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Quand Agnès de Saint Just et Aléanore Jagellon Alterac se rencontrent, quand glas et carillons résonnent.

[RP fermé] Car Tes Anges n'aiment pas devenir vieux

Gnia
Matin pluvieux qui délaie la crasse de Paris. Ruisseaux boueux charriant, intimement mêlés, vices et vertus sur le pavé luisant. Horizon triste et sale, ciel gris et larmoyant dont les traînées drapent Notre-Dame d'un linceul inquiétant.
Paris chagrin.

Silhouette sombre bravant la pluie, sans un regard pour l'Hôtel-Dieu qui dégueule sa misère jusque sur le parvis de la cathédrale, la capuche de la mante en guise d'oeillères, les yeux fixent intensément le sol, sans se lever vers la cyclopéenne rosace.

L'intérieur de l'édifice révèle son atmosphère froide de pierre, l'odeur de cire chaude de dizaines de cierges prenant la gorge, la lumière blafarde de ce jour fade à crever peinant à percer les vitraux, aquarelle de couleurs inquiétantes se reflétant sur le dallage et les murs.

La Saint Just marque un temps d'arrêt, ponctue l'instant d'un lourd soupir, finit par s'avancer lentement vers l'un des bénitiers. La main s'extirpe du manchon de fourrure, l'eau frémit sous les doigts qui la frôlent et l'abandonnent aussitôt.
Nouveau soupir, le coeur n'y est pas. L'esprit non plus. Ce n'est pas l'imposant giron divin qu'elle est venue chercher, de réconfort dans la prière il n'y aura pas.
Front buté, lèvres pincées, Agnès parcourt la nef d'un pas pressé, ombre furtive mais résolue, traverse le transept, bifurque dans le déambulatoire qui ceint le choeur et s'engouffre dans l'une des chapelles.

Voilà.
Fuir les clameurs de la ville, l'atmosphère étouffante de la chambrée d'auberge, la sensation d'oppression qui lui laboure la poitrine depuis l'aube. Le genre d'aurore exsangue qui sonne le glas de toute espérance pour ce jour.

Fuir.
Comme si c'était seulement possible. Comme si le passé n'avait point de fins limiers pour vous suivre à la trace et vous débusquer sans coup férir, comme si la mélancolie ne vous tenait pas sous son joug impitoyable, comme si les pensées n'étaient pas autant de laisses et d'entraves sur lesquelles il suffit de tirer pour refermer sur vous l'étroit filet de la douleur.

Soit.
Notre Dame Tristesse, Vous m'étreignez de vos bras puissant contre votre sein. Angoisse m'a arrachée sans scrupule aucun à Espérance pour me livrer à Vous.
Je suis vôtre. Achevez-moi.

Vaine tentative, dérisoire supplique.
Crois-tu vraiment que tu seras entendue, Saint Just ? Se priver de torturer ton âme égarée, de la délectable sensation de t'entendre nous implorer, de la vision jubilatoire à observer notre pouvoir lentement te consumer ?
Tsss. Allons, Saint Just, tu n'y songes pas sérieusement, n'est-ce pas ?

Pleure. C'est tout ce qu'il te reste quand bien même tu pensais la source tarie. Quand y'en a plus, y'en a encore, tu verras.
Pleure. Tu n'y trouveras de toutes façons aucun soulagement, aucun secours, tu le sais.
Cache-toi et laisse se répandre sur tes joues livides mon vénéneux poison. Tu es mienne, Saint Just. Il n'y a point de salut.

Le Très Hauct a soigneusement déserté sa demeure pour cet étrange conciliabule, laissant son enfant égarée qui n'a plus foi en lui se débattre en toute intimité des griffes de ses envahissants démons.
Et pourtant, est-ce l'un de ses anges qu'Il lui envoie, la lueur d'un phare dans la tempête, la main salvatrice qui se tend lorsque l'on se noie ?

Quelques pas discrets et hésitants, un bruissement d'étoffes et relevant la tête, Agnès ancre un regard de naufragé, implorant, brouillé de pleurs, sur l'apparition.



[Titre tiré des lyrics de Cendrillon de Téléphone - Ecriture largement inspirée de Spleen de Baudelaire.]
Aleanore
La fortune, les hauts-faits, le mérite. Qu’est-ce que le mérite ? N’a-t-elle donc que mérité ce qui lui ait arrivée, éternelle bafouée, étincelle éthérée. Sur le prie dieu, le velours mordoré s’écoule, tandis que les mains gantées qui sont jointes, se détachent doucement avant de venir récupérer le missel à ses côtés et finalement, s’appuient pour relever la frêle silhouette, sous le regard bienveillant d’une passante âgée qui trouverait touchante l’image d’humilité offerte par la jeune fille. Profil fin qui se lève vers l’autel, et dans les noisettes, le Très-Haut seul peut voir toute la révolte du jeune âge. Eternelle question qu’elle pose. Etincelle qui s’oppose. La douleur, pourquoi ? L’appel est le même, toujours la question qui revient, l’avait-elle méritée cette douleur ? Elle n’était qu’une enfant, avant. Avant..

Mais pour qui se prend-Il ? Pour décider ainsi du sort des hommes ? Foi vacillante comme la flamme d’un cierge, comme la tige d’un roseau balayé par un vent trop violent de douleur et de désillusion. Etait-elle innocente ? Jamais. Et pourtant, elle croyait, ô Dieu comme elle croyait. La foi, son unique fierté, plus que le nom, plus que le rang, la foi, Dieu comme elle y croyait comme ce chœur d’enfants au fond qui chantent leur foi. Leurs chants sont connus de la jeune fille, et silencieusement, les lèvres s’entrouvrent et se referment, laissant s’échapper des mots muets de tout sens, seuls restent les soupirs et sons expirés. Il faudrait qu’elle soit celle qui saura pourquoi Dieu fait souffrir Ses enfants, puisqu’il y a une mise à l’épreuve, pourquoi ne lui a-t-on pas dit, enfant, pourquoi faut-il le découvrir maintenant ? Question et résignation, lot du quotidien. Et ainsi soit-il..

