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Rencontre du troisième type...

[RP] Quand l'Espoir se berce d'Horizon

Arthurdayne
L’eau qui s’écoulait, sereine, dans le lit de l’Allier, avait cela d’apaisant qu’elle était comme un point tout à la fois changeant et fixe dans l’univers d’Arthur. Elle courait vers son objectif immuable, qu’elle soit battue par la pluie qui venait en grossir le flot, qu’elle soit réchauffée par les rayons d’un soleil printanier, qu’elle soit ridée par les vents violents d’une tempête. Un mouvement pérenne, qui ne connaissait pas le doute ni la crainte, malgré les obstacles et les déviations. Ainsi, chaque fois que son propre esprit dérivait, Arthur venait s’installer au bord de la rivière, s’adossait au tronc d’un arbre, et se laissait bercer par le chant de l’eau.

Ce soir là, il avait grand besoin de se laisser envahir par la sérénité de la rivière. C’est ainsi qu’il arriva, alors que les premiers rayons de nuit commençaient à dessiner des reflets bleutés à la surface de l’eau, avec Mélancolie sous le bras. Mélancolie était une étrange liqueur dont il avait gardé quelques bouteilles. Mélange d’alcools de gentiane, de châtaigne et de framboise, si ses souvenirs ne lui faisaient pas trop défaut. Baptisé ainsi par un chevalier de passage, aux cheveux flamboyants et aux yeux insondables, dans des temps si troubles que la simple évocation étreignait violemment le cœur d’Arthur.

Il avait abandonné les quelques parchemins restés sans réponses, porteurs de calculs, projets, demandes, exigences parfois, sur le bois de son bureau. Passage rapide à la taverne municipale, déserte. Puis direction la rivière. Il se posa dans l’herbe qui fraîchissait avec le soir, adossa sa vieille carcasse au tronc d’un saule. Grimaça. Depuis le matin, chaque mouvement du haut du torse lui arrachait une grimace. Il avait préféré, durant le jour, ne pas y prêter trop attention, malgré les prémices de tremblements et les suées qui s’étaient intensifiées au cours de l’après midi. Il avait préféré repousser l’idée, se concentrer sur le travail qu’il avait à abattre. Mais il était beaucoup plus difficile d’ignorer ses blessures le soir venant. La main droite passa sous le tissu, au niveau de son col, et explora l’épaule gauche. Soubresaut de douleur et crispation du visage quand les doigts effleurèrent la boursoufflure. Là où une griffe de loup avait profondément entaillé la chair, ce jour de fin d’hiver, lorsqu’ils avaient traqué un démon jusqu’au fin fond de son antre. Depuis quelques jours déjà, il craignait que la blessure ne cicatrise pas aussi bien qu’il l’avait cru au début. Aucun doute n’était permis désormais. La blessure s’était infectée.

Et il était gagné par la fièvre. Débouchant la bouteille de liqueur, Arthur s’envoya une bonne lampée de mélancolie qui lui réchauffa la gorge, puis remonta la manche de son bras gauche jusqu’à l’épaule, dénudant la blessure. Il versa une rasade d’alcool sur la blessure, serra la mâchoire. Il devrait se rendre au dispensaire, demain. Mais il n’en avait pas vraiment envie. Pas besoin d’aller se confronter trop vite à la crainte qui le tenaillait depuis quelques jours. Une deuxième, puis une troisième gorgée vinrent échauffer non seulement sa gorge, mais aussi, peu à peu, le reste de son corps, pour l’empêcher de penser trop avant. C’était un vieux réflexe, au vrai, de noyer le corps pour endiguer l’esprit. Vieux réflexe, mauvaise habitude. Mais seul remède, pour le moment. Tant de choses étaient advenues, revenues, ces derniers temps. Des changements avaient bourgeonné, fait éclater leurs feuilles, les avaient tendu vers le ciel, sans pouvoir néanmoins s’extraire de terre, prisonniers des racines qui les ancraient si profondément dans le sol de ses souvenirs.

Arthur ne savait plus si c’était la quatrième, la cinquième ou la douzième gorgée qu’il laissait se déverser au fond de sa gorge, s’abandonnant à la chaleur qui irradiait jusqu’au bout de ses doigts. Il ne savait pas vraiment si les sons qui se formaient, de plus en plus tangibles, comme des images aux formes et aux couleurs encore floues mais se précisant peu à peu, étaient du à l’alcool ou à la fièvre. Sa main était, parfois, agitée de tremblements. Un frisson naissait parfois, au bas de son échine, et remontait jusqu’à sa nuque. Ses yeux revenaient, par instant, à un semblant de réalité, et il réalisait alors qu’il n’était pas à flot, que ce tangage qu’il ressentait n’était pas celui d’une barque dans laquelle il se trouverait. Il était bien là, assis, dans l’herbe, face à l’inexorable rivière. Il était là, mais n’y était plus tout à fait.

Puis les sons qui effleuraient ses oreilles prirent une forme nouvelle. Un murmure. Un vent léger qui venait iriser la surface de l’eau, qui venait caresser la pointe des herbes. Et qui portait avec lui des mots. Des mots ? Peut-être bien, oui… Des mots qui n’en étaient pas vraiment. Ils n’avaient pas de sens, pas à ce degré de compréhension qu’avait atteint Arthur, tout du moins. Mais ils avaient une saveur. Un parfum. Ces mots avaient une empreinte, une manière de venir se mouvoir à son oreille qu’il aurait reconnu entre mille. Il aurait dû prendre peur, peut être. Craindre d’être arrivé à ce point où, tout en haut d’une falaise, on n’avait plus d’autre choix que de reculer ou plonger dans la folie et se laisser emporter par elle. Il aurait dû reculer. Peut être. Mais il n’avait pas peur, non. La folie ? Il avait tant marché en équilibre au bord de son gouffre qu’il avait appris à la porter en lui comme une enfant dont on a la garde, même si on ne veut pas vraiment d’elle. La peur ? Il s’en souvenait, oui, de cette sensation. Il l’avait ressenti à de si nombreuses reprises. Et il n’y avait pas si longtemps, d’ailleurs. Mais là où il se trouvait à présent, il avait la certitude confuse que la peur n’avait pas beaucoup de sens.

Parce que les mots soufflés à son oreille étaient apaisants. Pas les mots en eux même, non, il n’y comprenait toujours pas grand-chose. Mais tout ce qu’ils portaient de tendresse étrange, de bienveillance protectrice. Dans un soubresaut de conscience, cherchant à savoir qui se tenait à ses côtés, Arthur chercha, péniblement, à ouvrir une paupière. Mais la lumière ténue du soir qui filtra alors éloigna le bruissement de son oreille. Et l’effort était trop dur. Il se laissa alors replonger, s’abandonna au murmure. Le frémissement le berça encore, et encore. Alors, d’une voix dont il n’était pas sûr qu’elle était bien la sienne, Arthur souffla un nom, un nom en forme de question, un nom dont la sonorité n’échappa peut être pas à la prison de ses lèvres, dans cet autre monde, là bas, où il se trouvait sans tout à fait y être.


Apolonie ?
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
--Apolonie
Elle avait erré… des secondes ou des siècles, qui s’en soucie ? surement pas elle… Elle sait que le temps a passé, elle s’en rend compte en voyant son fils grandi, en voyant les rides au coin du museau d’un colosse qui s’il ne perd pas en charisme perd en stature. Elle s’en est aperçue en voyant grandir, vieillir et mourir les gens autour d’elle.

La brunette a gardé quant à elle le teint de ses vingt ans… Celui qu’elle avait encore quelques mois avant de mourir, récupérant en laissant s’échapper son dernier soupir les couleurs qu’elle avait perdues avec sa grossesse et la fatigue. Sans compter la fièvre, cette fièvre sans pudeur, qui s’était insinuée au plus profond d’elle, dans le moindre recoin, l’entrainant sans relâche vers la mort et la nuit…

Oh elle aurait pu rejoindre le soleil. Willen le lui avait dit. Elle s’était rachetée pour la Gascogne pillée. Dans la balance avaient compté… avaient compté quoi ? Les heures de dévouement ? Les heures de travail pour sa mairie, son duché, sa chancellerie, sa prévôté ? Les heures à enseigner la vie aux plus jeunes ? Les heures à se battre pour plus d’équité ? Les heures de combat pour défendre ses paysans, ses artisans ? Sa chute sur les remparts de Moulins ? Les heures de combat pour que tous puissent vivre dans ce royaume et pas seuls quelques nantis ? Marrant comme ça avait pesé dans la balance divine alors qu’elle avait été vilipendée et lynchée sur la place publique auvergnate pour les mêmes raisons…

Elle avait refusé… La Sentinelle, la Libertad comme on l’appelait parfois –s’ils savaient, ces abrutis, à quel point elle n’a pas été de la confrérie…- avait osé, encore une fois, tourner le dos à l’ordre établi. Elle avait, sous le regard désolé de Willen, rebroussé chemin aux portes du Soleil, et était repartie errer sur cette Terre qui l’avait pourtant tellement rejetée. C’est que dans ce monde injuste et cruel se perdent quelques âmes qu’elle a aimées et aime encore…

Apolonie, quoi qu’on en dise et en pense, a toujours été de celles qui se préoccupent plus des siens que d’elle-même. Elle ne pouvait pas les laisser, bien sûr que non… Ni elles, ni eux. Tous ceux qui ont parsemé sa vie de tant de rires, sourires, baisers, soutiens… Alors elle se laisse porter par le vent, d’un lieu à un autre. Le plus souvent, bien entendu… Elle est auprès d’Eikorc. Son double, son Autre, elle qui est partie en emportant son âme se doit de le suivre. Le couple qui n’en avait jamais été un, réuni par delà la mort…

Cependant… elle s’accorde des libertés. Guidée par ses amours, ses passions, elle s’en va parfois vagabonder dans le sud, parcourant dans une brise une plage gasconne où l’emmenait son andalou, de temps en temps elle s’évapore dans le fumet d’un vin bourguignon, veillant l’air de rien sur son amie tutrice jusqu’à peu de son fils, arraché à ses entrailles en même temps que sa vie.

