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[RP Fermé] Les détours de l'âme.

Viken
(Kastell Paol – Début Janvier)

Il venait de mettre sa barque à l’eau, profitant de cette journée plus clémente pour partir à la pêche un peu plus au large. Le temps s’y prêtait autant que son humeur du moment. Il avait besoin de se reprendre, de retrouver au plus profond de son être ce qui ferait sa force et sa détermination. Son choix, il l’avait fait désormais.
L’ankou l’avait attiré de ses appels sournois, lui chantant son insidieuse complainte. Mais il avait su la chasser d’un revers de volonté, s’accrochant inexorablement à ce qui lui restait d’espoir.

L’heure était venue enfin de vivre pour lui, de vivre tout court. Il avait trop longtemps été l’ombre de lui même suivant le fil de sa vie comme s’il en fut spectateur. Longtemps, il n’avait vécu que dans le regard des autres, se contentant d’exister. Aujourd’hui, il éprouvait une certaine fierté de se savoir sorti du passé. Ce passé parfois cruel, un passé souvent sournois, lui laissant croire que la vie pouvait être lisse comme une mer sans remous.
Tirant sur ses rames avec un bel entrain, il sourit pour lui seul, songeant que désormais il préférait les vagues aux eaux calmes. Il ne voulait vivre qu’intensément ne supportant plus le lancinant clapot d’un bonheur trompeur.
Il songea alors à ce moment, à cet instant irréel où tout avait basculé. Elle était entrée dans sa vie telle une déferlante, balayant d’un simple regard des années d’une fourbe torpeur. Il avait su aussitôt que sa vie ne serait désormais plus la même.

Ballotté par les flots, Viken rejoignait lentement un chapelet d’îlots au large de la côte. Il connaissait l’endroit par cœur et savait à l’avance où il jetterait ses filets. Au calme d’une petite anse, il lâcha ses avirons pour préparer sa pêche. Il mit à l’eau les nasses qu’il traînerait au retour à l’arrière de sa barque puis s’alluma une pipe. Il resta là un bon moment fumant à petites bouffées, profitant de la beauté de l’endroit. Il y venait souvent, comme pour se recueillir, chaque fois que le besoin s’en faisait sentir.

Sur le retour, remorquant derrière lui sa traine, il songea tendrement à elle. Il la savait en proie à la tristesse, honorant comme il se doit son deuil. Dans ces moments là, il se sentait terriblement impuissant, réprimant à grand peine des gestes qu’il aurait voulu bienveillants. Il était si frustrant de ne pouvoir lui avouer ses sentiments.

Il souffrait donc en silence, acceptant cette épreuve comme l’indéniable preuve de la force de son amour. Un jour viendrait où, la sentant apaisée il pourrait enfin lui déclarer sa flamme, sans remords et sans honte.
Il ramena sa barque jusqu’au port, relevant ses filets à l’approche de la jetée. La pêche fut médiocre mais qu’importe. Une nouvelle vie débutait pour Viken, il le savait, plus rien ne serait désormais comme avant . Il n’aurait de cesse de lui prouver son amour au fil des jours, coûte que coûte, il s’accrocherait à ce bonheur qu’il sentait si proche.

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Missanges
[ Mois de janvier ]

Elle avait vu le jour !
Comment notre histoire avait débuté ?
Les neurones étaient encore au top, c’était le bon moment pour coucher cette histoire sur le vélin, afin de ne pas en perdre une miette.

Il était une fois, une taverne donc le nom sonne comme un nectar, Aux amis de la prune, dans un charmant petit village de Kastell. Une taverne comme les autres, non pas vraiment car pour celle-ci, le propriétaire est mon père, Peterpan de Kerdren. La seule entre autre qui accueille les joueurs de ramponneau !
Mais ce jour là, ce ne fut pas pour une partie de cartes que nous fûmes là. Ce fut pour boire une chope de Prunàvampi comme chaque soir depuis maintenant…
Pffffffff ! Un bail !

L’année 1459 avait débuté par diverses batailles de boules de neige. Le village avait vu maintes fusées blanches traverser les ruelles. Les murs des maisons avaient gardé la marque des projectiles venant s’écraser contre elles. La poudreuse glissant des capes et tombant des bottes des clients. Le sol des tavernes s’était vu ainsi revêtir d’une fine pellicule blanche. Malgrè toute cette animation et tous ces rires, mon cœur était lourd. Même la Prunàvampi ne me réchauffait plus comme avant, mon cœur était encore triste de la perte de mon mari.

Ce fut dans le courant de ce mois de janvier en deux boules de neige, que nous nous retrouvâmes, Sanzi et moi en taverne.
Sanzi tribun de notre village était souvent dans l’échoppe comptant et recomptant les naissances et les décès, jour après jour. Mais ce jour là, son registre était fermé, elle était triste, son compagnon l’avait quittée. Peu à peu, la flamme de l’amour s’était éteinte et plutôt qu’installer une routine de faux -semblant, il était parti.
La révélation fut ce jour là !

J’étais là, essayant d’apporter mon soutien et soudain,
Miss !
Oui, Sanzi
C’est toi qu’il aime.
Quoi ?
Oui, il t’aime depuis le premier jour où il t’a vue. Lorsque tu es entrée en taverne à Vannes, il y a quelques temps déjà.