Dans un bruissement d’étoffes, la jeune fille quitte la chapelle où elle priait avant de gagner la nef principale doucement, prenant plaisir comme toujours à errer dans les maisons de Dieu, même dans sa révolte, même plongée dans l’incompréhension, l’ancienne novice prend plaisir aux lieux sacrés où seuls résonnent les chants, ou le silence des prières. Silence oppressant, silence ouaté, tout dépend. Et dans le cœur de la Grande Dame Parisienne, c’est une Etincelle qui profite de son escale à Paris pour venir y prier, la rencontrer. Notre-Dame qui trône fièrement au milieu de Paris, capitale de la France, capitale bien trop sale. Comment font-ils les parisiens pour survivre à cette humidité ? A ce froid ? A cette grisaille qui la prend aux tripes, qui lui donne la nausée ? A quoi bon se lever le matin pour y voir le soleil se refuser à Paris, ville de chagrin ? Paris qui sanglote, comme une femme qui pleurerait son amant qui la délaisse, Paris qui débecte comme un gruau trop froid et trop graisseux, Paris la gueule de l’enfer lunaire où se côtoient nobles et putains, où les coupes-jarrets se lient d’amitié avec des sires aux jolis mollets. Paris, sais-tu que tu me donnes la nausée ? Comme une migraine lancinante. Déçue l’Etincelle qui ne voit plus rien à faire ici, se maudissant déjà d’avoir voulu accomplir ce périple pour chercher ce qui l’intéresse puisqu’il n’y avait plus de valets pour le faire (*). Déçue et prête à quitter la Capitale dès le lendemain, mais il lui avait fallu voir Notre-Dame au moins une fois. Et maintenant, qu’elle y est… Oui et maintenant, la réponse n’a pas été donnée, et si la douleur est estompée, elle est toujours présente. Comme si les mots ne pouvaient pas monter jusqu’au ciel, comme si au final, les prières n’étaient que vaines. Sait-il ce Dieu que Ses enfants, le prient, mendiants d’amour. Et dehors, Paris pleure comme une enfant, à moins que ce ne soit à l’intérieur.

L’oreille se tend et le regard se porte vers les différentes chapelles avant de rejoindre le chœur, à la recherche de la source du bruit léger qu’on n’entend que si on n’y fait attention, et enfin, elle pénètre dans celle où résonnent les sanglots légers, lentement, à pas comptés, elle dérange, oui, bien sur qu’elle dérange. Mais les sanglots entendus lui ont navrée le cœur, et la jeune fille n’a pu résister, et c’est quand l’éplorée relève les yeux sur elle qu’Aléanore ne regrette pas son choix. Prise à la gorge par le regard azuré de la jeune femme, de l’eau dans de l’eau, le tumulte, la tempête. La balafre qui court sur le visage, lui rappelle celle de sa sœur cadette. Mais elle, elle est plus vieille, n’est-ce pas ? L’habitude de détailler les gens la pousse à voir les bijoux aux mains, qu’est ce qu’une femme mariée fait à pleurer, un instant l’envie de rebrousser chemin la prend, et finalement, c’est le regard qui l’emporte, les larmes qu’elle-même ne versent plus, que le mouchoir délicat qu’elle sort de son corsage vient tamponner sur les joues de la Saint-Just, doucement, comment on le ferait d’un enfant, avant de s’agenouiller à son tour sur le prie dieu à ses côtés, pour donner le change au public. Une noble ne pleure pas, n’est-ce pas ? Alors si celle-ci le fait et qu’elle, elle ne peut pas, alors elle sauvera les apparences pour deux et qu’importe les on-dit du petit peuple.


-« Vous aussi, la Capitale vous fait du mal ? »


Le murmure est lâché, doux et tendre. Ineptie avouée, bien sur que la capitale n’y est pour rien, il faut de la douleur à l’intérieur plus qu’un changement de climat. Et alors que l’un des sacristains passe devant la chapelle, la voix de la jeune fille s’élève reprenant le chant alors entonné par les choristes plus loin, rassurant ainsi l’homme d’église, pas de réunion d’amants, ou de complots dans les chapelles, rien que deux jeunes nobles pieuses. Ah la piété, savant mélange d’hypocrisie et d’imagination débordante. Contre les vitraux, les gouttes de pluie viennent s’écraser, lames assassines d’un Dieu en colère contre ses fidèles. Et de nouveau, la jeune fille prend la parole, doucement, comme en confidence, comme en confession.


-« Quand j’étais petite et qu’il pleuvait, j’étais convaincue que les anges pleuraient leur déception de savoir les hommes si mauvais, si peu pieux. »


Sourire sarcastique qui étirent les lèvres carmines de la poupée, les temps ont changé, les anges peuvent bien pleurer, on ne leur accordera pas plus d’intérêt.


-« Et puis, j’ai compris que les hommes pleuraient plus souvent qu’eux. Est-ce de la déception ? »


La question est généralisée, mais le regard est personnalisée et ne vise que la Saint-Just en face d’elle, pas de jugement dans les noisettes, un constat, elle a l’air si fragile malgré l’énorme cicatrice qui jalonne son profil, et l’Etincelle de s’inquiéter pour une femme qu’elle ne connaît même pas, avant de se dire que le regard sur ses maux peut la vexer, et de reposer les yeux sur le vitrail en face d’elle, profil bas, mains jointes, attendant une réponse de l’infortunée pleureuse à ses côtés.



(*) Voir [RP] – L’arme ultime pour savoir ce qui est arrivé au dit valet.
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La Rançon du Succès d'une Pouffy-girl
Gnia
Pourquoi le Très Hauct avait-t-Il fait les hommes si faibles et fragiles, destinés pourtant à tendre vers lui mais irrémédiablement tirés vers le bas d'où ils peinaient à s'extraire ?
Pourquoi Agnès laissa-t-elle cette poupée de porcelaine entrevoir toute sa détresse, cet instant de faiblesse ?
Elle, sur qui tout passait sans vraiment jamais l'atteindre, du moins avait-elle besoin d'intimement s'en persuader si elle voulait survivre.
Elle, qui arborait en toute circonstance un visage à l'expression hautaine et sévère, le masque qui s'est imposé de lui-même. Celui des enfants grandis trop tôt, celui de ceux qui ont souffert et qui ont perdu sans jamais mettre pourtant genou à terre.
Et malgré tout, en cet instant, elle rampait, implorant qu'on la délivre de douleurs incurables, d'accablants maux de l'esprit, doute, culpabilité, peur.
Et pouvait-on imaginer plus improbable salut que la jeune fille blême qui était entrée dans la chapelle et qui sans un mot s'était imposée complice du délit de faiblesse de la Saint Just, en effaçant sans trembler la moindre trace.

Elle la regarde de biais s'agenouiller à ses côtés, l'écoute chuchoter, sent sur sa peau les yeux sombres qui l'observent, la détaillent. Un profond soupir soulève sa poitrine, le buste se redresse, le menton aussi, avec un reniflement de défi. La mâchoire se crispe imperceptiblement, un battement de paupière évacue les dernières perles d'eau salées restées prisonnières des cils et le regard redevient implacable, fixant lui aussi le vitrail en face d'elles.

Un silence fait des murmures qui résonnent dans l'édifice s'étire mollement, à l'infini, assourdissant. Puis enfin la voix rauque d'Agnès chuchote réponse à des questions qui n'en sont pas vraiment. Mais qu'importe. Tel silence ne souffre pas qu'on le laisse s'éterniser.


C'est la Vie qui fait du mal. On apprend à faire avec, on s'accomode de la douleur... La majeure partie du temps...

Un sourire dédaigneux ourle un instant ses lèvres, prélude à un ricanement silencieux et désabusé. Le visage tressaille, les yeux s'animent d'une lueur inquiétante, trouble. La sourde rage reprend ses droits, enfin. La chaleur galvanisante de la colère s'instille à nouveau dans chaque parcelle de son être, lui conférant à nouveau cette sombre aura. Les lèvres crachent les mots non sans dégoût, comme s'ils étaient autant de mets impropres à les toucher.

