[RP] Conversation avec un fantôme

Le silence qui régnait sur l’endroit fut à peine violé par le léger grincement que fit la barrière quand l’homme l’ouvrit.

Pas de risque de déranger les habitants des lieux murmura –t-il pour lui même , tout en rabaissant sa capuche sur ses épaules.

Quelques flocons de neige voletaient encore , dans un ciel laiteux , soutenus par un vent léger mais toujours aussi froid.
Rien à voir cependant avec la tempête que le voyageur avait essuyée entre Rieux et Thouars, rien qu’à penser aux furies hurlantes qui lui avaient cisaillé le corps comme des coups de fouet , le grand brun aux yeux noisette en avait encore la chair de poule.

Après avoir refermé la barrière en un bruit jumeau au précédent , l’encapuché inspecta le cimetière de La Trémouille d’un regard circulaire.
Le fossoyeur , croisé plus tôt en mairie , lui avait signalé l’endroit qu’il recherchait :

Pô ben compliqué , m’sire …Au fond d’cimetière , à senestre…
C’est la dernière que j’ai creusé !

Pas simple de reconnaitre une tombe dans cet univers ouaté , recouvert d’un manteau blanc immaculé : en temps normal , il aurait été facile de la repérer , elle n’avait que trois mois .
Mais là , on arrivait à peine à distinguer l’allée qui serpentait entre les sépultures.

Mais pas question de laisser tomber pour autant .
Domdom n’avait pas fait tout ce chemin depuis Vannes pour abandonner au dernier moment .
Le Normand de Bretagne se frotta le menton, signe d’intense méditation chez lui et en arriva à la conclusion qu’il aurait à gratter la neige de chaque inscription , pour enfin retrouver la sépulture qui l’intéressait…

Celle de Michelle…

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Domdom avait commencé à inspecter méthodiquement chaque tombe dans cet univers glacé et figé , comme si les grains du sablier du temps avaient gelé , eux aussi.
Aussi exigü que fut le cimetière de La Trémouille, il n’en demeurait pas moins que la tâche s’avérait compliquée , la neige recouvrant le sol d’un linceul vierge et uniforme , laissant dépasser , ici où là le bout d’une croix de bois ;
Par moments , les doigts gelés , le dos endolori , le calvaphile cédait au découragement , mais le souvenir de sa petite boulangère suffisait pour lui donner un regain de volonté.
Il avait déjà mis à jour plusieurs monticules de terre , dont un ou deux anonymes , sans indications sur l’identité du corps qui reposait en dessous.

L’idéal aurait été que le fossoyeur l’accompagnât pour lui indiquer l’emplacement précis , mais ce dernier n’en avait pas eu le temps, occupé à d’autres tâches.
L’encapuché devait se débrouiller tout seul.

Il en était à sa cinquième sépulture, à fouiller à l’aveuglette sous le neige, ratissant de ses mains, râclant de ses ongles, lorsqu’il sentit soudain une écorce rugueuse sous ses doigts .

La sortant de sa gangue de neige, puis, l’ayant époussetée , il essaya d’en déchiffrer l’inscription gravée à l’intérieur , au couteau : quelques lettres avaient déjà disparu , déjà effacées par le outrages du temps :

M CH LL

L’écorce de bois encore en main, l’homme sentit les battements de son cœur s’accélérer d’un coup , comme un galop de cheval non maîtrisé , puis murmura , un petit sourire de satisfaction au coin des lèvres :

Mimi...Ma Mimi..Mon amie…Je suis venu pour te voir…Pour toi

Le sourire disparut très vite , cédant la place à un rictus :

Pourquoi as-tu fait ça ?
Pourquoi ne m’as-tu pas attendu ?
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La réponse à ces questions, l’encapuché la connaissait parfaitement , mais se refusait de l’admettre : elle le renvoyait trop à ses propres errements , à son égoisme , à ses manquements envers Michelle , aussi .
Il était venu pour un dernier au revoir dans un cimetière , pas au confessionnal , tout de même.
Cependant , le brun ne pouvait que ressentir un arrière goût fielleux dans le fond de la gorge : la culpabilité , cette vielle compagne , sortait à nouveau de sa tanière.

