[RP] Souvenir d'autrefois

[Début d'automne--Bazas--Guyenne]

La vie prend parfois des chemins inattendus, au moment même où vous le souhaiteriez le moins. Enfin, le moins c’est vite dis. Disons au moment où vous n’avez pas forcément la tête à ça. Mais vous n’avez pas le choix, vous suivez les aléas de la vie et faites face à ce qui se présente à vous comme vous le pouvez. Et c’est ce qui se déroulait dans la vie de Théobalde Duval.

Né il y a un peu plus d’une vingtaine d’année dans la région de Fécamp, Théobalde n’y avait pas vécu assez longtemps pour se construire une vie à proprement parlé. Non, le petit garçon d’autrefois avait amassé des souvenirs en pagaille qu’il avait chéri pendant des années jusqu’à les mettre dans un coin de sa tête et de, petit à petit, finir par les oublier.

Sa vie, il se l’était bâtie ici, dans la région de Bazas. En effet, le père comme il aimait à l’appeler, Tancrède, était fermier là-bas en Normandie jusqu’au jour où il décida de quitter cette région pour venir s’installer en Guyenne avec femme et enfants. La mère, Guillemette qui avait mis au monde deux beaux garçons : Hermance et son frère, Théobalde, à deux années de différence et avait suivi sans rechigner, faisant de la fermette un doux foyer pour les hommes de la famille.

Et ils y vécurent de bons jours comme de mauvais dans cette maisonnée. On pouvait entendre les rires des deux garçons lorsqu’ils jouaient à cache-cache dans la grange ou bien encore lorsqu’ils couraient après les poules le soir lorsque leurs corvées dans les champs étaient terminées. Et les années avaient filé, les enfants quant à eux avaient grandi, les rires s’étaient estompés et l’aîné des garçons était parti à la guerre.

Hermance voulait faire quelque chose pour aider les hommes et les femmes contre toute forme d’injustice. Ah ça, pour aider, il avait aidé ! Et il en était mort le pauvre gars. La mère ne s’en était jamais vraiment remise et le père, lui, avait préféré faire comme si de rien n’était, ne prononçant plus le nom de l’aîné. Théobalde s’était alors retrouvé dans la maison des silences et des secrets, plus rien n’était comme avant, toute la joie avait disparu d’un coup, d’un seul.

Le père avait alors trimé dur aux champs pour gagner trois fois rien puis ses forces s’en étaient allées et un matin, il ne s’était pas réveillé. Décédé dans son sommeil d’après le médicastre, « une belle mort » avait rajouté le vieil homme ce qui n’avait pas pour autant atténué le chagrin de la Guillemette. La mère avait tenu encore quelques années mais elle n’avait plus jamais prononcé leurs noms ni même un mot d’ailleurs.

Etant le seul homme de la famille, Théobalde avait repris la ferme, l’exploitant du mieux qu’il le pouvait mais seul, ça n’avait jamais été évident. Et puis aujourd’hui… aujourd’hui il avait enterré la mère. La vieille femme, elle n’avait plus rien qui la raccrochait à la vie, pas même son fils. D’ailleurs, on se demandait par moment s’il avait un peu compté dans leurs vies à tous, s’ils avaient au moins eu un peu de considération pour ce dernier ? Rien n’était moins sûr alors Théo avait pris la décision que tout devait disparaître. Les affaires, les biens, la ferme. Il ne voulait rien garder, tout donner aux autres, à plus miséreux que lui. Il s’en sortirait toujours dans la vie, il avait assez de caractère et de volonté pour ça.

Fouillant dans le bahut de la grande salle qui servait de cuisine et de salle à vivre, Théobalde s’apprêtait à faire le tri par le vide lorsqu’il tomba sur quelques parchemins, soigneusement enroulés et fermés par un ruban de cendal. Il les prit délicatement et les porta sur la grande table qui jonchait au beau milieu de la cuisine. S’installant sur une chaise, il commença à délier le ruban et lire le contenu des feuillets. Surpris, il chercha le nom de l’expéditeur ou plutôt de l’expéditrice. Car c’étaient là des courriers d’une jeune femme à sa mère. Pourtant, après mûres réflexion, Théobalde se savait le dernier de la famille, pas de sœur cachée, pas de cousine éloignée. D’ailleurs, l’affection et le ton des missives n’avaient aucune connotation familiale. Non c’était là forte sympathie et amitié partagée mais qui pouvait bien être cette femme, jeune apparemment, qui se permettait de donner de ses nouvelles à ses parents et d’en demander de lui, de son frère et ceci, sur plusieurs années.

Et au fur et à mesure que le jeune homme lisait, les souvenirs remontèrent à la surface et il retrouva la trace dans sa mémoire de cette jeune femme dont le nom lui rappelait tant de rires, de cris, de chahuts, là bas en Normandie.

Deedee… ne put s’empêcher de murmurer Théo. Il se rappela soudain les deux enfants qu’ils avaient été, courant dans les champs essayant de semer Hermance qui devait les surveiller pendant que les parents s’apprêtaient à faire les récoltes.

Dès qu’il eut finit de lire toutes ces lettres à la lenteur de l’escargot, il se décida à lui écrire et la tenir informer du décès de la mère. Bien que son vocabulaire ne fut point riche, il avait eu quelques notions d’écriture et de lecture par le biais du curé qui lui, ayant accès à la connaissance, les lui avait enseignés. Oh il ne s’était pas montré un élève très doué mais ça lui suffisait pour lui permettre de se déplacer et faire quelques courriers au cas où les frontières seraient fermées. Mais pour l’heure, c’était à Deedee qu’il se devait de faire une lettre.

Prenant la lanterne dans une main, un parchemin vierge dans l’autre, il s’installa confortablement. Nerveux comme il était, il en avait oublié la plume et l’encre qu’il retourna chercher dans l’écritoire qui se trouvait dans le bahut. Avant de s’installer à nouveau, il respira un grand coup, essuya ses mains sur le revers de sa chemise puis se laissa choir sur la chaise. Prenant ses aises, la langue coincée entre ses dents, la plume commença à glisser sur le papier.



Théobalde griffonna un semblant de signature tout en espérant que la jeune femme qui se trouvait là-bas, si loin, daigne répondre à cette missive. C’était pour lui une chance inéspérée de ne pas sombrer, de se raccrocher à quelque chose, à quelqu’un qui, pour une fois, lui apporterait un peu de chaleur et de joie dans sa vie.

Il enroula sa missive et se rendit au village afin d’y trouver des gens à la taverne qui partiraient dans la direction souhaitée. Peu importe que ce pli mette une semaine, un mois même pour arriver. Théobalde voulait simplement que la douce petite fille de ses souvenirs ne l’oublie pas, lui le gars d’autrefois. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, c’était son jour de chance. Le jeune homme, après moult discutions en tout genre, trouva un homme qui accepta de convoyer l’objet de toutes ses attentions. Le remerciant comme il se devait, Théobalde offrit quelques tournées avant de s’en retourner chez lui, l’espoir ancré dans sa tête et dans son cœur.
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[Début d'automne--Fécamp--Normandie]

Que les jours semblaient long seul dans cette chambre, avec pour seul horizon le sommet des arbres qu'elle apercevait de sa fenêtre. Déjà plusieurs jours qu'elle s'était fait attaquer, plusieurs jours qu'elle luttait pour ne pas sombrer pour s'accrocher... Les plaies était soigné certes, en voix de guérisons surement, mais la douleur était toujours présente, les images de l'attaque aussi et puis surtout cette incertitude quant à l'avenir de l'enfant qu'elle portait...

Survivrait-il ?

Juste au moment où elle l'avait enfin annoncé à son compagnon, à son fiancé, juste au moment où ils formaient des projets, juste au moment où leur vie commençait... Pourquoi le sort s'était-il acharné de la sorte sur eux...

