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[RP] Kiss kiss bang bang

Aimbaud
Dans les coursives du château de Decize, un cri vient de raisonner, qui fait dresser les cheveux sur les têtes de tous les serviteurs. L'une immobilise son battoir à linge qui goutte au dessus d'une bassine, l'un garde en arrêt sa cuillère de sauce au dessus d'un gigot, l'autre oublie sa fourche dans une botte de foin. Cette voix haut perchée, cristalline ou tranchante selon les humeurs, ils la connaissent fort bien : c'est celle de l'Invitée de marque qui occupe la demeure depuis quelques mois... Elle est étrangère, elle est possédée, elle est belle à se damner. Bref, elle questionne les consciences.

De nouveaux éclats de voix surviennent, ils font vrombir les carreaux et les faïences, tomber les battoirs, les cuillères et les fourches. Les domestiques se regardent avec la pâleur de l'effroi, l'un ose demander :


- Qu'est-c'qu'elle a dont là, la maîtresse...?
- Ca s'rait t'y pas encore un cauchemar.
- À c't'heure du jour ? Mais non.
- La Camille elle a dit eun chose.
- Quel' chose dont ?
- La chose... Qu'y'a eun homme qu'a dormit icelieu toute la nuitée.



°°°


Un homme justement — ou tout du moins un bout d'homme — s'engage dans la descente des escaliers de la tour, enjambant quatre-à-quatre les marches tapissées, tout en re-bouclant la sangle de son épée. La mine pâle, le pourpoint sans boutons, la laine hors du pantalon, bien peu présentable en somme (ce qui ne lui ressemble guère), les témoins reconnaîtront qu'il s'agit d'un soldat à l'inimitable coupe-au-bol qu'il arbore, réglementaire pour le port du casque, et les connaisseurs identifieront Aimbaud de Josselinière, le jeune Écuyer Tranchant de Bourgogne.

Témoins nécessaires car, si l'on en croit le tapage de cette descente d'escaliers alliée aux cris qu'elle engendre, il y a tout lieu de croire qu'un meurtre infâme vient d'être commis. Aussi quelques valets de chambrée viennent-ils à s'interposer, barrant la route au Bourguignon avec des bras prudents pour tenter de le modérer dans sa fuite. Faible rempart que le fuyard repousse avec mal-humeur, en s'engageant à grands pas dans la cour du château.

Peiné, défait, résolu, il franchit la porte des écuries, gaine la sangle de la selle sous la panse de son cheval à l'aide de gestes froids et efficaces. Puis met le pied à l'étrier tandis que la bête piaffe de nervosité en sentant dans l'atmosphère, l'électricité propre à faire craquer le ciel. C'est vrai qu'il fait lourd, et que de mauvais nuages aveuglent le soleil, donnant au jour un faux-semblant de nuit.


"Aimbaud !"

Il ignore la semonce et grimpe en selle, engage sa monture vers le porche de l'édifice pour mettre les bouts, s'éloigner a plus vite de ce lieu où tempêtent toutes les crises, les éclats d'humeur, et les prises de tête. Déjà, la bruine qui s'émie dans l'air se mue en fine pluie, elle ne tarde pas à rendre tout moite sur son passage. Des gouttes, plus grosses se mettent à claquer sur les dalles.

Deux pieds nus accourent sur les pavés et la terre, bientôt mouillés. La maîtresse des lieux, empêtrée dans une longue chaisne de petite-laine qui ne dissimule que la couleur de sa peau, fend l'air gelé de fin d'hiver, et se saisit à pleines-mains des brides du destrier pour l'arrêter brusquement. Elle a la gorge à l'air-libre, la folle ! La pluie lui fouette les épaules et brunit ses cheveux. C'est certain, elle va attraper la mort.

Effaré au premier abord, Aimbaud lui jette un regard brutal en sentant l'indécence de se voir observé en pleine querelle, par les serviteurs de la mesnie qui se sont amassés dans l'enceinte pour assister à la scène. S'empêchant de grelotter lui-même, l'eau gouttant à son menton, il lui ordonne, les dents serrées :


... Rentrez-vous ! Voyons.
_________________
Blanche_
Les dalles au sol ne sont pas polies. C'est une allée longue, qui borde la bâtisse principale, pour laisser le parterre propre, et les pieds secs. Les chevaux, lorsqu'ils s'y engagent en jour de beau temps, entonnent à son contact un tintement clair de sabots neufs.
Mais c'est pieds nus que Blanche court dessus. Sent-elle sous ses pieds la morsure glacée d'une pierre travaillée, et rendue lisse ? Quand les orteils glissent, sent-elle, qu'ils meurent et se tordent, sent-elle, éprouve t'elle autre chose, que cette palpitation dans la gorge, et le coeur qui se serre ?Sent-elle...