L'Homme pleure plus souvent que les Anges, oui. De déception, non point. Il implore, il supplie, il se tord tel une misérable larve, rampant à terre pour appeler un Dieu qui s'en moque et qui le laissera crever la gueule ouverte, dépecé par ses démons.
Les larmes ne servent à rien d'autre qu'à ruiner le teint et à se nourrir, tels des parasites, de votre énergie, vous laissant encore plus épuisée que lorsqu'elles vous ont trouvée...
Les larmes sont l'apanage des faibles.


Le regard à l'azur sombre quitte les reflets hypnotiques des vitraux et se pose enfin véritablement pour la première fois sur sa voisine, scrutant dans la lueur tremblotante des cierges le profil racé d'une toute jeune fille.
Qu'il lui coute de dire ce qu'elle va dire. Foutue destinée qui se complait ces derniers temps à semer sur son chemin des réceptacles propres à recueillir ses faiblesses, à les accoucher dans la douleur, pour les absorber. De ces gens que l'on est forcé d'aimer, de tout son être, même à son corps défendant, car ils deviennent indispensables, nécessaires, vitaux.


Comment vous appelez vous, jeune fille ? Je... Vous avez su rappeler à mon souvenir que dans les larmes il n'y a aucun salut... Je suis votre obligée...
Aleanore
Loin des regards bienveillants des anges sur les vitraux, loin du profil accueillant de Maria, la lippe méprisante de la Saint-Just à ses côtés. Sourire qui erre sur le visage de la jeune fille tandis que la femme éructe les paroles méprisantes à l’encontre du Très-Haut et des larmes, rage salvatrice quand tu nous tiens, ne nous lâche plus. Oui, les larmes sont autant de sangsues qui aspirent l’énergie, bien heureuse de ne plus pleurer, de ne plus s’abaisser à cette maigre consolation de pleutre, sourcil qui se arque, tandis que le sourire s’esquisse en coin. Oui, pleurer ne vaut rien, et le discours de la jeune femme à ses côtés n’appuie que plus cette idée, et quand enfin, le regard azur est plus déterminé et qu’il se tourne vers elle, c’est un franc sourire qui éclaire le visage de l’Etincelle. Franc parce qu’heureux de constater que les larmes ont déserté les azurs, heureux de constater que ce regard-là est bien plus intéressant quand la colère s’en empare. Alors le sourire est franc, et les noisettes pétillent d’une petite joie victorieuse. Et la voix de la jeune limousine de répondre, toujours en chuchotant.

-« Aléanore.. Aléanore Jagellon Alterac, damoiselle de Concèze. Et si j’ai pu vous aider, vous m’en voyez ravie.»


Elle ne lui demandera pas de se présenter, les bijoux, la qualité de la tenue l’en empêchent, pudeur de caste qui lui évite ainsi de faire un affront à une dame de moyenne ou haute noblesse qui sait. De nouveau, les mains se détachent, même rituel de novice habituée de ces gestes, et l’Etincelle est déjà debout, attrapant un cierge allumée devant elle afin d’allumer son voisin qui s’est éteint dans l’air glacial de Notre-Dame.

-« Le salut n’est pas dans les larmes, non. Il se trouve dans la force que l’on a, la persévérance. Tomber et se relever. S’éteindre et tout faire pour se rallumer. »

Mèche humide qui se révolte et crépite avant de s’allumer enfin, timide puis plus tenue, de nouveau le cierge est replantée, éclairant un sourire doux sur le visage de la jeune fille qui pendant un instant, laisse ses pensées rejoindre le Limousin et ses morts avant de se tourner vers la jeune femme.

-« Dieu aime Ses enfants, mais Il les met à l’épreuve. Si ce n’était pas dur, cela aurait-il un intérêt ? Sans efforts ? »


Et le sourcil de se arquer de nouveau, en regardant la Saint-Just, sourire amusé, oh non, elle n’a pas l’air de faire partie de ceux qui pleurent à la première contrariété. Alors oui, il faut faire des efforts, et si cela ne suffit pas, il faut faire comme si c’était le cas. Le public n’a pas besoin de les voir perdues, de les voir déchues. Les gens ne doivent voir que ce qu’on veut bien leur montrer. Profil fin qui se redresse, et la voix s’élève, claire dans la chapelle.


-« Credo in Divinam Actionem
Sanctam Ecclesiam Aristotélicianam, romanam, unam et indivisibilem
Sanctorum communionem
Peccatorum remissionnem
Carnis resurrectionem
Vitam Aeternam

AMEN »


Signe de croix esquissé, clin d’œil jeté à sa voisine avant de sortir doucement de la chapelle, rattrapée par le sacristain à qui elle verse quelques pièces.. Oui, les pauvres de Paris la remercient, elle dira que Notre-Dame est toujours aussi belle par chez elle, oui, sa mère va bien, une prière pour elle, bien entendu. L’image.. Toujours l’image, mais à ce jeu, l’Etincelle excelle à croire qu’il a été conçu pour elle.
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La Rançon du Succès d'une Pouffy-girl
Gnia
Drôle de petite bonne femme... Aléanore Jagellon Alterac... Alterac... Hmmm...
A l'instant où l'envahissante et insidieuse tristesse a été repoussée, la colère, savamment canalisée, se réappropriant son territoire, se fait braise, de celles qui ravivent un feu dans l'âtre pour peu que l'on souffle dessus.

Le visage livide de son époux souriant à la mort, les promesses qui ne seront jamais tenues, l'éclat réprobateur que l'on imagine dans les petites billes saphir d'un nourrisson laissé dans une sordide chambre de service de l'un de ces imposants hostels particuliers parisiens. Culpabilité est pour l'heure muselée.

Saura-t-on être à la hauteur des charges dont on s'est investi ? Aimer justement celui que la raison devrait pourtant nous faire haïr ? Croire en Lui, malgré tout ? Eprouverait-Il la force de la Foi que l'on devrait avoir en Lui ? Et dans ce cas, a-t-on lamentablement échoué ? Doute est à présent étouffé.

L'esprit momentanément libéré de ses insolubles questions, de ses images qui le hantent, Agnès observe, jauge, détaille. A travers les cils, le regard se fait inquisiteur, ne quittant pas la Damoiselle de Concèze jusqu'à ce qu'elle quitte la chapelle.
Drôle de petite bonne femme...

Front plissé, sourcils froncés, moue dubitative, la main vient nerveusement pincer un instant l'estafilade qui ourle le bas du visage, signe d'une intense réflexion.
La Saint Just se relève, pousse un profond soupir et lève légèrement les yeux au ciel. Elle s'apprête à quitter la chapelle, marquant une pause pour lisser distraitement un pli sur ses robes. Un dernier regard en arrière, haussement d'épaules et là voilà qui se surprend à presser le pas pour rattraper une Etincelle.
Advienne que pourra.