Deedee ne disait rien, les pensées constamment tournées vers ce petit être qui s'accrochait à la vie lui aussi... Elle passait son temps à dormir, quand la douleur devenait trop forte et les remèdes trop puissants, le seul refuge qu'elle trouvait, était alors le sommeil... doux sommeil...
Véritable refuge lorsque trop de questions fusait dans la tête de la jeune femme, lorsque trop de choses venait lui soulever le cœur... Refuge enivrant, rassurant... et reposant...
Mais dans les rares moments où elle pouvait rester éveillée, elle tentait de rester attentive à la vie qui grandissait en elle, les deux mains sur son ventre, guettant les mouvements du bébé, essayant de sentir sous ses doigts les battements de son cœur, espérant secrètement qu'il ne s'arrêterait pas là...
Elle pensait à lui aussi, si loin et si proche en même temps... A lui qui lui avait redonné le gout de vivre, le gout de lutter et surtout l'envie d'aimer... Lui avec qui elle voulait passer le restant de sa vie... Jason...
Et les jours passaient... identiques les uns aux autres... Ennuyant... monotone... Deedee avait de plus en plus envie de se laisser sombrer malgré les visites de ses amis, leur réconfort, leur soin... et puis un jour...

Un jour un messager frappa à la porte et l'on donna une missive peu ordinaire à la jeune femme...
Le parchemin soigneusement roulé, attaché par une petite cordelette semblait avoir fait un long voyage. Il était froissé, un peu mouillé aussi, mais peu importe trop heureuse de recevoir enfin des nouvelles du monde extérieur, la jeune femme s'empressa de l'ouvrir...

Et au fur et à mesure de sa lecture les yeux de la jeune femme s'ouvrirent en grand pour se remplir irrémédiablement de larmes. La lettre terminée c'est un flot de larmes qui ruisselaient alors sur ses joues, mouillant ses draps maculé...

Un flot d'émotion emplissait son coeur, des sentiments contradictoires qui se heurtaient les uns aux autres... Comment était-ce possible ?...
La tristesse d'avoir perdu la seule personne, avec qui, comme sa mère, elle avait entretenu des relations étroites, presque maternel. Guillemette avait été pour elle sa confidente depuis la mort de ses parents et dans les plus durs moments... Elle n'avait jamais oublié sa vie dans la campagne normande au côté de cette famille et n'avait jamais non plus voulu oublier ceux qui avaient été comme ses frères pour elle, bien qu'elle n'ait jamais eu le courage de leur écrire personnellement...
Elle préférait cette relation avec la vieille femme... plus discrète... et de savoir qu'aujourd'hui... elle n'était plus...
Mais en même temps elle était heureuse... heureuse d'avoir retrouvé Théobalde... son Théo... Son cher Théo...

Les souvenirs remontaient doucement à la surface... tendre souvenir d'une enfance béni, insouciante...
Deedee décida alors aussitôt de lui répondre et armée d'une plume et d'un parchemin, elle laissa voguer son imagination et ses souvenirs...



Deedee, les larmes aux yeux laissa alors la missive partir à son tour et vaincu par l'émotion, par le flot de souvenirs qui remontaient à la surface, elle se laissa submerger par la douleur, la joie et laissa alors ses larmes couler tandis que son cœur se serrait...

Une nouvelle page de son histoire commençait...

[Début d'automne--Blazas--Guyenne]

Revenu des champs depuis très peu de temps, Theo prenait son temps. D’abord, il s’était désaltéré en tirant de l’eau au puits puis il avait rempli un baquet et se débarbouillait afin d’être plus présentable. Il devait se rendre au village afin de faire l’acquisition d’une maisonnette qu’il avait repéré non loin de là et qui semblait libre. Et alors qu’il avait les bras plongés dans l’eau fraîche qui venait fouetter sa peau, un cavalier s’approchait tranquillement.

Le jeune fermier redressa sa tête et regarda au loin si l’homme était seul ou non. Il n’aimait pas les surprises et connaissant que bien peu de monde, il se méfiait de tout et de rien. Cherchant des yeux sa fronde qu’il avait posé non loin de lui, il la remit dans la poche de sa chemise avant d’avancer de quelques pas, tout en s’essuyant les mains dans un fichu qu’il avait trouvé dans la maison. L’homme s’arrêta à sa hauteur.

Holà cavalier, vous semblez avoir fait beaucoup de chemin au vue de l’état de vos vêtements. Puis-je vous offrir un peu d’eau ?

L’homme le remercia d’abord d’un signe de tête avant de descendre de sa monture.

Merci bien l’ami, ce n’est point de refus. J’ai fais un long voyage et mangé beaucoup de poussière. Mais heureusement, mon voyage s’est déroulé sans encombre.

Théobalde écoutait d’une oreille attentive les dires de son compagnon du moment tout en se dirigeant vers le puits duquel il tira un seau d’eau bien fraiche. Après en avoir remplit un gobelet, il tendit ce dernier à l’étranger. Ses yeux se perdirent un instant sur la qualité des habits du cavalier et Théobalde se sentit bien petit aux côtés de l’inconnu. Toutefois, il redressa un peu le torse, histoire de montrer qu’après tout il était chez lui et que même s’il était paysan, au moins il savait recevoir les inconnus.

Vous êtes de passage à Bazas messire ? Je peux vous indiquer un endroit où loger le temps de votre séjour si vous le désirez.

L’homme, aimable, continua la conversation avec le jeune homme, sans doute trop heureux de pouvoir se détendre un moment. Il informa son vis-à-vis qu’il n’était là que pour une halte et prendrait la route immédiatement après avoir donné en mains propres un pli à un certain Théobalde Duval. D’abord surpris, Theo sentit son sang se figer dans son corps. Son esprit cherchait à savoir de qui pouvait bien provenir cette missive mais se ressaisissant, il se tint debout devant le cavalier.

Ne cherchez pas plus loin messire, vous avez trouvé la bonne personne. Je suis Theo Duval, fils de Guillemette et Tancrède Duval.

« A la bonne heure » s’exclama le porteur de message, un sourire en coin, sûr et certain d'être au bon endroit après avoir prit renseignement au village et dans un grand geste presque ridicule pour le lieu, sortit de sa besace de cuir un pli soigneusement enroulé puis le tendit au jeune paysan avant de s’en retourner vers son cheval qui l’attendait tranquillement, laissant Theo admirer le rouleau qu’il avait entre ses mains. Alors que l’inconnu était déjà sur le départ, le paysan se retourna vivement.

Merci beaucoup Messire, je vous suis éternellement redevable. Si vous avez besoin de quoique ce soit, vous saurez où me trouver.

L’homme fit un signe de tête et s’en alla rapidement, laissant le jeune homme avec son trésor. Curieux, Theo s’installa sur le banc de bois accolé au mur de la maisonnette puis défit doucement le lien qui tenait fermé la lettre. Il admira dans un premier temps l’écriture d’une finesse remarquable, la souplesse des lettres, la rondeur des mots. Puis il chercha la signature afin d’identifier l’expéditeur et s’en fut touché de voir que c’était Deedee qui revenait à ses côtés. L’instant d’après, ses souvenirs l’assaillaient à nouveau. Des courses folles dans les champs pour aller chercher du lait chez la mère Chavance car c’était une des rares fermes qui avait des vaches, les autres ayant préféré faire dans l’élevage de porcins ou de culture de blé. Il revoyait ce sourire qui illuminait ses journées et cette voix, douce, fragile qui l’appelait lorsqu’il se cachait derrière un arbre pour surprendre la fillette.

Secouant la tête afin de chasser ce passé l’empêchant de prendre connaissance de la missive tant attendue, il reporta son regard sur les mots qui dansaient sous ses yeux. Il lut avec difficulté, butant sur certains termes qu’il n’avait pas l’habitude d’entendre, des tournures de phrases qu’il avait du mal à comprendre mais obstiné qu’il était, il ne lâchait pas l’affaire, bien au contraire. A force de lire et relire ce parchemin, il en saisit chaque nuance, chaque détail et se rentra rapidement à l’intérieur de cette demeure bien froide afin d’y faire réponse.

Avant toute chose, il alluma le foyer de la cheminée pour chauffer la maisonnée ainsi que la bonne souplette qu’il avait installé aux abords de l’âtre dans son chaudron. Il sortit l’écritoire et prit place sur cette table qui désormais recevait ses mots et ses pensées. S’appliquant comme la première fois, Théobalde se mit alors à rédiger sa nouvelle missive.



Théo enroula le parchemin et l’attacha d’un petit ruban de cendal qu’il remit à la patte du volatile, le lâchant par la fenêtre. Il resta là un moment, à observer un point dans le lointain puis se secoua afin de prendre son repas. Les journées étaient longues ces derniers temps et n’ayant pu faire ce qu’il souhaitait en cette fin de journée, il devait se lever aux aurores pour être sûr de pouvoir tout boucler le lendemain. Aussi ne trainant pas, il disparu rapidement dans sa tanière pour la nuit.

