Afficher le menu
Information and comments (1)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Coucher de Lune

Terwagne_mericourt
Sur Dié
Le jour s'est levé
La lune va se coucher...


S'extirpant des draps, elle essuya de sa main encore endormie les deux rivières qui par leur murmure l'avaient titrée du sommeil qui avait fini par l'emporter. Deux rivières d'eau salée au goût amer.

Elle enfila sa houppelande, la rouge, de ce rouge si cher à son coeur passionné, et ses bottes, noires, parce qu'elle n'avait pas encore réussi à mettre assez d'argent de côté pour s'en offrir de la même couleur. Ensuite, elle sortit et se dirigea vers la sortie de la ville, cette ville dont on avait refusé de lui ouvrir les portes la nuit dernière - prétextant qu'il était bien trop tard - pour la laisser mettre à exécution son projet de fuite, juste après leur avoir adressé une dernière missive à tous deux.

Une lettre très brève, en double exemplaire, un adieu à tous deux... Un "Je vous aime, au point de fuir pour ne pas choisir".

Parce que oui, celle qu'on entendait parfois dire que quoi qu'il arrive elle ne démissionnerait jamais était bel et bien décidée à le faire cette fois. Pas démissionner d'une charge ou d'une fonction, non, elle n'en avait plus aucune depuis deux mois, mais démissionner de son rôle de femme forte et prête à tous les combats, tous les choix. La Dame de Thauvenay abandonnait le combat, cette fois, pour ne blesser personne, ayant déjà fait bien trop de mal.

Se dirigeant vers la campagne environnante, elle chercha un endroit isolé, avec aucun arbre, juste un gros rocher qu'un ancien cours d'eau avait du abandonner là, et s'y adossa, tirant de son corsage les deux missives reçues après son départ raté.

Elles avaient toutes deux été écrites à la hâte sans doute, et cela ne les en rendait que plus vraies, plus fortes. Les écritures étaient nerveuses, et les mots livrés tels quels, sans miel autour, sans détour.

Si seulement ce bougre d'ivrogne avait bien voulu la laisser s'en aller cette nuit au lieu de lui conseiller de revenir le lendemain, elle ne les aurait pas reçues ces deux missives qui au fond ne faisaient que lui enfoncer encore plus la lame qu'elle avait l'impression de sentir dans ses entrailles au point d'avoir envie d'en hurler de douleur.

Monsieur T... Comment aurait-elle pu deviner que cette fois il ne se débinerait pas? Que sa demande en mariage était sérieuse, qu'il avait déjà prévenu à Marseille? Elle avait cru que ce n'étaient que mots en l'air, mots de charmeur qui bien vite retrouverait sa peur et ferrait demi-tour.

Son "Ut"... Oui, elle l'aimait, oui elle l'espérait entièrement à eux un jour, oui elle était prête à tout endurer pour un jour vivre à ses côtés. Tout, sauf peut-être de nouveaux sacrifices comme elle en avait tant fait pour un autre qui ne l'avait au final que brisée.

Aucun des deux n'avait compris, au fond! Aucun des deux n'avait compris que, chacun à leur façon, ils lui demandaient de sacrifier certaines choses... Un attendait d'elle qu'elle continue à être l'Impure, celle qui ne devrait pas être là, celle qu'on cache, celle qui va à l'encontre de ses principes et a de plus en plus de mal à se regarder dans la glace... L'autre attendait d'elle qu'elle quitte un Duché pour le suivre, qu'elle abandonne la petite noblesse qu'elle avait gagnée après des mois et des mois de temps et d'énergie donnés.

Dans tous les cas, même si sur le coup elle leur en voulait à tous deux, c'était surtout elle-même qu'elle détestait. Elle se haïssait de penser en terme de titre auquel elle devrait renoncer, parce que cela ne lui ressemblait pas, et elle se haïssait d'aimer quelqu'un qui n'était pas libre et d'être devenue pécheresse de par ce simple fait. Elle se détestait aussi et surtout de ne plus savoir où son coeur aimait vraiment.

Monsieur T... Comme elle l'avait aimé! Comme elle avait regretté de l'avoir écouté et d'être restée auprès de Anne et Walan qu'elle ne connaissait qu'à peine à l'époque, de l'avoir laissé lui s'en aller sans oser lui crier qu'elle n'aimait que lui.

Et aujourd'hui, le voila qui faisait de nouveau pareil, lui disait de rester auprès d'un homme qui sans doute jamais ne ferrait d'elle le rêve de toute une vie : une femme et une mère! Elle l'aurait voulu décidé, ferme, choisissant pour elle sans doute, mais pas les armes baissant, pas le combat abandonnant.

Son "Ut"... Celui qui avait donné vie à la mélodie trop longtemps endormie au fond d'elle, mais qui aujourd'hui ne parvenait plus à faire sortir une seule note pure du vacarme qui régnait dans sa tête et dans son coeur.

Le même cycle se répétait, encore et encore...

Maleus et Hugo... Le premier qu'elle brisa en l'abandonnant, le second qui la brisa ensuite, la faisant regretter son choix.

Monsieur T. et Walan... Le premier l'abandonnant à un autre sans qu'elle tente de le retenir, le second qui ne la comprit pas, la faisant là aussi regretter son choix.

Et aujourd'hui...

Et demain?

Il n'y aurait pas de demain!

Sortant sa lame de son fourreau, elle la posa sur ses jambes, la caressant de sa main, tandis que les rayons du soleil l'imitaient. Pourquoi le soleil serait-il le seul à se coucher et pouvoir se teinter de rouge?

_________________
Kernos
Emporté par l'ombre du clair de Lune

Le jour s'était levé sur les draps ayant perdu toute la chaleur que la nuit leur avait apporté... froid matin dont les rayons du soleil ne parvenait pas à réchauffer son corps et son âme comme la Lune l'avait fait au coeur de l'obscurité, s'offrant dans toute la plénitude de ses peurs et de sa passion, brûlante et vacillante à la fois, baignant leurs deux êtres tremblants de sa lumière d'argent... Mais le matin s'était levé, emportant avec lui l'astre nocturne avec lui pour faire place au soleil et à son affreuse lumière révélant sans compromis la dur réalité de son absence à ses côtés.

Tout cela n'avait été qu'un rêve? Est-ce que le voile obscur qui les avait enveloppé n'avait fait que les tromper, les aveugler par ses illusions que les traits dorés de l'astre diurne s'étaient empressés de dissiper? Il se redressa sur sa couche, balayant la pièce de son regard affolé et embrumé, cherchant désespérément des traces de sa présence... Rien, tout était vide, sans vie ni chaleur, sans aucun bruit... Un silence pesant, angoissant, un silence mortuaire après le tumulte qu'il avait connu, où la vie s'était répandu, envahissant le monde et l'univers comme un cri, déchirant la réalité pour un instant d'éternité.

Il sortit des draps devenus bien trop froids, bien trop rêches, mais surtout il se leva mu par l'angoisse... Où était-elle? Que lui était-il arrivé? Pas de lettre laissée derrière elle ce matin, pas d'indices... ses affaires n'étaient plus là... La peur étreignait son coeur d'avantage encore, à chaque pas qu'il faisait dans la chambre, à chaque grain s'écoulant dans le grand sablier du temps, à chaque instant loin d'elle... Non, il ne pouvait pas attendre d'avantage, rester ainsi sans réponse, sans nouvelle d'elle. Peur, oui, il avait peur: peur qu'elle choisisse celui qui pouvait lui apporter ce que lui n'était pas encore en droit de faire, peur qu'elle parte avec lui, peur de ne plus jamais la voir, l'entendre, la sentir respirer et vivre... Trop peur pour rester là à se questionner, à angoisser sans rien faire.

Kernos enfila donc à la hâte sa chemise et ses braies, passant chausses et pourpoint par-dessus avant de quérir ses bottes pour quitter en grande hâte cette pièce à présent que le jour l'avait envahi et rempli de noirceur. Les rues étaient vibrantes de monde et de vie, Die était éveillée depuis longtemps mais il en avait cure alors qu'il quittait sa demeure avec empressement, peu lui importait le reste, l'existence, les autres, les rumeurs ou la loi, peu lui importait toutes ces choses qui aujourd'hui lui paressaient bien insignifiantes à présent, en comparaison de ce qu'il risquait de perdre avec elle. Courant à travers les rues, bousculant sans s'arrêter les passants comme ses pensées le faisaient dans son esprit, il se dirigea vers les portes de la ville... Hier, elle comptait fuir, et elle l'aurait sans doute fait si les gardes l'avaient laissé passer, s'éclipsant dans la nuit pour se draper dans ce manteau de ténèbres et disparaître loin des tourments de l'amour... Mais il l'avait retrouvé, pour quelques heures au moins, avant que la réalité de ses peurs, de sa souffrance, ne la rattrape.

