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[RP] Fable cruelle du Sans-Nom - Chapitre 1

--Sorguina
Fable cruelle du Sans-Nom

"Life's but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing."


Shakespeare, The Tragedy of Macbeth



Introduction

La timide lumière du cierge vacilla sous la brise légère. Dans l’âtre, les dernières braises luisaient silencieusement, jetant des ombres inquiétantes sur les marmites et les ustensiles de cuisine suspendus au mur de galets. La nuit était maintenant tombée depuis plusieurs heures mais la petite vieille, recroquevillée sur son tabouret, poursuivait inlassablement son patient travail de couture.

"Qu’en dis tu, mon mignon ?"
dit-elle, s’arrêtant enfin pour arborer son ouvrage presque terminé. Le gros chat roux qui ronronnait jusqu’alors près du feu leva une oreille et ouvrit paresseusement l’œil pour jeter de sa pupille claire un regard indifférent sur le tricot. "Je vois… tu n’en as cure, et tu as bien raison…il est temps de nous égayer un peu par des choses plus amusantes." Disant cela, elle se hissa péniblement de son tabouret et avança à pas lancinant vers le volet encore ouvert. L’ayant refermé, elle se dirigea vers un vieux placard vermoulu et en tira une petite fiole remplie à moitié d’un liquide vermeil. "Il nous en reste encore bien assez", dit-elle au félin qui se prélassait toujours, levant et faisant retomber sa queue à intervalles réguliers devant le foyer mourant.« Viens là, stupide bête », appela la vieille. Le chat se contenta d’émettre un miaulement nonchalant. Sa maîtresse approcha à pas pesant et saisit l’animal par le col. Mais l’animal, dés qu’il fut dans ses bras, bondit gracieusement jusqu’à terre et fila vers l'issue du logis, fermée par une lourde porte de chêne qu’il se mit à griffer obstinément.
« D’accord, mon beau, nous allons aller au dehors » dit la vieille de sa voix grave et lente. Elle se dirigea à son tour vers la porte et fit basculer le loquet de métal.

La porte s’ouvrit sur l’immensité sombre d’une vallée boisée. Le vent s’était levé et la forêt d’Iraty bruissait comme un vaste et paisible océan avant la tempête. De lourds nuages de pluie s’accrochaient aux montagnes environnantes, obscurcissant davantage le paysage nocturne. Loin des villages et de leur agitation, la bicoque de la vieille, îlot perdu de civilisation au milieu de l’étendue sauvage, se dressait modestement du haut de son promontoire rocheux dépouillé d’arbres. Tout était calme. On n’entendait plus que le bruit du feuillage environnant et, par intermittence, le hululement mystérieux d’une chouette ou la plainte d’une bête nocturne.


« Te voila satisfait ? » demanda la vieille au félin qui se tenait à présent immobile et attentif à quelque distance de la chaumière. « Tu aimes les histoires n’est ce pas ? J’ai une histoire passionnante pour toi ce soir…une histoire que le Maitre lui-même dirige comme il l’entend. Le Maître a toujours su mener les histoires de façon passionnante… »S’étant approché du chat, elle s’assit à ses côtés sur l’herbe humide et but lentement le contenu de la petite fiole. Quelques instants s’écoulèrent. La vieille et son animal, immobile l’un comme l’autre regardaient le ciel opaque et bas.

Alors, le vent se leva petit à petit. La faible bougie s’éteignit. Les braises étaient déjà mortes. Lentement, les nuées dérivant sous le souffle impétueux des cimes s’écartèrent pour laisser paraitre une lune éclatante et froide. Les montagnes pâlissantes dévoilèrent leurs majestueuses aspérités.« Regarde, mon mignon ! » s’exclama la vieille exaltée, pointant de sa main ridée la face livide de l’astre. Le félin roux dressa l’oreille comme un guetteur inquiet.« Le Maître est à l’ouvrage ! Ils seront bientôt trois de plus à se trouver broyés dans son sinistre théâtre, trois marionnettes qui ne se doutent pas encore que la farce cruelle commence… Les décors sont déjà posés et les acteurs sont prêts sans le savoir, l’auteur ricane dans les coulisses. Que le spectacle commence… »

Au loin, comme attirée par l’écoute du conte qui allait être dit, la chouette s’était tue.
Isaure.beaumont
Chapitre Premier

Beauty provoketh thieves sooner than gold." - William Shakespeare, As You Like It

La route, qui n’avait fait que traverser bois et bourgs, longeait à présent le Tarn aux eaux scintillants sous l’éclat nouveau du soleil. Cela faisait quelques heures que le petit groupe s’était mis en route : l’aube les avait vus s’éveiller, l’aurore les avait vus partir.

Et inexorablement, la petite troupe – composée de cinq hommes d’armes aux couleurs de la vicomtesse de Bapaume escortant Isaure et sa chambrière, Madeline – approchait de la ville au saule d’or sans feuille.
Sur une petite grève, on laissa les chevaux s’abreuver. Certains s’aventuraient dans la rivière jusqu’au poitrail, obligeant alors les cavaliers à relever les jambes. Ce fut un moment de détente, où les rires fusèrent. Le voyage touchait à sa fin, et cette seule pensée rendait la troupe enjouée. Fleur de Lys, ‘aquaphile’ à ses heures perdues, se serait roulé dans l’eau si sa jeune maîtresse n’avait pas tambouriné ses flancs.



-Stupide étalon !

-C’est un hongre, ma demoiselle…
-Un étalon !
-Un hongre !
-Espèce d’hongre toi-même ! Et qu’est-ce que c’est d’abord ?


Les regards se croisèrent, les rires grivois se turent et des sourires gênés s’ébauchèrent. Quand dans les campagnes, les enfants savaient à quoi s’en tenir, dans la noblesse, il n’en était rien. Aussi se contenta-t-on d’ignorer la question et de reprendre la route.


L’étalon, pas si entier que cela, était une belle bête : des muscles puissants, un cou élégamment arqué, un amble parfait. Gris clair et pommelé, sa crinière était sombre et ses pattes étaient gris souris. Un parfait genêt d’Espagne pour une Exquise damoiselle de Champagne.

Et c’est sur son dos que la Brune fit le voyage de Mauléon jusqu’à Montauban. Voyage qui avait duré onze jours quand il aurait pu prendre moins d’une semaine. Il était des caprices puérils qui allongeaient les routes : « Je veux voir la mer ! », « Non, ce chemin est trop boueux, cela ternirait tout l’éclat des sabots de Fleur de Lys », « Prenons cette route, elle est bordée de petites fleurs toutes plus gaies les unes que les autres, tandis que celui que vous voulez nous faire prendre n’est que caillasse. » Et de fil en aiguille l’on s’était retrouvé à Bergerac quand déjà l’on aurait dû passer les portes de Montauban. Mais enfin, au loin, se profilaient les murailles de Montauban, et bientôt le vieux pont fut franchi et l’on passa la porte de Moustier.