Et puis… souvent… elle revient en Auvergne. Parce qu’élevée dans les volcans, jamais on ne peut les renier. Et même si elle pleure souvent sur la déliquescence d’un duché qui aurait pu être glorieux s’il avait eu d’autres têtes, elle n’en reste pas moins attachée à certains de ses habitants. Bien sur, beaucoup en sont partis. Elle vient, voletant près de son Autre, d’apercevoir Thea en Maine… Sourire fugace d’une marraine. Thea méritait une ampleur qu’une contrée d’arrivistes se refilant les postes dans un cercle fermé n’aurait pu lui offrir de toute façon.

Et puis il y a Moulins bien sur. Portée par les vents, c’est là qu’elle atterrit… Son village, son havre, sa paix. Moulins, qu’elle avait refusé de quitter avec sa famille libertaire, Moulins pour qui elle était tombée, l’épée de Yal dans le torse… Moulins pour lequel elle avait sacrifié sa si chère liberté pour en devenir la maire… Moulins où elle avait vécu ses derniers instants. Dans Ses bras. Elle était son Horizon, il était son Espoir.

Si elle revient sur ces terres, c’est pour lui surtout. Avec le recul qu’elle a désormais… elle sait. Si elle n’avait pas rendu son dernier souffle dans cette chambre à Varennes, sans nul doute à ses côtés serait-elle encore, à regarder des enfants s’ébattre sous leurs yeux gâteux… Argh… Ce qu’elle avait pu lui en vouloir à son brun d’avoir pu l’imaginer, elle la vicomtesse l’arme au poing, éduquant des chiards à l’ombre d’un chêne moulinois… et pourtant !

Elle ne le cherche pas longtemps… Pas qu’elle le connaisse, mais presque. La brune se souvient des ballades de son maire près de l’eau, et de pensées éthérées qu’elle lui avait déjà envoyées par là bas… Des heures qu’elle avait elle-même passée au bord d’un ruisseau ou d’une rivière… Sans hésiter, elle file rejoindre l’Allier et Arthur par la même occasion. Souffle d’air qui s’en vient rider une rivière plutôt calme, vaguelettes qui s’échouent sur une berge où l’azur s’égare, avant de repérer celui qu’elle est venue chercher…

Le sourire étire doucement les lèvres ectoplasmiques de l’ex vicomtesse.


Bonjour Arthur… M’entends-tu cette fois ?
Ou alors j’vais comme d’hab parler dans l’vide… j’commence à avoir l’habitude avec toi…


Un froncement… une paupière qui se lève et se referme alors qu’elle pose une main fantôme sur sa joue. Il sait qu’elle est là, elle le sent…. De là à la comprendre… En son for intérieur, elle sourit doucement… Laisse-toi aller, Arthur, entends-moi comme le fait Eikorc quand il somnole… Ecoute ton cœur, écoute ton âme… écoute le vent et tu m’entendras…

Chut… je suis là. Ne t’énerve pas, ça n’te va pas au teint Arthur.
C’moi… C’est Apo. Tu m’entends ? Suis là… toujours été là…


Dénigrant la Mélancolie qui pare les mains de son amant, elle fait apparaitre une bonne bouteille dans les siennes. Faut bien qu’être fantôme ait des avantages nope ? Elle s’gêne pas la brune… Et goutant le goulot goulument, elle se tourne vers lui. En tailleur, elle le zieute comme si elle le voyait pour la première fois.

T’as l’air crevé… t’sais faut dormir la nuit.

Et l’ectoplasme de s’marrer… Elle qui a sacrifié sa vie en plus de son sommeil pour aider les autres, elle comprend mieux que personne les cernes qui portent les yeux d’Arthur. L’azur se porte sur la bouteille qu’il tient encore et se rappelle d’un chevalier aux cheveux de feu dont elle chasse l’image rapidement…

Tu m’en parles ?

Bien sûr, il saura ce qu’elle demande… Il a toujours su, ou presque, ce qu’elle voulait dire. Pourquoi faillirait-il maintenant ? Il l’a aimée, elle l’aime. Pas de raison qu’ils ne se comprennent pas…

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Arthurdayne
Toujours été là…

Un pâle sourire se dessina sur les lèvres d'Arthur. Toujours? Alors elle avait du en voir, des choses. En avoir des fous rires. Et des coups de colère... Si les paupières matérielles avaient désormais abandonné toute lutte, un autre type de vision éclaira le regard d'Arthur. Les traits apparurent. Le contour du visage n'était pas net, loin de là. Il n'y avait rien de précis dans ce qu'il voyait, impossible de s'attacher à un détail, mais aucune chance non plus de ne pas appréhender le tout, de ne pas savoir ce qu'il avait sous les yeux. Qui il avait sous les yeux.

C'était bien elle, ce bruissement trahissait bien sa présence. Enfin, quelque chose comme une présence. Elle était là sans être là, elle existait dans une sphère de conscience tout en étant douloureusement absente d'une autre. Des sphères qui se mêlaient en cet instant, à cause de... de quoi? L'alcool? La fièvre? Ou tout simplement cet étrange état de veille, quand on est sur le fil du sommeil sans encore avoir plongé corps et âme en lui? Peu importait, au fond. La seule chose qui avait du sens, un véritable sens, bien qu'obscur et confus, c'était elle. Et d'un coup, comme s'il avait ôté une ultime barrière entre deux mondes, barrière que seul son esprit maîtrisait, il se gorgea de son apparition, il but ces traits comme s'il venait de traverser un désert, il se nourrit de cet azur dont il avait presque oublié l'éclat, il fit le plein de vie à l'orée de ce sourire qui habitait chacun de ses rêves.

T’as l’air crevé… t’sais faut dormir la nuit.

Apolonie? C'est toi? C'est vraiment toi?

Petit mouvement de la main pour la toucher, pour rendre plus tangible l'instant. Mais la main qu'il lève n'est pas tout à fait la sienne, et la peau, l'Apo qu'il rencontre n'est pas tout à fait là. Mais sa beauté si singulière, sa présence si prégnante, son sourire et son regard malicieux, eux sont les mêmes. Inchangés par delà la rivière qui les sépare...

T'as bonne mine pour un fantôme...

Tu m’en parles ?

Instinctivement, la main pas tout à fait là vint effleurer la cicatrice qui n'ornait pas tout à fait une pommette pas tout à fait tangible. Que savait-elle au juste? Elle avait toujours été là, avait-elle murmuré dans un souffle qui lui était bien le sien, même s'il était exhalé par des poumons plus tout à fait réels. Tu m'en parles... Il y avait tant à dire. Tout ce qui s'était passé depuis. La longue errance de Moulins en Bretagne, de Bretagne en Artois, d'Artois en Limousin. De Limoges à Joinville. De Varennes à Eikorc. Avait-elle vu tout ça? Et ce lent retour à la vie... Et Sunie... Et Aube...

Il y avait tant, tant à dire... Parce que si le temps n'a pas couru pour elle, s'il n'a fait que rendre ses traits un peu plus flous, il est passé sur le corps et l'esprit d'Arthur comme une armée chargeant à la bataille. Temps et tant à dire... Et pourtant, quelques mots, quelques mots qui brûlent depuis si longtemps de rester sur cette langue, de ne pouvoir atteindre celle à qui ils sont destinés. Cette question confiée au vent, devant une pierre absurde dans un jardin d'autres pierres absurdes. Cette question lancinante, douloureuse, un peu apaisée dans les geôles de Joinville.


Apolonie, mon horizon... J'ai tant cherché à fuir ton ombre... A fuir ma peine et ma douleur... Je me suis jeté à corps perdu dans un néant qui m'offrait une promesse intenable, celle d'oublier la souffrance... J'ai appris à l'apprivoiser, cette douleur. J'ai appris à survivre avec elle en mon sein. Il y a tant de chose que je voudrais te dire... Mais il y en a une que je dois savoir. Que je crois savoir, mais pour laquelle il me manque juste un souffle... juste un petit bout de toi... juste un petit instant volé au temps, encore... Comme nous avions coutume de le faire, tu te souviens? Une question que tu as du entendre à de nombreuses reprises si tu as bien été à mes côtés tout ce temps... Une question qui déborde de mes yeux chaque fois que je les ouvre sur un monde où tu n'es plus là... Un monde où manque l'horizon... Quelques mots que j'ai offerts au vent, au vide, à ton absence... Quelques mots si douloureux de ne trouver aucun écho, mais quelques mots pour lesquels, par lesquels j'ai survécu tout ce temps...