Tout en dénudant le monticule de terre de ses doigts bleuis par le froid avec l’écorce servant d’épitaphe à sa meilleure amie , Dom ne pouvait s’empêcher de repenser à leur dernière rencontre , dans une taverne de Saumur , au printemps dernier .
Une rencontre comme beaucoup d’autres , en somme , sauf qu’il s’agissait bien de la dernière ( chose qu’il ne savait pas au moment des faits , évidemment ) et que cette fois ci , Michelle ne s’était plus contentée de paroles, ni d'ultimatum.

Elle avait agi.

La nouvelle de sa disparition , en septembre dernier, dans un village Poitevin , avait beaucoup affecté le Normand , certes , mais pas surpris outre mesure.

Pris par ses obligations , il n’avait pas pu assister à l’inhumation de celle qui avait toujours été présente pour lui , à chaque moment difficile , alors que lui-même n’avait fait que faillir , y compris pour le dernier au revoir.

Essayant de chasser ces idées de sa tête et sans doute pour se donner bonne conscience , Domdom reprit à mi-voix , tout en considérant la tombe , rectangle de terre gelée , sur laquelle il avait reposé l’écorce de bouleau , une fois nettoyée :

Michelle…
Dès que je le pourrai, je t’offrirai une sépulture digne de toi.
Je te dois bien ça.
Je sais que ça n’a plus aucune importance pour toi maintenant , que c’est avant qu’il aurait fallu que je fasse plus attention à toi , avant ton geste fatal .
Certes , on ne réécrit pas le passé , mais ma venue ici , auprès de toi , prouve que tu comptais beaucoup pour moi et que tu comptes toujours.

Le grand Normand se pencha alors vers sa besace de laquelle il retira précautionneusement des branches de houx, avec leurs boules vermillon , puis les déposa à plat sur la tombe.

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Le vagabond considéra les branches de houx d’un air songeur.
Que lui aurait conseillé Chimera , la verduis (devenue archidruide entre temps , siouplait …) qui avait accepté d’être son guide sur le long chemin du savoir , à la longère d’Etel ?
Dans la symbolique druidique , l’if , porteur de renaissance , aurait été sans doute plus indiqué pour ce cas présent que le houx , symbole de la bonne fortune .
De bonne fortune, Michelle n’en avait pas eu beaucoup durant son existence et surtout pas celle d’avoir un jour croisé la route d’ un encapuché.

Dom regarda une nouvelle fois autour de lui : pas d’if dans le cimetière de La Trémouille .
Quelle ironie du sort : ce devait être d’ailleurs le seul cimetière du royaume de France sans if enraciné sur son sol .
On se contentera des branches de houx.

Reprenant le cours de ses pensées, il se demandait s’il réussirait un jour à être barde , comme il en avait l’intention.
Chimera partie , Lastree bientôt sur le chemin de l’ile mystérieuse et sacrée d’Avalon pour une longue, très longue retraite , qui reprendrait son enseignement ?

Domdom aurait tant souhaité que Lastree , sa compagne , soit à ses côtés, lui tenant la main , même si en cet instant présent , il avait besoin d’être en tête à tête avec Michelle .
Il aurait souhaité aussi que ces deux femmes se rencontrent , s’apprécient , mais cela n’avait pas pu se faire et finalement, ce n’était pas plus mal .

Le Normand avait encore en mémoire la dernière fois qu’il avait présenté sa compagne , Lysannabelle , à Michelle , c’était à Saint Aignan , en janvier dernier et ça s’était plutôt mal passé entre les deux femmes.
Il en avait été mortifié à l’époque , mais sans doute moins que son amie .
Mais le pire s’était passé à Craon , par deux fois d’ailleur , puis à Saumur…


Sentant l’émotion et la nostalgie lui prendre la gorge comme dans un étau , il reprit alors son monologue :

Michelle…Je suis prêt à te dire des choses que je ne t’ai jamais confiées…
Je tenais à …m’excuser de ne pas avoir été celui que tu aurais voulu que je sois.
Tu as donné… J’ai pris …tu as attendu et je t’ai trahi…
Finalement, j’ai été pire que certains autres que tu as rencontré dans ta vie car, en croyant te faire du bien par mon indécision, je te faisais encore plus de mal .