Le garde de la porte subissait l'assaut des questions pressantes - peut être affolées et quelque peu décousues également - du Rouvray: avait-il vu une demoiselle passer par là de bon matin? Oui une belle demoiselle aux cheveux sombres et profonds comme la nuit, portant des vêtements rouges et noirs... Oui c'était elle, par où était-elle partie? Etait-elle seule? Oui elle n'était pas accompagnée et elle avait pris la route des champs... Il n'en savait pas plus et Kernos prit congé de lui.

Que faire? Par où commencer? Par où aller? Elle pouvait être n'importe où à présent... mais peu importait, il fallait qu'il fasse quelque chose, tant pis si cela serait vain, peu importait s'il ne parvenait pas à la rattraper, il fallait qu'il le fasse. Sans plus réfléchir, il s'élança sur la route, courant après l'ombre de la Lune avant qu'elle ne s'éclipse en criant son nom.

_________________
Thorvald_
Nuit sans lune.

Comment telle méprise était elle advenue ? Thorvald n'avait même pas la force de relire les lettres Terwagne pour y trouver quelque indice. Celui qu'il avait pris pour un ami, un confident, qu'elle aimait certes mais à qui, dans l'esprit du colosse, elle n'avait pas pu déclarer sa flamme puisqu'il était marié, s'avérait bel et bien être son amant.
Et Thorvald qui l'avait demandée en mariage devant lui ...
Sombre imbécile.
Une grimace tordit son visage. Il soupira longuement pour chasser l'oppression, et leva les yeux vers l'aube pâlissante. Elle allait se refléter sur les noires murailles de Dié qui lui avaient servi de dossier dans sa longue nuit blanche.

Et cette lettre à Vero qui annonçait son retour et qu'il allait se marier ...
Il la revoyait lui dire naguère l'histoire du charpentier qui à force d'ouvrage et de patience avait créé ses ailes et s'était élancé au-dessus des hommes.
Deux petits jours Thorvald avait volé, s'était cru le plus heureux des hommes avec cet amour retrouvé. Sans même l'avoir touchée, sans même avoir caressé à nouveau sa chevelure d'ébène comme autrefois. Juste en perdant ses yeux dans les siens et en laissant s'ouvrir les possibles. Juste en lisant dans ses yeux de similaires espoirs ...

Autant d'espoirs qui s'étaient évanouis la veille, quand Terwagne avait annoncé son départ, ne voulant choisir. Préférant faire souffrir les trois, que de n'en faire souffrir qu'un. Comme si la peine, partagée, pouvait paraître plus légère. Non ... en plus de souffrir pour lui, il souffrait pour eux.

Il avait écrit.
De le choisir lui, l'autre.
Comme une sensation de déjà vécu.
Non par peur. Non par fuite, cette fois.
Par amour. Par sacrifice.
Amertume ...

Il aurait pu faire preuve de fermeté, en l'emportant de force, ou en la suppliant. Mais il préférait choisir pour elle, faire ce choix qu'elle ne pouvait se résoudre à décider. Lui épargner ce sacrifice.
La décision n'en était pas plus aisée.

Le géant se força à se lever, imprégné de la froide humidité nocturne, et franchit les portes de la ville. Voir Vero, lui expliquer, la laisser se moquer gentiment et le consoler. Oui, rentrer à Marseille était la seule idée qui le maintenait vivant. Il rentra à l'auberge, rassembla ses affaires, puis écrivit à la jeune fille qu'ils devaient escorter dans le Sud. Nul besoin d'attendre celle dont il lui avait parlé et qui ne viendrait plus. Jamais. Ils partiraient demain si elle voulait bien.
Le pigeon envolé, il s'endormit sur sa table, épuisé, assommé.
Blessé.
Terwagne_mericourt
L'ombre de la lune :

Les heures s'étaient écoulées, glaciales et douloureuses comme des lames s'enfonçant lentement dans la chair d'un condamné pour en faire couler jusqu'à la dernière goutte de sang mais sans l'achever trop vite, lui laissant le temps d'agoniser jusqu'à supplier la mort de l'emporter.

Les heures pour Terwagne avaient été telles ces lames, oui... Longues, froides, pénétrantes, et elle en était arrivée à implorer le ciel de s'ouvrir pour l'engloutir à défaut de l'éclairer, fatiguée de chercher la sortie de cette prison où son propre coeur l'avait jetée, où elle ne voyait plus que des ombres et des cadavres, ceux de ses échecs... Souvenirs démembrés, spectres criant, squelettes trainant des lambeaux d'âme dont ils refusaient de se défaire. Geôle où tout n'était que gémissements lugubres, plaintes funestes, cris muets et pourtant assourdissants.

Le soleil commençait à décliner, et sur le sol elle regardait son ombre qui bientôt disparaitrait.

Sur ses genoux, son épée était toujours couchée, et l'astre du jour retirait peu à peu la chaleur qu'il y avait déposée en cessant de la caresser. Sa main par contre n'avait pas quitté le métal, même si elle était depuis longtemps immobile, comme si elle savait d'elle-même qu'à trop s'y promener elle finirait par y laisser son empreinte, à moins que ça ne soit l'inverse.

Au loin, l'eau d'un quelconque ruisseau profitait de la quiétude du soir pour chanter son hymne à la vie, mais Terwagne ne l'entendait pas, elle, trop absorbée qu'elle était par le bruit qui continuait à agiter son esprit, ce bruit qui ressemblait de plus en plus à un requiem... Le requiem du bonheur simple auquel elle avait cru quelques jours durant.

"Le dernier espoir c'est la fuite"... Cette phrase tracée par sa main bien des années plus tôt, dans une lettre adressée à Hugo lui revint en mémoire.

La fuite était-elle un espoir? En quelque sorte, sans doute... Alors elle n'était pas la solution pour elle, puisque la chose qu'elle désirait le plus au monde en cet instant, c'était de ne plus jamais espérer, pour ne plus jamais désespérer ensuite.

Et soudain, ce dont elle eut le plus envie, ce fut du silence... Le silence! En elle!

Elle leva les yeux vers le ciel où la lune venait d'apparaitre, elle qui au petit matin disparaitrait, sans faire de bruit, sans manquer à personne ou presque, et qui sans en avoir vraiment conscience agissait sur la vie de bien des hommes, rythmant leurs actes, agissant sur leurs humeurs, rendant leurs semailles fertiles ou non.

Elle lui ressemblait, oui... Sans le vouloir, elle faisait naître sourires ou larmes.

Assez! Assez! Elle en avait plus qu'assez de faire souffrir! Et plus qu'assez de rester immobile à attendre que la douleur de son âme à elle se calme, se taise, s'endorme au moins quelques instants.

Attendre... Ne pas agir... Rester victime de son présent plutôt que maître de ses lendemains... Ce n'était pas elle ça non plus! Elle, elle avait toujours été du genre à affronter ses ennemis, à les combattre, par le fer même si il le fallait.

Et son ennemi, aujourd'hui, c'était ce qui coulait dans ses veines... Ce sang de pécheresse, ce sang bouillonnant de passion, ce sang empoisonné par l'amour et le désir, par la peur et le doute.

Elle allait s'en débarrasser, c'était aussi simple que cela!

Fermant sa main sur le tranchant de son épée, elle la fit glisser jusqu'au manche de celle-ci, colorant la lame de rouge, tandis que ses joues se coloraient des reflets de la lune se mirant dans ses larmes.

Ensuite elle se redressa sur ses jambes, releva le menton, comme quelqu'un bien décidé à affronter son adversaire, pointant son arme vers lui... elle...

_________________
Kernos
L'éclat d'acier d'un quartier de lune traversant les brumes de la nuit aussi épaisses que le sang des amants...

De route en chemin, de champ en colline, de forêt en plaine, pas un instant il n'avait cessé de la chercher, hurlant son nom au ciel en espérant, aussi loin qu'elle avait pu se réfugier, aussi loin qu'elle avait pu fuir, que sa voix où se mêlaient intiment son angoisse et son espoir puisse l'atteindre ne serait-ce qu'un instant... oui un instant seulement qui la détournerait de ses tourments, lui ferait regarder en arrière pour lui répondre.

