lui avait dit avoir besoin de temps, lui expliquant ne pas pouvoir éclaircir ce qui se passait dans son coeur si l'on ne cessait d'y jeter le trouble.

Et elle, sur le coup, et encore en cet instant malgré les heures écoulées depuis, elle ne voyait d'autre solution que de s'éloigner pour le lui laisser ce temps. Elle se savait incapable de rester dans la même ville que lui sans tenter de l'influencer, dans la même ville que Katara sans laisser exploser cette tempête qu'il détestait et qu'elle avait toutes les raisons de devenir pourtant, tout autant qu'elle se savait incapable de supporter de voir encore et encore leurs deux ombres se mélangeant dans les vitres des tavernes chaque soir.

Partir...
Il lui fallait partir pour lui donner ce temps qu'il demandait.
Elle n'en serait pas capable sans l'éloignement qu'elle craignait pourtant.


Pour où?
Aucune certitude encore, mais loin.
Peut-être là où l'on frôle la mort à chaque instant...
Là où elle oublierait que : "Il y a bien pire que mourir"...

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Penelopedefrance
[Depuis son bureau à Pierre-Scize]

Le nez dans ses dossiers ou le nez en l'air de temps à autre, le besoin de prendre l'air, Pénélope était surtout montée sur ressorts parce que son cervelet subissait ce qu'elle détestait le plus......être embrouillé.
Elle rangea ses parchemins et sortit de son bureau illico, arpentant les couloirs à grandes enjambées bien décidée à s'octroyer une escapade en taverne.
Alors qu'elle prenait un virage un peu trop rapide, elle se trouva nez à nez avec le Bailli...Pour un peu elle aurait râler en lui demandant ce qu'elle faisait à trainer là, mais rapidement le regard de Terwagne ne laissait aucun doute sur le trouble qui semblait l'habiter.


Dame Terwagne......vous êtes sûre que tout va bien ?


Puis comme pour trouver une parade

Justement je vous cherchais ! Vous n'avez rien à faire de spécial ici, pourriez-vous aller à Dié, faut bouger la mine là-bas, enfin remuer les mineurs, faire de la propagande quoi, donc préparez vos malles, départ ce soir !

Je sais que tout cela vous semble sans doute précipité, mais dans la vie parfois faut pas tourner autour du pot des jours et des jours, ça ne sert à rien de se triturer l'esprit avant de prendre une décision.
Ces mines nous font tourner en bourrique, on va bien finir par en venir à bout et au moins on aura montré l'exemple !

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Walan
Castel de Meyrieu, nuit du sept au huit de février.

Perdu et désorienté, Walan l'était sans aucun doute. Et il l'était d'autant plus qu'il n'avait pas pour habitude de ressentir ceci.
Il avait beau tenter de faire le point, de retrouver son chemin, chaque jour de nouveau événements revenaient troubler ses pensées et ses sentiments.

Au commencement était le Verbe ... ce verbe, ces verbes, ces mots, ces phrases qui avaient fusé. Plusieurs fois, des semaines plus tôt, ce qui aurait pu être d'agréables et tendres conversations s'était transformées en conflits, prises de têtes et disputes.
Sans Repos ne savait guère comment ils en étaient arrivés là, et n'avait alors pas vraiment eu l'occasion d'y songer, occupé qu'il était alors par la gestion de l'armée qu'il menait aux portes de Lyon. Toujours est-il qu'alors, la Tempête lui avait décrété la première fois d'une longue série qu'il ne la comprennait pas.

Alors même qu'il avait tenté de s'ouvrir à elle, de se rapprocher, de lui parler de ses craintes, les graines du doute avaient vraisemblablement été semées à ce moment. Même si le vicomte d'Ancelle n'en avait alors pas conscience, les récriminations et les présupposés sur son comportement l'avaient miné, provenant de la part de celle qu'il aimait.

Les choses avaient encore empirées lors de son retour à Vienne. Il avait décidé de ne prévenir personne, souhaitant faire la surprise à sa bien aimée en l'attendant dans la taverne où elle logeait toujours pendant que le reste des hommes rentraient directement à Meyrieu sans passer par Vienne.
Sa bonne humeur à retrouver Terwagne l'avait conduit à sourire et plaisanter en taverne, notamment avec la dénommée Katarina. Il avait brièvement rencontré la jeune femme avant son départ pour la capitale, juste assez de temps pour découvrir qu'elle avait connue Alyanne et s'était prise d'amitié avec elle lors d'un précédent voyage à Vienne. Walan lui avait promis de l'emmener voir le tombeau de celle qui avait failli être sa femme après son retour, tandis qu'Anne lui offrait de l'héberger tant qu'elle serait à Vienne.
Malgré tout, lorsque Terwagne était entrée dans la taverne, ce qui aurait dû être d'heureuses retrouvailles avait tourné en scène de jalousie et de reproches.

Des échanges de lettres avaient eu lieu, lettres qu'un Walan échaudé par les réactions précédente n'avait réussi à voir autrement que comme la poursuite des reproches et auxquelles il avait répondu sur le même ton. Il avait pris conscience que la Tempête ne le comprenait pas plus que lui ne la saisissait.
Dès lors, le doute s'était fait plus fort, et n'avait plus fait que croître.
Croître lorsque la dame de Thauvenay continua de sans cesse vouloir lui montrer qu'il avait eu tort dans ce qu'il avait pu ressentir de ses paroles, croître lorsqu'alors qu'ils étaient seuls en taverne elle lui avait longuement reproché de ne pas lui avoir pris la main, croître lorsqu'il l'avait entendue un autre soir multiplier les sous-entendus et insinuations sans même s'en rendre compte, croître lorsqu'elle avait préférer s'engager avec lui dans un débat sur la politique plutôt qu'autre chose.

Puis les choses s'étaient encore complexifiées. Alors même qu'il avait annoncé à Terwagne avoir besoin de temps pour se recentrer, quelqu'un avait cru intelligent de payer un crieur public pour divulguer des rumeurs le disant infidèle, ajoutant au trouble.
Puis Katarina lui avait avoué avoir des sentiments pour lui alors même qu'il ne voyait en elle qu'une jeune femme dont il appréciait la compagnie, le caractère et l'amitié qu'elle avait développée avec Anne sans pour autant avoir de sentiment amoureux pour elle.
Et enfin, voilà que le soir même, la Tempête lui annonçait quitter Vienne pour partir dans la Provence guerroyante.

Le trouble, toujours le trouble ...
Tard dans la nuit, le trouble conduisit Sans Repos à prendre une plume qu'il lui aurait fallu utiliser bien plus tôt pour rédiger deux billets qu'il confia ensuite à un messager avec l'espoir qu'aucune des deux destinataires n'aurait encore quitté la cité sainte ...


Citation:
Dame,

Peut-être m'excuserez vous de ne pas vous avoir répondu immédiatement, peut-être pas.
Je ne sais quel ton donner à cette lettre, car mes propres sentiments m'égarent et me sont obscurs.