L’homme se releva , marcha quelques instants , puis revint se camper devant la tombe et confessa d’une vois étouffée par le remords :

Je sais que je suis en partie responsable de ta décision de mettre fin à tes jours, Mimi…
Je le sais et le porterai en moi jusqu’à le fin des miens…
Je vais apprendre à vivre avec
Cependant…

Dom s’arrêta quelque temps , avant d’enchaîner

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Michelle, décédée depuis quelques mois, reposait en paix. Elle était partie rejoindre Aristote et les anges au terme d'une longue maladie qu'elle avait refusé de soigner. Elle avait vécu quelques beaux moments dans sa vie, mais la malchance et les mauvais moments avaient finalement eus raison de sa volonté de vivre et c'est avec soulagement qu'elle avait rendu l'âme, seule. Ses dernières pensées furent partagées entre sa fille, le père de sa fille, Sacred et Domdom, son ami de toujours.

Depuis qu'elle avait quitté son corps physique, depuis qu'elle avait trouvé la paix, personne ne l'avait dérangée. Personne n'avait seulement demandé à lui parler, à la voir, pas même son enfant. Mais cela ne la chagrinait pas. Au moins, elle ne se faisait pas déranger. Aussi elle passait ses journées à errer près de sa tombe, à regarder pousser les fleurs dans le cimetière et à les voir fâner ensuite. Le temps, pour les morts, n'existe plus.

Ce jour-là, un homme était entré dans le cimetière. Peu de visiteurs venaient se recueillir sur les sépultures de leurs proches à ce temps-ci de l'année. Michelle l'avait reconnu de loin, elle l'observait, se rapprocha même à un moment pour l'entendre, si il parlait. Il avait l'air de chercher quelque chose. Lorsqu'il parla au gardien des lieux, Michelle compris qu'il était ici pour elle. Si Domdom avait pu la voir, il aurait vu un timide sourire sur ses lèvres, un petit éclat de bonheur dans ses yeux.

Elle pensait souvent à Domdom, se demandant comment se passait sa vie. Elle n'osait pas aller voir, aller virvolter dans son salon, écouter les conversations qu'il avait avec Dame Lastree. Non. Elle se l'interdisait. Il n'avait pas voulu d'elle de son vivant, il n'en voudrait pas plus une fois morte.

Il fini par parler, enfin, elle saurait pourquoi il venait ici la déranger.

Mimi...Ma Mimi..Mon amie…Je suis venu pour te voir…Pour toi

Le sourire disparut très vite , cédant la place à un rictus :

Pourquoi as-tu fait ça ?
Pourquoi ne m’as-tu pas attendu ?

Attendu ? Elle l'avait attendu toute sa vie, il l'avait laissé moisir comme on laisse un vieux fromage pour le plaisir de le savourer quand il sera vieux...

Michelle…
Dès que je le pourrai, je t’offrirai une sépulture digne de toi.
Je te dois bien ça.
Je sais que ça n’a plus aucune importance pour toi maintenant , que c’est avant qu’il aurait fallu que je fasse plus attention à toi , avant ton geste fatal .
Certes , on ne réécrit pas le passé , mais ma venue ici , auprès de toi , prouve que tu comptais beaucoup pour moi et que tu comptes toujours.

Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Son geste fatal ? Elle ne s'était pas suicidée, elle avait attendu la mort, pendant des années. Le fantôme de Michelle croisa les bras, s'il avait eu du sang dans les veines, il aurait sans doute bouilli.

Qu'est-ce qu'elle a ma sépulture ? Tu t'attendais peut-être qu'elle soit couverte de diamants ?

Elle comptait toujours... même morte. C'était au moins ça. Les branches de houx... cela la fit sourire. Peut-être enfin aurait-elle la bonne fortune ? Déjà que Domdom se soit déplacer dénotait un changement dans la direction où le vent de la chance soufflait... c'était trop tard, mais il était là. En chair et en os.