Elle a repéré la frêle silhouette à l'instant où elle se défait d'un sacristain. Arrivée à sa hauteur, elle pose une main délicate sur son bras et toujours sur le ton de la confidence


Agnès de Saint Just. Vicomtesse de Bapaume, Baronne de Desvres, Dame de... On s'en cogne.

Un sourire amusé flotte sur son visage. Les derniers mots lui ont échappés.

Damoiselle, si vous n'avez aucune affaire pressante qui vous retient, j'aimerai vous inviter à partager avec moi collation et breuvage de votre choix. M'accompagnerez-vous ?
Aleanore
Enfin, il part et maintenant ? Quitter Notre-Dame, errer dans les rues de Paris, rejoindre Clarisse et Hugues, et récupérer ce pour quoi elle est venue, et alors que la jeune fille s’apprête à quitter la cathédrale, une main se pose sur son bras. Le contact anodin au demeurant, touche la jeune fille au plus haut point, si bien que quand les noisettes se posent sur la Saint Just et qu’elle apprend enfin l’identité de la jeune femme, celle-ci pourrait lui demander de la suivre où bon lui semble, la jeune fille n’hésiterait pas un seul instant, car il faut du courage pour accoster une étrangère et plus encore, pour se permettre ce geste d’intimité. L’intimité est là pourtant dans une trop grande place, comme un cocon qui les protégerait du trop large espace. Et comme un carillon, le rire de l’Etincelle cascade dans la nef en entendant les derniers mots lâchés, sacrée présentation, sourire moqueur quand le sacristain la foudroie du regard avant de reporter son attention sur la vicomtesse et de glisser son bras sous le sien, l’entrainant doucement le long de la nef comme l’aurait fait deux jeunes nobles se connaissant de longue date. Enfin arrivées à la sortie de la cathédrale, Aléanore reporte son regard sur la brune à ses côtés.

-« Affaire pressante ? Pas la moindre. Néanmoins, je dois retrouver ma servante qui devait aller me cher.. »

Et fendant la foule parisienne amassée sur le parvis de la grande dame, la blonde bourguignonne suivie de près par le cocher comtois de onze ans qui tente de se donner un air patibulaire pour dissuader qui voudrait toucher la camériste à la mine résignée, serrant contre elle un petit paquet.

-« La voilà ! Clarisse ! Ouh, ouh ! Je suis là ! »


Le bras de la vicomtesse est lâché et la servante rejointe rapidement, paquet qui passe de mains en mains, sous les regards dépités du jeune cocher et ceux intéressés des mendiants qui trainent à l’entour. Quelques paroles échangées renseignant la jeune fille quant à l’arrivée des tissus commandés dans la chambre d’hostel où elles sont descendues, et l’Etincelle d’intimer à sa servante et au cocher de rentrer à l’hostel qu’elle rejoindra plus tard. Et de nouveau, elle revient vers la vicomtesse, paquet sous la main, sourire aux lèvres.

-« Et bien, me voilà tout à vous, Vicomtesse. Où allons-nous ? »

Oui, c’est simple comme un sourire d’égayer un jour de pluie parisien, alors Aléanore sourit.
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La Rançon du Succès d'une Pouffy-girl
Gnia
Agréablement surprise par le rire qui s'égrène sous les voûtes de l'édifice, Agnès se laisse entraîner du calme somme toute relatif de l'édifice vers la morne lumière et le ciel essoré de cette journée parisienne.
Tandis que la damoiselle rejoint ses gens, la Vicomtesse avise enfin ce qu'elle avait soigneusement voulu ne pas voir en entrant. La foule bigarrée, les miséreux, les guimpes des bigotes et les casques ternis de la maréchaussée s'élevant au-dessus des calots et des coiffes, les tires-laines qui devaient profiter de la masse mouvante pour vaquer à leur lucrative occupation.
Un signe de tête discret au valet qui l'accompagne. Les liens d'une bourse de cuir se délient, une poignée de deniers est jetée au sol et à l'instant où les pièces tintent sur le pavé, comme autant de moineaux autour de miettes de pains, la misère afflue autour de son maigre trésor du jour.

Déjà la petite Alterac est revenue, le visage éclairé d'un sourire. Cette fois, c'est la Bapaume qui glisse son bras sous le sien et qui a la suite du valet qui ouvre le chemin devant elles, la guide vers le Petit Pont.


Nous avons pris nos appartements dans une hostellerie fort convenable non loin du Port aux tuiles et du Fort de Tournelle. Depuis la chambrée on y a d'ailleurs une vue fantastique sur les Iles de la Cité et de Nostre Dame. La table est à la hauteur de la réputation de l'établissement et on y sert un hypocras fameux...

Libérée des tons du murmure et de la confidence, Agnès lui répond de cette voix rauque qui la caractérise, marquée de cet accent picard dont le Sud n'est pas parvenu à la défaire. Toute aussi surprenante que cette voix plus habituée à la harangue et aux commandement qu'à sussurer des mots doux, cette facilité à passer du langage le plus châtié et du "Nous" à la gouaille des faubourgs d'Arras et d'expressions qui ne départiraient pas dans la bouche du soudard de base.


La Seine fut rapidement franchie, la petite troupe louvoya entres les murs tordus des bâtisses qui assombrissaient les ruelles et enfin atteignit son but non loin de la rue Saint Victor et du couvent des Bernardins.
*

Aubergiste, faites nous servir dans notre chambrée collation légère et moult hypocras.

Vi vi, je sais, ni bonjour ni merd*. Foutus nobles qui croient que la politesse c'est en option et pas en série. Vous pensez vraiment qu'avec tous les écus qu'on lui refile il s'en offusque, l'aubergiste ? Il était déjà bien trop content que la cliente n'ait pas des goûts étranges et ne lui demande pas des trucs farfelus ou bizarres à dégotter déjà. Nan parce que des fois, fallait se les payer les lubies de la noblesse dépravée de France...
Bref, l'ordre fut balancé et la Concèze entraînée dans les escaliers jusqu'aux appartements de la Bapaume.
Une douce chaleur dispensée par l'âtre rougeoyant s'élevait dans la chambre. Mobilier de goût, deux sièges qui n'attendaient que leurs nobles séants, non loin de la cheminée, un guéridon dont la vacuité fut rapidement comblée par la dicte collation et une généreuse cruche d'hypocras.

Débarrassée de sa mante chargée d'humidité, la Saint Just fit signe à Aléanore de prendre ses aises et l'invita à la rejoindre, un gobelet d'étain déjà à la main.


Alors Concèze, à quoi occupez-vous vos journées de pieuse damoiselle ? Vous vous piquez de vous intéresser à la politique ou bien sont-ce lectures et studieux apprentissages ? Ou tout simplement broderies, discussions d'écervelée et chasse au meilleur parti ?

Questions appuyées d'un regard espiègle et d'un demi-sourire moqueur jusqu'à ce qu'Agnès lève son gobelet, accompagnant son toast muet d'un clin d'oeil avant d'enfin tremper ses lèvres dans le vin épicé.