[Début d'automne--Fécamp--Normandie]

Le temps s'était gâté sur la campagne normande. Le soleil avait laissé sa place aux nuages gris chargés de pluie et le vent s'était levé également soufflant par rafales impressionnantes. Dans sa chambre, bien au chaud, Deedee écoutait les bruits qui l'entouraient.
Un coq qui chante, un chien qui aboie... Elle reconnut immédiatement le vieux Brutus, le chien de la ferme voisine. Un vieux chien, mais encore très bon chien de garde. Deedee l'entendait chaque jour, depuis qu'elle était couchée dans ce lit. Elle ne voyait que les 4 murs de sa chambre et le sommet des arbres de sa fenêtre, mais pourtant, elle pouvait s'imaginer tout ce qui se passait en dehors, rien que par le son...
Que faire d'autre quand on se retrouve coincé dans un lit...

Déjà plusieurs semaines qu'elle était là... Luttant contre la douleur... contre l'ennui... contre l'envie de tout abandonné de nouveau... Même son fils avait du mal à lui redonner le sourire... Deedee ressassait sans cesse cette malheureuse rencontre... Si seulement elle était restée à Dieppe auprès de son compagnon... si seulement elle avait écouté sa marraine lui demandant de se reposer et de prendre soin d'elle... Si seulement elle n'avait pas été aussi têtue et bornée... si seulement... elle n'en serait pas là aujourd'hui...

Dehors la pluie se mit à tomber doucement, tombant sur le toit de la maison en de léger clapotis... Les larmes aux yeux, Deedee écoutait... silencieuse... Le son d'une cloche se fit entendre juste sous sa fenêtre... La jeune femme ne put s'empêcher alors de sourire en reconnaissant la cloche d'une vache...
Ce doux son... Les souvenirs fusèrent d'un seul coup tandis que son regard se perdait dans l'immensité.
Ce son de cloches elle l'avait déjà tant de fois entendue... Alors qu'elle n'était qu'une petite fille, encore insouciante...

Elle se revit soudain, pourchassant son ami de toujours à travers les champs, les parties de caches-caches dans la grange et puis les escapades à la ferme voisine. Le bon lait frais tout juste trait qui leur laissait sur les lèvres d'épaisse moustache blanche qui les faisaient énormément rire... Elle entendit alors leur rire remplir sa chambre vide... Que de merveilleux souvenirs...
Son cœur se serra en y pensant... Théobalde... si seulement il était là... Avait-il reçut sa lettre ? Aurait-il envie de lui répondre à nouveau... Deedee avait tellement besoin de se raccrocher a quelque chose... de renouer avec son passé, avec ses souvenirs...
La première lettre de Théo avait été comme une braise, caché sous la cendre et qui rougeoyait à nouveau... Peut être le feu se ranimerait-il un jour...

Perdu dans ses pensées, Deedee sursauta alors lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit laissant apparaître une petite tornade blonde. Erwan arrivait en courant, trop heureux de revoir sa mère... Il grimpa sur le lit avec toute l'insouciance de son âge et se jeta sans ménagement dans ses bras. Deedee serra les dents grimaçant de douleur, mais ne dit rien... Elle était heureuse de revoir son petit homme...

-Manou ! Manou ! Ben t'a vu la tempête ! On a vu la mer ! Les vagues elles étaient grosses comme ça !!!! Et pi y'a même une mayon qui s'est envolu !

Deedee éclata de rire en l'entendant. Décidément, cet enfant avait une imagination plus que débordante...
-Envolé on dit ! Et puis une maison ? C'est gros quand même ! Tu ne crois pas ?
Erwan sourit à son tour et câlina sa mère une nouvelle fois... Tout deux restèrent un moment collé l'un à l'autre, profitant de ses instants, si court... qu'ils pouvaient partager... ET puis le moment fatidique arriva... Angèle, sa bonne et fidèle voisine, attrapa le petit garçon et l'arracha une nouvelle fois à sa mère...

Ce fut de nouveau un déchirement... une nouvelle épreuve qui brisa l'âme de la pauvre femme... Mais courageusement elle lui dit au revoir... La vieille femme fit demi-tour sur le pas de la porte et lui glissa une petite missive dans les mains...
-Il faut vous reposer Dame... vous l'savez bien... Et, tenez... c'est arrivé tout à l'heure... par pigeon... La pauv'e bête était épuisée... l'a dû faire un sacré voyage ma foi ! J'vous la donne, mais faut dormir un peu ! Hein ! Sinon l'médicastre va encore m'tomber d'sus !

Deedee adressa un petit sourire reconnaissant à la vieille femme, et s'empressa tout de même de lire la missive...
Théobalde !
Ainsi il n'avait pas oublié ! Il s'était même empressé de répondre ! Un large sourire sur son visage, la jeune femme lut la missive d'une seule traite avant de la serrer sur son cœur...

Théo... son cher Théo... Ainsi il se souvenait lui aussi... Deedee ferma les yeux un instant, essayant de se souvenir de son visage, de son sourire.
Elle revoyait cet enfant qu'il avait été. Lui son frère, voulant tout faire pour protéger la petite fille qu'elle était. Et puis leurs jeux, leurs aventures... leurs rêves... Qu'il était loin ce temps...

Refoulant un sanglot, Deedee se redressa non sans mal et entreprit de répondre à son cher ami sans perdre un instant...
Sa plume glissa alors sur le parchemin, laissant couler les mots qui s'entrechoquaient dans sa tête...



Deedee plia la missive soigneusement et appela Angèle. La vieille femme pesta un peu de voir la blessé encore éveiller mais s'exécuta... Il ne fallait pas trop la contrarié... Deedee adressa un petit sourire reconnaissant avant de se glisser dans les draps... épuisée...
Et c'est la tête pleine de souvenirs, rêvant de tendre moment complice avec Théobalde qu'elle s'endormit enfin...

[Début d'automne--Bazas--Guyenne]

Les jours passaient, lentement mais surement, et Théo avait pris le temps de s’installer dans la nouvelle demeure qu’on lui avait octroyé. Beaucoup de choses avaient dues être faites en priorité comme l’aménagement intérieur même si quelques meubles étaient déjà là, le jeune berger avait voulu donner une touche plus personnelle à sa cuisine. Il avait sorti quelques pichets et autres brocs qui lui venaient de sa mère qu’il avait disposés sur le manteau de la cheminée puis rangé dans l’armoire quelques chemises appartenant au père qu’il gardait précieusement pour les travaux des champs. C’est qu’il ne roulait pas sur l’or le fils Duval et que quelques frusques même ayant appartenus à autrui ne se refusaient pas.

En rangeant ainsi dans les coffres pelisses longues et autres capes qu’il ressortirait aux premières morsures de la froidure tant connues de l’automne, il tomba sur une paire de braies venant de son frère dont la mère n’avait certainement pas pu se défaire. Caressant le tissu doucement du bout de ses doigts longs et fins, il se rappela Hermance, une nouvelle fois. De sa haute stature, de ses épaules larges aux muscles développés d’avoir tant travaillé dans la forêt et dans les champs avec leur père, il était si différent de Théo. Leur taille était pourtant semblable mais l’ainé ressemblait à un colosse et ça depuis son plus jeune âge. Souvent d’ailleurs, le jeune homme s’était senti inférieur à ce frère dont on louait tant la force et le courage dans sa famille. Bien que Théobalde ne soit pas un couard, il ne s’investissait pas de la même façon, ayant une sensibilité toute différente de celle d’Hermance mais le père n’avait cure de cet attachement à la nature, aux animaux. Lui, ce qu’il voulait c’était des aides pour faire tourner la ferme et bien entendu, sa préférence allait vers le plus fort des deux garçons.

Théobalde prit les braies dans ses mains, les sortis du coffre et finit par les passer. Bien que trop grande à la taille, il pourrait toujours les mettre en attendant de pouvoir en commander une nouvelle paire à un tisserand du village. Attrapant une longue ceinture de tissu, il enroula cette dernière autour de son bassin afin de faire tenir l’habit puis s’examina tant bien que mal. Il se rappela avec un sourire furtif le nombre de chemises rapiécées ou de braies usagées qu’il avait fini d’achever parce que la famille n’avait pas les moyens d’en faire faire des nouvelles pour tout le monde. Etant le dernier, il héritait souvent d’un peu de tout mais finalement ce n’était pas pour lui déplaire car ainsi accoutré, il avait pu monter aux arbres ou bien escalader des roches sans se faire houspiller parce qu’il avait déchiré son habit neuf.
D’ailleurs, combien de fois n’avait-il pas aidé Deedee à se cacher sur une branche afin de se soustraire de la vue d’Hermance. Même si souvent le soir, lorsque l’aîné rapporter les faits de son jeune frère au père et que tout se finissait par une bonne raclée, Théo se mettait au défi de recommencer le lendemain. Non pas qu’il voulait braver son frère et son père mais c’était pour lui une seconde nature. Turbulent, il aimait grimper et s’amuser de tout.