Ils étaient arrivés.



[Quelques heures plus tard]

Pas de Saint-Just pour les accueillir. Seulement un messager qui les avait manqué de peu à Mauléon et qui était arrivé bien avant eux à Montauban, inquiet de ne pas les avoir rattrapé sur la route. Et la joie ressentie par le petit groupe à l’arrivée c’était aussitôt éteinte. Il faudrait repartir, sous peu, pour Angoulême où Gnia, blessée, les attendait. Mais pour l’heure, le repos était de rigueur. Et qui disait repos pour la Morvilliers, disait promenade de découvertes.

- Allez-vous me suivre longtemps comme ça ?
-Il le faut… Pour votre sécurité plus que pour mon bon plaisir !
- Eh bien, faisons un pacte : allez boire en taverne et je dirai que même la plus insignifiante des mouches n’aura pas pu m’approcher !
-Je tiens à ma tête….



Et c’est ainsi qu’Isaure se vit affublée d’une escorte alors qu’elle projetait de se balader dans les environs et d’aller cueillir quelques jolies fleurs pour s’en faire une couronne.


Edit correction description Fleur de Lys, bah oui finalement il a la crinière sombre !!!

_________________
--Nick_laratiche


C’est la famine qui pousse les hommes à devenir des bêtes, à commettre l’irréparable et c’est la famine qui l’avait poussé à quitter son Angleterre natale, la famine encore qui l’avait fait battre à mort cette grognasse qui cachait son pain à quelques heures de Montauban, la famine qui maintenant, lui faisait comprendre l’horreur de son état, la volée était lépreuse, et sous les bandes rêches de tissus entourant ses bras, des plaques, la peau nécrosée, comme l’âme.

Foutu destin, pourquoi était-il resté si longtemps dans la masure de la femelle ? Le cadavre qui ne l’avait alors pas dérangé, le hante, s’il n’était pas resté, s’il n’avait pas côtoyé la dépouille en décomposition, alors peut être qu’il serait dans un meilleur état. Nick la Ratiche, de son vrai nom Nicolas. La ratiche, surnom que lui avait valu la peine qui avait rendu pressant son départ de Shiring, les lèvres coupées pour un mensonge qui n’en était même pas un, il aurait pu être pendu, le prévôt s’était déclaré clément, mais le hors-la-loi n’était pas bête, il savait très bien qu’il serait fiché. Du regard de travers aux signes de croix à la vue des dents et de la gencive à l’air nu, il avait tout supporté.

C’est la haine qui pousse les hommes à sauter le pas de l’humain et du monstrueux, à se repaître de l’horreur comme on boirait du vin et c’est la haine qui l’avait poussé à rejoindre le Sud de la France, la haine encore qui l’avait fait rencontrer son comparse. Lui était muet. Il parlerait pour deux, la haine ne nécessite pas beaucoup de discours, des coups, des blessures, et le sang, la douleur et la surprise quand la lame s’enfonce dans les entrailles. Souffre ordure.

Foutu destin, pourquoi était-il resté si longtemps à Montauban ? Pourquoi avoir attendu autant avant de gagner un bordereau où il avait croisé le muet. S’ils étaient partis ? Ils n’auraient jamais vu la petite brune à l’allure pédante cavaler dans la rue.. Le regard est jeté à son comparse, sans bruit les deux vilains suivent la donzelle, et quand celle-ci se penche pour cueillir les fleurs, la croupe juvénile tend le tissu de la robe, serrant la gorge du hors-la-loi de désir. Signe de tête, dague sortie du fourreau.


- On y va.
--Raymond_grande_gueule


Il n’y avait pas de meneur, ils ne se préoccupaient pas de ces convenances. Cela avait été clair dès leur rencontre, il y a cinq ou six jours. Ils se contentaient de survivre en fuyant, ils ne comptaient que sur leur instinct, sourd et subtil à la fois, un instinct que seuls les animaux et les fugitifs pouvaient se targuer de posséder. L’expérience leur avait permis de l’acquérir, car ils n’étaient plus que des bêtes, réduits à l’état sauvage, à l’affut de la moindre proie et du moindre prédateur.

Il n’y avait pas de meneur, donc, mais une chose mettait tout de même Nick au dessus des deux. Il était encore animé de sentiments. Il ressentait encore cette colère, qui dictait ses gestes, ses pensées, ses désirs. Il pouvait encore haïr. Grande Gueule, lui, frappait parce que cela lui plaisait, et c’était la seule émotion – si l’on pouvait même appeler cela émotion, revenons-en donc plutôt à l’instinct – qui le maintenait en vie. Il traquait, c’était sa nature, il tuait, c’était son loisir, il ne recherchait que le sang, pour le sang, et pour rien d’autre. Il se repaissait de leur peur, il se nourrissait de leurs cris. Il n’était plus du tout homme et c’était ce qui le rendait terriblement dangereux. Que peut-on faire, face à celui qui n’a plus rien à perdre ? Que peut-on faire, alors qu’il nous déchire les entrailles, écoutant avec délectation nos plaintes agonisantes ? Que peut-on faire, face à quelqu’un qui nous ressemble physiquement, qui est censé être de la même race, mais qui ne produit que des râles bestiaux et dont les coups nous fracassant le crâne sont assénés mécaniquement, avec une précision sauvage ? Que peut-on faire, à part prier que le réveil vienne vite et que quelques heures plus tard, ce douloureux souvenir s’évanouisse avec le jour ?

Grande Gueule pouvait alors laisser à Nick le choix des victimes, il s’en moquait. Parce qu’il pouvait faire un choix judicieux. Grande Gueule, lui, aurait tué de ses mains tous ceux qui auraient pu se mettre sur sa route. Mais il avait compris qu’en faisant cela, il serait trop vite rattrapé et que cette fois, il serait pendu, ou pire. Il n’était qu’un gosse, quand on lui avait coupé la langue. Il n’était qu’un môme vantard et fanfaron. Il avait osé raconter à tout le village la façon dont il avait défloré la benjamine du plus riche tisserand à des lieues à la ronde. Un notable influent. Grande Gueule n’en était alors pas à son premier larcin. On lui avait tranché la langue pour avoir proféré de telles ignominies – Jeanne avait furieusement contesté ce qu’il proclamait, insinuant haut et fort qu’elle ne se serait jamais abaissée à un tel acte, avec un tel… animal. Un an plus tard, elle était retrouvée morte, noyée, le visage lacéré de griffures sanglantes qu’on avait attribuées à une bête sauvage. Et lorsqu’on avait commencé à avoir des doutes à son sujet, Grande Gueule avait pris la tangente.