[*là où s'élèvera un peu plus d'un siècle plus tard l'Hostellerie de la Tour d'Argent.]
Aleanore
Et on louvoie, si, si, regardez bien, ça louvoie de-ci et de-là dans les rues de Paris-la-vilaine. – vous avez compris que votre humble servante va se faire une joie de dénicher tous les épithètes possibles pour caractériser notre Capitale – et Aléanore de suivre, accrochée au bras de la Vicomtesse, sourire extasié aux lèvres, ravie de voir du mouvement enfin dans son escale à Paris-la-gueuse, paquet toujours sous le bras, l’Etincelle limousine de regarder à droite et à gauche, provinciale qu’on pourrait aisément perdre dans les ruelles, mais qui étonnamment, voue une confiance absolue à cette jeune femme qui l’entraine sans hésitation et la convie à sa table. Table qui se trouve dans une auberge où un aubergiste les reçoit, servilement, lippe boudeuse de la jeune fille qui considère que l’aubergiste aurait bien pu se piquer d’une petite inclinaison du torse, on ne reçoit pas tous les jours des dames de qualité que diable. Comment ça, la vicomtesse n’a pas dit « s’il te plait » et alors ? Qu’est-ce qu’on s’en moque, il devrait déjà être content de les recevoir en ses murs, bougre d’andouille..

Et c’est sur cette conclusion digne de son intrépide blondinet préféré que l’Etincelle grimpe les échelons menant à la chambre de la Bapaume où elle se dirige vers la fenêtre. Bah oui, la vicomtesse lui a parlé de la vue, alors forcément, elle va voir la vue, logique non ? Faites pas vos blondes.. Et horreur de l’Etincelle quand elle constate que la vue n’est autre qu’un amas de pierres grises, dieu que Paris-la-mélancolique est triste, constat affligeant pour l’Alterac, Paris est moche. Si, si, c’est carrément affligeant, Paris, capitale du Royaume de France, là où vit le Roy, c’est moche, c’est même très laid. Et pour le coup, l’hypocras est le bienvenu, et donc sans plus de manières, la jeune fille attrape le gobelet d’étain à pleine main et se le vide dans le gosier avant d’expirer un grand coup sous l’effet de l’alcool, plus habituée à sa framboise moins sucrée.


-« Par Saint Côme que c’est bon.. »

Et la langue pointue de glisser sur les lèvres framboises pour y récupérer les dernières traces d’hypocras, avant de détacher la fibule qui tient sa mante et de poser le tout sur le fauteuil et de s’y laisser tomber sans manière. Là, tout l’intérêt d’être entre nobles, c’est que quand il n’est pas question d’affaires concernant un éventuel mariage ou des terres, on peut bien se laisser aller, parce que les deux partis n’iront jamais répéter ce qui s’est passé dans l’intimité d’une chambre d’auberge, accord tacite chez les habitués de la bienséance. Etiquette aux oubliettes, le gobelet est de nouveau rempli, un doigt pas plus, et répondant à la voix rauque qui roule de l’Artésienne – à mort les Ch’tis ! – ce sont les échos chantants du limousin qui glissent moqueurs, dans la chambre parisienne.

-« Mes journées sont occupées de la plus honorable façon qui soit Vicomtesse, point d’excessives périodes de prières, l’hypocrisie ne marche pas avec le Très-Haut, demandez donc aux Comtois, ils s’y tentent toujours et échouent chaque jour. Quant à la politique, elle ne m’intéresse que de loin, savoir de quoi il retourne dans mon Limousin, mais aussi, en Anjou où je séjourne, et en général, l’intérêt du Royaume ne me laisse pas indifférente, mais quant à me mêler de choses qui dépassent le commun et même certains intéressés, je laisse les gens hauts-placés s’en charger. »

Oui, il y a de la moquerie dans la voix de l’Etincelle qui se gausse de voir comme il est simple de se taire, d’observer et d’écouter, puis de constater les bienfondés de la religion qui la poussent à aimer son prochain comme elle-même, car heureusement qu’elle s’aime fort, sinon le prochain n’aurait le droit qu’à un coup de couteau en lieu et place du sourire sarcastique qu’elle offre au commun, chaque jour que Dieu fait.

-« En somme, oui, Vicomtesse, il pourrait être question de broderie en ce qui concerne mes occupations, si ce n’est qu’au lieu de broder, je suis venue en notre .. » Dieu que le mot a du mal à passer, et elle le crache comme une insanité « belle capitale pour chercher des pièces de tissus pour broder justement. Puis d’autres affaires sans importance mais que je ne pouvais laisser à la charge d’un simple domestique. Et vous-même ? » Les noisettes glissent sur l’alliance à la main de la Saint-Just, avant de reprendre avec un sourire d’innocence.« Venez-vous rejoindre votre époux ? » Sourire d’autant plus innocent qu’il est fort bien joué, puisque si c’était le cas, elle ne logerait pas à l’auberge, un amant ? Dieu que l’on s’ennuie à Paris et les potins sont bien meilleurs à se mettre sous la dent que la pitance même bonne de l’aubergiste. Et les lèvres d’engloutir une gorgée de plus d’hypocras, colorant ainsi les joues pâles de la jeune fille, clin d’œil rendu avant de sourire franchement, à vrai dire, elle s’en moque pas mal. « Ce n’est pas mauvais votre.. truc, presque aussi bon que la Framboise ! » Si ça, c’est pas un compliment ! Et vas y que le minois disparaît de nouveau dans le gobelet.
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La Rançon du Succès d'une Pouffy-girl
Gnia
Oh un plat ! Si je mettais les pieds dedans ?

Si l'action conjuguée d'une cruche d'hypocras qui se vide vitesse grand V et du ton léger du babillage de l'Alterac avait durablement installé une moue goguenarde sur le visage de la Saint Just et une lueur pétillante de malice dans son regard, la dernière question avait soudainement troublé l'agréable et trop rare tableau d'une Agnès souriante, voire détendue.
Un voile sombre passe sur ses yeux, tandis que le gobelet d'étain à nouveau rempli et porté à ses lèvres lui permet de masquer un instant ce dur rappel à la réalité. En fait, il ne masque rien du tout le gobelet. Il est surtout vidé d'un trait et posé d'une main tremblante avant qu'Agnès, fixant l'âtre, ne daigne répondre.


Je suis à Paris pour venir m'exprimer au Conseil des Grand Feudataires. Je suis l'actuelle régnante en Béarn...

La fin de la tirade est ponctuée d'un reniflement de mépris. Le pouce vient nerveusement jouer avec le lourd anneau d'or qui orne sa main droite avant qu'elle ne se décide à continuer d'une voix sourde.

Je ne sais si vous avez suivi l'actualité béarnaise ces derniers mois, mais nous avons été attaqué par Genève, ses reîtres et ses troupes de mercenaires...
Mon époux est tombé sous les remparts de Tarbes. Et moi, j'y ai gagné cette magnifique estafilade...
A peine mariée et déjà veuve...