Théo… Théo… dis, tu m’apprends à monter là haut… s’te plait…

Perdu dans ses pensées, Théo se retourna vivement en entendant le vent porter une voix près de lui. Deedee… douce, tendre et merveilleuse amie que le passé aimait à lui rappeler de plus en plus souvent. Il se demanda si le manque de sa famille et donc de son amie qu’il considérait comme un membre à part entière des siens ne lui jouait pas des tours. Si maintenant il entendait des voix, il était bon pour passer pour le fol dingo du village. Alors qu’il chassait cette drôle d’idées un petit tapotement se fit entendre contre le carreau de la fenêtre. Ouvrant délicatement cette dernière, il prit l’animal qui se tenait sur le rebord entre ses mains et le déposa tout aussi doucement sur la table de la cuisine. Détachant lentement le parchemin soigneusement enroulé, il prit un jatte de terre et y mit un peu d’eau afin d’abreuver l’oiseau et déposa quelques graines qu’il gardait pour ce genre d’occasion.

S’installant confortablement, il prit connaissance de cette nouvelle missive. Les mots s’étaient mis à danser devant ses yeux, son amie se rappelait ce frère disparu et dans un soupir d’aise, il sut que jamais Hermance ne mourrait vraiment car ils étaient deux à perpétrer son souvenir. Puis il continua à déchiffrer ses mots, ses phrases, les voyant prendre forme devant ses yeux. Regardant l’âtre qui crépitait lentement, il vit une petite tête blonde courir à travers une cour de ferme. Oh ce n’était pas là sa Deedee mais surement son fils dont il essayait de devenir les traits. Ainsi donc elle avait un fils et un deuxième enfant qui s’annonçait. Son cœur battait la chamade… elle s’était faite une vie qu’il espérait heureuse et en fut ému. D’ailleurs, il ne prit pas la plume immédiatement, se sentant encore tout chose de savoir cette amie à son tour maman, ayant un mari à ses côtés pour réchauffer son foyer lorsqu’elle rentrait le soir. La solitude n’était pas sienne et il en était heureux pour elle. Il fit le tour de la pièce de son regard grisé se rendant compte qu’il n’avait que bien peu de choses lorsque le bellement de Gaspard le tira de ses pensées.

D’un geste lourd, il se releva et s’adonna à cet exercice qui était le sien depuis quelques semaines. Parchemin vierge, plume bien affutée et encre foncée, il s’installa devant l’écritoire et laissa les mots venir à lui, s’inscrivant délicatement sur le papier.



Le berger roula le parchemin lorsque ce dernier fut sec puis le posa sur le bord de la cheminée. Demain il irait au village voir si un cavalier pourrait faire parvenir sa missive à qui de droit sinon il renverrait l’animal lorsque ce dernier serait assez reposé pour reprendre la route. En attendant, il s’assit au coin du feu dans cette chaise de bois quelque peu branlante, tira une vieille cape sur lui puis se perdit dans la contemplation de la flambée qui lentement se mourrait.

[Début d’automne – Fécamp – Normandie]

La douceur automnale était revenue sur Fécamp et ses environs. Confortablement installé dans un fauteuil sur la terrasse de sa maison, Deedee contemplait son jardin qui prenait des couleurs d'or et de feu. La nature s'éveillait encore une dernière fois, revêtant ses habits de lumières, avant de tomber dans un profond sommeil.

Alité depuis plusieurs semaines maintenant, Deedee avait enfin eu la permission de se lever un peu, sous la condition de se reposer le plus possible et sous la surveillance d'Angèle et Sébastien, la jeune infirmière en avait alors profité pour prendre un peu l'air dans son jardin.
Deedee aimait beaucoup l'automne. Douce saison, rempli de parfum enivrant, de bruit léger et mélancolique. Les feuilles des pommiers commençaient à tomber doucement, tournoyant au gré du vent et la forêt voisine commençait à rougir elle aussi.
Que la nature pouvait paraître immensément belle quand on a passé des journées entières enfermées entre quatre murs...

Le regard perdu vers la forêt, Deedee se revoyait enfant, courant dans cette même forêt en riant, à la recherche de champignon et châtaigne. Elle en profitait toujours en compagnie de Théo pour se cacher, grimpant dans les arbres, juste pour faire râler Hermance... Et cela marchait à chaque fois... Pauvre Hermance, il n'était pas gâté avec deux petits polissons comme eux et pourtant il était toujours d'une douceur et d'une patience, chose étonnement contrastant avec la carrure du garçon... Et Théo... son Théo... Toujours prêt à lui apprendre ce qu'il savait. C'était lui qui lui avait appris à grimper aux arbres, à pêcher aussi, il aimait la nature, les animaux, chaque promenade ensemble était un prétexte à découvrir quelque chose.
Deedee se souvenait encore de leur escapade à la ferme voisine, où devant les grandes vaches elle se cachait derrière le jeune garçon. « N'aie pas peur regarde ! » lui disait-il alors pour la rassurer en prenant sa main.

Deedee ne put s'empêcher de sourire et d'ouvrir les yeux, il lui semblait entendre le rire de plusieurs enfants venant de la forêt... Qu'il était loin ce temps de l'insouciance... Ce temps de l'innocence... Instinctivement elle posa ses mains sur son ventre qui commençait à prendre ses formes. Cela faisait quelques jours qu'elle ne sentait plus l'enfançon bouger en son sein, elle n'avait rien dit, mais espérait seulement que cela soit juste passager... Peut-être lui aussi vivait-il le contre coup... On lui avait assuré qu'avec du repos tout irait bien... Seulement encore une fois, elle n'avait pas écouté complètement...
Il y avait eu le bal du castel des Loups auquel on lui avait expressément demandé d'assister... Elle n'avait pas été très enchantée il faut le dire, mais la récompense avait été sublime... Et puis il y avait le mariage de son amie aussi et sa confirmation d'herboriste... Toutes ses choses qui, mine de rien, avait dû jouer sur son état physique et sur le bébé...
Elle se sentait bien pourtant...

Ses yeux se remplir de larmes, comme chaque fois qu'elle se sentait fatigué de ce combat...
Pourquoi n'était-elle pas rester auprès de Jason, tranquillement. Pourquoi avait-elle fallu qu'elle soit aussi têtue...
Elle aurait tant aimé trouver les bras forts et réconfortant du Maistre comme le jour où il l'avait retrouvé dans la forêt...

Jason.... Murmura-t-elle tout bas en fermant les yeux...
Elle aurait donné n'importe quoi pour contrôler le temps, l'accélérer pour se retrouver dans les bras de tendre aimé et le reculer, pour retrouver l'insouciance et le réconfort de son ami de toujours. Son frère, son compagnon de jeu, son confident, son double presque... Théo...
Elle se souvenait, lorsque le chagrin était trop grand pour être contenu, des bras rassurant de Théo qui était toujours près d'elle... Il cherchait toujours à la faire rire, la faire sourire, tout, pour ne pas qu'elle pleure... Et il y arrivait à chaque fois...

La jeune femme commençait à somnoler, bercer par le bruit du vent jouant dans les feuilles et les tendre souvenir d'une enfance lointaine, quand un pigeon se posa sur la courtepointe recouvrant ses jambes. Deedee ouvrit aussitôt les yeux et attrapa délicatement l'animal... Elle le reconnaissait... Le messager du souvenir comme elle l'avait baptisé... il lui apportait des nouvelles de Théo...
Laissant l'animal se reposer et se restaurer, elle s'empressa de lire la lettre, heureuse de retrouver au fil des mots, son compagnon de jeu d'autrefois...
Les mots filaient devant ses yeux, comme un torrent qui dévale la montagne, limpide, clair et surtout rafraichissant... comme une bouffé d'oxygène...