Aimbaud !

Un serviteur lâche dans un grand fracas, l'attirail qui emportait prestement à l'abris de la pluie. Derrière lui, une autre pousse un cri, étonné et courroucé, avant que de voir.
Médusés, ils fixent tous la scène terrible sous leurs yeux. L'homme, hissé sur son cheval, et qui domine la pâle et misérable femme à ses pieds.
Ils n'osent bouger, ni gémir, parfois l'une des leurs pousse un petit cri, ou un soupir las. De leurs braies et chemises sales, trempées de suie, et leurs corps charbonnés que le Dieu lave, ils dévisagent l'enfante et le soldat, sans rien oser comprendre.


Vous m'abandonnez, pleure t'elle, et vous croyez que je m'inquiète pour un rhume ?
Cela est si risible, si ridicule, si...
Elle sent, dans un a-coup plus fort que les autres, son coeur qui un instant a semblé s'arrêter. Et rien, si ce n'était cette bride qu'elle serre si fort, rien n'aurait pu la retenir pour qu'elle ne s'effondre.
Oh, faites que cela s'arrête...!


Il a une voix plus rassurante, lorsqu'il reprend parole.
Bercée, la tête se relève. Les yeux voudraient voir le ciel, et son visage qui s'en distingue, mais les gouttes en force tranquille les obligent à se clore. Elle écoute la voix. Elle l'entend. Et les mots chacun l'atteignent, comme une poésie à son apprivoisement.
C'est désormais la seule chose qui la rapproche de lui.

Je... je ne vous abandonne pas. Rentrez maintenant. Écrivons-nous plutôt que de nous voir, voulez-vous...

Le cri, dans sa gorge où l'eau s'engage, meurt avant d'être entendu. Elle tousse, crache, sans comprendre, une eau qui est devenue salée en glissant sur sa peau. Elle refuse de savoir, et d'obéir ; obstinément, elle secoue la tête.
L'enfant, encore une fois, s'entête à ne rien écouter. Ce qu'il a dit, elle le refuse, le repousse. Se boucher les oreilles, pour n'entendre de sa voix qu'une suite sans sens, d'onomatopées à son timbre...
Ne rien entendre. Elle refuse. Jusqu'à l'écoeurement, dans sa bouche qui ne ferme plus, l'eau s'engage et refoule les larmes.
La voix. Elle refuse la voix, elle n'aime plus la voix. Elle la HAIT !
Car la voix, Sa voix, si calme et gentille, sa voix, ne vient-elle pas de dire qu'elle devait s'écarter, et lui partir ?
Elle sent. Voudrait le haïr plus encore.


Écrivons-nous plutôt que de nous voir.

Plutôt que de nous voir...
Nous.

Le masque impassible est revêtu.


Au revoir, donc. Ne m'écrivez pas. Vous n'aurez pas le temps.

C'est si froid, si odieux, de dire cela de cette façon ! Le nez relevé, fier comme elle sait si bien se redresser, orgueilleuse et sans amour, la bretonne a retrouvé, un instant, le panache de ses années de Princesse. Et à quoi, à quoi l'utilise t'elle, cette aura lumineuse ?
Pour le déconsidérer et le vaincre ; l'atteindre, une ultime fois. En juste vengeance...

Oh...!
Faites que cela s'arrête...


Rentrez.

La rage s'est tue. Muet en son coeur, l’opprobre qui le souillait laisse place à un sentiment nouveau : le vide. L'absence de toute chose.
Le désert.
Oh mon Amour... Mon Âme soeur, je compte les jours, je compte les heures...
Oh mon Amour... Ton grain de voix fait mon bonheur à chaque pas...
Laisse moi te dessiner !

Le nez vers le ciel, yeux fermés, elle est immobile. Les gouttes coulent toujours, mais le ciel s'est tut. Ce sont ses yeux, qui pleuvent.
Et son désert...


Jamais !
Dans son désert, dans mon désert, voila. C'est tout.

