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Répétition...

Kallias

Enfin, le voyage était lancé ! Le couple tsigane avait repris la route, vers de nouvelles aventures, vers une cabane... Esquivant les provinces dangereuses où pouvaient sévir des armées folles, la durée du périple se voyait un peu allongée et, le jeune mari eut alors l'idée de reprendre ses activités dignes du cirko tsigane itinérant. Il confia l'idée à son épouse dès qu'elle lui vint en tête, et celle-ci accepta en souriant. Il n'en fallait pas plus à Kallias pour qu'il reprenne ses entrainements, d'avantage pour vérifier sa dextérité que pour l'exercer, car il était certain de n'avoir pas perdu son talent de lanceur de couteaux.

C'est donc en pleine campagne, à un jour des villes les plus proches, qu'il s'attela à cette occupation. Heulynn se promenait dans la campagne, peut-être le rejoindrait-elle bientôt dans le sous-bois où ils s'étaient arrêtés. Les quelques affaires de voyage étaient posées à même le sol, et parmi elles, le chaton dormait, comme la plupart du temps. Voyant ainsi la petite boule de poils noirs endormie, Kallias se demanda combien de temps l'animal pouvait rester assoupi ainsi sans ciller. Sa main sombre caressa doucement le pelage, avant de se diriger vers un sac de voyage pour saisir une pochette de cuir, laquelle contenait apparemment huit lames courtes.

Sourire aux lèvres, il s'approcha d'un chêne à l'apparence robuste, en lequel il vit une cible toute désignée. Il effleura un peu le bois du bout de ses longs doigts, puis s'éloigna de vingt pas. Ses yeux noirs fxèrent l'arbre, imprimant en son esprit la position ciblée. Puis il abaissa son foulard pour cacher son regard. Tel un automate, il lança le premier couteau, droit dans l'arbre. Un bruit peu audible lui confirma qu'il n'avait pas manqué. Facile, jusque là... Il allait maintenant s'agir de répeter le même geste, en variant légèrement le jet, pour atteindre l'arbre en un autre endroit. Un instant passa... Souriant, Kallias songea aux premières heures de ce numéro qui avait pour lui été les premières sources de gloire infantile. Il se revoyait, sur la place d'un village de Castille, au milieu d'un cercle de gadjé, à vingt pas d'une planche à laquelle était adossée une autre jeune gitane. Une image changea dans ses pensées, et avec elle la femme complice du tour de lancers. Heulynn était là, souriante, confiante, les bras en croix, se tenant droite contre la cible rectangulaire. Il se vit de nouveau abaisser son foulard, sourire aux lèvres.

Il lança les sept couteaux restants, marquant une pause d'à peine une seconde entre chaque jet. Le dernier "tchac" arrivé à ses oreilles lui fit ôter son foulard. Un nouveau sourire alors qu'il examina de loin l'arbre. Se rapprochant à vive allure, il pu constater que ses couteaux lui obéissaient toujours aussi bien que par le passé. Les huit lames plantées dans le bois décrivaient trois lignes verticales. Les deux latérales se dessinaient chacune par trois couteaux, et la ligne médiane par deux, relativement bas. S'adossant lui-même à l'arbre, les bras en croix, Kallias vit que sa silhouette entrait parfaitement entre les couteaux. Une lame au dessus de chaque épaule, de chaque côté de l'abdomen, et au niveau de chaque genou. Les deux lames médianes se situaient entre ses jambes.
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Heulynn

Kallias lui avait parlé de reprendre, pendant leur périple, son numéro de lancer de couteaux. Elle avait acquiescé. Elle connaissait l'habileté de son mari au maniement des armes, des lames. Bien que n'ayant jamais elle-même participé à ce numéro, elle avait décidé de s'y prêter volontiers.
Il y avait bien une petite pointe de crainte, tout au fond d'elle-même. Pouvait-il en être autrement sans être totalement inconscient ? Cela faisait aussi partie de l'intérêt de ce numéro. Pourtant, la confiance envers son Rom était bien plus profonde que la crainte et c'était en toute quiétude qu'elle s'adonnerait à ce plaisir partagé avec le Baro.
Lorsqu'elle le vit, bras en croix, adossé à l'arbre, les couteaux formant le dessin de son corps, elle fut surprise, se demandant qui avait bien pu lancer les lames ! Il ne lui fallut pas très longtemps pour comprendre, évidemment.
Approchant près de Kallias, elle retira un couteau, au-dessus de son épaule, joua avec la lame, en éprouva le fil puis, dans un sourire, déposa un léger baiser sur la joue sombre de son époux.
Bravo, mon ange ! Joli lancer...Elle retira le deuxième couteau, à hauteur de l'autre épaule, d'un geste sec.
On fait un essai avec moi ?
Elle lui tendit les deux lames, retirant une troisième prisonnière du chêne en lui offrant un sourire un tantinet moqueur.
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Kallias