Elle reconnaissait bien la son Theo d'autrefois, le cœur humble et le caractère pire qu'une tempête normande. Mais il restait simple, unique et toujours attentionné... Elle espérait qu'il puisse trouver le bonheur qu'elle-même avait trouvé auprès de Jason...
Certes la vie n'était jamais simple... même quand le ciel paraissait bleu, il y avait toujours un nuage pour gâcher cela, mais quand on savait la regarder, la vie était belle... si belle...

Se levant péniblement, Deedee s'installa à sa table pour répondre au jeune homme... C'était peut-être précipité, mais elle ne voulait pas attendre... Et si demain...
Secouant la tête, la jeune femme laissa alors sa plume glisser sur le parchemin, retrouvant par les quelques mots son ami d'enfance...



La jeune femme roula doucement la missive, essayant ses larmes qui perlaient au coin des paupières... Non elle n'était pas triste... juste un peu ému de retrouver chaque fois un petit peu de son enfance longtemps caché, occulté, à travers les lettres de Théo...
Elle regarda l'oiseau prendre son vol, un pincement au cœur... Si seulement elle avait pu porter elle-même cette lettre... Si seulement elle pouvait le revoir ne serait-ce qu'un instant...

Une vive douleur la ramena soudain au temps présent. Surprise Deedee s'accrocha à la table pour ne pas tomber.
- ANGELEEEEEEEEEEE !!!! Se mit-elle à hurler en portant une main à son ventre…

[Début d'automne--Bazas--Guyenne]

Les nuits devenaient de plus en plus fraîches et Théobalde, peu frileux en temps ordinaire, commençait à sentir la morsure du froid s’insinuer en lui le matin lorsqu’il se réveillait dans cette maison bien vide. De ce fait, le jeune homme avait décidé d’utiliser sa journée afin d’aller couper du bois dans la forêt de Bazas. La mairie mettant des haches à la disposition des villageois qui voulaient abattre quelques arbres, il arriverait toujours à négocier quelques morceaux de sylve afin d’en ramener à la maison et ainsi mieux la chauffer. Ce n’était pas le moment pour lui de tomber malade, personne ne pourrait l’aider à la bergerie, trop peu connaissait le métier et il ne confierait pas la vie de Gaspard à n’importe qui, il ne fallait pas exagérer non plus.

Et donc ce matin là, Théobalde avait revêtu plusieurs couches de vêtements et apparu en dehors de la bergerie comme un oignon prêt à être pelé. Heureusement que son gabarit lui permettait d’enfiler les couches successivement sinon il aurait eu l’air d’un pantin ridicule aux yeux du reste du village. Content de son accoutrement, le jeune homme fit donc un détour par le centre du bourg afin d’aller chercher l’instrument qui lui permettrait de couper son bois.

Un sourire à droite, un sourire à gauche, quelques œillades de la part de damoiselles qui trouvaient le jeune berger fort à leur goût et se seraient vite transformées en loup aux dents longues s’il n’avait pas pris ses jambes à son cou immédiatement.

Courageux mais pas fou marmonnait-il lorsqu’il croisait la grande blonde ou la petite brune dès le matin. A croire qu’elles faisaient une fixation sur lui et cette attitude quelque peu collante le mettait mal à l’aise. Afin d’éviter toute nouvelle confrontation avec ces jeunes personnes qui se finirait, comme à l’accoutumée, par un claquage de porte de sa part afin de fuir loin, très loin, de ces femmes qui semblaient vouloir le pourchasser, Théobalde ne traînait que rarement au cœur du village. Il savait se faire apprécier mais certainement pas désirer au point qu’on veuille l’épouser contre sa volonté.

Ses dernières pensées le firent sourire car il repensait à la dernière lettre de son amie Deedee qui voulait connaître sa vie et il n’avait pas osé lui raconter ces quelques mésaventures féminines. Pour cela, Théobalde était très pudique et puis, que dire, même à une amie, lorsque des femmes se jetaient à votre tête. C’était quand même délicat comme situation alors il avait omis volontairement de parler de cette partie de sa vie à Bazas et faisait comme si de rien n’était. D’ailleurs c’était comme ça qu’il le prenait, il ne voulait rien savoir de ces femmes qui semblaient ne plus se maîtriser en sa présence, toutes aussi absurdes les unes que les autres. Un jour il prendrait une compagne mais il ne voulait pas de ce genre de gueuses qui couraient le guilledou à tout bout de champs, ah ça non ! Un peu de respect tout de même. Si elles n’avaient aucune fierté, lui en avait à revendre. Pour lui, il lui fallait des sentiments profonds afin de s’attacher à une personne. Et tout en continuant son chemin, il se rappela de la petite clairière derrière la maison du curé du village. Il se demanda un instant si cette dernière était toujours au même endroit et si Lorsqu’on traversait cette clairière, on arrivait toujours aux abords de la forêt, vers ce lieu secret où une voute naturelle faite d’arbres entremêlant leurs branches se dressait ? Un jour qui n’était pas fait comme un autre, Théobalde y avait emmené Deedee et lui avait offert le plus beau des cadeaux avant de lui offrir un doux baiser sur la joue, lui faisant la promesse qu’un jour il serait son chevalier.

Sourire aux lèvres, la gorge nouée d’émotions à ce souvenir tendre, Théobalde reprit sa respiration du mieux qu’il le pouvait. Il se demanda si sa tendre Deedee possédait toujours ce mouchoir avec leurs initiales brodées dessus. Comme il avait trimé afin de le faire confectionner ce petit bout de dentelle, il s’en souvenait comme si c’était hier. N’importe quel petit boulot qui rapportait, il le prenait afin d’offrir ce présent à celle qui était la plus proche de lui et qui représentait tant à ses yeux. Aujourd’hui, cet émouvant souvenir venait se rappelait à lui comme une douceur d’autrefois, un premier désir d’enfant qui faisait connaissance avec l’amour partagé. Depuis, les choses avaient bien changé. Deedee était maman et lui, lui devenait ronchon à souhait, comme le vieux Gaspard qui commençait à lui déteindre dessus. Rien que le fait de penser à cette acariâtreté qui pointait son nez, cela lui fit accélérer le pas afin de trouver rapidement une hache digne de ce nom puis il se rendit dans les bois afin d’y travailler.

A la nuit tombée, les bras endoloris par l’effort, Théo était rentré à la bergerie ou l’attendait un Gaspard bêlant comme un beau diable tant la solitude de la journée avait dû lui peser tandis que Fend-la-Bise se tenait à l’autre bout de la grange faisant semblant de ne rien entendre surement fatigué de l’attitude de son compère. Le jeune homme se débarbouilla comme à son habitude puis après une caresse aux animaux pour leur signaler sa présence, il remit une belle buche qu’il avait réussi à débiter dans la journée afin de nourrir son feu et pendant que le « brouet du juste » chauffait tranquillement dans le chaudron, il prit sa plume et son écritoire pour faire part des dernières nouvelles à son amie Deedee.



Les yeux papillonnant, le jeune berger se pressa d’enrouler sa nouvelle lettre et l’envoya par pigeon interposé au loin. Qu’il aimait cette correspondance avec cette amie si chère à son cœur et pour rien n’aurait pu le détourner de ce moment de plaisir qu’il s’accordait lorsqu’il répondait à Deedee. Un bâillement plus tard, il vaqua à ses occupations d’intérieur, se servit un bol de brouet puis s’installa à la table, face au feu qui crépitait doucement. La danse ses flammes hypnotisaient Théobalde au point que soudain, un bruit sourd résonna dans la maison et un petit ronflement se fit entendre du côté de la grande table… Théobalde n’avait pas pu résister au sommeil et c’était endormi là, fort heureusement à côté de son bol de soupe.

[Début d'automne--Fécamp--Normandie]

La vie reprenait doucement son cours dans la maison des loups. Deedee se remettait enfin de ses blessures de ce terrible instant qu'elle venait de traverser. Les douleurs physiques étaient passées, mais restaient celles du cœur... Celles encore plus douloureuse à surmonter... Et pourtant... pourtant la vie continuait comme si de rien était... avec juste, un sentiment de vide à surmonter, la culpabilité aussi de n'avoir pas pris soin de ce cadeau si précieux...
Deedee reprenait sa vie, ses activités. Entre son devoir dans sa confrérie et son poste de Sergent, elle s'occupait les mains et l'esprit comme elle le pouvait.