Aussi vais-je plutôt vous répondre par ce que je sais.
Je sais que mes sentiments pour vous n'ont jamais été feints, ceci je peux vous l'assurer.
Je sais que dernièrement, je ne vous ai pas reconnue, ni comprise, ni n'ai réussi à me faire comprendre de vous.
Je sais que ne suis pas amoureux de dame Katara, même si je ne vous ai jamais caché l'apprécier et être prêt à lui offrir mon amitié.
Je sais que bien trop souvent ces derniers temps, nos conversations ont été déplaisantes et ont pris une tournure dont je m'étonne moi-même.


Je vous ai déjà confessé mon épuisement dame. Le service du Duché, que ce soit par la plume ou les armes, m'a valu mon surnom, mais les années s'accumulent maintenant et, ainsi que je vous l'ai écrit, peut-être ai-je présumé de mes forces.
J'ai besoin d'éclaircir les choses et de me retrouver dans mes sentiments, dame, mais ne vous éloignez pas. Vous savoir en péril hors du Duché ne ferait qu'ajouter à mon trouble.

Bien à vous,
W.

Citation:
Dame,

Je ne sais si cette missive vous fera peine ou joie, ni si elle vous convaincra de rester plus longtemps Vienne ou accélérera votre départ.

Il me fallait juste vous dire à nouveau que, quand bien même ne suis-je pas capable de vous rendre les sentiments que vous me portez, je vous apprécie néanmoins pour de nombreuses raisons, et que j'aurai plaisir à être votre ami et à vous voir demeurer à Vienne.

Amicalement,
Walan.

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Terwagne_mericourt
Nuit du sept au huit février 1458 :

Partir, vite, loin, frôler la mort pour croire encore à la vie... C'est ce qu'elle allait faire, oui!

Après avoir quitté la taverne municipale où elle était allée faire ses aux-revoir à certains et fixer l'heure du départ avec Dame Lara qui l'accompagnerait jusqu'à Valence, il ne lui restait plus qu'à aller prévenir le Conseil Ducal, dire à la Gouverneur qu'elle était désolée mais qu'il faudrait la remplacer dans deux jours tout au plus, qu'elle ne finirait pas son mandat, que tout cela n'avait plus de sens aujourd'hui puisque sa propre vie n'en avait plus.

Déboulant comme une tornade - et non plus une tempête - dans les couloirs de Pierre-Scize, elle n'eut même pas à se rendre jusqu'au bureau de sa Grâsce, puisque celle-ci faillit la percuter au coin d'un mur.

"Si tu ne viens pas à Pénélope, Pénélope viendra à toi", se serait-elle sans doute dit, amusée, en d'autres circonstances, mais pour l'heure elle était bien loin d'avoir envie de faire de l'humour.


Dame Terwagne......vous êtes sûre que tout va bien ?

Bien?

Mais est-ce qu'elle avait l'air d'aller bien?! Jamais elle ne s'était sentie aussi mal, mal au point de ne même pas avoir envie d'en parler, pour tout dire. Et pourtant, il allait lui falloir au moins s'exprimer un peu, avertir de sa démis....

Pas le temps!

Elle n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà sa vis-à-vis reprenait la parole, changeant radicalement de sujet de conversation, comme tous ces gens qui vous posent la question par simple politesse mais n'en ont cure de votre réponse.


Justement je vous cherchais ! Vous n'avez rien à faire de spécial ici...

Rien de spécial à faire...

Elle ne croyait pas si bien dire, la Gouverneur. Elle n'avait en effet plus rien à faire ici, tout simplement!


... pourriez-vous aller à Dié, faut bouger la mine là-bas, enfin remuer les mineurs, faire de la propagande quoi, donc préparez vos malles, départ ce soir !

Dié?

Mais Dié ça n'était pas sur sa route, pas du tout même... Elle partait pour la Provence elle, pas pour les mines! Elle voulait sentir dans sa main son épée, pas une pioche!

Levant un regard incrédule vers celle qui venait de prononcer ces paroles, elle ouvrit à nouveau les lèvres, pour à nouveau se faire couper l'herbe sous le pied.


Je sais que tout cela vous semble sans doute précipité...

Pécipité? Non, pas du tout! Pas plus que son départ et sa décision à elle!

...mais dans la vie parfois faut pas tourner autour du pot des jours et des jours, ça ne sert à rien de se triturer l'esprit avant de prendre une décision.

Vous devriez le dire au Vicomte, ça, pas à moi!

Ceux-là, de mots, elle ne fut pas capable de les retenir et les laissa fuser. Certes dans un murmure, mais sur un ton rempli de tous ces sentiments qui se bousculaient en elle : colère, tristesse, incompréhension, abattement, cynisme, désespoir aussi.

La Dame Pénélopedefrance les entendit-elle? Sans doute pas vraiment, non. Du moins elle n'en laissa rien paraitre, terminant ses propos par quelques mots.


Ces mines nous font tourner en bourrique, on va bien finir par en venir à bout et au moins on aura montré l'exemple !

"Montrer l'exemple..."

Les voila, les mots qui firent mouche! Bien plus que tous ceux qu'avait pu lui dire en vain le pauvre Thiberian ce soir pour tenter de la faire changer d'avis, ceux qui lui rappelaient sa devise et son cry, ceux de la Gouverneur la touchèrent de plein fouet.

"Montrer l'exemple..."

Pour elle cela voulait dire ne pas faire comme d'autres... Se tenir à ce qui avait toujours été sa ligne de conduite à elle! Ne pas démissionner d'une chose qu'on s'est engagée à faire! Et elle, elle s'était engagée à servir le Duché durant un mandat complet! Mandat qui prendrait fin dans une dizaine de jours!

Elle n'allait tout de même pas faire ce qu'elle ne comprenait pas de la part d'autre? Renier ce qu'elle avait maintes et maintes fois répété être la chose la plus importante à ses yeux : respecter ses engagements... Non, elle ne pouvait pas faire ça!


Mes malles sont déjà faites, Dame!
Elles sont dans le coche qui m'attend dehors.
Je serai à Dié dans deux jours.


Elle tourna les talons et quitta les murs de Pierre-Scize, sans rien ajouter... Pas un mot de plus, cela ne servait à rien. Et des mots, elle n'en prononcerait plus que le strict minimum dans les jours à venir, preuve de son repli sur elle-même, et de son détachement de tout ce qui était "côté humain".

La lettre du Vicomte d'Ancelles lui parvint quelques minutes plus tard à peine, alors qu'elle regagnait son coche, et elle ne l'ouvrit pas...

Elle ne l'ouvrit pas, non, car elle ne savait que trop bien que celle-ci n'avait pour objet que de la retenir dans cet enfer qu'était devenu pour elle Vienne, cette ville où chaque taverne respirait l'odeur des passages de Katara, cette femme qui était venue jeter le trouble, cette femme qu'elle aurait bien du mal à ne pas agresser si elle la croisait.

Il lui fallait s'éloigner, respecter sa demande de temps à lui.

Cette lettre, elle ne l'ouvrit que le lendemain, dans la chambre d'auberge qu'elle occupa quelques heures à Valence.

Mais elle n'y répondit pas, malgré toutes ses tentatives de le faire, et du user ce jour-là plus de vélins que sur un mois de correspondances. Elle n'y parvint pas. Elle ne se sentait pas capable de ne pas laisser son envie de l'influencer prendre le dessus sur sa plume.

Peut-être y répondrait-elle de Dié...

