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[RP] Labyrinthes

Edern
HRP : qui ou quoi que vous soyez, viendez nombreux !

La cloche a sonné quatre fois dans la capitale.
Tremblez, pauvres Manceaux, devant votre Mal !
N'entendez-vous donc pas le glas qui sonne pour vous ?
N'avez-vous pas compris de quels instruments joue le Fou ?

Cinquante glaives sont prêts à s'abattre sur le cou grassouillet de la bêtise mainoise. Cent mains vont se joindre vers le ciel pour célébrer la victoire de l'art ancien sur l'ordre moderne. Les mots sont sur le point d'inonder les plaines ; ne s'arrêtant point aux basses profondeurs mancelles, ils s'élèveront jusqu'à des sommets que les dieux mêmes redoutent, élèveront les enfants qui cherchaient sans le savoir une clé à la porte de leur souterrain. Prêtres, craignez-les, car vous n'aurez plus le monopole du sacré. Surgissant des écuries en cendres, les créatures qui s'y morfondaient sans un bruit vont enfin pouvoir repeupler l'univers de Chimères piaffantes. Marionnettes angéliques contre pantins démoniaques... l'Apocalypse est imminente. Mouahaha.

Tsss.
Ça, c'est ce qui aurait dû se passer.

Dans un magnifique élan de prosaïsme, la réalité a en effet quelque peu résisté à ses efforts de grandeur. Rien n'a pourtant été laissé au hasard, ce farceur qui ne torture que les paresseux. Fallait-il adresser missive aux détenteurs de la puissance armée ? La plume n'a pas refroidi trois semaines durant. En moins de trois jours se sont succédés une régente, un vicomte et un duc. Fallait-il recruter d'innocents volontaires ? Il l'a fait. Dans une seule ville. Une seule table, même. Celle d'un établissement tout à fait respectable. Un quartier général au nom si pertinent qu'il a su une fois de plus être en présence d'une de ces bornes légères qui jalonnent sa route infinie. Là où le Fou gère... Combien de fois une porte tavernière peut-elle s'ouvrir en une seule journée ? Il a présenté un profil pour chacune des recrues. Pourquoi vous suivre, messire ? Pourquoi vous faire confiance ? Une histoire de vengeance le matin, un soulèvement populaire le midi, une opération criminelle le soir. Dis-moi ce que tu veux entendre et je te le dirai... il a été angevin, berrichon, breton, mainois, normand, orléanais, poitevin, tourangeau quand on le lui demandait. Accommodant avec les uns, exigeant avec les autres. Si peu ont pris garde à son nom. Mais face à l'Aventure, beaucoup ont trouvé des atouts à la douce petitesse, et l'avantage d'une position durablement acquise lui a indubitablement profité au regard des excuses invoquées :

Désolé monsieur, je ne peux pas vous aider du tout, j'ai un mariage dans deux semaines et il faut ab-so-lu-ment que j'y parvienne.
Hum, je suis le lieutenant de police en charge de ces lieux alors baissez d'un ton avant que je vous fasse enfermer. S'il vous plaît.
Ma ville a été prise cette nuit, il faut que j'aille aider là-bas. Oui, le vil traître est duc et candidat aux élections ducales, je sais.
Je refuse formellement de participer à une telle action, cela risque de déclencher une nouvelle guerre et moi j'aime la paix.
Touche pas à mes hommes, j'en ai besoin pour buter les Francs-Comtois et de toute façon y'a plus rien à piller en Maine.
Eeeuuh, je ne sais pas, ce n'est pas illégal de désobéir ?
Et dans le mauvais, il y a hélas le pire...
Non, l'amour me retient ici !
Youpi.

Échec annoncé. Sera-t-il brillant, ou... ?

Appendice nasal en moins...
Aucun plan n'a été changé.
La folie n'attend jamais.
Ni la Vie, ni la Mort.

Déjà des victimes, d'ailleurs...
La première ? Une gamine énamourée. Hystérique à se cogner la tête contre un mur à cloche-pied en récitant la liste des maris de la Grande Maîtresse de France. Des ficelles trop grosses. Or, pas de plaisir sans difficulté... c'est le prix de la séduction. Partie en reconnaissance, elle a reçu une vilaine flèche mainoise et doit aujourd'hui gentiment gésir dans un fossé. Dommage pour elle. Puis le forgeron breton en quête de Français à charcuter a lui aussi goûté aux charmes des boucheries françaises. A cinq - l'effectif de la glorieuse armée locale à plus ou moins dix pour cent - contre un, aussi... Dernier en date, l'éternel bandit des grands chemins avide d'or et d'argent. D'aucuns verront dans son combat perdu contre un célèbre tenancier manceau une forme de justice contre celui qui aida à piller les caisses comtales deux mois plus tôt. Quoique le résultat inverse eût probablement fait plus d'heureux.
D'autres, plus habiles, ont passé sans encombre l'entrée de la Cité aux Mille Rillettes. Parfois avec un laissez-passer en bonne et due forme : si l'engeance des douaniers est fourbe, elle n'en est pas moins d'une stupidité rare. Même si d'autres s'y sont trompés. Trompée, la dernière, même, puisqu'aucun soldat n'a empêché Edern d'entrer dans la ville. Ô Vérité... Mensonge que tout cela. Quand apprendras-tu à te servir du pouvoir qui s'offre à toi ?