L'automne était bien arrivé sur la Normandie, la pluie tombait assez souvent, laissant la campagne et les chemins détremper... Le vent soufflait fort et avec lui le froid. Il était rare de voir des gens dehors, excepté lorsqu'une accalmie se présentait et qu'un rayon de soleil timide venait percer les gros nuages. Aussitôt alors, toutes les femmes ou presque se retrouvait sur la place du village pour faire leur marché... Les hommes, quand à eux en profité pour labourer leur terre ou partir à la pêche.
Ainsi aller la vie, ainsi allait le temps... Et de derrière ses fenêtres, Deedee regardait son village s'animer, attendant le retour de son promis.

Ce jour-là, la pluie tombait dru. Un peu fatiguée, Deedee avait décidé de rester travailler chez elle et surtout de profiter un peu de son fils. Le louveteau avait drôlement grandi pendant tout ce temps passé loin d'elle et elle voulait rattraper un peu le temps perdu.

C'est donc dans une partie acharnée autour d'une petite armée de soldat de bois qu'elle passa son temps cet après-midi là. Le louveteau s'en donnait à coeur joie. Trop heureux de retrouver sa Manou.
Deedee le dévorait des yeux, se rendant compte qu'il lui ressemblait de plus en plus. Et plus elle le regardait, plus elle se revoyait petite. Les mêmes boucles blonde, le même regard, le même caractère... Les mêmes mimiques quand celui-ci avait décidé quelque chose. Le louveteau lui ressemblait trait pour trait...

La jeune femme se perdit alors dans ses souvenirs, repensant à son enfance, ces moments d'insouciances qui l'avaient fait grandir. Et son ami, son frère qu'elle retrouvait à travers les lettres qu'elle recevait régulièrement de lui...
Sa dernière lettre l'avait fait sourire, rougir même. Elle se souvenait de ce petit moment où à genoux devant elle il lui avait offert ce mouchoir, promettant d'être toujours son prince. Deedee en rougissait encore. Ce mouchoir ne l'avait jamais quitté. Comme un porte-bonheur, témoin silencieux de ses peines et de ses joies. Comme un petit bout de lui tout près d'elle...

Deedee se mit à sourire, plongé dans ses souvenirs. Que faisait-il là-bas ? Allait-il bien ? Prenait-il soin de lui ? Il était tellement téméraire, audacieux, ne se rendant pas souvent compte du danger. Combien de fois avait-elle tremblé lorsqu'il escaladait la falaise, dans le seul but de cueillir une fleur. Ou lorsqu'il grimpait dans ces arbres, juste pour échapper à la colère de son père.
Deedee avait cru le voir mort plus d'une fois... En particulier ce jour, où il avait décidé de monter le cheval du fermier voisin. Une belle bête, mais vraiment pas amical. La bête avait rué, envoyant valser le pauvre garçon dans le pré... La fillette qu'elle était l'avait trouvé inanimé, ensanglanté. Son corps ressemblait à un pantin désarticuler, son visage et son épaule était méconnaissable sous le sang qui s'écoulait. La petite fille qu'elle était, avait essayé de le réveiller, encore et encore, épongeant le sang poisseux avec un pan de sa robe, mais rien à faire...
Théo était resté inconscient des jours durant. Le médicastre était venu, à plusieurs reprises, soignant le garçonnet du mieux qu'il pût... Deedee se souvenait des jours d'angoisse qu'elle avait passé dans cette maison a veillé son ami... Et puis un jour, il avait enfin ouvert les yeux... Ne gardant aucune séquelle si ce n'est deux cicatrices qu'il allait garder toute sa vie...
Deedee se mit à frissonner en repensant à cet accident qui avait failli couter la vie de son ami...
Que faisait-il maintenant ?
Il fallait qu’elle lui écrive… Absolument… Lui annoncer aussi…
Deedee secoua la tête. Non… ce n’était pas la peine… le connaissant, il s’inquiéterait… Et elle ne le voulait pas…

La jeune femme sourit, dans le vide et regarda son garçonnet qui s'était endormi, recroqueviller sur le tapis du salon devant ses jouets. Doucement, elle le pris dans ses bras et le monta dans son lit.

Et profitant du silence et du calme de la maison, Deedee s'installa à la table de sa cuisine pour écrire à son ami...



La missive terminé, Deedee s'essuya les yeux. La fatigue revenait doucement... Encore... Mais elle devait préparer le repas. Le louveteau n'allait pas tarder à se réveiller et réclamerait sans doute sa becquée.
Elle regarda donc le pigeon s'envoler, pensive, avant de se remettre à la tâche...

[Fin d'automne -- Montpellier -- Languedoc]

Les choses s’étaient bousculées autour de Théobalde ces derniers temps. Effectivement, il avait eu une violente altercation avec une jeune femme qui voulait mettre fin à ses jours si lui, pauvre berger qu’il était, ne partageait pas son amour. Mais pouvait-il aimer sur commandement, certainement pas, de cela il en était certain et il avait eu beau essayer de faire entendre raison à cette jeune personne rien n’y faisait. Elle était décidément bien obtus cette jeune femme et il ne pouvait plus rien faire pour elle. A chaque fois qu’il lui adressait la parole, ne serait-ce que pour lui dire bonjour, elle voyait là un appel de sa part.

Son petit manège ayant durée pratiquement tout un mois, Théobalde avait négligé de prendre la plume et son parchemin afin d’écrire à sa douce amie normande qu’il savait pourtant prête à l’écouter mais que pouvait-il lui narrer sans qu’elle pense qu’il était devenu un monstre d’égoïsme, ce que cette charmante blonde lui avait balancé au travers du visage. Elle avait qualifié Théobalde de sans cœur et d’égoïste et sans doute qu’elle avait eu raison car dans un certain sens, le jeune homme se préservait, ne distribuait pas ses sentiments à tout va. Etait-ce vraiment un crime finalement de ne pas vouloir aimer une femme qui se jetait à votre tête sans vraiment vous connaître ? Il n’en savait absolument rien mais ce dont il était certain c’est que l’amour ça se cultivait, ça se chérissait un peu plus chaque jour et qu’il ne suffisait pas de le vouloir pour que les sentiments soient partagés. Alors, afin de ne plus avoir à faire à cette folle furieuse qui, de toute manière, n’entendrait jamais rien à rien, il s’était caché, vivant en reclus complet, ne sortant qu’à la tombée de la nuit, guettant à la fenêtre des tavernes si son tyran n’arrivait pas afin de lui faire une scène et c’est ainsi que, dans une sorte d’angoisse permanente, il rencontra une jeune et douce jeune fille qui n’hésita pas à passer son temps avec lui, à lui remonter le moral, à prendre sa défense lorsque la dulcinée écartée s’en prenait ouvertement à lui lorsqu’il se trouvait sur la place du village. Et de fil en aiguille, Théobalde avait vu son cœur s’épanouir à coté de cette jeune personne qui répondait au doux nom d’Amorfidee. Lui le solitaire, l’égoïste sans nom, le cœur de pierre, ressentait un doux sentiment pour celle qui l’avait aidé si gentiment.
Partagé entre l’envie de tout admettre ou de se taire, il n’eut besoin que d’un petit coup de pouce du destin pour avouer ses tendres sentiments à cette personne, sentiments qui se révélèrent partagés. Ainsi la vie lui souriait, enfin la vie se faisait tendresse, délicatesse, enfin le soleil brillait dans son ciel. Il allait pouvoir poser les bases d’une relation sérieuse avec quelqu’un mais c’était sans compter sur la blondinette qui par un beau dimanche fit de leur vie un enfer. Mais Théobalde mit rapidement un terme à cette mascarade et proposa à sa douce amie de cœur de partir de cette ville maudite où commérage et méchanceté faisaient bon ménage. Et contre toute attente, Amorfidee accepta de bon cœur et c’est ainsi que commença leur voyage.