La main en l’air tenant ma chope prête à verser son nectar dans ma bouche, je suspendis mon geste, reposai mon verre sur la table. Ce fut soudain une douche froide qui me tombait dessus.
J’écoutai avec attention tous ces mots, restant ainsi plusieurs minutes sans rien dire. Les images se rembobinèrent dans ma tête, jusqu’à remonter au jour de cette rencontre et je me souvins. Nous remontions Nekkronn et moi de notre voyage de noce et lors d’une soirée en taverne, nous avions fait connaissance avec un couple de voyageur cherchant une ville pour élire domicile en Bretagne, terre de naissance de l’homme, Viken et Sanzi. Je me souvins très bien de nos rires et de mon insistance pour mon village de Kastell quelque peu dépeuplé.
Les images défilèrent…
Que faire, que dire…

Je ne vois en Viken qu’un simple ami. Je ne veux être la cause d’aucune rupture…
Tu n’y es pour rien, Miss, l’amour nous avait quitté lentement, jour après jour…Je sais que son amour pour toi est très fort. J’ai peur que l’ankou l’appelle…
Je partirai Sanzi, je vais voyager, il m’oubliera.
Non, je ne crois pas. De toute façon notre histoire est finie.
Que faire, que dire…

Rien laisser passer le temps…
Je me levai, repoussai la chaise, murmurant une formule de politesse envers Sanzi et posai ma chope sur le comptoir. J’ajustai ma cape pour éviter une énième boule de neige, lorsque je serais dehors dans les ruelles. Ma main tourna la poignée de la porte.
Je sortis !
L’air frais me piqua les yeux et lentement une larme glissa le long de ma joue.
Pourquoi moi !
Pourquoi faut-il que cela tombe sur moi ! Ma vie depuis la mort de Nek se passait aux archives ou à l’Encyclo, au milieu de la poussière et de quelques rats qui essayaient de grignoter mes écrits.
Rien qui puisse attirer l’attention, aucune mise en avant, aucune soirée…Et pourtant !

Je remontai le sentier menant au moulin encore plus tristement que lorsque je l’avais descendu. Le paysage autour de moi était gris. La plupart des arbres avaient perdu leurs feuilles et leurs branches nues semblaient s’ériger vers le ciel implorant sans doute de meilleurs temps. Leurs troncs craquaient en une longue plainte, se fendillaient, laissant couler leurs larmes de sève. Tout était gris…




( Avec l'accord du ljd de Sanzi pour cette intervention de son perso)
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Viken
(Kastell Paol – Le lendemain)

Elle savait tout ou presque.

Viken avait appris de la bouche même de Sanzi que son amour était découvert, livré sans fioritures aux yeux de celle qu’il aimait. Il en resta anéanti, ne sachant que faire sur l’instant. Il ne pouvait la laisser ainsi sans explications, il imaginait la violence de la situation pour celle qui était toujours en proie au chagrin. Comment lui faire comprendre désormais que son amour était pur ?
Il fallait qu’il la voit, qu’il lui explique ou du moins qu’il essaie. Il voyait déjà cet amour réduit à néant en quelques mots et son cœur se serra atrocement.
Il arpenta les rues de Kastell à sa recherche, passant et repasssant devant le moulin, n’osant pas aller frapper. Il scruta chaque taverne, chaque échoppe, refit dix fois le tour du marché, la cherchant désespérément.
Tout cela ne pouvait se terminer ainsi, c’était trop idiot, terriblement injuste. Il aurait tant voulu déclarer cet amour autrement, avec ses mots à lui, le laissant parvenir au cœur de celle qu’il aimait avec toute la douceur et la tendresse nécessaire.
Dès lors, il devrait surtout se battre pour qu’elle ne le déteste pas, pour qu’elle ne l’ignore pas. Il devrait faire en sorte qu’elle comprenne cet amour, à défaut de l’admettre.
Le cœur déchiré, il la chercha encore, espérant cette rencontre autant qu’il la redoutait.
Il savait qu’elle allait partir, s’éloigner en silence. Il prit donc la direction de l’écurie du moulin, là où il savait qu’elle devrait forcément passer. Caressant l’encolure de nuage, son fier cheval, il l’attendit patiemment.

Elle arriva peu de temps après, le regard vide et triste. Lorsqu’elle daigna croiser le sien, il comprit que sa vie se jouait à l’instant.
Elle le laissa s’expliquer, l’écoutant en silence. Elle avait le visage fermé de celle qui fut blessée, meurtrie une nouvelle fois par les sombres facéties de la vie.
Elle ne lui avait rien promis, rien laissé croire, pourquoi était il donc amoureux d’elle ? Pourquoi ces nouveaux tourments alors qu’elle cherchait délibérément l’apaisement ?
Lui, était en proie à d’horribles supplices. Il savait qu’il ne fallait pas la brusquer, ne rien attendre sauf sa clémence, ne rien espérer que son pardon. Pourtant, il mourrait d’envie de lui dire à quel point son cœur était aux tisons.
Il ne pouvait que la voir souffrir en silence, impuissant, alors qu’il aurait tant aimé la prendre dans ses bras pour la réconforter.
Elle prit la parole à son tour, dans le calme et sans excès, lui annonçant son départ pour une durée indéterminée. Elle avait besoin de s’éloigner de cette tempête qui agitait sa vie.
Il acquiessa, le cœur en lambeaux. Il comprenait ce choix sachant que lui même n’en avait pas d’autre que d’accepter.
Il lui promit juste d’être patient, de savoir l’attendre si un jour son cœur lui dictait de revenir vers lui. Il ne pouvait en dire plus, anéanti par la tristesse de l’instant.
Elle s’éloigna de lui, déposant une bise au creux de sa joue. Elle avait compris qu’au final, ils souffraient tous les deux.

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Missanges
Partir, ne pas rester avec eux, je ne voyais que cette solution à la situation présente. Ils reprendraient ainsi le cours de leur amour. Je ne pouvais imaginer refaire ma vie si subitement, même si mon mari n’avait jamais était là et surtout avec un ami. Même si j’appréciai sa compagnie, même s’il me faisait rire, même…
Non ce n’était pas possible !

Mes doigts poussèrent la porte du moulin et je pendis ma cape contre le crochet de la patère réservé à cet usage. Débarrassée de ma cape, j’avançais dans la pièce. Les Mamettes étaient là, devant l’âtre de la cheminée, tricotant inlassablement leurs horribles chaussons pure laine marron. Ceux-là, viendraient bientôt remplacer les usagés et nous les trouverions évidemment beaux afin de ne pas les vexer, ces chères tricoteuses. Les chaussons des Mamettes c’était tout de même quelques choses, un sex-appeal d’enfer !