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Terwagne_mericourt
Dixième jour de février, une chambre d'auberge à Dié :

Second lever de soleil auquel elle assistait depuis son arrivée dans cette ville où elle n'avait pas encore mis le nez dehors pour autre chose que d'aller à la mine.

A dire vrai, elle était à Dié comme elle aurait été ailleurs... Une ombre, sans vie, sans couleur, sans envie, se rendant d'un lieu à un autre sans rien voir, rien sentir, rien exprimer, rien ressentir d'autre que le cahot qui régnait en son sein.

Le Duché attendait d'elle qu'elle soit dans cette ville et qu'elle y oeuvre pour les mines, alors elle était là et elle s'exécutait. Servir le Duché, elle s'y était engagée, elle le faisait, comme on exécute un travail, comme on tient une promesse qu'on a faite et dont on ne peut se libérer sans renier ce que l'on est.

Elle n'était certes plus une femme, depuis quatre jours, elle n'était même plus humaine lui semblait-il par instant, mais elle était toujours conseillère ducale, pour deux semaines.

Deux semaines, ça n'était pas tant que ça, au fond...

Non, pas tant que ça, mais dans deux semaines que resterait-il d'elle? Pas grand chose, sans doute.

Dans deux semaines, lui l'aurait déjà oubliée, elle en était pratiquement certaine, et elle elle n'existerait plus, puisque depuis des mois elle n'existait que par son regard et son amour. Elle n'existait que parce qu'il l'avait sauvée et aimée...

Elle aurait voulu le lui dire, le lui écrire, lui envoyer ces mots ressurgis du passé et qu'elle devinait avoir été écrits par celui qui l'avait abandonnée avant sa rencontre avec Walan.

"Je crois en nous, crois-y avec moi"

Un rire qui avait quelque chose de lugubre dans son cynisme s'échappa de ses lèvres en y repensant encore et encore.


Vous y croyiez tellement que vous avez fini par partir, vous dont j'ai oublié le nom et le visage!!!!

Oui, le temps a effacé vos traits dans ma mémoire, mais pas votre trace dans mon âme!


Etait-ce cette nouvelle rupture qui ravivait ainsi en elle la douleur ancienne? Peut-être... Sûrement... Et ce souvenir physique, malgré le flou qui l'entourait, ne faisait qu'aggraver encore son pessimisme et sa certitude qu'espérer ne rimait à rien.

Walan l'oublierait, ne reviendrait pas, ne l'aimerait plus jamais, l'avait sans doute déjà remplacée...

Et pourtant, tout au fond d'elle, derrière ce champs de bataille qui encombrait son coeur, il y avait une toute petite voix, vacillante, presque étouffée, qui lui criait de ne pas abandonner le combat, de continuer à hisser le drapeau de l'espérance et de la foi.

Est-ce cette petite voix qui la poussa à enfin répondre à sa dernière missive? Certainement, oui. Même si dans ces mots on ne pouvait pratiquement rien percevoir de cela.


Citation:
Cher Vicomte,

J'ai bien reçu votre lettre avant mon départ, mais sachez que celle-ci n'a été ouverte que bien après.

Pourquoi? Parce que tout comme mon départ à moi n'a - malgré votre incapacité à le comprendre - d'autre raison que de m'interdire de vous influencer par mes propos et ma présence, je ne voulais pas laisser vos mots influencer ma décision.

Ce départ, que vous le compreniez ou non, je l'ai décidé pour vous et pour moi.

Rester à Vienne pour quoi faire?

Pour trainer devant votre regard perdu l'ombre que je suis devenue depuis vos aveux?

Pour sentir la vie me quitter un peu plus à chaque fois que je croiserai votre silhouette à côté de la sienne?

Pour finir par ne plus être capable de retenir l'ouragan qui gronde en moi en apercevant cette femme qui après m'avoir dit être prête à se damner pour avoir cet amour que vous m'aviez donné à fini par le faire?

Rester n'aurait servi à rien d'autre qu'à détruire ce que je suis, ce que nous étions, ce en quoi j'ai cru, ce pour quoi j'avais envie de vivre... Mais plus encore, cela n'aurait été que prendre le risque de laisser la Tempête que je suis souffler sur cette bien petite flamme d'espoir qu'il me reste que tous ces doutes en vous ne soient que passagers.

Pour toutes ces raison, non seulement je me suis éloignée, vous donnant ainsi le temps que vous vouliez, mais j'ai aussi décidé de ne plus vous écrire.

Je ne vous écrirai plus, non...

Pas que je n'en éprouve pas le besoin, loin de là, mais bien parce que je ne sais que trop bien que chacune de mes lettres ne serait remplie que de tristesse, de désespoir, et vous donnerait une image de moi qui si elle correspondait à ce que je suis devenue n'aurait rien à voir avec celle de la femme que vous aviez aimée et avez cessé de reconnaître dites-vous.

Alors non, je ne vous écrirai plus, et attendrai sagement de vos nouvelles, du moins un temps...

Le temps de terminer ce mandat ducal grâce auquel vous pouvez vous rassurez, puisqu'il fait que je n'ai pas quitté ce Duché et ai satisfait à la demande de Gouverneur d'aller me rendre utile dans une autre ville du Lyonnais-Dauphiné.

Ensuite, je suppose que même mon ombre sera devenue trop lourde à porter pour mon âme incendiée.

Terwagne,
Celle à qui elle reste la vie.


Et puisque plume et vélins étaient devant elle, elle rédigea plusieurs autres lettres, bien plus brèves, adressées aux personnes suivantes et à qui elle se devait d'au moins donner signe de vie : sa soeur Milyena, sa nièce Anne, le sieur Thiberian, mais aussi Dedelagratte, celui de qui elle portait toujours la chemise qu'il lui avait laissée le soir de son départ, y trouvant une raison de l'obliger à revenir pour la lui rendre.
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Terwagne_mericourt
Castel de Pierre-Scize, bureau du Bailli, le 15 février 1458 :

Six longues journées, entrecoupées par cinq nuits interminables... C'était le temps qui c'était écoulé depuis qu'elle avait écrit à Walan et aux autres, et si des réponses lui étaient parvenues de certains, la lettre qu'elle espérait le plus n'était pas arrivée en tous cas.

Non, le Vicomte d'Ancelles ne lui avait donné aucune nouvelle, ni dans un sens ni dans l'autre.

L'avait-il déjà oubliée?
Avait-il besoin de plus de temps encore?
Ou bien sa décision était-elle prise mais n'avait-il pas le courage de lui en faire part, préférant encore la laisser ainsi dans le flou et le chagrin le plus total?

Toutes ces hypothèses se disputaient sans cesse le pouvoir de guider son humeur à elle, la laissant épuisée nerveusement, mais physiquement aussi puisque depuis elle avait perdu et l'appétit et le sommeil.

Certaines nuits, pourtant, la fatigue la trainait bien malgré elle jusque dans les bras de Morphée, mais elle n'y restait pas longtemps, s'en extirpant en sursaut suite à un de ces cauchemars dans lesquels elle voyait toujours la même scène, celle de Sans-Repos en pleins chuchotements avec Katara dans un coin de taverne.