[Le désert, Emilie Simon]
_________________
Aimbaud
Aimbaud de Josselinière a quatorze ans et s'il a bien gardé un stigmate de l'enfance, c'est celui de n'avoir nulle patience. Il aime à être obéit plutôt qu'obéissant, et n'est pas née celle qui saura l'entraver quand il compte bien être libre d'aller. À cette heure, il n'a qu'une chose en tête, déblayer le plancher loin des murailles de Decize, foutre le camp de ce petit coin de paradis dégringolé sur terre, savoureux pour un temps, mais par trop étouffant en définitive.

À croire que sans s'en rendre compte, sur le chemin de la plaisance et du bon-temps, il avait mis la patte dans un piège-à-loup. Un piège ravissant et doucereux, presque parfait, mais il ne fallait pas s'y méprendre. Il flairait la menace à pleine truffe. Trop jeune pour être captif ! Briser le fer, donc. C'est assez douloureux sur le coup, mais l'avenir s'en portera mieux. Elle ne peut le comprendre, elle, la peine lui brouille les sens et la raison.

C'est chagrinant, une femme malheureuse.
L'émotion l'abîme, elle agit de travers. Tantôt pâle, tantôt rouge. Elle murmure, et puis ses cris éclatent. Belle, défigurée. Folle, calme. Qu'est-ce que c'est que cette mascarade ? Où est la femme Majestée pleine de malice, celle qui déploie sa gorge savamment pour rire ? La Blanche aux mots justes, aux gestes calculés, gracieux. Aux mains soyeuses... La Belle, la Bien-élevée... Elle n'est plus là, elle n'est plus elle. Le jeune Métisse ne voit plus qu'une poupée détrempée à moitié nue qui s'agrippe à son cheval en tremblant, et ce spectacle le terrifie plus qu'il ne voudrait l'admettre.

Que doit-il faire ? Il est trop peureux pour...

L'aimer...
L'épargner...
La saisir, lui partager sa chaleur dans l'espace de sa veste, la protéger, la couvrir de tous les mots, la presser doucettement, la meurtrir de caresses, la faire sienne une bonne fois... Elle est là sans forces, piteusement humble, si tendre, si convoitable... Il faut bien se l'avouer, il l'a dans la peau. Quand bien même elle lui hurle dessus, il la voudrait faire mourir d'étreintes. Elle lui fouette les sangs, et pour cause, il ne suffit parfois que d'une menue pliure de son épaule, d'une boucle de cheveux qui dégringole au coeur de la poitrine, pour qu'il en reste coi de désir.

Briser là.
Il a pour elle de l'appétance, et alors...? Il est d'autres femmes de pareille beauté en ce Royaume, qui ont bien moins de vertu à préserver... La raison, donc, vainc l'envie. C'est ainsi qu'on retire sa patte d'un tendre piège. Elle n'a pas la poigne en mesure de l'attacher, le lionceau...

Et la patte justement, il la referme sur le poignet blanc de la Bretonne, et force les doigts, d'une pression modérée mais implacable, à libérer le cuir du cheval qui piaffe dans la brusquerie des gestes. Les trombes d'eaux qui s'abattent sur leurs têtes, ne couvrent pas le cri furibond que pousse la jeune-femme en battant douloureusement en retraite. Libéré, ruisselant, il a mordu.

Fallait pas jouer à ça...

Mon âme s'est essorée...
Non je ne me permettrai pas
De chialer une seule larme...

_________________
Blanche_
La pluie redouble d'intensité.
Abattue par ces gouttes qui tombent sur elle, et par la silhouette brune qui s'éloigne, Blanche reste prostrée en silence. Puis le poids de l'eau la fait choir, et elle s'écroule, agenouillée, sur un parterre trempé qui lui mord les mollets.
Pour la première fois, elle sent le froid. Comme une claque à l'arrière de sa nuque, là où un peu plus tôt, elle avait si chaud...

Camille est restée sur le perron, abritée par une extension du toit devant la porte. Au visage tâché de son, cette suivante n'est pas la plus dégourdie, mais c'est celle qui ressemble, le plus, à ces visages blancs ou roux que Blanche a quittés en partant de Bretagne.
C'est ça, qui lie les deux femmes. Le choix de la bretonne, qui s'est porté sur elle, comme une annonciation divine. On ne refuse pas de servir une femme comme l'est Blanche. On lui obéit, simplement, contre les règles et contre tout, jusqu'à ce que les mains ne suivent plus, trop blessées de s'être soumises.
Elle est restée sur le perron. La cuisse tressaillante, parfois, comme lorsque le corps désire un mouvement de toute sa force, mais que l'esprit, en dirigeant juste, lui ordonne de rester en place. Lorsque sa dame tombe, la jambe, instinctivement, bondit vers l'avant. Mais elle attend que le soldat soit parti, pour pénétrer le cocon sain, et tenir l'ombre dans ses bras.