J’avançais dans la pièce ne sachant comment aborder mon départ, comment leur annoncer. C’eut été plus simple si j’avais été énervée, au moins mes paroles auraient fusées avec empressement, j’aurais débité mes phrases tout en vrac, tant pis si quelques syllabes auraient été doublées pendant ce moment de trouble. Mais là j’étais calme, avec ce vide et cette tristesse au fond de moi, cherchant mes mots pour ne pas leur faire de la peine.
Je n’aimais pas ces moments là !

Le bout de mes doigts se posèrent sur la table, trônant au milieu de la pièce et machinalement, sans prêter attention, mon pouce s’écarta du reste de mes doigts, puis se fixa et mes doigts rejoignirent mon pouce et ainsi de suite. Dix mesures, la table mesurait dix mesures.
Stupide passe-temps que celui-ci, tout le monde se fout des dimensions de cette table et pourtant cela me détendait, cela me permettait de ne pas affronter leurs regards qui allaient s’embrumer lorsque j’allais leur annoncer mon départ.
Aristote ! Que les mots peuvent être parfois difficiles à dire ! Ce fut Mahestine comme toujours qui rompit ce silence.

Dis, Tu vas la cirer encore longtemps cette table. Je vais en avoir pour une journée de travail à effacer tes marques de doigts.

Je levais mon regard vers elles et ce fut moi soudain qui sentit mes yeux humides.

Je dois partir.

Voilà, c’était dit, l’affirmatif venant appuyer ces trois mots, je sentis un poids dans ma poitrine s’envoler sous l’effet de ma respiration. Elles posèrent leur ouvrage venant m’embrasser, Mahestine repris,

Tout est prêt, petite, tes bagages sont faits. On savait déjà.

Mon regard se fit étonné, mais je ne rajoutai rien, Kastell était un petit village et la rumeur avait du circuler.
Montant à l’étage troquant mes habits de ville contre ceux plus confortables pour la route. Prenant mes affaires, je descendis dire au revoir aux mamettes. Elles étaient là en bout de l’escalier m’attendant. Mahestine tenait un torchon blanc aux bandes rouges dont les pointes étaient nouées entre elles, renfermant quelques victuailles’’ faites maison’’ dont elles seules avaient le secret.
Embrassades, maintes recommandations faites, je sortis me dirigeant vers l’écurie où Nuage m’attendait.
Un poulet grattait le sol de la cour et je reconnus soudain Piou porteur d’un message.
Pffffffffff ! J’imaginai soudain Clochette près de moi, entendant cela. Sur que la fée verrait rouge son tendre et beau poussin jaune, un poulet ! Petite caresse sur sa tête douce, roulement de pouce, puis je me dirige vers l’écurie prenant connaissance du pli.
Citation:

Reste ma Miss, cela ne changera rien, reste ne pars pas !


Ma main replia le vélin, l’odeur du foin titilla mes narines, il fut devant moi. Nuage était prêt, sellé, sa tête tournait vers moi et soudain glissant contre son flanc un homme apparut tenant les rênes.
Viken était là !
Mon élan se stoppa, je sentis un air glacé me parcourir, mes yeux le regardèrent.
Il avança doucement comme un chasseur ne voulant pas effrayer sa proie. Sa voix se fit douce et lentement il me raconta tous ses tourments, me déclinant sa passion. Tous ses mots chantaient l’amour et pourtant je ressentais au fond de moi une infinie tristesse.
Il venait de rompre et moi j’étais en deuil.
Du temps, il fallait du temps…


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Viken
(Sur les chemins – Quelques jours plus tard)


Elle avait quitté Kastell en direction de Bordeaux. Ils ne s’étaient pas revus avant son départ et Viken gardait en lui les images de sa belle en leurs derniers instants.
Il n’avait su la retenir, l’avait juste regardée s’éloigner, retenant à grand peine les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux.
Les jours qui suivirent furent d’une affligeante tristesse, il ne se sentait pas le cœur de rester ici sans elle. Le regard des autres lui pesait, il se sentait jugé à chaque rencontre, à chaque échange.
Ne sortant que très peu, il passait le plus clair de son temps en mer, prolongeant ses journées de pêche jusqu’à la nuit tombante.
Un matin, il prit la route à son tour, sellant son cheval en hâte. Il avait décidé d’aller couper du bois, de se rendre un tant soit peu utile, de s’occuper l’esprit pour ne pas sombrer.

Arrivé à Tréguier, il décida de lui écrire. Il ne pouvait se résoudre à rompre le contact, à couper ce lien infime qui le reliait encore à elle.
Sa lettre fut tendre sans être empressée, distillant juste un soupçon d’amour, démontrant une sincérité sans équivoque et une détermination sans faille.
Viken choisissait chacun de ces mots avec une infinie précaution, les jaugeant un à un avant de les coucher sur le papier. Chacun d’entre eux avait son importance, devait traduire avec exactitude ce qu’il ressentait au plus profond de son âme. Ces mots savamment soupesés, triés, choisis, devaient être les plus fidèles messagers de son amour pour elle.

Il savait l’extrême importance que revêtait ce simple courrier. S’il ne réussissait pas à toucher son cœur par ces quelques lignes, il la perdrait à jamais, se perdant lui même. Le voyage qu’elle avait entrepris scellerait la fin d’un amour avorté, il en était conscient autant qu’effrayé. Il savait également, que cet amour serait le dernier, il le porterait aux nues ou le détruirait à coups sûrs.

Viken ne s’imaginait pas vivre sans elle, emporté qu’il était par cet amour dévorant, irrésistible. Ce qu’il ressentait au fond de lui était violent, il était comme happé par une force invisible lui déchirant le cœur et les tripes, lui dictant avec une implacable volonté le chemin de sa vie.