Allons lui donner une petite leçon.

~~~~~~~

Au coeur de la nuit... une ombre furtive.
Elle a décidé que Le Mans est sien. Maintenant. Pas d'alternative.
Comment emportera-t-elle son butin ? Dans son grand chapeau, les poches du manteau qu'elle a revêtu ? Aucun sac n'est visible à son épaule. Dans le creux de son bourdon, peut-être.
L'homme jette un regard à la mauvaise troupe qui attend naïvement ses instructions et observe avec un peu de nervosité le château depuis le coin de l'allée où elle est tapie. Le clair de lune leur révèle des silhouettes éparses patrouillant sur les remparts et fait reluire l'argent des armures qu'on devine malgré la distance. Des étendards ? Quelques-uns, inanimés. Le vent est tombé pour eux. Les dernières instructions sont chuchotées ; bien malin et caché serait celui qui pourrait les entendre.

Je vous ai promis ce qu'on voit du haut de cette tour.
Les gardiens devront tomber un à un.
Agissez de concert.


Sous la baguette du chef d'orchestre...

Cinq ! C'est le nombre de ceux qui ont suivi le Fou sans périr en chemin. Il y a la Bretonne suicidaire. Mourir ici ou là, quelle importance ? Tous les cimetières se valent. Autant marcher aux côtés d'un camarade de l'Ankou. Il y a le vieux diacre auvergnat à la recherche d'une retraite isolée, qui tient à visiter d'abord un autre type d'asile. Il y a la compagne du brigand précédemment cité et abattu en plein vol. Et il y a le couple paisible. Sa réussite. Fâché par ses soins. Réconcilié, qui sait. Il est l'aimant qui perturbe chaque champ. Si l'une est attirée, l'autre est repoussé...

Alors que les cinq progressent séparément en direction de leur objectif, le Fou ne pense pas aux éventuelles complications techniques de son entreprise. Il songe avec un léger sourire à l'espion mainois qui a cru le berner et s'est retrouvé piégé en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Aux troupes mobilisées à Laval par sa faute. Au Breton qui pourrait réagir avec toute la délicatesse qui est à la sienne quand le Français se masse à ses portes.

A propos de portes... que se passe-t-il là-bas, près de l'entrée ? Un garde semble avoir été neutralisé sans grande discrétion. Et, tournant au coin de la rue, un autre ne va pas tarder à le découvrir. Il va lui falloir intervenir. Le Fou quitte sa position pour venir lui barrer le passage. Et naturellement...


Eeeh là ! On bouge plus ! Qu'est-ce que vous v'nez faire ici à c'te heure ?

Le rassurer, surtout.

Le bonsoir. On nous a dit que le château se visitait la nuit.

Silence.
D'accord...

Vous faites des tarifs réduits pour les groupes ?

Bien.


Vous foutez d'ma gueule ?

Moins bien...

Son distingué interlocuteur n'a pas encore vu le corps de son frère d'armes étendu sur le sol derrière lui. Il est armé, un peu trop armé. Pressentant la suite de la conversation, le Fou soupire. Sa main gauche vient rejoindre sa voisine de droite sur le bâton qui est violemment dirigé contre la tête de l'importun milicien. Injustement protégé par un casque type salade - grise -, celui-ci se contente de reculer sans perdre conscience et de hurler à tort qu'on l'assassine, ce qui arrache un nouveau soupir à son agresseur un peu lassé de composer avec des hommes de mauvaise volonté.
Dans moins d'une minute, ils auront aux trousses la moitié des forces armées qui ne dort pas à cette heure.
Il ne peut apercevoir tous ses complices, ne connaît pas leur position exacte. Quoiqu'il en soit, ils sont repérés et ils ont échoué. Du moins...
Indiquant le dédale urbain derrière eux, le Fou signifie à ses compagnons d'assaut qu'il est temps de choisir leur route. Qu'ils se débrouillent sans lui. On peut déjà percevoir le bruit des bottes battant le pavé rien que pour eux, et ce n'est pas tout à fait bon signe, sauf à vouloir fraterniser avec la maréchaussée en se passant de paroles.
Un étrange rictus vient déformer le visage du Fou.
A-t-il vraiment cru que cette révolte aurait une chance d'aboutir ?
A quelles richesses va-t-il renoncer, s'il fuit sans même combattre ?
Des écus... non. Personne n'attaquera plus ce comté pour sa trésorerie.
Ce qu'il cherche est toujours dans cette ville.
Il n'y aura pas de renoncement.

L'ennemi est en vue, à présent.

Et si on jouait au jeu des labyrinthes ?
Et si on se libérait des contraintes ?
Appelons les acteurs.
Il est l'heure.

VENEZ À MOI !

Un rugissement qui embrase l'air, vers les défenseurs d'une forteresse vide, vers les fenêtres d'une capitale sans majuscule, vers les étoiles enfin.
Et le Fou de partir d'un rire à la hauteur de son nom.
De se retourner prestement dans un tourbillon de noir et de blanc.
De s'engouffrer dans les ruelles imprégnées de cette obscurité qui ouvre tous les possibles.
Elle court, elle court, la folie...
A sa propre rencontre ?

_________________
Matthias
Risible. Absurde. Aberrant. Stupide. Inconscient. Dangereux.

La liste des qualificatifs se déroulait dans l’esprit de Matthias, longue, et de plus en plus dépréciative. Les adjectifs ce muèrent en substantifs – une idiotie, une lubie, un guêpier, puis en groupes nominaux et phrases complètes, sujet, verbe, complément, tout ce qu’il faut, invectives de plus en plus acerbes envers le projet foireux et son auteur : « Quelle idée débile ! Prendre un château, et puis quoi encore. Et puis quoi encore ! Voué à l’échec ! On va tous crever. Elle va crever. Le Fou, je vous conchie ! ». Et cætera, et cætera. Le brun, comme on dit, l’avait mauvaise.

Surtout que, eh bien, le Fou s’était fait la malle. Disparu, parti courir joyeusement dans le dédale des rues mancelles, après avoir fort intelligemment ameuté tout le château. Matthias le haïssait plus que jamais. En réalité, son animosité était née lors d’une soirée rieuxoise, tandis que le hâbleur jouait les nobles ravisseurs de fiancée, et elle n’avait cessé de s’envenimer depuis Fougères, où, pour leurs retrouvailles, le Fou avait farci la tête d’Helvine avec ses idées de prise de château. Maladivement jaloux qu’il était en fait, le brun. L’impression de bouillir de l’estomac chaque fois que la brune évoquait, les yeux brillants, cet « excitant projet », qui lui permettrait de « faire autre chose ». Une vérité qu’il se prenait en pleine face : lui, Matthias, celui qui l’avait intriguée par sa taciturnité, attirée par… après tout, il ne savait toujours pas ce qu’elle lui trouvait, bref, lui, aujourd’hui, la lassait. Ne lui suffisait plus. Une angoisse qu’il tenait de plus en plus pour une réalité. Et ça le minait.

Cependant, constatant bien qu’aucun argument ne dissuaderait Helvine d’aller au Mans et de suivre les indications du Fou, Matthias s’était résigné à cesser ses protestations ; il l’accompagnerait, car tout d’abord il était hors de question qu’il la laisse partir sans lui, et surtout pour veiller à ce qu’il ne lui arrive rien. La moindre égratignure lui serait insupportable. Oui, il l’aimait, sa brune, peut-être même trop pour que cela reste tout à fait sain, mais il ne pouvait envisager sa vie sans elle. Elle resterait donc en la meilleure santé possible, et point barre.

Justement, il serait peut-être temps de passer à l’action à présent. Oui hein. Les gardes vont rappliquer. Grouille le brun.

Sursaut d’acuité dans l’esprit de Matthias. Helvine était à sa gauche et n’avait pas encore réagi. Il s’élança en sa direction, se fichant bien d’être vu ou non, lui saisit la main et se mit à courir en direction de l’obscurité de la ville, aussi loin que possible du château. Il ne connaissait pas suffisamment les lieux pour savoir avec précision où il se dirigeait, mais peu lui importait, et il bifurquait chaque fois sans hésiter. Pas le temps de réfléchir.

Mais le problème avec les courses, aussi nocturnes et vitales qu’elles soient, c’est qu’elles finissent toujours par essouffler. Et c’est donc littéralement hors d’haleine que Matthias se plaqua contre un mur, serrant fermement Helvine contre sa poitrine, qui se soulevait au rythme saccadé de sa respiration.


- Ils… Ils ne vont pas nous trouver. Ce… Mon amour, ça va ?
Helvine
En ce monde, le seul péché, c'était d'exploiter, de leurrer ou de berner les autres et soi-même. Et cela pouvait prendre toute une vie pour se forger une telle destinée. Le Fou, lui, s' était même accommodé de cette folie, s'était construit avec elle au dépens de l'équilibre. Et voilà qu'il vantait son futur morceau de bravoure : décrocher les étoiles. L'étendue céleste !

Certains, face à cela, auraient haussé les épaules lui riant au nez. D'autres, encore, l'auraient pris au collet pleins de menaces : Prouve-le moi, pied plat ! Et enfin, les derniers, les pecques, auraient écumé devant le Fou, simplement séduits par une éloquence inaltérable. La brune sautait à cloche pied entre tout ça. Elle, la grosse bête sanguinaire ne savait pas trancher. Pourtant, elle était là dans la meute, surgissant aux abords du Château. Elle s'était donc résolue. Suivre aveuglément le Fou, le placer sur son piédestal imaginaire, l'admirer un peu plus. Pourtant, le mythe venait de s'effondrer, de voler en éclat. Il fuyait comme un malpropre. N'écoutant que son courage qui ne lui avait sûrement rien dit, il s'était gardé d'intervenir davantage.

Je ne vois que du noir, je ne vois que de l'effroi, je crois qu'il se fait tard...

Le visage de la Bretonne se ferma et devient blafard. La couleur des heures sépulcrales. Ses pupilles noires se posèrent sur le garde inanimé, pauvre bougre. Elle se savait vaincue. Helvine avait été trop naïve. Et la claque qu'elle venait de se prendre résonnait à tout rompre. Elle ne pouvait revenir en arrière. Tout s'écroulait en elle. L'Eden olympien qu'elle aurait atteint là-haut, l'abondance de l'Arcadie, l'état de grâce qui aurait fait d'elle la Pythie. Tout avait été chassé d'un revers décisif.

Helvine avait cru que ce serait leur Dernière nuit. Qu'ils mourraient. Tous. Que la vie aurait eu une fin tragique, un goût amer mais qu'ils auraient été ensemble. Elle agonisante, le brun déclinant à petit feu. Cela avait tout de même plus de cachet qu'un trépas au son des lyres, à l'eau de rose. Par combien de disputes s'étaient soldés tout leurs désaccords ? Trop peut-être.

Fini le silence, un peu d'air, juste un temps de mise en lumière. Pour que la nuit ne cache plus ce goût amer...

Le regret n'existait pas. C'était bon pour les chiens. De toute façon, elle n'avait plus à considérer quoi que ce soit. Et au lieu de se tirer des flûtes, elle restait stoïque. Il faut avouer que dans le cas présent, ça tenait plus du suicide fantasque qu'autre chose. Une main vint, alors, se glisser dans la sienne. Les yeux floutés de larmes et malgré le brouillard récalcitrant, elle reconnut les traits de son fiancé. Elle se sentit emportée et eut peine à ne pas voir ses jambes se dérober dans cette course effrénée. Elle ne savait ni où elle allait, ni pourquoi en fin de compte. Mais, ce n'était pas digne de battre en retraite comme ça. Elle n'était pas comme certains.

L'endroit était sombre, sûrement oublié. La brune resta attachée à Matthias, son cocon protecteur. Elle ne trouvait pas les mots. Elle se terrait dans un mutisme sans faille. Elle passa ses bras autour de lui et le serra, comme pour se rassurer de sa présence. Ils étaient vivants.


- Je suis perdue...

*Les phrases en italique-gras sont extraites de la chanson "En attendant le pire".
_________________
Jour après jour. Face à face.
Avec des miroirs fêlés.
Et des pavés triomphants sous les pieds.
Cerridween
[ Et la nuit ne porte pas conseil ]

Elle a refermé la lourde porte d’une taverne.
Elle fait partie de ceux qui ne dorment pas à cette heure. De ceux dont Morphée dédaigne avec un petit rire qui laisse leurs paupières ouvertes même lorsque la lune luit entre les nuages qui jouent dans le ciel.

Les rondes des derniers temps l’ont entraînée dans la danse de l’insomnie et des songes à rebours. Contre temps perpétuel qui l’amène a croisé autant la lune que le soleil. Cette dernière la regarde d’un sourire à demi lui renvoyant celui qu’elle offre au monde. Elle s’apprête à rentrer dans sa chambre et s’allonger un peu fixant le plafond à la recherche des étoiles qui peuplaient son ciel et qui ne s’allument maintenant plus que dans ses souvenirs.

Elle s’en va dans la rue, des pas perdus résonnant sous ses bottes.

Un cri.

Les yeux se jettent vers le château. Un fanal allumé lui fait signe de son feu crépitant qu’il y a problème. Elle entend déjà le tocsin résonner pour réveiller les forces armées qui dormaient déjà.