Apolonie... Mon horizon... Tu as choisi d'autres bras que les miens pour y déposer ton âme... D'autres lèvres que les miennes pour y laisser mourir ton dernier souffle... Je savais tout cela... Je savais ce risque que je courais à t'aimer, je savais qu'il existait une lueur au fond de ton regard qui ne serait jamais mienne. Je l'avais accepté. Je croyais l'avoir accepté... Je croyais être assez fort pour vivre avec le doute... J'étais dans l'erreur. J'ai besoin de savoir... Besoin pour continuer, besoin pour que cette blessure, qui restera à jamais ouverte, cesse de m'entraîner chaque fois vers ce couloir maudit où les ombres t'ont emmenée malgré moi...

Apolonie... mon horizon... M'as tu aimé?

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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
--Apolonie
[Irréelle et si présente…]

Les efforts palpables, la sentir, la voir… pour une fois, depuis le temps qu’elle le suit, pour une fois il semble l’entendre, il semble la percevoir, elle qui jusque là n’avait pu que l’effleurer, et encore. Il y a quelques jours, elle avait même piqué une colère dans le bureau de la mairie quand elle avait appris qu’il avait refilé son nom à un quartier de chaumières d’enamourés mièvres et plein de rires niais… Elle avait hurlé et tempêté, mais bien sûr personne ne l’avait entendue.

Il n’en va pas de même aujourd’hui… Elle le devine, enfin pour lui elle existe, à nouveau, sous une forme certes batarde, mais elle est là… Si elle a l’habitude d’Eikorc qui la perçoit et la sent souvent, des conversations dans une bulle facile à éclore, elle se rend compte que c’est différent… Elle n’est pas l’âme d’Arthur, que son horizon, et il s’est passé tant de temps…


Apolonie? C'est toi? C'est vraiment toi?

Qui d’autre ? Qui d’autre veux tu qui vienne t’emmerder alors qu’tu cuves tranquille ?

La main qui se lève trouve rapidement une réponse dans celle, diaphane, qu’elle y lie. La mort a de nombreux avantages… y compris celui de faire perdre les cals dus aux entrainements à l’épée, les cicatrices arrachées aux combats, les cernes gagnés à promouvoir son duché. Le sourire qui vient fleurir sur ses lèvres n’a rien de factice, même ectoplasmique. Il a vieilli, son moulinois… Doucement sa main libre s’en va rejoindre la cicatrice qui habille la pommette d’Arthur.

Elle sait… bien sur qu’elle sait. Elle sait tout, ou presque. Elle l’a suivi, ombre parmi les ombres, souffle dans la brise, sur les falaises face à l’océan, dans les geôles de Joinville, à la mairie, dans sa taverne… Apolonie l’a vu pleurer, sourire, aimer, souffrir, combattre, discuter, vivre… Mais ce que même l’errance entre deux mondes et son omniscience ne permet pas, ce sont les sentiments, ce qu’il a ressenti, comment lui l’a vécu, ce qu’il a préféré, quelles sont les émotions, les leçons qu’ila retirées de ces histoires… et cette question, lancinante, qu’il lui pose, et son pendant, côté brune, qui brule les fantomatiques lèvres qu’elle apaise à la sueur d’un front fiévreux tandis qu’il parle..

Elle tressaille à peine quand il lui raconte sa douleur, sa peine… sa mort dans les bras du colosse maudit. Oh elle aimerait lui dire combien Eikorc souffrait, diable sans âme, condamné à une vie sans but, sans cœur désormais… Combien elle s’en voulait. Mais ce n’est ni le moment, ni le sujet. Et c’est de cette voix douce que peu ont entendue échappée de cette gorge plus habituée au silence ou aux railleries… qu’elle lui répond.


Apolonie, mon Horizon. M’as-tu aimé ?

Oui Arthur… oui mon Espoir, bien sûr que oui…

L’azur adouci s’en vient trouver le regard de son amant dans cette bulle qui enfin les enferme, l’aveu prononcé. Pas de reproche sur le fait qu’il ait pu en douter, elle lui a donné suffisamment de raison pour ce faire. Qu’un immense amour qu’elle transmet du bout des prunelles, du bout des lèvres. Elle sourit, Apo.

Tu sais… Si j’avais vécu Arthur… Tu aurais surement tout autant souffert.
Obligé de me supporter, moi et mes atermoiements de jeune maman. Je serai restée Arthur, à Moulins, avec Ili et toi, avec Gaspard et vous.
Je serai restée, du moins jusqu’à t’embarquer avec moi sur mes routes…
Tu étais mon Espoir, n’en doute pas.


Si sincère, Apo, quand elle prononce ces mots. L’éternité offre le temps de la réflexion, et elle sait que jamais elle n’aurait trahi cette promesse qu’elle lui avait faite. Eikorc… Eikorc est son Autre, son Double, elle est son Âme… Mais Arthur représentait la vie réelle. Maintenant vient le temps de cette autre question… Celle qui lui ronge l’esprit… Elle a bien suivi toutes les histoires, débutées avant même son trépas. Toutes ces rumeurs , ces chicanes de mégères qui n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent, ces jalousies sans fondement… Oui, sans fondement, car Apolonie était si dissemblable de la villageoise moyenne, qu’il n’y avait pas de comparaison possible. Ni dans un sens ni dans l’autre. Ni meilleure ni pire, seulement à leur opposé. Elles ne pouvaient pas lutter…

M’en veux-tu Arthur ? Pour ce que tu as subi par ma faute ?
Pour ta vie bouleversée ? Tes habitudes changées ? Ton for intérieur chamboulé ?
Pour ces questions que tu ne te serais pas posées si je n’avais pas fugacement fait partie de ta vie ?
Pour ces années de souffrance ? Pour t’avoir trahi ? M’en veux-tu ?


Leur idylle avait remué tout un village, déclenchant des hordes de donzelles en furie, des ragots à ne plus savoir qu’en faire, des reproches criés sans fondement… Elle en était consciente, la brunette qui n’avait rien demandé, rien vu venir, et qui s’était dépêchée de mourir en plus, histoire de laisser Arthur se débrouiller seul face aux accusations les plus farfelues… Et aux questions les plus suicidaires.

Et me pardonnes-tu pour cette cicatrice ?

Baiser ectoplasmique qui s’en vient voleter sur la balafre, comme tant de fois dans le sommeil du moulinois.

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Arthurdayne
Un mot. Tout petit. Trois lettres minuscules, qui ne réclament même pas que les lèvres se referment. Un mot ouvert, un mot souffle. Trois lettres qui s'entremêlent, trois lettres qui dessinent l'univers, du cercle au point, de l'immense au minuscule. D'un infini à l'autre. Un mot vite envolé, qui déploie ses ailes et s'évanouit, semant la liberté sur un esprit si longtemps perdu dans les méandres de la souffrance. Un mot...

Oui...

Le dessin de ses lèvres alors que le oui naissait et mourait dans le même temps, glissa dans l'esprit d'Arthur, imprégna sa mémoire puis chaque fibre de son corps, chaque parcelle de sa peau. Traqua en lui toute trace de ce doute absurde mais impossible à repousser, détruisit la moindre empreinte de cette douleur accumulée au fil du temps, non pas la douleur de l'absence, inguérissable, mais celle de n'avoir pas su. De l'avoir laissée partir sans savoir.

Oui mon Espoir, bien sûr que oui…

Coin des lèvres qui tressaillent, rehaussent le bouche en une esquisse de sourire. Sourire en coin qui s'épanouit, qui gagne enfin un visage qui n'a plus souri ainsi depuis longtemps. Même si ces moitiés de sourire volés étaient partiellement revenus avec le temps, donnant l'illusion que, parfois, un véritable sourire illuminait son visage, Arthur savait au fond de lui qu'il n'en était rien. Que ces sourires le décoraient, rassuraient les autres, mais ne trouvaient pas d'écho dans les tréfonds de son être. Il n'en avait eu jusque là qu'une conscience confuse, mais il le savait à présent. A présent qu'un vrai sourire, plein et entier, réchauffant les recoins les plus glacés de son esprit, chassa les ultimes résistances du doute qui s'était solidement enraciné en lui, pernicieux, malgré l'apaisement retrouvé dans les geôles de Joinville.

Sourire miroir, qui trouve en celui d'Apolonie un écho qui traverse les frontières de la vie et de la mort, du temps et de la peine. Deux sourires qui se rejoignent, renouent un lien qui n'avait jamais disparu, mais qui s'était simplement logé si loin en lui qu'il paraissait s'être brisé. Puis les lèvres tant aimées, tant chéries, tant bâillonnées de baisers par les siennes poursuivirent leur course.


Tu sais… Si j’avais vécu Arthur… Tu aurais surement tout autant souffert.
Obligé de me supporter, moi et mes atermoiements de jeune maman. Je serai restée Arthur, à Moulins, avec Ili et toi, avec Gaspard et vous.
Je serai restée, du moins jusqu’à t’embarquer avec moi sur mes routes…
Tu étais mon Espoir, n’en doute pas.


Souvenirs qui refluent, reviennent à la surface, explosent en son esprit, prennent un sens perdu depuis si longtemps. Résurgence presque orgasmique de tous ces instants qui n'appartiennent qu'à eux, dont Arthur prit soudain conscience que, malgré tout, malgré la séparation, la mort et le temps, l'émotion qui résultait d'eux restait inchangée. Echo à ce moment précis où, ses yeux perdus dans les siens, elle lui avait dit : "à quatre, Arthur... notre avenir s'écrira à quatre..."