Les rues de Tréguier était déserte en cette matinée à la grisaille pesante. Un pigeon dans la main Viken s’apprêtait à envoyer vers elle le précieux mot qu’il avait mis la nuit entière à lui rédiger.
Il trembla fébrilement, en attachant le petit rouleau de papier à la patte de l’oiseau, en vérifia maintes fois la solidité du lien. Le lâchant du bout des doigts, il le regarda s’envoler, ne le quittant pas des yeux.
Sa vie s’envolait à tir d’ailes là haut vers les nuages, elle ne tenait désormais qu’à un souffle … le souffle du destin.

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Missanges
Sa main toucha la mienne lorsqu’il me tendit les rênes. Ses doigts effleurèrent les miens, je ressentis une délicieuse sensation remontant le long de mes bras. Inclinant la tête, ses lèvres se posèrent dans le creux de mes mains. Celles-ci devinrent brûlantes et moites, un frisson me parcourut, je ne fis rien paraître.
Il était incroyablement attirant.
Partir, refouler toutes ces émotions qui me subjuguent soudainement. Fuir.

Un instant plus tard, je fus sur le dos de mon cheval en direction de Tréguier.
Essayant de ne penser à rien, je me concentrai sur le tintement des sabots ferrés de Nuage, martelant les pavés de Kastell. Le village fut vite hors de ma vue, les bruits de la vie active devinrent doucement plus lointains, puis furent étouffés par les arbres bordant la route.
En l’espace de quelques foulées de Nuage, j’eus l’impression d’être à une éternité de St Pol.

Ma main pianota sur mes épaules, cherchant le capuchon de ma cape, afin de protéger ma nuque d’un petit air frais remontant du lac. Mes bottes virent cogner contre le flanc de ma monture et ce fut le galop.
Une merveilleuse sensation de liberté, de n ‘être plus qu’un avec ce foutu canasson. Une sensation soudaine d’être invulnérable, que plus rien ne peut nous atteindre, que plus rien existe hormis nous !

Nuage galopait, il semblait savoir parfaitement où il allait, comme s’il avait l’itinéraire dessiné dans un coin de sa tête. Il savait la direction à prendre, il le savait tout simplement, le sentait !

Plus tard, plusieurs bâtiments de fermes isolées se dévoilèrent, puis ce fut la ville. Nuage s’engagea dans un passage plus étroit qui déboucha dans une ruelle. Quelques personnes apparurent, emmitouflées contre le froid matinal, tête baisées, elles avançaient. Des ombres dansèrent derrière le carreau d’une fenêtre et ma main cogna contre la vitre. Une rouquine sortit précipitamment en me voyant et soudain un tourbillon m’aspira. Tréguier était en fête, un mariage s’y déroulait.
Mon amie, m’accueillit d'autres étaient là aussi. Nous partagèrent gaiement la prunàvampi une partie de la nuit.
Enfin l’oubli !

Et pourtant son visage revenait sans cesse devant mes yeux. La douceur de ses mains lorsqu’il m’avait tendu les rênes, la chaleur de ses lèvres…
Le vouloir, le rejeter !
Toutes ces pensées contradictoires dans ma tête se bousculaient.
Une pensée se faisait plus nette.
Il venait de rompre et moi j’étais en deuil !


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Missanges
Moins vite Nuage !
Il avait décidé de prendre toutes les bosses et tous les trous que contenait cette route. D’abord ils sont où les cantonniers entre Tréguier et Saint Brieuc ! Lorsque ses sabots se perdaient dans l’une de ces aspérités, nombreuses sur ce chemin, mon fessier venait cogner contre le cuir de la selle et une multitude de cloches venaient alors résonner contre mes tympans. A moins que ce ne soit encore le bruit des chopes de la veille qui s’entrechoquent.
Sacré soirée !

Nuage avançait et pour de bon j’avais une sacré céphalée, moins que le lendemain du mariage de mon père et de Lilith mais tout de même une bonne migraine. Les rayons du soleil s’y mettaient aussi. Ils filtraient à travers les branches des arbres et semblaient jouer à cache-cache, sortant pile poil au moment où j’ouvrais les yeux. Et de nouveau les carillons résonnaient dans ma tête.
Franchement à bien y réfléchir, qu’est-ce que je foutais sur le dos de Nuage. Tous ces événements me bousculaient, mais je n’avais rien demandé moi !

Et ce mal de tête, cette mémoire embrumée me présentait sans cesse depuis cette révélation, des souvenirs de lui par fragments. Je calculai, j’essayai de me souvenir à quel instant il aurait pu tomber amoureux, sur quelles paroles dites, sur quel sourire…
Je calculai trop !
Je me rappelais des moments anciens et des moments récents mais les événements des derniers jours les faisaient ressembler à des morceaux de puzzle tournoyants dans mon esprit. De brèves images furtives s’éclipsaient avant de devenir nettes.

Plus aucun arrêt !
C’était la bonne décision, plus aucun arrêt, plus de tentation en taverne, la sage décision pour me refaire une santé. J’avais assez de victuailles pour tenir jusqu’à Rieux. Quelques pauses pour grignoter, se dégourdir les jambes, faire souffler Nuage, rien de plus. Partir vite, rejoindre Bordeaux, ma destination finale.

Et ce fut, lors d’une pause que je le vis. Eclipsant tous les autres cris d’oiseaux, éclipsant tous les autres bruits de la nature son roucoulement devint plus fort, voulant me faire comprendre qu’il était là, porteur d’un message.
Assise sur une pierre, le dernier morceau de gâteau en bouche. Célèbre pâtisserie des Mamettes qu’un boulanger audacieux piquera la recette et en fera son Kouign amann des années plus tard, pirates ! Gâteau sorti du torchon de Mahestine, qui à lui tout seul équivalait tout un festin tant il était, comment dire… Heu.. Assez compact.
Ah ! C’est quelque chose le gâteau des Mamettes ! Ça plombe direct un estomac !