Michelle…Je suis prêt à te dire des choses que je ne t’ai jamais confiées…
Je tenais à …m’excuser de ne pas avoir été celui que tu aurais voulu que je sois.
Tu as donné… J’ai pris …tu as attendu et je t’ai trahi…

Confession ? Secret ? Pardon ? Trahison ? Décidement, cette conversation devenait drôlement intéressante. Le fantôme de Michelle s'agenouilla aux côté de Domdom et attendit la suite avec impatience.

Finalement, j’ai été pire que certains autres que tu as rencontré dans ta vie car, en croyant te faire du bien par mon indécision, je te faisais encore plus de mal .

Lorsque l’homme se releva et marcha quelques instants, Michelle ne broncha pas. Elle lui demanda plutôt de revenir, ce qu'il fit et repris même la parole :

Je sais que je suis en partie responsable de ta décision de mettre fin à tes jours, Mimi…
Je le sais et le porterai en moi jusqu’à le fin des miens…
Je vais apprendre à vivre avec
Cependant…

Ahhhh ! Nous y voilà ! Il se sent coupable et il en veut à la douce Michelle d'avoir mis fin à ses jours, parce qu'il se sent responsable... Elle a quitté le monde pour ne plus être un fardeau ni un souci pour ceux qu'elle aime, et voilà qu'on va lui reprocher de gâcher leur vie à ceux qui l'ont laissée tomber ? C'est donc pour lui gâcher sa paix qu'il revenait ?

Fâchée, elle se déplaça pour être face à lui et lui souffla au visage, un souffle froid et fort qui lui glacerait la peau et lui bloquerait la respiration, une fraction de seconde. Si elle pouvait, elle le gifflerait. Pourquoi pas...

La main du fantôme de Michelle, où ce qu'elle utilisait comme une main, s'élança et frappa la joue de Domdom. C'était prévisible, la giffle ne heurta pas la peau comme une main vivante l'aurait fait. Elle passa plutôt au travers de la peau, de sa mâchoire et ressortie de l'autre côté. Avait-il senti au moins quelque chose ?

Quel pauvre homme tu fais, je t'ai gâché ta vie en partant, pour te libérer de moi, te libérer de nous ! Tant pis pour toi si tu te sens coupable, moi je suis en paix ici et heureuse. Personne ne viens me déranger, pourquoi viens-tu me faire porter une fois de plus le poids de tes soucis ? Ohhh mon Domdom, mon amour à moi, si tu savais...

Michelle se mit à tourner autour de Domdom, lentement, frôlant doucement son corps, soufflant dans ses cheveux. Elle aurait tant voulu pouvoir l'embrasser, le serrer dans ses bras... elle aurait voulu qu'il soit là quand elle avait rendu l'âme, il avait briller par son absence. Mais il était là maintenant. Partagée entre la colère, la joie de le voir, l'amour qu'elle avait pour lui, son envie qu'il l'entende et sâche qu'elle était là, elle ne trouvait rien d'autre que de souffler ses cheveux, de frôler ses mains et ses joues...

Malgré le froid ambiant, Domdom sentit comme un souffle glacé lui frôler la joue , puis lui traverser le corps comme le fil tranchant d’une épée. , l’impression bizarre d’une présence , aussi.
Il se retourna plusieurs fois , s’attendant à trouver quelqu’un derrière lui , peut être le fossoyeur ou quelque villageois venu se recueillir sur la tombe d’un proche , mais rien ne semblait troubler la quiétude de cette matinée hivernale , dans ce petit cimetière , mis à part un carnaval de pies jacassant autour de la cîme d’un grand chêne.

Fixant à nouveau l’écorce de bouleau qui gisait sur la tombe , il la prit en main et entreprit de graver les lettres manquantes , puis , une fois remise à sa place , continua :

Cependant…

Le moment était venu.
Celui de l’engagement pour un homme dont l’indécision avait été érigé en véritable art de vivre .
L’encapuché prit une grande inspiration avant de lâcher :

Ce que j’ai été incapable de t’apporter, Michelle , j’aimerai tant l’offrir à Anaïs , ta fille , qui est aussi ma filleule , n’est ce pas ?
Je ne sais pas où elle vit actuellement , ni à qui tu l’as confiée avant de quitter ce monde qui ne voulait plus de toi , mais j’irai à sa recherche et la retrouverai , j’en fais le serment , ici , devant toi.