Il la vit arriver avec bonheur, il l'attendait impatiemment. Détaillant tous ses gestes un à un, il songea qu'il ne pourrait jamais se passer d'elle, tant cela lui était nécessaire de la regarder, de la dévorer des yeux, de sentir un petit baiser de ses lèvres sur sa peau. Il s'écarta du tronc massif et attrapa les trois couteaux avant de poser sa bouche sur sa joue, où celle-ci s'attarda quelques secondes, savourant son parfum. Puis il lui sourit d'un air complice, et retira les cinq lames restantes dans le bois.

On fait un essai... Il l'entraina un peu, la serrant entre lui et l'arbre dans une caresse très charnelle, puis s'écarta d'un pas.
Etend tes bras en croix, bien droite comme un T. Ce disant, il ne parvint à contrôler l'élan qui la ramena encore auprès d'elle, pour saisir doucement ses bras contre sa poitrine et les mettre à l'horizontal. Ses lèvres près de l'oreille de l'être chérie murmurèrent comme sur le ton de la confidence...
Je t'aime... Ne bouge pas d'un cheveu, ne bouge surtout pas.
Puis il s'écarta encore, à reculons pour bien garder l'image précise en tête.
Le plus dur est de sourire et de rester droite en toute circonstance, même quand la lame se fiche dans le bois à quelques pouces de ta poitrine. Tu ne dois en aucun cas sursauter, ce qui pourrait changer ta position.
Compris ? Si il y a la moindre chose, crie-moi qu'on arrête.Arrivé à vingt pas devant elle, il s'immobilisa.
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Heulynn

Décrire les sentiments qui les unissaient était tout bonnement impossible !
Bien sûr, elle aimait Kallias. Mais cela dépassait de beaucoup le sentiment amoureux qu'elle avait pu ressentir avant lui. Chaque regard qu'il posait sur elle, chaque geste qu'il faisait vers elle, chaque baiser et chaque souffle sur sa peau la faisaient frémir de bonheur.
Aussi lorsqu'il la serra contre lui, ferma-t-elle les yeux, l'espace d'un moment, pour éprouver encore cet élan intense qui la faisait vibrer en sa présence.
L'instant était grave pourtant, solennel même.
Il s'agissait de son premier essai en tant que cible vivante dans un numéro de lancer de couteaux !
Pourtant, elle ne tremblait pas, n'avait pas peur et les paroles de son mari avaient même réussi à faire taire cette petite voix qui lui disait que c'était quand même un petit peu dangereux.
Tout était affaire de confiance dans leur couple.
Heulynn répétait souvent que sans la confiance, on ne pouvait rien bâtir.
La vie le lui avait appris et ses propres expériences avaient accrédité cette vision assez primordiale de toute relation.
D'emblée, elle avait eu confiance en Kallias, dès le premier regard.
Et au fil du temps, cette confiance s'était solidifiée pour aujourd'hui, ne plus faire l'ombre d'un doute.
Bien sûr, elle faisait en sorte de rester séduisante et attirante. Elle était aimante et se pensait tendre et attentionnée. Il n'était pas question de devenir bobonne...Mais cette confiance jouait un rôle important.
Et là, contre l'arbre, les bras en croix devant son mari armé de lames, elle avait confiance en lui. Elle savait qu'elle ne bougerait pas, qu'elle ne sursauterait pas, qu'elle ne cillerait même pas. Il fallait sourire, elle sourirait, sans peur, sans crainte...abandonnée et confiée à la dextérité de son mari.
Elle regarda son mari, planta son regard dans le sien, lui offrit un sourire tendre tandis qu'elle faisait corps avec l'arbre.