Vivant d’amour et d’eau fraîche ainsi que de quelques économies qu’il avait, Théobalde était toujours prévenant avec celle qui considérait déjà comme sa future épouse. Prêt à faire le grand pas, il voyait bien qu’ils étaient fait l’un pour l’autre, il n’y avait pas à tortiller et chaque jour qui passait le confortait dans sa décision de lui demander sa main. Parfois, ils s’arrêtaient quelques jours dans un village charmant, le temps pour eux de reprendre des forces afin de continuer leur chemin mais à aucun moment, il n’avait raconté cette délicate aventure à sa confidente, là-bas à Fécamp. Non comme si son esprit devinait déjà la suite, Théobalde avait gardé cet amour secret, le choyant égoïstement. Et puis un jour, sa douce s’absenta toute une journée et lorsque le lendemain elle retrouva Théobalde, la damoiselle prétexta avoir été enfermée par erreur dans un cabanon dans lequel elle se changeait après sa journée de travail sans aucun moyen pour elle de sortir ou de le faire prévenir. Le jeune berger trouva cette mésaventure bien rocambolesque et louche mais ne pipa mot, préférant laisser le bénéfice du doute à sa mie. Or, une explication aurait été plus saine car deux jours plus tard, la jeune femme ne se présenta pas à l’heure dite du départ à la porte principale du village de Marmande. Theo la chercha partout et ne la retrouvant point, il prit le parti de continuer sa route en solitaire. Et au fur et à mesure qu’il marchait, une rage sans précédent s’empara de lui au point qu’il se mit à hurler au beau milieu du chemin en pleine nuit tellement sa rancœur était grande.

Il continua à marcher, à avancer sans vraiment faire attention à ce qui l’entourait, ne se lavant plus, portant oripeaux et haillons, négligeant le rasage de sa barbe. Que lui importait la vie, il n’avait plus rien à donner à quiconque. C’était le juste retour des choses, lui qui avait refusé de donner son amour venait de perdre celle qu’il affectionnait tant. La vie l’avait puni et le pauvre garçon ne savait plus quoi penser. Pourtant un jour, alors qu’il ne s’y attendait pas, il retrouva un ami de Bazas dans une taverne de Montauban. L’homme voyant l’état dans lequel se trouvait Théo arriva à le convaincre de le suivre jusqu’au bord de la mer, là il pourrait s’y noyer si l’envie lui disait mais l’homme qui était fortement avisé était certain que ce voyage ferait du bien à Théobalde. Ce dernier, peu convaincu il faut bien l’avouer, accepta quand même. Après tout il n’avait plus rien à perdre et ensemble, ils voyagèrent jusqu’à arriver à Montpellier là où leur chemin s’arrêtait. Grâce à la conviction de son ami, le jeune berger avait retrouvé son envie de vivre et de nouveau s’émouvoir pour les choses qui l’entouraient et c’est en rentrant à l’auberge ce soir-là qu’il écrivit à son amie Deedee afin de lui faire part de ces dernières aventures. Ôbien sur, il omettrait quelques détails mais le besoin de retrouver celle qui était pour lui une véritable amie et certainement une sœur de cœur était plus fort que n’importe quel obstacle.

S’installant sur la petite table devant la fenêtre de cette chambre impersonnelle de l’auberge, Theo sortit un parchemin de sa besace ainsi que plumier contenant plume et fiole d’encre dont il ne se séparait jamais puis il commença à écrire.



Le jeune berger enroula la missive lorsque l’encre fut sec et le posa sur la table, se promettant de faire le nécessaire dès le lendemain afin de faire parvenir ce courrier à Deedee.

[Fin d'automne -- Fécamp -- Normandie]

Le froid s'était maintenant abattu sur la Normandie. Le ciel passait du gris au blanc, menaçant de laisser tomber ses gros flocons. Le vent soufflait du nord, gelant tout sur son passage et la campagne se transformait en un véritable pays de glace...

Des toits des maisons s'élevaient de nombreuses colonnes de fumées, les cheminées marchaient à plein régime désormais... L'hiver s'annonçait... plus tôt et bien plus froid que les années précédentes.

Bien au chaud dans son lit, Deedee se tournait et retourner dans tous les sens, l'esprit occupé, tourmenté.
Beaucoup de choses venait la hanter... Son compagnon, son enfant perdu et son ami Théo... Beaucoup de choses qu'elle n'arrivait, pour l'instant, pas à chasser de son esprit pour dormir un peu.
Il est vrai aussi, qu'elle avait pris un rythme effréné ses derniers temps, passant ses nuits sur le chemin de ronde du village. Sergent, elle devait maintenant effectuer des rondes pour s'assurer de la protection de la ville et nuit après nuit elle avait arpenté le chemin de ronde...
Alors, se retrouver au repos cette nuit...

Et puis la lettre qu'elle avait reçue de son ami Théo la tourmentait. Comment un garçon aussi gentil et serviable que lui, pouvait penser de telle chose ? Quelle femme cruelle avait pu se jouer de lui... Comment se passait son voyage ? Faisait-il aussi froid qu'ici là-bas ? Il semblait si fragile... si triste aussi...
La rage et la colère remuait le coeur de la jeune femme, déjà bien malmener par l'épreuve qu'elle venait de subir...

Deedee se retourna vers son compagnon, profondément endormis à ses côtés. Elle ne put s'empêcher de caresser ses cheveux, d'observer ses traits...
La vie ne les épargnait pas depuis quelque temps... Elle espérait que tout puisses rentrer dans l'ordre rapidement... qu'ils puissent profité l'un de l'autre comme il se devait... Mais pour l'instant ils s'accrochaient l'un à l'autre, surmontant les épreuves et les tempêtes comme deux naufrages accrocher à un radeau... mais ensemble... C'était tout ce qui comptait...

Sans un bruit, elle se leva, rajustant la couverture sur les épaules de Jason et enfila une robe de chambre épaisse et quitta la chambre.
Elle n'arrivait pas à dormir... alors a quoi bon rester dans ce lit au risque de réveiller son compagnon...

Elle fit un tour dans la chambre de son petit garçon qui dormait comme un ange, les bras écarter, étaler de tout son long dans ce lit encore bien trop grand pour lui. La jeune mère ne put s'empêcher de sourire devant l'innocence de cet enfant qui avait lui aussi et bien malgré lui, vécu beaucoup de choses qu'un enfant ne devrait pas vivre... Et pourtant, il dormait là, paisiblement comme si rien ne pouvait lui arriver...
Deedee lui caressa tendrement le front avant de remettre la couverture sur le dos du petit et descendit au salon.

Le feu s’éteignait doucement dans la cheminée, mais Deedee s’empressa de raviver les braises pour que les flammes repartent aussi vite et bientôt une douce chaleur s’éleva dans la pièce….
Confortablement installer dans un des fauteuils, une tasse fumantes de lait dans la main, Deedee lisait et relisait la lettre de son ami…
Elle devait lui répondre… rapidement…. Et tant pis pour l’heure tardive…

Eclairé par une simple bougie, dans le silence de la nuit et de la maisonnée, s’éleva alors le crissement d’une plume sur un parchemin.



La missive écrite, l'encre sèche, Deedee l'enroula soigneusement... Demain elle irait en ville pour la faire partir au plus vite. Cela ne servait à rien de l'envoyer en plein milieu de la nuit...
Satisfaite elle se réinstalla dans le fauteuil, étendant ses jambes devant la cheminée. Le froid était présent, même dans la maison et ses blessures se rappelaient à elle de temps à autres, même si elle n'en disait rien...
Ainsi emmitouflé, se laissant bercer par le mouvement des flammes se reflétant dans la pièce, Deedee finit par trouver le sommeil... enfin...

[En plein cœur de l’hiver--Béziers--Languedoc]

Théobalde avait atterri depuis quelques temps dans le Languedoc. Après des interdits, des laisser-passer, des demandes en veux-tu en voilà, il avait réussi à avoir l’accord de pouvoir séjourner en attendant sa future installation lorsqu’il aurait trouvé la ville qui lui plairait. Visitant dans un premier temps, il n’avait que peu donner de nouvelles à sa douce amie normande et c’était mieux ainsi. La dernière missive qu’il lui avait envoyée lui rongeait le cœur car il s’avait qu’il s’était trop épanché sur sa façon de vivre sa vie et que Deedee ne méritait pas d’entendre ses jérémiades de jeune homme frustré. Et c’est pourtant en attendant d’avoir de ces nouvelles que le jeune berger pris part à la vie de Béziers.

Il avait fait plusieurs villes du comté avant de se décider à vivre dans cette ville-là. La rencontre avec les habitants du cru autour d’un bon verre et d’un accueil presque fraternel l’avait vite décidé. Il fallait dire qu’ils savaient souhaiter la bienvenue à Béziers et finalement, le cœur de Théobalde s’était un tant soit peu réchauffé, au point même de se trouver rapidement quelques amis. Pour le moment, il n’avait pas encore pris de logement, préférant faire vivre l’auberge du coin avant de se décider vraiment. Et puis dame Chiffonnette était une personne très agréable et son établissement méritait bien d’avoir un peu de visite. L’hiver n’était guère propice aux voyageurs et Théobalde aimait cette présence discrète qui lui permettait de dire qu’il n’était pas si seul que ça en fin de compte.