Plusieurs longues années plus tard, la barbe et les cheveux pendants, le visage buriné de crevasses et les yeux aussi pâles que sa peau était brune, il se retrouvait là, face à une jolie pucelle qui n’attendait que leur passage.
« Jeanne ». Pensait-il à chaque fois qu’il en croisait une. Et le plaisir de la dépecer n’en était que plus grand.

Héhé. En avant ! Et le garde était de trop. Ils étaient barbares. Ils se fichaient d’arriver bruyamment. Leur comité d’accueil était restreint, ils ne craignaient rien. Ils étaient bêtes, des bêtes habituées à tuer.

La surprise de l’attaque prit de cours le freluquet qui escortait la demoiselle. A vrai dire, pour la masse - néanmoins courte - que représentait Grande Gueule, tout le monde à côté n’était que brindille qu’il suffisait de briser. Et hop, on lui fauche les jambes. Et hop, le garde tombe lourdement sur le côté, sa tempe frappant durement le sol. Hurlant d’euphorie, Grande Gueule lui fracasse le crâne à coups de talons puissants. Il entend tous les os qui se brisent. S’il avait eu une langue, il se serait, pour sûr, léché le pourtour des babines avant de s’occuper du sang qui suinte des orifices du pauvre imbécile gisant au sol. Les bottes tombent et retombent : peut-être est-il déjà mort, mais il fait toujours du bruit, et c’est tellement amusant. Et quand enfin le jouet n’est plus que bouillie difforme, Grande Gueule se fige, presque déçu, il pousse du bout de sa botte l’épaule du moribond qui s’affaisse, telle une poupée de chiffon. Plus rien à tirer de celui là.

Reste la petite. Grande Gueule se tourne alors vers elle. Nick est déjà auprès d’elle.
Isaure.beaumont
-Vous savez, votre présence est totalement inutile. Vous seriez bien mieux en taverne à rire avec vos semblables. Ce ne sont pas trois petites pâquerettes qui vont me manger !

Elle parlait sans le regarder, trop occupée à sélectionner avec soin les fleurs qui viendraient orner sa jolie tête. Presque accroupie, le tissu tendu et laissant apparaitre ses juvéniles formes, elle se relevait parfois pour inspecter le végétal avec attention. Il lui suffit d’un rapide regard pour constater que son divin postérieur ne laissait pas indifférent l’homme chargé de sa protection.

-Et cessez de me regarder ainsi, je ne suis pas une bête de foire ! Tournez-vous donc, et que je ne vous y reprenne pas !

Cueillant une ravissante fleur, la jeune fille se redressa et déclina muettement : Il m’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout… Il m’aime, un peu…

-DAMOISELL….

La brune se retourna vivement, mécontente que son garde du corps l’interrompe alors que tout son avenir reposait sur les quelques pétales restants.

-Oh il suffit ! Vous faussez tout…

Et alors elle vit avec horreur son protecteur tomber lourdement au sol et se faire piétiner le crâne par un homme terrifiant. Elle aurait pu abandonner sa récolte et s’enfuir, mais devant tant d’ignominie, elle restait paralysée. Peut-être de terreur aussi. Sa main se desserra alors, laissant tomber la fleur du bonheur, emportant avec elle tous les espoirs et l’avenir de la pucelle. Cette fois-ci elle n’y réchapperait pas.

Quelle naïveté de croire que le danger ne se trouvait qu’à la Cour de Miracles. Quelle bêtise de s’être crue invincible. Son puissant gardien venait d’être fouler vulgairement devant ses yeux : que pourrait-elle faire contre cette brute sanguinaire aux sinistres cris et grognements, frêle qu’elle était?

Et alors qu’elle retrouvait le contrôle de son corps, alors qu’elle esquissait quelques pas pour s’éloigner de la bête, elle aperçut son comparse et ne put étouffer un cri. Devant elle se tenait l’être le plus hideux qui lui avait été donné de voir. La peau mortifiée, le regard fou il s’approchait irrémédiablement d’elle. Un instant elle fut tenter de crier à l’aide, mais à quoi bon ? Elle avait choisi une prairie à l’écart de la ville et loin de tout passage. Elle avait voulu la tranquillité mais c’était la leur qu’elle avait assurée. Et ce pauvre homme… Mort. Etait-ce de sa faute ? Non, pas cette fois-ci. Comment aurait-elle pu savoir que leur chemin croiserait celui de ces bouchers.

Ses pervenches se posèrent farouchement sur l’homme aux lèvres fendues et à la peau mutilée par la maladie avant de dévier vers l’être déshumanisé qu’était son compagnon. Et un frisson parcourut son échine. Que n’aurait-elle pas donné pour s’évanouir.


-Vous… Vous pouvez passer votre chemin… Je n’ai rien sur moi… Ni argent, ni effets de valeur.. Je vous… je vous promets que vous ne serez pas inquiétés.


Bon dieu ! Mais allait-elle s’évanouir, ou devrait-elle subir – une nouvelle fois et au centuple– cette humiliation, ce supplice ? Et cette main qui se rapprochait inexorablement, lui arrachant une grimace de dégoût. Et cet animal qui la fixait avide de sang, lui glaçant le sang. Ô mon Dieu, venez-moi en aide, ne me rappelez pas encore à vous, pas comme cela.
_________________
--Nick_laratiche


S’il avait eu des lèvres, il aurait pu avoir le sourire aux lèvres mais ce ne fut qu’un rictus qui déforma la face rongée de l’homme quand son collègue se jeta sur le garde. Passivement, les bras croisés malgré la douleur que ce simple geste pouvait causer, frottant les deux plaies ouvertes qu’étaient ses avant-bras depuis l’infection, il observa en silence la mise à mort du garde. Grande gueule n’éprouvait rien en tuant, qu’une joie toute animale, et lui ? Lui, la haine le rongeait plus fort encore que la lèpre, pire que ne l’avait jamais fait la faim. Cet homme servait une pucelle riche à n’en point douter, il ne manquait de rien, et il n’avait même pas su tenir sa position de garde, il était mort. Il aurait pu cracher sur le cadavre mais comme un rappel, la pucelle recula de quelques pas avant de prendre la parole. Il n’y avait ni fausse douceur dans la voix de la Ratiche, ni sournoiserie mielleuse, que le fiel de la haine qui se déverse quand il l’empoigna par le bras pour l’attirer à lui.

- Tu as bien plus que tu ne le penses ma jolie ! Pendant que tu t’engraisses de pain frais et de viandes pleines de jus, nous crevons la dalle ! Nous allons voir comme tu es dodue.

Le col de la robe vint glisser entre les doigts couverts de cuir de la Ratiche, lequel ouvrit la bouche pour mieux profiter de cet instant, respirer, inspirer l’odeur de la peur de cette maudite femelle, et d’un geste sec, il tira sur le tissu, le vêtement en se déchirant tomba au sol, la donzelle portait en dessous une chemise de lin, il n’y avait que les nobles pour mettre des vêtements sous des vêtements.