Puis l'azur se brouille. Ce voile là, Arthur le connait bien, pour avoir cherché toutes ces années à le déchirer, à le faire disparaître puis, faut de mieux, à l'ignorer. Sans grand succès. Voile qui à l'instant même s'était évanoui. Alors elle aussi... Elle aussi, par delà la rivière qui les sépare, elle aussi connait le doute. Doute qui s'exprime, qui prend corps, qui provoque en lui l'éclosion d'une violente contestation.


M’en veux-tu Arthur ? Pour ce que tu as subi par ma faute ?
Pour ta vie bouleversée ? Tes habitudes changées ? Ton for intérieur chamboulé ?
Pour ces questions que tu ne te serais pas posées si je n’avais pas fugacement fait partie de ta vie ?
Pour ces années de souffrance ? Pour t’avoir trahi ? M’en veux-tu ?

Le visage flou et pourtant si clair à ses yeux s'approcha. Les lèvres vinrent effleurer, réduisant à néant l'écart entre les deux mondes, la balafre laissée là par le barreau d'une prison, rencontre provoquée par la poigne puissante d'un colosse blessé et débordant de rage.

Et me pardonnes-tu pour cette cicatrice ?

Te pardonner? Il n'est pas question de pardon, mon horizon... Je ne te pardonne rien... N'ai rien à te pardonner... je te remercie, au contraire. Je n'ai rien subi dont le prix soit trop lourd à porter. Pour un seul baiser de toi, je revivrais tout ça, sans le moindre regret. Si tu n'avais pas bouleversé ma vie, si tu n'en avais pas fait fugacement, mais si puissamment partie, elle n'aurait pas eu de sens. Et ce oui auquel tes lèvres viennent de donner vie par delà l'autre monde guérit toutes mes blessures, offrent à tout ce temps d'errance une valeur inestimable. Avoir pu te serrer dans mes bras, joindre mes lèvres aux tiennes, avoir eu l'autorisation de t'aimer, Apolonie, valait tous les sacrifices, et s'il était en mon pouvoir de sacrifier davantage pour que tu me reviennes, je le ferais...

Main rêvée qui vient effleurer la joue presque tangible d'un horizon pour un temps revenu.

Et cette balafre fait partie de moi. Elle n'est qu'un des nombreux traits d'union qui me relient encore à toi. Elle est le symbole de ce qu'Eikorc, ton Autre, ne pourra jamais m'ôter, malgré les doutes que j'ai pu traverser... Elle est ta marque sur moi, la marque de ce que nous avons vécu. Devrais-je te pardonner de m’avoir tant marqué ? Non… Je t’ai aimé, et si je me l’étais interdit, je n’aurais pas pu rester indemne, j’aurais perdu une partie de moi. Tu ne m’as pas trahi, mon horizon. Tu m’as promis que tu resterais auprès de moi. Et tu y es restée… Tu es ma balafre, ma blessure, tu es en moi. Tu es ma blessure de vie, tu ne m’as jamais vraiment quitté. Je te porte en moi à chaque instant, tu habites chacun de mes regards, tu résonnes dans chacun de mes mots, tu portes chacun de mes souffles.

Dois-je vraiment te pardonner ? Alors je te pardonne, mon horizon… Je te pardonne de m’avoir laissé t’aimer…


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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
--Apolonie
[Le pardon comme offrande… ]

L’air apaisé… Comme il est bon de le voir ainsi… Le visage, l’œil, le corps, détendus. Comme si d’un coup, un poids qui aurait tenu par des fils invisibles son corps tendu à l’extrême, s’était relâché et lui avait foutu la paix… Arthur avait l’air serein de celui qui enfin a obtenu réponse… Réponse qu’elle pensait lui avoir donnée, qu’elle lui avait offerte pourtant dans son lit de mort, du moins l’avait-elle cru… Apo avait entendu ses questions au fil des années, elle n’avait pas pensé que la cause en était si réelle, si tangible… Elle sourit, la brunette, de le sentir ainsi libéré.

Et d’attendre anxieuse la réponse à sa question… Cette interrogation qui l’avait taraudée des années durant, contre laquelle elle n’avait lutté qu’à coup de « je m’en fiche de toute façon » peu convaincants… Mais qui grignotait ses tripes ectoplasmiques autant qu’elle entamait son esprit et son cœur…

Apolonie a toujours assumé ses paroles et ses actes, les pires comme les meilleurs. Arracher des ongles pour obtenir des confessions comme d’aider les gens à sa manière, même s’ils ne le voyaient pas, de paraitre désagréable, méchante, hautaine, elle avait tout accepté et admis… Mais tant que ça n’engageait qu’elle… De forcer, sans le vouloir, quelqu’un à assumer ses actes, ses idées, et son caractère de merde au point de devoir s’en défendre devant tout un village… Seuls Grid et Lilou avaient à l’époque compris. Le reste des moulinois contre leur idylle s’étaient ligués, comme s’ils y avaient pu quelque chose… Et elle l’avait laissé. Se délestant de son dernier souffle comme d’une corvée, l’abandonnant à la vindicte sans se porter à ses côtés, elle regrettait, Apo.

Les paroles d’Arthur en elle trouve un écho qu’elle n’aurait pas imaginé. Si elle se savait habitée par cette question, elle n’imaginait pas qu’une réponse pourrait apporter tel réconfort. La chaleur de la voix de son maire préféré s’ancre en elle, son pardon se propage comme une vague, la réchauffant, l’animant, pour peu elle en reprendrait vie si elle pouvait…

Ah si elle pouvait… Là elle reprendrait corps, et se blottirait sous le bras réconfortant du moulinois. Alors ensemble, ils regarderaient sous leurs yeux enamourés leurs enfants s’ébahir dans l’herbe verte, et courir dans les prés. Ensemble, bercés par un soleil compatissant, ils s’amusent des vaguelettes qui parcourent l’Allier, ils rient d’un accouplement de sauterelles, ils sourient et s’amusent d’un rien… Ensemble, dans la taverne municipale qu’ils se partagent, ils accueillent et conseillent… Et elle dénigre, il la calme. Il s’énerve de décisions ducales débiles ? elle l’apaise…

Seulement elle ne peut pas, elle est morte, trop tôt pour vivre tout ça… Elle n’est plus que fantome, réduite à vivre dans les rêves et fièvre… Elle ne peut qu’embrasser doucement les pommettes de celui qu’elle a aimé, effleurant ses lèvres des siennes, à peine une caresse.


Merci…

Que peut-elle dire de plus fort que ça ? Rien… Elle l’a aimé.. Plus qu’il ne l’imagine sans doute. Et tant pis s’il ne le sait pas. Tant mieux, même. Le manque en est moins présent… Mais vient le temps de discuter… Elle sait bien qu’il a refait sa vie depuis sa mort, et heureusement. Elle a suivi… fronçant le nez ou appréciant, selon la donzelle. Elle sait bien qu’il s’est investi. Là aussi… elle aurait bien des choses à lui dire… mais à lui de d’abord les formuler. Si elle sait.. elle n’en devine pas pour autant motivations et ressentis…


Et la brunette de se caler sous un bras du maire, la tête ectoplasmique reposant sur son épaule. Doucement, elle se laisse aller à caler son bras sur son ventre, et que coule la discussion, comme il y a des années, quand il était maire et elle l'élue la plus détestée du duché… Le sourire fleurit sur ses lèvres.


Raconte moi, Arthur… dis moi que tu es heureux…

_____________
Arthurdayne
Les lèvres éthérées effleurèrent pommettes et lèvres, faisant naître un frémissement qui, lentement, traversa tout le corps d'Arthur. Fantôme des caresses passées, des baisers envolés, de tous ces instant volés au temps et aux autres, en taverne, au bord de cette même rivière qui, comme un écho entre les deux mondes, continuaient à s'écouler sereinement, ou dans la demeure moulinoise de son horizon.

Merci...


Un seul mot à nouveau. Par lequel transpirait tant de choses. Un mot trop petit, qui ne pouvait contenir tout ce que les gestes et les regards trahissaient. Doucement, la silhouette immatérielle, plus qu'une ombre, plus qu'un fantôme, plus qu'un souvenir, vint se glisser sous son bras. La tête calée contre l'épaule d'Arthur, comme avant. Si longtemps avant. L'irréalité de l'instant n'échappa guère à Arthur. Pourtant, même si le contact n'était bien sûr pas celui, si prégnant, si charnel qu'autrefois, le souvenir de ce contact en était plus puissant encore. Comme si l'impalpable rendait la présence d'Apolonie plus forte encore. Comme si elle n'avait jamais été si près de lui. Si proche, si liée à lui. Comme si, par une extraordinaire ironie, la mort, au lieu de les éloigner, les avait rendu plus proche encore.

Il la sentait contre lui. Elle n'avait plus de corps, plus de présence matérielle. Mais il la sentait, ressentait son souffle, sa chaleur. Devinait son parfum, devinait même, dans l'éclat d'un regard, le fil de ses pensées désincarnées.


Raconte moi, Arthur… dis moi que tu es heureux…

Sourire qui vient naître au coin des lèvres d'Arthur.

