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[RP] Les chats de la comtesse

--Magdelon


***Le Béarn enfin... la jeune femme partie depuis des mois de son pays natal était heureuse de rentrer.
Cela se ressentait, elle allongeait le pas depuis deux jours au grand dam du vieux ronchon qui les accompagnaient elle et sa maîtresse.
D'ailleurs elle se demandait bien pourquoi cette dernière s'était entichée de ce vieil ivrogne, celui-ci semblait lui vouer un amour et une dévotion sans faille. Il passait le plus clair de son temps à parler tout seul répétant sans cesse. « maître j'avions r'trouvé la p'tiote » ou à se plaindre de tout.
Sa maîtresse allait même jusqu'à lui laisser sa monture et marcher. Une femme de son rang... Magdelon n'en revenait pas.

Ils avaient passé la ville d'Orthez, Magdelon avait joué au guide en expliquant l'histoire du Pont Vieux enjambant le Gave, celui-ci ayant fortement impressionné sa maîtresse.

Bientôt le long ruban menant à la ville de Pau se déroulait devant eux, ils traversèrent quelques villages pour faire une brève halte à Lescar en milieu de journée.
Magdelon aurait aimé aller rendre visite à une amie mais sa maîtresse avait tout juste bu quelques gorgées d'eau et était visiblement pressée d'arriver.

L'après-midi se passa tout aussi tranquillement, avec pour seul incident le pas de côté de l'ânesse qui avait répondu à un énième coup du vieux fou.
Elle surveillait discrètement sa maîtresse, son manque d'appétit n'étant pas fait pour la rassurer. Heureusement ils arrivèrent finalement aux portes de la capitale sans encombres.
Après s'être pliés aux formalités administratives et empêchées leur belliqueux compagnon de rosser le maréchal qui les avait accueillit, le petit groupe se dirigea droit vers le château.

Un coup d'œil sévère au vieux crouton pour le faire tenir à sa place, et Magdelon s'approcha du garde à l'entrée. Elle discuta avec lui à voix basse quelques instants et lui remit ce qui pourrait ressembler à un mouchoir.
Il les regarda, jaugeant cet étrange trio, un vieillard , une frêle silhouette avec un âne pour monture et la jeune femme qui l'avait interpellé, une simple servante.
Devant la rigueur de leurs atours, celui-ci hésita mais l'insistance de la jeune femme le fit céder, il les fit attendre le temps de se renseigner.
***
Gnia
--Magdelon a écrit:

***Un mouchoir est apporté à la comtesse, celui-ci porte pour broderie une fleur de lys, flétrie...
Le garde précise que le propriétaire du mouchoir souhaite avoir une entrevue avec la comtesse et qu'elle attend devant les portes du château.
***


Le soleil timide de cette fin de journée d'hiver baignait le bureau de la Comtessa. A la faveur de cette lumière que l'on avait attendu durant toute la mauvaise saison, Agnès tentait de mettre de l'ordre dans les affaires du conseil avant la fin des élections.
La tâche s'avérait ardue. L'on retrouvait souvent une certaine apathie des dirigeants à la fin de leur mandat, mais elle avait l'impression que chez elle, à chaque fois, la dernière semaine de mandat était synonyme de profond abattement. En Artois comme en Béarn, entrer dans les salles du conseil durant ces derniers jours s'apparentait à un véritable tour de force.

Le front barré d'un pli soucieux, penchée sur sa table de travail, elle faisait crisser la plume sur le parchemin, couchant d'un main nerveuse des lignes et des lignes d'une écriture déliée. Il fallait que l'encre trace les idées aussi vite qu'elles lui venaient, avant qu'elles ne s'évaporent, chassées par de nouvelles pensées.
Aussi elle ne leva même pas le chef lorsque le capitaine de la garde demanda à entrer et lui expliqua le but de sa visite.

Un claquement de langue agacé accompagna le point à la fin d'une phrase et enfin elle daigna prêter attention au bavardage du garde et se saisit du mouchoir, la mine perplexe. Qu'est ce que c'était encore que c't'histoire ?

Agnès déplia le morceau d'étoffe et en découvrit le motif brodé. Le sourcil s'arqua, interrogatif. Instinctivement, la main vint toucher le bas de la joue droite et pincer la fine cicatrice qui courait le long de la mâchoire avant de dévaler le cou, le traversant jusqu'à la clavicule gauche.
Le lys flétri... La marque des félons... Le coeur eut un raté. Le regard se perdit dans le vague un instant, s'animant d'une lueur d'incrédulité.
Se pourrait-il ? Souvenirs d'une autre vie, d'un adieu difficile sur une route de campagne qui menait à Paris, à un jugement sommaire et à une mort assurée, d'une disparition...

En proie à une vive agitation qu'elle tentait de masquer tant bien que mal, Agnès demanda d'une voix où perçait un léger tremblement à ce qu'on lui décrive la personne qui demandait entrevue. L'éclat de l'oeil trahissait une certaine impatience à voir sa curiosité satisfaite, la Saint Just était aux aguets.


Ben... Sont trois, Vot' Grandeur. Y'a une fille, une servante qu'a l'air du pays... Un vieux fou plein de barbe blanche avec un gros bâton de marche que j'comprends pas la moitié de ce qu'il raconte. L'a un accent un peu comme vous, sauf vot'respect...
Et puis, une dame sur une mule, tellement blanche et maigre qu'on dirait un fantôme...


Agnès ferma les yeux un instant, déglutissant avec peine, la mâchoire agitée d'un léger tremblement. Un flot de souvenirs tentait de remonter à la surface et menaçait de soulever un couvercle que l'on avait voulu soigneusement hermétique. Ce ne pouvait pas être elle...
Un profond soupir, puis les paupières découvrirent à nouveau le regard implacable d'Agnès de Saint Just, Comtessa du Béarn, sur qui tout glisse sans jamais vraiment l'atteindre. C'est c'la, oui... On essaie d'y croire... On s'en persuade, c'est vital.