Pendant que le sang ne fait qu’un tour dans les veines et réveillent les questions. Il n’y avait rien pourtant, pas un souffle de vent qui eut peu amené un soupçon, une once de senteur de souffre. La torture commence pendant que les pas accélèrent et que la lame crie en sortant du fourreau.
Qui ? Combien ? Comment ? Pourquoi ?
Le Maine est pillé, en convalescence, pas une cible de choix.
La ruelle est remontée et non loin elle entend la garde de nuit qui crie d’avancer plus vite. Elle prend la tangente. Ils seront bien assez nombreux. Alethea veille, en vérité. Ils tiendront un temps, tout dépend du nombre. Elle cherche le revers, dans l’ombre.

Elle scrute la nuit pendant que la cape vole lentement dans l’obscurité et révèle le fardeau cousu sur son dos au détour d’un rayon de lune.
Un calme froid vient s’insinuer dans la moindre parcelle de sa peau. Le capuchon relevé pour masquer son visage et couvrir le feu qui explosera à loisir si une lame venait à croiser son chemin. Les muscles se tendent lentement pendant que les doigts s’impriment sur la garde qui se tient sous le mantel battant.
Elle suit l’ombre, rasant les murs, comme un fauve chasse.

Des pas.
La musique d’une fugue, désordonnée et pressée, aux accords de fuite en avant.
Des pas qui descendent la rue.
Dis moi ce que tu fuis je te dirai qui tu es. Tu fuis le château, la garde, le danger.
Qui que tu sois tu sais… quelque chose que je ne sais pas. Pas encore. La silhouette noire se dissimule dans un coin. Dans la pénombre elle ne distingue rien qu’un corps qui arrive.
Qui s’arrête.
Et qui cherche un instant avant de reprendre sa course.

La Pivoine file dans sa direction.
Quelques pas, juste une infime pression sur les pavés.
Juste un effleurement.
Un coup d’épaule violent qui l’envoie dans la ruelle perpendiculaire. Le corps vole un instant avant de s’étaler de tout son long.

Quelques pas, juste une pression infime sur les pavés.
Agenouillée.
La lame contre la gorge de l’allongé.


Un cri et il me suffit d’un effleurement…

Le murmure s’arrête quand les émeraudes aperçoivent les lignes du visage à travers un rayon de lune. La bouche reste ouverte un instant, pendant qu’elle cherche.
Quelque chose.
Une explication.


Le Fou…

Le Noir et Blanc ici et maintenant. Celui qui tenait la plume. Celui qui avait réchauffé au creux d’une taverne son cœur meurtri à la flamme de vers cisaillés avec précision.
De la plume aux armes.
De qui as-tu pris le masque...

_________________
--Gaillardine


Gaillardine était une fille très joyeuse. Elle était si belle de nuit ! Parfaite. De ces beautés que les dames jalousent secrètement, qu'elles voudraient arracher morceau par morceau. Mais pas question qu'on l'ampute, hein ! Elle ne se laisserait pas faire. Elle avait des ongles, d'abord. Des ongles longs comme des épées, ou presque. Et puis elle savait s'en servir. Y'avait qu'à demander au charpentier qu'avait un soir cru la raboter sans sa permission, ou au boucher qu'avait voulu la... si si... vous voyez ce que je veux dire. De toute façon, avec eux, les histoires de chair finissaient invariablement... plutôt mal. On ne pouvait pas y couper. Ou plutôt si.

Bref. Toujours était-il que Gaillardine voletait telle un gai papillon dans la belle ville du Mans à une heure tardive de la nuit. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait chercher ce que le dur travail des mines ne lui fournissait pas. Des siennes ou de celles des rues dans lesquelles elle s'engouffrait voluptueusement, quelles courbes étaient les plus sinueuses ? Pour tout dire, elle s'en foutait. D'ailleurs, la fameuse joie qui la caractérisait la quittait progressivement pour s'en aller nicher Dieu savait où, si encore le savait-il, le vieux fripon. Les enseignes défilaient devant ses magnifiques yeux bleu, sa chevelure sombre et désordonnée se soulevait au rythme de ses pas légers ; pourtant, aucun passager ne venait se présenter à son embarcadère. A qui la faute ? La prêtaille, pour un peu. Mais l'était tout autant fidèle que les autres... bizarre. La dégradation de la conjoncture économique mondiale, qui sait ? Ben oui, c'était la crise. Encore la crise. Pis tous ces chevaliers royaux en goguette, aussi... ça ne voulait pas fourrer sa corne n'importe où, oh non madame. Après tout, y'avait que les vierges pour approcher les licornes... sacrés bestiaux.

Des bruits de truc et de machin, plus loin. Bah. On ne travaillait jamais mieux que dans l'excitation des troubles présents et à venir. La maréchaussée viendrait p't'être poindre le bout de son nez ? Mouais. D'un autre côté, vu que les maréchaux avaient aussi l'habitude de poindre un bout d'autre chose, la laisseraient sûrement tranquille s'ils lui tombaient dessus. Parce qu'ils lui tomberaient dessus, oh ça oui. Le genre de chute qu'on aime chuter, voyez. Où qu'on aime tomber au fond. Tout au fond. Même si on n'y reste jamais bien longtemps...

Ah ben tiens. Quelqu'un qui avançait dans sa direction. Quand même. Devaient être deux, trois, pas plus. Ils s'arrêtèrent avant de l'avoir rejointe. Pas normal ça. Agacée, Gaillardine fit encore quelques pas pour en savoir plus sur ceux qui croyaient pouvoir la faire travailler dans des conditions indignes d'elle. La profession avait des droits, vous savez. Je vous assure. Quelques-uns. Un ou deux. Un... ? Zéro ? Zéro. D'accord. Quoi qu'il en soit, elle vint et vit...
Une femme qui enlaçait un homme plaqué contre un mur, les deux corps haletant si vigoureusement qu'on eût pu faire tourner un moulin avec le souffle de leur ébats.
Mais ça n'allait pas du tout ! Oh non, non. Du tout du tout du tout !
De sa voix la plus éraillée, la jeune femme cria dans leur dos :


Ben alors la grosse, on vient m'piquer les clients qu'sont sur ma zone ?

Nanmaisoh. Les règles étaient claires. Z'avaient été faites pour que chacune ait son bout de terrain bien délimité. Pas pour qu'il y ait disputes.
Edern
Une course folle.

Et les murs de pierre et de bois ne sont plus que les lignes de flottaison du radeau sur lequel il a osé embarquer !
Et les pavés ondulent en choeur sous ses bottes légères qui l'emportent sans se soucier du nombre de pieds !
Et les lumières étoilées, tombant en multiples gouttes de verre et d'acier, irradient toute la nocturnité !

Ici, là, ici et là. Portes, fenêtres, places fortes, baraques à prêtres, petites maisons, grandes demeures, rues en démolition, allées à fleurs, barrières illusoires, arbres déprimés, vieilles rôtissoires, jeunes quartiers, lieux de perdition, commerce à toute heure, sujets à question, yeux qui pleurent, armes qui tranchent, antiques histoires, feuille blanche, encre noire.
Il découvre les liens. Des fils partout. Et tout défile, défile, défile...

Il a été ramené sur Terre, c'est une chose certaine, mais sa route n'en est pas moins aérienne. Tout n'est que battement d'ailes. Un croisement ? L'arrêt ne dure qu'un instant. Il ne peut rester en suspens. Que dites-vous ? Il est perdu ? Il le sait ! Il s'est battu pour l'être ! Il se bat pour qu'on le soit ! Sinon, pourquoi ? Pourquoi rire au nez des abattus ? Pourquoi sourire au gré des saluts ? Refuser les amitiés, éloigner les amours à marier ? Tenter les faibles et défier les forts ? Pourquoi n'exister que par les joies du discours ? Jouer au fer et au velours ?

?

Le Fou court. Après quoi ? Tout, et rien. Il passe en trombe à gauche, franchit une impasse à droite, file tout droit, dépasse ces étroits couloirs. Il sent une force se nouer en lui, s'y concentrer une bouillonnante énergie, monter la tension, une formidable pression et soudain...

Il décolle !
Le contact n'est plus rien.
Il nage dans l'incertitude.
Entre les improbabilités.
Il vole !

Je suis un petit oiseau, je suis un petit oiseau, je suis un pe...

Chboum. Le petit oiseau s'écrase au sol dans un ultime cuicui.
Un mot se fait évidence dans l'esprit du Fou. Déjà ! La réalité n'a pas attendu longtemps pour lancer sa contre-attaque. Tant mieux, tant mieux. Il a tout son temps et la vitesse ne le dérange pas. Il n'a rien ni personne à attendre, nulle part, n'est jamais que l'étranger et le familier à chaque nouvelle arrivée. Le miroir qui tend aux regards le reflet d'un autre monde ! Nul n'impose de vraies limites à son vagabondage. Qu'il chute et il se relève. Sans efforts. Et s'il faut construire plus vite que les autres ne détruisent, il le fera. S'il faut souffrir seul pour tous les guérir, il n'hésitera pas. N'a-t-il pas sauté ? Le sol n'a touché que son corps, et encore. La chute n'a été qu'une infime translation spatiale, d'un point à un autre, le déplacement rapide d'un échantillon d'os et de chair. Son mouvement continue, il a trop d'élan pour s'arrêter vraiment. Cette nuit, il est éveillé, plus qu'il ne l'a jamais été. Ténèbres ! Dites-moi quelle forme est celle de l'adversaire, au nom de quoi on va mener cette guerre, sur quel air on va danser. Car s'ils y livreront bataille, il n'y aura pas de quartier.

Comme une ligne froide sur sa gorge. Un garde ? Impossible. Ils sont derrière, loin derrière, bien incapables de suivre sa trace.
Alors... c'est donc que quelqu'un l'a attendu.
Une de ses recrues, par sa fourberie déçue ?
Une femme à qui il a promis sa flamme ?
Un sot soigné de ses matériels maux ?
Une canaille en mal de ripaille ?
Non !


Un cri et il me suffit d’un effleurement…

Une voix me suffit pour reconnaître ton crépitement.
Un déjà qui prend des allures de duel brûlant.


Le Fou…

Paupières closes.

Pivoine... vous êtes décidément... renversante...

Pause. Paupières ouvertes.

Vous ne me... tuerez pas... avec cette... arme.

Chuchotement à peine perceptible, mots qui s'échappent dans le noir.
Il ne sourit pas, n'a pas esquissé d'inutiles mouvements.
Aucune lueur ne danse dans ses yeux bruns.
Pourtant, il la regarde.

_________________
Cerridween
[ De la lame à la plume ]

Elle regarde, scrutant dans la pénombre le moindre signe de duperie, de mensonge, d’autre, d’erreur. On est souvent trompé par l’ombre, on est souvent trompé par les impressions et les apparences.
Par ses attentes aussi.
Elles sont souvent déçues dès qu’elles sont enfantées. Les siennes ont toujours été trahies. Celles qu’elle n’a pas fait germer ont poussées d’elles-mêmes pour l’envelopper entièrement. La vie est cruelle et l’a toujours été.

Le cœur battant ralentit pendant que la main n’a pas quitté sa place. Le fanal du château reste allumé dans un coin, là, alors qu’elle ne décroche pas son regard du Blanc et Noir. Il faut qu’elle sache.
Maintenant.

Pivoine... vous êtes décidément... renversante...

Comme une ironie qui vient d’être annoncée avant qu’elle est pu ouvrir la bouche.
Renversante.
L’eau verte revient se poser sur le corps étendu et ne rencontre que des yeux clos.
Une voix lui suffit pour reconnaître cet égarement. Celui qui vient de nouveau de la saisir après plusieurs semaines d’oubli. C’est bien lui. Ne me cherchez pas, vous ne me trouveriez pas. Elle a tenu parole. Il est là.
Renversé renversant, renversante renversée.
Pourquoi cet instant qui s’étire au lieu de passer ? De loin reviennent, les mots échangés, au détour d’une taverne. Sous la main, la lame se change un instant en plume, noire, prêtée et rendue. Les questions lui reviennent comme les réponses qui ne sont que des points d’interrogation camouflés. Tout n’est pas perdu. Ce fut la conclusion impromptue de ce qui lui apparaît toujours comme un songe à la beauté des rêves, à la mélancolie et à l’espoir qui les tient tous deux. Chacun poursuivant sa chimère.

Vous ne me... tuerez pas... avec cette... arme.

Avec ou sans.
Non.
Ses doigts restent crispés sur la garde mais elle ne pourrait faire un mouvement. Les charbons ardents la regardent sans feu. On ne tue pas les messagers, on ne tue pas la Folie. Elle n’en a pas la force, encore moins l’envie. On ne tue pas les possibles sans se damner soi même pour toujours. Et à jamais.
La plume contre l’épée.
Duel à armes inégales.
La Pivoine se relève lentement, le laissant libre de ses mouvements, même si l’épée reste au poing, le long du corps de sa maîtresse, tapie en coin.


Pourquoi cette alarme ?

Elle doit poser cette question. Elle le doit. Même si la réponse peut être éludée, sibylline, se parer de mystère ou lui rire au nez, prendre une pause mutine ou se déguiser pour mieux la perdre encore.
Elle ne sourit pas, n'a pas esquissé d'inutiles boniments.
D’autres interrogations calanchent dans ses yeux aux dorés embruns.
Doucement, elle le regarde.

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Matthias