Je le regardais faire, il déployait ses ailes dans un léger battement dont le rythme s’accélérait. La tête impatiente venait se blottir sous ces plumes cherchant celles qui devaient être tirés au sort. Une patte se soulevait, puis l’autre, ses yeux se firent fixes sur mon regard, puis se fermèrent et un roucoulement plus fort se fit entendre. Voyant aucun mouvement de ma part, il approcha lentement. Mes doigts frottèrent le restant de gâteau, des miettes brunes se répandirent contrastant avec les pierres blanches du sol. Il picora un moment puis j’avançai ma main le saisissant doucement pour prendre le vélin.

Il était là !
Dans le creux de ma main devenue légèrement tremblante. Mon intuition féminine m’en disait l’auteur et doucement je le fis dérouler entre mes doigts. Mes yeux suivirent chaque mot au rythme des battements de mon cœur qui s’amplifiaient, cognant soudain plus fort contre ma poitrine.

Citation:
Miss,
Je ne sais comment exprimer les émotions qui m’animent en ce jour.
Il est pourtant frustrant de se savoir si proches et éloignés à la fois. Ce voyage, bien que nécessaire, est une épreuve pour notre amour.
Je ne doute pas un instant être capable d’attendre ton retour. L’intensité de ce que j’ai ressenti en te tendant les rênes me prouve que je ne me suis pas trompé.
Je veux être certain que cet amour est partagé, que les doutes qui te hantent aujourd’hui, s’estomperont avec le temps.
Même si cela me coûte, même si tu me manques affreusement, il nous faut affronter cette période de silence.
Je veux que cet amour soit beau, tendre et fort à la fois, à ton image. J’ai envie de t’offrir le meilleur, pas de faux-semblants ou de sentiments au rabais.

Comment mieux te prouver cet amour que de te proposer d’attendre ton retour quelle que soit la durée de ton voyage ?
Comment mieux te dire que je t’aime qu’en te proposant ce silence, au risque de m’y perdre ?
Comment te faire comprendre que je ne vis que pour toi, que par toi, que je préfère vivre dans l’intensité unique de cet amour que dans la banalité de dix autres ?

Miss, mon ange, je t’aime plus que tout au monde. Je n’ai pas de désirs plus forts que de vivre à tes côtés le restant de ma vie, de t’apporter ce que tu pourras puiser de meilleur en moi, d’être là, lorsqu’il le faut, à te tenir la main dans les bons comme les pires moments.

Je t’embrasse de tout mon amour, toute ma tendresse.

Viken


La lettre vint rejoindre les miettes restantes et mes yeux se perdirent sur le sol.
Du temps, je lui avais demandé du temps…

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Viken
(Les rues de St Brieuc – Un jour comme les autres, début Février)


Il continuait son chemin sans hâte, juste soulagé d’avoir quitté Kastell.
Longeant toute la côte, en ce frais début du mois de février, il prenait tout son temps, laissait courir son regard sur ce que dame nature avait fait de plus beau. Ce décor était époustouflant de beauté.
La mer aux eaux turquoise déchirée par de sombres récifs se paraît ça et là d’un soupçon d’écume blanche comme par souci de coquetterie. Dans un ciel juste voilé, mouettes et goëlands rivalisaient d’adresse pour finaliser un ballet qu’on eut dit préparé.
Viken aurait presque souhaité être seul au monde, ne plus rencontrer âme qui vive. L’envie d’aller vers les autres l’avait peu à peu quitté, ne trouvant l’apaisement qu’en cette douce communion avec les éléments.

Il descendit de cheval et s’allongea sur le ventre. Agrippant le sol, le griffant de ses ongles, le nez enfoui dans l’herbe, il humait cette terre qui était la sienne. Il faisait corps avec elle, puisant en ce contact éphémère une force insoupçonnable.
Il resta là un long moment, le corps et l’esprit apaisé avant de reprendre à nouveau la route.

Le soir était déjà avancé lorsque remisant son cheval à l’écurie, il déambula dans les rues de St Brieuc. Passant devant les tavernes, il en scrutait l’atmosphère au travers des carreaux embués, fuyant systématiquement le bruit et les rires.
Non loin du port, il finit par trouver ce qu’il cherchait. Il entra en silence, et s’installa à une table après avoir passé commande. Le tavernier peu enclin au dialogue, lui apporta sa chope.

Dans un coin plus sombre, le seul client présent sirotait son verre à petites lampées. Viken le regarda intrigué, il en devinait à peine le visage dissimulé sous une large capuche. L’homme n’en était visiblement pas à son premier verre.
A son attitude, à ses gestes mal assurés, il comprit qu’il était ivre. Mais il gardait dans cette ivresse toute sa dignité, sachant la doser, l’apprivoiser pour qu’elle soit la douce alliée qui apaise les souffrances de l’âme.
Il connaissait les limites, celles qui le feraient irrémédiablement sombrer, mais il était trop tôt, cette ivresse là viendrait plus tard, lorsque ayant épuisé tous les artifices, après s’être lentement anesthésié, il se donnerait le coup de grâce, le verre fatal avalé cul sec comme un ultime défi à la lucidité.

Viken regardait l’homme en silence. Beaucoup l’aurait jugé en hâte, se gaussant de sa détresse comme d’une honteuse infirmité. Lui n’était pas ceux là, il l’observait comme s’il s’était regardé lui même, il le comprenait sans connaître les raisons de son désespoir et finalement, sans même savoir pourquoi, il l’admirait.

Il repensa alors à son pigeon, son cœur se serrant subitement. Avait il su trouver sa route ? Ses mots avaient ils su trouver le chemin de son cœur ?
Il n’en savait rien hélas, bien obligé malgré lui de s’en remettre au destin. Il imaginait ses mains défaire le vélin avec fébrilité, son cœur s’accélérer à la lecture de ces quelques phrases. Mais ensuite … oui ensuite, quelle serait sa réaction ?
Allait elle le rejeter définitivement, épuisée par son insistance, allait elle l’ignorer simplement se concentrant sur son besoin de fuir tout cela, allait elle succomber à la force de ses mots ?