Elle tourne enfin la tête vers son invitée, un petit sourire triste flottant sur les lèvres. L'hypocras est à nouveau versé, un soupir ténu quand elle constate que la cruche est déjà presque vide. Il est plus que temps de songer à la remplacer par une jumelle bien pleine, elle. Aussitôt dit, aussitôt commandé. Et quand enfin, le grouillot chargé d'apporter à ces nobles dames de quoi passablement les enivrer quitte la pièce, la Saint Just reprend

J'occupe donc mes journées à la politique, ses saines relations et ses solides amitiés que l'on y noue, ses paisibles discussions de salon, ses franches gratifications, ses vénéneux complots et autres insignifiantes nuisances. Univers aussi charmant et agréable qu'un panier de couleuvres dans lequel j'évolue en me piquant d'y être vipère.

L'image lui arrache un ricanement sardonique. Aaah, ces jeux de politique qu'elle méprise tout en les adorant. Enlevez lui le frisson du pouvoir à la Saint Just et vous lui retirez tout ce qui l'anime. Pas tant le pouvoir en fait, mais surtout ce qu'il faut pour y parvenir. Le chemin est nettement plus excitant que le but.


Le reste du temps, je fuis...

Et d'appuyer la dernière phrase lâchée dans un soupir par une nouvelle lampée d'alcool.
Aleanore
Un regard qui dure et perdure, le nez dans l’hypocras, les buches que les flammes agacent, et la voix rauque dans la vicomtesse qui résonne dans son esprit, lâchant les informations au compte-goutte, comme on distille l’eau-de-vie ou le poison, et ces informations sont l’une comme l’autre. Elle se trouve en face de la régnante du Béarn, un instant, un sourire, combien pour sa libération, combien de rançon, un moment, un sourire, idée bien peu digne d’une noble, digne de sa mère, mère qui n’a même pas intéressé la jeune femme en face d’elle, à croire qu’elle ne la connaît pas, et soudain, se trouver là, à ses côtés, lui semble encore plus agréable qu’auparavant car c’est Aléanore qui est dans la chambre et non pas la fille de la Pair de France, Marie Alice Alterac, verre resservi, le sien, puis celui de la vicomtesse qui parle, lui narre les évènements qu’elle a suivi à l’époque de Comté Franc de la Bourgogne, de la Suisse, du pays des Edelweiss parsemant à présent la chevelure d’un petit chaperon rouge bourguignon.

Oh le joli plat ! Paf ! Ah bah oui, on a dit étincelle, pas lumière, il ne faut pas trop lui en demander. Croyez-vous qu’elle se sente gênée par sa bourde magistrale ? Pas le moins du monde, allons, nous parlons d’Aléanore Jagellon Alterac, qui au final, se fout bien de savoir qui est mort au Béarn, et à bien y réfléchir, se fout bien de tout. Le minois se plante au dessus du verre qui a déjà été rempli plus que son comptant, mais les bonnes choses ont une fin, n’est ce pas ? Alors il faut finir la cruche qui est.. vide et remplacée, à la bonne heure. Donc ! Les bonnes choses ont une fin, et il faut la finir, cette bonne chose qu’est l’hypocras, alors, c’est parti, finissons la ! Et d’une oreille, elle suit ce que la Saint-Just raconte à propos de la politique. Conclusion faite par l’Etincelle avinée ? La politique est un truc d’hypocrite et de sournois. Parfait ! C’est quand qu’on commence ? Et alors qu’elle repose la tête en arrière dans le fauteuil, la dernière phrase de la Bapaume la fait sourire doucement.

Oui, doucement, car si la phrase aurait pu provoquer une impitoyable crise de rire cruelle par une autre, cette vicomtesse-là l’émeut, elle qui pleure un mari, par amour, alors qu’elle se moque de l’amour, et la jeune fille de compter les morts de la famille, les deuils assumés, ceux qui sont cachés, ceux encore perpétrés en silence, dans le silence d’une chambre d’adolescente. La main se glisse jusqu’à l’aumônière plus grande que de coutume dont elle sort une pipe travaillée dans du bois de merisier, une petite boite est sortie aussi d’où elle extrait le chanvre, et enfin, alors qu’elle bourre et allume la pipe, elle se décide à prendre la parole.


-« Nous fuyons tous, reste à savoir si vous voulez partir et ne plus revenir, ou si ce n’est qu’une fugue temporaire. Admettons que je sois une fuyarde aussi, alors, je dirais que je fuis oui, mais avec panache, Vicomtesse. »


Fumée âcre expirée en direction de la Saint-Just, sourire en coin, un panache de fumée dans lequel l’Etincelle s’enveloppe. Seize années d’éducation parfaite et en quelques mois de liberté loin du cocon familial, la jeune fille a découvert comment palier les blessures de son âme. Alcool et drogue comme quotidien, environnement malsain s’il en est, mais la fuite est tellement douce quand elle permet de se réfugier dans l’oubli. L’oubli, amour, amant, ami, et avec un sourire qui s’étire, la jeune fille s’affaisse un peu plus dans le fauteuil, noisettes mi-closes, laissant lentement la drogue faire effet, et alors qu’elle tend la main pour attraper le gobelet, son coude frotte contre le petit paquet, lui arrachant un rire cristallin, qui lui répond en écho dans les limbes du cerveau embrumé. Tout à fait réveillée, l’Alterac se redresse, droite comme un I, puis se penche vers la Saint-Just avant de murmurer en invitation.

-« Vicomtesse, connaissez-vous l’amant de la Fuite, l’Oubli ? »

Pipe tendue, sourcil arqué, sourire en coin lancé à son aînée, osera, osera pas ?
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La Rançon du Succès d'une Pouffy-girl
Gnia
Les yeux mi-clos, visage impassible, Agnès sirote son vin. Sous ses dehors indifférents, l'on pourrait presque croire que le breuvage a fait son effet et que la Saint Just a baissé la garde.
Il n'est pire eau que celle qui dort... Et la Concèze est sur le point d'en avoir démonstration.

Au travers des cils, les prunelles détaillent la damoiselle, ses demi-sourires, sa façon d'arquer le sourcil. Ce à quoi elle s'affaire passe au second plan. Chaque chose en son temps. Le nez se fronce, agacé par l'odeur forte et entêtante, piqué par la fumée épaisse. Finalement le regard se vrille dans celui d'Aléanore et, implacable, dure, la voix rocailleuse gronde.


Alterac, vous commencez doucement à me gonfler avec vos petits airs condescendants.
Vous m'avez surprise dans un instant de faiblesse, certes. Mais je vous conseille vivement de ni vous y fier ni tenter d'en user, si toutefois vous tenez à votre livide petite peau de fille bastarde de Pair de France.


Un sourire mauvais soulève la commissure droite de la bouche. La Saint Just abat ses cartes et dévoile son jeu.

Et oui, mon petit... Vipère... Je vous l'ai dit et ne vous ai pas menti.

Il n'y a aucun panache dans la fuite, Concèze. La fuite, tout comme les larmes, est le dernier exutoire du couard et du lâche. Ne tentez pas de vous voiler la face derrière de vulgaires oripeaux que vous vous plaisez à nommer audace ou honneur. Il n'y a aucune classe à fuir ou à tenter d'oublier.

