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[RP] Quand on coule, il y a deux possibilités...

Terwagne_mericourt
Quand on coule, il y a deux possibilités : s'allonger pour ralentir la chute, ou tenter de toucher le fond pour rebondir.

S'allonger, rester immobile, les yeux fermés, le coeur et les sens clos, elle l'avait fait durant pas mal de temps à présent, ne partageant ses heures de conscience qu'avec la nuit et le vent, fuyant la moindre compagnie, y compris celle de celui qui pourtant jamais ne l'avait abandonnée, pas même au plus noir de l'orage, ou plutôt des orages. S'isoler, dormir le jour et vivre la nuit, en se disant que le noir et le silence ont quelque chose de stable, de rassurant, tout comme la solitude... Voila à quoi s'était résumée son existence depuis la fin de son mandat de Gouverneur, le travail et le devoir l'ayant tenue debout pendant celui-ci. Et pour être certaine que personne ne vienne troubler sa chute, elle avait même quitté la demeure de Kernos et prit la route afin d'aller s'isoler dans une taverne du fin fond du Lyonnais-Dauphiné, espérant que personne ne viendrait l'y chercher.

Personne ne vint, en effet... Juste quelques missives de la Cour d'Appel, ainsi que deux ou trois invitations auxquelles elle se rendit en se faisant violence, juste avant de décider de ne plus ouvrir son courrier.

S'allonger pour ralentir la chute? Non, ça n'était pas exactement pour la ralentir, dans son cas, juste pour se donner l'impression de ne pas l'accélérer. Ne pas faire un geste, ne plus dire un mot, ne pas même essayer de sortir la tête de l'eau ou entrouvrir les lèvres quelques secondes, parce qu'au final l'air nous est devenu bien trop écoeurant.

Pour ne pas voir le temps s'éterniser, elle s'était mise en tête de répertorier les quelques affaires personnelles que sans doute on enverrait à sa famille après son décès, un peu comme un noyé se repassant en mémoire les moments-clés de sa vie au fil de sa descente. Sa famille? Mais quelle famille? Elle n'avait plus de nouvelles d'aucun depuis des années, si ce n'était de sa soeur Milyena, et il lui semblait qu'elle aurait encore préféré voir tout s'envoler en poussière avec elle que de finir entre les mains de cette dernière.

C'est lors d'une de ces séances nocturnes de passage en revue de ses effets personnels qu'elle tomba en arrêt devant un très vieux croquis de son blason, croquis fort peu ressemblant il faut bien l'admettre, mais sur lequel figuraient son cry et sa devise. Le "Y a bien pire que mourir" lui donna envie de rire nerveusement, sur le coup, tandis que le "Tout sauf subir" la fit se lever brusquement, comme un miraculé quittant sa couche.

"Tout sauf subir...". Mais elle était pourtant bel et bien en train de subir une chute au lieu de... Elle pourrait au moins ne plus subir, mais bien la provoquer!

A partir de cette nuit-là, elle changea radicalement d'attitude. Finies les journées passées à dormir, finies les nuits passées à attendre... Uniquement des heures passées à ouvrir encore et encore les lèvres, non pas pour s'exprimer, mais bien pour ingurgiter des litres et des litres de calva, se diluer le sang dans l'alcool, accélérer la chute.

L'alcool a des vertus curatives, parait-il, et il faut croire qu'il en eut sur elle au moment où son corps touchait réellement le fond...

L'aube se levait et commençait à promener ses rayons sur le plancher où elle avait passé la nuit à boire, incapable d'encore se lever pour rejoindre sa couche, lorsque le sommeil se décida à l'emporter vers des songes éthyliques, comme chaque matin ou presque. Mais ce jour-là, point de monstres ni de feu dans ses rêves... Juste un homme! Un homme dont longtemps elle se demanderait ce qu'il était venu faire dans son sommeil imbibé, lui qu'elle aurait voulu voir une fois encore en salle d'audience à Paris, mais surtout pas au coeur de ses songes. Cet homme, dont elle avait toujours admiré la manière de manier le verbe, même si il s'en servait à des fins avec lesquelles elle n'était pas en accord, s'invitait donc dans son rêve, et pire encore s'y moquait d'elle, ironisant sur le fait que pas plus que lui elle ne donnerait une dernière représentation avant de saluer et de quitter la scène, qu'elle ne mènerait pas à terme ses projets avant de s'en aller...

Elle ouvrit les yeux en sursaut, mais aussi les lèvres, lui répondant à voix haute, comme si elle était persuadée d'être passée dans le monde que lui avait rejoint plusieurs jours auparavant.


Si j'avais eu des projet à achever, je ne serai pas là!
Je n'ai plus de projet, le voila bien le soucis!
Plus rien comme projet... Rien! Aucun!


Pas de réponse, fort logiquement. Juste le sommeil et l'ivresse qui l'emportent à nouveau, et l'homme en question qui réapparait au milieu de ceux-ci, pour ne prononcer que quelques phrases, lui dire que tout cela n'est que baliverne, qu'un projet ça se trouve, ça se crée, et qu'elle qui le considérait lui comme un défi à la Cour d'Appel, elle ferait bien de s'en donner d'autres des défis, ici-même.

Se créer des défis? Se trouver des projets? Elle se leva et courut vomir, l'estomac tordu par le calva. Et c'est à cet instant, là, dans cette chambre d'auberge, alors qu'elle était agenouillée devant une bassine, que le rebond eut lieu... Au milieu des relents d'alcool, au milieu aussi des souvenirs d'échos d'une voix que plus jamais elle n'entendrait à Paris, elle toucha le fond et rebondit.

Quelques instants plus tard, elle écrivait à Kernos, très brièvement, très étrangement. Peut-être qu'il comprendrait, peut-être pas...


Citation:
Mon Toi...

Je remonte!

J'ignore pour combien de temps, j'ignore si j'irai jusqu'au bout, mais j'avais besoin d'un projet et d'un défi pour m'en donner l'envie.

Ce projet, je viens de le trouver ce matin, il ne me reste plus qu'à me rendre au Palais Sainct Pierre pour le présenter aux autres membres du Comité des fêtes ducales, l'améliorer avec eux, et surtout le mettre en place.

J'imagine que jamais tu ne me pardonneras mon silence, ma distance, mon absence, mais au moment de rebondir, c'est à toi que j'avais envie d'écrire.


Terry.

PS : Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même au coeur de ma noyade.


Ensuite, elle ramassa les quelques missives glissées sous sa porte depuis des jours et des jours, essaya d'en deviner les auteurs sans les ouvrir, en trouva certains, et les glissa dans sa besace afin de prendre la route de Lyon. Elle les lirait en chemin, ces lignes tracées de la main d'Aimelin, de Pénélope, de...
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Kernos
Entre solitudes et certitudes, il y a l'errance.

L'hiver était venu, apportant avec lui un silence immaculé qui avait enveloppé l'esprit et le coeur de Kernos, comme la neige et le gel pétrifient les cours d'eau et les terres. Décidément, il commençait à haïr cette saison autant qu'elle l'émerveillait... voilà bien un an que l'hiver ne lui apportait que choses néfastes, deuil et séparation... Ironie du sort? Ou bien avait il poussé le mimétisme avec son emblème à ce point, pour qu'il lui faille à présent mourir à nouveau en espérant renaître au printemps?

Le Conseil achevé et la cérémonie d'anoblissement où ils furent élevés close, elle avait disparu avant qu'il n'ai pu la remercier pour cet honneur qu'elle lui avait fait malgré les risques qui en découlaient, emportant avec elle les sourire et la chaleur qu'elle avait fait naître en lui... la Lune s'était éclipsée, et la lumière dans les ténèbres s'était évanouie, ne laissant que l'obscurité tout autour de lui. De là avait commencé son errance personnelle... Une de plus ou une de moins me direz-vous. Certes, le Rouvray ne s'égarait pas pour la première fois dans les sentiers sinueux et isolés de son propre esprit mais, comme chaque voyage recèle son lot de nouveautés, chaque tourment est différent du précédent, et celui-ci était double: l'un avait le goût et le parfum de Terwagne, l'autre celui amer de la déception et de l'acédie, voir même de la colère.

Ainsi, c'est seul et perdu au milieu des montagnes du Croc et du Buc, tel un arbre isolé au milieu d'une vaste plaine, que le nouveau Baron de Mévouillon assista au premier jour de Décembre, avant de gagner la solitude encore plus profonde d'un monastère pour faire retraite de ce monde qu'il ne comprenait plus et de s'enfoncer plus en avant encore dans les méandres de son âme... après tout, les clercs ne sont ils pas aux âmes, ce que les guérisseurs et barbiers sont aux corps? Et de vague à l'âme en vagues larmes, de jeûnes en prières, de ruminations en méditations, ainsi se passèrent les jours pour le Rouvray, sans vraiment trouver de remèdes, ni de refuges aux maux qui l'agitaient intérieurement.