- Oh la belle paire !

La main vint prendre un sein avec brutalité comme pour en tâter la fermeté, comme on ferait d’un fruit dont on ne sait s’il est mûr ou pas, il pourrait même être blet qu’il croquerait dedans quand même. Sans prévenir, la gifle claqua dans l’air, sans raison, juste pour le plaisir de la voir trembler de frayeur, il y a une certaine satisfaction avoir l’horreur dans les yeux d’un homme sachant sa dernière heure arrivée, et seules les pucelles se sachant perdues pouvaient avoir cette même expression, la douleur, la surprise, l’horreur, la terreur, mêlées dans un seul regard, de quoi faire perdre la tête de plaisir à Nick. La chevelure fut empoignée à pleine main et la donzelle jetée à terre, la camisole immaculée arrachée, la gorge sèche, se laissant tomber à genoux au dessus d’elle pour la bloquer, le hors-la-loi contempla le corps blanc et juvénile d’Isaure et tandis qu’il débouclait son ceinturon, il se tourna à peine vers le muet.

- Quand j’aurais fini, ce sera à toi, et après, tu pourras en faire ce que tu voudras.

Il jubilait de pouvoir corriger ainsi quelqu’un qui avait eu plus de chances que lui dans la vie. Le ceinturon fut jeté derrière lui, et avec un gloussement animal, il écarta de force les cuisses de la jeune fille pour s’agenouiller entre ses jambes. D’une main, il bloqua la jeune fille à la gorge et de l’autre, il releva le pan de la tunique qu’il portait, les braies furent vivement rabaissés. Et avec un sourire malsain, il se pencha pour murmurer.

- Allez donne moi un baiser, tu en meurs d’envie !
Isaure.beaumont
Tout s’enchaîna sans qu’elle eût le temps de réellement comprendre ce qui se passait. Qu’aurait-elle pu faire de toute façon ? Crier, frapper, mordre ? Tout cela n’aurait servi à rien. Et puis ces hommes étaient bien plus monstrueux que l’Ombrageux. Leurs intentions étaient claires, l’argent ne les intéressait pas. Ils voulaient le mal pour le mal, pour le bien qu’ils en retiraient. Et surtout, ils étaient deux.

Et comme une vulgaire catin que l’on traine par les cheveux après l’avoir giflée, l’infâme lépreux allongea – que dis-je, flanqua – la pauvre enfant sur le sol. La violence du choc lui arracha un gémissement, cailloux et brindilles sèches lui lacéraient le dos. Elle tenta de se redresser, mais déjà le ladre la plaquait au sol et d’un geste sans douceur libérait le chemin. Et ce qu’elle vit… HORREUR. Ainsi était-ce cela ! Les lèvres se pincèrent de dégoût, la nausée se fit sentir. Il n’allait quand même pas … Sa respiration s’accéléra, son cœur battit encore plus vite – il lui semblait qu’il allait lui sortir de la poitrine. Et ses lèvres remuèrent silencieusement : elle priait. Elle conjurait le Très-Haut de la rappeler très vite à Lui. Elle était comme les souris que les chats malmenaient avant d’en faire leur repas. Elle souffrirait du plus douloureux des maux pour ensuite ne plus être : qu’elle survive ou qu’elle meure. Oui, même s’ils lui laissaient la vie sauve après leur besogne, elle ne serait qu’un corps dépouillé de toute âme. Alors elle suppliait le Ciel de la laisser mourir.



- Allez donne moi un baiser, tu en meurs d’envie !


Le visage nécrosé se rapprochait d’elle, bientôt elle sentit le souffle putride de l’homme dans son oreille et à la proposition indécente qu’il lui fit, la jeune fille secoua la tête dans tous les sens, cherchant ainsi à éviter la bouche avide du monstre. Puis quand une once de courage s’empara d’elle, elle lui cracha à la figure.

-Jamais ! Allez au diable !
Éructa-t-elle.

Et dans un sursaut d’instinct, profitant de la déstabilisation momentanée de l’homme, elle resserra les cuisses. Mais déjà le ladre revenait à l’assaut. Isaure, les yeux fermés, aussi bien pour ne pas voir sa déchéance que pour concentrer ses efforts, luttait. Et ses forces s’amenuisaient, la honte grandissait…

_________________
Iban
Le craquement d’un branchage avertit le chasseur que sa proie n’était pas loin. Silencieusement, il banda son arc. Malgré la sévère loi qui interdisait aux paysans de chasser sur des terres seigneuriales, le Basque, poussé par la faim, s’était finalement résolu à outrepasser les règles auxquelles le soumettait sa piètre naissance. Perché sur une branche basse, il observait les taillis, prenant garde de se mouvoir de la manière la plus discrète qui soit. Les feuillages clairsemés, filtrant la lumière du jour, donnait au sous-bois lumineux l’aspect d’une vaste tente dont la toile eut été déchirée en maints endroits par l’usure des saisons. Gracieusement, une biche jaillit soudain de derrière un fourré. L’œil vif et le poing crispé, Iban visa l’animal au col.

Soudain, alors que les environs n’était animés jusqu’ici que par quelques jacassements d’oiseaux, un cri de détresse enfantin déchira le calme de la paisible forêt. Instinctivement, Iban tourna son regard vers l’endroit d’où provenait le hurlement. Apeurée par ce trouble soudain, la biche disparut aussi brusquement qu’elle s’était exposée au trait meurtrier du chasseur. Maudissant ce trouble-repas importun, le Basque descendit lestement de son perchoir et se dirigea vers l’endroit de ce qu’il supposait être quelque drame dont il pourrait tirer profit.

Il arriva bientôt au détour d’un sentier. Là, à une courte distance de l’endroit où il s’arrêta pour observer la scène, deux truands à l’allure sinistre se tenaient prêts à violenter une jouvencelle dont l’escorte gisait non loin, dans une flaque de sang, le crâne brisé de méchante manière. Un sourire mauvais s’esquissa sur les lèvres du Basque. Décidément, les brigands se faisaient de plus en plus téméraires en ces jours de misère. Minutieusement, il prépara son trait et, sans crier gare, laissa chanter la corde de son arc.

La flèche vint se ficher dans le fondement de celui des deux compères qui s’apprêtait à besogner sa malheureuse victime. Satisfait de ce tir réussi, Iban en prépara un second et, sortant des fourrés, il visa le deuxième pendard. Ce dernier, surpris par cet incident imprévu, s’était retourné du côté de l’archer.