Il la serrait si fort à présent qu’on aurait pu s’étonner de ne pas la voir se rompre. Brisée en deux, au niveau des reins, par la faute de ses impulsifs de bras qui semblaient avoir du mal à croire qu’elle était bien là, la brune, vivante et avec lui. Mais Helvine tenait bon, en un seul morceau. C’était tout de même largement préférable.

Il la serrait, donc, et il s’apprêtait à lui répondre, le nez enfoui dans ses cheveux, quelque chose d’assez misérable : elle n’était pas perdue puisqu’il était là, il la protègerait, il l’aimait. C’avait du mal à franchir la barrière de ses lèvres tellement ça lui paraissait dérisoire, mais il réussit tout de même à articuler une amorce de phrase. Et puis, vlan. Coupé en plein second mot, « Non, Kal… », et définitivement privé de crédibilité.


Ben alors la grosse, on vient m'piquer les clients qu'sont sur ma zone ?

Il s’était raidi, croyant tout d’abord à leur découverte par un maréchal, un milicien, ou n’importe quel autre type de garde qui aurait eu toutes les raisons de leur chercher noise ce soir-là. Car bien qu’elle ait été absolument ridicule et ratée, leur action restait une tentative de prise de château. Avec assommage de garde dans les règles. Sortant le visage des cheveux d’Helvine, Matthias dévisagea, interdit, la jeune femme qui venait de s’exprimer.

Il réalisa enfin ce que signifiait l’apostrophe qui les avait surpris. C’était la nuit. Dans une ruelle. Ils étaient plaqués contre un mur, un homme, une femme, le souffle court, enlacés comme si leur vie en dépendait. « Client »… Elle prenait Helvine pour une prostituée ! Elle l’avait appelée « la grosse » ! Une vague de colère sourde monta chez le brun, et il eut soudain envie d’enseigner à la demoiselle le respect qu’elle devait témoigner à sa fiancée. La conscience de la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient le força cependant à ravaler son ardeur ; ils avaient eu suffisamment d’ennuis pour la soirée, nul besoin d’ajouter l’agression d’une catin à leurs exploits. Calme.

Sourire de façade, voix mielleuse.


- Personne ne vous prend vos clients, nous nous reposons. Voyez, il est tard. Au revoir.

Il fixa ses deux quinquets dans ceux de la demoiselle, la regardant avec insistance. Il était probable qu’elle se méfie. Espérant qu’elle allait partir sans faire d’esclandre, il relâcha quelque peu son étreinte autour d’Helvine, se libéra un bras pour reprendre sa main. Prêt à détaler à nouveau.
Edern
Elle a baissé sa garde.

Pourquoi cette alarme ?

Il couvre lentement ses iris de ses paupières et reste allongé, un instant. Écoute la nuit et ses bruits. Les échos d'un tumulte bien lointain. Un timide hululement. Des froufrous chiroptériques. Son enveloppe fragile qui résonne encore de sa fulgurante communion avec la terre. Deux souffles qui ne tarderont pas à s'accorder...
Des milliers d'astres brillent au-dessus d'eux. Il n'a pas besoin de les voir pour le savoir. Même les aveugles ont leurs étoiles. Étonnant, non ?
Une esquisse de sourire illumine brièvement ses traits impénétrables.

Je voulais juste... les toucher...

Se parer de leur beauté.
Se perdre dans le sablier.
Mais...
Il n'est pas seul dans le labyrinthe. Elle y est entrée sans savoir qu'elle l'y trouverait, sombre chasseresse en mal d'ombres à poursuivre. Il courait et elle a su l'attraper. Le rattraper. Elle ne l'a pas attendu. Alors quand ? Quand a-t-elle traversé les minces cloisons que la raison a naïvement cru dresser ? Il est si tard, si tôt... pourtant, ils sont tous deux éveillés. Merveilleusement éveillés. Lui a cédé son repos à l'océan, a cessé de dormir pour étendre son absurde empire. Elle...

Pourquoi cette alarme ?

Tant de réponses à cette question solitaire.
Pas une seule qui ne suffise, en prose ou en vers.
Le regard brun s'ouvre à nouveau aux émeraudes lumières.
Allons-y.

Le Fou relève son corps jusqu'à redevenir cette humaine silhouette déployée dans l'obscurité du monde. Ni nain, ni géant. Volatile, étranger aux murs. Solide et sans armure. Bâton et couvre-chef sont restés au sol. Il ne fait rien pour les récupérer, s'étire avec grâce, époussette son épaule d'un invisible grain de sable qui vient se poser entre... elle, et lui.
C'est tout ce qui nous sépare, Cerridween.
Une poussière que le vent égare.
Oseras-tu enfin tout balayer ?
Revenir aux divines origines ?
Pour tout cela, je peux t'aider.
Ne viens pas au Fou.
Il viendra à toi.

Il fait un pas de côté, puis un autre. Décrit bientôt un cercle autour du centre de son attention, révolution de velours dans une volonté de fer. Animé par ce mouvement léger, son habit de noir et de blanc bruisse de mille frottements. Sur son crâne insensé, quelques cheveux bravent l'ordre qui leur a été donné par un chapeau disparu et s'entremêlent en petites boucles folles. Reconnaît-elle cette démence ? Le rejoindra-t-elle dans son envol ? Car maintenant que la danse recommence...
Tu ne t'échapperas pas, cette fois. Tu le sais. Puisque je suis là pour toi.
Les yeux du Fou s'enflamment en des horizons qui verdoient.
Disparaissent heures, minutes, secondes.
Les mots entrent dans la ronde.

Il n'y a plus de cicatrices...

Il tourne au rythme lent des lettres qui s'assemblent en farandole.
Guerrière, laisse les morts et blessures dans leur nécropole.
Femme, garde-toi bien de faire couler le sang en toi.

Il n'y a plus de sacrifice...

Il n'accélère pas, ne la menace pas.
Ce n'est plus l'heure des fourbes.
Et, quand la diagonale est courbe...

Il n'y a que la folie.

Le cercle se fait spirale, la voix, immémoriale.
Personne ne fera jamais plus escale.
L'invasion n'est qu'imminence.

La plume ne s'embarrasse pas d'acier...

Quitte donc ce jouet qui ne saurait lui faire concurrence.
Prends en échange ce que tu as reçu la dernière fois.
C'était tout à l'heure, pas il y a deux mois.

Ravive la couleur oubliée...

Je connais ta carte.
Dame d'Écarlate...
Veux-tu la jouer ?

Le printemps y renaîtra.

Tu peux choisir, Pivoine. Il n'est pas trop tard.
On est toujours libre du choix de son étendard.
Si près du camp retranché, la voix devient murmure, nudité.

Ferme les yeux et dis-moi...

Dis-moi ce qui trouble l'eau de ton âme, retient la fureur de ta lame.
Dis-moi les maux qui font ton fracas et les mots qui font ton éclat.
Enchanteur, rêveur chaotique et sculpteur d'une antique roche,
Le Fou s'approche.

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Cerridween
Il est là… Il a suffit que…
Il soit debout. Elle a baissé sa garde. Elle est là devant lui, l’épée à la main. Et pourtant elle vient de perdre tout ce qui la protégeait.
Il a suffit…
D’un regard. Et elle a comprit. Un regard vers les yeux sombres qui brillent dans l’ombre pour savoir. Il est trop tard. Il est trop tard… Le jeu vient de glisser vers lui. Il s’en est emparé et maintenant, maintenant, c’est elle qui est en joue. Le corps se rebelle un instant frissonnant. Elle sait déjà qu’au dépourvu, elle n’est plus pourvue de masque devant les obsidiennes qui la détaillent leur lueur noire. Elle lui a laissé des clefs il y a deux mois… des clefs offertes par défi, puis par confidence. Et il peut défaire les serrures une à une. Et pourtant… Ne pas laisser d’ouverture. Jamais. Fermer, fermer sa garde, parer, parer aux coups, aux couperets qui tombent, garder les remparts levés que rien ne passe, que rien ne se trace, que rien ne bouge. Elle a dérogé à la règle. La sienne. Elle lui a laissé les rênes de ce qui ne devrait être conduit que par elle.

Il est là… Il a suffit que…
Il pose un pas. Et elle a su. Les doigts se sont crispés sur la garde. Tout est une question de temps. L’assaut se profile pendant qu’il approche lentement en courbe. Ronde de nuit autour des remparts du soir. Levés comme des chimères en ombre chinoise sur un corps fatigué. Non visibles à l’œil nu, si on ne sait regarder que les évidences. Les phalanges deviennent blanches pendant que les yeux se ferment lentement en abdiquant. Il a les armes les plus puissantes du monde connu. Les mots. Et ironie du sort, la seule parade, serait de ne pas les écouter… et elle a deux oreilles et une main emprisonnée. Il a brisé les aiguilles, même celle du temps, en le prenant à contre pied, dans le sens inverse. Il pose pas à pas, le rythme. Elle attend les notes de sa voix qui vont résonner bientôt dans un murmure aussi fort qu’un orchestre. Pivoine, tu ne maîtrises plus rien. Ô Capitaine…Mon Capitaine… Ton voyage effroyable est entamé. Le vaisseau a franchi le premier cap. La sentence redoutée est arrivée. Ton sort est proche, j'entends les cloches, le fou qui affûte, pendant que ses yeux suivent la ligne blanche qui conduit à ta conscience qui flanche.

Il n'y a plus de cicatrices...
Et toutes se ravivent d’un coup. Elles brûlent sur la peau diaphane. Une à une. Les souvenirs affluent. Chacune est une folie. Celles d’un chemin blanc de deuil et rouge de fratrie, d’un cri déchirant ses entrailles. Celles du devoir forgées dans un serment, répété comme une litanie. Celle de la vengeance et de la justice, qu’elle a payée de sa chair, défigurée. Celle de l’oubli au fer rougi, secrète.
Ignis, elle s’enflamme.

Il n'y a plus de sacrifice...
Et pourtant, y en a tant… tant et plus… ceux qui ont gelés ce qui restait d’elle. Un par un en carapace qui pèse leur poids comme une armure de fonte. Froide. Elle a les épaules larges comme un Atlas pour tout ce qu’elle porte de secrets et de regrets.
Glacies, elle se damne.

]Il n'y a que la folie.
Et sa tête tourne. Oui. Il n’y a que folie. Dans ta vie comme dans la mienne. Elle a dévolue à certains mots la sienne. Honneur, Justice, Bravoure. Ils sont là dans chacun de ces gestes pendant que lui manie les siens. Folie. Douce folie qui danse là, près d’elle, réveillant toute l’absurdité de la sienne. La voix des sirènes et de l’abandon. Là, maintenant…
Revenir en arrière.

La plume ne s'embarrasse pas d'acier...
Et la main sait déjà qu’elle ne pourra rien faire. Rien…. Lentement l’épée glisse ses doigts. Inutile. Futile. Elle ne pourra pas trancher les liens qu’il tisse en tournant la roue. File, file maintenant ! Tu tombes, tu tombes dans cette toile d’araignée comme un papillon de nuit attirée par la lumière qu’il distille au creux des syllabes allumées une à une. La lame se plante dans le mélange de pierre et de boue de la rue.

Ravive la couleur oubliée...
Elle suit le regard du Fou vers son doublet. Comme un automate, sa main sans arme plonge dans le tissu noir pour en sortir son présent. Elle est belle. Elle a une robe rouge d’un temps oublié. Dame de cœur. Comme un miroir de son âme passée. La jeune fille du sud à la senteur d’oranger, qui tenait l’atelier des mots et les secrets du verger. Les émeraudes abdiquent, détalent pour ne pas voir la spirale dans laquelle il l’emmène.

Le printemps y renaîtra.
Tais toi… une voix hurle à l’intérieur de son cœur. Tais toi… j’ai mis tant de temps à oublier, accepter, fuir, détruire une à une les chaînes qui m’ont liés à chacune de mes peines. Casser les cordes qui m’entravaient. Je ne veux pas, je ne veux plus. Je suis toujours prisonnière. Laisse moi. Pars. Arrête là. Je ne joue plus. Il ne peut renaître. Ni lui, ni l’auberge de la Rose des vents, ni le soleil blond, ni les rires. Tais toi. Laisse moi l’hiver et sa quiétude ouatée, même sans saveur, sans odeur, sans couleur. Et la peine coule et roule sans bruit.
Tais toi, je t’en prie…

Ferme les yeux et dis-moi...
Le silence. Pendant que les émeraudes se rouvrent à travers l’eau qui tombe et regarde la carte qui tremble dans sa main. La bouche qui s’ouvre ne trouve rien que l’air frais de la nuit. Elle ne sait qu’elle ne peut se cacher dans la pénombre. Pas cette fois. Qu’as-tu fais. De mes blessures ouvertes ne vois-tu pas le sang couler. Tout ce sang, cette boue, ces larmes que tu as retourné ? Que dire… met-on un mot sur l’absence ? Met-on un mot sur l’oubli ? La renonciation ? Sur le vide ? Un souffle meurt pendant que l’eau verte se cache. Et s’il pouvait… s’il pouvait… malgré tout. Malgré elle.

Il me manque… un cœur… arraché pour ne plus avoir mal… peur…

Qu’il est douloureux ce soir de murmurer.

J’ai perdu sa trace… son chemin… je ne sais plus comment en acquérir un…


La carte doucement échappe de ses doigts…

Il me faudrait un souffle… il me faudrait un souffle…

Il y a deux mots qu’elle n’a jamais dit… ou si peu. Juste du bout des yeux. Et ce soir ils résonnent…

Aide moi…
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Edern
Au commencement était le Verbe
Et le Verbe était tourné vers la Folie,
Et le Verbe était Folie.
Il était au commencement tourné vers la Folie.
Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des Hommes,
Et la lumière brille dans les ténèbres,
Et les ténèbres ne l'ont pas comprise.

(*)
~~~~~~~