Le temps qu'il avait demandé, elle-même le lui donnait, mais elle savait très bien que ça n'était pas le cas de l' "autre", qui n'avait pas quitter Vienne comme elle l'avait pourtant annoncé, et que celle-ci devait sans doute mettre ce temps à profit pour semer encore plus le trouble et le doute dans son esprit à lui.

Chaque heure qui s'écoulait la faisait plonger plus profondément dans son chagrin et sa douleur, et les seuls espoirs qu'elle avait eus d'en sortir parfois quelques instants semblaient la déserter eux aussi...

Quels espoirs? Rien de bien terrible au fond, mais elle devait bien s'avouer que naïvement sans doute elle avait attendu impatiemment le retour de retraite spirituelle du sieur Raithuge, dont elle était devenue plutôt proche à force de travailler ensemble au pôle économique, certaine que lorsqu'il serait de retour, il reprendrait son habitude quotidienne de venir la saluer dans son bureau à la nuit tombée, blaguant et lui faisant oublier ses peurs et ses angoisses par des mots dont lui seul avait le secret.

Son retour c'était bien produit, oui, mais depuis lors, aucune visite... Juste quelques missives échangées, mais au ton bien différent de celui qui avait précédé son départ.

Avait-il été offusqué des derniers mots qu'elle lui avait écrits auparavant, ceux où elle lui parlait de son amour pour Walan? Peut-être, oui... Mais ceux-ci n'avaient eu d'autre but que d'être franche avec lui, et il lui avait affirmé comprendre.

Regardant cette porte que ce soir non plus il ne pousserait pas, elle se trouva idiote d'avoir de telles pensées. Elle savait très bien que depuis qu'il avait repris ses fonctions il n'avait de cesse de travailler à boucler ses projets avant la fin du mandat ducal, et guère de temps pour le reste.

La fin du mandat... C'était pour bientôt, et elle se demandait ce qu'elle-même ferait ensuite. Elle aurait tenu ses engagements, serait restée jusqu'au bout, n'aurait pas démissionné. Mais après? Que ferait-elle? Elue elle le serait sans doute, puisque seconde de liste. Mais aurait-elle la force de continuer deux mois encore, de rempiler, si elle ne devait jamais plus revoir Walan? Aurait-elle le courage de rester dans ce Duché où par deux fois elle avait perdu l'amour et en était arrivée à avoir envie de perdre la vie?

L'attente de ses nouvelles devenait insoutenable... Il lui semblait qu'elle aurait encore préféré recevoir une lettre de rupture nette, quitte à en mourir de douleur, que de rester dans le doute comme elle l'était.

Ne pas savoir est pire que tout, s'en rendait-il seulement compte?!!!

Pour tenter de se remonter le moral, elle relut une fois encore la seule lettre qui avait ce pouvoir depuis des jours, celle reçue de Dedelagratte, qui en d'autres lieux et d'autres temps lui aurait donné le sourire.

Dede, un ami fidèle et discret, qui avait été témoin de bien des excès de sa part certains jours, mais avait toujours gardé le silence sur ceux-ci. Un ami qui jamais ne l'avait jugée lui semblait-il, ni dans ses délires en taverne, ni dans ses "crises" et prises de position à l'APD, ni dans ses doutes et craintes de femme, ni dans ses besoins de se sentir vivante parfois.

Elle lui répondrait demain, quand elle se sentirait mieux... Elle écrirait également à Anne, qui lui avait répondu, ainsi qu'à Milyenna.

Et puis, elle écrirait à sa tête de liste, Sagaben, pour mettre au point une certaine chose avant la fin des élections, quitte à aggraver encore l'entente désastreuse qui régnait entre eux deux depuis la préparation de la campagne pré-électorale. Il lui fallait absolument cesser de retarder sans cesse la rédaction de cette missive.

Les élections, l'APD... Son esprit était bien loin de tout cela, tout cela qui n'avait au fond aucune importance en comparaison de ce qui la faisait souffrir.

La politique et le devoir ne vous empêchent pas de vous sentir désespérément seule et incomprise, malheureusement.

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Terwagne_mericourt
Si les nuits sont courtes lorsqu'on a un retard de travail accumulé à rattraper, ce n'était pas son cas à elle. Elle aurait aimé, pourtant, avoir elle aussi des tas de choses à mettre à jour avant la fin de ce mandat ducal, mais ce n'était pas le cas... Au Comité des fêtes ducales, tout était également en ordre, ainsi que dans ses audiences et verdicts à la Cour d'Appel. Non, pas le moindre retard à combler nulle part!

Pour seule compagnie durant les heures nocturnes, elle n'avait que sa peine et sa douleur, et les nuits ne lui en semblaient que plus longues encore. Le temps se trainait comme elle-même trainait son âme bien trop lourde de bureaux en bureaux au Castel de Pierre-Scize.

Pierre-Scize... Pour l'heure, alors que le soleil se levait, il lui restait encore quelques heures à tuer avant de s'y rendre, et elle en profita pour écrire les nombreuses missives qu'elle avait remises au lendemain.

Elle commença par celle adressée à son ami Dedelagratte.


Citation:
Cher ami,


J'espère que tout va bien pour vous, où que vous vous trouviez.

Pour ma part, je suis toujours à Dié, où je m'ennuie profondément, n'y trouvant rien qui puisse attirer mon attention et distraire mes pensées, ne serait-ce que pour me permettre de quitter un instant la tristesse et les idées noires qui sont miennes.

Enfin, je me plains, mais au fond j'en suis la principale responsable, puisque je n'y fréquente absolument pas les tavernes, ni même les rues animées, me contentant de travailler jusque fort tard avant de rejoindre ma chambre d'auberge où je passe mes soirées et nuits à espérer recevoir enfin des nouvelles du Vicomte d'Ancelles, mais en vain.

La fin du mandat approche, et je ne sais toujours pas ce que je ferrai ensuite en cas de non décision de sa part à lui sur la suite de notre histoire.

La "Tempête" manque de souffle en ce moment...

Prenez soin de vous comme je prendrai soin de votre chemise qui a quitté ma malle l'autre soir, je vous l'avoue, afin d'envelopper mes épaules secouées de sanglots. J'y ai trouvé un léger réconfort, me semble-t-il, me rappelant que Vienne et l'APD ne se résumaient pas à cet homme seul.

Mais revenir est au-delà de mes forces, bien malgré mon envie de revoir certains d'entre vous.

Votre amie la "Mégère"


Immédiatement après, elle écrivit aux deux membres de sa famille : Milyena et Anne.

Citation:
Ma nièce,


Je prends enfin mon courage afin de vous écrire et vous donner un peu de mes nouvelles.

Comme vous l'aurez constaté, point de démission de ma part, non, et un mandat que je mènerai à termes, bien malgré moi certains jours, je ne vous le cacherais pas.

Je me trouve toujours à Dié, mais ne me demandez pas à quoi ressemble cette ville, je n'en ai pas la moindre idée, ne sortant absolument pas de ma chambre, mis à part pour travailler.

Le travail... Comme je voudrais qu'il m'empêche de broyer du noir en continuant d'attendre vainement des nouvelles du Vicomte d'Ancelles! Mais c'est loin d'être le cas.