Immobile, le Basque le hêla :


« Garde, fot-en-cul ! Ou ce sera là ton dernier rut, foi d'Etxegorry ! »
_________________
--Raymond_grande_gueule


Un autre instinct s'éveilla, alors qu'il observait d'un œil torve la petite qui se trémoussait sous la Ratiche. L'instinct sexuel. Il savourait toujours cet état désespéré dans lequel étaient plongées ses victimes. Il aimait plus que tout lire sur leur visage la peur, qui souvent l'emportait sur le dégoût qu'il pouvait provoquer.

Saurait-il se montrer patient et attendre que son comparse en ait fini avec elle, ou bien se précipiterait-il bientôt sur cette proie si facile ? Il s'imaginait déjà lui infliger quelques tortures savoureuses. A la place de Nick, sa voix l'insupporterait. Il ferait comme souvent : un bon coup de poing dans la poitrine. Elle aurait la respiration coupée et suffoquerait le temps qui lui serait nécessaire pour assouvir ses instincts primaires.

Mais alors qu'il contemplait passivement la scène lubrique, ses sens s'éveillèrent. Au même moment, une flèche vint trouver l'arrière-train de la Ratiche pour s'y enfoncer aussi aisément qu'un doigt dans une motte de beurre qui aurait pris le soleil un peu trop longtemps. On venait leur ravir leur proie. Et cela, Grande Gueule ne pouvait le supporter. Premiers arrivés, premiers servis, telle était sa devise.

Grande gueule ouvrit la bouche pour parler et à la place un grognement irrité en jaillit. Il n'avait jamais peur, lui. Et cet hurluberlu provoquait en lui colère, et non crainte, et tel un taureau furieux, il fonça sur celui qui venait troubler leur divertissement. Il vit la corde de l’arc se détendre dans un claquement sonore. Il vit tout aussi bien la flèche partir dans un sifflement aigu. Il la sentit encore davantage pénétrer ses chairs, transpercer son flanc droit. La douleur n’était pas si horrible, il avait connu pire, l’absence de langue pouvait en témoigner. Elle lui fit l’effet d’une piqûre de guêpe, de celles qui brûlent mais qui surtout provoquent jurons et colère. Il exécrait les héros, les braves, les téméraires, les fiers-à-bras, et tout autant les mercenaires. Et cet homme, qui se dressait face à eux, alors qu’ils étaient en supériorité par le nombre et par la force sans doute, était soit téméraire soit fou, et s’il était fou, il avait ici affaire à plus fou que lui. Et s’il était téméraire, alors Grande Gueule l’abhorrait d’autant plus.

Rugissant, mugissant, meuglant, hennissant, bramant… hurlant donc des sons incompréhensibles pour toute oreille humaine ou même animale, il se jeta sans autre forme de procès sur l’ennemi numéro un du jour. Peu importait qu’il soit grand ou petit, peu importait qu’il soit fort ou faible, peu importait qu’il soit armé ou démuni d’armes, peu importait encore plus qu’il se nomme Hétché Gori ou Godefroy le Hardi… Il voyait rouge, et le rouge le grisait. Le crâne en avant, il pesa de tout son poids et vint plier en deux la brindille basque d’un coup violent dans l’abdomen. Puis, de toute sa hauteur, il le jaugea.
« Tu fais moins l’malin, hein ? », lui aurait-il dit s’il l’avait pu. Au lieu de quoi il grogna à nouveau, attendant un geste de la part de l’assaillant devenu victime, un geste qui l’inciterait à bondir à nouveau et à poursuivre ce jeu du chat et de la souris.

Il aimait les souris.
Iban
Contre toute attente, le deuxième larron, sans prêter la moindre attention à la sommation du Basque, se rua vers ce dernier tel un taureau que les harcèlements du picador auraient rendu furieux. Ce n’était pas là un homme auquel Iban faisait face mais bien une bête sauvage dont la colère ne pouvait être que décuplée par les menaces et les embûches. Surpris, Iban décocha avec précipitation sa flèche qui vint maladroitement se ficher dans le flanc du monstre. Loin d’interrompre sa course, elle ne fit que ralentir trop brièvement ce dernier qui bondit de plus belle sur sa proie. Tête baissée, il infligea au Basque un coup si cruel à l’estomac que ce dernier chut de tout son long et se retrouva à terre, le souffle court et les sens égarés.

Pris de panique, les yeux embués par les larmes que suscitaient une atroce douleur, Iban chercha frénétiquement sa navaja qu’il parvint enfin à saisir à force de tatônner sa ceinture. Le brigand se tenait debout devant lui, une épée grossière à la main, attendant avec malice que sa victime se relevât. La joie cruelle qui rayonnait sur son visage de prédateur lui donnait, bien qu’il fût de courte taille, une hauteur brutale. Pressé par la peur et l’instinct, Iban se redressa vivement et se tint devant son adversaire, suant et ébranlé.


« Chiabrena, je te ferai mordre poussière, sale chien. » siffla t-il en proie à un mélange de crainte et de colère. La navaja au poing, il se rua en avant et engagea le pendard. Les deux hommes, réduits à un état de bestialité originelle, roulèrent dans la poussière du sentier. Ce ne fut que fracas de lames, déchirements de chairs et de tissus, poussière, sueur et sang mêlés. Sa rapidité permit à Iban de porter de son poignard les premiers coups mais le puissant butor eut tôt fait de tordre le poignet du Basque et de piétiner la frêle lame qui se trouva bientôt coincée sous son talon. On en vint donc aux poings et même aux dents.

Le Goliath eut là encore l’avantage. De ses puissants bras, il parvenait à faire flancher le Basque trop téméraire, qui plia bientôt sous les poids conjugués de l’effort et de la douleur. Il retomba lourdement dans la poussière. La brute l’attrapa au col de ses deux mains calleuses et se mit à broyer méchamment ce dernier dans l’espoir que l’échine se brise tout à fait. Iban, suffoquant, les yeux fixés sur la moue ignoble du brigand dont les crocs même étaient crispés en une expression de haine viscérale, se débattait du reste de ses forces pour tenter de se soustraire à ce garrot fatal. Son esprit se dispersait en une multitude de pensées effroyables et nulle solution salutaire ne lui apparaissait.

C’est alors que l’éclat d’une de ses griffes de métal, sinistre souvenir d’une mésaventure au domaine de l’Epine, qui dépassait du gant que le combat venait de déchirer amplement, brûla la pupille grande ouverte du chasseur suffoquant. La prise de conscience d'un moyen de salut, comme souvent pour les âmes froides dans les moments de grandes détresses, fut fulgurante. Le Basque enfonça profondément dans l’avant-bras du pendard ses deux griffes, et retourna vicieusement les lames dans leurs plaies. Enfin, l’étreinte autour de son col se desserra. Iban sut alors qu’il fallait à tout prix agir derechef. Il bondit tel le loup-cervier et d’un coup violent et redoutablement précis, transperça la gorge de son adversaire.