Les heures passaient, de plus en plus froides, de plus en plus sombres, à mesure que le jour déclinait mais du soleil, à présent il en avait cure, car c'est la lune qu'il cherchait... Sa lune, si elle pouvait ainsi surgir entre deux rochers, comme la grande le faisait entre les nuages, pour l'éclairer, le guider jusqu'à elle pour... Pourquoi au juste? Qu'avait-il à donner de plus? Que pouvait-il bien lui offrir, lui le non libre? Lui dont les chaînes luisaient entre eux? Des promesses, oui, que des promesses... des promesses d'avenir, des promesses de lumière, la rassurant de ses mots d'amour et de ses gestes pour mieux la noyer dans l'ombre, dans cet amour clandestin, dans présent fait de ténèbres et de secrets.

Il s'arrêta, plein de doutes et d'amertumes... Pourquoi courrait-il après elle? Pour la ramener auprès de lui et l'enchaîner à nouveau à son propre fardeau? Elle méritait tellement plus à ses yeux... Que ferais-tu si tu la retrouvais? Si tu parvenais à la convaincre d'arrêter sa fuite pour revenir auprès de toi? La corrompre à nouveau? La condamner encore à attendre, à se nourrir de cet espoir qu'un jour vous serez libre de vous aimer? Attendre encore et encore le jour où tu pourras la conduire devant l'autel... où vous pourrez vous dire je t'aime sans craindre que l'on vous entende, que l'on vous juge, vous insulte? Quel genre d'homme était-il pour offrir comme seule robe à la femme qu'il aimait la boue et l'opprobre, la peur et la nuit? A lui passer au doigt non une alliance, mais le péché, la honte et le scandale...

N'était-il pas préférable de la sauver de lui en la laissant partir? N'était-ce pas la seule chose digne, le seul geste d'amour qui pouvait lui donner pour la racheter de ses propres fautes, de cet amour impure aux yeux de la morale et de la communauté? N'était-ce pas sa seule chance de salut? Le moyen qu'elle se purifie de lui? Peut-être avait-elle raison, la fuite était peut être la solution... S'éloigner de lui, d'eux... Loin de cet amour sincère et profond, mais impossible pour l'heure... Il avait déjà renoncé une fois à la femme qu'il aimait par amour, pour lui rendre sa liberté et son droit au bonheur, ne devrait-il pas à nouveau en faire de même avec la femme qui avait su lui redonner goût en l'existence, celle qui lui avait rappelé ce que c'était d'être vivant, qu'après l'hiver il y avait un printemps? La libérer de lui, de sa foi en elle, en eux?

A l'heure où le soleil embrasait une dernière fois l'éther avant de s'éteindre complétement, ne devait-il pas en faire autant avec son amour? L'enfouir au plus profond de la terre pour qu'il cesse de les illuminer, s'évanouir dans les ténèbres de la nuit et disparaître à jamais de sa vie...

Debout au milieu de nul part, les yeux baignés de larmes, perdus dans la contemplation de ces nuages rougeoyant, comme d'immenses tampons s'imbibant du sang répandu par cet astre agonisant s'enfonçant peu a peu dans les ténèbres mortuaires de la nuit, Kernos errait en lui-même... Tant de choses, tant de pensées, tant de sentiments bouillonnant en lui, violents remous qui l'emportaient toujours plus profondément dans le chaos de son esprit, sans aucune branche, aucun rocher auxquels se raccrocher un instant pour reprendre son souffle dans la tourmente dans laquelle il s'engouffrait... Rester ou partir? Se battre encore ou se laisser mourir?

La nuit se levait tout autour de lui, enveloppant les terres d'un silence et d'un froid encore plus épais encore, à présent que le soleil avait succombé à ses blessures... en ferait-il de même? Il lui avait dit qu'il avait de la force et de la conviction pour deux... à présent il se faisait d'un menteur, ampli de faiblesses, de doutes et de peurs, perdu et seul enveloppé par l'obscurité qui le révélait à lui même, nu et vulnérable sous le regard argenté de la Lune s'élevant au milieu des étoiles... comme de nombreuse fois il s'était révélé à son regard, sans masque et sans armure.

A quoi bon croire? A quoi bon lutter si ce n'est que pour apporter la souffrance? Etait-il fou, ou bien égoïste, à hésiter ainsi? Ô Lune, toi qui a été notre bienveillante complice, toi qui nous a protégé si longtemps, toi qui nous a offert l'un à l'autre... ne peux-tu pas me sauver à nouveau? Moi qui ai fuit le Soleil trompeur et brûlant et que tu as accueilli dans tes bras doux et qui m'a guéri de mes souffrances... Je t'en prie, éclaire-moi une dernière fois!

Une lueur vacillante s'éleva un peu plus loin dans les ténèbres... Etait-ce sa réponse? Un éclat, tel un quartier de lune en acier frappé par l'un de ses rayons pour traverser les brumes épaisses de la nuit... Kernos cessa de penser, laissant ses pas le guider vers le rocher d'où le scintillement s'était élevé quelques instants plus tôt... pas plus qu'il ne réfléchit quand sa main se referma sur la lame, s'entaillant la chair sur le tranchant déjà teinté de sang auquel le sien vint se mêler, pour la détourner d'elle, alors que ses yeux encore humides se posèrent dans son regard baigné de larmes.

_________________
Terwagne_mericourt
De plein gré s'enfoncer dans la nuit* :

Décidée, elle l'était comme jamais... Comme on peut l'être à l'heure de son dernier combat, celui dont on se moque bien de l'issue car quelle qu'elle soit les choses ne pourront pas être pires que ce qu'elles sont pour l'heure. La paix plutôt que la soumission à l'inquisiteur, la révolte suicidaire la tête haute plutôt que la vie en rampant dans l'ombre, les yeux ouverts dans la mort plutôt que baissés dans la survie, le corps tendu dans l'évasion plutôt que l'échine courbée dans l'acceptation.

Il y a des défaites dont on sort vainqueur, ne serait-ce que par la paix qu'elles nous apportent, et cette bataille, l'ultime, la lui apporterait, elle en était certaine, ne serait-ce que parce qu'enfin la vacarme se tairait.

Certes, le Très Haut la jugerait d'avoir ainsi mis fin à une vie qu'il avait créée, certes les vivants bien pensants jugeraient eux aussi cet acte. Mais n'était-ce pas déjà le cas par rapport à ce qu'était devenue son existence? Bien sûr que si! Pêcher contre son propre corps est-il pire que de pêcher contre la morale de Dieu et des hommes? Sans doute pas.

Plus elle y réfléchissait, et plus elle se disait que de toute façon la vie qu'elle s'apprêtait à prendre n'était que celle d'un être abjecte... Oui, elle allait débarrasser la terre d'une créature vouant ses nuits au péché, d'une femme ne sachant plus à quel saint se vouer alors qu'elle avait le comportement d'une païenne.

Sur ses joues, l'encre de son chagrin avait recommencé à dessiner de légères courbes, comme si il voulait y tracer les lettres d'une demande de pardon mais que pas plus qu'elle-même il ne savait quels mots utiliser. Pardon du mal fait, pardon des péchés commis, pardon du chagrin que sans doute elle ferrait naître chez...


Mon Ut, pardonne-moi.

Dans un murmure brisant le silence de la nuit, silence que bientôt elle épouserait totalement, les mots lui échappèrent. Ses dernières paroles dans ce monde, elle les lui adressait, à lui qui n'avait pas su comprendre à quel point l'aimer c'était renier toutes les valeurs qui étaient siennes... Elle qui rêvait de mariage crachait de par sa conduite sur ce lien qui était pour elle le but ultime de toute vie et qui l'unissait à une autre.

Comment aurait-elle encore pu avoir le courage de se respecter elle-même? Elle ne l'avait simplement pas, c'était aussi simple que ça.

Les deux mains serrées sur le manche de son épée, elle leva un instant les yeux vers la lune, avant de les ramener vers ses doigts, ne voulant rien rater de sa victoire sur l'Impure qu'elle était devenue.

Ensuite, pour la première fois depuis qu'elle en avait fait la demande à l'Hérauderie, elle poussa son cry, comme un adieu au monde, comme une victoire sur ce sang qui déjà s'écoulait de sa main et bientôt en ferrait de même de ses entrailles.


Tout sauf subir!

Tout sauf se subir elle, oui...

Dans le même temps, d'un coup sec et qui la surprit elle-même de par sa force, elle enfonça sa lame dans son ventre, ce ventre qui jamais n'enfanterait, sentant immédiatement la peur remplacer la douleur.

C'est à cet instant qu'une main se posa sur la sienne, et que relevant les yeux elle croisa son regard, ce regard qui... que plus jamais elle ne croiserait, qu'elle allait emporter pour l'éternité. Son éternité à elle. Cette éternité dont elle ne voulait plus puisqu'il n'y serait pas.