De réponse à ma dernière missive je n'ai point reçu, et je ne peux que supposer que cela est signe qu'il me demande plus de temps encore pour faire le point. Parce que peu importe les relations qu'il entretient avec cette femme, il n'en reste pas moins que lui-même m'a annoncé ne plus savoir quels étaient ses sentiments envers moi et envers elle. Les actes importent bien peu, en comparaison des sentiments, et ici c'est bien de cela qu'il s'agit, bien de cela que m'ont entretenue ses aveux.

Il voulait du temps, je lui en donne en m'éloignant pour ne pas tenter de l'influencer, quitte à en mourir moi-même de chagrin, mais je ne suis pas dupe et je ne sais que trop bien qu'elle-même n'a pas repris la route comme elle a tenté de me faire croire qu'elle en avait l'intention.

Peu importe, chacune sa conscience, chacune son respect des sentiments des autres.

Mais je cesse de vous importuner avec des histoires et douleurs que j'espère vous-même ne connaitrez jamais.

Y a-t-il du nouveau au sujet du baptême de Messire d'Aupic? Prévenez-moi quand la date sera fixée, surtout, je tiens absolument à y assister.

Avec toute mon affection,
Votre tante Terwagne


Citation:
Ma chère soeur,

Je commence à m'inquiéter de ne pas avoir reçu de réponse à mon courrier t'avertissant de mon départ pour Dié et t'expliquant les raisons de celui-ci.

M'en tiens-tu rigueur?
As-tu trop de travail en ce moment pour pouvoir me répondre?
Ou bien le volatile livreur de cette dernière s'est-il égaré?

Quoi qu'il en soit, sache que je vais aussi bien que mon coeur brisé me permet d'aller en ce moment, et que je pense beaucoup à toi.

J'espère que tu te sens de mieux en mieux en ce Duché, et que ton installation dans ta demeure c'est bien passée. J'ai hâte de te revoir, mais je ne suis pas capable de revenir à Vienne pour l'instant, c'est au-dessus de mes forces.

Je t'embrasse, ma belle, et te dis à bientôt je l'espère.

Terry


Ensuite? Elle se pencha enfin sur la lettre adressée à sa tête de liste, le sieur Sagaben, cherchant longuement les mots qu'elle utiliserait, les modifiant parfois, et finissant par tracer les suivants.

Citation:
Vicomte de Laragne-Montéglin,

Il me tient à coeur de vous envoyer cette missive avant la fin des élections, non pas pour m'excuser de la position que j'ai choisie de tenir dans les jours à venir, parce que celle-ci n'a pas changé depuis notre dernière discussion, pas plus que pour revenir sur les derniers mots échangés entre nous au cours de cette dernière, mais bien pour vous faire part de mon indéfectible soutien aux valeurs du parti dont vous êtes la tête de liste.

Parce que oui, ce parti, c'est bel et bien vous qui allez le porter sur vos épaule dans les jours à venir, qui allez le représenter... C'est vous qui en êtes la tête de liste, je ne l'oublie pas, soyez en assuré.

Dans cet ordre d'idée, je voudrais - malgré nos nombreuses divergences d'opinion depuis quelques temps - vous remercier pour l'énergie que vous avez mise à tenir ce rôle avec tout le talent dont vous êtes capable.

Vous et moi ne tomberons sans doute jamais d'accord sur certaines choses, sur certains calculs, sur sur certaines définitions des rôles et devoirs qui incombent à chacun, pas plus que sur les notions de capacité et de disponibilité, mais cela ne m'empêche pas de reconnaître vos qualités.

Je profite également de cette missive pour vous dire que malgré mon état d'esprit actuel, malgré ma fatigue et ma lassitude, malgré tout ce que j'ai tant de mal à supporter sur le plan affectif depuis plusieurs jours, je n'en reste pas moins disponible et apte à vous seconder lors de cette campagne, pour défendre les valeurs de ce parti où nous sommes tous deux. Je suis parfaitement capable de taire la femme en moi pour laisser oeuvrer la politicienne et la conseillère, vous êtes bien placé pour le savoir.

Pour la suite, je crois qu'il faudra que je vous voie et que nous discutions. Mais cela attendra que quelqu'un m'aide à y voir plus clair dans mon futur personnel... J'ai beaucoup de mal à envisager de pouvoir rester debout et vivante sans ça.


Bonne chance pour ces élections.

Votre co-listière,
Terwagne Méricourt de Thauvenay


C'est alors qu'elle rangeait ses affaires et s'apprêtait à descendre chercher un messager dans la taverne, qu'elle pensa à celui qu'elle avait tenté d'aider quelque peu la veille, avant de quitter le castel. Elle ne lui avait sans doute pas été d'un grand secours au fond, mais qu'aurait-elle pu dire ou faire de plus? Lorsque le deuil vous frappe, personne ne peut vous libérer de votre douleur, uniquement le temps, ce temps qu'elle-même trouvait bien trop long.

Repensant aux mots que tous deux avaient échangés, elle se demanda si il avait perçu le réflexe de retrait qu'avait eu sa main à elle lorsqu'il l'avait surprise en y glissant la sienne. Ce n'était pas parce qu'elle avait été outrée du geste, ou scandalisée, ni même choquée, mais juste surprise et quelque peu perdue devant cette détresse qu'elle y avait sentie.

Elle décida de lui écrire une bien brève missive à lui aussi.


Citation:
Cher ami,


J'espère que cette nuit, si elle ne vous a pas permis de comprendre et d'accepter, vous aura au moins permis de vous reposer un peu.

Je me sens malheureusement bien impuissante à vous aider et à vous soulager de la douleur que je sais vôtre, mais sachez que je suis de tout coeur avec vous dans cette bien trop lourde épreuve qu'il va vous falloir traverser.

Vous êtes fort, je le sais, bien plus fort que vous ne le pensez en ce moment, mais parfois la faiblesse est aussi une qualité lorsqu'elle ose s'exprimer. Elle est ce qui fait de nous des hommes et des femmes, nous rend humains.

Je vous sais humain, et cela ne vous en donne encore que plus de valeur à mes yeux.

Ne laissez pas le remord vous envahir, pas plus que la culpabilité, ce ne sont que poisons que vous ne méritez pas et qu'elle n'aurait pas voulu vous infliger.


Avec tout mon soutient,
Terwagne Méricourt de Thauvenay..


Hop! Il ne lui restait plus qu'à confier le tout à un messager, et celui-ci vint à elle bien plus tôt qu'elle ne l'aurait cru, puisqu'il se trouvait derrière la porte de sa chambre au moment où elle l'ouvrit pour descendre.

Terwagne Méricourt?
On peut dire qu'elle vous aura cherchée longuement c'te lettre!
Montargis, Cahors, Tulles, Paris, Vienne, Lyon, et enfin vous v'là!
Heureusement qu'on m'a dit juste à Pierre-Scize, sans quoi j'aurais fini par la jeter moi!


Montargis...
Cahors...

Cela ne pouvait venir que du géniteur!

Qu'est-ce qu'il lui voulait encore?!

La faire revenir?
La convaincre de lui renvoyer Mily?

D'une main nerveuse elle attrapa le pli, et fut surprise d'y reconnaître non pas le sceau de ce dernier, mais bien celui de sa mère...