Je suis certaine qu'il n'y aura aucun problème, tu peux y aller. Je t'aime.
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Kallias

Elle était prête, il était prêt... Souriant encore, il approcha sa main et posa ses lèvres dans sa paume, avant d'étendre les doigts pour lui souffler le baiser. Il abaissa donc de nouveau le foulard sur ses yeux, jusqu'à son nez. Il aurait pu être déconcentré, moins préoccupé par ce qu'il faisait car c'était l'objet le plus cher à son coeur qui se tenait sur la cible, mais ce ne fut pas le cas. L'amour pour elle, la constance de la passion, lui donnait toute confiance en eux, en elle, en lui. Bien loin d'affaiblir ses capacités, elle le rendait plus fort, plus sûr de lui, plus à même d'accomplir des prouesses. C'est donc sans aucune hésitation que, tenant ses couteaux fins de la main gauche, il saisit le premier par le bout de la lame entre son pouce et son index droits, et le lança selon une trajectoire précise, exactement la même que quelques minutes auparavant. Le couteau vint se planter au dessus de l'épaule droite d'Heulynn. Presque aussitôt le second, puis le troisième achevèrent de dessiner la première ligne latérale. Toujours selon la même cadence, deux lames rejoignirent le bois dans le fin espace entre ses jambes. Enfin, les trois derniers couteaux arrivèrent sur le côté gauche du corps de son épouse, exactement aux mêmes hauteurs que ceux de droite, finissant d'encadrer la silhouette.
Kallias eut un sourire et expira lentement... Il n'avait pas besoin de relever l'étoffe qui bandait ses yeux pour savoir qu'il avait visé juste. Il visait juste, et ce ne pouvait être autrement. Ce ne fut donc pas l'angoisse du résultat mais la hâte de la recouvrir de son regard amoureux qui le poussa à enlever précipitemment son foulard. Elle était rayonnante, il lui sourit, fier de lui appartenir, heureux de pouvoir partager avec elle ce genre de choses peu communes mais qui faisaient le bonheur de leur union.
D'un pas rapide il la rejoignit, et vint l'enlacer contre l'arbre sans même prendre la peine d'ôter les couteaux. Il eut pu se blesser tant l'ardeur de l'étreinte était vive. Ses mains parcoururent sa nuque tandis qu'il lui effleurait les lèvres des siennes, que sa langue entrouvrait sa bouche pour lui donner le baiser le plus brûlant et fougueux qui soit.
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Heulynn

Sans le quitter des yeux, elle lui sourit en faisant mine de recevoir le baiser soufflé aux bouts de ses doigts.
Son souffle était un peu court, malgré tout.
Elle comprit alors que la totale confiance ne pouvait pas complètement annihiler l'esprit de conservation humain.
Mais elle n'avait pas peur, elle était plutôt curieuse et impatiente de vivre ça, cette expérience qu'ils pouvaient partager d'un même élan.

Kallias remonta son foulard et elle se força à ne pas fermer les yeux comme son envie première le lui ordonnait.
S'ils devaient montrer cette animation au public, cela devait être parfait jusqu'au dernier détail !

C'est donc sous le regard bleu que le premier couteau fut lancé.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour venir se planter avec un bruit sec et court, non loin de son oreille.
Heulynn frémit, un frisson lui parcourut le dos, excitant ses sens, presque sensuellement.
Les autres couteaux furent tirés, avec la même précision, arrivèrent avec la même exactitude, dessinant sa silhouette contre l'arbre.

Elle lui sourit, heureuse, fière aussi. Fière de vivre avec lui, de partager tant de choses, d'être sa femme aussi.
Kallias était beau lorsqu'il ôta son foulard, son regard sombre était caressant, son sourire d'homme amoureux était le plus beau qu'elle ait jamais vu sur un visage.
Elle dut résister à l'envie de se précipiter dans ses bras et lorsqu'il l'enlaça et l'embrassa, elle fondit contre lui en répondant avec un amour intense à ses lèvres.
Lorsqu'enfin ils achevèrent un baiser qui dura de longs instants, elle murmura doucement :
Kamo tut, Kallias...
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