Non! Elle n'en voulait plus!

La peur glaça sa voix, son sang, son regard, ses mots qui semblaient déjà ne plus rien vouloir dire.


Elle elle pouvait m'épouser.

Ne la laisse pas faire, je t'en prie...
Arrache-moi à elle...


Son corps lui échappa, en même temps que sa conscience. Il n'y avait plus que le noir, et son corps à lui, contre lequel elle venait de basculer.


[* : Charles Aznavour]
_________________
Kernos
Les fiançailles de sang

La morsure de la lame n'était rien en comparaison à celle qui se refermait sur son coeur en cet instant. S'il avait été l'un de ces héros tragiques peuplant les théâtres antiques, il se serait adresser aux dieux anciens, haranguant contre la fatalité frappant l'homme en pleine ascension, magnifique et grandiose dans l'infortune et le malheur... S'il avait poète, il aurait pris à partie les hommes, "Ô frères humains contemplez ma misère", partageant les errements et souffrances de son âme avec de beaux mots pour emporter le lecteur et l'émouvoir en remplissant son esprit d'images... Mais il n'était qu'homme, abattu, blessé, déformé par la folie et la souffrance, ne pouvant que hurler d'horreur et de détresse à travers les ténèbres de la nuit, comme une bête sauvage sous la lune.

Nooon!

Il tomba à genoux, s'accrochant à son corps tombant contre le sien, comme un naufragé tente de s'agripper aux restes d'une épave. Elle était si légère, alors qu'il l'accueillait contre son sein, arrachant la lame d'acier qu'elle venait d'enfoncer dans son ventre dont s'écoulait non la vie, comme elle l'avait toujours aspiré, mais la mort.

Il rejeta au loin son épée, repoussant avec la force du désespoir cette amant qu'elle avait préféré à lui... à la vie... à l'espoir... Cet amant qu'elle avait accueilli en elle avec violence, et dont le baiser ressemblait à une rose étalant ses pétales écarlates sur sa robe, teintant la lune de sang, comme le soleil l'avait fait avec le ciel dans sa lente agonie.

Sa main se posa sur son ventre meurtri, son sang se mêlant au sien, mais pas de la manière dont il le rêvait, dont il l'espérait depuis des semaines... Mon dieu! à quelle folie l'avait-il poussé? Elle dont il voulait faire une épouse, une mère, voilà qu'il allait en faire une morte... car oui, en cet instant, sous les derniers mots qu'elle avait murmuré avant de sombrer et les pensées qui l'agitaient, il était coupable... coupable de l'avoir aimé au point d'en oublier ses chaînes... coupable de l'avoir ainsi condamné à l'ombre et au péché, d'en avoir fait une maîtresse au lieu d'une femme... coupable de l'avoir poussé à choisir la mort pour compagne... Mais l'heure n'était pas à l'apitoiement, coupable il était et le demeurerait à jamais, mais il ne pouvait pas laisser le noir se refermer sur elle, laisser l'étreinte glaciale de la mort l'emporter loin de la sienne.

Il arracha sa propre chemise, écartant le tissu de sa robe imprégnée de sang pour appliquer ce pansement de fortune sur la plaie afin d'empêcher l'écoulement de cette vie qui lui était si chère... plus précieuse que son existence même, car elle en était devenue le sens, la définition, le nom.

Kernos se pencha sur elle, comme tant de fois il s'était pencher sur son visage endormi, d'habitude si paisible et serein dans l'inconscient qu'il était maintenant déchiré par la douleur, la peur et la tristesse. Ses lèvres frôlant son oreille pour y glisser son murmure.


Je suis là Terwagne...
Je t'en prie mon amour accroche toi, je suis là et je ne la laissera pas t'emporter loin de moi...
Et si elle venait à t'éloigner, ton épée sera l'alliance que je n'ai pas encore pu te passer au doigt dans cette vie, et son acier nous unira pour l'éternité dans l'au-delà...


Il alla chercher la dite épée, maculé de leur sang mêlé dans laquelle l'astre nocturne se reflétait... Etait-ce ça ton signe? Etait-ce ça ta réponse et ta solution à nos souffrances? Voilà donc ce que tu voulais nous offrir à présent, des fiançailles de sang pour des noces mortuaires? Est-ce parce que nous voulions être uni à jamais que tu nous offres la seule éternité que tu ne connaisses: la mort? Et bien soit, si le Soleil ne veut pas de nous, si la vie refuse que nous soyons ensemble, j'embrasserai la mort pour la rejoindre et être à ses côtés jusqu'à la fin des Temps... Mieux vaut une mort brutale et les tourments de la Lune avec elle, qu'une vie longue et le Paradis sans Terwagne... et au moins, j'aurai brisé les chaînes qui m'empêchaient encore de t'aimer librement. Oui, s'il ne pouvait être sien de son vivant, il le serait dans la mort, il y était résolu.

Il glissa la lame à sa ceinture et prit son corps entre ses bras avec délicatesse pour la soulever. Ce n'est pas à l'autel, ni dans notre chambre nuptiale que je t'emmène ma douce fiancée - pas encore du moins - mais à Die, ma belle, où je ferai tout pour te sauver. Parcourir la route menant à la cité, drapé du manteau de la nuit et porté par le vent caressant son torse nu, priant pour que les gardes ouvrent la porte mais surtout pour qu'elle tienne, pour qu'elle vive, courant au point de ne plus sentir ses jambes, d'en avoir le souffle roque et les poumons qui brûlent... Courir encore et encore, malgré les larmes qui vous brouillent le regard et inondent vos yeux, malgré la douleur de vos bras épuisés... Courir encore et encore parce que la vie en dépend, mais aussi la mort... Courir parce qu'il n'y a plus que ça à faire dans l'espoir d'entendre à nouveau sa voix, de la voir bouger, danser, pleurer et rire... Courir parce que rien d'autre n'a d'intérêt en dehors de l'aimer...

Les portes de la ville, un espoir qui se dresse sous la lune. Ses bottes heurtèrent violemment le bois à plusieurs reprises, alors que sa voix éraillée déchirait la paix de la nuit.


Ouvrez pour l'amour du Très-Haut! Ouvrez la porte! C'est moi Kernos Rouvray, j'ai une blessée avec moi! Ouvrez elle a besoin de soin où elle ne passera pas la nuit! Ouvrez bon sang et allez chercher un médecin!

Il devait avoir l'air d'un dément, ses cheveux ébouriffés par sa course et trempés de sueur, le visage et les yeux rougis par l'effort et le chagrin, son torse nu couvert de tâche de sang, se soulevant et s'abaissant comme un soufflet de forge... Mais il en avait cure, tout ce qui importait c'était l'étincelle de vie qui habitait encore Terwagne et qu'il voulait préservé... Peu importait son état à lui, du moment qu'on la soignait elle. Les gardes en faction lui ouvrir, sans doute avaient-ils d'avantage reconnu son nom que son apparence, pour le conduire dans la salle de garde en attendant que l'on ramène un médecin.

Kernos allongea sa bien-aimée sur l'une des tables avant de se laisser tomber sur le banc. Sa chemise était devenue rouge à son tour, mais il n'osa la retirer de peur que le sang ne continue à se répandre, il reporta donc son regard sur sa propre blessure... la plaie était superficielle, même si toujours sanguinolente, il n'en était pas inquiet, et tira l'épée de Terwagne pour la poser à côté de lui, plongeant ses yeux un instant dans le reflet de l'acier... s'il n'y avait pas d'autres moyens... Mais il n'avait plus envie d'y penser pour l'heure, si c'étaient les derniers instants qu'il pouvait passer avec elle, il ne voulait pas penser à l'avenir, mais au présent.

Ses doigts cherchèrent les siens et ses mains les enveloppèrent pour les porter à ses lèvres.


Vis je t'en prie... je veux pouvoir faire de toi une femme et racheté les fautes que tu as commise par ma faute...
_________________
Terwagne_mericourt
On ne peut déserter le champ de bataille à l'heure du combat décisif.

Le champ de bataille, celui de son dernier combat, elle venait de le quitter, emportant avec elle bien peu de choses au fond...

Pour uniques bagages, une mélodie douce et triste pourtant, qui venait de faire place aux cris qu'elle avait voulu faire enfin taire en elle, le poids des regrets qui à n'en point douter partiraient le long du chemin la conduisant vers cette grande inconnue qu'était la mort, son dernier regard à lui, ce regard humide où elle avait soudain eu envie de plonger, auquel elle aurait voulu s'accrocher, et puis la chaleur de sa main sur la sienne, cette main à laquelle elle aurait voulu se rattraper pour faire demi-tour, pour ne plus partir.