Cela étant dit, je vous concède qu'il est des défaites plus agréables que des victoires sans honneur.


L'expression du visage se radoucit imperceptiblement, l'éclat sévère du regard laisse place à une lueur cynique.


Souriez Concèze, et aboulez votre herbe à sorcière. Vous allez avoir une occasion de vous moquer...


Agnès se saisit de la pipe tendue. Petite hésitation avant d'en porter l'extrémité aux lèvres. La dernière fois qu'elle s'est avisée de vouloir goûter à un truc qui fume et qui s'inhale lui a laissé un désagréable souvenir. Inspiration précautionneuse, elle retient un instant sa respiration et la fumée dans la bouche avant d'oser la respirer.
Et fatalement... la quinte de toux.
Regard noir à Aléanore, histoire de tuer dans l'oeuf toute envie de se gausser d'elle. La gorge que l'on rince d'une grande lampée d'hypocras et nouvel essai ponctué d'une grimace.
Tout n'étant finalement qu'une question de précision, de mesure et de technique, elle finit par parvenir à exhaler la fumée autrement qu'en s'étouffant.
Quelques tentatives plus ou moins réussies plus tard et écartant d'un geste absolument inutile le nuage de fumée qui s'interpose entre elle et la damoiselle, elle lui rend la pipe.


Alterac, c'est dégueulasse vot'machin. Un goût de terre parfaitement immonde. On aurait rêvé mieux pour parvenir à se blottir dans les bras de l'Oubli...
Le vin a au moins l'avantage d'être agréable au palais...


D'ailleurs, en parlant de vin... Il serait pas déjà vide ce gobelet des fois ?
Aleanore
Les mots ne font rien, ne sont rien quand la torpeur survient et que l’Alterac oublie jusqu’à l’amour-propre qui pourrait la contraindre à répliquer après l’injure de l’artésienne, mais c’est un sourire sans joie qui coule sur les lèvres à peine peintes de la jeune fille, qui pourrait répliquer ô combien de remarques acerbes destinées à faire chavirer le cœur de la vicomtesse, et pourtant sans animosité, elle répond.

-« Quand bien même suis-je bâtarde, au moins suis-je noble, vous n’êtes après tout qu’une souillon à qui on a cédé des terres, pour un travail mérité, soit, mais une souillon, et qu’importe à vrai dire, oui qu’importe .. »

La tête vacillante de la jeune fille oscille et se pose sur le dossier du fauteuil, observant sans les voir vraiment, les flammes dans l’âtre.

-« Peu importe, souillon, bâtard, ou noble de sang-pur, nous ne sommes tous que des pourritures d’humains sans scrupule, tuant sans manière, comme les pires des porcs. »


Plus que toutes les morts qu’elle a causé, que toutes les pertes humaines jalonnant son court parcours d’adolescente, c’est la perte de son frère jumeau qui la ronge, qui l’oppresse, persuadée d’être la cause de la mort d’Artur. Si beau, si fort, ce frère qui n’est plus, persuadée d’être celle qui aurait du mourir, céder cette place à cet être qui aurait eu tôt fait de faire taire l’impudente vicomtesse. Dis lui Arthur que tout bâtards que nous sommes..

-« Dis lui, toi qui n’est plus, que nous aurions été plus fort à deux, que nous sommes l’engeance d’un comte et d’un pair de France, enfants adoptifs d’un vicomte, dis lui que nous sommes ceux qui auraient prouvé à tous que les fruits illégitimes sont meilleurs que les fruits ravagés de la consanguinité. Que n’es-tu présent, que ne t’ai-je cédé ma place pour que tu sois le plus fort, je faiblis Arthur, et la force me quitte là, où elle me devient nécessaire, je ne suis plus rien, là, où tu aurais été tout. Et déjà, tu me quittes et m’oublies, frère ingrat.. Arthur. »

Le verre d’hypocras est jeté avec violence dans les flammes qui n’en demandent pas tant, et c’est une gerbe d’étincelles brûlantes qui lui répond. Une bouffée de la pipe récupérée est aspirée, apaisant provisoirement l’âme torturée de l’Etincelle qui n’a même pas prêté attention à l’essai misérable de la Bapaume. Et enfin, le peu de contenance accordée par l’alcool et la drogue et la phrase jetée par l’artésienne ont raison du silence de la jeune fille.


-« Je suis celle que vous croyez, Agnès. Lâche, futile, superficielle, hautaine, mesquine, des fois, idiote, souvent. Je suis la belle écervelée qu’ils s’accordent tous à voir. Et je fuis, toute lâche que je suis, je fuis parce que je n’ai pas trouvé dans la vie, ce qui me permettrait de l’aimer. Et ne croyez pas, naïvement que les hommes meurent pour l’honneur, ils meurent d’amour, de ce trop plein de sentiments qui nous rend faibles. L’honneur n’a rien de transcendant ou alors, je n’ai jamais rien compris, et Dieu m’en garde... »

Car oui, tu n’as finalement rien compris Aléanore, toi qui n’a même pas compris, que si les roses ont des épines, ce n’est que pour se défendre et pas pour attaquer, et toi, tu griffes sauvagement tout ce qui frôle tes buissons. Et tu fuis avec panache, dans tes panaches, baignée dans l’alcool, rongée par la drogue, parce que tu n’oses même pas faire face à une réalité qui te dépasse. Trop lâche pour en finir avec la vie pour de bon, oui, trop lâche, sinon, elle l’aurait fait dans sa cellule au couvent en apprenant la mort d’Arthur, la lame de Jules à Limoges aurait pu s’en charger, elle aurait pu se jeter dans l’Armançon en regardant son valet secourir Cassian. Pourquoi n’avoir pas mis fin à ses jours dans le bouge de Mâcon, combien de fois a-t-elle pensé à dépasser la dose d’opium salutaire, et les veines qu’elle aurait pu trancher, les comas éthyliques qui auraient pu conduire à la fin. Aléanore est bien trop lâche, et elle en a conscience, mais les larmes ne viennent pas, ne viennent plus, et son cœur se resserre, fleur fanée qu’on n’a pas arrosé et qu’elle arrose à coup d’eau-de-vie, qu’elle endort à coup d’opium. Et le petit paquet à ses côtés, se retrouve sur ses genoux, puis déballé, elle extrait de son emballage sommaire, la petite barrette de pâte brunâtre qu’elle effrite lentement avant d’en avaler une petite portion. Imperceptible murmure alors qu’un sourire extatique s’étale sur le visage trop pâle de la poupée.