Nous allons recevoir la dame. Dans nos appartements. Faites en sorte d'être discret. Vous la mènerez à nous après vous être assuré que ses gens reçoivent bon accueil.

Le capitaine de la garde exécuta un salut sommaire avant de quitter le bureau refermant derrière lui les lourdes portes. A l'instant où elle fut seule, Agnès pressa ses mains sur son visage, vaine tentative d'essuyer de ses paumes toute trace d'un mauvais rêve. Dernière hésitation avant de se lever de son siège, de quitter la pièce et de traverser les couloirs du castèth jusqu'à ses appartements.
Là, dans la chaleur dispensée par l'imposante cheminée, dans l'intimité de l'ultime recoin où il est permis de n'être que soi et non la régnante du Béarn, le premier geste sera de se diriger vers le guéridon qui supporte toujours une carafe de vin et de se verser un verre. Qui sera bu d'un trait. Puis un autre qui l'accompagnera jusque devant l'âtre, où Agnès, plongée des années en arrière, fixera d'un regard absent les lueurs dansantes des flammes.

"Laissons le passé être le passé" avait écrit Homère. Et que faire quand justement le passé ne se laissait pas dompter et refusait obstinément de rester enfermé ?

_________________
--Magdelon


***Magdelon rejoignit ses compagnons de voyage, le vieux Charles bougonnait, ne comprenant visiblement pas que l'on ose laisser sa p'tiote dehors. Elle lui prit sa canne des mains afin de s'assurer qu'il n'irait pas forcer le passage à coup de bâton comme il en était capable, ce vieux fou.
Un regard de leur maîtresse et celui-ci se calma, bougonnant dans sa barbe.

Heureusement, quelques minutes plus tard, le garde revint, accompagné de son capitaine, celui-ci leur fit signe d'entrer, puis s'approchant de la maîtresse l'aida à descendre de sa monture avec douceur.
Il est vrai qu'elle avait l'air si fragile...et pourtant il n'en était rien, Magdelon s'en était bien rendu compte.

Cela faisait maintenant 2 mois qu'elle était entrée à son service et elle était chaque jour surprise. Le désespoir, la tristesse qui l'habitait, si profond que l'on pourrait s'y noyer côtoyait une volonté farouche.
Solitaire, elle parlait peu, d'un naturel plutôt réservée.
Mais parfois elle s'animait et la passion enflammait ses paroles dès que l'on parlait de son pays.
Magdelon aurait bien aimé connaître le passé de sa maîtresse mais elle restait discrète allant jusqu'à garder son nom secret.
Elle avait essayé de parler avec le vieux grigou qui les accompagnait, et dans le flot de parole inintelligibles de ce dernier elle avait cru comprendre qu'il l'avait élevé et était responsable d'elle devant...Dieu sait qui, impossible de comprendre clairement.

Tant dis que sa maîtresse était conduite auprès de la comtesse, elle et le vieux crouton étaient menés aux cuisines où l'on leur servirait un bon repas.
Un instant sa maîtresse s'arrêta, elle glissa quelques mots à l'oreille de l'homme qui prenait les rennes de son ânesse, Magdelon sourit, cette scène elle l'avait tant vécu.
A chaque halte, sa maîtresse s'inquiétait avant tout du confort du vieil animal.
***
Niria
***Le garde leur avait demandé d'attendre, quelques minutes, une éternité pour les impatients, sans doute les plus longues depuis des mois.

Cela faisait bientôt 2 ans....que de choses avaient changé, en bien mais aussi en mal. Le choix avait été dur, elle qui ne voulait qu'une chose, retourner en son pays, sa terre natal, son Artois, reçut rudement la claque de la réalité.
Beaucoup de choses avaient changé oui...et son Artois plus en mal qu'en bien...nombre de ses amis avaient désertés leur patrie, préférant s'expatrier plutôt que d'être hué et insulté à chaque coin de rue.

Elle avait songé y retourner, avoir une explication avec son brigand de neveu et ses amis mais c'était peine perdue. Elle avait mis du temps à l'accepter et ceci fait elle avait prit le chemin du sud, sans un regard en arrière.

A présent, le château de Pau se dressait devant elle, la route avait été longue mais sans encombre. Descendre vers le sud aux premiers beaux jours fut des plus agréable, les premières perce-neige ayant laissé place aux crocus et autres renoncules qui faisaient une timide apparition.
Le voyage s'effectua dans un esprit champêtre surtout avec ce bon vieux Charles, toujours là pour elle, qui s'extasiait et saluait chaque fleur et chaque arbre remarquable qu'ils croisaient. Cela divertit agréablement leur long périple.

Enfin le garde réapparut accompagné de son capitaine qui eu la délicatesse de l'aider à descendre de Tzarinette. Brave ânesse, elle méritait d'être traité comme le meilleur des étalon et ceci la jeune femme s'en assura, glissant discrètement un écu dans la main du palefrenier qui s'en chargeait et lui en promettant un autre à son départ.

Niria prit le bras que lui tendait le capitaine et se laissa guider, celui-ci lui indiqua qu'il se rendait directement dans les appartements de la comtessa.

Comtessa... Niria aurait sourit si elle en avait le cœur, enfin Gnia était à sa place, elle se souvint de cette timide jeune fille au regard intelligent qui avait un jour poussé la porte de la taverne municipale d'Arras.
Cette jeune fille qui n'osait même songer à rejoindre son conseil municipal, cette jeune femme qui l'avait suivit jusqu'au conseil comtal se révélant être un conseiller plus que compétent, toujours présent, toujours là pour l'épauler. Sa filleule mais avant tout son amie, sa sœur, celle avec qui les mots n'avaient pas lieu d'être, un simple regard et elles se comprenaient, toujours d'accord, se complétant, soutien infaillible l'une pour l'autre...