C'est alors qu'un jour froid (car y a-t-il vraiment de beaux jours en cette saison?),peu après de l'office de tierce, une des hommes travaillant pour le Rouvray, vint apporter une lettre à son attention. Dès qu'il la saisit, un frisson s'empara du Baron de Mévouillon... cette odeur de giroflée se pourrait-il que...? Sans se poser d'avantage de question, il défit le cachet avec une sorte de frénésie qu'il n'avait point connu depuis que... depuis qu'elle avait disparu dans le silence. Ses doigts fébriles caressèrent avec révérence et une envie bien mal dissimulée le vélin de la missive, tandis que ses yeux se posaient sur l'encre séchée. Cette écriture et cette adresse, "Mon Toi", oui, c'était elle... elle! Aucun doute possible alors qu'il dévorait ces quelques lignes avec avidité, espoir, amour. Oh... oui, certains se draperait dans leur honneur de mâles blessés, leur orgueil d'homme dédaignant les aveux d'une femme qui s'est éloignée de lui, mais Kernos n'était pas de ce genre non... quand on a connu la grandeur et les affres de l'amour, on finit par comprendre que la vanité en amour n'est qu'une affaire de stupidité. Croire que l'autre sera toujours là, parfait, infaillible, dénotait d'un certain manque de maturité affective, d'illusions juvéniles que le Rouvray avait perdu depuis longtemps. L'homme et la femme sont faibles, faillibles, imparfaits, soit l'on accepte cette vérité et on aime l'autre sans réserve, dans son entièreté, le beau comme le laid, le misérable comme le grandiose, soit on le refuse et l'on passe à côté du grand amour.

Quand il eut terminé sa lecture, il plia délicatement pour la ranger dans son pourpoint et se précipita vers sa cellule pour porter réponse à la Demoiselle du bout de sa plume.


Citation:
Ma Lune,

Pardonne moi d'avoir mit tant de temps à te répondre, mais le temps que ta lettre me parvienne dans le monastère où je m'étais retiré plusieurs jours se sont écoulés, mais j'ai bonne espoir que malgré ce retard, tes pensées seront toujours les mêmes au moment où tu liras ces lignes tracées de ma main.

Ta lettre... que dire sinon qu'elle vient de briser l'hiver dans lequel je m'étais enfermé pour accueillir un avant-goût de printemps... Sous la neige et la glace, un bourgeon s'agite, attendant son heure pour éclore dans toute sa splendeur.

Sache que je te pardonne, comme j'espère que tu pardonneras ma distance et mon mutisme, et que si ton rebond ne t'amènes pas dès à présent dans mes bras, ceux sont eux qui viendront à toi.

Je t'aime à jamais.

Ton Chêne.


Il ferma le pli, puis confia ses petites notes d'espoir et de promesses à son valet pour qu'il aille les porter à la Demoiselle de ses pensées. Puis, il fit préparer ses affaires et quitta l'ermitage pour ses terres, la vie reprenait ses droits et avec elle, une certitude: il l'aimait et elle aussi, et rien d'autre importait.
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Terwagne_mericourt
Jour de la Saint Noël de l'an de grâce mil quatre cent cinquante huit :

Combien de jours et de nuits s'étaient-ils succédés depuis son rebond? Elle ne les avait pas compté, s'était même efforcées à ne pas les compter, ne sachant que trop bien à quel point matérialiser par des chiffres la longueur de son attente d'une réponse de Kernos l'aurait faite replonger...

Heureusement, le projet de festivités dans lequel elle s'était lancée corps et âme lui prenait beaucoup de temps et d'énergie, la faisant oublier toute notion de temps et d'attente, et l'alcool continuait à l'aider à trouver le sommeil les soirs où la solitude reprenait le dessus sur le reste, amenant avec elle son cortège d'idées noires.

Et puis, quelques jours à peine après qu'elle aie sorti sa tête de l'eau et recommencé à fréquenter si pas encore le monde et ses tavernes, mais bien le Palais de Sainct-Pierre et ses collègues du Comité des fêtes ducales, ses anciens partenaires politiques l'avaient contactée pour qu'elle se joigne à eux sur la liste aux élections. Elle avait hésité quelques temps, puis avait fini par se décider à en être, et de fil en aiguille elle s'était vue nommée Porte-Parole ducal dans le nouveau Conseil Ducal... Cela aussi occupait pas mal ses journées et soirées, et cela valait sans doute mieux pour sa santé émotionnelle qui - quoi qu'elle tente de se convaincre du contraire - n'était encore qu'une petite flamme bien vacillante.

Elle fréquentait donc à nouveau les places publiques, le repère des Gones, le Castel de Pierre-Scize... Tous ces endroits où elle avait espéré en vain le croiser au détour d'un coin de rue ou de couloir, rêvant de se trouver nez à nez avec lui pour lui dire de vive voix toutes ces choses pour lesquelles elle n'avait pas trouvé les mots à coucher sur le vélin, ce vélin auquel elle continuait désespérément d'attendre une réponse.

Et puis un soir, entre deux gorgées de calva au goût amer de solitude, elle vit glisser sous la porte de sa chambre d'auberge une missive qui semblait avoir traîné plusieurs jours sur les routes enneigées. Point besoin de l'ouvrir pour en connaître l'expéditeur, elle avait tellement espéré voir un jour à nouveau son scel qu'elle le regarda longuement, les yeux humides d'émotion et d'angoisse, avant d'enfin oser le rompre pour découvrir la réponse tant attendue.

Une heure plus tard, elle réglait sa note à l'aubergiste - note bien élevée au vu du nombre de jours durant lesquels elle avait occupé cette chambre - et lui confiait la charge de faire transmettre une missive.


Citation:
Mon Toi,

Trop de nuits se sont éteintes depuis la dernière où nos deux souffles se sont croisés et mêlés.

Trop de fois la lune s'est levée sans que je puisse en observer les reflets sur ta peau.

Trop de grains de sable se sont écoulés dans les sabliers de nos deux vies sans que je puisse sentir couler la force et l'amour dans tes veines en posant simplement mes lèvres dans le creux de ton coude ou encore celui de ton épaule.

Trop de temps s'est évaporé sans que je puisse te faire sentir et voir la force de mon amour pour toi.

Voila pourquoi je prends la route dès ce soir, sans m'encombrer d'escorte ou de coche qui ne feraient que me ralentir. Le froid de la chevauchée ne me fait pas peur, puisqu'elle me conduira vers ta chaleur.

Attends-moi à Glandage, j'arrive au plus vite.


Ta Lune.

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Kernos
A mi-chemin...

A mi-chemin entre solitudes et certitudes, il y avait eu l'errance brisée par un signe du destin, aussi fin qu'un bout de parchemin ou que les lignes à l'encre tracées du bout d'une plume rendue fébrile par l'émotion, s'étant mis en travers de la route pour le remettre sur la bonne voie, celle qui le mènerait à bon port, là où était sa place, là où un plus grand voyage attendait qu'on le poursuive. A mi-chemin, ses doutes et ses solitudes s'étaient brisées sur cette certitude, comme l'écume se brise sur le rocher: elle l'aimait toujours... Et à mi-chemin entre l'ermitage où il s'était retiré et Glandage, ses premières terres où il avait décidé de séjourner dans un premier temps, il y avait la neige et les montagnes à franchir.

La chevauchée fut rude, le vent d'hiver était glacial, mordant malgré l'épaisse cape de fourrure qu'il avait revêtu et avait recouvert la route d'une pellicule de givre rendant périlleux l'entreprise. Pourtant, malgré les conditions et les éléments qui avaient décidé, semble t-il, d'éprouver le Rouvray, sa volonté ne faillit point. Au contraire, les rafales avaient beau griffer son visage découvert, sa monture avait eu beau glisser à plusieurs reprises sur un pavé traître, Kernos bouillonnait d'excitation. Entre soulagement et joie, entre frisson et passion, entre espoir et impatience, il allait à travers les étendues blanches avec l'envie de rire et de chanter, cavalier isolé au coeur des montagnes dauphinoises que seuls son propre écho et les grondements d'Eole accompagnaient et pourtant... il ne se sentait aucunement seul. Fini les affres de l'isolement qui vous rongent, vous assomment et vous noient au plus profond de vous-mêmes. Fini la peur, l'incertitude et le silence assourdissant de la solitude... il n'avait plus froid, il n'avait plus faim, ni soif puisqu'il l'avait à nouveau.

Il lui fallu deux jours pour achever la route, tant les conditions étaient mauvaises pour pareil voyage, profitant de l'hospitalité d'un bon curé montagnard pour faire étape, car bien que décidé à affronter les intempéries, il n'était ni fou ni téméraire pour risquer d'affronter une nuit à la belle étoile en plein coeur de l'hiver qui aurait été sans doute sa dernière, la neige lui servant à la fois de drap et de linceul pour un repos éternel. A contrecoeur, il avait donc consenti de faire halte pour un lit de paille et un bol de soupe chaude, pour reprendre de bon matin son chemin qui le mena, après quelques heures, en vue des tours du Castel Rouvray.

Le temps pour le seigneur de déballer ses effets, de recevoir ses gens pour entendre les nouvelles et leur donner directives pour la bonne tenue de ses biens et affaires, de faire bonne pitance après tous ces efforts pour rentrer en son logis, que déjà l'on sonnait complies lorsqu'un de ses valets vint lui apporter la lettre signée de la main - mais surtout de la femme - tant aimée.

Comme un homme venant de passer plus d'un mois dans le désert à jeûner que l'on placerait devant une table dressée des victuailles les plus succulentes, il dévora avec reconnaissance et urgence les mots de sa Lune. D'avides, ses yeux devinrent tendres, puis troubles sous le flot des souvenirs si vivants que sa lettre évoquait en lui... Son étreinte... sa chaleur... la douceur de sa peau et des mots murmurés dans un souffle... son parfum... sa force... Toutes ces choses qui faisaient s'embraser son sang et les battements de son coeur pour qu'explose dans un grondement assourdissant de passion et d'amour la vie elle-même... Et que naissent les montagnes et les océans, que se déchirent les cieux pour accueillir la lumière et l'obscurité, que soufflent les vents et hurlent les orages, que la terre se brise pour qu'éclate le feu de ses entrailles... Oui, que le monde s'effondre à nouveau pour renaître encore et encore, et que résonne à jamais le fracas de l'Amour envahissant la Création... Que revienne Terwagne pour détruire son univers, pour le faire voler en éclat et qu'il puisse renaître dans ses bras, encore et encore, pour qu'ils se fondent corps et âmes dans ce Nous, à nouveau.