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Sagaben
Le Vicomte de Laragne était venu passer quelques jours en ses terres avant de retourner sur Lyon pour la fin de la campagne ducale. Petit séjour pour prendre des nouvelles de sa fille, nouvelle-née. Il touchait déjà à sa fin. Les chevaux étaient déjà prêt lorqu'un messager apporta un pli au Tempéré.

Il reconnut le sceau et s'en étonna. Un pli de la dame de Thauvenay? Le Vicomte sourcilla et annonça que le départ serait un peu reporté. Il s'en retourna vers une piècecalme de l'intérieur du château tout en se dégantant. Il décacheta le pli et lut la lettre. Il resta un instant à réfléchir, puis, se disant qu'il se devait répondre à ce qu'il considérait comme une main tendue de la part de sa co-listière, il trouva un encrier et une plume et s'entreprit de rédiger une réponse en un jet. Son départ ne pouvait être trop retardé.


Citation:
De Bastien d'Amilly, dict le Tempéré, Vicomte de Laragne-Montéglin.

A Vous, Dame Terwagne Méricourt, Dame de Thauvenay.

Utiliserais-je un euphémisme si je disais que votre courrier me fait plaisir.

Non bien sûr que je m’attendais ou que j’attendais telle missive. Je ne pense pas avoir les capacités nécessaires pour prétendre manipuler les gens de la sorte.

Vos valeurs sont chères à votre coeur et je pense que vous les avez toujours défendues et que vous les défendrez toujours avec le plus grand acharnement. Je perçois le coût de votre démarche, et je vous en remercie.

Je vous suis quand vous écrivez que nous ne tomberons jamais d’accord sur certains points. Des divergences et des interprétations diffétentes nous séparent sur bien des sujets passés, présent, et sans doute futurs. Cependant, je sens quelle force pourrait émaner de notre entente dans le travail. Force que nous nous devons de mettre au service des valeurs que nous partageons, celles de l’APD, celles du Dauphiné.

Voilà pourquoi, j’accepte votre main tendue et ce que je prends pour une main tendue avant la fin de cette campagne. J’accepte également la discussion particulière que vous me proposez quand, bien sûr, vous vous sentirez de la tenir.

Bonne chance à vous de même, et encore merci.


Bastien d’Amilly

Post-Scriptum : je serai à Die dans pas longtemps, sachez que je n’ai jamais refusé l’aide qu’on me demandait. A bon lecteur...

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Milyena
Dans les rues de Vienne.

Mily rentrant chez elle vit un messager s'y rendre également, ce dernier lui amenait un pli de sa soeur.

Elle lu attentivement ce courrier et vu avec regret que sa réponse sur la missive précédente, n'avait du arriver à bon port.

Elle entra donc chez elle afin d'y répondre le plus rapidement possible.

Lui tenir rigueur? certainement pas, elle faisaient comme prévu chacune leur vie de leur côté mais étaient ensemble, réunie comme elles l'avaient toujours souhaité.

Mily aurait aimer aider Terry, prendre une part de ses douleurs et peines, mais cela était impossible, d'autant plus que Mily ne savait toujours pas grand chose du vécu de sa soeur le temps de leur séparation.

Quelques jours plus tard.


Les jours passaient et Mily regarda grandir son élevage, dans quelques jours il était possible qu'elle parte sur Dié retrouver sa soeur.

Mais elle hésitait, était-ce mieux de la surprendre ou au contraire la prévenir?Etait-ce même une bonne idée d'aller l'y rejoindre?

Mily commença à se préparer pour une journée de travail à la mine, la tête emplie de pensée pour sa soeur tant aimée.

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Terwagne_mericourt
Trois jours...

Cela faisait trois jours à présent qu'elle avait appris la nouvelle, cette nouvelle qu'elle aurait du trouver terrible, atroce, mais qui au fond ne lui faisait ni chaud ni froid.

Un décès, ça doit nous chagriner, non?

Or, elle, la première réaction qu'elle avait eue, ça avait été de rire. Un rire nerveux? Peut-être, oui... Du moins elle le supposait. Mais plus le temps avançait et plus elle s'en voulait de ne pas être attristée, se demandait si elle était à ce point devenue un monstre.

Reprenant la missive envoyée par sa mère et datant d'un mois plus tôt, elle la relut, espérant cette fois en ressentir au moins un peu de chagrin.


Citation:
A ma fille Terwagne.

C'est avec une grande tristesse que je prends plume pour t'écrire, après toutes ces années de silence entre nous.

Je sais que si tu es partie, et ta soeur Milyena aussi il y a peu, c'est pour le fuir lui, mais il était malgré tout ton père, celui que j'aimais, celui qui avait mis un toit au-dessus de vos têtes, qui vous a nourries jusqu'à votre départ, qui vous aimait même si vous ne l'avez pas compris.

Toi et Milyena n'avez vu de lui que son alcoolisme, sa violence, ses cris et ses coups, mais il n'en fut pas toujours ainsi. Oui, il buvait trop, mais si comme lui vous aviez perdu père, mère, frère et soeur au cours de la même nuit, dans ce terrible incendie, crois-tu que vous seriez restées les mêmes?

Ton départ et celui de ta soeur ensuite n'ont fait qu'aggraver son chagrin et sa douleur, le faisant boire de plus en plus, jusqu'à cette chute qu'il a fait dans le lac où il est mort le dixième- septième jour de ce mois de janvier 1458.

Oui, votre père est mort!

Mort, en me laissant seule avec tes deux frères qui sont encore bien trop jeunes pour pouvoir travailler et subvenir à leurs besoins. Et au vu des dettes que ton père nous a laissées, puisqu'après ton départ il n'a fait que s'enfoncer encore plus dans l'alcool et le jeu, je risque fort de me retrouver obligées de les placer comme apprentis chez un quelconque artisan du coin, ou pire encore comme écuyers ou garçons d'écurie.

Toi, il parait que tu es heureuse et vit très bien, loin de nos tracas. Mais je n'oserai pas te demander d'aide, tu dois avoir bien trop de dépenses vestimentaires et autres dans ta nouvelle vie.

Quoi qu'il en soit, sache que sa dépouille repose auprès de celles de sa famille, et que c'est désormais toi le chef de famille. Puisses-tu te rendre compte de ce que cela veut dire par rapport à tes deux jeunes frères.

Je n'ai pas prévenu ta soeur, tu t'en chargeras sans doute.

Mathilde de Jehay,
Ta mère que tu as oubliée.


Non, décidément, elle ne parvenait pas à éprouver le moindre chagrin, si ce n'était pour ses deux frères. Un père qui avait abusé d'elle durant des années, une mère qui avait fermé les yeux sur tout cela durant tout autant de temps, qui jamais n'avait pris de ses nouvelles depuis son départ et qui aujourd'hui avait plus l'air de lui demander de l'argent qu'autre chose.

Oui mais il y avait Hideric et Gautier. Elle ne pouvait pas laisser leur mère les placer chez un quelconque bourgeois... Elle avait de quoi les aider eux le temps qu'ils s'installent... Comment faire pour que cet argent ne transite pas par leur mère? Elle allait se renseigner, tenter de trouver une solution, et ensuite...