- Je... J... Je... Il... arrive à peine à prononcer Blanche, s'essayant sans réussir, à contenir les pleurs qui viennent.
C'est tellement humiliant, de pleurer. Il y a des mois, des années, que Blanche n'a pas pleuré. Pleurer, véritablement, et pas ces larmes de crocodile, qui servent à toute courtisane, un jour ou l'autre, à amadouer un rival, ou un amant.
La coupe est pleine. Et, débordante, elle se vide par soubresaut, en provoquant, soit un hoquet sourd, ou un gémissement sincère.
Oui, il y avait des mois que Blanche n'avait pas pleuré. Pas même pour la naissance de son fils, pas même pour la fuite de son fiancé. Pas pour son départ de Bretagne, pas pour l'annonce de la mort de sa mère. Blanche, sait-elle pleurer, finalement ?
Elle hoquette, caquette, tremblante. La langue fait ce qu'elle veut, une fois libérée, et cela faisait si longtemps, qu'elle aurait dû être libre !
Si, si longtemps...
La main chaude de Camille monte le long de son dos. On distingue, sous la chemise trempée, les reliefs épineux de sa colonne. Et les épaules, qui pointent vers le ciel, jaillissent hors du tissu, enrobées de cheveux bruns glacés.


- Il ne s'est rien passé, Madame. Il ne s'est rien passé.
Elle remonte, cette main, irrésistiblement attirée par le carré de chair le plus doux du continent. Et quand elle l'a trouvée, troublée par la sacralité d'une peau pure et vierge de caresse, elle n'ose s'y poser totalement, se contente de la frôler.
C'est beau, une femme qui pleure.


- Il...Il est... répond-elle, se forçant à trouver les mots.
Avec les mots, viennent le sens. Elle les formule à peine dans sa tête, mais ils la frappent de leur évidence, et si elle n'était pas déjà tombée, ou si Camille ne la retenait pas, elle tomberait encore, plus bas, jusqu'à une déchéance telle, qu'elle ne pourrait plus se relever.
Il est...
Elle lâche un sanglot désespéré. Ce n'est pas vraiment pleurer. On ne pleure pas en hurlant.
Si ?
La main chaude lui enserre brusquement le cou. Arrête, arrête de hurler, ne vois-tu pas que cela me glace les sangs ?
Gorge ouverte, déployée, dans ce terrifiant retour aux sentiments, elle pleure enfin. La coupe se vide, elle qui l'avait entravée, et prostrée vers le sol, elle pleure encore.
Plus fort, la main serre.
Mais, rien, personne sinon lui ne pourrait arrêter ce qui se passe. C'est l'un des moments les plus importants de sa vie, le moment où l'Idole retombe sur Terre, et cet instant est prévu, dessiné, travaillé, écrit comme l'ont été les autres trames de sa vie, sur le parterre de mousse de Brocéliande*.

Il m'a retenue.
Il m'a torturée. Il me torture.
Elle hurla.
Sa gorge la brûlait. Elle n'avait pas l'habitude, qu'on l'utilisât de cette façon. Les mots doux, les mots sucrés, les mots d'amour ou les mensonges de cour, elle savait. Elle connaissait les pleurs de pucelle, les couinements, les rires. Elle savait tout ce qui seyait à une femme, tout ce qui lui allait à la perfection, toute la sacralité d'une gamme mineure, et désirable.
Elle savait. Mais ce hurlement, cette absence de rire ou de semblant, cette entière libération, cette vague d'émotion et d'unité dans un seul cri, Dieu ! Elle ne savait pas.

- Tu disais ne plus vouloir vivre dans la peur.
Elle respirait avec peine, comme des escaliers dans sa gorge, qui la faisait plier et trembler à chaque marche.
- J'aurais aimé utiliser un autre moyen, mais il n'y en avait pas, Blanche... Tu avais peur, peur de cela, as-tu encore peur maintenant ?
- Vous êtes, vous êtes ! Elle gémit, se refusant à voir ce qu'elle devait accepter. Vous êtes malade ! Vous êtes sadique !
- Tu ne me pardonneras peut être pas, Blanche, mais tu n'as pas idée à quel point c'était dur, pour moi...