A mi-chemin, entre passé, présent et futur. A mi-chemin de leurs retrouvailles qu'il désirait tant. A mi-chemin, il l'attendrait à Glandage, donnant des ordres à ses gens pour préparer son arrivée, s'activant lui-même pour tromper l'impatience de la retrouver. Et s'il ne pouvait la prévenir qu'il se tenait là, brûlant de la serrer contre lui, ne sachant où elle pourrait faire étape pour lui faire parvenir un message, il fit allumer de grands feus au sommet des tours et des murailles, pour que l'antique forteresse transperce le voile de la nuit, comme un phare immense pour la guider jusqu'à lui.


Je t'attends, ma Lune, murmura t-il aux vents franchissant les cols au coeur de la nuit.
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Terwagne_mericourt
Entre le feu et la glace :

La route qui la mènerait vers ses bras, son souffle, ses lèvres, sa peau, sa voix, sa chaleur, elle l'avait prise le lendemain dès l'aube, sans s'encombrer de rien, avec la même fièvre insouciante que mettrait un prisonnier à quitter sa geôle, se moquant bien des quelques affaires personnelles qu'il aurait pu récupérer et emmener pour son retour à la vie.

Une paire de bottes noires, une cape de la même couleur, des braies rouges, une chemise blanche, une flûte glissée dans sa poche, et un petit sac contenant sa fiole de calva, une poignée d'écus, et ses lettres... Voila tout ce qu'elle avait sur elle au moment où elle avait mis le pied à l'étrier, le coeur à la fois léger et pourtant si lourd de la distance qui les séparait encore. Après tout, que sont trois cents lieux à parcourir quand l'infini vous attend ensuite? Rien! Un noeud dans le lacet du corsage d'une jeune épousée! Juste de quoi vous rendre encore plus impatiente et brûlante en rêvant au moment où enfin le tissus rejoindra le sol avant que votre dos ne fasse de même.

Ces trois cent lieues, elle s'était vue les parcourir sans y penser, à la vitesse des battements du métronome qui se trouvait dans son coeur impatient, s'arrêtant uniquement dans des auberges de passage pour se reposer à la nuit tombée.

C'était d'ailleurs dans une de ces auberges, au soir du deuxième jour, alors qu'elle pestait sur la neige qui avait ralenti sa chevauchée, qu'elle avait rencontré le troubadour qui lui avait indiqué un raccourci au travers des montagnes. Il lui avait tout expliqué, dans le moindre détail, et pour être certain qu'elle s'en souvienne, il avait même été jusqu'à lui tracer un petit plan sur un bout de vélin, le tout en échange d'un air de flûte qu'elle avait pris bien du plaisir à lui offrir. Une rencontre simple, joviale, légère, comme elle les avait tant aimée à l'époque où elle-même menait cette vie dont il n'avait cessé de lui rappeler les joies et les bonheurs. Une rencontre brève mais qui vous marque. Ce genre de rencontres qu'elle regrettait certains jours en passant devant les tavernes lyonnais-dauphinoises, où les voyageurs se faisaient bien rares.

Elle l'avait quitté le sourire aux lèvres, se faisant la réflexion que lui non plus, comme tant d'autres troubadours, elle ne l'oublierait pas de si tôt, il aurait une petite place dans sa vie. Et elle ne croyait pas si bien dire, loin de s'imaginer que quelques heures plus tard elle se maudirait de l'avoir écouté, en se disant qu'il allait être le dernier visage qu'elle aurait vu de sa vie.

Auberge quittée avec une miche de pain et une fiole remplie glissées dans son barda, elle prit le chemin indiqué par celui qu'elle surnommait déjà son "sauveur", celui qui grâce à ses indications allait lui permettre de rejoindre plus rapidement l'homme de ses pensées, l'homme de ses désirs, l'homme de ses envies, l'homme de ses forces, l'homme de ses fragilités, l'homme de sa vie tout simplement.

Le premier tiers de l'itinéraire indiqué, elle l'avait retenu, et le parcourut sans encombre, la brûlure du froid sur sa peau contrastant incroyablement avec la brûlure du sang bouillant qui coulait dans ses veines en murmurant son prénom, comme si ces deux syllabes chuchotées au coeur des montagnes allaient s'envoler dire aux nuages de cesser de pleurer sur elle leurs flocons afin qu'elle puisse avancer plus vite encore.

C'est alors qu'elle allait entamer le second tiers de cette fin de voyage que les choses dérapèrent, et pas par une glissade d'un des sabots de son cheval, comme on pourrait le lire dans un des récits de Barbara (pas celle qui aime les aigles noirs, l'autre^^). Pas de chute de cheval, non, pas de fausses couches non plus, de toute façon elle n'était pas enceinte. Juste une mémoire défaillante, et un plan introuvable.

Et pour cause... Pressée de reprendre la route, elle l'avait oublié sur un coin de table.

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Kernos
Entre impatience et précipitation... bah y a pas grande différence

Trois jours... c'est long. Peut être n'est-ce point grand chose quand on le dit ou lorsqu'on l'écrit, mais à vivre, quand l'amour se trouve au loin, et à attendre, quand celui-ci s'est annoncé, trois jours... c'est long. Au premier jour, la moitié s'était déjà largement écoulée avant qu'il n'apprenne la nouvelle que Terwagne viendrait le rejoindre en son castel. L'ivresse de cette annonce et les ordres qu'il avait donné pour préparer l'occasion avait consumé ce qui resté de la journée, et c'est tout tremblant du souvenir de son étreinte et de sa chaleur qu'il s'endormit, s'abandonnant au monde des rêves où son regard et son sourire constellaient le ciel comme des milliers d'étoiles. Il y eut un soir, il y eut un matin.

Au second jour, il se leva particulièrement joyeux, comme il ne l'avait point été depuis bien longtemps. Il demanda à ce que l'on aille quérir le barbier, puis donna consigne aux chambrières et aux valets de chambre de préparer la
Camera comme il se devait, au queux et à ses cuisinières, à l'échanson, au panetier, à leurs aides de s'activer aux cuisines. Il envoya également son fourrier s'approvisionner en bois de chauffe en compagnie de quelques pages pour garnir le cellier auprès de ses gens du bourg de Glandage... ceux-ci se plaignaient que la route n'était point très bonne avec toute cette neige? Très bien, il envoya quelques sergents pour déblayer la route conduisant du château au village, et qu'on en fasse de même dans la cour, il serait dommage que les chevaux glissent et se blessent au sein même de l'enceinte... les chevaux... que les écuyers, les palefreniers, les valets et les pages aillent s'assurer que les bêtes ne manquaient point de fourrage et que leurs écuries étaient à l'abri du froid. Ceci ordonné, il s'autorisa quelques ablutions et un passage sous la lame experte du barbier afin d'égaliser ses cheveux ayant bien poussé lors de son retrait du monde et d'ôter la fine toison qui ornait son menton et ses joues. Propre comme un sous neuf, il gagna les remparts pour une revue des troupes et des remparts du Castel. On avait bien suivi ses consignes, chaque plateforme avait été pourvu d'une bonne réserve de fagot et chaque homme d'une torche pour assurer les veilles de nuit. On avait également passé consigne aux guetteurs du Col de Grimone et ceux du Gats, des feux éclairaient chaque nuit les deux entrées du domaine de Glandage. Kernos hocha la tête, satisfait de ses gens, et les remercia avant d'ajouter un dernier ordre.

Qu'une estafette aille prévenir les marches, si l'un des gardes en faction aperçoit la Vicomtesse d'Orpierre, qu'il le signale en tirant une flèche enflammée vers les cieux. Quand à vous, dit-il en s'adressant aux gardes du castel, si vous apercevez ce signal faite sonner trois long coup le cor et qu'on vienne me signaler de quelle direction venait le trait. Rompez!

Puis, il reprit la direction du logis pour voir où en était le reste de sa mesnie. Le château entier était en ébullition, à la mesure de son seigneur, des cuisines aux chambres, des écuries au donjon, tout n'était plus qu'animation... spectacle presque invraisemblable au coeur de l'hiver, mais surtout en ce domaine où les jours sombres et la mélancolie avaient d'avantage régné que l'allégresse. Dans chaque pièce, l'on s'activait avec entrain, il faut dire qu'on ne recevait pas souvent ici, et la perspective de sortir du quotidien donnait du coeur à l'ouvrage. Si l'on s'était fié aux bruits qui résonnaient d'un bout à l'autre de l'ancienne forteresse - et à la plume parfois trop leste du narrateur -, l'on aurait cru qu'une compagnie entière avait pris logis, à moins que cela ne soit la mesnie Hellequin prenant ses quartiers d'hiver. Toutefois, malgré tout ce remue-ménage autour de lui, malgré le fait que son attention et ses directives étaient attendues en chaque lieu dont il s'approchait ne lui laissant aucun répis dans ses préparatifs, le Rouvray ne cessait de s'impatienter.