Au fur et à mesure qu'ils marchaient, elle allongeait le pas sans s'en rendre compte.
Le cœur battant, elle sentit l'impatience la gagner, ses yeux devenaient humides, ses mains fébriles. Mais elle se reprit, se força à respirer lentement et afficha de nouveau un visage serein où aucun sentiment ne transparaissait, le visage de Niria de Ponthieu, ancienne comtesse d'Artois.

Bientôt le capitaine s'arrêta devant une porte de bois, cossue et solide. Il frappa, l'ouvrit et la laissa entrer devant lui.

Il lui dit quelques mots qu'elle n'entendit submergée qu'elle était par l'émotion qui s'envahissait tel un raz de marée.

Le masque qu'elle portait fondit comme neige au soleil lorsqu'elle la vit, devant l'âtre. Elle n'avait pas changé. Elle ne put émettre un son, les mots qu'elle avait répété sans cesse depuis son départ avait disparut, impossible de s'en souvenir, elle était comme tétanisée, statue immobile et muette.

Gnia releva la tête et leurs regards se croisèrent, emplit d'émotion.
Soudain, sans savoir comment les deux jeunes femmes se retrouvèrent dans les bras l'une de l'autre, pleurant à chaudes larmes. Niria était incapable de parler, de faire autre chose qu'étreindre sa chère amie.
***
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Dicte félonne par un parjure
Gnia
Si l'on avait frappé avant d'ouvrir, Agnès ne l'avait pas entendu. Son esprit s'était perdu loin.
Il sinuait dans les ruelles d'Arras, paressait dans les travées de l'Eglise Saint Vaast, parcourait la forge familiale, errait dans les appartement de l'Hostel des Ponthieu, dans les salles de la mairie, se perdait au château, il visitait les quais du port de Calais un soir étoilé, il se souvenait la neige et Amiens, Cambrai la sulfureuse, l'abbaye de Tastevin... Tableau idyllique dont la peinture avait été salement écaillée par l'orgueil d'une poignée.
Poignée dont elle avait fait partie.
Niria, comme tu as été chanceuse de ne pas voir ce que nous avons créé dans notre fougue et notre insouciance. Tout à nos rêves d'un passé glorieux retrouvé, nous avons délivré les créatures du Sans Nom et le Très Hauct s'est déchaîné sur l'Artois, le rendant méconnaissable. Et incapables à réparer le mal que nous avons fait, nous avons fui, tête basse et ventre à terre.

L'on été entré dans la pièce. La Saint Just se détourna de l'âtre et leva les yeux sur elle. Un soupir, les paupières qui se ferment un instant, la poitrine qui se libère soudain d'un poids, immense, étouffant. C'est bien elle, Niria de Ponthieu, vivante.

L'instant d'après, une étreinte puissante, à la mesure du lien qui unit nos deux mômes artésiennes. Des larmes. De soulagement ? Peut-être. Le temps se suspend. Quelques secondes ou une éternité.

Enfin, Agnès, les mains posées sur les épaules de Niria, contemple son visage, comme si il était irréel. Un faible sourire se dessine sur ses lèvres.


Niria de Ponthieu, par tous les Saints, où est-ce que vous étiez passée ?

Et de saisir sa main pour l'entraîner dans le moelleux des coussins et fourrures d'une alcôve, de lui faire servir une tisane, évidemment, de faire amener quelques douceurs et sucreries et de faire savoir qu'elle n'y était plus pour personne.

Deux ans à rattraper, c'était long. Une éternité pour les impatients.

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Niria
Une présence amicale, ne plus se cacher, ne plus rester dans l'ombre et taire son nom, Niria sentit un poids énorme quitter ses épaules. Elle était en sécurité, personne ici ne viendrait les déranger. Un havre de paix voilà ce qu'étaient les appartements de la comtessa aux yeux de la jeune femme.
Elle ne prit garde à ce qui l'entourait, se laissant paresseusement guider par Gnia.
Se laisser aller et profiter de ce moment de réconfort voilà ce à quoi elle aspirait.

Elles étaient confortablement installées, quelques sucreries et de la tisane apportées sur un plateau et posées sur le guéridon à côté d'elle. C'était comme si les deux dernières années s'étaient envolées. Comme si elles se retrouvaient à Arras durant l'une de leurs longues discutions qui pouvaient durer des heures et des heures au grand dam de son frère.


Niria de Ponthieu, par tous les Saints, où est-ce que vous étiez passée ?

La question était posée, elle sursauta, pâlit légèrement. Pourtant elle avait prévu plusieurs réponses, sachant que la question viendrait, mais elle s'était comme endormie, ses défenses étaient comme usées, sapées par ce sentiment de sécurité qui l'avait envahit.
Comment lui dire...Son regard se perdit au loin quelques secondes, elle se revit l'espace d'un instant dans cette nuit qui fut sa compagne si longtemps, la peur revint à la charge, elle ne la quittait jamais, elle était toujours là, tapie dans l'ombre, un frisson la parcourue.
Évitant le regard de Gnia Niria lui répondit, évasive, essayant de prendre un ton léger.


Et bien...j'étais là où nous nous sommes quittées, pour passer quelques temps en Bretagne finalement
Êtes-vous allée en Bretagne? Si ce n'était vous j'y serais sans doute restée je crois.
Mais et vous même, que faites vous en Béarn, si loin de notre Artois?


Noyer le poisson, elle n'était guère fière d'elle et sentit le feu gagner lentement ses joues. Attrapant sa tasse, elle fit mine de boire une gorgée afin de retrouver contenance.
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Dicte félonne par un parjure
Varden
[Entre Mauléon et Pau ... Mais pas forcément à Orthez ... Sur des chemins, perdu au coeur de la nuit.]

La nuit avançait. Elle était noire. Noire ... Lançant son cheval à brides abbatues, Varden avait déjà parcouru une bonne partie de la route qui le séparait de Pau. Des milliers de pensées avaient assailli son esprit.

Car, s'il y avait une chose que le jeune Coms avait la chance de posséder, c'était d'être au fait des rumeurs. De toutes les rumeurs. Vous savez ces bruits de couloir qui se répandent telle une trainée de poudre quand on espérerait que rien ne filtre d'une entrevue.