Heureux autant que je l'essaie. Heureux autant que j'essaie d'en avoir envie. Heureux par bribes, comme si je reconstruisais, lentement, pièce après pièce, un univers qui a volé en éclat quand il a perdu sa clef de voûte. Quand tu es partie.

Je me suis d'abord perdu, tu l'as vu, sans doute. J'ai erré, fuyant la seule rencontre qui pouvait avoir un sens, fut-il douloureux, à mes yeux. J'ai lentement compris qu'il me fallait me confronter à ton Autre, à cet envers de moi même qu'est Eikorc. Je l'ai compris grâce à Marie Alice. A Maeve, dont l'innocence pure à l'époque quant à tout ce que pouvait contenir le monde de paradoxe m'a fait le plus grand bien. Grâce à Aleanore que j'ai escortée durant un long trajet. Grâce à toutes les rencontres que j'ai pu faire sur les routes, j'ai reconstruit cette première pièce. Accepter sa présence et ton absence.

Puis c'est à Moulins que j'ai rattaché, peu à peu, les autres pièces les unes aux autres. Grâce à Iliana, grâce à mes amis. Lilou est devenue maman, sais-tu? Enfin... oui, sans doute, tu le sais. J'suis parrain de son fils, de leur fils à elle et à Grid, bien que ce dernier... Enfin, bref...

Puis il y a eu Sunie...


Regard hésitant qui guetta un signe, un cillement, un geste aussi infime soit-il de la part de l'horizon qui reposait entre ses bras. Il se doutait qu'elle avait du trouver cela étrange. Se doutait qu'elle avait du froncer le nez, cette adorable grimace qu'il aimait tant faire naître pour mieux s'autoriser à venir glaner un baiser d'excuse. Il se doutait, oui, mais l'instant n'était plus aux doutes. Il était aux mots, enfin, aux paroles immatérielles peut être, mais dont l'un et l'autre avait tant besoin. Des paroles intangibles pour combler le vide laissé par tout ce temps qui avait passé, par le vide créé par cette absence.

Elle m’a apporté beaucoup, tu sais, plus que tu ne peux le croire… Elle m’a offert un peu de sa jeunesse, de sa fraîcheur, de sa liberté. Elle m’a permis d’imaginer à nouveau qu’un demain était possible…

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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
--Apolonie
[Mad world… où elle accepte d’être morte…]

Oh elle le sait… Elle sait vraiment. Elle a vu le monde continuer de tourner, elle a vu son fils grandir, elle a vu son Autre viellir, elle a vu le BA suivre sa course vers la daube qu’ils promettaient déjà il y a quelques temps… Elle a vu ce qu’Arthur avait vécu… Elle n’avait pas pensé que ses mots la remettraient en place de façon si radicale. Peut-être ne se rend-il pas compte, Arthur, de ce qu’il lui dit, de ce qu’elle entend.

Apolonie a toujours eu une ouïe sélective de toute manière. De tout ce qu’elle a entendu ou qu’on lui a dit, elle n’a bien retenu que ce qu’elle a voulu… Interprétant à sa façon les mots prononcés par ceux qui s’intéressaient à elle assez pour lui parler franchement. Arthur en fait partie, bien sur, et elle se souvient de discussions interminables parce qu’ils n’étaient pas d’accord sur l’assertion d’un mot, sur laquelle elle aimait jouer.

Ayant posé la question, elle ne peut que se confronter à la réponse, on ne pourra pas dire qu’elle ne l’a pas cherchée. Elle ne s’attendait pas à ces quelques mots échappés d’un flot de paroles dont il avait le secret. Surprenants, seulement pour elle. Egoistement enveloppée dans sa culpabilité et son dépit d’être morte si tôt, si jeune, elle avait refusé d’envisager à quel point elle avait pu le faire souffrir. Fermée à cette éventualité, même si son sentiment en dépendait, elle avait occulté le degré… Sa tristesse et sa déception de n’avoir pas tout accompli avait posé un voilage obscurcissant pour elle les blessures des siens.

Et puis… Et puis Eikorc lui n’avait rien reconstruit. Il avait détruit, attaqué, mis à terre. Il avait tout refusé, se livrant au libertinage comme auparavant, mais avec moins de cœur, moins d’âme, accordant encore moins de lui à ses maitresses d’un soir ou de plusieurs. Eikorc avait perdu son âme. Et la brunette, naïvement, éperdument, avait cru que si pour les autres il n’en allait pas de même, alors c’est qu’ils seraient heureux et qu’elle n’avait pas représenté tant que ça pour eux. Ce qui ne la dérange pas. Aussi étonnant que ça paraisse, encore deux semaines avant sa mort, Apolonie expliquait à quelqu’un qui ne la reconnaissait pas lors d’une seconde rencontre qu’il n’y avait rien là d’étonnant, elle était assez insignifiante pour qu’on l’oublie. Et d’assortir l’assertion d’un sourire.

Alors ces quelques mots… « Heureux par bribes, comme si je reconstruisais, lentement, pièce après pièce, un univers qui a volé en éclat quand il a perdu sa clef de voûte. Quand tu es partie. » Levant son minois ectoplasmique vers le moulinois, l’azur hurle la force de sa révolte, de sa surprise, de son désarroi… Mais perdu dans son récit, il continue, sans remarquer qu’Apo s’est crispée. Pas grave, elle aura d’autres raisons de le faire.


Et il a raison le maire, elle fronce le nez… Quoique Sunie lui ait apporté, elle n’est pas sure qu’il en ait fait autant, ni que cette relation n’ait eu une raison d’être… La fraicheur et l’innocence, certes, celle qui fut son écuyère pendant son dernier mois était une jeune fille pleine de vie… Mais aussi pleine d’évidences qui n’en étaient pas, de naïveté qui frisait l’ignorance, de convictions qui n’en étaient pas. Apolonie avait pensé ouvrir les yeux de la demoiselle de la Forêt, mais en la prenant comme écuyère pour mourir peu après, elle avait eu l’effet inverse, et l’ex vicomtesse avait pu le mesurer dans les relations que croyait avoir Sunie avec Eikorc par exemple…

Léger soupir enfui d’une gorge nouée. Pas de jalousie chez la brune, ce serait déplacé, et contraire à son caractère, mais un sentiment de temps perdu… A vouloir le meilleur pour ceux qu’on aime, on en oublie qu’ils doivent faire leur erreurs, et qu’on en apprend… Sunie… Une jeune fille adorable et volontaire. Peut-être l’a-t-elle vraiment aidé, son moulinois… Mais elle ne doute pas que d’autres auraient pu le faire. Et elle ne pense pas qu’Arthur ait aidé Sunie, pour le coup. La Cuyère avait besoin d’être tenue, remise en place, et cadrée. Peut-être pour ça que la montluçonnaise avant tant aimé la Sentinelle…Apo n’hésitait pas. Et connaissant Arthur, nul doute qu’il n’a pas été aussi franc que Sunie en avait besoin… C’est là le seul regret de la brunette…

Elle force un sourire sur ses lèvres quand elle lui répond, néanmoins. Faut croire qu’elle n’a pas perdu tous ses talents de diplomate. Faut dire qu’elle aura exercé ce métier quasiment toute sa vie active et qu’on lui prêtait même certaines qualités. Ancrant l’azur dans le regard de son amant, elle n’y va pas aussi franco que d’habitude, de toute façon il aura deviné à son nez plissé.


Oui, Sunie… je ne doute pas qu’elle ait été… reposante, rafraichissante, adorable et adorée…
Je l’ai vu, cela. Ce que je n’ai pas vu, c’est le maitre dont elle avait besoin, et qu’elle croyait trouver en toi… Cette relation était contre nature…
Je ne t’ai jamais menti, je ne vais pas commencer hein…Tant mieux si tu t’en es bien tiré, pas sure que ce soit son cas…


Elle reste franche…ça on ne le lui enlèvera jamais, pour sûr. Même quand ça fait mal. Elle n’y peut rien, elle est née comme ça. Elle aimerait adoucir ses discours, ou mentir pour faire plaisir, ne rien pour ne pas froisser… elle ne sait pas. Tout ce qu’elle sait faire à cet instant, c’est mélanger ses doigts à ceux d’Arthur, enserrant sa main de charpentier dans sa paluche de combattante, et grignotant un baiser au coin de ses lèvres, elle esquisse un sourire réconfortant.

Et ensuite Arthur ? Es-tu heureux ?

____________
Arthurdayne
Quelques tressaillements sous ses mots, il les ressentait comme au travers de lui, presque. Elle était là, contre lui, comme autrefois. Le temps d'un abandon fiévreux, dans cet entre deux mondes, ils étaient tous les deux, et parlaient. Elle tressaillait de temps à autres, signe d'un mécontentement, d'un début de colère, peut être. Mais il devait continuer. Les mots venaient, si naturellement, eux qui lui avaient tant brûlé la gorge qu'il avait mis des mois à pouvoir en prononcer certains à nouveau. Alors il avait poursuivi, imprimant dans sa peau chacun des infimes cillement du corps d'Apolonie, signes qu'il connaissait par coeur, dont il aurait tout à loisir de comprendre plus tard le sens. Lorsqu'il eut abordé son histoire avec Sunie, elle soupira. Ultime cillement, ultime signe d'agacement.