Ici et maintenant.
Si le Verbe est Folie...
La Folie se fait homme.

Cerridween. Il la regarde toute entière. De ses paupières closes aux froides vallées de ses entailles, de sa chevelure en flammes jusqu'à ses mains vierges de toute arme. Si dangereuses, autrefois, à l'épée qui dans le sol s'est plantée. Si belles, à présent, de simplicité. Tombée de l'une d'elles, une mince carte rougeoyante, dernier reflet qu'il lui a tendu un soir de jeu sans règles en une taverne espiègle. Elle n'a pas passé son tour. Elle veut en finir. Et la manche s'achève maintenant... différemment des autres fois, des autres duels qu'il a pu mener. Pas de fils à tendre. De coups à rendre. Pas de pantins à manipuler, d'ordres à bousculer. N'exigeant pas d'arabesques compliquées, les mots parlent immédiatement de beauté. Et ils parlent à deux êtres que le destin doucement enchevêtre.
Elle a fermé les yeux. La guerrière a fermé les yeux. La capitaine a fermé les yeux. La femme a fermé les yeux. Elle a fermé les yeux...
Le Fou tire avec grande précaution quelque chose de sa poche, un objet, non, bien plus qu'un objet. Sa plume. Noire, même dans la nuit. Il parcourt sa tige fragile du pouce et de l'index, frissonne à l'idée de ce qu'il va faire de sa folie. Il sait qu'il lui reste peu de temps avant la prochaine scène. Cet acte peut-il être le leur ? Ses iris bruns se teintent de flou, se perdent dans le vague qu'il n'a pourtant plus à l'âme. Autour de lui le monde reste immobile.