Tout s’immobilisa soudain. Leurs visages étaient face à face. Iban, tremblant encore de fureur et de frayeur, ne put s’empêcher de sourire nerveusement à la vue de l’expression de stupéfaction niaise qui s’était figé brutalement sur la face du brigand.

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--Raymond_grande_gueule


Il bougea. Et il avait dans le regard cette lueur de panique que Grande Gueule se plaisait à contempler. La satisfaction qu’il avait dû ressentir, en se retrouvant face à deux gredins qu’il avait avant tout envisagés comme deux proies faciles à maîtriser plutôt que comme deux prédateurs coriaces et sanguinaires, lui avait fait oublier la prudence. Le voilà maintenant qui regrettait peut être d’avoir voulu s’attaquer à deux inconnus dont il ignorait la force, l’agilité, l’intelligence – et l’instinct. L’homme, cet Hétché Gori, avait dû connaître plus de victoires que de défaites, ce qui pouvait expliquer la tranquille assurance dont il avait d’abord fait preuve.

Rictus pervers qui détend les lèvres crispées de Raymond Grande Gueule. Un arrogant. Il allait se faire un plaisir de lui remballer son orgueil. Comment ferait-il ? Sans doute lui briserait-il les genoux, ou les tibias, quelque chose qui le ferait hurler comme un porc en tout cas. Peut-être lui casserait-il même chacune de ses articulations, de telle sorte qu’il se retrouve alors aussi vulnérable qu’une marionnette. Et ensuite, il le défroquerait. Là, alors, il lui ferait ravaler son orgueil….D’ailleurs, alors qu’il songeait à tout ça, il avait inconsciemment sorti une lame rognée par le temps et l’usage et dont il se servait pour dépecer ses victimes et en étudier l’anatomie sous toutes les coutures. Oui, en effet, même les « hommes » de cette engeance pouvaient avoir ce genre de lubie savante.

Mais le bougre n’avait pas l’air d’accord avec les plans mentaux de son assaillant. Il se releva, prêt à combattre. Il était vif, tout compte fait. Comme toutes les souris, d’ailleurs, il aurait dû s’en douter et le maîtriser complètement quand il en avait encore l’occasion. Il osa même lui jeter une phrase au visage, et si Grande Gueule n’en saisit pas tous les mots, il comprit pourtant la menace et l’insulte. Jusque là, il était resté assez calme, préférant garder l’esprit ouvert pour mieux anticiper les événements, pour en apprendre plus sur son opposant, pour rester plus longtemps sain et sauf. Mais il détestait réellement les fiers-à-bras. Celui là aurait dû crier grâce, il ne faisait pas le poids. Il aurait dû supplier ou s’enfuir. Et voilà qu’il lui crachait son mépris à la face, sa lame qu’il avait sortie dans un mouvement leste brandie en avant. Grande Gueule ne le supporta pas. Il ne savait pas se battre en duel, il n’utilisait le fer que pour trancher et découper, pas pour se battre. Mais, ivre de colère et de dépit devant cet homme qui se croyait tout permis – n’avait-on pas idée de vouloir se battre pour protéger sa vie ? – il était prêt à utiliser aussi sa courte et vieille épée qui n’en avait plus l’air, d’ailleurs.

Et il frappait, il cognait, il abaissait et remontait le bras, par à-coups violents et destructeurs. Il n’était que rage et frénésie. Plus rien ne comptait que cet inconscient téméraire. Nick n’était plus là, ni cette prude enfant qui pourtant l’avait tant obnubilé quelques instants plus tôt. L’espèce de poignard que tenait l’autre brun faisait mal, et plusieurs fois il vint le piquer, mêlant le sang à la salive et la terre. La vue de ce sang – le sien surtout – suffit à lui remettre les idées en place et il osa enfin une prise intelligente : alors que le poignard fondait une nouvelle fois en direction de ses chairs, la brute, lestement et d’une façon qui le surprit lui-même, fit un écart sur le côté. La lame le frôla et lui entailla le flanc droit mais Grande Gueule fut assez rapide pour intercepter le poignet assassin et le tordre d’un geste expert, de telle sorte que l’arme fût rapidement lâchée. Malheureusement, il n’eut pas le temps de le briser : déjà, son adversaire se reprenait, mordant et cognant, utilisant bec et ongles comme l’aurait fait n’importe quelle donzelle en position de faiblesse. Grognant de contrariété, mais se retrouvant davantage dans son élément maintenant que leurs lames respectives avaient été écartées, Grande Gueule continua férocement le combat.

L’autre ne fléchissait pas, il se défendait avec hargne. Comment pouvait-on tenir à ce point à la vie alors qu’elle n’était que déceptions et déconvenues ? Celui là aussi n’avait-il plus rien à défendre que sa propre survie, pour se battre avec tant de ferveur et de constance ? Grande Gueule en avait connu qui plus tôt avaient baissé les bras, rompus et vidés de cet espoir idiot qui faisait si souvent la fierté des hommes. Ils étaient parfois d’un optimisme navrant… bref. Le colosse se fatiguait, lui. Il avait l’habitude de finir ses combats plus vite, d’ordinaire. Il fallait que celui-ci cesse incessamment, ou il ne donnait pas cher de sa peau. L’opportunité vint enfin. L’homme s’était redressé de toute sa hauteur, les bras prêts à frapper. Les jambes étaient libres, vulnérables, et alors que Grande Gueule se trouvait au sol, il put aisément les faucher en se précipitant entre ses genoux, le crâne en avant, une nouvelle fois. Un tableau pour le moins comique, mais qui eut l’effet escompté puisque les voilà tous les deux à terre, l’un enserrant la gorge de l’autre de ses puissantes mains brunes. Et voilà. Il l’avait. Il le tenait et ne le laisserait plus fuir, désormais. Il était las, il avait hâte de le voir mourir et de s’en occuper sereinement ensuite, lorsque tout danger serait écarté. Pour l’heure, fulminant, il le regardait suffoquer, les yeux révulsés et la bouche grande ouverte, à la recherche d’un air manquant. Sa nuque se briserait bien à un moment où à un autre, il l’avait déjà fait par le passé, ses doigts étaient robustes, et les os si fragiles… Sinon, l’autre mourrait lentement, privé d’oxygène, et ça n’était pas plus mal.

Mais soudain…. Que…. Quoi… une brûlure atroce lui fit desserrer prise. Son bras était en feu, et la surprise avait démultiplié la douleur. Qu’était cette invention du Malin ? Une griffe de fer en lieu et place d’une main ? Et parce que l’étonnement avait pris le pas sur la souffrance, Grande Gueule ne se rendit compte que trop tard que son emprise s’était faite moins puissante et que sa victime avait pu en profiter pour reprendre ses repères. Trop vite, les choses s’accélérèrent.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Hétché Gorri s’était dégagé et avait enfoncé sa main de métal dans le cou de Grande Gueule. Le sang jaillit, telle l’eau d’une fontaine sauvage, et dans un gargouillis macabre, celui qui était déjà plus mort que vif s’écroula face contre terre. Il n’avait pas envie de mourir. On lui avait dit que par delà la mort, les âmes se retrouvaient. Il n’avait aucune envie que son âme à lui se retrouve face à celle de Jeanne la traîtresse.