Mentalement , le grand brun essayait de calculer l’âge de la fille de Michelle (à peu près dans les trois ans ) et l’endroit où elle pouvait vivre : Saint Aignan ou La Rochelle ou La Trémouille ?

Il se rappelait du bébé que son amie lui avait présenté à Saint Aignan , juste après sa naissance , il avait du la revoir plus tard à Craon , mais n’en était pas sûr.

En plus d’un ami peu fiable, il faisait un bien piètre parrain.

Je suis sûr que tu l’as confiée à des personnes qui sauront l’éduquer dignement et lui rappeler qui étaient ses parents et qu’ils se sont beaucoup aimés , je ne veux pas prendre leur place , je ne revendique rien , rassure toi.
Je souhaite juste devenir pour elle le parrain que je n’ai jamais été .
Rattraper tout ce temps perdu…

En fait , c’était surtout cette impression de gâchis de sa vie que le Vannetais voulait gommer.
Comme un repentir , l’expiation de fautes ou d’erreurs qu’il avait commises et qui avaient fait souffrir ses proches.
Michelle n’était pas la seule personne qu’il avait déçue ou trahie .
Sexte venait de sonner au clocher de l’église de La Trémouille , rompant le silence monacal qui hantait les lieux .
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Un petit cimetière Poitevin endormi sous un épais linceul de neige par une froide matinée d’hiver…
Un homme agenouillé devant une tombe, la tête penchée, semblant parler à son occupant…

Domdom sourit , satisfait : il était enfin en paix avec sa conscience .

Ne serait - ce cet espèce de courant d’air froid désagréable et griffant qui continuait de le harceler , lui tournant autour depuis un bon moment déjà et cette sensation de se sentir épié , il se serait vraiment senti heureux , soulagé .

L’encapuché se releva et resta quelques instants , debout devant la tombe , les bras dans le dos.
C’était décidé , il partirait en quête : après un détour obligé par Vannes, il commencerait la recherche de la petite par Saint Aignan.

Certes, il aurait été plus facile de la débuter par La Trémouille , puisqu’il était déjà sur place , mais le passeur d’histoires avait l’intime conviction que la gamine se trouvait dans le Berry et pas dans le Poitou.
D’autant plus que personne ne semblait connaitre Michelle non plus , ici.

Se baissant pou r récupérer sa besace qui trainait dans la neige, à ses pieds, puis rajustant son chaud mantel , il reprit son monologue :

Je vais te dire au revoir , ma Mimi.
Mais je reviendrai bientôt , je te le promets.
Et qui sait , avec une bonne surprise, peut être ?

Rabattant sa capuche sur sa tête , l’homme jeta un dernier coup d’oeil sur le carré de terre gelé , veiné de traces de neige glacée , avec son écorce et quelques branches de houx comme uniques atours .

Puis il traversa à nouveau le petit cimetière enneigé , essayant d’épouser ses empreintes laissées à l’aller.

La barrière émit à nouveau un double grincement , puis le silence enveloppa à nouveau sur les lieux.
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[Quelques semaines plus tard…]

L’arrivée de Domdom fut accueillie par le même bruit de chuintement de la barrière qui s’ouvre et se referme que lors de sa précédente (et première ) visite au cimetière de La Trémouille.
Preuve s’il en est que personne n’avait jugé bon d’en graisser le mécanisme d’ouverture.
Sans ce bruit caractéristique, l’encapuché n’aurait pas reconnu les lieux , tant ils semblaient avoir changé.

Exit l’épais manteau neigeux qui recouvrait uniformément les allées et les sépultures , que ses pas avaient défloré en décembre dernier : le petit cimetière endormi par les rigueurs hivernales avait laissé place à un lieu presque vivant (si tant est que l’on puisse désigner un tel endroit par cet adjectif) , caressé par le douce luminosité d’un soleil presque printanier.


Pourtant , il ne s’était écoulé qu’un peu plus de deux mois depuis la dernière fois , délai que le colosse brun avait mis à profit pour rentrer chez lui , à Vannes , dans un premier temps, puis pour se rendre dans le Berry , avant de revenir ici.
Il allait avoir des choses très intéressantes à dire à Michelle, pour sûr.