Oui, Sunie… je ne doute pas qu’elle ait été… reposante, rafraichissante, adorable et adorée…
Je l’ai vu, cela. Ce que je n’ai pas vu, c’est le maitre dont elle avait besoin, et qu’elle croyait trouver en toi… Cette relation était contre nature…
Je ne t’ai jamais menti, je ne vais pas commencer hein…Tant mieux si tu t’en es bien tiré, pas sure que ce soit son cas…


Je sais... Je sais qu'elle n'a pas trouvé en moi ce qu'elle cherchait, que je n'ai pas pu le lui offrir. Et je m'en veux. Je ne lui ai rien dit, mais je m'en veux. Toutefois... notre histoire a été un croisement. Nos chemins, à un moment, se sont confondus l'un à l'autre, naturellement, et se sont séparés tout aussi naturellement. Pas sans douleur, mais... comme si nous avions su, l'un comme l'autre, dès le début, que le temps qui nous était imparti avait pris fin. C'est pour cela que je n'ai pas voulu être le maître dont tu parles. Je n'ai pas voulu la priver de sa liberté parce que je savais, au fond de moi, que nos chemins se décroiseraient, que nous poursuivrions chacun notre route. Ce qu'elle m'a apporté, j'en ai pris conscience très vite, par delà la souffrance de notre rupture. Pour elle...

Petite pause. Silence infime qui trahit, malgré l'assurance des propos, un doute avec lequel il lui faudra vivre, pour le moment.

Pour elle, ce sera plus long. Elle est plus jeune, elle ne doit voir dans notre relation qu'un échec de plus. J'espère qu'elle se rendra compte assez vite que notre relation n'a pas été comme les autres, comme ses précédentes, qu'elle lui a permis de franchir un pas, même si elle n'en voit pas encore les effets. Cela prendra le temps qu'il faudra. Mais j'espère qu'elle en prendra conscience...

J'espère...

Regard qui se perdit, un moment. Bien sûr, il avait déjà pensé à tout cela, à ce qu'avait eu pour conséquence son histoire avec Sunie. Mais jamais de manière aussi clairvoyante. Parce que c'était son horizon, là, sous ses yeux, entre ses bras, et qu'elle avait toujours su, pour le meilleur ou le pire, mettre le point exactement sur ce qui l'exigeait.

Les mains intangibles et pourtant si présentes se mêlèrent l'une à l'autre, et des lèvres à la douceur spectrale et au souvenir charnel si prégnant vinrent, comme par le passé, croquer un baiser au coin des lèvres d'Arthur.


Et ensuite Arthur ? Es-tu heureux ?

Tu sais... j'ai failli perdre un autre pan essentiel de mon existence. Une autre base sans laquelle, en ton absence, je me serais sans nul doute effondré sur moi même, aurais rejoint la poussière dont je suis issu. J'ai failli perdre Iliana. Elle ne parlait plus, à cause de moi, de sa mère, à cause de ses rêves d'enfants qui ont du se confronter à notre réalité imbécile... Elle a fugué, dans la forêt. Et elle a été enlevée. Par une folle furieuse, un archer comme je n'en ai jamais vu. Elle voulait échanger ma fille contre un poignard qu'elle disait avoir perdu lors de l'attaque contre Moulins. Tu te souviens? Je t'avais parlé de cet assaut sur la ville, qui avait eu lieu un peu avant ton retour en BA.

C'est Grid et Lilou qui ont sauvé Iliana... Ils étaient, par je ne sais quel jeu du hasard, en possession du poignard. La garce a fui, mais Iliana s'est remise à parler. Elle s'est rouverte au monde et moi aussi, par la même occasion. J'ai pleinement reconstruit cette pièce là de mon monde à ce moment. Si tu as assisté à cette scène étrange, alors qu'Ili et celle qui la détenait étaient perchées en haut d'un arbre, et nous tous en bas, à attendre son bon vouloir... Tu as du ressentir la rage qui m'habitait à ce moment là. Une rage comme je n'en avais pas connu depuis... si longtemps...


Regard perdu, loin, si loin, qui se retrouve en croisant l'azur, qui s'y raccroche, s'y laisse choir, s'y noie, pour quelques instants encore.

Et puis il y a Aube... Elle est comme un torrent d’innocence, elle déborde d’énergie, de curiosité… Elle me donne un sentiment de vie nouveau... Je ne sais pas où va me mener notre histoire. Mais j’ai envie de le découvrir… Et le simple fait que j’en ai envie…

Main qui se balade dans ses cheveux en bataille, avant d’aller, doucement, suivre la long chute de la natte d’Apolonie, et de se perdre dans l’immatérialité de ses hanches.

Il ne reste qu’une pièce que je n’ai pas reconstruite. Une ombre à chasser, la plus difficile. Une confrontation, la dernière.

Arthur regarda ses mains, comme on regarde deux mirages du passé. Ses phalanges qu’il avait brisées voilà si longtemps sur le tronc d’un chêne, là bas, à Varennes. Un chêne dont le bois était marqué de son sang, désormais. Sang dont il avait marqué aussi, perdu dans l’immensité de la souffrance, les joues d’un nouveau né. Deux traits de sang, deux lignes écarlates, deux lignes de vie. Deux liens qui l’attachaient à ce bébé devenu un homme, qu’il n’avait qu’entraperçu depuis. Qu’il avait évité, soigneusement.

Gaspard…
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
--Apolonie
[Et passent les anges…]

Comme ils se comprenaient… Depuis ce qu’elle appelait leur seconde rencontre, celle où ils avaient appris à se connaitre, à se découvrir. Les longues heures, les après midis entières, les nuits passées à parler, à se raconter, à partager… Ces heures n’avaient pas été perdues. Arthur et Apolonie s’étaient liés comme seuls quelques savent l’être.

D’un coup d’azur sur le visage du moulinois, elle pouvait désormais y lire ce dont elle avait besoin pour deviner ses émotions. Chose qu’elle s’était refusé à faire pendant ses années d’errance à travers le royaume. Ne pas le faire sans qu’il le sache, ne pas plonger en lui si ce n’était réciproque. Qu’il lise en elle, et elle se faisait un plaisir de le décortiquer. Mais sans réciproque, elle se serait fait l’impression d’une voyeuse en plongeant dans son âme. Ainsi, même si elle les avait pressenties, elle apprenait ce qu’avaient réellement été les sentiments d’Arthur.

Ainsi il l’avait aimée… mais pas assez pour lui apporter ce dont elle avait besoin… Sunie cherchait un maitre, une idole, quelqu’un à suivre, à aimer, à adorer… Sunie avait besoin d’un guide, et Arthur n’avait pas pu l’être, lui qui à cause d’Apo, devait réapprendre à vivre, rire et aimer… La brunette n’avait pas mesuré ces effets pervers de sa mort… Elle avait cru manquer sa vie, elle en avait détruit tant d’autres, ne fut-ce qu’un temps…

Et ça, pour Apo, il n’y a rien de pire comme découverte. Qu’Eikorc souffre, elle s’y était faite. Elle-même n’aurait pu survivre à sa mort. Elle n’aurait pas perdu son âme mais sa vie en perdant le colosse. Mais elle n’avait pas imaginé que d’autres le vivraient si mal. L’ectoplasmique esprit avait eu beau suivre Arthur pendant ses pérégrinations, Apolonie avait refusé de voir à quel point il souffrait. Elle réalisait aujourd’hui quel impact elle avait pu avoir… et le regrettait. Mais il était trop tard, elle a obtenu son pardon.

Et elle ne dit rien, le fantome, elle ne dit rien quand il parle d’Iliana, quand il raconte sa crainte, sa peur, muée en rage, en haine face à l’adversaire connu… Elle ne dit rien mais serre sa main, si fort qu’elle y laissera la marque de ses doigts, qu’il verra à son réveil… Elle le regarde, laissant fuir dans l’azur les mots qui lui échappent. Elle est mère, elle sait. Même si… Même si elle est morte, même si elle n’a pas eu l’occasion de développer son instinct maternel, même si… elle le connait suffisamment pour deviner et ressentir ce qu’il a vécu …

Puis il lui parle d’Aube… Elle sourit. Un sourire jaune, aigre, jaloux. Parce qu’elle est jalouse, la sentinelle, de celle qui ressemble tant à ce qu’elle était à son arrivée dans ce royaume. Pire, elle devine que la blonde n’aura pas les envies de la brune, qu’elle saura se contenter de ce qu’elle a, une fois… déniaisée. Qu’elle saura apprécier Arthur à sa juste valeur. Une légère crainte… L’enfermement.

Elle les a vus en taverne, chez eux, à l’échoppe… elle est omnisciente, la brune, elle sait… Et elle a plissé le nez plus souvent qu’à son heure, elle ne peut qu’espérer, pour lui, surtout, ne la connaissant pas, qu’il saura sortir de ça, élever cette relation, la vivre… En faire quelque chose de beau…


Sois heureux Arthur… Ne t’oublie pas. Ne deviens pas le Thuthur à sa minette, s’il te plait.
Reste toi-même… Devine toi et sois le, s’il te plait. Ne te perds pas. Ne la perds pas.


Puis elle sent l’échine se faire caresser par un frisson bien connu… L’obstacle, l’ombre… Celui qu’Eikorc voulait tuer avant de l’adopter, celui qu’on a haï pour son nom, aimé en le croisant ou l’inverse… Son fils. Gaspard, qui porte son nom, qui ne sait pas se taire, qui parle, rencontre et n’hésite en rien. Un jeune brun bien plus grand que la moyenne, futur chevalier avec un oncle mercenaire, enfant dans un corps d’homme, qui n’avait pas croisé Arthur depuis sa sortie de l’enfance, celui qui avait ses yeux dans lesquels tous la reconnaissaient.