Viken était bien en peine d’imaginer la suite, cet avenir ne lui appartenait plus. Il lui avait confié sa vie en quelques coups de plume. A quelques jours de marche d’ici, elle était peut être en train de la tenir dans ses mains, déchiffrant de ses beaux yeux verts son appel au secours, … son appel à l’amour.

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Missanges
[Février]

Je repris la lettre, je repris la route.
Ce n’était plus des fragments de souvenirs qui venaient danser devant mes yeux, mais ces mots, ces phrases contenus dans sa lettre.
Peu à peu la lassitude commença à m’envahir, ce n’était plus l’effet de la prune, c’était cette bagarre qui faisait rage en moi, ce dilemme, que je n’arrivais pas à résoudre.
Je ressentais ce poids se faire plus pesant de jours en jours. C’était trop tôt.
Cependant mes pensées allaient vers lui.

Puis ce fut la forêt de Rohan, celle qui me faisait toujours peur lorsque je devais la traverser. J’étais maintenant seule pour affronter ses dangers, qu’ils soient brigands ou loups ! Quoique, y avait –il vraiment une différence. Le loup attaque pour subvenir à ses besoins, le brigand peut être aussi.
Changeant de position sur ma selle, me recroquevillant, je fonçais parmi ces grands arbres dont certains venaient de leurs doigts crochus me caresser les cheveux. Souvent, je me haussai légèrement de mon siège tendant mes jambes sur les étriers, une main agrippée aux rênes et l’autre à la crinière de Nuage. Je regardai derrière moi scrutant chaque tronc d’arbres ayant la crainte de voir surgir l’éclair d’une lame. L’attaque de mon père et de sa femme était encore présente dans mon esprit. Mais seule l’ombre des arbres nous suivait comme des fantômes obscurs.

Pourtant un hurlement retentit, le son se répercuta d’arbres en arbres, nuage encensa avec un léger hennissement semblant répondre à ce cri. Des ailes fondirent sur moi voletant très bas. Une ombre passa devant mes yeux et vint se poser sur la tête de Nuage. Celui-ci n’eut même pas le temps de se rendre compte de quel volatile cela pouvait être. Un pas de danse à droite, un pas de danse à gauche et soudain, il se dressa sur ses jambes arrières, brisant l’air devant lui de ses sabots avants. Tout se passa très vite et pourtant ce fut le ralenti pour moi. Les rênes glissèrent de ma main, mes pieds sortirent des étriers et la selle devint glissante, très glissante. Perdant l’équilibre mon derrière toucha le sol. La prise de contact avec la terre battue ébranla tout mon corps et mes dents s’entrechoquèrent.
Arf !
Nuage revenait vers moi les naseaux dilatés, l’air penaud. Je surpris son regard, ses yeux taquins semblant me dire.
Bah ! T’es entière, tu ne vas pas rouspéter..Finissant le tableau l’oiseau du délit vint se poser sur ma tête.
Saleté de bestiole !
Encore un pigeon de lui !

Me redressant rapidement, je fus l’instant qui suivit la scène de nouveau sur le dos de Nuage. Mes bottes cognèrent son flanc. Je sentis les veines de ma monture trembler contre mes mollets.
Partir de cet endroit, fuir toutes ces ombres…



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Thiersen
bien, je vais devoir encore faire un effort, Zen on va se marrer

Ce topic étant balisé rp, votre intervention est malvenue et disparaitra donc incessamment sous peu. Prière de respecter le jeu des autres.

Bonne journée,

{Craquinette}

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Sois Zen, pense Bigouden.
Viken
(Rohan - en forêt - courant Février)

Il était arrivé à destination. Rohan et son immense forêt l'attendait. Il devait ramener le plus de bois possible, il s'en était fait un but. Aussi, à peine installé, il se mit à la tâche prenant le chemin qui l'emmènerait vers la forêt, la hache sur l'épaule. Il était encore très tôt et une légère brume enveloppait la cime des arbres rendant l'endroit encore plus mystérieux qu'à l'accoutumée. Il s'arrêta un instant, humant l'air, profitant du silence et des premiers cris d'oiseaux. Il avait hâte de s'atteler à ce travail, de s'épuiser l'esprit autant que le corps, pour ne plus se torturer en d'horribles doutes.
Elle lui avait demandé du temps, elle avait besoin, comme lui sûrement, de se retrouver seule pour mieux se comprendre. Aucune promesse, aucun signe qui pouvait lui laisser espérer, elle avait su ne pas attiser cet amour qu'il lui portait, ne pas l'encourager pour augmenter sa souffrance.
Il l'aimait aussi pour cela, sa franchise, son honnêteté. Mais malgré cette apparente distance, ce semblant d'indifférence, Viken croyait en cet amour et ne pouvait se résigner à l'oublier. Il était là et bien là, au fond de lui comme une certitude, lui perforant le coeur à chaque fois qu'il revoyait son doux regard dans le sien, à chaque fois qu'il se remémorait son sourire. Il n'avait aucun doute sur cet amour, il était bien trop fort, bien trop puissant pour n'être qu'une passade. Il sentait cette attirance, cette irrésistible appel qui le poussait vers elle chaque jour un peu plus.
Il l'aimait oui, mais bien plus encore, il la voulait pour la vie, lui prenant la main pour l'éternité.

Il soupira en portant son regard vers sa hache. Les pigeons envoyés, il n'avait plus qu'à attendre une éventuelle réponse. Son amour, il l'avait déclaré, en toute sincérité. Il avait écrit avec son coeur, avec toute son âme. Désormais, il fallait s'occuper, se mettre au travail.
Il s'enfonça légèrement dans la forêt cherchant l'endroit où il allait frapper pour la première fois, entaillant l'écorce de son premier arbre. Son regard se porta sur un tronc bien large, il s'en approcha et caressa l'écorce de la paume de sa main. Il en sentait la force et la majesté. Il resta là un moment, à contempler cet arbre passant sa main sur la mousse de son tronc. Il leva les yeux vers sa cime comme s'il sentait son imaginaire regard. Puis il s'en écarta en reculant, lui parlant à voix haute.