Cette rumeur là n'annonçait pas le retour du Lynx, Iban Etxegorry ...

Cette rumeur là n'annonçait pas la venue d'un quelconque noble Champenois ...

Cette rumeur là était pire que tout ... Elle annonçait une improbable arrivée en Béarn. Par delà Tarbes, la citadelle, ou déjà à Pau, la solitaire, on citait son nom sans crainte aucune, telle une information anodine. Rien de plus qu'une voyageuse égarée ou peut être pas tant que ça.

A l'heure où Agnès était réélue Comtesse, où son chemin à lui l'amenait vers d'autres projets plus modestes, cette rumeur avait trop de raisons d'être vraie pour qu'il y croit. Et pourtant ... Le doute s'insinuait ...

Non ! Non ! Non ! Elle était morte ! Elle était morte et enterrée ! Libérée de son sort comme il se devait être ! Elle n'avait pas pu survivre !

Ralentissant progressivement pour mettre au trot puis finalement arrêter son cheval littéralement à bout de souffle, il descendit de sa monture, lui laissant du repos à loisir. Aucune monture ne pouvait décemment rallier Mauléon à Pau en une nuit et celle ci ne faisait pas exception à la règle. Varden désirait pourtant avancer et il entreprit donc de continuer à pied toujours songeur. Peut être est ce donc la raison qui fit qu'il n'entendit pas son assaillant venir à lui. Aguerri, l'homme devait l'être, rompu à ce genre d'embuscades, il attaqua Varden, à tort sans doute car ce n'était ni le jour, ni l'endroit pour attaquer Varden.

En d'autres temps, peut être, le jeune Coms aurait simplement laissé sa bourse eu égard à la miséricorde qu'on se devait d'accorder à tous. Mais, le nom cité plus tôt, les souvenirs que cela avait ravivé à Varden décuplaient ses forces, sa colère aussi ... Lachant la bride de son cheval, il dégaina son épée et fit face à son assaillant. Se rappelant à ses plus heures de Lame, il mit en déroute l'homme sans toutefois en venir à lui ôter la vie ...

Il n'avait ni le temps ni l'envie de se disperser. Il ne poursuiva pas l'homme et se contenta de ranger son épée dans son fourreau et de reprendre la route.

Il lui restait de la route et même s'il portait peu de foi aux bruits qui traversaient le Béarn, il voulait s'assurer auprès de Gnia que cette rumeur était fausse et aucunement fondée !

Sans bruit, après de longues minutes à marcher, menant par la bride sa monture, il décida de remonter en selle et de repartir au plus vite, toujours en direction de Pau. L'incident de la nuit était déjà effacé, occulté par des pensées plus sombres comme celles d'un passé pas totalement effacé, pas vraiment oublié ...

Et alors que la nuit courrait vers sa fin, il aperçut enfin les remparts de Pau. Pas de gardes pour l'accueillir lui, pas de Capitaine galant pour lui offrir quelque aide à descendre de monture. Non ... Capuche masquant son visage, mantel poussiéreux recouvrant ses armoiries, il entrait par les portes dérobées de la Capitale. Celles qui n'étaient pas gardées de près. Il mena lui même son destrier aux écuries jouxtant les remparts, prit soin du cheval en lui confiant une bonne quantité d'avoine avant de se diriger presque trop froidement vers le Castèth ...

Ce jour, son histoire le rattrapait ... Non, leur histoire, celle de Gnia, celle de Varden ... Tout n'est qu'un éternel recommencement mais il n'avait pas goût à revivre cela. Epée à la ceinture, pas rapides qui claquent sur le parvis Palois, l'heure est au rendez vous.

Innatendu.

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Gnia
Le trouble de Niria à sa question ne lui avait pas échappé. Comment aurait-il pu ?
Soit. Chaque chose viendrait en son temps. Il était des fardeaux plus difficiles à poser à terre que d'autres.
Un petit soupir, la tasse de cet immonde breuvage qu'est la tisane est reposée. Puisque Niria le veut ainsi, c'est elle qui commencera.
Que faisait-elle en Béarn ? Parfois Agnès se posait elle-même la question. Non, à la vérité, souvent, ces derniers temps.


Pour faire court, je suis partie d'un Artois qui n'était plus le nôtre, gangréné par les Bourrins de Cambrai, peu après un amer mandat de comtesse, avec Grégoire et Deedlitt d'Ailhaud, Puylaurens, et quelques autres. Nous sommes partis pour l'Alençon...
Un peu auparavant, voyageant depuis le Béarn jusqu'en Artois, m'avait rejoint Erel, un ancien Amiénois, si vous vous souvenez.
J'ai épousé Erel, il y a près d'un an. Il souhaitait retourner en Béarn qui était son chez lui, bien plus que l'Artois. Je l'ai suivi.
Je lui ai donné d... Une fille, qui porte votre prénom...
Et je suis veuve depuis peu...


Le tout avait été débité d'une voix froide, sans émotion, tel le rapport d'un soldat à son supérieur. Tout cela semblait si pathétique énoncé ainsi. A quoi se résument deux ans si l'on en exclut les joies, les peurs, les chagrins, les échecs et les réussites...

Prise d'une soudaine inspiration, Agnès se leva brusquement. La nuit touchait à sa fin. L'aube allait bientôt pointer. A dire tout sans rien dire, le temps avait passé.
Si l'on continuait ainsi, ni l'une ni l'autre ne parviendrait à se confier, chacune restant sur la défensive, jaugeant l'autre.
Un petit sourire aux lèvres, elle tendit la main à Niria.


Venez, je vais vous montrer quelque chose. Cela expliquera mieux que des mots pourquoi je suis restée en Béarn.