Souvent décrit comme un homme patient, que l'on croyait souvent imperturbable, voir froid et distant, d'un tempérament calme, voir pondéré... et bien là, il n'en était rien. Tantôt en cuisine à écouter les propositions de son maistre queux et à enjoindre les valets de cuisine à se presser de ranger les jambons et les volailles, à traiter avec plus de délicatesse les oeufs et les fromages, Saint-Marcellin, Arôme de Lyon et autres Tomme venu de Combovin ou de Crest, tout en question l'échanson sur la provenance des tonnelets de vin qui restaient en cave, et s'il avait bien penser au calva. Tantôt dans ses appartements, à vérifier qu'il ne manquerait point de petit bois dans sa chambre et dans le petit salon, et si les chambrières avaient fait suffisamment de place pour que la Demoiselle Méricourt puisse déposer ses effets personnelles dans la garde-robe, bien qu'il savait qu'elle était plutôt encline à voyager léger. Tantôt dans la cour, à regarder si les bannières que le vent avait arraché les nuits dernières étaient recousues et dressées à nouveau, ou bien si ses valets d'écuries n'avaient pas oublié de colmater une fuite dans la grange où l'on entreposait le foin et la paille pour les bestiaux... Bref, vous l'aurez compris, il ne tenait plus en place, et au moindre moment d'inaction forcée de sa part, le voilà qu'il trépignait comme un cheval mal débourré auquel on présente un licol.

Impatience... Ô Impatience! Poison sucré d'insinuant lentement dans nos veines, te mêlant à notre sang dans ta course pour excité notre coeur et notre esprit, te répandant sournoisement dans la moindre parcelle de notre être, brûlant notre chair si fragile de ton étreinte avide et inondant nos oreilles affables du flot obsédant de tes paroles capiteuses... Pernicieuse Impatience! Ô obsédante Impatience! Vielle compagne de l'Humanité, à la fois complice et bourreau, distribuant ton breuvage aux amoureux pressés de se retrouver, aux enfants face au monde qui les entoure, aux prisonniers au fond de leur geôle guettant la Liberté, aux malades attendant la fin de leurs tourments, aux assassins et aux détrousseurs tapissés dans l'ombre en épiant leurs proies, aux voyageurs reconnaissant les derniers pas les séparant de leur foyer... Sorcière! Tu distilles la peur, le doute, la colère, la folie, l'envie, la douleur et la tristesse dans ton alambic infernal et nous en sert le fruit, pauvres esclaves que nous sommes face à nos passions et à notre démesure... Impatience, ô Impatience! Voilà que tu t'es emparée de Kernos à présent, regarde-le comme tu as si bien réussi à le soumettre à tes volontés, il tourne, il s'agite, il danse comme une marionnette dont tu détiens les fils, tellement impatient de s'imprégner de la chaleur et du parfum de sa Lune qu'il s'abandonne à tes caprices. Le soleil se couche au loin, observe donc, vielle harpie, tu as gagné, il fait les cent pas dans sa chambre, il souffle, il se lamente: "
Terwagne! Ô ma Terwagne! Comme il me tarde de te retrouver, de nous retrouver!" pauvre âme tourmentée... Es-tu satisfaite? Tu le possèdes à présent, le voilà qui se couche... il se tourne et se retourne dans ses draps, le sommeil le fuit tandis que grandit en lui l'appétit et l'absence que tu lui as rendu intolérable.

Il y eut un soir, il y eut un matin.

Au troisième jour, l'aube s'était à peine levée qu'elle découvrit le Rouvray sur les murs de son castel, le regard perdu dans la contemplation de l'horizon. Il n'avait point dormi de la nuit, tout juste somnolé, tant il n'avait eu de cesse de penser à elle, elle et encore elle, étendu sur son lit. Pourtant, il n'était point épuisé, bien au contraire. L'oeil vif, accoudé au créneau sans aucune marque lassitude, il savourait la caresse glacial du vent d'hiver sur sa peau, prémisse d'une journée nouvelle qui verrait le renouveau des deux amants qui ne feraient bientôt plus qu'un.

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Terwagne_mericourt
I.-D'un troubadour, d'une demoiselle distraite, et d'un... plan oublié :

Après s'être rendue compte qu'elle avait oublié à l'auberge le plan de celui qu'elle avait pris pour un sauveur mais qui se retrouvait soudain dans le rôle du "vilain gros méchant qui l'avait détournée du droit-chemin", Terwagne s'était dit que le mieux à faire était de retourner sur ces pas. Le mieux à faire, oui, sans doute, sauf qu'elle avait toujours eu du mal à faire marche-arrière, et que se présenter à nouveau à l'auberge en disant "S'cusez-moi, j'ai oublié le plan" lui semblait ridicule...

Faire demi-tour, revenir sur la direction qu'on s'était engagé à suivre... Non, impossible! C'était comme renier un engagement, se rétracter... Et puis cela allait encore lui faire perdre du temps, de ce temps qu'elle avait voulu gagner.

Du calme, de la concentration, voila ce qu'il lui fallait! S'assoir un instant contre un arbre, fermer les yeux et essayer de souvenir des lignes tracées sur ce fichu morceau de parchemin... Forcément tout lui reviendrait en mémoire et elle reprendrait alors la route, franchissant tel un "Poucet voleur de bottes" les lieues qui la séparaient encore de l'étreinte des bras de Kernos. Forte de cette certitude, elle chercha un monarque de la flore environnante et se laissa choir contre lui, enroulant de ses bras ses jambes repliées, posant le front sur ses genoux, et ferma les yeux.

Le soucis c'est que malgré le froid, malgré l'énervement d'avoir oublié le plan, malgré la mauvaise humeur où cela l'avait plongée, la simple pensée des bras de son "Toi" faisait à nouveau bouillir son sang, et que derrière ses paupières closes elle ne trouva aucune image de plan, juste des images de chemises échouées sur le sol, de flammes dans l'âtre dont le reflet dansait sur de la peau, de regard brûlant et impatient, d'épaule au muscle saillant, et de tant d'autres choses encore... Des choses qui lui firent monter le rouge aux joues, mais surtout se relever en rouvrant les yeux, et marmonnant : "Tu ne risques pas de les voir en vrai ces choses, si tu meurs ici."

Mourir ici... Etait-ce donc ainsi que s'achèverait sa vie? Non! Non et non! Elle s'y refusait! Elle se remit donc en route, persuadée que dans quelques dizaines de pas elle se souviendrait du plan. Mais les minutes devenant des heures, et les dizaines de pas des centaines, sa monture finit épuisée, et elle affamée, au moment où la nuit tombait. Elle chercha donc quelque endroit plus ou moins abrité pour laisser son cheval se reposer, et en profita pour dévorer la maigre pitance qu'elle avait emportée en quittant l'auberge. Dieu soit loué, ça elle ne l'avait pas oublié! Ensuite, elle s'assit et joua de la flûte... Pas par envie, non, juste pour s'empêcher de sombrer dans un sommeil qui l'aurait emportée vers la mort à cause du froid, mais aussi pour s'interdire d'écouter les bruits environnants qui n'avaient rien de très rassurants. De hululements en craquements, la forêt finit par s'endormir, la laissant seule à son désarroi, l'hymne à la joie s'échappant de sa flûte finissant en requiem pour une conne, conne qu'elle se trouvait d'avoir écouté ce troubadour, mais plus encore de ne pas avoir emporté son plan. Sur ses joues, les larmes auraient voulu couler, mais ne faisaient que se figer en perles de glace.

Enfin l'aube se leva, son cheval sembla prêt à reprendre la route, et elle suivit leur exemple à tous deux... Durant quelques heures tous trois cheminèrent- le cheval, Terwagne, et le soleil qui lui aussi traçait son chemin - et le désespoir quitta le coeur et les pensées de la demoiselle, jusqu'au moment où elle aperçut des traces de sabot au sol, et se rendit compte qu'il s'agissait de celles laissées par son propre cheval quelques heures plus tôt...Elle tournait en rond!

Mettant pied à terre, elle fit quelques pas, tentant de calmer sa colère et son désespoir, puis s'arrêta net, et ouvrit la bouche, laissant s'échapper un fort volumineux cri.


Peste soit ta distraction, Terry-y-y-y-y !!!!!!

Elle s'attendait sans doute à un écho, ou encore à la réponse d'un gardien de mouton se trouvant non loin, mais pas à ce qui vint, presqu' immédiatement.

Vroummmm....

Eberluée, elle tourna la tête dans la direction du bruit en question, et aperçut un raz de marée de poudreuse descendre de la colline juste derrière elle, grossissant au fur et à mesure de sa descente, accélérant de plus en plus sa course folle.

Ni une ni deux, pas le temps de se poser de question, ni de penser à son cheval, elle prit ses jambes à son cou et fonça tête baissée dans la direction opposée, courant du plus vite qu'elle le pouvait, le plus loin qu'elle le pouvait, perdant toute notion de distance et de direction, focalisant son esprit sur le bruit qui après s'être amplifié finit par devenir lointain puis mourir. Alors seulement elle s'arrêta... Se laissant tomber à plat ventre sur le sol, épuisée mais sauvée.


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II.- D'une maternité inespérée :

S'était-elle assoupie? Elle ne savait pas trop bien... Ce dont elle était certaine en revanche, c'est que c'étaient des pleurs qui lui avaient fait relever la tête, ou reprendre conscience. Des pleurs, très jeunes, au loin, là-bas dans les buissons....

Les muscles endoloris par le froid, elle mit un certain temps à se relever, tendant l'oreille pour être certaine de bien repérer l'endroit d'où venaient les gémissements, et se dirigea ensuite à pas feutrés dans leur direction. Une fois proche du bruit, elle s'agenouilla, et écarta les branches lentement, poussant le bout de son nez entre elles.