Et puis, finalement, alors que lentement la vie fuyait à mesure que son sang se vidait, il se rappela aussi de ce fameux dicton qui tant de fois l’avait fait rire, quand il riait encore vraiment : "qui s’y frotte s’y pique".

Et même que des fois on en meurt.
--Nick_laratiche


Un crachat venant des lèvres de la pucelle, alors que l’organe qui aurait du cracher était le sien, situé plus bas, une gifle assenée à la brune pour lui remettre les idées en place, et les mains s’enfoncent fermement dans les cuisses d’albâtre de la donzelle pour les rouvrir, et au moment où le cul du malandrin se lève pour pouvoir s’enfoncer entre les cuisses de la vierge avec plus de vigueur, c’est u ne flèche qui s’enfonce dans son cul à lui.

- Oh Enculé ! Qui est l’batard qui .. Mais aaaaaaaaaaah !

Et de se laisser glisser sur le flanc pour éviter que la flèche ne s’enfonce plus profondément encore, maudissant qui de droit, c'est-à-dire Dieu, les Saints, la mère d’Aristote, la tante de Christos et cette petite grue à la croupe attrayante ? Non, sauf elle, elle vers qui la providence l’avait tournée et qui le lui rendait bien. Il entendit à peine les injonctions du basque, pas plus que cela le grognement animal de son compère, il ne voyait qu’elle et ses saphirs qui lui faisaient plus mal encore que la flèche qui lui labourait les entrailles à chaque geste. La main gantée se leva pour enserrer le bras de la donzelle, à travers le gan, il sentait la chaleur de la peau, où était-ce la douleur qui irradiait de son cul jusqu’à ses doigts, aucune idée.

- Offrez moi votre pardon ! Vite avant que je ne meurs !

Oui, le pardon, un restant de croyance, ce qui faisait défaut à Grande Gueule, Grande Gueule qu’il entendit crever, c’était donc cela la fin ? La fin de tout, d’eux, de la faim surement, mais pas l’enfer.. Pas pour revoir tous ceux qu’ils avaient tué.. Comme on regarde une sainte avec crainte et admiration, il la dévorait du regard, honteux soudain d’avoir porté la main sur elle.
Iban
Rasséréné et triomphant, Iban ramassa sa navaja et, une haine noire dans l’âme, il revint contempler la dépouille mortelle de son adversaire. Soulevant la lourde main inerte du brigand, il en coupa prestement l’index et le majeur, qu’il rangea dans sa besace. Enfin, il se tourna vers la jeune fille et le deuxième larron et s’approcha d’eux à grands pas. Il réfléchissait en silence à la manière dont il aurait le plus de plaisir à éliminer ce dernier. L’égorgerait-il tel un pourceau pour faire jaillir son sang en une gerbe funeste, ou bien le laisserait-il déguerpir pour terminer à l’arc cette chasse à l’homme ? A vrai dire, la première solution lui semblait plus amusante…

« Tourne toi par là, maraud, que je vois ta sale gueule. Cesse donc de t’accrocher ainsi à ta garce de vie » enjoignit-il au brigand qui suppliait la jeune femme de le pardonner. Joignant le geste à la parole, il le saisit par l’épaule et le tira brutalement à la renverse pour qu’il cesse ses prières. Il s’aperçut cependant très vite du terrible mal qui rongeait le visage du ladre. Stupéfait et dégoûté, il relâcha son emprise aussi soudainement qu’il l’avait affermit.

« Tu es encore plus répugnant que je ne l’aurai cru. »
s’exclama le Basque, « Disparait, bastard du Sans-Nom, et ne t’avise plus de croiser mon chemin de nouveau. »

Un violent coup de botte fusa dans les côtes du ladre. Puis un second. Iban reportait sur le pauvre gueux le ressentiment qu’il éprouvait pour son compère de l’avoir ainsi humilié lorsqu’il était encore en vie. Le violenteur, le souffle court, parvint cependant à se relever et à déguerpir sans demander son reste. Il disparut bientôt derrière les branchages. Iban se contenta de le laisser s'enfuir. L'idée nauséabonde que son désir d'égorger le malheureux eut pu lui faire attraper son mal, le laissait dans une étrange inertie. Il frissonna.

Iban se retrouvait donc seul avec la jouvencelle et deux cadavres sanguinolents. Il comprit en observant la jeune fille, qui semblait perdue dans un état de trouble profond, ce qui avait amené les brigands à tenter de s’en prendre à sa vertu. Elle était fort bien faite et son minois, malgré son air consterné, était tout à fait admirable. Quelle délicieuse proie elle faisait en effet ! Et, vu son âge, sans doute était elle encore pucelle.

Une moue ironique dévoila les canines blanches du Basque. La perversité de ce qu’il s’apprêtait à commettre ne faisait qu’exciter son désir davantage. Il allait pouvoir terminer gentiment la besogne des deux compères.

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Isaure.beaumont
Et les lèvres s’affolaient en une vaine et muette prière, piètre réconfort quand plus rien ne pouvait la sauver désormais : elle se trouvait à la merci du joug le plus cruel qui soit. Prisonnière de l’étreinte d’un monstre sans cœur ni lois, elle sentait sa raison la quitter. Les yeux clos, elle ne vit pas le coup venir. Seule sa joue meurtrie en gardait le douloureux souvenir, lui faisant oublier un instant l’assaut qui avait lieu plus au sud. La garde était baissée et le ladre en profita. Les cuisses furent écartées violemment mais sans aucune difficulté – d’ailleurs, il en aurait été de même si la pucelle y avait mis toutes ses forces.

Elle n’entendait plus rien et ne sentait plus que les mains damnées sur son corps virginal. De temps à autre, la poitrine était soulevée par un sanglot sans larme et une plainte étranglée s’échappait de ses lèvres serrées. Elle attendait le coup fatal, celui qui transpercerait ses chairs, celui qui la rendrait impure. Elle attendait que tout finisse, pour ensuite ne plus penser à rien. Elle était lasse de lutter, lasse d’espérer. Mais l’injure ne vint pas : la pression se fit moins forte et le ladre roula sur le côté. Etait-ce tout ? Ouvrant les yeux, elle vit alors une flèche fichée dans le séant de son tortionnaire. La flèche salvatrice. Le Très-Haut l’avait-il entendu ?