Non ... pas toi. Tu seras épargné.

Scrutant les alentours, il jeta alors son dévolu sur un autre tronc plus petit, plus anodin. Il cracha dans ses mains avant de se saisir du manche de sa hache et la levant bien haut frappa d'un coup sec. Il entama le tronc d'une saillie bien franche. Pendant des heures, il répéta son geste, guidant la lame afin qu'elle soit plus précise et efficace. Il apprenait au fur et à mesure de son labeur, corrigeant ses erreurs, s'y reprenant à plusieurs fois lorsqu'il loupait sa coupe. Lentement le tronc s'ouvrait sous ses coups laissant la lame lui arracher de larges copeaux.
En fin de journée, il fut en équilibre, le ventre entaillé d'une horrible balâfre. Viken s'arrêta un instant, le regardant avec respect, comme pour le remercier une dernière fois avant de le mettre à terre. Il avait un profond respect pour cette nature si belle et généreuse. Il n'éprouvait aucune joie à enlever la vie de cet arbre, le coupant de ses racines, lui ôtant son âme.
D'un geste précis et puissant, il lui donna le coup de grâce, le faisant vaciller sur lui même. L'arbre pencha lentement semblant se raccrocher à ce qui lui restait de vie et dans un bruit déchirant vint heurter le sol d'un horrible fracas. C'était fait. Son premier arbre était coupé, le tronc gisant contre terre.

Il regarda ses mains, elles étaient en sang et il semblait pourtant n'en éprouver aucune douleur. Etait il possible que sa souffrance, cette blessure lancinante de son esprit, puisse effacer celle physique de son corps meurtri ?
Il regagna Rohan, fourbu de cette journée. Demain, il viendrait débiter cet arbre, le coupant en morceaux réguliers afin d'en faciliter le transport.
Demain serait un autre jour, porteur d'autres nouvelles, d'autres joies ou d'autres tourments.

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Missanges
[début mars]

L’intérieur de la taverne était bourdonnant. Je n’en revenais pas. Moi qui avais connu les tavernes de Rieux vides à chacun de mes passages, aujourd’hui elles grouillaient de monde.
Une femme sympathique allait et venait servant chaque table. Sa main était haute, bras tendu fendant la foule. Elle tenait un plateau ou trônaient des chopes et des écuelles contenant de la nourriture. Je commandai un repas, c’est ainsi que je fis connaissance avec Mika…

Le soir déclina doucement, les clients partirent et nous restâmes seules. Je l’écoutai en silence me parlant de son amour enfermé dans un monastère donnant son temps de labeur à refaire la chaussée aux moines.
Et moi, j’étais là, assise, parfois attentive à ses paroles, parfois mon esprit divaguait tiraillé entre l’amour pour mon défunt mari et celui que voulait m’offrir Viken.

Mais une question aurait pu départager tout cela. Lui, m’aimait comme un fou, mais moi ?
Est-ce que je l’aimais ?
Voilà vraiment la question vitale, celle que je ne voulais pas affronter, celle que je refoulais sous maintes raisons, prétextant cet amour venu trop tôt.
Fuir, j’avais choisi la fuite comme à chaque fois qu’un événement me percutait en plein fouet.
Jamais affronter !

Puis ce fut la route, celle qui descend sans ville sans taverne. Route sauvage et désertique bordée de part et d’autre de quelques bosquets. Une partie de moi-même se sentait heureuse lorsqu’il était là, lorsque ses yeux plongeaient dans les miens. Une autre partie de moi se souvenait de Nek.
Insoutenable, sensation que celle, de se sentir ainsi au bord de l’abîme, au bord d’un grand trou noir qui peut vous happer sournoisement.
Insoutenable, affres que sont les détours de l’âme !

Les jours s’égrenèrent, les heures s’écoulèrent et le début de ce mois de mars pointa son nez. Mes jambes devinrent douloureuses d’avoir serré la selle si longtemps. Des courbatures croissantes vinrent lanciner mes cuisses gagnant mon dos. Des crampes tétanisèrent mes doigts d’avoir serré si durement les rênes. Je me demandais si je pourrai encore marcher normalement lorsque mes pieds toucheront le sol.
Il était temps de faire une pause.

Une jambe qui passe au-dessus de la selle, un corps qui glisse contre un autre. Ma main caresse le temps de cette descente le flanc de Nuage et j’y surprends une fine sueur. Un coup de tête qui vient finir sa course contre mon fessier et en équilibre un pied encore dans l’étrier, je regarde tendrement les yeux de ma monture.
Tssssssss !

Nuage libéré partit devant moi, je le suivis doucement massant mes poignets douloureux. Je sentis le sang affluer dans mes jambes ankylosées par tant de route, soudain devant moi, une rivière coulait là, tranquille au milieu de nulle part. Aucunement répertoriée sur mon itinéraire et pourtant elle était là, le vent ridant à peine sa surface. La pointe du jarret dans l’eau, mon cheval se désaltérait, dans ce petit havre de paix. Mon dos vint contre l’écorce d’un arbre et mes pensées reprirent.

Une bouffée de vent titilla mes narines, portant une odeur de cuisine, d’une ferme isolée au loin. Fermant les yeux je pensai aux mamettes restées au moulin, à ce manque d’elles. A leurs éclats de voix, à leurs sempiternelles chamailleries devenues si familières et si chères. Ma gorge se noua.
Puis lentement sortant du noir son visage apparu, je revis ses yeux, sa tristesse lorsqu’il m’avait avoué son amour, ses yeux embrumés dans l’écurie lors de mon départ. Sa promesse de m’accorder du temps, promesse qu’il n’avait pas tenue m’envoyant sans cesse des pigeons amoureux.
Je souris à cela.
Qu’allais-je faire à Bordeaux !
Y rester ?
Au détour d’une ruelle, en taverne, un jour ou l’autre, nous serons de nouveau proches. Nos souffles s’uniront, nos regards s’échangeront. Mon dos contre l’écorce de l’arbre j’ouvris les yeux.
De l’infini petit à l’infini grand, l’amour serait toujours le plus puissant. Il surprend, il réunit, sans logique, sans raison.
J’étais amoureuse de lui et c’était une évidence.
Je n’avais répondu à aucun de ces pigeons. Ma main se posa sur ma besace accrochée à la selle et je pris mon vélin.