Il était là, perdu, abandonné, le regard apeuré, les membres tremblants de froid, et elle... Elle, elle n'osait plus bouger, de peur de l'effrayer plus encore, le regardant avec des yeux émerveillés, la bouche entrouverte mais aucun son n'en sortant. Les minutes s'égrainèrent, lui la fixant avec curiosité et peur, elle sentant son coeur s'ouvrir et ses bras se tendre vers lui, centimètre par centimètre.

Finalement, elle le prit entre ses mains tremblantes d'émotion, lui parla dans un murmure, comme si elle avait voulu le rassurer par des mots qu'il ne comprenait pas, mais qu'importe de connaitre les notes ou pas quand une musique nous est douce et agréable? Il était glacé, frigorifié, et elle n'avait pas de quoi l'emmitoufler pour l'emmener jusque Glandage...

Glandage, oui! Parce qu'à présent elle en était certaine, elle arriverait en vie là-bas! Ou plutôt ils, tous les deux, arriveraient à Glandage en vie, il n'y avait aucun doute possible à ce sujet!

Se souvenant soudain d'une chanson qu'elle chantait souvent à l'époque où elle se produisait dans des tavernes en compagnie de Zel, son fiancé troubadour, elle déboutonna son corsage et posa contre son sein celui qu'elle venait d'adopter. Enfin, pas directement contre sa peau, juste entre son corsage et sa chemise, pour lui permettre de profiter de la chaleur qui y régnait encore. Alors seulement elle reprit la route, chantonnant cette fameuse chanson.

De nombreuses heures plus tard, les murailles de Glandage lui apparaissaient, et seulement alors elle se demanda comment Kernos allait réagir en apprenant qu'elle n'était pas seule.

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Kernos
Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir?

... Je ne vois que la neige qui poudroie, et le ciel qui bleuoie. Certes, le Baron de Mévouillon n'avait rien d'une jeune épouse qu'un affreux mari attend, coutelas à la main, en bas de l'escalier pour l'égorger, mais tout comme elle, il attendait avec une détresse débordante que sa vigie annonce son espoir salvateur poindre à l'horizon... Mais rien ne se passait. Une journée et une nuit, une journée et une nuit que les sentinelles postées sur le pourtour des murailles de Glandage ne décelaient aucun signe précédent la venue de la Demoiselle de son âme, une journée et une nuit que la neige restait vierge de tout pas ou tout sabot, vaste et morne vallée d'une blancheur intacte berçant l'impatience du Rouvray.

Nous étions au troisième jour de cette attente de plus en plus insoutenable et oppressante au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient pour devenir heure, que le cours du temps, aussi imperturbable que celui du Rhône, continuer à faire défiler et à emporter dans les eaux profondes et tumultueuses formant la mer de son angoisse.

Pour la dixième fois de la journée, Kernos allait et venait dans son logis, tournant en rond dans la grand'salle, montant et descendant entre la cuisine et ses appartements. Mais de la chambre au cellier, des écuries au sommet du donjon, il n'y avait rien, rien qui ne puisse le faire cesser de penser à elle, à son arrivée prochaine, rien pour tromper l'ennui et donner le change à sa hâte. Alors, il arpentait le castel en bouillonnant, levant parfois les yeux au ciel souhaitant qu'un trait enflammé vienne déchiré son ennui, tendait l'oreille au moindre bruit ou voix en espérant qu'il s'agisse de l'un de ses gardes lui annonçant l'arrivée de Terwagne.

La matinée se passa ainsi, dans l'attente lourde et insoutenable d'un condamné à mort qui, assis dans la paille de son cachot, guette le cliquetis des clés et des chaînes annonçant qu'il sera enfin conduit au billot pour être livré au bourreau. Sauf que pour lui, ce n'était pas la mort qu'il aurait pour pénitence, mais la vie.

Son dernier repas, il n'en avait point voulu, la faim lui faisait défaut à l'heure où sonnerait bientôt sa sentence, et malgré les protestation de ses servantes, il déclina les victuailles qu'elles venaient lui présenter. La foi également n'était pas au rendez-vous. Avant que sonne le glas, il parait que l'on prie avec ferveur, on se repend de ses fautes, on implore la clémence de ses juges, de ses geôliers, de ses tourmenteurs, on invoque la Miséricorde divine, on demande à Dieu de nous épargner, de nous accorder Son Pardon. Kernos ne pria pas, il ne l'avait que trop fait par le passé et puis même, son jugement il l'attendait, il l'espérait de toutes ses forces, l'appelait de toute ses forces. Que vienne son châtiment, il l'attendait de pied ferme, sans ciller. Les murs de sa prison étaient tapissés d'étoffes de bonne qualité et de bonne facture, sa paillasse n'était point de paille mais de plumes d'oie et de lin, point de pain sec ou d'eau croupie, mais de belles miches bien chaudes et dorées, arrosées de vin du Rhône... tout cela importait peu à vrai dire, il n'aspirait qu'à en être enfin délivré pour que la vie prenne fin, pour que cette vie prenne fin et qu'ils puissent prendre un nouveau départ...

Mais s'agissait-il vraiment d'un point de départ? Pour qu'il y ait un commencement, même nouveau, il faut un terme. Tout a un commencement et tout à une fin, une situation initiale et un dénouement, Aristote lui-même en avait fait le détail. Or, il n'avait pas eu le sentiment qu'il y ait eu une fin véritable à leur histoire, point de rupture ou d'arrivée... non, tout cela ne pouvait être qu'une étape, un intermède, une page de publicités pour permettre de reprendre haleine et satisfaire quelques besoins inhérents à la condition de l'Homme, avant que ne recommence le grand voyage qu'ils avaient entamé ensemble dans une petite taverne au fin fond des Alpes et qui les avait mené en Bourgogne, en Berry, puis à la tête du Lyonnais-Dauphiné. Il y avait eu des péripéties et des adversaires, des souvenirs, des anciens amours ou qui auraient pu l'être, des angoisses, des craintes, des doutes, des rivaux et des opposants politiques, mais aussi des adjuvants, des amis, des soutiens... Mais surtout, il y avait eu l'Amour, fil conducteur de tout ce récit, intarissable, omniprésent, et celui-ci était loin d'être arrivé à son aboutissement, à son dénouement final.

Voilà ce qu'il attendait donc, qu'on lui rende son souffle, que leur Amour poursuive son envol, que la Lumière soit à nouveau, pour qu'il ait à nouveau faim et soif, chaud et froid... qu'on lui rende Terwagne et sa vie avec... reprendre la route ensemble et advienne que pourra, loin du néant.


Seigneur!

Kernos se redressa, tendant tout son corps dans un élan de surprise et de nervosité. Il s'était assoupi sur son bureau, la joue sur un parchemin qu'il n'avait pu se résoudre à violer l'étendue vierge de sa plume, les mots et les idées se bousculant trop dans son esprit pour pouvoir les coucher sur le vélin. Il se leva précipitamment, manquant de renverser son siège et de faire tomber à la renverse le garde surpris qui se trouvait derrière la porte de son étude en l'ouvrant brusquement.

Qui y a-t-il? A t-on enfin vu le signal? Terwagne est-elle là?

La rapidité des mots s'entrechoquant dans la bouche du Rouvray, et son regard ardent laissèrent quelques secondes le soldat à la livrée noire et argent sans voix.

Non messire, la Vicomtesse d'Orpierre n'a point été encore repérée par nos guetteurs, mais l'on vient d'apprendre qu'une avalanche avait eu lieu ce matin à quelques lieues d'ici.

De suppliant et pressant, ses yeux passèrent à la déception, puis à l'inquiétude et enfin à l'horreur.

Par Sainct Georges! Sait-on s'il y a eu des victimes? Est-ce que les dommages sont importants... est-ce que... La question resta nouée dans sa gorges par l'angoisse... non qu'elle était les chances que sa Lune se retrouve prise dedans? Bien mince, il ne savait pas quelle route elle comptait prendre pour arriver, ni quand elle avait fait étape, ni où... Il ne savait même pas où l'avalanche avait eu lieu mais, le doute était là, appuyant sur son coeur avec la lame de l'angoisse. Que l'on envoie dix cavaliers en reconnaissance sur les lieux, qu'ils prêtent main-forte et me tiennent informé de la situation là-bas... Et que l'on prépare mon cheval, je les rejoins immédiatement.

Le garde le salua et repartit au pas de course distribuer les ordres du maistre. Le doute est poison. Tiraillé entre sa peur d'apprendre que sa Lune avait été prise dans la catastrophe et de ne point être là si elle était blessée ou morte, et la crainte de la manquer si elle était sauve et se dirigeait vers son castel, il choisit de presser le destin. Le sentiment d'impuissance et l'inaction lui pesaient trop pour qu'il reste en place, à se ronger les sangs. Il enfila son épais pourpoint de laine et ses bottes fourrées, passa son manteau d'hiver et prit la direction des écuries.

Le sang lui martelait les tempes et son coeur battait comme les tambours d'une armée en campagne alors qu'il traversait la cour. La morsure du froid était bien peu de chose comparée à la peur qui lui déchirait les entrailles, il l'imaginait toute seule, blessée, enfouie sous la neige, la peau bleuie et la vie s'enfuyant dans un râle désespéré... Oui, il était terrifié, comme il ne l'avait pas été depuis maintes années, une terreur qui vous déchire de l'intérieur, vous arrache la moindre parcelle d'espoir qui pourrait s'élever de votre coeur... Une terreur folle, qui ne demandait qu'à être libérée dans un tonnerre de cris, de larmes violentes et de rage destructrice. La main tremblante, il se saisit des rênes de sa monture, et sa botte venait à peine de se poser dans l'étrier quand une voix raisonna, suivie d'une seconde la relayant, dans l'enceinte.