Il hésite.


Aide moi...

Enfin ! Ses sens explosent alors. Des images, des sons, des goûts, des odeurs et des touchers lui reviennent en un seul flux d'énergie onirique, il n'est plus qu'un corps que mille aiguilles piquent. C'est l'océan qu'il éprouve à nouveau, sa paix et sa colère, l'immensité d'une goutte et l'étroitesse de la mer, le sel qui attaque et l'iode qui défend, les mouettes dans la tempête, la pression puis la libération. Il revit les vagues mêlées de brume et d'écume. N'est qu'air et eau. Noyé, repêché tour à tour. Définitif retour.
Une falaise à franchir.
Il n'hésite plus.
Apportant comme présent la plume jusqu'à la paume ouverte dont il referme les doigts tremblants dans un tressaillant frôlement, il se penche vers sa sublime égale, laisse leurs respirations vibrer à l'unisson.
L'entends-tu redoubler, ce cœur qui bat ?
Et au creux de l'oreille...

Tout est là...

Et le Fou s'approche une dernière fois. Ils n'ont jamais été aussi prêts. Qui est le papillon, qui est la flamme ? Lui, elle, elle, lui, tous les deux, ni l'un ni l'autre ? Un parfum inconnu l'a peu à peu envahi, vapeur légère dans la lourdeur des ténèbres. Il connaît ses charmes. Mais il n'y a pas de piège. Il est maître, elle est maîtresse. Esclaves de leurs paroxysmes.
Que veut-elle ?
De son cœur ouvrir la trappe.
Un souffle pour se libérer de sa cuirasse.
Cueillir les mots là où ils s'échappent... ?

Il l'embrasse.
Entre leurs lèvres, sans un bruit, les mots passent.

Et sans un bruit, le Fou met fin à cet instant en fauchant de toutes ses forces une Pivoine aussi déséquilibrée que lui ; au tendre contact de la peau succède celui du sol abrupt, non moins aimant ; un homme dément se redresse de toute sa hauteur et lève les yeux jusqu'au plafond étoilé. Un sourire tranquille apparaît sur son visage étrangement rayonnant, croissant de lune sur une mer d'opaques dunes.
Tu as pris la voie de l'éclosion perpétuelle, fleur d'écarlate.
Dans chaque serrure, la clé a tourné.
C'est ouvert.

Une forteresse au moins sera tombée cette nuit.

La phrase claque dans l'air, insolente bannière flottant à des vents d'ouest changeants. Loin d'être outrance ou violence, elle conclut une danse. Et marque le premier pas d'une autre... dont il ne décidera pas le rythme. Un temps pour tout. Tous pour un temps. À elle de relever son tambour et de faire battre le sien.
Chapeau et bâton sont ramassés et retrouvent leur place, qui surplombant une tête ombrée de brun, qui liant une main à la terre par une droite de bois. Une poche seule n'est pas comblée. N'est pas vide pour autant, puisque emplie d'une promesse donnée. Un regard vient caresser le corps féminin allongé par ses soins. Une voix humaine s'élève en toute délicatesse, entre jeunesse et vieillesse.

Choisis ce qu'il y a entre nous...

Il lui tourne le dos en une demi-pirouette et se met lentement en marche vers les profondeurs du labyrinthe.
Bien des pensées se bousculent à l'orée de son inconscience sans enceinte.
Ô Reine qui a traversé le blanc et le noir, Pivoine aussi Folle que le Fou...
Tu sais que j'attends ton prochain coup.


(*) Honteux plagiat d'un passage d'un bouquin pas très connu, quoique.
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Cerridween
[Mais rêver... ]

Les émeraudes ne s'ouvrent pas.
Elle a capitule sur un fil de larmes, dans un équilibre instable. Lâcher prise. Comme elle a lâché sa lame, elle a ouvert son âme.
Qu'attend-elle...
Rien. La fin. Le commencement. On achève bien les chevaux. Elle veut bien qu'il plante là, l'épée abandonnée pour qu'elle s'en aille. Aide moi... Finis ce que tu as commencé. Je n'ai pas de dernières volontés. Pas ce soir. Tu m'as placé devant l'abîme de ma propre vacuité. Il suffirait simplement d'un pas en avant, d'un effleurement.
De toi j'accepterai...

Un instant le grain dans le sablier de cette nuit reste suspendu aux étoiles qui les regardent.
Elle sent entre ses doigts la plume qui revient et la chaleur des doigts qui ferment sa main.
Elle n'ouvre pas les yeux sur le monde. Il est là si proche. Même les yeux fermés, elle le devine. Il la surplombe de sa hauteur et de son calme.
Lentement un souffle se pose sur son visage. Lent, doux, régulier. Le rythme des battements de son cœur décroît lentement.

Et tu écoutes Pivoine un instant une symphonie perdue. Les notes viennent réveiller ta peau. Au fur et à mesure. Écoute. Ton coeur qui répond à l'unisson. Écoute. Là ton sang qui ressuscite alors que tu perds la tête. Écoute. Ce que tu ne veux pas entendre. Ce qui a peuplé tes pensées en attendant que rien ne bouge. Sens ce sel sur ta bouche qui appelle l'imparfait. Goûte à l'harmonie incertaine de cette présence près de toi.

Ecoute…


Tout est là...

Un baiser.
Son cœur comme le temps vient de s’arrêter. Au milieu de la nuit qui parait irréelle, immortelle. Un conte d’outre monde. Une histoire sans fin. Le Fou et la Balafrée. La walkyrie et le poète.
Elle est en train de goûter du bout des lèvres son âme. Elle vaut toute entière le détour, le voyage de sa langue sur la sienne. Elle passe sans heurt en lui racontant tout. Il lui saute au cœur en lui faisant les poches de sa pensée, de ses secrets, prenant sa bouche pour son oreille. Il y a là un serment, promesse, un infini. Comme une nouvelle inspiration dans le souffle coupé pendant qu’il ravive les cendres oubliées de sa vie.

Pivoine… Pivoine… tu aimes… tu l’aimes…

La révélation s’écoule au fur et à mesure de cet andante silencieux. Tu les entends n’est ce pas ? Les pensées s’échappant de leur cage vers les routes quand tu étais sur les remparts. Le plaisir simple de son regard. Sa présence naturelle. La clarté de ses mots. La douceur de ces intrusions. Dans ce carcan de courage, tu ne vivais pas vraiment. En apnée, aveuglée, ligotée par tes douleurs et tes peurs. Il vient de faire tout exploser.


Le temps reprend son cours aussi violemment lorsqu’elle remet le dos sur terre. Le choc vient de faire passer devant ses yeux les étoiles du firmament d’éternité qu’elle vient de traverser. Le souffle coupé encore une fois mais pas par ses lèvres. Par le baiser de la douleur qui vient de l’embrasser crûment.
Elle n’entend pas les premiers mots. Son corps parle d’abord. Elle le connaît. Il arrêtera de crier. Il le faut. Qu’elle se redresse. Les émeraudes cherchent quelque chose, une explication. Le pourquoi de cette chute de l’Eden. Les souvenirs affluent. Non pas encore, pas encore… ne me damne pas une deuxième fois. J’ai aimé un ange déchu et je m’y suis brûler les ailes. Dis moi qu’il y a quelque chose d’autre que toi.

Choisis ce qu'il y a entre nous...

Quoi ?

Qui va là ?!


Les bruits de bottes lui vrillent les oreilles pendant que la lueur des torches lui brûle la rétine. Des gardes passent dans son champ de vision pendant que sa main se porte devant ses yeux.

Il y en a un là bas ! Le gars en blanc et noir !

Il y a le bruit d’une course faite d’un crissement de ferraille et d’un choc d’un corps contre un mur. Une main la relève lentement.

Capitaine ? Vous allez bien ?


Les émeraudes papillonnent au milieu de l’incompréhension. Quelques secondes a cherché le visage. Il est de la garde, croisé dans les multiples rondes nocturnes des derniers mois. Il a un regard inquiet.


Vous allez bien ? Il vous a agressée ?


Elle regarde au loin. Il est maîtrisé. On lui entrave les jambes. Il est prisonnier. Elle secoue la tête doucement sans répondre. Il reste perplexe en la regardant alternativement avec son épée.

Murmure.

Faites votre devoir. Je m’en sortirai.