- Mon Dieu ! répondit l'enfante à haute voix, dépassant cette conversation d'elle, avec son Dieu. Mon Dieu, j'ai si mal...
- J'ai toujours eu peur de ce que tu ressentirais, après que ça soit arrivé...
- Laissez moi, partez, je vous HAIS !
- NOUS Y VOILA ! suppura la voix, qui tournait autour d'elle pour l'assaillir. Elle avait plein d'échos, et Blanche entendait la voix de sa Mère, celle de son Père, parfois celle d'Aimbaud. Mais le plus souvent, c'était sa propre voix qui criait, sa voix, démystifier, celle d'un ange souillé.
MOI AUSSI, JE CROYAIS QUE C'ETAIT LA HAINE ! J'aurais pu MOURIR de cette haine, j'aurais voulu le tuer ! Mais tu ne peux pas, le tuer, quand bien même tu le voudrais, tu ne peux pas, après ce que je t'ai forcée à faire.
Même lorsqu'il aurait pu te posséder, et toi te donner, même lorsqu'il t'a frôlée, ou touchée, même ! Tu n'as pas pu le haïr, n'est-ce-pas ?


Elle gémit, sentant qu'elle avait perdu. Ses forces la quittaient, elle s'accrochait à Camille comme à un radeau, soudain consciente que si elle acceptait la vérité, elle irait mieux.
Déjà, les prémisses se faisaient entendre.

- Il t'a pris, tout pris ! L'orgueil, la fierté, il t'a appris à voir les choses, et tu l'as laissé effacer ce que tu savais déjà faire.
Il t'a humiliée, blessée, trahie, meurtrie, il t'a presque TUÉE, tu entends ?
- Je peux sentir cette haine dans mes veines !

- NON !
NON !Tu pouvais, mais tu ne peux plus, car quelque chose est arrivé !
La voix tournait autour d'elle. C'était sa voix, comme elle ne l'avait jamais entendue. NON ! Non ! Non !
Dans les bras de Camille, sa voix se mêlait à celle de son père, et de sa mère.
Non, Non ! Tu POUVAIS, mais tu ne peux...
Non !
Elle aurait voulu se boucher les oreilles. L'instant était proche où elel admettrait la vérité, et elle ne voulait pas, elle ne se sentait pas la force... Pitié, Non...


- Pitié !
- QUELQUE CHOSE ! Tu ne peux plus !
Elle glapit. Les voix se turent. Un instant, elle vit. Elle sut.
Sous la pluie, dans les larmes, dans les bras d'une souillon, elle avait su. Sentant la victoire proche, le dialogue reprit. Plus calme, plus franc, plus sincère. Blanche était la seule désormais, à crier.

- TAIS toi ! Je sais que tu mens, cela ne se peut ! je suis Blanche !
- Comme si cela avait une quelconque importance... Quand on ai
- TAIS TOI !
- Ne fuis pas, tu as toujours fui.
- Je ne peux plus rien sentir...
- Ça, tu peux !

Elle sentait la main de Camille contre sa joue, qui la serrait comme une mère. Elle vit encore. Elle pleura comme une enfant.
Elle se calma lentement. Et son coeur, qui avait battu si fort, cessa soudain de la tourmenter.
Elle était parfaitement calme.
Sereine...


Camille, en levant les yeux vers le ciel, baisa l'oreille froide. Elle passa les cheveux derrière, l'exacte geste qu'elle faisait, quotidiennement, à sa propre fille.
Ma mère avait une ferme, aux Treuillats, et elle avait coutume de dire que Dieu vivait dans la pluie.
Blanche sourit, releva comme elle les yeux vers le ciel, pour que si l'astre existât réellement, il la lave de ses pleurs. Et s'il existait, Lui-même frottait ses joues, d'une pluie chaude et bonne.

L'eau cessa soudain. Il ne restait de son passage, qu'un ruissellement dans la gouttière, et une chemise qui collait à sa peau. Après quelques secondes calmes, à respirer lentement, elle ouvrit les yeux.
A la faveur d'un mouvement de nuages, un arc-en-ciel se posa dans la cour.
Blanche savait.