Mais il était arrivé trop tard, la porte était bel et bien ouverte, et elle bien trop engouffrée de l'autre côté déjà.

Une image, un son, une sensation... Tout y était ou presque pour composer un bouquet de sens à emporter dans l'éternité. L'odeur et le goût ne manquaient pas, mais elle les ignorait exprès, parce qu'ils avaient pour nom sang et métal, ces deux choses qui avaient servi de plume et d'encre à son dernier poème sur la terre.

La douleur dans son ventre disparut, et elle rouvrit les yeux, pour voir le sol que ses pieds foulaient sans qu'elle doive les commander.

Pas de sol... Il n'y avait pas de sol! C'était comme un vide immense dans lequel elle flottait, marchait pourtant. Il n'y avait pas non plus de ciel... Ou alors il était là mais on ne pouvait pas le repérer, parce qu'il n'y avait ni étoile ni lune.

Le vide! En dessous, au dessus, devant... le vide!

Pas de lumière et de chaleur comme le prétendent certains, pas non plus de bien être.

Et surtout, pas de silence... La fin du vacarme en elle, ça oui, mais déjà la mélodie qui l'avait accueillie faisait place à autre chose, quelque chose qu'elle prit d'abord pour le bruit des battements de son coeur suite à l'angoisse qui venait de l'étreindre en se rendant compte que derrière le baisser de rideau clôturant la dernière scène de son existence il n'y avait rien! Juste le néant!

Baissant les paupières, elle voulu se concentrer pour ralentir son coeur, le calmer. Mais non, ce n'était pas lui qu'elle entendait, c'était autre chose... Son coeur ne pouvait plus battre, puisqu'elle était morte! Et puis cela venait de devant elle, très loin, mais se rapprochait, à une vitesse hallucinante.

Le son s'amplifia, devint plus fort, plus rapide, plus... angoissant! Alors, elle releva ses paupières, et vit une pluie de lumière s'abattre, sous forme de rideau, à quelques longueurs de bateau d'elle, lui sembla-t-il, et au milieu, une silhouette qui n'avait rien d'humain, même si c'était debout sur des jambes, portait une armure métallique et tenait dans ses mains une épée comme jamais elle n'en avait vu tant elle était immense.

La créature qui ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait pu voir jusqu'à aujourd'hui quitta son arme d'une de ses mains, menant celle-ci jusqu'à son torse, la glissant sous ce qui devait être une cape et la ressortissant quelques secondes plus tard dans un tintement métallique qu'elle n'eut pas le loisir d'entendre fort longtemps, puisqu'une voix accompagna le geste.

Etait-ce des mots? Des cris? Des sons sans sens? Peu importait, elle ne comprenait pas, de toute façon, et le ton suffisait amplement à lui indiquer que les seuls sentiments présents étaient négatifs.

Elle rabattit son attention sur l'objet qui venait d'apparaitre, et reconnut sans mal ce genre de choses qu'elle avait vues dans des gravures, cette espèces de collier passé autour du cou de gens se déplaçant comme des chiens et que l'on tirait par la chaîne qui y était accrochée. On devinait sans mal que cela devait être très lourd, puisqu'ils avaient toujours tous la tête courbée, comme si ils voulaient fuir sous la surface de la terre que leurs genoux foulaient. Parfois, on y voyait des femmes, mais elles n'avaient plus rien de féminin, pas même le corps, on ne les reconnaissait que par la détresse sur leurs traits, bien différente de ce sentiment d'humiliation que l'on pouvoir voir dans ceux des hommes.

Ce qui n'était ni un homme, ni un animal, reprit sa marche vers elle, accélérant le pas à chaque enjambée, lui montrant l'arme qui l'obligerait elle à accepter son sort, et l'objet qui la punirait de son acte en lui infligeant le poids de la lâcheté et de la soumission pour l'éternité.

Un relent de fierté, de combativité? Certainement les deux.

Ramenant ses mains vers son ventre, elle voulut en arracher son épée pour combattre ce qui devait être la mort, mais il n'y avait plus d'épée!

Ecarquillant les yeux, elle se tourna vers l'endroit d'où elle venait, persuadée que son arme devait être tombée quelques pas plus loin, et aperçut, dans un brouillard épais, celui à qui elle venait de dire adieu.

Il tenait dans ses mains ce qu'elle cherchait...

_________________
Kernos
S'accrochant à l'espoir comme à une main tendue ou à une prière, pour voir la lune s'élever à nouveau et illuminer leurs ténèbres

La porte s'ouvrit sur la silhouette d'un petit homme replet au visage marqué par les années, le crâne aussi lisse qu'une pomme, portant robe et un coffre de bois. Kernos détourna un instant les yeux du visage de Terwagne pour les poser sur celui du barbier chirurgien qui officiait régulièrement pour la garde de la ville. Ce dernier s'avança dans la pièce, déposant son nécessaire sur la table où la demoiselle de Thauvenay gisait avant de s'adresser au Rouvray.

Et bien Seigneur, à quoi avons-nous à faire?

Elle a reçu un coup d'estoc dans le ventre, je ne sais si l'entaille est profonde mais elle perd beaucoup de sang, j'ai tenté d'arrêter le flux avec ma chemise le temps de la transporter jusqu'ici mais je ne sais si...
Sa voix tremblait d'inquiétude, malgré sa volonté de se montrer le plus clair possible, son débit était rapide et son regard trahissait la peur qui l'habitait... peur pour elle... peur de la perdre... Faites votre office je vous prie, mais gardez cette affaire pour vous, je ne veux pas que cela se sache.

Pas de questions, il savait que le chirurgien ne serait pas dupe, il avait soigné des centaines de plaies et de blessures par l'arme, il ferait bien que le coup n'était pas comme les autres, mais Kernos voulait la protéger... éviter que le secret s'ébruite sur les conditions de cette blessure et que la rumeur se propage qu'elle avait tenté de... Ô Seigneur!... de mettre fin à ses jours, et il en était responsable. Il n'avait voulu que son bonheur, l'aimer pleinement et sincèrement et il avait fait d'elle une pécheresse, la poussant jusqu'au point où sa seule échappatoire avait été de prendre en son sein la froide lame d'acier comme alternative à cette brûlante passion... quel égoïste il était, et s'il n'avait pas réussi à la protéger de son amour, au moins il essayerait de la protéger du jugement des autres.

Le chirurgien avait hoché la tête avant de retirer la chemise sanglante pour observer la blessure. Kernos avait suivi son geste, posant son regard sur le ventre nue de sa Lune... il en avait vu et il en avait provoqué des entailles, pourtant il ne put s'empêcher de frissonner d'effroi en découvrant le sillon rougeoyant qui outrageait la chair si délicate de l'être aimé. Le sang... le sang s'écoulait toujours de la plaie droite et nette où le fer avait mordu, ruissellement sur sa peau, maculant la Lune d'une ombre sombre et épaisse.


Ce n'ai pas le premier coup d'épée qu'elle reçoit à ce que je vois. Elle aura sans doute une autre cicatrice pour l'accompagner, mais la coupure est nette, la lame devait être bien aiguisée et les chaires n'ont pas été déchirées quand elle a été retiré.

Le Rouvray sortit de ses ruminations pour répondre au barbier."C'est moi qui l'ai retiré, j'ai pris soin de ne pas agrandir la plaie... vous savez que j'ai une certaine habitude des blessures, même si je sais d'avantage les causer que les soigner..." Encore une preuve vivante - agonisante plutôt - de ce qu'il avançait... il n'avait pas brandi l'arme, il n'avait pas frappé, mais il se sentait l'artisan, le responsable de son geste, dans son coeur et à ses yeux, c'était comme s'il avait tenu lui-même l'épée en main. Pensez-vous qu'elle va s'en sortir? Soyez franc.

Le petit homme chauve leva son visage rondelet vers celui, angoissé, du Sire de Glandage.

L'entaille est fine, elle a l'air saine... hum, elle a perdu beaucoup de sang en revanche, et il faut que je regarde si la blessure n'est pas trop profonde avant d'opérer. Il se tourna vers la porte pour héler le garde en faction dans le couloir. Qu'on m'apporte des linges propres et de l'eau chaude, et attisez moi ce feu bon sang! Il ne faudrait pas qu'elle attrape fièvre. Puis revenant à Kernos. Messire, pouvez-vous achever de lui retirer le haut de son vêtement? J'ai besoin de place et d'une meilleure vue pour exercer.. et il vous faudra aussi vous soigner de cette vilaine entaille à la main, si vous ne voulez pas qu'elle s'imbibe d'humeurs mauvaises.