Une cape de laine jetée sur les épaules, la comtesse sortit de ses appartements, entrainant à sa suite la jeune femme dans le dédale du Castèth de Pau. Le garde de faction, après son salut, eut un petit hochement de tête de connivence. Il connaissait les petites habitudes d'Agnès.
Toute à une excitation presqu'enfantine, la Saint Just, torche à la main, parcourait rapidement les couloirs, montait quatre à quatre les marches de pierre. Si quelqu'un les avait vues ou suivies, elle ne s'en serait même pas rendue compte.

Essoufflée, elle parvint enfin au but de cette promenade aux aurores. Le haut de la tour carré du donjon. Son petit coin à elle.
Elle avait toujours eu besoin de s'approprier ainsi un espace, un instant, qui n'était qu'à elle.
A Arras, c'était les heures du coeur de la nuit et le banc du fond à gauche de l'Eglise Saint Vaast.
A Pau, c'était l'aube ou le crépuscule du haut du donjon du castèth.

Regard tourné vers l'Est, un sourire radieux éclaira le visage d'Agnès. Oubliant le froid piquant du matin, elle contemplait l'aurore aux petits doigts boudinés et roses. Le lever du soleil qui teintait de couleurs sanguinolentes la nuit.

D'un mouvement ample du bras, elle embrassa le panorama, les montagnes, le ciel où brillaient encore quelques tardives étoiles.


Lorsque je suis ici, j'ai enfin l'impression d'être libre...
C'est le sentiment que j'ai eu en arrivant en Béarn. J'y avais trouvé un peu de notre chez nous...
Maintenant, je ne le supporte que lorsque je viens ici.

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Niria
Les paroles, quelque peu amères, de Gnia ne firent que confirmer ce qu'elle avait entendu. Sa chère amie n'avait point été épargné ces deux dernières années.
Que de choses se sont passées depuis leur séparation et si peu en même temps. Qui aurait cru que cette revendication, ce besoin de justice, tournerait en fiasco. Certains parlaient de folie, d'acte égoïste, l'avenir leur donna donc raison...un schisme était apparut et beaucoup en avait souffert, plus que de la guerre.
Sa chère amie avait donc essayé de réparer le tord causé...cela expliquait quelques propos vindicatifs entendus à son sujet.
Avait-elle eu raison de la rejoindre en terre béarnaise ou aurait-elle du retourner en Artois...parler aux bourrins...le doute l'assaillait encore et toujours...avait-elle une quelconque chance de réussir...cela elle en doutait. Même elle, qu'ils appelaient Comtesse, envers et contre tous, n'arriverait certainement pas à leur faire entendre raison.

Brusquement, Gnia se leva et lui tendit la main, un sourire mystérieux, une étincelle dans le regard. Cette étincelle qu'elle lui connaissait si bien. Sans aucune hésitation, elle prit la main tendu et suivit son amie.

Elle fut surprise de la voir mettre une cape sur ses épaules, sa fille ne dormait donc point ici. Son étonnement grandit lorsqu'elle la conduisit tout en haut du donjon une torche à la main.


Lorsque je suis ici, j'ai enfin l'impression d'être libre...
C'est le sentiment que j'ai eu en arrivant en Béarn. J'y avais trouvé un peu de notre chez nous...
Maintenant, je ne le supporte que lorsque je viens ici.


Niria admira le soleil qui apparaissait derrière les montagnes, elle avait oublié ces petits plaisirs simples, elle avait oublié tant de chose...

Libre...qui pouvait l'être réellement...c'était pourtant tout ce qui lui restait, un semblant de liberté.
Fermant les yeux, elle revécut les deux dernières années, ouvrant la bouche elle essaya de parler mais seul un son plaintif en sortit. Elle si fière, elle qui avait tenu contre vents et marées, toujours guidée par sa foi, mettant le devoir avant tout, perdit pied. Et cette plainte, ce son ténu accompagna sa chute, elle tombait, elle sombrait mais ne chut point. Se raccrochant à cette fierté, ce devoir inculqué depuis sa plus tendre enfance, ne jamais se laisser aller, mettre ses sentiments de côté - les leçons durement apprises ne lui furent jamais aussi utiles qu'à cet instant – et reprendre pied.

La jeune femme rouvrit les yeux, cela n'avait duré qu'un instant mais elle avait reprit le contrôle. Restait ce nœud au fond de la gorge mais il ne l'empêchait plus de parler. Le regard ailleurs, elle rompit le silence.


J'ai passé ces deux dernières années ballotées à droite et à gauche tel un paquet inutile et encombrant.
Il y a de cela à peine trois mois, les brigands qui m'avaient enlevé furent capturés. Je me suis retrouvée en Bretagne, libre mais perdue.


Elle marqua un temps d'arrêt, ferma à nouveau les yeux, avant de reprendre d'une voix étranglée.

Lui aussi.
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Dicte félonne par un parjure
Gnia
Le regard résolument fixé sur l'horizon, Agnès s'était libéré un instant de ses démons. Libre, c'était cela, oublier. Ne plus être hantée par des images où prédominaient le sang et son avide amante, la terre, ne plus sentir ce gout métallique, cette odeur de brûlé et d'humus, ne plus voir le corps livide de son époux et de ceux morts avant lui, échapper au regard réprobateur d'un nourrisson, ne plus ressentir ce vide angoissant dans la poitrine qui la dévorait, qui ne l'avait jamais quittée depuis ce jour où elle s'était réveillée orpheline. S'échapper.

Et puis, au milieu du silence et des pérégrinations des pensées de deux enfants grandies trop tôt, un imperceptible gémissement. Elle ne détourna pas la tête, il suffisait d'attendre, le reste viendrai et le fardeau quitterai pour un temps les fragiles épaules de Niria.

La voix tremblante asséna un laconique verdict. Tout comme elle l'avait fait auparavant. A quoi se résument deux années...

Agnès se tourna enfin vers son amie, levant sur elle un regard trouble.


Ainsi donc, votre soudaine disparition prend enfin son sens.
Je n'ai jamais vraiment réussi à me persuader que vous étiez morte, pas plus qu'à l'idée que vous vous soyez enfuie et soustraite de plein gré aux questions de la Justice Royale.