C’est donc le sourire en coin et le pas souple et sûr de lui , que le conteur se dirigea parmi les sépultures , vers celle dont il reconnut assez facilement l’emplacement.

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Le bandeau d’écorce reposait encore sur le tertre de terre que quelques herbes folles avaient commencé à coloniser .
Par contre , les branches de houx aux boules vermillon avaient disparu , certainement happées par le vent d’hiver ou une main chapardeuse.

Accroupi au bord de la tombe de son amie , l’encapuché entreprit de la nettoyer , arrachant ici où là des adventices , lissant la terre griffée par endroits d’un plat de main.

Puis il se lança , un énigmatique sourire en coin :


Michelle ?


Comme si elle pouvait l’ entendre …
Comme si elle pouvait lui répondre …

Le Normand de Bretagne avait hâte de continuer son monologue , cependant , il se forçait à parler lentement, essayant de mettre de l’ordre dans ses idées :

Je suis de retour , Mimi , comme promis !
Je reviens du Berry , avec du nouveau.

Nouvelle pause, que le passeur d’histoires met à profit pour se désankyloser les jambes , puis il reprend sur le même ton mystérieux :

Ca n’a pas été facile, tu sais .
Saint Aignan a beaucoup changé depuis la dernière fois où j’y étais passé .
Les nouveaux habitants n’ont jamais entendu parler de toi , ni de Sacred
Quant aux anciens , ils ne se souviennent pas que vous ayez eu une petite fille ensemble.
Je pensais que Poumona pourrait m’aider , mais elle a déménagé à Limoges

Bref coup d’œil vers les boquetaux environnants , dont les bourgeons gonflés de sève nourricière commencent à s’ouvrir en de belles promesses printanières , puis l’encapuché baisse à nouveau les yeux vers la sépulture :

Mes recherches ont duré plus d’un semaine : je questionnais tout le monde, partout , en taverne , sur le marché , dans les champs , à la mine….et même à l’église , pendant la messe…C’est dire !

Petit rire discret du grand brun aux yeux noisette , qui convient tout à fait à l’endroit :

Je m’étais résolu , la mort dans l’âme , à quitter Saint Aignan et à continuer ma quête ici , en compagnie d’Evanaelle , ma nouvelle compagne , quand , une nuit, très tard , alors que je m’apprêtais à retrouver ma belle en notre chambre d’auberge , le plus grand des hasards m’a fait ouvrir la porte d’une taverne .

L’évocation du nom de sa poupée rousse eut pour effet d’accélérer les battements de son cœur, cependant , l’encapuché continua, sur un ton égal.
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L’encapuché se remémorait la scène avec une netteté absolue : une jeune fille seule , dans une taverne , penchée sur son ouvrage , tout juste éclairée par une chandelle famélique.
Elle semblait attendre quelqu’un avec la constance de ces gens qui laissent le temps glisser sur eux , sans vagues, ni heurts.
Après avoir engagé la conversation avec la blondinette et lui avoir expliqué le but de sa présence à Saint Aignan , Le Normand de Bretagne la vit alors tourner vers lui son visage juvénile :

Anais me dites vous , Messire ? Il se trouve que je connais une petite fille répondant à ce nom .
Si vous êtes un peu patient, vous allez pouvoir la voir …


Domdom , toujours debout devant la tombe , reprit le cours de son récit , la voix encore tremblante d’émotion:

Et dans cette taverne , je suis tombé sur l'une des trois seules personnes qui connaissaient l’existence de ta fille , Michelle.
Elle m’ a appris que c’était à son frère à qui tu avais confié la petite.
Plus tard, dans la nuit , il est passé .
Il s’appelle Lebarbar , n’est ce pas ?


Nouveau moment de silence du conteur , qui se baissa alors vers sa besace et en sortit une plaque de granit , qu’un tailleur de pierres de Rohan avait gravé au nom de son amie et qu’il déposa sur le rectangle de terre à la place de l’écorce , qui commençait à se déliter sérieusement.



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