Kernos hocha avec raideur la tête... sa main, c'était le cadet de ses soucis, peu lui importait cette petite coupure, ou même qu'elle s'infecte, une seule chose comptait à ses yeux, c'était la vie de Terwagne, son ventre et la tranchée qu'elle y avait tracé. Il tenta se reprendre quelque peu le dessus sur sa nervosité et approcha les mains de la robe de son amante, légère hésitation de pudeur, il aurait préféré que Laura soit là - il aurait remis sa propre vie entre ses mains sans hésiter, tout comme il lui aurait confié celle de la femme qu'il aimait mais, surtout, c'était une femme également - mais elle était loin de Die, et il n'avait que le vieux chirurgien sous la main... qu'est-ce qui était le plus important? la Vertu ou bien la vie ? Sans attendre, il défit le haut de la robe et le lui retira, ne laissant pour seule vêtement le bandeau de toile retenant sa poitrine, offrant ainsi un léger voile à sur nudité.

Il s'écarta alors pour laisser la place d'oeuvrer au barbier chirurgien, pour s'installer sur l'autre banc, glissant ses doigts entre ceux, inertes, de Terwagne pour les serrer entre les siens... Prière muette alors que l'homme se penchait sur la blessure, un linge propre dans la main... Prier, c'est tout ce qu'il pouvait faire hélas... Il se sentait si impuissant... si incapable et faible... si coupable, coupable de l'aimer sans pouvoir lui en donner tous les fruits... coupable de l'avoir cloîtré dans l'ombre... coupable de son malheur... Il étreignit ses doigts un peu plus fort, mais non sans tendresse, comme s'il souhaitait qu'à travers le brouillard où elle se perdait, elle puisse au moins ressentir cette petite lueur, cette petite chaleur qui l'appelait et l'attendait au loin, derrière elle, dans ce monde du corps où la douleur et la souffrance sont partout, ce monde violent, brutal et sauvage parfois, ce monde de chair et de sang, de cris et de larmes, ce monde si laid et nauséabonde qu'il vous fait envier le Ciel et ses promesses... Oui, ce monde qui malgré tout, renferme en lui les plus beaux trésors, les choses les plus purs que l'on puisse rencontrer un jour et qu'on ne peut trouver que dans cette fange grouillante et bruyante, comme la plus magnifique des fleurs nait du fumier. Celui qui n'a pas connu le malheur et la misère ne peut savoir ce qu'est le bonheur véritable.


Je t'en prie, bats-toi Terwagne et vis... j'ai foi en toi, ne la laisse pas te prendre... reviens pour devenir ma femme, de découvrir le bonheur de donner la vie... je t'en supplies n'abandonne pas... ne m'abandonne pas.
_________________
Terwagne_mericourt
(HRP : en noir ce que vit Terwagne dans son inconscience, en bleu ce que peut voir Kernos de là où il est)

Et au milieu était une "Tempête".

Il tenait dans ses mains ce qu'elle cherchait...

Pas simplement cette épée, non! Cela ce n'était qu'un objet après tout, un simple objet parmi tant d'autre, un besoin temporel, là sur le moment, pour vaincre ce qu'elle avait voulu rejoindre. Lui, il tenait dans ses mains bien plus que cela...

Il tenait dans ses mains tout ce qu'elle avait toujours cherché!

Une envie de continuer le combat qu'est la vie, un amour plus grand que ses peurs et ses douleurs, tellement fort qu'il lui donnerait le courage de tout supporter, tout braver et tout affronter. Cette épée, ce n'était rien d'autre que cela au fond, et elle le comprit immédiatement en les regardant tous deux au travers du brouillard.

Certes pour l'instant c'était compliqué, douloureux, incertain... C'était un futur noyé dans une brume dont on ne sait même pas avec certitude si elle finira par s'en aller, c'était comme une île au milieu de flammes dont on espère qu'elles finiront par s'éteindre avec le temps et dont la brûlure nous semble par instants bien insupportable, c'était comme l'horizon vu de derrières les barreaux d'une prison qu'on voudrait briser sans le pouvoir... Mais c'était néanmoins une envie de regarder, d'espérer, de croire que tout est possible, que la vie mérite d'être vécue, et qu'aucune bataille n'est perdue d'avance.

Kernos... L'incertitude, la douleur, le combat contre les autres et ses propres principes, mais aussi et surtout la Vie!

De l'autre côté, la soumission et l'abandon... L'errance sans lui, dans un monde sans plus de lumière, sans plus d'envies, sans plus de hargne et d'énergie.

Son choix était simple, et elle le fit sans réfléchir plus avant. Oubliant les cris et les bruits de chaîne dans son dos, elle se mit à courir dans sa direction à lui, certaine de ne plus vouloir de la mort, puisqu'il n'y était pas.

Ce qui n'était pas vraiment un sol mais juste de l'air se transforma alors soudain en eau, ou plutôt en vagues voulant la ramener vers la créature qu'elle ne voulait plus rejoindre, celle qu'elle s'imaginait être la "Mort". Mais sa volonté à elle était revenue au galop, et elle lutta, de toutes ses forces, nageant à contre courant, sous la houle et le tonnerre, se faisant par instant submerger, manquant d'air...

*Couchée sur la table, elle semblait sans vie, sans chaleur, sans plus de battements de coeur, son visage comme devenu de marbre, ses traits figés par le temps. Jusqu'au moment où, alors qu'il terminait de la dévêtir, un pli marqua son front, juste avant que celui-ci ne se mette à se perler de sueur. Ses lèvres se tordirent, comme déchirées par une douleur invisible, avant de s'entrouvrir dans un râle où elle sembla chercher l'air.*


Il n'y avait pas que les vagues et le ciel menaçant et rempli de coups de tonnerre... Il y avait aussi et surtout tous ces morceaux de bois morts flottant à la surface et la menaçant de collision à chaque nouvelle longueur qu'elle réussissait à parcourir. Des branches immobiles et pourtant dangereuses par la force de leur essence.

Elle porta le regard vers l'une d'elle, et y aperçut un visage. Un visage croisé il y avait de cela pas mal de temps, à l'époque où elle était diaconesse, dans les couloirs de Rome. Un visage qui semblait taillé dans la pierre tant il était vide d'émotion, et dont seules les lèvres bougeaient pour laisser filtrer un sermon sur les liens sacrés du mariage. Les vertus... Dans l'océan de ses craintes, les vertus et la religion avaient forcément leur place, ainsi que les hommes du dogme, ceux qui détenaient dans leurs mains leur avenir à Kernos et elle.

Elle releva la tête un instant, le cherchant lui du regard. Il était là, plus proche à présent, les traits tirés par la douleur et l'angoisse, mais tellement beau et rassurant dans sa faiblesse! Un peu comme un tableau où la lumière ne resplendit que par les ombres qui l'entourent. Kernos... Un clair-obscur à lui seul. La seule certitude possible dans le brouillard.

* Brusquement, brutalement même, sa tête se souleva, dans un spasme, et ses paupières suivirent le mouvement, l'espace de quelques centièmes de seconde avant de remettre un voile sur son âme en train de s'envoler et que la première ne retombe lourdement sur la table qui accueillait son agonie, comme un quai sert de base à tout départ de navire.*

Lutter, jusqu'à son dernier souffle, contre vents et marées, contre les peurs et le manque d'air, contre les vagues de sa propre colère et de son désespoir, contre ses angoisses et ses principes, contre tout ce qui était ancré en elle aussi profondément que ce qu'elle aurait voulu lier son destin au sien, elle était bien décidée à le faire!

Plongeant yeux à nouveau fermés dans la noirceur des remous, elle continua à avancer, lentement mais sûrement, finissant par sentir l'eau devenir moins profonde. Alors elle ressortit le visage, releva ses cils, et le vit, tout proche, tellement proche qu'elle eut l'impression de sentir sa chaleur la réchauffer et son souffle la frôler.

Elle se releva alors, tendant son corps entier vers lui, voulant s'y jeter pour retrouver la vie, cette vie qu'elle ne ressentait jamais aussi fort que dans ses bras.

* Un nouveau spasme, plus violent, redressa son corps en position presqu'assise sur le panneau de bois.*

Mais de bras elle ne trouva pas... Juste une main, la saisissant par le col, et la ramenant - dans un rire à la fois lugubre et presqu'orgasmique tant il était imprégnant - vers celui qu'elle avait dérangé par son geste suicidaire et qui à présent voulait la voir rejoindre la meute de ses créatures rampantes et enchaînées.