Il est grand, il est beau, il est bon. Il vit sa vie. Il n’est pas moi, il ne m’aime pas. Il n’aime que sa rousse, ne respecte que Marie, la Licorne et son oncle… N’apprécie que ses amis, et fait le paon la plupart du temps…
Tu le détesterais, tu l’adoreras. Ne l’accueille pas comme mon fils… Mais comme le fiancé, le mari de celle que tu apprécies. Ne me reconnais pas en lui, il ne me connait pas.
Aime le, protège le, parce que tu sais que tu l’aurais élevé, mais ne lui en veux pas… Il est pire que sa mère, il n’a de respect que pour ceux qu’il aime… j’en avais pour les gens intelligents.


Elle sourit, Apolonie, en disant ça. Le Très Haut sait qu’elle n’a pas suivi les règles, pour autant elle a respecté de ses adversaires. L’azur caresse le minois du moulinois, l’effleure, le dessine, et s’ancre dans son regard. Un amour indicible et infini l’habite, dont il habille Arthur, le recouvrant entièrement.

Tu le verras forcément… Aime le…
Sois heureux, Arthur…
Dis… tu m’aimes encore ?


_________
Arthurdayne
Les mots s'écoulaient en lui, il les laissaient venir, sans le moindre rempart, cherchant à imprimer à même sa peau la moindre intonation, la moindre fluctuation de l'air nés à fleur des lèvres diaphanes d'Apolonie. Parce qu'il savait, au fond de lui, par une obscure semi conscience restée à quai lorsque les amarres avec la réalité s'étaient, d'une manière ou d'une autre, rompues, que l'instant hors du temps qu'ils vivaient prendrait fin, à un moment, fatalement. Alors il restait là, adossé contre son arbre, le corps immatériel d'Apo contre lui, de peur qu'au moindre mouvement qu'il fît, l'image, ou la présence, ou quoiqu'elle fut au juste, disparaisse dans les limbes d'où elle était venue. Ou bien que lui même, que la projection de lui, de la carcasse douloureuse qu'il était là bas et n'était plus ici, soit happé vers le monde d'où il venait, où il avait sa place. Encore pour quelques temps...

Il écoutait Apo, la regardait, s'efforçant de retenir chaque geste, chaque expression, chacun des traits, tout ce qu'il connaissait déjà par coeur, tout ce qui, malgré le temps, malgré la crainte de l'oubli, ne s'était pas affadi en son esprit. Il savait ses rires, il savait ses peines, il savait ses craintes. Ils avaient appris l'un de l'autre, appris l'un sur l'autre, et par là appris sur le monde et sur les êtres, sur les liens qui peuvent se tisser ou se détruire, sur les marques que laisse notre histoire sur chacun d'entre nous. Ils s'étaient trouvés. Leurs chemins s'étaient croisés, sans qu'ils ne le remarquent vraiment, puis décroisés, puis recroisés à nouveau. Leurs histoires, entre temps, avaient laissé de nouvelles marques. Dire qu'ils s'étaient ratés la première fois n'aurait eu aucun sens. Se dire qu'ils auraient eu plus de temps s'ils n'avaient pas commencé par se haïr était une absurdité. Arthur avait exploré tout cela, lors de ses errances. Leur histoire avait été telle qu'ils l'avaient vécu parce qu'ils avaient trouvé l'un chez l'autre ce dont ils avaient eu besoin à ce moment précis de leur cheminement.

Elle lui parlait de Gaspard. De ce jeune garçon qui n'était pas elle, sans pour autant être entièrement quelqu'un d'autre. Il n'avait que le croiser, ces dernières années, sans jamais rien faire pour aller vers lui, par lâcheté, sans doute. Et pour laisser le garçon libre également. Libre de choisir par lui-même le cheminement qu'il souhaiterait emprunter. La rencontre viendrait, en son temps. Ou ne viendrait pas. Ce qui n'avait que peu d'importance, au vrai. La seule chose de valeur aux yeux d'Arthur, était que Gaspard sache qu'il était là. Et il le savait, par Marie, par Maeve. Le reste n'était qu'une histoire de chemins...

Arthur esquissa un demi sourire aux mots d'Apolonie. A la manière dont elle décrivait son fils. Il devinait derrière ces mots tout ce qu'elle ne disait pas. Ne se disait pas à elle même, peut être. Il la connaissait. A la fois tellement peu, et pourtant si profondément. Il avait appris à déceler tout se qui se cachait derrière l'azur, derrière l'armure. Il savait de quoi elle se parait et pourquoi elle s'en parait. Bien sûr, il était resté tant de choses à apprendre d'elle, tant de mystères et de détours obscurs. Tant à construire et déconstruire ensemble. Mais il n'avait plus pour eux que cet hors monde étrange dans lequel ils flottaient tous les deux. Et cela n'avait pas de prix...

Il écoutait ses mots, il regardait ses lèvres, la sentait contre lui. Sa voix vibre doucement lorsqu'elle parle de Gaspard, de ce fils qu'elle a maudit, qu'elle avait commencé à accepter, qu'elle reconnait malgré la mort. Sur lequel elle veille, à sa façon.


Tu le verras forcément… Aime le…

Je le verrai... peut-être... Et je l'aime, Apo, pour ce qu'il est de toi, pour ce qu'il est de lui, pour ce qu'il est aux yeux de Maeve.

La voix s'adoucit, encore un peu. Comme une plume, elle vient se poser délicatement au creux de l'oreille d'Arthur. Un souffle qui vient faire naître un frisson délicieux.

Sois heureux, Arthur…

Je m'y emploie, du mieux que je peux... Et je ne me perdrai pas. J'ai des points d'ancrage, dans un monde, dans l'autre... Ils me sont nécessaires, je ne les perdrai pas. Et je t'ai toi... Tu es en moi, plus que n'importe quoi d'autre... Tu es mon énergie, dans la tristesse comme dans l'espoir, dans la douleur comme dans la joie... Tu es mon malheur et mon bonheur, Apolonie. Et l'un ne peut être sans l'autre.

La voix d'Apolonie s'étiole. L'inconsistance s'évanouit, doucement. L'immatérialité se floue, le mirage laisse passer des sons qui n'ont pas leur place ici. Un souffle lui parvient, il croise, s'ancre à deux puits d'azur où il aimait tant à se perdre. Quelques mots, quelques mots qui déjà, semblent venir d'ailleurs, de si loin, de trop loin. De par delà des mers inconnues, d'au delà des cieux inexplorés.

Dis… tu m’aimes encore ?

Je t'aime, mon horizon. Pas encore... pas encore, parce que je n'ai jamais cessé de le faire. Je t'aime, Apolonie, n'en doute jamais, quelles que soient les limbes que tu traverses... Tu es mon horizon...

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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
Apolonie, incarné par Arthurdayne
[Tout ou rien…]

Elle soupire… D’une brise légère qui remue une mèche de son moulinois, délicieusement récupérée par un vent moins mélancolique que celui qui s’échappe des lèvres de l’ectoplasme… Elle soupire, celle qui jamais ne fut « la belle », non de tristesse, mais d’une douce langueur comme n’en procurent que les trop rares moments de pure complicité, de pure félicité.

Qu’elle en eut de la chance la petite auvergnate, finalement… A l’aulne des confidences de son dernier amant, elle mesure combien sa vie avait été heureuse sur Terre. Vingt ans seulement, mais que de choses accomplies, que de rencontres sublimes, que d’amour et que de partage… ! Profitant des bras d’Arthur, elle se laisse bercer par une minute d’une douce nostalgie. De celles qu’il lui permettra, parce qu’il la connait…

Amusant… De toutes les rencontres qu’elle a pu faire en ce bas monde, les deux plus marquantes auront été deux hommes que tout oppose. Le salut et la damnation, la construction et la démolition, la raison et la folie, l’amour et l’envie, l’amour et la passion, Arthur et Eikorc… Qui l’aurait cru ? Que de ceux qu’elle a connu, ces deux là seraient les seuls finalement à déchirer un cœur ectoplasmique… Pourtant, le Très Haut sait combien elle en a aimé… de manière si différente. Les amis, les rencontres, les filleules, les connaissances, les proches…

D’un sourire esquissé sur un minois qui déjà file parmi le temps qui passe, elle se remémore quelques unes des rencontres les plus marquantes… Armagnac, bien sur. « Mange de la viande, et tu deviendras sentinelle. » Marie Alice… Rhan. Willen bien sur ! Et les moulinois… Ceux qui malgré les mois, les années et les turpitudes de la vie d’une brunette avaient su rester fidèles à son amitié… Grid, en premier, son meilleur ami, son confident de toujours, celui sans qui elle n’aurait pas été celle qu’elle fut. Nim, son compagnon d’insomnie, de débat rhétoriques sur tout et rien, Bireli, son mentor, son premier amant, celui qui la rendit plus noire que noire… Réveillant l’Apo en Apolonie.