Ensuite, elle préviendrait Mily. Et puis il faudrait aussi qu'elle se renseigne sur les démarches auprès de l'Hérauderie pour la succession... Parce que oui, bien plus que le chagrin ou le soulagement de savoir son bourreau parti à tout jamais, c'était bel et bien le côté officiel qui encombrait son esprit.

Depuis que cette lettre occupait toutes ses pensées, d'autres courriers étaient arrivés, mais elle avait oublié de les ouvrir, trop préoccupée.

Ils se rappelèrent à sa mémoire alors qu'un messager faisait irruption dans son bureau.


Le Vicomte d'Ancelles m'a mandé de vous remettre ceci.

Walan... Enfin il lui répondait!

Mais était-ce une bonne nouvelle ou une mauvaise? Prise de tremblements, elle resta longuement avec la lettre cachetée en mains, ne sachant plus trop elle même si elle préférait savoir ou pas.

Et si cette lettre devait lui briser définitivement le coeur? Ne valait-il pas mieux qu'elle règle ses affaires familiales avant d'être prise de désespoir au point d'en mettre fin à ses jours?

Elle poussa le parchemin cacheté dans son corsage, et sortit à la recherche d'un notaire.

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Terwagne_mericourt
Cinq jours...

Cinq jours s'étaient écoulés depuis que cette missive lui était parvenue, mais quatre depuis qu'elle en avait découvert le contenu, puisque la peur de ce qu'elle allait y lire lui avait fait remettre au lendemain l'ouverture de celle-ci.

Sa première réaction avait fort logiquement été le soulagement, l'euphorie après la peur, et de suite elle avait décidé de ne pas y répondre par écrit, mais de vive voix, en retournant à Vienne pour le retrouver, dès le lendemain. D'ailleurs, en rentrant le soir, elle avait immédiatement préparé ses bagages, et règlé sa note à l'aubergiste.

C'était sans compter sur les relectures de cette missive tant espérée, tant attendue, au cours de la nuit.

Citation:
Me pardonnerez-vous un jour de ce que je vous ai fait subir durant ces derniers jours ? Je ne sais, je l'espère mais peut-être est-il trop tard.

J'ai hésité avant d'écrire ces mots, longuement hésité quant à ce qu'il me convenait de faire. Me fallait-il venir vous trouver à Die pour vous les prononcer au risque de vous voir les refuser ? Valait-il mieux que je les confie à quelqu'un qui vous transmettrait ce message et soit à vos côtés ?
En définitive, je vous écris donc cette missive, avec l'espoir de n'avoir pas fait une nouvelle erreur.

Les derniers jours ont été troubles et sombres, je le regrette et je déplore de vous y avoir entraînée. Je regrette tout autant que vous ne soyez pas restée à Vienne et ayez ajouté à ma confusion, tout comme je regrette que vous ayez voulu croire que tout ceci était une lutte entre vous et une autre dont je ne vous ai pas caché qu'elle n'était en rien en lien avec ceci et que je n'avais pour elle qu'amitié.

Toujours est-il tout ce trouble trouve essentiellement sa source, je le crains, dans la lassitude.
Lassitude des discussions stériles. Lassitude de devoir défendre des idées contre des attaques ad personam. Lassitude d'entendre sans cesse des critiques infondées de personnes ignorant de quoi elles parlent. Lassitude de supporter que l'on me reproche ce que l'on croit que je dis ou fais plutôt que ce que j'énonce ou réalise réellement.
Lassitude d'un temps trop longtemps passé à servir le Duché par le verbe et l'épée dans le deuil. Lassitude de n'être malgré tout plus vu que comme un empêcheur de tourner en rond, un acariâtre ne faisant rien d'autre que de détruire les oeuvres d'autrui, un irascible auprès de qui l'on ne peut obtenir que critiques et réprimandes.

Cette lassitude m'a conduit à m'investir moins que j'en avais coutume dans les divers aspects de ma vie qui la provoquait, jusqu'à me faire remettre en question mes propres sentiments.

Je regrette de m'être ainsi perdu dans ce qui était pourtant clair, car je vous aime et n'ai jamais cessé de vous aimer.

J'espère simplement que, plutôt que de vous méprendre sur mon attitude et mes sentiments, vous accepterez que je puisse me lier d'amitié avec d'autres, leur sourire et rire avec comme j'ai pu rire autrefois ; que vous vous réjouirez de me voir redevenir ouvert et joyeux et que vous réussirez à nouer d'identiques liens avec ces personnes que j'apprécie. Je vous sais à même de ne voir dans l'amitié entre Katarina et moi que le reflet du lien qui vous unit à Raithuge.

J'espère simplement que vous saurez m'accepter tel que je suis réellement, voir au-delà de ce que vous supposez et imaginez de moi ou de ce que l'on prétend savoir de ma personne.

J'espère simplement qu'il n'est pas trop tard, que mon harassement n'aura pas épuisé votre patience et que vos sentiments à mon égard n'ont pas changés.

Bien à vous,
W.


Les relectures, oui, mais aussi et surtout les tressautements impatients de son coeur à chaque passage oculaire sur les mots tracés. Cette fièvre joyeuse qui contrastait tellement avec le goufre de désespoir où l'avait plongée durant près de dix jours la personne qui les avait écrits.

Etait-ce à cela que se résumait l'amour?

Donner à une unique et même personne le pouvoir de diriger votre humeur, mettre entre ses mains cette capacité de faire de vous quelqu'un de joyeux et fort au point que vous en ayez l'impression de pouvoir abattre des montagnes, tout autant que de vous transformer en une ombre pleurant après la mort et l'oubli?

Etait cela aimer?

Ne plus exister que par ce que l'autre vous donne et fait de vous? Etre dépendant de son amour pour vous au point que d'un simple mot il puisse vous détruire ou vous construire?

Les souvenirs avaient alors afflué... Mais ce n'étaient pas des souvenirs de Walan, ou en tous cas pas vraiment.

Elle s'était revue dans une chambre d'auberge, des bouteilles vides d'alcool brisées sur le sol, une fiole à l'odeur nauséabonde en main, ses vêtements souillés et empestant, juste avant que lui ne défonce la porte... Mais bien plus que de revoir la scène, elle avait ressenti en une immense vague tout ce qu'elle avait ressenti au moment d'ouvrir le récipient contenant le poison et de boire celui-ci, car incapable de continuer à vivre sans celui qui l'avait alors abandonnée.

Un désespoir son nom, un raz de marée qui lui avait soudain donné l'impression qu'elle allait s'y noyer, la faisant manquer d'air et trembler au plus profond de son être.

Dans une espèce d'urgence, elle avait ouvert la fenêtre et s'y était penchée, cherchant l'air frais avec la même peur panique qu'un noyé cherchant à attrapper une planche flottant à la surface du fleuve qui va l'engloutir lui. Longuement elle était restée là, murmurant des paroles incompréhensibles, sur le ton d'une litanie.


Non...

Je ne veux plus jamais ressentir ça...
Plus jamais, non...

Plus jamais vous laisser me briser...
Pas plus vous qu'un autre...

Non... Je ne veux plus...

Je ne veux plus donner ce pouvoir à personne...