Elle ne put rien contre lui, du moins pas tout de suite... Elle attendit qu'il la repose au sol, tentant de réfléchir rapidement à comment elle pourrait bien acheter sa liberté, ou encore le combattre sans arme... L'argent? Cela n'avait jamais été au nombre de ses soucis ni de ses priorités, et ce n'était pas en mourant qu'elle allait verser là-dedans... Se battre à mains nues? Elle n'était pas très musclée, et bien plus petite que "lui",c'était peine perdue.

Le désespoir nous fait parfois nous dépasser, nous surprendre nous-même par les gestes fous qu'il nous fait commettre. Ce fut son cas à elle alors qu'il se penchait pour la poser auprès de ces corps qui n'avaient plus rien d'humain et qu'il semblait bien décidé à la voir rejoindre.

Un crachat... Un simple crachat, violent, qu'elle lui envoya au milieu de ce qui lui servait de visage.

* Un jet de sang fusa d'entre ses lèvres, avant qu'elle ne retombe sur ce qui faisait office de table d'opération, entièrement immobile, dans un cri muet. *


Effet de surprise sans doute, la main s'ouvrit et elle retomba sur le semblant de sol, ignorant totalement l'impact tant en elle la colère et le besoin de retrouver celui par qui elle souffrait - mais sans qui rien n'avait de sens- avait repris le dessus sur tout le reste.


Je ne veux pas d'un monde où il n'est pas!

Pas un mot de plus, juste sa course qui reprend jusqu'aux flots de ses angoisses, une nouvelle nage à en perdre le souffle et la conscience de son propre corps, de nouveaux morceaux de bois qu'elle évite sans même chercher à comprendre leurs propos... Et puis une épée, celle de la créature à qui elle veut échapper, s'abattant au milieu des vagues pour y provoquer un tourbillon, une spirale qui l'aspire, et contre laquelle elle ne peut rien... Juste s'agripper à la main qui vient de se tendre pour la rattraper.

Kernos...

Elle serre ses doigts dans les siens, et lève vers lui son regard, avec le peu de force qu'il lui reste. Elle n'a plus l'énergie pour rien faire, juste lui confier sa vie...

Ses yeux se referment, l'eau ruisselle sur son visage.

* Sa main dans la sienne se crispe, resserre l'étreinte de leur paume.
Deux larmes semblent vouloir percer le voile de la nuit dans laquelle elle s'est jetée à corps et âme perdus.
L'eau... Source de vie.*

_________________
Kernos
J'arracherai ton âme à la noirceur de ses tourments

Statue inerte gisant sur la table dont les seuls sursauts de vie ne sont que tourments... la vie n'avait pas été tendre avec elle, en serait-il de même dans la mort? Assis sur le banc sa main serrant la sienne, il ne pouvait qu'être spectateur impuissant devant la scène de ses souffrances et de ses peines. Son corps, tableau muet et vivant, se tordait de douleur alors que le chirurgien commençait à éponger le sang s'écoulant de la plaie suintante de son ventre.

Kernos serra les dents... qu'avait-il donc fait pour que le destin s'acharne ainsi sur lui et le condamne à regarder les femmes qu'il aimait, souffrir et agoniser devant ses yeux? Non! Ce corps qui se tordait, tremblait devant ses yeux horrifiés, c'était le signe que la vie se battait en elle, s'accrochait à son enveloppe charnelle pour résister à l'étreinte glacée de la mort. Chaque secousse était un sursaut d'existence, chaque râle était une bouffée d'oxygène, un cri arraché au néant qui essayait de l'engloutir... Oui, il était impuissant, il ne pouvait pas la guérir, mais il pouvait la soutenir, lui donner sa force, tenter d'atteindre sa conscience en lutte, l'encourager à tenir bon... à résister et à vivre.


Bats-toi mon amour, reviens près de moi, que nous puissions nous aimer à nouveau dans une vie rien qu'à nous deux.

Le barbier jeta un premier linge maculé de sang et en prit un second qu'il trempa dans le bac d'eau chaude pour achever de nettoyer la plaie. Il eut un geste de recul, surpris par le spasme soulevant violemment la tête de Terwagne qui retomba aussi brutalement qu'elle ne s'était soulevée. Le vieillard grommela quelques mots, sans se préoccuper des regards paniqués que lui lançait Kernos, avant de tirer une tige en fer avec laquelle il écarta légèrement les bords de la blessure. Le Rouvray le regarder faire, à la fois intrigué et inquiet, il n'avait jamais rien entendu dans la science de la médecine, tout ce qui comptait pour lui d'ailleurs ce n'était de comprendre ce que le barbier faisait, mais bien qu'il la sauve.

Mmm... La plaie n'est pas trop profonde, la lame ne semble pas avoir touché les organes... Mmm... Je pense qu'un bon emplâtre afin de cicatriser les chairs et les renforcer ferait l'affaire dans un premier temps... mmm... à moins qu'un peu de poudre rouge avant... mmm... intéressant...

La colère prit le pas quelques instants sur la peur dans l'esprit de Kernos, qui jeta un regard noir comme l'abîme au barbier avant de s'adresser lui d'un ton sec.

Si vous savez ce qui faut faire, faites-le! Pendant que vous réfléchissez elle se meurt alors dépêchez-vous de procéder!

Le petit homme sursauta, comme tiré de ses pensées brusquement, et se tourna vers le sire de Glandage, l'air surpris comme s'il avait oublié qu'il se tenait là.

Hum... pardonnez-moi je réfléchissez à voix haute... alors alors... opérons! opérons!

Le chauve se retira pour fouiller dans ses effets, alors que Kernos s'interrogeait soudainement sur la santé mental de celui qui tenait entre ses mains la vie de Terwagne... mais il n'avait pas le choix, il devait lui faire confiance s'il voulait qu'elle survive à sa blessure. Le barbier revint à eux, un petit pot en main qu'il dévissa avant de l'approcher du ventre de la demoiselle Méricourt... quand soudainement, le corps de celle-ci se redressa brutalement sur la table, manquant de renverser le pot et son contenu. Un jet de sang fusa d'entre ses lèvres, et vint s'écraser sur le visage du chirurgien.

Foutredieu! Mais vous allez la tenir! Je ne vais pas pouvoir travailler correctement dans ces conditions! Et vous là, le garde, au lieu de vous tourner les pouces dans le couloir, venez donc lui tenir les jambes!

Kernos s'exécuta aussitôt après avoir opiné du chef. Glissant son autre main dans la sienne, il plaqua les bras de Terwagne au-dessus sa tête, tandis que le garde venu en renfort bloquait ses pieds, tandis que le chirurgien versait sa poudre sur la blessure qui recommençait à saigner.

Tenez là fermement, c'est qu'elle a de la fougue à revendre la petite, elle ne doit pas bouger pour que je puisse appliquer l'emplâtre et faire un pansement propre.

Seigneur Tout Puissant! Quelle épreuve de voir son amour dans cet état, d'être contraint à la maintenir ainsi, sans pouvoir rien faire d'autre alors qu'elle se vide de son sang sous ses propres yeux... Croire, encore et encore, ne pas flancher, ne pas abandonner... garder la foi... foi en elle, foi en la vie, foi en le chirurgien qui tient sa vie entre ses mains quoi que... Est-ce vraiment le cas? Si lui guérit le corps, n'est-ce pas elle vraiment qui détient la clé de sa survie? N'est-ce pas sa volonté de vivre qui ferait la différence? Entre les blessures du corps et celles du coeur, lesquelles étaient les plus importantes? Une pression dans sa main l'arracha à ses réflexions.

Terwagne!? Ma Lune?! Lutte! N'abandonne pas je t'en prie! Je ne veux pas d'une vie sans toi! Réveille toi!
_________________
Terwagne_mericourt
Quand plus rien d'autre n'a d'importance :

Un tourbillon, une spirale qui l'aspire, et contre laquelle elle ne peut rien... Juste s'agripper à la main qui vient de se tendre pour la rattraper.

L'étreinte de leurs doigts se desserre-t-elle? Elle n'en a pas conscience, elle n'a d'ailleurs plus conscience de grand chose en dehors de cette eau qui tourne autour d'elle, l'aspire, la fait glisser vers l'inconnu, cet inconnu qui de toute façon ne peut pas être pire que la Mort qu'elle avait choisi d'épouser en arrivant.