Plus tard, peut-être, viendraient les détails et les précisions, autant de questions qui se pressaient tant et si bien qu'elle formaient un amas qui de fait ne parvenait pas à franchir la gorge. Après tout, cela avait-il vraiment d'importance ?
Les lueurs que l'on pouvait lire dans leurs regards suffisaient à comprendre que le temps de l'innocence et de l'insouciance était révolu.


L'on raconte que les chats ont neuf vies. Sommes nous tels ces félins, pensez-vous ?
J'aime à le croire tant j'ai l'impression d'en avoir vécu.
Je ne sais combien de vies nous avons déjà usé , mais j'espère qu'ils nous en reste encore au moins une...


Ses dernières paroles s'étaient échappées tandis qu'elle tâchait de démêler une interrogation qui s'était imposé aux derniers mots de Niria.
Lui. De qui pouvait-elle bien parler ? Avec tant d'émotion dans la voix ?


Lui qui, Niria ?
La seule personne que je connaisse qui puisse provoquer autant de trouble chez vous est bel et bien morte.
Alors qui ?

_________________
Niria
Deux ans s'étaient écoulés mais leur vieille complicité ne s'était point éteinte pour autant. Chacune savait ce que l'autre avait dans le cœur, chacune sachant ce que l'autre pensait, toujours d'accord. Deux sœurs, non de sang mais d'âme.

Comme elle aurait voulu effacer les deux années écoulées. C'était là pensées bien égoïstes, cela elle s'en rendait compte. Les jours heureux étaient loin derrière et impossibles à rattraper.
L'erreur est humaine dit-on mais ses conséquences ne sont pas toujours faciles à assumer ou à prévoir.


La Justice Royale...

Le soleil était à présent bien visible dans le ciel, création du Tout Puissant. Et dire que tant de gens se targuaient de parler en son Nom, d'être Son représentant. Entre ce Roy parjure et parricide et les romains capables des pires atrocités toujours en Son nom, elle avait une bonne idée de ce que serait la justice royale dans son cas.

Vous le savez bien, je ne reviens jamais sur ma parole. Si le traité de la honte était encore d'actualité et ce voyage utile, j'y serais déjà.
Mais je ne suis pas sûre que les bourrins aient besoin de plus d'encouragement.


Le ton était amer mais ferme, finit de apitoyer sur elle même, le passé et tout le reste ne pouvaient être changé, ne restait que la simple réalité nue et pas toujours belle à voir.
Elle aurait presque sourit, d'un sourire triste, sans chaleur, à la remarque de Gnia et repris.


Voyons mon amie, si nous avons neuf vies pourquoi serions nous les seules à bénéficier d'un tel don.
Ne croyez à la disparition d'une personne uniquement si vous en avez la preuve. Il a tant souffert, disparaître est parfois le seul recourt.
Mais assez parlé du passé, dites moi, cette enfant, où la cachez vous donc!

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Dicte félonne par un parjure
Varden
Le Comte avançait désormais au sein même du Castèth. Il n'était plus temps de l'arrêter. Qui l'eut pu d'ailleurs ? Un garde, le connaissant bien, avait bien tenté de s'interposer ...

Votre Grandeur ! La Comtessa ne reçoit personne ce soir ! Vous ne pouvez pas ...

D'un revers de la main, Varden l'avait repoussé, le regard peu amène et la langue cinglante.

Croyez moi, elle peut !

Hésitant, le garde n'osa pas s'interposer davantage. Une chance, car il était à même de l'empêcher d'aller plus loin. Et malgré toute la fureur qui brûlait en lui, Valère n'était pas d'humeur à occire un honnête Béarnais ne faisant, au final, que ce pourquoi on le rémunérait.

Plus Varden avançait et plus son esprit s'éclaircissait. Au doute du départ avait succédé une certitude malsaine qui n'avait rien de réjouissante pour l'ancien Duc de Champagne. Car de tous les différends qu'il eut pu avoir durant l'ensemble de sa vie, celui le liant à Gnia, par l'entremise de Niria de Ponthieu était le plus terrible. Le seul dont le goût était encore âcre dans sa bouche quand il y repensait.

Les querelles Béarnaises n'étaient que futilités et jeux d'enfants puériles à côté de ce qu'ils avaient vécu, ennemis par naissance ou adoption ...

L'amitié qu'il portait depuis pour Agnès, amitié voulue sincère et réciproque pourrait elle supporter le retour annoncé ?

Toutes ces pensées accompagnaient le Comte alors qu'il grimpait quatre à quatre les marches menant aux appartement de la Comtesse.

Laissant à leur surprise deux gardes postés à l'entrée desdites chambres occupées par le passé par Varden lui même, ce dernier entra sans autre annonce que le bruit de sa présence et pénétra dans le petit salon où était censée se trouver celle qu'il cherchait.

Mais Agnès n'y était pas. Contrarié, il renvoya, d'un geste de la main, une domestique affairée à débarasser deux tasses de tisane entre autres affaires anodines ...

Deux tasses ... D'une le goût peu prononcé pour la tisane de la Comtesse était connu de tous. Et de deux, il ne connaissait pas de compagnie autre que celles qu'on lui imposait quotidiennement. Compagnie qui n'avait aucune raison de s'éterniser la nuit au demeurant.

A peine le temps de rattraper la domestique avant qu'elle ne s'enfuit dans les dédales du Château de Pau, et il saurait ce qu'il redoute.


Dis moi où et avec qui notre Comtessa est partie !

Allez parle !


Il n'était que peu de moments où Varden ne parvenait pas à canaliser sa colère ou son dépit. Aucun des coups tordus qu'il avait vécu en Béarn, et ils étaient nombreux, n'était parvenu à éveiller une telle fureur chez le Comte et c'est donc tout légitimement que la servante put se demander ce qui pouvait le mettre dans un tel état, et à une telle heure.

En haut de la tour carré, Senher ... Avec une Dame ... J'ignore qui elle est ... Je vous le jure !