Femme seule en vue! Femme seule en vue!

Sa respiration se coupa. Etait-ce la folie qui lui jouait un sale tour, était-ce son coeur désirant si ardemment son arrivée qui tentait de le perdre? A en juger par le branle-bas sur le chemin de ronde, non, il y avait belle et bien une femme qui avançait vers le castel... Coïncidence? Providence? Peu importait, il fallait qu'il sache, qu'il le sache maintenant.

Lâchant bride et quittant monture sans un regard, il s'élança sur les pavés glacés dans une course effrénée. L'air froid lui brûlait la gorge et les narines, mais il en avait cure. Il aurait pu glisser mainte fois sur la pierre gelée, cela n'avait pas d'importance s'il y avait une chance, rien qu'une infime chance que cela soit... Il arriva aux portes, essoufflé, les cheveux volant autour de son visage rougissant sous l'effort et le froid. Les gardes s'étaient écartés pour lui faire place, et tandis que le talon de ses bottes sonnaient lourdement sur le bois du pont-levis, ses yeux se posèrent en direction de la silhouette qui gravissait, quelques mètres plus loin, le chemin du Collet. Sa voix s'éleva.


Terwaaagne!

Supplique remplie d'espoir et d'attente, de peurs et de doutes, criée aux quatre vents. Il ne pouvait pas encore deviner les traits de son visage, mais son corps, sa démarche, son allure, il les reconnu tout de suite et sa course reprit avec encore plus de hâte, poussé vers elle comme la vague l'est sur le rivage, mû par une force plus ancienne et plus puissante que lui.

Terwagne... c'est Toi... c'est bien Toi...

Son coeur ne lui avait pas menti, ses yeux pouvait la voir à présent et ses mains la toucher. Il était tout près d'elle, enfin, il pouvait sentir son odeur, presque palper sa chaleur, et bien que la grosseur que son corsage dissimulait le surpris, le bonheur de la savoir sauve, vivante et présente chassa pour l'instant toutes les questions et les peurs de son esprit, tandis que ses bras s'ouvraient pour la presser contre son sein.
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Terwagne_mericourt
Glandage... Ses murailles, mais surtout la chaleur qu'elle y trouverait... Pour elle, bien entendu, mais surtout pour lui, lui qui dormait à présent paisiblement contre son sein. Elle l'avait senti, au fil de sa marche, d'abord chercher la sortie de l'abri où elle l'avait glissé, remuer comme un animal pris au piège, craignant qu'on veuille le mettre en cage, mais de sa main posée sur le tissus qui l'abritait, elle avait finalement réussi à le calmer, le rassurer, et enfin le faire se sentir assez bien pour laisser le sommeil l'emporter.

Elle avait donc bien hâte d'être de l'autre côté des murailles, de trouver un refuge, et accéléra sa marche, malgré sa propre fatigue...

Oubliée la fatigue, oui, mais oubliée également la fièvre qui quelques heures plus tôt encore lui brûlait le sang et le corps entier, réclamait dans un cri muet le corps de son amant. A cet instant, elle ne se sentait plus femme amoureuse et passionnée, non, elle se sentait mère! Mère protectrice, angoissée pour le petit être à qui elle avait promis sans un mot de veiller sur sa vie.

Le cri de Kernos lui tira un sourire radieux, mais bien vite ce dernier se mua en grimace angoissée. Comment allait-il réagir? Comprendrait-il seulement pourquoi elle avait recueilli cette petite vie? N'allait-il pas la prendre pour une folle, lui qui... Lui qui était déjà père deux fois et ne pouvait même pas imaginer à quel point l'absence de descendance lui pesait, chaque jour et chaque nuit aussi!

Brusquement, alors qu'il n'était plus qu'à quelques pas d'elle, qu'il s'apprêtait à la prendre dans ses bras, ces bras dont elle avait tellement rêvé les derniers jours, Terwagne se retrouvait à présent déchirée! Déchirée entre ses envies de femme et ce rôle de mère prête à tout pour défendre et protéger son petit, ce sentiment nouveau qui la faisait se sentir prête à tout, même à se retenir de se jeter contre Kernos de peur d'écraser le nourrisson.

Levant vers le Baron de Mevouillon son regard perdu, elle lui murmura ces quelques mots, qui durent lui paraitre bien étranges :


Je ne suis pas seule, et il a besoin d'un feu, d'une couverture, de manger aussi, et de...

De manger, oui. Mais de manger quoi? Elle n'en avait absolument aucune idée! Comment n'avait-elle pas pensé à cela plus tôt?! Peut-être que lui saurait, après tout il était connu dans tout le duché pour ses connaissances en maintes domaines... Prise par l'urgence de savoir comment alimenter son protégé, son enfant, elle partit dans un très très long monologue, livrant au pauvre Kernos un flot de paroles incompréhensibles, et de plus en plus volumineuses, se moquant bien qu'il la prenne pour une folle, qu'il la chasse, la répudie, ou n'importe quoi d'autre. Tout ce qui importait c'était de sauver cette petite vie!

Oh bien sûr tu ne comprendras pas!
Vous ne comprendrez aucun!
Vous avez tous des enfants!

Tu as Leanee, Léandre, tu connais les joies de la paternité, toutes ces choses dont la vie m'a privée jusque maintenant!

Bien sûr tu vas me croire folle, tu vas me dire que ce bébé n'est pas le mien, que j'aurais mieux fait de le laisser dans le buisson où je l'ai découvert en train de mourir de faim et de froid! Me dire qu'il faut être malade mentalement pour glisser dans son corsage un...

Peu m'importe, Kernos, que tu comprennes ou pas!

Peu m'importe, tu m'entends!!!???!!!

Je ne pouvais pas le laisser là! Je ne pouvais pas faire semblant de ne pas l'avoir vu!!!!

Je sais que je ne pourrais pas l'avoir porté dans mon ventre, mais de toute façon je n'en porterai sans doute jamais aucun! Je suis maudite de ce côté-là, j'en ai la certitude depuis longtemps à présent... Alors non, ce n'est pas un être humain, c'est un animal, j'en ai bien conscience, mais...


De la même façon qu'elle s'était élevée, sa voix se radoucit brusquement, pour finir en murmure.

Aide-moi à le sauver, je t'en prie!
Aide-moi à veiller sur la vie de ce petit être, quand bien même il n'est qu'un...


Castor...

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Kernos
D'une paternité inattendue ou le fils de la Lune.

Course folle qui l'avait mené devant elle, bras tendus pour sentir de nouveau le feu dévorant et faire fondre la glace qui s'était emparé de lui en même temps que la vallée les entourant... Course folle qui se termina, non contre son corps brûlant, mais dans la surprise pour le Rouvray. Il s'attendait à ce qu'elle se jette dans ses bras, dans un élan passionnée comme elle en était capable, pressant et lacérant sa peau entre ses doigts fins, écrasant ses lèvres contre les siennes avec violence au point de lui ravir son souffle et sa raison mais, il n'en fut rien.

Au lieu de cela, elle leva un regard désemparé qui arrêta nette le geste de Kernos. Qu'avait-elle? Il avait vu son sourire quand il se rapprochait, il avait lu ses lettres, goûté ses mots et s'était imprégné de l'amour passionné qu'ils traduisaient, répondant au sien pour en raviver la flamme... Il ne comprit pas ce soudain revirement dont la réponse lui vint avant qu'il ne puisse le demander, dans un murmure.


Je ne suis pas seule, et il a besoin d'un feu, d'une couverture, de manger aussi, et de...

D''interrogateur, le visage du Chêne se mua en saisissement. Il repensa à cette grosseur curieuse sous le vêtement de Terwagne, contre sa poitrine, dont il n'avait pas fait cas au premier regard, mais à présent qu'il l'avait sous les yeux et après de ce qu'elle venait de lui dire, il se pourrait bien... cela lui apparut soudainement comme une évidence.

Un enfant, cela ne pouvait être qu'un enfant, et à en juger par la forme se dessinant dans les vêtements de sa Lune, cela devait être un nourrisson à peine sorti du sein de sa mère. Les idées se bousculèrent dans son esprit... depuis combien de mois n'avait-il pas vu Terwagne? Pas suffisamment pour être enceinte et le porter à son terme... Mais il arrivait que les femmes soient délivrées plutôt, et les signes de grossesses ne sont généralement visibles qu'au bout de quatre mois, sans compter que certaines ne prenaient que très peu de formes... Père... était-il à nouveau père? Elle le lui aurait dit tout de même... elle lui aurait dit qu'elle attendait leur enfant ou du moins glissé une allusion dans ses dernières missives...


Je...

Pas le temps de se remettre de ses émotions ou bien de prendre les mesures nécessaires au bien être de l'enfant... ni même de choisir entre la joie ou la réflexion, "la Tempête" avait commencé à souffler et à s'élever, l'acculant sous la presse violente de ses paroles tourbillonnantes venant s'écraser contre ses écorces. Le choc était rude, les vents tout autant, mais il en fallait plus pour ébranler les racines du Rouvray. Ainsi l'enfant n'était pas de lui, ni d'elle, mais un présent du destin venu se placer sur leur route. Soit, il aurait voulu lui dire que cela importait peu, qu'il comprenait, que peu importait d'où venait l'enfant et de qui il était, qu'il allait l'aider, lui donner un toit et un refuge, qu'il y avait moyen de trouver une nourrice au village, qu'elle avait bien fait de le sauver du froid, qu'il était hors de question d'abandonner un enfant fragile à la cruauté de l'hiver et de la nature, que ... que ... mais l'accalmie ne vint pas assez vite pour qu'il puisse en placer une, les mots se déversaient encore et encore, s'entrechoquant entre eux tels l'écume pour recracher sur le rivage cette phrase qui le désarçonna:

Alors non, ce n'est pas un être humain, c'est un animal, j'en ai bien conscience, mais...