Sensation étrange de caresse libératrice, presque purifiante, chassant ses craintes et ses angoisses, l'endormant de sa mélodie, l'enveloppant non pas comme un linceul noir mais comme un voile transparent, lui ôtant sa robe de tristesse pour la remplacer par la nudité des sentiments purs et essentiels... Et plus rien n'a d'importance, que ce visage qu'elle vient de graver sur ses rétines. Où qu'elle aille, où que le tourbillon l'emporte, il sera là, en elle. C'est tout ce qui compte.

Kernos... Même dans la nuit des temps il ne l'abandonnera pas, elle le sait au plus profond d'elle-même. Leurs sangs se sont mêlés, elle s'en souvient à présent, et rien ne pourra les séparer, jamais!

Le tissus aquatique devient plus pesant, plus collant, presque étouffant. Il l'enroule, de plus en plus fort, la serre sans plus la faire glisser vers le bas, la laissant coincée comme un papillon trop faible encore pour voler retenu pour son propre bien dans une chrysalide. Ce n'est pas douloureux, juste étrange, l'impression que vous vous échappez à vous-même.

Alors elle ferme les yeux plus fort, non pas parce qu'elle craint ce qu'elle pourrait voir, non pas parce qu'elle abandonne le combat, non plus... D'ailleurs ce n'est plus un combat, c'est quelque chose contre quoi elle ne peut rien, et craindre ou lutter n'y changerait rien de toute façon.

Elle, elle se concentre sur les battements de son coeur, ce coeur où circule un peu de son sang à lui s'imagine-t-elle.

C'est alors qu'elle sent quelque chose jaillir au travers du voile d'eau, comme des bras la caressant, mais sans vraiment de chaleur, pas faits de chaire non plus... On dirait... des... branches?

Lentement ses yeux s'entrouvrent, et elle les voit. Ce sont bel et bien des branches, oui, se glissant autour d'elle dans un bruissement mélodieux et la remontant vers le haut, avec douceur, sans la brusquer, sans non plus vraiment l'arracher au cocon dans lequel elle était. Non, c'est doux, lent, presque empreint de protection et de crainte de la blesser dirait-on.

Elle laisse ses cils se baisser à nouveau, écoute le bruissement, s'abandonne un peu plus à chaque instant, sereine, calme. Un arbre, ça ne peut pas avoir de mauvais dessin. Un arbre, c'est ce qui toujours lui a servi de repère depuis l'enfance... Un arbre, c'est un peu comme un... ut.

Un sourire apparait sur son visage, elle sait qu'il est là. Elle n'a pas besoin d'ouvrir les yeux, elle le sent. Elle ouvre juste les lèvres, pour lui livrer l'essentiel.


Jamais sans toi...
_________________
Kernos
Au brasier d'une première fois...

Jamais sans toi...

Ce léger souffle s'échappant d'entre ses lèvres, aussi léger qu'un envol de papillon, pour venir caresser son oreille.

Jamais sans toi...

Douce promesse faisant battre son coeur d'un nouvel espoir pour en illuminer les ténèbres dont la peur l'avait inondé... Cette angoisse de la perdre à jamais, celle qu'elle se laisse engloutir par la mort, celle de ne plus pouvoir se plonger dans son regard pour y caresser son âme et y renaître plus vivant que jamais... Ô Seigneur! Ce murmure avait le goût de la liberté fendant la tourmente dans laquelle il était plongé jusqu'alors, brisant les murs, arrachant les gongs, tordant les barreaux de cette prison qui les séparait jusqu'alors... Elle était là! Oui! Derrière ces paupières closes, dans ce corps meurtri, elle était là... faible sans aucun doute, mais bien présente... elle lui était revenue.

Jamais sans toi...

Comme il aurait voulu s'enivrer encore et encore de ces mots, avec la même urgence d'un assoiffé découvrant un oasis après des jours d'errance dans le désert... Les boire à même la source, à même sa bouche, y puiser tout son soûl, s'y plonger entièrement pour que la moindre parcelle de son corps puisse en sentir la fraîcheur, s'en imprégner, revivre, et hurler au monde à en crever les cieux et trembler la terre... Il brûlait de la serrer contre lui de toutes ses forces, de la couvrir de baisers, de... sans doute l'aurait-il fait si la présence du chirurgien, penché sur le ventre de Terwagne, ne lui avait pas rappelé l'état dans lequel elle était.

Modérant dans un effort considérable ses ardeurs et son élan passionné, si ce n'est les larmes qui avaient commencé à baigner ses joues, et qu'il ne voulait - ni ne pouvait d'ailleurs - contenir, tant son soulagement était grand de la savoir vivante... blessée oui, mais vivante et surtout, aimante malgré tout... malgré le sang, malgré le mal qui devait la ronger, malgré ce qu'il lui faisait subir, ... elle l'aimait.

Ses doigts serrèrent délicatement les siens alors que son visage se penchait sur le sien, déposant un baiser sur son front fiévreux avant de glisser ses lèvres près de son oreille pour y murmurer d'une voix tremblante sous l'émotion qui l'étreignait.


A jamais mon amour, à jamais...

Il caressa doucement sa chevelure de nuit, son regard couvrant son visage devenu paisible, s'attardant sur le sourire qui était né sur ses lèvres avant de percevoir le toussotement du vieux barbier. Avec regret, il détacha ses yeux d'elle pour les poser dans ceux du chirurgien.

Messire, c'est tout ce que je peux faire pour le moment, l'emplâtre devrait permettre aux chaires de se refermer peu à peu, mais surtout arrêter au sang de couler... Mais elle va avoir besoin de soins particuliers et suivis, son pansement doit être changé tous les jours pour que la blessure reste propre et ne s'infecte point. Le chauve se gratta le menton. Et il en va de même pour l'emplâtre, elle aura besoin qu'on lui applique pendant trois à quatre jours, tout dépendra de l'évolution et de la guérison de la plaie, et il va le falloir du repos, beaucoup de repos et surtout suivre une diète appropriée... A-t-elle un endroit où loger afin que je puisse lui dispenser les soins pendant les jours à venir?

Kernos avait écouté l'homme avec autant d'attention que possible, son esprit ayant bien du mal à se concentrer sur les propos du chirurgien alors que son coeur, son âme et son corps étaient tout attirés par sa Lune... Au moins avait-il réussi à saisir l'essentiel, et c'est spontanément - la question ne lui ayant même pas effleurer l'esprit - qu'il répondit au barbier.

Elle loge en ma demeure et y logera le temps de sa convalescence, croyez-vous que nous pouvons la faire transporter dès à présent sans mettre en danger sa vie?

Le chirurgien hocha la tête.

Elle semble avoir reprit du poil de la bête, et le pansement maintiendra bien sa blessure... nous pouvons l'amener chez vous sans risques, il suffit de préparer une litière et de l'y installer avec précaution. Je vais vous donner une potion à lui faire prendre dès cette nuit, veiller à ce qu'elle la prenne, cela l'aidera à se fortifier contre la fièvre. Je viendrai demain chez vous pour m'occuper de sa blessure... Cela vous va?

Kernos inclina son chef et le chirurgien envoya le garde chercher de quoi transporter la demoiselle blessée, tandis que lui rassemblait ses instruments. Le Rouvray en profita pour se pencher à nouveau sur le visage de son amante, caressant tendrement sa joue.


Ma Lune, on va te conduire chez moi, je veillerai sur toi aussi longtemps qu'il le faudra pour que tu reprennes des forces et guérisse... rassure toi, je ne resterai avec toi tout au long du transport... je ne te quitterai pas un seul instant

Les gardes arrivèrent avec une litière et on y installa Terwagne avec grandes précautions, sous l'oeil vigilant du chirurgien. Les rues étaient désertes à cette heure de la nuit, seul la lune, la grande lune, les observait depuis la voûte étoilée, veillant sur eux encore une fois... Merci, murmura t-il en la regardant, alors qu'on approchait de sa demeure. Ses gens furent surpris d'être réveillé ainsi, et encore plus de voir leur maître ainsi entouré, mais ils ne posèrent pas de questions, ouvrant les portes et préparant une chambre pour accueillir l'hôte convalescent.

Une fois le calme revenu, les gardes et ses gens s'étant retirés pour regagner leur poste pour les uns, et leur lit pour les autres, Kernos se retrouva seul dans la pièce. On avait installé la Demoiselle sur le lit, un feu crépitait doucement dans l'âtre. Le Rouvray rapprocha le fauteuil qu'on lui avait porté de la couche et s'installa au chevet de sa bien-aimée, la couvrant de son regard encore humide, sa main toujours dans la sienne... il ne l'avait pas lâché durant tout le trajet.


Tu es en sécurité à présent, ma Lune... je suis là et je veillerai sur toi à jamais.
_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)