Devant le désarroi complet de la jeune femme, Varden se radoucit et lui souriant doucement, il la remercia avant de s'élancer vers le lieu indiqué ... Non, vers celle qui accompagnait Agnès ... Il arrivait sans doute trop tard. Comment en aurait il pu être autrement après tout ? La première de toutes les visites ne pouvait être que pour Agnès. Et cela justifiait tout. Les pièces s'assemblaient même trop facilement ...

Son mantel flottait largement derrière ses pas prouvant la force de l'élan qui l'animait porté par un ressentiment qui ressurgissait à l'aube de cette nouvelle journée ...

Arrivé tout en haut, le souffle court, il posa son regard sur les deux femmes. Il vit en premier lieu Agnès, dos à lui, cachant dès lors l'identité de la seconde personne dont les derniers propos résonnèrent en lui immédiatement.

... disparaître est parfois le seul recourt.
Mais assez parlé du passé, dites moi, cette enfant, où la cachez vous donc!


Cette voix ...

Cette voix ...

Cette voix ...


Niria de Ponthieu ...

Au même instant, Agnès bougea suffisamment pour qu'apparaisse ce visage tellement familier à Varden. Et comme une évidence, en écho aux paroles que Varden avait laissé échapper sans s'en rendre compte, le regard brillant, sa langue claqua une seconde fois.

Le diable vous emporte ! Même lui vous aura refusé l'accès aux portes de l'enfer !

Plus que de l'amertume de voir que tout était vrai, Varden bouillonait littéralement. Elle l'avait quasiment brisé. Elle avait été son pire cauchemard. Mais surtout, elle était censée être morte !
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Gnia
Des derniers mots de Niria naquirent deux sentiments contrastés.
L'étonnement de savoir Mandray encore en vie, vivant quelque part, ayant préféré passer pour mort que de supporter le poids d'être seigneur artésien quand l'Artois devenait fou.
Et puis il y avait eu cette question qui avait provoqué un frisson le long de l'échine. "Ou cachait-elle cette enfant ?" "Comment pouvait-elle savoir qu'elle cachait une enfant ?" avait été la réaction instinctive. Puis, elle avait compris.

C'est ce qui la différenciait de nombre de femmes, cela devenait plus limpide à mesure que le temps passait. Agnès n'arrivait point à ressentir cet attrait irrépressible, cet instinct profondément ancré dans les viscères des femmes vers l'Enfant.
Son coeur ne s'attendrissait pas à leur vue, leurs mimiques, leur babillage, ses pensées n'étaient pas constamment tournées vers eux, elle n'arrivait même pas à s'inquiéter de savoir si son propre enfant passerait la prochaine nuit, tant à cet âge leur vie ne tenait qu'à un fil. Sans parler de l'autre...
Et à mesure que ce constat se faisait précis, elle oscillait entre vive culpabilité et indifférence non feinte, cette dernière amenant invariablement l'autre et vice versa.

A peine le temps de laisser ces pensées se prolonger.
Une voix derrière elle.
Les yeux écarquillés de stupeur de Niria qui voit ce qu'elle ne voit pas.
Une voix qui connait l'identité de celle à qui Agnès fait face.

Instinctivement, la main plonge dans l'une des poches spécialement fendue à cet effet de ses robes à la recherche du compagnon le plus précieux de la Saint Just et qui ne la quitte que très rarement.
Une arme de poing entre la dague et le coutel, retenue par un lacet de cuir, qu'elle porte dans son fourreau à même la peau depuis ses premiers pas dans les méandres troubles de la politique et de son monde vénéneux.
Le poing serré autour de la garde damasquinée, les sens aux aguets, elle se retourne vivement, protégeant du bras gauche Niria qu'elle fait passer derrière elle et sa main droite dardant la pointe de la dague vers celui qui invoque le Sans Nom.

Enfin elle reconnut le Coms d'Ossau, pourtant quasi transfiguré par la sourde rage qui semblait l'habiter, méconnaissable derrière le masque de dureté qu'il arborait.

Et bien qu'elle ne puisse voir Niria, elle devinait dans son dos toute la tension qui venait de naître au sommet de la tour carré du castèth de Pau. Elle avait enveloppé le trio d'une chape plus lourde que le plomb, le poids d'un passé chargé de douleur et de conséquences. Une histoire commune, leur histoire, celle qui les avait façonnés tels qu'ils étaient aujourd'hui.
Il ne manquait plus à l'équation que l'ennemi qui était à Agnès ce que Varden était à Niria, Iban Extegorry dict le Lynx, et l'on aurait pu sonner la curée.

Agnès ferma les yeux une seconde en abaissant l'arme qu'elle tenait, incapable de briser le silence qui s'était installé après que Varden eut parlé, silence qui paraissait avoir suspendu le temps.
Et la seule chose qui parvint à traverser son esprit en cet instant fut encore une phrase d'Homère.

"Au mal une fois fait, il n'est pas de remède."

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Niria
Le destin pouvait se montrer capricieux parfois, et ce matin là encore plus que d'habitude. Alors que la ville se réveillait, les deux jeunes femmes tout à leurs retrouvailles après une si longue absence ne virent pas l'intrus pénétrer leur refuge momentané.
Elles y étaient isolées, détendues, loin de tous, se laissant aller comme rarement cela leur arrivait mais voilà, le destin ne voulait leur accorder plus de répit.

Il les rattrapa par l'intermédiaire d'une voix. Une voix entendu il y a fort longtemps, dans un autre lieu, d'autres circonstances, une voix que Niria ne s'attendait, ni n'espérait entendre à nouveau.

Lorsqu'elle entendit son nom, la jeune femme réalisa qu'elles n'étaient plus seules. Gnia bougea légèrement et un visage apparut. Le temps se figea, tout ce qui l'entourait disparut, ne restait que Gnia et.....le duc. Son passé quoiqu'elle fasse la retrouvait donc jusqu'à l'autre bout du royaume.