Combien de temps reste-t-elle dans le noir après leur départ. Elle ne sait. Elle a contemplé le vide. Longtemps. Sa main a enfin reprit la garde de son épée. La lame est rangée à l’abri. Son âme ? Elle ne sait plus vraiment si elle ne l’a pas laissé sur les pavés pendant que la tête sur l’oreiller, les yeux ouverts, le cœur sans atours….

Elle attend le jour.


(Un grand merci à Edmond et à Peau pour l'inspiration et quelques emprunts... qu'ils me pardonneront j'espère. )
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--Gaillardine


[Pas si loin...]

Des deux membres constitutifs du drôle de couple appuyé contre le mur, l'homme se retourna en premier.

Personne ne vous prend vos clients, nous nous reposons. Voyez, il est tard. Au revoir.

Froncement de sourcils.
Y'avait un problème. Les clients assumaient, d'habitude. Ils faisaient jouer la concurrence, parfois, ils cherchaient le meilleur rapport qualité/prix, mais ils assumaient le fait de vider doublement leurs bourses. Pas leur genre de nier en bloc l'activité à laquelle ils se livraient, sauf nécessité bien particulière du type épouse tatillonne ou campagne électorale, et encore. Non, ce gars-là était pas normal. Et insolent avec ça. Avec une voix trop gentille pour être amicale. Dangereuse ? Est-ce qu'elle avait pu se tromper, elle qui connaissait sur le bout des doigts les ruelles de la capitale et les êtres qui peuplaient ses nuits ? S'agissait pas de se laisser attraper...
Méfiante, sans quitter son interlocuteur des yeux, Gaillardine mit en branle les quelques neurones de son étroite cervelle encore fonctionnels tout en blablatant ainsi :


Pour sûr qu'vous vous r'posez... en pleine rue et en pleine nuit, ben voyons ! Les honnêtes gens ils dorment à c'te heure entre quat'murs, ou ben dans un champ hors d'la ville, t'sais.

Elle eut un petit sourire sardonique, à la limite de la méchanceté.

M'est avis qu'vous êtes pas honnêtes, et qu'vous êtes pas ben fûtés non plus pour vous r'trouver ici. Et ça, c'est pas bon, non c'est pas bon...

Qu'est-ce qu'elle pourrait bien faire d'eux ? Les refourguer aux maréchaux, qui lui piqueraient la prime s'il y en avait une sur leurs têtes, ou qui deviendraient moins cléments envers son commerce si l'homme et la femme étaient innocents ? Bof... Qui sait si y'avait pas quelque chose à tirer d'eux. Le Soleil n'était pas encore levé, après tout. Il pouvait s'en passer, des choses, d'ici à ce que les rues reprennent leur train-train habituel à la lumière plus ou moins rassurante du jour. Y'avait qu'à laisser filer son imagination...
Elle se pencha vers le couple, plus particulièrement vers le mâle, à qui elle chuchota langoureusement :


Mais j'peux vous aider à vous cacher mieux qu'ça, vous et l'paquet qu'vous t'nez d'une main.

Oh, et puis, pourquoi se priver ? C'est si bon de profiter d'un pouvoir passager, quand on est la lie de la société... elle humecta lentement ses lèvres de sa langue qu'on devinait rose même dans l'ombre nocturne et ajouta, louchant sur sa rivale potentielle :

En fait j'crois qu'vous avez pas l'choix, c'est ça ou j'crie au s'cours tout d'suite...

Ne commençait-on pas à entendre des bruits de pas ?
Edern
Le Fou marche tranquillement et la lune projette l'ombre d'un doute à ses côtés alors qu'il sourit aux étoiles.
Un vent de fraîcheur s'est levé, de ses poumons avides gonfle les voiles.
Sait-il vraiment ce qu'il a engagé...
Ce baiser...


Il y en a un là bas ! Le gars en blanc et noir !

C'est à peine s'il entend le cri d'alarme poussé derrière lui. S'il a les pupilles rivées sur une ligne d'horizon imaginaire, il n'a d'yeux que pour l'étincelle qui s'est faite incendie dans la forêt de sa folie. Plusieurs questions naissent dans le bûcher des illusions nocturnes et tournoient en lettres incandescentes dans la noirceur ambiante. Le Fou n'a jamais vécu les mots... ses mots... leurs mots... dans un tel état. Et il l'aime...

Que lui a-t-il fait ? Elle est tombée. Amoureuse. Elle va s'en relever. On ne chute que pour cela. Plus d'amour que de mal. Ce dernier était nécessaire... un mal pour un bien, disaient-ils... dirait-il. Non. Il ne sait pas. Il le fallait, tout comme il fallait qu'elle soit là, pour lui, qu'il soit là, pour elle, deux voyageurs aériens en quête de comètes. Il joue avec le feu, n'hésitera pas à s'y brûler en un seul embrasement. Une éternité pour se consumer... il aimera tout ce qu'il trouvera dans le brasier qu'ils ont allumé. Ses armes, tranchantes. Ses larmes, brillantes...

Que lui a-t-elle fait ? Confiance. Au Fou. À la Folie. Sans raison. Il y a quelque chose de troublant dans le fait de savoir qu'il existe une certitude entre leurs deux incertitudes, un fil de soie tissé par une araignée au plafond étoilé sur lequel leur équilibre est précaire mais possible. D'ailleurs, il est troublé. Troublé, Edern, troublé, le Fou. Troublé dans sa solitude. Comme si elle avait cru rester de marbre pour l'Humanité entière, comme si elle avait oublié les surprises que la route place sur le chemin de ceux qui ne les attendent pas.

Que vont-ils faire ? Compter, ensemble, jusqu'à deux, et s'arrêter...

Les gardiens de la réalité le rejoignent enfin. Son corps est projeté contre le mur et il sent la pointe d'une épée chatouiller ses omoplates alors que des cris confus se font entendre dans son dos. On l'agrippe, on le ceinture, on lui retire son bâton. Il sent son mantel se froisser sans sa permission. Il n'est plus libre de ses mouvements. Sauf de ceux d'un petit organe, bien à l'abri derrière une trentaine de soldats immaculés, toujours agile...

J'exige un procès équitable. D'ailleurs, tout ce que vous direz sera retenu contre vous.

On ricane à gauche et à droite. On s'énerve derrière lui... il imagine Cerridween, seule entre les pavés et le ciel. Il imagine la foudre qui s'abat sur eux, tout de suite.


Ta gueule ! Tu crois pouvoir faire le malin avec nous, hein ? Non mais tu t'crois où ?

Dans la ville la plus mal gardée de tous les t...

Un poing vient lui couper le souffle.
Ce sont des pions... ridicules... des pions... qui le touchent... des pions... qui encombrent sa diagonale... des pions !
Il faudra apprendre à s'en débarrasser... rapidement... pour surtout ne plus avoir à supporter le contact déplaisant de la rudoyante banalité qu'empeste leur sueur... si seulement il pouvait... d'un seul geste... sans efforts... effacer les ratures tachant le parchemin... et lui donner une mer d'encre à boire... blanchir pour mieux noircir... apprendre... leurs armes... avec qui ?

Il aurait bien une idée...
Mais ce baiser...

On l'emmène sans ménagement. Les rues vides passent lentement sous ses pieds réduits à la marche forcée. Ils franchissent la porte d'un bâtiment trapu aux allures de boîte à cachots. Rien de plus logique... les circonstances ne sont en effet pas très favorables à son installation dans un établissement grand luxe. Des silhouettes se pressent un peu partout, qui pour interroger ses petits voisins, qui pour leur dégager le passage à l'incongru cortège. Un homme à peine mieux vêtu que les charmants fantassins qui l'ont accompagné jusqu'à sa nouvelle résidence crache à ses pieds, puis à ses oreilles.


T'en as pour six jours.

Le Fou opine distraitement du chef alors qu'on le meut à nouveau tel du bétail vers son enclos.
Record battu. À battre ? Oui... qui sait ce que la justice humaine réserve à ceux qui ne la bravent qu'en passant ? L'Auvergne lui avait offert deux jours de colère, le Berry quatre de patience. Qu'en sera-t-il cette fois ? Que seront ces six jours de privations, d'obscurité et d'isolement ? L'enfer ? Le paradis ? Les deux ? Il a tout son temps... c'est là l'erreur de ses comtaux hôtes. Au jugement expéditif répondra un châtiment mûrement réfléchi. À l'absence de réquisitoire, une accusation massive. En attendant la plaidoirie pour un autre monde...
Alors qu'on le fait descendre des escaliers mal éclairés, il a une pensée amusée pour Matthias et Helvine. Loins, sûrement, vus la témérité du premier et la force de la seconde. Sont-ils pleins de haine à son égard ? Il l'espère. Ils auront mis le temps. Et ils continueront à se tromper à son égard, malgré ce qu'il leur a fait voir, écouter, sentir. Lui apporteront-ils des oranges ? Ou bien des pommes empoisonnées ? Il y goûterait avec plaisir. Le couple lui manquera assurément... il se consolera.
C'est qu'il y a tant de volailles à plumer.
Pourtant, rien ne sera plus comme avant...

On s'arrête encore. Un bruit métallique de clé rouillée qu'on tourne sans se préoccuper de la pauvre serrure innocente qui geint doucement.