[* Référence au Rp "L'océan, mon amour, il y a l'océan..." et à des contes celtes qui prétendent que le destin des vivants s'écrit sur le parterre sacré de Brocéliande.

Evey reborn, V for Vendetta]
_________________
Aimbaud
    [Cinq jours plus tôt]
    Fragment I


"Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !"

Blanche...! BLANCHE !

El' z'a d'mandé, messire ! El'crie ! El' hurle ! L'est possédée !


Les volets de bois sont rabattus aux fenestres de la chambre de l'Hermine, on y voit goutte à travers l'obscurité. Au sol, des coffres de vêtements sont renversés, les perles des colliers répandues sur les tapis, des fioles de parfum jetées au quatre coins de la pièce. Et recroquevillée contre une commode, empêtrée maladroitement dans une couverture et un rideau, une silhouette tremble comme une feuille en gémissant.

Aimbaud, qu'un messager paniqué a tiré du lit pour l'instruire de la catastrophe, arrive semble-t'il après la bataille, le combat contre le mobilier est déjà bien amorcé ! La victoire appartient à une Blanche en transe, visiblement dénuée de sa conscience, une bête sauvage qui se débat là sur le parquet.


"Hiiiiii ! Hiiiiiiiiiii !"

FAITES VENIR UN MÉDICASTRE !

La touchez pas, Seigneur ! Ct' eun folie du rêve, elle est point éveillée ! El' croit aux démons, elle dit d'ces sortes de diableries, la touchez pas !


Et ils la laissent là, se heurter aux murs ? Se blesser contre les coins de table et se traîner sur le sol ? Non mais on est où là, à domestique-land ? Ils ont cru à la révolution française eux... Une fois cette épisode finit, ça va saigner, je vous le dit. Le Métisse se désintéresse des incapables et choisit de prendre lui-même les choses en main. Prudent et mu de sang froid, il apprivoise la créature en s'approchant à pas de loup pour lui saisir, cajolant, les épaules et la dépêtrer de la couverture qui l'étouffe.

Elle s'égosille, elle l'agresse.

Les mains josselinières la maintiennent fermement, il l'enserre de ses bras sans faire de quartiers, et la force tant bien que mal, à regagner son lit malgré ses ruades et ses sanglots désespérés. Elle retombe sur le lit froid, tandis qu'il la maintient allongée par une pression modérée à rester dans les plumes et la laine. Peinant à savoir quoi faire, affolé quelque peu, il prononçant d'inutiles chhht... CHHUuut... qu'elle n'entend pas plus que l'appel de la raison.

Elle se cabre, elle se mord. Alors, c'est bien vrai... Elle serait possédée !

Au même instant, une autre femme entre, inondée par la lumière d'un chandelier. C'est la dénommée Camille, dans son gros tablier de matrone. Elle ferme la porte, s'assoit près du lit, et pince le nez breton, coupant net la respiration de la pauvresse.


Si 'a respire p'us, a réveille !

Le garçon, halluciné, observe la manoeuvre d'une grande simplicité, qui se révèle payante puisque Blanche ouvre soudain des yeux écarquillés en reprenant une bouffée d'air bien méritée. Quelques secondes de latence, et puis elle redresse un visage transformé vers les deux protagonistes, lisse, vivant, paré des couleurs de la joie de vivre. Puis perplexe, elle dévisage notre pauvre bourguignon qui lui, toujours en piteux état, débrayé et l'oeil aussi fou qu'incrédule, a les bras soudainement très mous, qui lui tombent.

"Ben, Aimbaud ? Qu'est ce que vous glandez dans ma chambre ?! Et je suis en chemise de nuit, vous pourriez fermer les yeux, le respect c'est important ! Camille ? Cammiiiiiiille ! Un homme entre, et vous le laissez ? Camiiiiiiille "!

Mais la Camille s'est déjà retirée, avec un sourire bienveillant. La bretonne poursuit, se redressant sur ses genoux comme une petite fille, enrobée dans les plis de sa fine chemise qui assurément, engagerait les plus raisonnables à fermer les yeux. Elle papillonne avec ses mains, consolante, espiègle.

"Vous n'avez pas l'air bien mon ami. Peut être votre venue nocturne visait elle à me narrer une aventure triste, qui vous empêche de dormir ? Làà, mon cher, je suis disposée à vous écouter, ne soyez pas triste !"