Le jour avait fini par se lever sur une Terwagne bien différente de celle sur laquelle il s'était couché. Une Terwagne ayant décidé de fermer son coeur pour ne plus souffrir, ayant fait le choix de renoncer à l'amour pour ne plus prendre le risque de vivre un jour cette terrible douleur qu'elle ne se sentait plus capable de supporter.

Il ne lui restait plus qu'à le lui dire à lui...

Mais comment?
Une lettre envoyée depuis Dié?
Un retour à Vienne pour lui parler?

Elle hésita deux jours, estimant qu'il méritait mieux qu'une missive, mais se sentant encore bien trop faible au niveau du coeur pour pouvoir résister à l'envie de se jeter dans ses bras qu'elle ressentirait en le voyant.

Un coeur ne devient malheureusement pas de pierre aussi vite qu'on le voudrait parfois, et cela lui prendrait sans doute du temps pour ne plus rien ressentir. Aujourd'hui, elle savait que la faille en elle n'était pas refermée, que l'amour était toujours là, lui brûlant l'âme et le corps, bien plus fort que sa volonté et sa décision.

Les résultats des élections qui tombèrent ensuite, ainsi que les deux jours de négociations allant de paire, lui donnèrent un peu de temps pour reporter sa décision, mais pour tout dire elle n'en profita pas vraiment pour y réfléchir. Tous ceux qui ont un jour participé activement à des négociations savent que dans ces moments-là, personne n'a autre chose en tête que les intérêts de son parti, au point même de voir certaines magouiller et revenir sur des accords pris, derrière le dos de l'homme qu'elles affirmaient aimer pourtant... Un soupir triste s'échappa de ses lèvres en pensant à cet homme qu'elle appéciait et qui méritait bien plus de franchise.

Pour l'heure, alors que la nouvelle gouverneur - tête de liste du parti terminant troisième aux scrutins - avait été reconnue par à peine la moitié des conseillers ducaux - ceux-ci faisant ainsi bien peu de cas de l'opinion majoritaire des électeurs - la Dame de Thauvenay avait récupéré son bureau de bailli, puisque c'était dans celui-ci qu'elle oeuvrerait durant deux mois, et ce pour la troisième fois d'affilée.

Le matin, après avoir appris que la gouverneuse avait bel et bien été reconnue, elle avait attendu trois bonnes heures que celle-ci lui donne les clés de son bureau et s'était ensuite hâtée d'effectuer les calculs du jour, d'afficher le bilan financier, de veiller aux commandes de bestiaux pour les éleveurs du Duché, et d'embaucher les fonctionnaires du jour.

Oui, quoi que certains puissent croire, ou même espérer, elle n'avait absolument pas l'intention de démissionner, pas plus que de ne pas faire son travail, aussi grand que puisse être son dégoût devant certaines manoeuvres. Manoeuvres qu'elle préférait savoir sur la conscience d'autres que sur la sienne. De son point de vue, un engagement était quelque chose qui se respecte à n'importe quel prix, et le fait que la tendance générale actuelle semblait d'être de cracher sur les engagements n'y changerait rien, elle-même avait bien plus de respect des gens et des promesses que pour se comporter comme cela.

Bref, elle avait donc terminé la grande majorité de son travail du jour, il ne lui restait plus qu'à participer aux différentes réunions qui auraient éventuellement lieu dans la soirée, et il était plus que temps qu'elle se décide à répondre enfin à la missive de Sans-Repos, d'une façon ou d'une autre.

De vive voix? C'était sans doute le plus courageux, oui... Mais bien au-delà de ses forces à respecter la promesse qu'elle s'était faite à elle-même de tout mettre en oeuvre pour que son coeur devienne pierre. Elle craquerait dès qu'elle serait en sa présence, elle le savait. Aussi se décida-t-elle à lui écrire... La missive fut bien longue à voir le jour tant elle hésita sur chaque mot, et sans doute pas très compréhensible au final.




















Citation:
Très cher Walan,

Pour commencer, sachez que non, mes sentiments à votre égard n'ont pas changé, malgré le temps qu'il vous aura fallu à me répondre, malgré mon impatience et mon épuisement à lutter sans relâche entre espoir et désespoir à chaque courrier posé sur mon bureau ou glissé sous la porte de ma chambre d'auberge... Je vous aime aujourd'hui, comme je vous ai aimé dès le départ, avant même d'en avoir conscience sans doute.

Pourtant, malgré tout cet amour que j'éprouve pour vous à l'heure actuelle, malgré cette envie d'être dans vos bras qui me prend jusqu'au plus profond de mon corps, malgré ma capacité à voir au-delà de ce que vous décrivez - quand bien même vous en doutez - et à vous accepter tel que vous êtes réellement, rien ne sera plus jamais pareil entre nous.

Les jours passés à attendre un signe de vous et à me débattre contre mon désespoir de vous savoir douter de vos sentiments à mon égard m'ont fait ouvrir les yeux sur certaines choses, et revivre ma folie du soir où vous m'avez sauvée de moi-même...

Oui, à défaut de retrouver mon passé avec clarté, j'ai vu défiler dans ma mémoire des souvenirs de mon état psychologique et émotionnel de ce jour-là.

Quel rapport entre ces souvenirs et ma décision me direz-vous? Il est fort simple, je me sentais exactement dans le même état en craignant que vous n'ayez réellement cessé de m'aimer que celui où je me trouvais au moment d'avaler le poison qui devait m'emporter près du Très-Haut, voilà!

Je ne veux plus de cela... Je ne veux plus savoir qu'un homme, quel qu'il soit, a le pouvoir de me donner envie d'en finir avec la vie par la simple force de ses mots en raison de l'amour que je lui voue!

Ce pouvoir, vous l'avez, comme celui dont j'ai oublié le nom l'avait, parce que je vous aime sans doute au moins autant que je n'ai aimé cet autre dont Anne et vous savez plus de choses que moi-même.

Ce pouvoir, je vais tout faire pour vous le retirer, pour me sauver moi-même des dangers qu'il représente, en faisant tout mon possible pour cesser d'aimer, pas seulement vous, mais aimer tout court.

Mon coeur finira bien par devenir de pierre, du moins c'est tout ce que je souhaite à l'heure actuelle.

J'aimerais tout de même, avant de terminer cette lettre, à laquelle sans doute vous ne répondrez jamais, et sans doute est-ce mieux ainsi, en revenant sur votre comparaison entre votre amitié pour Katara et la mienne pour Raithuge... Elles ne sont pas comparables, Walan, et ce pour plusieurs raisons.

Katara est un lien avec votre passé, celui qui vous hante, et Raithuge n'a aucun lien avec le mien, celui que j'ai oublié.

Je ne vous ai jamais dit dans la même conversation que cet homme m'avait déclaré sa flamme et que moi je ne savais plus si je vous aimais, vous l'avez fait le soir avant mon départ.

Pour finir, je voudrais vous conjurer de me pardonner de refuser de vivre cet amour pour vous qui est tellement profond qu'il vous en rend maître de mon souffle et de mon envie de vivre.

Puissiez-vous ne jamais aimer à ce point.


Terry,
Celle qui rêvait d'être vôtre,
Celle qui vous aime bien trop pour ne pas s'y perdre elle-même.


Le soir-même, après avoir confié enfin la lettre à un messager, elle quitta Dié comme elle y était arrivée, seule et sans faire de bruit.
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