Et puis un jour, alors qu’il rentrait d’une journée de travail harassant dans un champ qui avait besoin d’être nettoyé avant que le froid ne s’installe vraiment, à peine la porte franchie qu’il avait découvert une missive sur l’oreiller de son lit, bien en évidence. Lâchant sa besace ainsi que sa vieille pelisse de berger à grande vitesse, il se saisit du courrier afin d’en prendre connaissance et là, au milieu de la pièce, Théobalde se mit à lire. Les mots qui au début étaient longs à déchiffrer dansaient devant ses yeux et n’avaient plus aucun obstacle dans son esprit. Le jeune homme lisait de mieux en mieux et son écriture s’en était grandement améliorer. Mais alors que les lignes de cette écriture fine quoiqu’un peu tremblante défilait devant ses yeux, une main glacée était venue lui étreindre le cœur, le serrant à l’étouffer. Alors qu’il manquait d’air et cherchait désespérément à reprendre sa respiration, la gorge nouée, il sentit comme un coup de poing se fracasser en plein thorax. Malgré lui, une larme s’échappa et Théo, anéanti par la nouvelle, chercha un coin dans la pièce et s’y installa à même le sol, les genoux remontés jusqu’à son visage, se cachant les yeux et laissant parler son chagrin.

Le parchemin avait glissé sur le sol de la chambre tandis que silencieusement, la douleur sortait du jeune homme. Deedee, sa douce amie ne donnerait pas naissance à ce petit être qu’elle attendait avec tant d’impatience et de gaieté. Les mots attaques, blessures, bébé survivre ondulaient dans ses pupilles et son esprit se fit confusion. En l’espace d’une fraction de seconde, le berger sut ce qu’il devait faire et se redressant d’un bond, il saisit sa besace qui trônait au milieu de la pièce, en sortit plume et feuillet et s’installa à la petite table afin de faire réponse dans les plus brefs délais.



Théobalde enroula son parchemin rapidement. Il lui tardait de pouvoir se mettre en route, de pouvoir partir pour la Normandie retrouver celle que la vie n’aurait jamais dû lui enlever. Certes maintenant elle avait sa famille mais le jeune berger les considérait déjà comme faisant partie de la sienne et rien ne pourrait l’empêcher de voir se projet se réaliser.

[En plein coeur de l'hiver - Fécamp - Normandie ]

Bien des jours étaient passé depuis l’instant fatidique ou Deedee avait perdu son bébé. Des jours sombres et des jours plus clairs. Elle s’était relevée, plus forte que précédemment… du moins en apparences…

La jeune femme se donnait bonne figure, travaillant d’arrache pied pour caché ce qui tourmentait son cœurs. Il est des blessures qui ne guérisse pas, des plaies qui ne se referme pas… Deedee souffrait mais n’en disait mot. Accomplissant sa tache jour après jours sans se plaindre.
Elle avait même poussé le vice, de vouloir s’occuper un peu plus, travailler, travailler pour ne plus songer, sans pour autant penser a elle et sa famille.

Les rondes s’enchainaient, les dossiers se multipliaient et Deedee se refugiait dans toute cette charge…

Et puis un jour, terminant un énième dossier qu’elle traitait chez elle, la jeune femme tomba sur une missive, soigneusement plié, attendant là d’être vu… ou revu…
Soupirant, s’attenant a trouver là une missive de reproche, de demande ou d’un nouveau dossier à traiter, la jeune femme l’ouvrit et parcourut rapidement le contenu des yeux.
Théo ! La lettre de Théo !
Avec tous ces événements, elle avait complètement oublié de lui répondre…
Pourvu que…

Rapidement, Deedee poussa d’un bras tout les dossiers qui s’entassaient a ses coté et attrapa sa plume et un parchemin…
Comment avait-elle pu oublier son ami d’enfance… Son confident… La jeune femme secoua la tête de dégout… Elle avait voulu oublié ce qui lui faisait mal, sans songer qu’elle négliger ainsi tous ceux qu’elle aimait et a qui elle tenait…

Essuyant de rage une larme qui roulait le long de sa joue, Deedee fit glisser sa plume sur le parchemin, laissant les mots s’adresser a son ami…



La jeune femme poussa un long soupire. Elle aurait eu encore tant de chose à dire, tant de chose à raconter, mais son cœur était fermé… Les mots ne sortaient plus…

Elle roula la missive délicatement, l’attachant d’un joli ruban avant de la confier à son plus beau pigeon. Il fallait que la missive arrive au plus vite…

[En plein coeur de l'hiver--Béziers--languedoc]

La vie suivait son court, lentement mais surement. Théobalde avait pris une petite maison à Béziers et avait commencé son aménagement. Bien qu’il n’avait pas grand-chose, il essayait de faire au mieux et acheté petit à petit ce dont il avait besoin. Pourtant quelque chose ne tournait pas rond dans sa tête. La dernière missive de son amie l’avait laissé complètement anéanti, blessé de ne pouvoir partager avec elle sa douleur. Bien qu’il comprenait ce qu’elle ressentait, il avait eu besoin de la tenir dans ses bras comme lorsqu’ils étaient enfants et que la petite fille se blessait, trop souvent à son goût, parce qu’elle tentait toujours de le suivre par monts et par vaux. Et cette fois-ci, c’est elle-même qui mettait une barrière entre eux, le tenant éloigné de sa souffrance, ne voulant point partager son fardeau.

Théobalde s’était alors renfermé comme un coquillage. Sa carapace était de mise et plus personne ne pouvait l’approcher. Oh, il ne voulait pas faire de mal à quiconque mais à quoi bon cela servirait de faire des sourires aux gens alors que le cœur n’y était plus. Il avait du mal à se retrouver, il avait du mal à se comprendre, à avoir confiance en les autres et il avait beau être entouré, il restait souvent silencieux de peur de blesser son entourage.

Paradoxalement, le soir, lorsque le jeune berger sortait de sa journée de dur labeur, il aimait aller à la taverne du coin afin de passer un moment assis auprès du feu de cheminée à écouter craquer les buches dans l’âtre, se réchauffant un peu le corps et l’âme auprès de cette tiédeur qui lui faisait défaut dans sa maison si vide. Personne ne venait le voir et pour cause. Il ne se liait pas tant que ça, ne voulant pas s’imposer et ne désirant pas faire entrer qui que ce soit dans son monde. Le jeune homme devenait taciturne, morose, observant bien plus qu’il ne parlait, se mêlant aux autres sans jamais se faire remarquer.

Son esprit s’était mis à vagabonder. Depuis quelques temps, il avait l’impression d’être prisonnier et il en souffrait. Etait-ce la solitude qui commençait à lui peser, était-ce le manque de sa famille, le manque d’une relation durable avec quelqu’un, il n’en savait rien et finalement, il s’en foutait. Il savait que plus rien ne serait comme avant. La vie s’était chargée de creuser des fossés dans son esprit et dans son corps. Chaque cicatrise qu’il possédait représentée une souffrance particulière mais celle dont personne n’avait vraiment conscience était celle qui entourait son cœur à plusieurs endroits. Reprenant la dernière missive de Deedee, Théo en ressentit encore une vive blessure mais il se força à prendre un parchemin ainsi qu’une nouvelle plume afin d’y faire réponse.

S’installant à sa table préférée, dans la pénombre de cette taverne dont il était devenu un client régulier, Théobalde commença à rédiger son dernier courrier.



Le jeune homme enroula la missive et la déposa dans sa besace. Il préparerait un pigeon dès le lendemain en même temps qu’il fermerait la maison et mettrait la clé sous la grosse pierre à droite de la porte. Si quelqu’un avait besoin de quoique ce soit, il n’aurait qu’à se servir et lui laisser un mot sur la table de la cuisine. Autant que sa maison serve pendant son absence, de toute manière, il n’y avait rien à voler entre ses quatre murs.

D’un geste las, Théobalde se leva de sa chaise, salua la tavernière d’un geste de la main, lui souhaitant une bonne nuitée et s’en retourna chez lui pour un dernier repos dans sa demeure avant pas mal de temps.