-« Fuyons, voulez-vous ? »

L’habitude, les gestes mécaniques lui font repousser le paquet pour le pousser sur la table avant de se lover dans le fauteuil, en regardant la Saint-Just sans mot dire, gagnée par l’Oubli à petite dose. Aléanore ne dort pas, elle songe, mais d’un songe ouaté qui lui arrache un rire sans raison, si ce n’est le soulagement de ne plus rien ressentir de douloureux.
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Gnia
Goût de terre parfaitement immonde ou pas, force est de constater qu'une certaine léthargie étreignait doucement mais sûrement la Saint Just. Puis à tenter avec plus ou moins de réussite de tirer sur la pipe d'herbe, elle avait largement dépassé la posologie des débutants, l'artésienne.
Et il y avait le vin aussi. Depuis qu'elle avait fait l'acquisition d'un ouvrage rare ramené d'Orient, Agnès ne se lassait plus de lire et relire les quatrains d'un mathématicien poète et ses apologies du vin.
"Veux-tu que ta vie repose sur une voie solide ?
Veux-tu vivre affranchi de tout chagrin ?
Ne demeure pas un instant sans boire du vin."*

Proprement scandaleux, mais tellement bon.

Ramassée dans son fauteuil, Agnès avait ramené les genoux sous le menton, un bras les enserrant, l'autre laissée libre pour saisir le gobelet d'étain qui à l'inverse du tonneau des Danaïdes restait toujours plein. Les yeux plissés, l'esprit en vagabondage, les paroles d'Aléanore finissent par atteindre leur destination, aidées par le fracas du verre balancé par la gamine, métal qui rebondit sur les pierres de l'âtre puis sur le plancher.
"- Allo Houston ?
- ... Ouais... c'est pour quoi ?
- Bordel, ça fait une plombe qu'on essaie de vous joindre ! On a un problème !"

Ah vi effectivement... On a un problème... On a une furieuse envie de dégobiller déjà...
Un profond soupir permet le rassemblement des neurones en goguette, une lampée de vin de préparer la langue, mais reste que c'est une voix pâteuse, hésitante qui répond à l'Etincelle.


Aléanore, la souillon, elle est vicomtesse, j'vous rappelle et elle vous... Ouais... si, si... Elle vous emmerde... C'est exactement ça.


Bon, le sursaut d'orgueil, c'est bon, c'est fait. Y'avait quoi d'autre ?
Ah oui, voilà, mourir d'amour.
Et ce qui devait arriver arriva, la Bapaume pouffa. Nan mais quelle idée saugrenue.


Dites Alterac, déjà que j'ai la nausée, mais si en plus vous sous-entendez que l'on puisse mourir d'amour, j'vais vraiment finir par vider les tripes sur le tapis.
Parce que vous savez ce qu'est l'amour, vous ? Moi, j'ai pas encore trouvé.
Et j'en ai donc déduit que j'étais incapable d'aimer. Ce qui, si je vous suis, est une excellente nouvelle. Cela me confère l'assurance de la vie éternelle, non ?


L'idée lui arrache un ricanement nerveux que fait cesser la nouvelle activité de sa brune compagne d'oubli qu'elle observe avec toute l'attention que lui permet son état à travers les fentes qui lui servent désormais d'yeux.
Thériaque. Le contre-poison prisé des apothicaires et des médicastre.
Consistance de pâte qui a durci, odeur et aspect conférés par la réglisse. Le verdict tombe, sans appel, après qu'Agnès se soit saisie du minuscule paquet laissé sur la table.


« Fuyons, voulez-vous ? »

Suave appel, comment te résister ?
Finalement le "comment" n'est plus vraiment d'actualité, c'est le "à quoi bon" qui l'emporte, et haut la main.
Deux ongles s'enfoncent dans la mixture solide, en détachent un infime morceau que les doigts portent à sa bouche. Menton en appui sur les genoux, Agnès laisse un instant la boule de thériaque fondre sous la langue avant de l'avaler.

Le temps poursuit une course qui lui est propre et n'a aucune prise dans cette chambrée d'auberge parisienne où fuguent de concert deux écorchées. Un calme artificiel plane dans la pièce, une sérénité fabriquée de toutes pièces, ponctuée des craquements du bois dans l'âtre et parfois d'un soupir apaisé, d'un gloussement, d'un murmure.



[*Omar Kayyâm]
Aleanore
Que reste-t-il de nos soirées d’ivresse, de nos soirées de débauche, la dépravation ronge l’âme de ses enfants, les nuits folles, les nuits de tous les excès, et les soirées parisiennes où l’on se découvre neuf et vivant, vivant contre toute attente, bouffé par les limites qu’on a dépassé, dévoré par la rage de mordre la vie à pleines dents pour lui faire payer le prix de ce qu’elle nous offre à contre cœur. Entre commérages contre les grands du Royaume et les petits aussi, entre gloussements étouffés et rires à gorges déployées, parce que ça fait du bien de dire du mal, pour se venger de tout celui dont on a souffert, parce que l’alcool aide et que la drogue pousse à aller plus loin, à ne pas se limiter aux petits riens, parce que ces soirées là où on découvre les gens, où on se découvre sont les prémices de beaucoup et de rien, mais qu’il n’y a rien de meilleur que les souvenirs qu’elles laissent..

Alors le souvenir vient avec le jour qui se lève sur Paris la débauchée, souvenir aidé en cela par l’odeur immonde qui vient chatouiller le nez de l’Etincelle et lui soulever l’estomac, sûrement comme c’est arrivé à la vicomtesse en plein milieu de la nuit. Souvenir d’une nuit d’ivresse au Couvent des Carmes, où elle côtoyait des femmes de tout âge, toute extraction et toute origine, souvenir de cette nuit qu’elle avait passé avec une italienne et une espagnole, et les mots de la Sœur Maria Dolores lui reviennent en mémoire au moment où Aléanore se redresse péniblement pour analyser la situation.


-« Me duele la cabeza. »


Situation à analyser, c’est vrai, la main se porte légère sur la tempe avant d’ouvrir les yeux pour de bon. Elles sont sur le lit, et le bras de la vicomtesse repose sur son ventre, tandis que l’autre pend dans le vide au dessus de la carafe d’où s’échappe un filet d’hypocras qui achève de tâcher le plancher de la chambre d’auberge, les vêtements, un tant soit peu ordonnées, comprenez qu’elles les ont tous, ce qui est un bon début. On ne peut pas être alcoolique, droguée et libertine, on ne peut pas, enfin, dans l’esprit de la jeune fille, on ne peut pas. Pas encore, Aléanore.. Et la tête se laisse retomber sur l’oreiller, avant que le corps ne suive, puis se tourne sur le côté, secouant doucement l’épaule d’Agnès, main de la vicomtesse empoignée, sourire comateux sur les lèvres de l’Etincelle tandis que sa collègue de beuverie émerge difficilement. Murmure pâteux qui glisse et ricoche contre les murs de la chambre, résonnant aussi dans le cerveau encombré de la jeune fille.


-« On reprend de zéro, Aléanore, enchantée de te connaître. »


Voilà, ça c’est fait. Et le corps frêle de se pelotonner contre celui plus rempli à ses côtés, avant de replonger dans le sommeil du juste tandis que dehors, les cloches de Notre-Dame égrainent leurs coups, sexte sonne et dans une chambre d’auberge, deux nobles reprennent leur nuit où elles l’ont laissées, replongeant dans les songes que leurs amis de la nuit leur ont offert.

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