On le jette dans ce qu'ils appellent une cellule. Un carré de pierre bordé de fer dans lequel on ne peut s'allonger. Il examine minutieusement son habit, sa peau, à la recherche d'une trace de souillure, soupire, puis s'assied en tailleur au centre de la pièce et laisse son regard flotter dans les ondes enflammées d'une torche accrochée au mur qui lui fait face. Dans l'ombre, on devine un homme assis, immobile. Le geôlier. Silencieux, évidemment...

Le Fou attend, perdu dans la contemplation de sa flamme.
Ce baiser...

Un temps passe. Il n'y a dans la geôle aucune horloge, aucun sablier pour le mesurer. Un dernier grain de sable s'écoule cependant.
À sa suite, une voix calme s'élève pour briser le silence en toute désinvolture.

Seriez-vous assez aimable pour apporter à un pauvre diable de quoi écrire à sa bien-aimée et à ses neuf enfants qui se morfondent dans le taudis qui leur tient lieu de logis ?

Finalement, cette fois sera peut-être différente...
Il ne voit qu'elle. L'image d'un ailleurs qui le hante.
Dédale... Icare... ils avaient du papier... un crayon...
Quatre murs et trois barreaux ne font pas une prison.

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Cerridween
[Léard... une chambre... le passé et le présent]

Tu soupires beaucoup maman...

La petite brune regardait sa mère en soufflant sur une mèche devant ses yeux. La Pivoine a sourit doucement en regardant sa fille à travers le miroir.

Tant que ça ?

Oui.... et ….- elle hésite un peu avant de reprendre en retenant une grimace -... tu as l'air très fatiguée aussi...

Je sais... j'ai une mine affreuse.
Elle rit doucement en passant sa main sur sa joue invalide. Mais tu devrais avoir l'habitude maintenant...

Faudrait que tu dormes maman...
La voix de la brunette trahit une certaine détresse.

Nouveau soupir qui passe entre les lèvres de la maitre d'arme. Comment lui expliquer que ça lui est difficile. Comment lui expliquer qu'elle ne peut plus fermer les yeux depuis qu'elle les avait rouverts sur un autre possible. Comment lui dire et avec quels mots que depuis ce soir là, son coeur continue à battre à un rythme infernal. Elle est passée... du sourire au soupir.... du soupir aux larmes... et glisser encore un peu d'imperceptible façon... des larmes au baiser... il n'y a qu'un frisson*. Elle a frissonné jusqu'au plus profond de sa chair et de ses os, elle est monté d'un trait vers la lune, a regardé un rêve et est retombée au sol. Et maintenant ? Elle regarde le ciel de loin puisqu'il est en prison. Trois jours. Trois jours sans savoir, sans pouvoir.... faire rien. Même pas se décider à regagner le Mans et les geôles où elle sait qu'il se trouve.


C't'une mission qui t'inquiète ?... demande la brunette qui s'inquiète de trouver le pourquoi du silence de sa mère et de ces cernes qui ne passent pas. Je peux pas savoir les détails, j'sais mais...

J'ai un problème avec quelqu'un...
La voix de la Pivoine a murmuré doucement.

Ah... Les yeux émeraudes rencontrent leurs héréditaires toujours dans le reflet. C'pas moi hein ?

Non je te l'aurais déjà dis voyons.... c'est.... disons que je ne peux te dire de qui il s'agit...
Le sourire doux veut rassurer celle qui rentre dans l'adolescence de toute la fureur de son impatience et de toute la dureté du doute. Mais je ne sais pas quoi penser d'une réaction... elle me... désappointe...

Si c'est comme l'autre à Laval, ben tu fais pareil... Daronne dit qu'vaut mieux savoir plutôt que gamberger. Puis au moins tu seras fixée au lieu de faire... enfin...
Elle rougit de sa franchise emportée. Sa mère avait pourtant insister sur le fait de bien se tenir... exit les sorties sinon....

La Pivoine sourit encore... elle a raison. C'est si simple la vie vu de cette façon. Foncer quoi qu'il arrive, sans voir ni avoir peur. Jusqu'à ce qu'on apprenne qu'on perd les choses souvent... Elle se lève lentement en prenant son mantel.


Je suis ton conseil, Laïs... je pars pour le Mans.

La brunette ouvre de grands yeux en la regardant mettre la grande cape noire sur ses épaules.

Là ? Maintenant ?

La Pivoine s'avance et pose un baiser sur le front de sa fille. Une caresse sur la joue avant d'ajouter.

Oui maintenant... je te laisse quelques jours... à toi d'administrer Léard puisque personne n'est là. Je sais que tu sais faire, malgré ta tête brûlée, quand il s'agit des tiens. Tu n'es pas De Vergy pour rien. Repose toi sur Rufus, il t'aidera si tu lui demandes gentiment. Envoie quelqu'un en cas d'urgence seulement...

Les pas d'un shire ont résonné sur les pavés de la cour. Ils laissent derrière eux une brunette aussi perplexe qu'effrayée par la première responsabilité qu'il lui a jamais été donnée et devant eux se dérouler le chemin vers une réponse qui attend d'ouvrir la bouche.

[Le Mans – Les geôles ]

Elle prend une grande inspiration pour se donner du courage. Elle n'a pas changé d'un iota. Mise habituelle. Cheveux tirés et disciplinés du mieux possible. Cape licorne. Epée en coin de la hanche, protectrice soumise. La discussion avec le geôlier à l'étage, en haut de l'escalier qui descendait vers la prison, a été un échiquier miné. Méfiant. Comme il se doit quand on occupe sa charge. Pourquoi voulait-elle le voir lui en particulier... Les vrais raisons ne pouvaient qu'être tues, tuées dans l'omission. Elle était capitaine, la sécurité du Royaume était son sésame, puisqu'elle était la vassale directe de tout ce qui était de près ou de loin lié au Roy. Il avait attaqué un château impunément. Il avait parlé ? Non... Pourtant il doit avoir des complices. Elle avait déjà écumer les bas fonds d'une ville, enquêté, interrogé, suivi, percé les secrets les plus sombres. Celui là, elle le percerait aussi. Mais pas celui que l'homme taciturne pense. Fallait il encore trouver une faille, faire tomber ce pion, pour qu'elle lance un assaut dans une brèche crédible.

A-t-il demandé quelque chose de particulier ?

Le geôlier l'a regardé avec circonspection.


Vous avez de drôles de questions...

Elle l'a regardé avec un sourire en coin et s'est penché comme pour lui faire part d'un secret.

Et bien s'il veut quelque chose, je peux marchander des informations... surtout si c'est quelque chose qui compte. J'aurai l'avantage.

Le gars hoche la tête... touché garçon.

Ben à part des trucs sans queue ni tête, il réclame depuis qu'il a posé son cul dans l'clapier du papier pour écrire à sa femme et ses enfants... comme si j'étais Cresus moi... j'suis déjà bien gentil de lui filer sa graille.

La Pivoine prend le même air consterné que le geôlier.

Je pense bien... mais allons la sécurité n'a pas de prix... je vais chercher le nécessaire et je reviens. C'est une monnaie d'échange de valeur et il semble sentimental, l'affaire ne devrait pas trainer. Par contre, il me faudra être seule. Il faut qu'il est une certaine confiance en moi pour que je puisse en tirer quelque chose. Je vous appellerai en cas de problème... et j'ai toujours mes réflexes et mon épée.


Elle descend les escaliers quelques temps plus tard. Dans ses mains du parchemin et de l'encre.
Tu as menti Pivoine. Tu as menti. Te rend tu comptes de l'ombre où tu t'enfonces... Rappelle toi la dernière fois que tes pas t'ont descendu dans ces lieux. Tu y as connu l'Enfer et la douleur. Tu as pris des risques et pour trouver au bout du chemin la déception. Les pas sont automates. Elle foule la paille croupie à la recherche de deux couleurs. Elle les trouve tapies dans un coin. Lorsqu'elle les contemple à la lueur de la torche qui vacille... elle aussi tangue. Elle reste là, en contre jour, devant les barreaux de fer qui ferment la cellule, dans ce couloir sans âme. Raison perdue et quoi qu'il lui en coûte. Il y a encore ce goût de folie douce, imprimé sur ses lèvres. Retrouver la saveur d'un coeur qui bat... ne pas vouloir l'enlever avec de l'amertume... s'abreuver jusqu'à la lie une dernière fois. Puisque le temps compte et se décompte vite. Trop vite. Rien ne compte... que la soif.
Les émeraudes s'entravent dans le regard sombre. Elle s'assoie lentement à même le sol souillé devant le rempart de métal. Un murmure passe enfin ses lèvres pendant qu'elle pose le parchemin et l'encre sur ses genoux.

Il y a quelque chose entre nous...

La phrase peut être ironique. Mais elle trahit la question. La question qui lui brûle les pensées et qui allume la nuit d'insomnies flamboyantes. Si ce mot passe mes lèvres... Fou... ce mot qui hurle là, si proche que tu peux le sentir déjà qui se dessine, dans le silence que je n'ose avorter... le piétineras-tu ? Me réduiras-tu définitivement en cendres froides après m'avoir consumée d'un feu de paille ?Vas-tu me cramer les ailes au soleil que tu feras exploser d'un simple souffle ? Me jetteras-tu de nouveau au sol avec dureté ? Entre tes mains je suis si fragile...

* Parce que définitivement il n'y a que lui pour en parler aussi bien... Acte III scène 10... encore merci.
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