Citation:
Cher Viken,
Je fais demi-tour. Rejoignons-nous à Rieux.
Je t’aime
Miss


Que dire, que faire ! Profiter du bonheur tout simplement

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Viken
(Début Mars - Entre Rohan et Rieux partant à sa rencontre)

Il était retourné maintes fois en forêt débitant soigneusement cet énorme tronc en morceaux réguliers et égaux. Empilant les bûches les unes sur les autres, il en avait fait un rang bien agencé, rectiligne et stable. Des petites branches inutiles il avait fait un grand tas et y avait mis le feu, s'y réchauffant les mains à chacune de ses pauses. C'est qu'il ne faisait pas très chaud en ce mois de mars, et le sol encore tout blanc des gelés matinales tardait à se colorer des premiers rayons de soleil.
Il était donc là, le nez rouge de froid à se dandiner devant ce brasier pour ne pas trop frissonner lorsque la sueur se refroidissait vite fait au creux de son dos. Une fumée blanche s'échappait de sa bouche à chacun de ses souffles et il s'approcha un peu plus des braises tendant les mains vers elles. Il n'était pas loin d'avoir réuni le bois nécessaire, à peine quelques jours encore et il devrait rentrer sur St Pol livrer le fruit de son labeur. Il n'était à vrai dire pas trop pressé, se sentant finalement mieux ici, seul au milieu des bois, qu'entouré de regards plus ou moins bienveillants.
Il s'accroupit un moment le regard fixé sur les flammes qui dansaient au rythme des crépitements du bois.

Il pensa à elle, revoyant son doux regard vert. Où était elle désormais ? Allait elle lui répondre ou bien l'oublier à jamais, repoussant d'une main chacun de ses courriers ?
Il soupira. Le temps passait inéxorablement laissant l'espoir s'éloigner. Qu'importe, il ne renoncerait pas. Il sentait cet amour si fort que pour rien au monde, il ne l'abandonnerait.
Dans son dos, un bruit d'ailes qui se froissent. Viken lentement se détourne et cherche du regard le volatile qui vient de se poser. A quelques pas du feu derrière lui, un pigeon le regarde dodelinant de la tête. Il roucoule un coup, puis deux avant de fouiller le sol de son bec.
Viken a le coeur qui se serre d'un coup, lui étreignant le torse douloureusement. Etait ce la réponse à ses courriers ? Il déglutit à grand peine, regardant la patte de l'oiseau où se tenait un fin rouleau.
Fouillant dans son sac, il en sortit un bout de pain qu'il émietta entre ses doigts. Il en jeta un peu entre le pigeon et lui, attirant son attention.
Celui-ci ne se fit pas prier et s'avança en picorant à grands coups de bec. Il prit alors l'oiseau lorsqu'il fut à portée de main et d'une main tremblante le libéra de son message.
Il resta là un long moment, le rouleau dans la main. Il était impatient mais la peur lui nouait le ventre. Prenant une longue inspiration il déroula le message et le lut.


Citation:
Cher Viken

Je fais demi-tour. Rejoignons nous à Rieux.

Je t'aime.

Miss


Son coeur fit un bon et il se laissa tomber à genoux relisant sans cesse ces quelques mots. "Je t'aime" ... elle avait bien écrit "je t'aime".
Il embrassa le papier, levant les yeux vers le ciel semblant le remercier du fond du coeur.
Tous ses tourments l'abandonnaient d'un coup lui laissant une indéfinissable impression de légèreté. Il se releva et hurla sa joie, dansant autour du feu comme un gosse. Les larmes coulaient sur ses joues, des larmes de joie laissant se déverser ce trop plein d'émotion.
Il rassembla ses affaires en hâte, attrapa sa hache dans une main, son sac dans l'autre et partit en courant vers Rohan.
Son bois attendrait, il le reprendrait plus tard, quelle importance à vrai dire. Arrivé en ville, il prit avec lui l'indispensable, prépara son bagage à toute vitesse, le coeur battant la chamade. Il courut jusqu'à l'écurie et y sella son cheval. Sautant sur son dos plus qu'il ne s'y hissa, il lui éperonna les flancs, le faisant s'élancer au plus vite.
Un franc sourire au coin des lèvres, debout sur les étriers, le coeur léger et battant, il se dirigeait vers elle au grand galop, ... il allait la rejoindre enfin.
Chevauchant sans relâche, il évita Vannes en coupant au plus court et prit la direction de Rieux en pleine nuit. La fatigue se faisait lentement sentir et il avait le dos en charpie, mais qu'importe, rien ne pouvait désormais l'arrêter. Accordant quelques moments de répit à son cheval, il ne regagna Rieux qu'au petit matin, et confia les rênes au palefrenier à peine levé, lui demandant d'accorder double ration d'avoine à sa monture. Il en caressa la croupe en guise de remerciement avant de se rendre en taverne.

Elle le trouverait là à coup sûr, aussi il ne quitta pas l'établissement un seul instant. Il tournait en rond au beau milieu de la salle agaçant l'aubergiste au point que celui-ci lui paya à boire pour le faire assoir. L'attente était insoutenable et bien qu'il ait déjà mille fois songé à ce moment, il savait que rien ne se passerait comme dans ses rêves.
Il en eut confirmation lorsqu'elle entra en silence. Il se détourna et resta là un long moment sans voix ne parvenant pas à y croire.
Elle lui sourit tendrement. Il s'approcha le coeur battant, et son regard ne quittant pas ses beaux yeux verts, il l'enlaça.
Sans dire un mot, ils s'embrassèrent longuement sachant l'un et l'autre qu'ils vivaient là les premières heures d'une longue vie d'amour.



Fin.
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