Que voulait-elle dire par là? Il ne comprenait pas où elle venait en venir... d'ailleurs elle y vint très vite, la Tempête s'était adoucie, dévoilant un ciel limpide et surtout cette révélation dans un doux murmure qui sonna pour lui comme un éclat de tonnerre... Un castor! La déception se mêla à l'étonnement vif qu'il ressentit. Lui qui se voyait père à nouveau, peu importait que cela soit de son sang ou par adoption du moment que c'était avec elle, garçon ou fille... il aurait accueilli le nourrisson à bras ouverts mais là... un castor... un animal sauvage... peut-on éprouver le même sentiment de paternité face à une créature comme celle-ci? Non, il ne le pensait pas. On peut ressentir une forte affection pour un animal, mais de là à le considérer comme son propre enfant, la chair de sa chair, non... ou alors cela confinait au domaine de la folie... ou à l'extrême souffrance, à la solitude la plus noire, à un manque que rien n'a su combler jusqu'alors.

Eprouvait-il de la pitié ou de la répugnance pour cette femme qui désirait si ardemment devenir mère qu'elle avait pris sous son aile la première créature orpheline qu'elle avait croisé en chemin? Ni l'un ni l'autre, seulement une peine profonde face à cette déchirure, à ce vide ressenti par celle qu'il aimait avec tant de passion. Sa main se leva et vient se poser doucement sur l'épaule étroite de Terwagne, l'étreignant avec tendresse et fermeté, autorisation et soutien muets qu'il lui donnait, en même temps que la chaleur de son coeur et de son foyer qu'il offrait à Terwagne et à son protégé.


Viens, entrons à l'intérieur, je ferai le nécessaire pour que tous les deux vous ayez de quoi vous réchauffer et vous nourrir.

Et il l'invita, elle et le castor, à pénétrer dans son castel, adressant quelques consignes à ses gens pour qu'ils fassent grand feu dans le logis, et apportent vivres... d'ailleurs, qu'est-ce que ça mange un bébé castor?

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Terwagne_mericourt
Sans plus un mot, elle le suivit, pénétrant dans les lieux, le regard posé au sol, les lèvres closes, le coeur serré par la crainte qu'elle avait éprouvée quelques minutes plus tôt, la peur qu'il ne comprenne pas, la pense folle. Peut-être était-ce le cas, mais une chose est certaine : il n'en laissait rien voir.

Lorsqu'enfin ils furent tous deux dans une pièce chaude et qu'elle put s'assoir, elle resta un long moment immobile, les mains posées sur les bords de son encolure, comme si elle hésitait à sortir de sa cachette son protégé. Dans sa tête, les idées se bousculaient...

La vue de Kernos ne risquait-elle pas de l'effrayer?
Et puis il avait l'air de dormir si paisiblement, alors pourquoi l'éveiller en le remuant?
Et si Kernos n'avait pas bien compris et tombait à la renverse en se rendant compte qu'il s'agissait bel et bien d'un castor?
En avait-il seulement déjà vu un?

Elle leva vers lui ses grands yeux remplis de doutes, mais aussi d'amour pour lui et pour ce petit être qu'elle avait recueilli, décidé d'adopter pour combler son manque d'enfant, pour enfin être mère. Le temps semblait s'être suspendu à ses doigts toujours immobiles.

Enfin, elle se décida, tournant aux trois quarts le dos à celui à qui elle venait de demander son aide, dans une espèce de pudeur toute maternelle. Sa respiration était lente, ralentie par la douceur qu'elle mettait dans ses gestes pour aller chercher dans son corsage la petite créature sauvée du froid. Cela dura plusieurs minutes, tant les mouvements de ses doigts étaient hésitants, craintifs. Surtout ne pas le réveiller, ne pas l'effrayer, ne pas le...


Nooooooooon !!!
Mon Dieu, noooooooon !!!!!


Dans un cri déchirant, elle se leva d'un bond, faisant à nouveau face à Kernos...

Ses yeux étaient remplis d'horreur et de détresse, ses mains remplies de sang, ses lèvres tremblantes. Et dans l'ouverture de son corsage on pouvait voir la source du liquide rouge qui venait de marquer ses doigts...

Un filet de sang s'écoulait de la gueule du petit castor.

Le prenant finalement entièrement entre ses mains, elle le porta vers son visage tordu par la douleur et le désespoir, avant de se laisser tomber au sol, en larmes, psalmodiant des mots incompréhensibles.


... pas donner la vie...
... ...jamais... maudite...
...pas protéger non plus...
... .... jamais... inutile...
...pas une femme... un monstre...
... ... mourir... incapable....

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Kernos
Requiem pour un castor.

Du chemin fouetté par les vents glacés, il l'a mena jusqu'à la chaleur douillette de son logis, plus particulièrement dans ses appartements afin de trouver un peu d'intimité pour elle et son... protégé. Oui, cela serait mieux ainsi, après tout il s'agissait d'un animal sauvage, peut être que trop de bruits ou de gens l'affolerait. En chemin, il avait demandé à une servante d'apporter une couverture, ainsi que du lait chaud, un nourrisson est un nourrisson, qu'il soit humain ou castor, il devait manger plus ou moins la même chose, non? Du moins, c'est ce qu'il espérait et dans le pire des cas, eux pourraient le boire pour se réchauffer un peu.

Une fois seuls, le Rouvray resta silencieux, en attente, son regard posé sur ce visage qu'elle s'obstinait à garder vers le planché, le privant de ce dont il avait rêvé depuis des semaines, ce visage qui ne l'avait quitté même au plus profond de la nuit... ah! Elle le levait enfin, lui offrant un regard tourmenté, non dénué d'amour -ouf!- mais où il lisait très clairement le doute qui l'habitait... Ma pauvre petite Lune troublée, est-ce que le destin te laissera un jour en paix? Auras-tu le droit, un jour, au bonheur serein qui t'a fait défaut jusqu'alors? Lui espérait lui apporter, et c'est sans doute ce qu'elle pourrait déceler dans le regard qui lui adressa en retour, tandis que ses doigts fins hésitaient à dévoiler son pupille.

La belle sembla se décider soudain et lui offrit son dos en contemplation quelques instants, quelques longues secondes planant entre eux deux, quelques longs battements de coeur où il resta suspendu à ses épaules, attendant qu'elle lui présente enfin ce petit être qu'elle avait décidé de protéger et d'adopter... cette petite vie qui la rendait si craintive, si fébrile face à lui, à sa réaction. A dire vrai, lui-même naviguait également en eaux troubles, ne sachant point quel comportement adopter, et encore moins ce qu'il fallait penser de tout cela...

Un castor... il fallait être fou ou bien au contraire d'une grande générosité pour recueillir un animal ainsi... Folie ou charité? Kernos ne saurait le dire, et d'ailleurs il se refusait de juger la femme qu'il aimait sans réserve, elle l'avait été suffisamment en toute ignorance de cause par le passé, il était donc hors que question que lui en fasse de même. Lui était père, il ne pouvait donc connaître la douleur de ne pas avoir donné la vie, et en tant qu'homme, il serait à jamais étranger au déchirement des femmes qui n'ont jamais pu porté d'enfant en leur sein.

Il se prépara donc à accueillir le protégé de Terwagne, mais au lieu de la face velue et dentue d'un bébé castor, ce fut avec le visage horrifié et désespéré de la Demoiselle Méricourt qu'il se retrouva nez-à-nez.


Nooooooooon !!!
Mon Dieu, noooooooon !!!!!


Son cri lui déchira l'âme, et les mains ensanglantées qu'elle venait d'ôter de son corsage le firent bondir vers elle, autant qu'elles le glacèrent d'effroi. La première pensée qui lui traversa l'esprit fut que la castor l'avait griffé ou mordu, aussitôt chassée par la vue de l'animal inerte et devant son expression torturée... Kernos se précipita vers elle alors qu'elle se laissait choir sur le sol, son protégé entre les mains, entamant une litanie rendue presque inaudible dans le chaos de larmes qui la secouait.

Il se pencha sur elle, ses mains se refermèrent sur ses épaules tremblantes, dans une tentative sans doute veine de la sortir de cet état de transe, essayant de lui transmettre sa chaleur, son amour.


Terwagne... Terwagne... je t'en prie... ce n'est pas ta faute... tu ne pouvait rien... je t'en prie mon Amour...

Un murmure qu'il espérait rassurant. La prendre dans ses bras, tenter de la calmer, de la rassurer, compatir... Lui dire qu'il est là, pour elle, pour partager sa douleur, la soutenir, lui redonner espoir... Mais là, il avait surtout l'impression de semer du sable en plein désert...
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Terwagne_mericourt
Autour d'elle, la vie poursuivait son cour.

Kernos bougeait, parlait, la touchait... Il essayait en tous cas, persuadé sans doute qu'elle sentait ou ressentait ses mots, ses gestes, son amour, sa compassion... Mais non, elle ne les sentait pas, ne les entendait pas!

Elle s'était réfugiée, ou plutôt coupée du monde, isolée, dans une bulle où mis à part elle et le corps se refroidissant de cet être qu'elle n'avait pas réussi à sauver, il n'y avait que des... Des épouvantails hurlant, se dandinant en la frôlant de leurs jupons odorants et colorés de rouges. Des épouvantails portant les noms de désespoir, douleur, colère, incompréhension, rage, dégoût, haine d'elle-même.