Et alors, elle fut honteuse. Honteuse d’avoir douté du Créateur. Comment avait-elle pu croire qu’Il l’abandonnerait à ce triste sort ? Comment avait-elle pu se sentir délaissée par Eux ? Elle était persuadée que du Paradis Solaire, Ils veillaient sur elle.

Là-bas, les coups fondaient, mais Isaure ne regardait pas le combat, non. Son regard plein de terreur et de haine était posé sur le ladre qui enserrait douloureusement son poignet. Haletante et sans force, elle essayait de se dégager de son étreinte, jusqu’à ce qu’il l’implore. Elle se figea. Le pardonner ? Alors le cœur de la jeune fille s’emballa, et elle chercha un soutien en regardant partout autour d’elle. Il lui fallait une réponse. Pouvait-elle lui accorder son pardon ? Le devait-elle ? En était-elle seulement capable ?


-Va crever en Enfer Lunaire !


Il était des situations où être courtoise ne servait à rien. Alors pourquoi se serait-elle gênée de lui cracher sa haine à la figure ? Elle lui aurait bien asséné d’autres vulgarités si seulement elle en avait connu, mais ses yeux clairs parlaient pour elle.

Prunelles qui se perdirent dans le vague. A peine vit-elle son héros chasser le lépreux car aussitôt qu’elle se crut hors de danger, la pression se relâchant, la douce enfant tourna de l’œil. Et puis ce ne fut que délire.

Il est mort… Mort… MORT ! Il faut prévenir… les autres… Gnia… la Saint-Just… Angoulême… Vite !

Elle ouvrit alors les yeux, dévoilant de nouveaux ses pervenches égarées au basque. Sa voix était lente. L’on aurait pu penser qu’elle avait abusé de certaines plantes ou boissons.

OOoooooh, mon sauveuuuur ! Qu’Aristote soit béni encore et encore pour m’avoir envoyé l’Ange le plus preux !
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Iban
Elle était si jolie, la jeune imprudente. Les yeux clos, un nez d’une finesse exquise, deux pommettes vermeilles comme des fruits gorgés de saveurs enivrantes et tout un corps enfin, dont la féminité était à peine naissante encore, mais qui annonçait des charmes futurs à dégouter pour toujours du bordel le plus rustre des gueux. Cette jouvencelle respirait la beauté et la noblesse. Elle s’était évanouie sur l’herbe fraîche, telle une princesse qui attend le baiser salvateur pour émerger de ses songes obscurs, mais son air farouche et les signes de la lutte qui s’était déroulée un instant plus tôt lui donnaient l’apparence de ses courtisanes dont étaient comblés, disait-on dans les récits de voyage, les palais orientaux, et qui maîtrisaient à la perfection cet art subtil et fascinant de s’offrir tout en se refusant.

Iban avait à présent tout son temps pour profiter de la damoiselle qui s’abandonnait à lui bien involontairement. Doucement, il se mit à genoux devant sa proie et se pencha pour humer sa jolie gorge qui palpitait encore de crainte et d’innocence. Le Basque respira avec extase le buste frémissant de la belle endormie, le parfum de ses boucles d’ébène et les senteurs suaves de sa joue enfantine. Lentement, il tira le lacet qui tenait relevé le haut de ses braies pour s’atteler à la douce besogne que lui promettait cette magnifique victime.

Les lèvres de la jeune fille remuèrent. « Il est mort… Mort… MORT ! Il faut prévenir… les autres… Gnia… la Saint-Just… Angoulême… Vite ! » délirait-elle. Iban arrêta derechef l’accomplissement de ce crime en forêt. Gnia… Ce nom fit ressurgir brusquement dans son esprit les évènements sordides de cette terrible guerre qui avait fait tant de ravages en Champagne comme en Artois il y avait maintenant des années de cela.

Il vit de nouveau le visage enjoué de son amante d’alors, la baronne d’Arausio, qu’il avait séduite dans l’unique but de mieux plonger sa cruelle dague dans le sein généreux de la jeune femme. Il vit également ces larmes amères qui dévalaient les joues de la belle Quasi lors de leur séparation, et le regard hautain et séducteur de la terrible Vicomtesse d’Avize. Le simple murmure de cette fillette ranima, telle une violente bourrasque, le souvenir de toutes les femmes qui avaient marquées les jours du Basque lors de cette période des plus sombres pour la Champagne. Mais c’est le visage de cette dame qui venait d’être nommée qui lui revint le plus nettement à l’esprit.

Gnia et lui ne s’étaient croisés qu’une seule fois, lors d’une mission diplomatique dans un sous-bois des environs de Compiègne, lorsque la ville était assiégée par les hordes artésiennes. L’entretien avait d’ailleurs tourné court et s’était très mal terminé. Gnia était alors Connétable d’Artois. Elle n’était pas encore Agnès de Saint-Just, la sulfureuse Duchesse dont on entendait si souvent parler. Non, elle n’avait alors rien d’une rose de salon ni d’une femme du grand monde. Iban l’avait vu habillée comme un homme, le geste et le regard ferme, voir hargneux, et le langage franc. Son souvenir lui laissait l’image d’un chef de guerre décidé et il s’était toujours trouvé fort étonné chaque fois qu’il avait appris, dans de mauvais papiers ou par les ragots circulant à son sujet, les étapes de son ascension dans les hautes sphères de la bonne société. Elle était au final devenue, pensait-il, une femme riche et soumise comme les autres de son rang.

Iban observa fixement la jouvencelle qui continuait de marmonner inconsciemment. Celle-ci avait bien de la chance aujourd’hui : elle évitait l’opprobre pour la seconde fois dans sa journée. Iban renoua vivement le lacet de ses braies. Il ne devait pas compromettre cette opportunité qui lui apparaissait soudain de retrouver Agnès de Saint-Just. En outre, si elle connaissait Gnia, cette jeune fille appartenait sans doute à la noblesse la plus haute qui puisse se rencontrer. La perspective d’une récompense généreuse alléchait déjà le mercenaire. Avec beaucoup de soin, il prit la blanche main de la jeune fille et y déposa un baiser.


« Damoiselle, damoiselle, revenez à vous ! Là…tout est terminé à présent. Vous êtes en sécurité… » appela-t-il doucement à la manière des sauveurs providentiels dans les mauvais romans.

« OOoooooh, mon sauveuuuur ! Qu’Aristote soit béni encore et encore pour m’avoir envoyé l’Ange le plus preux ! » dit-elle lentement en sortant de sa torpeur.

« Venez, relevez vous, gente damoiselle… Je ne mérite point tous ces beaux noms là, je vous l’assure. » lui répondit-il, en riant intérieurement mais en rassurant la donzelle du plus exquis des sourires.

« Il ne faut point tarder à présent. Rentrons à Montauban, afin d'éviter d'autres fâcheuses rencontres… »
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