Fab… L’Andalou qui avait fait découvrir la poésie à un esprit terre à terre, celui qui lui avait appris qu’on pouvait danser sur des nénuphars, qu’on pouvait aimer sans fard. Lilou, qui la première lui avait confiée sa taverne… Thea, sa filleule, sa protégée, son amie. Beths, découverte trop tard. Marty, son ami de toujours, le plus vieux après Leg qu’elle peut compter dans ce royaume. Legowen, cette première filleule, arrivée quinze jours après elle, sa première amie. Et tant d’autres…

Jusqu’à Arthur. Le dernier. Ami, amant, amoureux…Ame, tout court. D’un battement de cils elle l’effleure et le caresse, l’embrasse et le dessine. Lui qui sans jamais avoir vu ce qu’elle était capable de faire, ne faisant que le deviner, l’avait accepté. Contrairement à Eik qui l’avait vue torturer un homme qu’elle venait d’embrasser, Arthur n’avait su d’elle que ce qu’elle avait livré, et pourtant.

Il en savait tellement… D’un sourire elle s’écarte, s’étiole, sans vraiment le quitter…


Comme depuis… si longtemps. Arthur, sache que je t’aime, aussi, toujours, encore, à jamais.
Ne m’oublie pas, mais ne t’oublie pas…
Sois heureux, mon Espoir…


D’un dernier baiser qui dure une éternité, elle s’arrache à l’étreinte. Il est temps. D’une main diaphane elle efface sur son front toute trace de fièvre ou de gueule de bois. Dans les veines du moulinois ne coule plus nul alcool, elle lui évite d’avoir mal, autant qu’elle le peut. Il dort… Demain il se réveillera, ne se rappelant que ce qu’il souhaite se rappeler, tout ou rien, all or none.

Il en va de même pour elle. C’est tout ou rien… All or none, Apo, tu ne peux pas mourir et tout garder, il t’en faut t’en aller… Le regret pèse lourd dans l’azur de l’ectoplasme, mais elle a dit ce qu’elle avait à dire. Elle a évité les remarques désagréables sur le tas d’auvergnats qu’elle exècre, sur la situation actuelle, elle a évité de s’énerver, elle ne s’est concentrée que sur Lui, sur ce qu’ils avaient à partager, sur le monde par Athur, sa vision des choses, de sa vie, ses émotions.

Alors que déjà elle doit repartir, qu’elle sent de moins en moins sa chaleur, qu’elle se sent de moins en moins, elle esquisse un dernier sourire, buvant jusqu’à la lie les instants qu’elle passe à ses côtés et le plaisir qui la parcourt en frissons qui s’espacent comme s’augmente la distance entre eux… Leurs doigts s’effleurent encore avant de définitivement se lâcher. Une dernière phrase.


Vis !

Et le fantome de s’éloigner, laissant le moulinois se réveiller au petit jour, la tête dans du coton, elle s’en va voguer vers d’autres lieux. Elle reviendra, bien sur. Qu’il s’en rende compte, c’est une autre affaire…


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Arthurdayne
Déjà, Arthur se sentait tiré en arrière. Happé par un autre monde, le sien, celui où elle n'est pas. Le monde où il souffre, mais le monde où il vit. Il la serra contre lui, voulant se retenir à elle, sachant qu'il ne pourrait pas s'ancrer à cet entremonde qui n'existe que parce qu'ils sont eux. Il se laissa aller, une dernière fois, au bonheur pur et sans fard de la tenir contre lui, de se sentir habité par elle, d'avoir enfin retrouvé, le temps d'une entorse au temps, un horizon auquel accrocher son regard. Elle glissa quelques mots à son oreille, qu'il laissa s'insinuer en lui, imprimant chaque nuance de sa voix, chaque tressaillement de son souffle. De tout ce qu'elle n'était plus, de tout ce qu'elle avait été, de cette présence si puissante qu'elle leur avait permis, malgré les frontières du réel, de se retrouver, de s'abandonner l'un à l'autre une fois encore.

Sois heureux, mon Espoir…

Doucement, de peur que sa présence, qui s'affaiblissait déjà si vite, ne s'évanouisse d'un coup, Arthur hocha la tête, puis laissa les lèvres éthérées venir cueillir un ultime baiser sur les siennes. Il goûta cet instant, le faisant durer autant qu'il pouvait, ne sachant pas s'il pourrait en garder le souvenir, incapable d'appréhender l'idée de passé ou d'avenir, de cause ou de conséquence. Incapable d'autre chose que de l'aimer, de s'emplir d'elle.

Puis elle ôta le bâillon de ses lèvres et s'étiola un peu plus encore. Sa silhouette se fit plus évanescente, son corps diaphane plus léger, sa peau plus transparente. D'un geste tendre, elle effleura son front. Il sentit la caresse de ses doigts, la sentit comme le frôlement d'une brise. Elle s'évanouissait, elle disparaissait, repartait dans les nimbes, mais Arthur n'essaya pas de la rattraper. Pas de mouvement paniqué, pas de sursaut de souffrance, pas de tentative de la garder. Parce que l'idée de réveil n'émergeait pas encore aux abords de sa conscience, parce qu'elle était là, encore un peu, et que le reste n'avait pas d'importance. Parce qu'il savait, désormais, qu'elle serait là, toujours, qu'elle gardait vraiment, comme le lui avait dit Legowen, un oeil bienveillant sur lui. Comme les étoiles qui brillent d'un éclat plus ou moins pâles suivant la saison, qui disparaissent parfois derrière la brume, mais qui sont toujours là, d'autant plus présentes que la nuit est noire et profonde. Il savait, désormais, que son horizon veillait sur lui, qu'elle l'avait aimé, qu'elle l'aimait toujours, s'il lui était possible d'aimer de là où elle l'observait.

Alors qu'il ne subsistait plus d'elle que quelques lignes lumineuses, que l'esquisse légère de sa silhouette, que le souffle subsistant de sa voix et de ses gestes, Arthur tendit la main vers elle, leurs doigts se rencontrent, une dernière fois, comme pour réaffirmer ce lien ténu mais puissant, ce fil de soie qui les attachait l'un à l'autre par delà le temps et la mort. A ce dernier effleurement succéda un plongeon lent mais inexorable dans les abimes de sa conscience, bercé par un mot, presque un souffle.


Vis!

L'éveil s'imposa peu à peu. Les rais de lumière s'infiltrèrent entre ses paupières closes, qu'il finit par ouvrir lentement. Le bruissement de la rivière, d'abord semblable à un ronronnement lointain, reprit ses droits. Les senteurs de ce début de printemps s'imposèrent à ses narines. Emergeant peu à peu, Arthur peina à se rappeler où il se trouvait. L'esprit brumeux, il chercha autour de lui des éléments pouvant lui permettre de reconstituer ce qui s'était passé depuis... depuis quoi, déjà?

Là, allongé dans l'herbe, à sa main gauche, une bouteille vide. Diable... Là bas, la rivière. Dans son dos, le tronc d'un saule. Il était venu au bord de l'Allier... Rien d'étonnant, jusque là. Mais il était seul... pourtant... pourtant il aurait pu jurer avoir discuté avec quelqu'un. Avoir échangé, partagé... Que s'était-il passé, au juste?

Essayant de bouger, Arthur grimaça. Ah oui... son épaule... Il avait senti l'infection lorsque la fièvre s'était exprimée. Mais il n'était plus fiévreux. D'un coup d'oeil, il vérifia une nouvelle fois que la bouteille était bien vide. Etrange... Il n'avait pas mal au crâne. Nul tambour battant ses tempes, comme c'était l'habitude au réveil, lorsqu'il découvrait des cadavres de bouteille autour de lui. Il se sentait même étrangement serein. Comme si un poids insidieux, dont il n'avait pas vraiment conscience de la présence auparavant, se révélait par son absence désormais.

Lentement, à gestes comptés, il se releva. Il se sentait vidé de toute force, mais dans un état d'apaisement comme il n'en avait pas connu depuis des mois, des années. Passant une main dans ses cheveux en bataille, Arthur promena son regard alentour. Il s'était passé quelque chose, il en avait obscurément conscience. Il cherchait, fouillait dans sa mémoire, mais ce quelque chose fuyait, lui filait entre les doigts dès qu'il s'en approchait. Lentement, il décida de prendre le chemin du village, toujours plongé dans ses songes. A l'horizon, le soleil commençait à disparaître.

A l'horizon...

Arthur s'arrêta et contempla l'horizon. Une légère brise soufflait, portant à son oreille un murmure à peine perceptible, comme un message confié aux mânes éoliennes. Un message dont Arthur comprit soudain la teneur.

Vis !

Et les sensations s'imposèrent, se bousculèrent, le submergèrent. Elle. Son horizon. Elle avait été là, il l'avait senti, l'avait serré contre lui. L'avait embrassé.

Ils avaient parlé. Ils avaient échangé tout ce qu'ils n'avaient pu se dire.

Vraiment? Non... tout cela n'était qu'un rêve. Cela n'avait pu être qu'un rêve.

Posant une main sur son front, en quête d'une trace de fièvre, Arthur chercha à savoir. Puis comprit que cela ne servait à rien. Savoir si cette rencontre avait été un rêve ou la réalité n'avait pas d'importance. Cet instant avait été hors de toute notion de réalité ou d'irréalité.

Il s'était bercé, dans un étrange entre deux mondes, de son horizon disparu. Rêve, illusion fiévreuse, rencontre surnaturelle, écho de par delà les cieux, cela n’avait pas d’importance.

Elle avait été là. C’était tout ce qui comptait.

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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
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