Le reste lui était devenu étranger, elle n'en avait même plus conscience.

Ses mains serraient de plus en plus le petit corps sanglant, l'enfonçant plus profondément dans le creux de son cou, faisant le liquide rougeâtre couler sur sa propre peau, marquer son corps de la douleur qui lui étreignait le coeur.

D'agenouillée elle finit roulée au sol, en boule, cachant à la vue du monde la petite vie qu'elle n'avait même pas été fichue de protéger. Non seulement elle était incapable de donner la vie à un enfant, mais en plus elle n'était même pas capable de protéger celle d'un animal. Le seul enfant dont elle avait été proche avait fini par la haïr...

Oui, Anne la haïssait, était devenue incapable de mettre un pied en taverne sans parler d'elle aux inconnus, en mots injustes et farfelus, la détestait au point de se persuader la reconnaitre sous les traits de Kernos en salle d'audience, prononçant des mots qu'elle n'utilisait jamais tant le langage était différent entre ces deux-là, alors que justement Terwagne avait demandé à Kernos ne pas l'avertir de son projet de sentence avant de le prononcer, tant cette situation la touchait... Sa nièce d'un côté, accusée, son amant de l'autre, la jugeant.Mais Anne l'avait malgré tout prise en haine au point d'en inventer des choses qu'elle croyait elle-même réelles, se laissant aveugler par ses sentiments, comme feue sa tante l'avait elle-même fait par le passé, certaine de reconnaitre la plume de sa tante là où c'était tout sauf le cas.

Pas d'enfant...

Une nièce qui vous hait...

Une soeur qui signe une saisine à votre encontre et se comporte ensuite comme si de rien n'était...

Un amant fier comme un paon à chaque fois qu'il vous parle de sa progéniture, de cette joie d'être parent qu'il a donnée à une autre mais que vous même vous ne connaitrez jamais...

Et vous? Rien! Juste un castor que vous avez voulu aimer et que vous avez tué car incapable de vous en occuper correctement!


Laissez-moi mouriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiir !!!!!!

Laissez-moi crever comme un monstre que je suis!!!!!

Je ne serai jamais une femme à part entière... Jamais !!!!!!


Après la litanie, les cris... Les larmes ne réussissant même plus à couler, le coeur aride d'avoir trop saigné.

Elle s'était relevée, l'animal toujours dans ses mains, mais elle ne resta guère longtemps debout.... Soudain son corps s'affala, tandis que ses yeux se fermaient... Elle voulait s'en aller, loin, là où elle oublierait qu'elle n'était même pas une vraie femme.

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Kernos
Sombre Lune...

Plus bas, plus loin. Dans les remous obscurs et visqueux du désespoir, où il n'y a plus place pour la moindre lumière, pas même un clair de lune, ni pour le silence car tout n'est que tourments. Et lui, il était le témoin impuissant de cette déchéance, de cette noyade inexorable de celle qu'on appelait son amante, mais qui pour lui-même demeurait Terwagne...

Terwagne... il l'avait déjà vu sombrer, s'entaillant la main sur le fer aiguisé de sa détresse, versant larmes et sang en plongeant à sa poursuite et la ramener jusqu'à lui, jusqu'à eux... Il lui avait d'ailleurs fait serment, alors que se dessinait devant eux cette terre que l'on nomme Berry, alors qu'il serrait sa main tremblante d'affronter les fantômes de son passé dans la sienne, que quoi qu'il advienne, il la retrouverait même dans le plus violent des tourbillons. Mais à présent, alors qu'il la voyait dans cet état là, serrant contre elle le corps sans vie de son enfant de coeur, il se sentait désemparé, inutile et parjure à lui-même. Il se sentait comme un pantin auquel on aurait coupé les ficelles, ballotté, repoussé au loin de la scène, assistant au drame qui se jouait devant lui en simple spectateur.

Mais s'il croyait avoir touché le fond, Kernos s'était fourvoyé. Un cri... ou plutôt un rugissement, une plainte longue, déchirante qui éclata de la gorge déployée de Terwagne. Les mots lui griffèrent le visage, lui écrasèrent la poitrine au point qu'il suffoqua. Son corps entier tremblait, secoué par les hauts-de-coeur que ses propos avaient déclenché en lui, alimentés par le dégoût et le mépris qu'il s'inspirait à lui-même. Oui, du mépris et du dégoût pour cet homme incapable de combler et de rendre heureuse la femme qu'il aimait, que n'avait-il pas été plus hardi pour lui donner ce dont elle rêvait? Mépriser les sacrements et le jugement de l'Eglise pour la prendre pour épouse, après tout, qu'est-ce qu'une bénédiction publique aurait donné de plus dans leur union que ce qu'il avait déjà pris? La légitimité peut être, et encore... cela était-il vraiment capital? Il avait voulu faire cela dans les formes, afin qu'elle puisse se voir comme sa véritable et digne épouse, non comme une éternelle fiancée que jamais on ne conduira à l'autel ou comme une maîtresse destinée aux passions nocturnes sous le voile du secret... Attendre, toujours attendre, ils n'avaient fait que cela, et en voilà le résultat, le doute, la peur, le malheur, le désespoir.

Le Rouvray serra les dents et les poings. Il les aurait envoyé volontiers se fracasser contre les murs de sa chambre, jusqu'à ce que les os craquent et que le sang viennent joindre la douleur physique à celle de leurs âmes, pour qu'éclate sa colère, sa rage et sa déchirure en même temps que cette chair ignoble, pesante, pécheresse... Mais il n'en eut point le temps.

A sa grande stupeur, Terwagne s'était redressée puis s'était écroulée aussitôt. A peine avait-il eu le temps de se précipiter pour empêcher sa tête de heurter le plancher. Inerte, glacée, épuisée, il la tenait dans ses bras ne sachant que dire ou faire, perdu au milieu de toutes ses pensées qui le harcelaient en virevoltant autour d'eux. Son regard fiévreux erra quelques instants entre le visage de sa Lune, la dépouille du castor et les murs les encerclant, avant de tomber sur son lit... oui, il n'y avait que cela qui puisse faire. Le Rouvray fit glisser ses bras sous les épaules et les cuisses de sa bien-aimée, et l'arracha du sol pour la porter sur la couche où il la déposa avec délicatesse.

Lentement, il retira le cadavre de ses bras encore crispés autour pour la recouvrir d'une couverture. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait, tenant l'animal contre son sang, comme l'on tient un nouveau-né, il traversa ses appartements pour appeler une domestique à travers la porte.


Qu'on aille me chercher sur le champ des linges propres et de l'eau chaude!

Et il retourna au chevet de Terwagne pour déposer le nourrisson auprès d'elle. Ses yeux allèrent de l'un à l'autre avant de se détourner... non, il ne pouvait pas comprendre sa détresse, cette absence, et cela embrasa d'avantage sa colère. Honteux, il se détourna d'eux, la rage au ventre, le sang bouillonnant au point de lui en donner des suées, martelant ses tempes avec une cadence infernale, il ne voyait plus rien, il ne comprenait plus, il ne savait plus... Plus rien n'avait de sens, tout n'était qu'absurdité, vacarme, chaleur, tempête... Il prit sa tête entre les mains.

La ferme! La ferme! Faites taire tout cela! Arrêtez de vous jouer de moi! Je veux que tout cela cesse!

Il hurla, mais les dieux restent toujours muets à vos suppliques, sans réponse à vos prières ou à vos questions. Le silence... il n'aspirait plus qu'à cela, mais il n'était plus capable de le trouver au fond de lui. Ses doigts tombèrent le long de ses joues trempées de larmes et déformées par un rictus haineux, et son front heurta avec violence les murs de pierre.

La douleur était aigüe, se répandant de l'avant à l'arrière de son crâne comme une traînée de poudre. Il perdit l'équilibre quelques secondes, se retenant lourdement au mur avant de se laisser glisser sur les genoux. Quand la souffrance acheva son cheminement, il ne resta plus qu'une brûlure au-dessus de son sourcil droit. Kernos s'adossa au mur et demeura assis là, sans bouger, les yeux fermés et le visage levé vers le plafond. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'on ne vienne frapper à la porte.


Seigneur, j'apporte les linges et le baquet.

Le Rouvray se redressa sur ses jambes et traversa la chambre, l'oeil droit restant obstinément clos. La servante, les bras chargé, eut un mouvement de recul.

Seigneur, mais vous saignez...

Posez cela près du lit et allez vous-en, que personne ne me dérange.

La femme s'inclina, non sans un regard inquiet, et s'exécuta. De nouveau seul, le Baron tira une chaise jusqu'au lit et s'y installa. Avec précaution, il trempa l'un des linges dans l'eau tiède et commença à essuyer le sang maculant la gueule du castor. Comme s'il s'agissait d'un enfant, il le nettoya avec délicatesse, lissant la fourrure de l'animal entre ses doigts pour en retirer la neige à demi fondue et la boue. La toilette de la créature achevée, il la déposa aux côtés de Terwagne puis changea de tissu qu'il imbiba d'eau à son tour.

Lentement, comme s'il craignait de l'éveiller ou de lui faire mal, il passa le linge sur ses joues froides et noircies par les larmes, baigna son front avec tendresse avant de prendre une nouvelle bande de tissu pour lui en faire une compresse qu'il déposa sur ses paupières. Il entreprit ensuite de la déchausser, avant de s'affaler sur son siège. Il les regarda un instant tous les deux, la femme et l'animal, puis posa son visage sur le matelas, et ferma les yeux.

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