Elle se retrouva soudain en Artois, en plein conflit militaire avec la Champagne. Deux ans s'étaient écoulés depuis mais ils étaient comme effacés par cette intrusion.
Des souvenirs qu'elle aurait voulu laisser derrière elle refirent surface, ils revinrent peser sur ses épaules, lourds, tellement lourds...


Le diable vous emporte ! Même lui vous aura refusé l'accès aux portes de l'enfer !

La phrase ainsi lancée claqua comme un coup de fouet, la sortant de la torpeur passagère dans laquelle elle était plongée.
Gnia s'était interposée, sortant cette lame qui ne la quittait jamais, pour ensuite baisser sa garde. Toutes deux savaient que bien qu'il fut champenois, le duc Varden n'était point homme brutal, prêt à céder à la colère et même si c'était le cas, ce n'est pas un poignard qui ferait grande différence.

Niria se redressa, retrouvant toute sa fierté artésienne et repoussa doucement son amie afin de lui faire face. Elle n'avait jamais fuit devant l'adversité et ce n'est pas aujourd'hui qu'elle allait commencer.
Elle n'était plus cette femme affaiblit et endeuillé mais de nouveau la fière comtesse combattant pour l'honneur de son pays et elle était bien décidée à ne point se laisser impressionner.
Il était là devant elle, bouillonnant de colère et bien tant pis, elle n'allait pas lui céder le pas. S'il était là pour la voir supplier, demander à ce qu'il ne l'emmène point à Paris, il pouvait toujours espérer.
Le sang des de Ponthieu coulait dans ses veines et elle ferait honneur à son frère. Les voix du seigneur sont impénétrables et bien soit, elle allait voir où elles mèneront cette fois-ci.
Se souvenant de leur dernière entrevue en présence du Comte de Saint Pol elle se planta devant lui, le regardant droit dans les yeux et lui lança sur un air de défis.


Et bien votre grâce, je vois que vous n'avez toujours pas décoléré depuis notre dernière entrevue.
Pourtant vous devriez être fier de vous ou plutôt des artésiens à la botte de la pairie, après tout, grâce à eux Compiègne est toujours occupée par la Champagne.

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Dicte félonne par un parjure
Varden
Les mots sont parfois plus aiguisés que n'importe lequel des poignards ... Niria avait cette faculté peu commune de les manier mieux que beaucoup. Mieux que beaucoup d'Artésiens du moins, ce qui lui valait une réputation d'érudit parmi les siens ...

Gnia ... Niria ... Varden ... Le jeune Comte aurait presque sourit à voir apparaître l'Archevêque d'Auch pour compléter le tableau. Mais nul n'ignorait qu'il n'était pas l'heure pour Navigius de se retrouver nez à nez avec son passé. Non, cet instant était offert à Varden et à lui seul, comme la rançon de ce qu'ils avaient payé devant la folie des hommes.

Compiègne, occupée par la Champagne ? Un sourire narquois vint apaiser l'aspect de fureur qui défigurait Varden quelques instants auparavant.


Vous n'avez rien perdu de votre folie ... Comtesse !

Jetant cette marque de respect ironique au visage de la revenante, Varden ne put s'empêcher de continuer ...

Compiègne est Champenoise et le restera à jamais. Il est normal que le Duché l'ayant protégé et fait prospérer en soit le titulaire indiscutable et indiscuté !

Il n'y a que les fous pour faire couler le sang par excès d'ambition et de pouvoir !


Tournant autour de la Comtesse, fièrement dressée devant lui, Varden la toisa du regard.

Non mais regardez vous, Niria ... Vous avez tout perdu. Et vous vivez encore dans vos ridicules chimères.

Baste ! Il est temps d'en finir ! Il n'y a plus de Lucifer, plus de Pluchon, ces Fidos ou Bilbokine qui, une fois la défaite devenue inéluctable, ont fait de vous l'unique traîtresse ...

Ils vous ont tous accusée, tous trahie les uns après les autres ...


Son regard se posa sur Agnès un instant, voilé par la colère et l'effort consenti pour se souvenir de ces moments si délicats.

Oh non ... Non, je me trompe. Il en est restée une ... La fidèle Agnès, celle qui ne trahit pas, celle dont la parole est si précieuse qu'elle a cru bon faire de vous une martyr ...

Varden regarda Niria puis Agnès, le mépris au fond des yeux.

Pouah !

Quelles retrouvailles touchantes. Quelle émotion frappante ...

Vous me pardonnerez de ne pas verser ma petite larme devant si jolie scène j'espère ...


Varden tira son épée du fourreau tout en continuant de sortir ce qui noircissait son cœur depuis trop de temps. Il leva les yeux au ciel.

Qu'Aristote me pardonne. La rancœur est trop forte. Je crois que l'heure est venue !

Varden, toujours à distance raisonnable des deux femmes, pointa un instant son épée vers Niria, hésitant avant de frapper celle qui avait éveillé son pire cauchemar.

En d'autres temps, en d'autres lieux, ils auraient pu être amis. Varden l'avait un jour songé et il le pensait toujours. Mais la fuite de Niria l'avait profondément déçu.


Qu'allez vous faire Comtesse ? Fuir ? Encore ? Vous cacher derrière les dagues d'Agnès ? Vous oubliez sans doute que vous n'êtes pas à Arras dans un de vos palais de cristal !

Instant de silence. Éloquence.

Adieu Niria de Ponthieu, Comtesse d'Artois !

Un pas en avant et le geste pour l'estoc ...

Mais le coup n'atteint jamais Nira, l'épée tombant sur le dallage dans un bruit glacial perçant la nuit.

Varden le savait ... Son poignet n'était pas guéri, sa main bien trop faible pour soutenir un duel à l'épée ... Vilaine chute et marque du destin. Même à portée de taille, la vie de Niria lui échappait ...

Sans un mot, sans faire un geste pour récupérer son épée rendue inutile en l'instant, il posa son regard dans celui de Niria, les yeux brillants de colère muette et de rancœur tenace.

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