Elle se fout de ma gueule là ?
Est-ce que c'est la peine que je me fatigue à lui expliquer ?
Et si je la faisais interner pour lui clouer définitivement le bec ?
Peut-être qu'elle faisait semblant ?
Il ouvre la bouche pour formuler quelque chose, qui ne sort pas. Finalement, la chemise de nuit elle, nettement plus parlante, le décide à engager une rapide marche-arrière vers la sortie, une porte coupe-feu dirons nous... Elle est sauve, il a fait son devoir, c'est l'heure de dire bonne nuit les petits ! Il amorce le mouvement de partir, en bredouillant un au-revoir.


Il vaut mieux que je... je crois que je vais partir.
_________________
Blanche_
Peu avant l'aube, les gens de Decize viennent ouvrir les rideaux de la chambre de Blanche. Les voltes intérieurs, servent eux à barricader les ouvertures, au cas où la nuit, trop fraîche, viendrait à troubler la bretonne dans son sommeil.
C'est ridicule. Blanche aime le froid. Blanche s'y trouve bien, simplement... Parce qu'elle est née dedans. En Bretagne, la température est toujours douce. Parfois fraîche frisquette, jamais froide. Ni chaude. Le froid, même au petit matin alors qu'elle dort sous ses couvertures, elle le sent, et l'espère.
C'est cela qu'elle fait mander aux domestiques de Decize : un petit souvenir, même insignifiant, de l'époque d'avant son exil. De sa terre.
Ce matin-là, Camille entre. Elle ne prévient pas. Qui gênerait-elle, du reste ?
Elle pousse la porte, dont elle n'a ouvert qu'un seul battant. Et s'engage, sans hésitation, parmi les lambeaux de tissus, abandonnés au sol, témoin de l'essayage de la veille.
La bougie à la table de nuit, ocre clair, contraste étonnamment, aux faibles lueurs du jour, d'avec les tentures bordeaux qui entourent le lit. Et, détail amusant, la cire pleure jusqu'au bois, ayant coulé, la veille, jusqu'à tard dans la nuit.
De sa lourde démarche, Camille ouvre la première fenêtre ; elle croit encore, alors qu'elle rabat le premier rideau, le bruit en écho d'une tringle dont on tirerait les arceaux de fer un peu fort. Mais le cliquetis, si semblable à celui qu'elle vient de produire, n'est-il pas, justement, de son propre fait ?
Elle hausse un sourcil. Puis tend la main, jusqu'à l'autre fenêtre, pour en écarter les rideaux...


Sale fils de p**** !
Elle bondit, s'écartant brusquement du volet de bois, où un bougeoir éteint vient de s'enclaver. Les contours d'étain résonnent, en roulant jusqu'au sol, quand la bougie cassée s'est rompue en deux.

Madame !
Elle se retourne, ébahie, stupéfaite et angoissée, quand elle voit le visage défait d'une invitée diabolique. Blanche, qui avant de dormir s'était laissé natter les cheveux, cette Blanche-là, si pure et bienveillante, a jusque les dents qui se serrent, et la gorge tendue par la rage.
SORS ! beugle t'elle.
La domestique ne se fait pas prier. Couinant, elle abandonne sa tâche et sautille vers le couloir, en refermant à double tour la porte derrière elle.
Et, sur les quelques mètres qui la séparent de l'autre aile, elle jurerait avoir entendu la porte grincer, une force propulsée contre le chambranle qui essayerait à l'ouvrir, en hurlant des insanités.


Une heure passe. Une seconde.
Dans le couloir qui mène à la chambre, les domestiques s'entassent.
Quand une vaisselle nouvelle est envoyée contre un mur, les hommes au courage brandi en avant sursautent, et les femmes, fouineuses et peu aguerries, couinent à en pisser dans leurs jupons.
Une autre heure passe. Si les volets avaient été ouverts, on y verrait comme au jour.


Blanche est assise, coincée aux hanches entre un meuble, et le mur. Elle a mal au flanc, mais c'est de son fait : en sautant hors du lit, alors qu'elle le croyait fuir, elle a rompu ses espoirs en s’empalant au coin de sa table.
Fort heureusement, elle ne saigne pas. Elle a une grosse marque rouge, et un bel hématome en formation. Rien qui ne l'inquiétât, Alors que le Diable, encore, se trouvait dans la chambre...

Laisse moi...! Pas Pitié, laisse moi...! Supplie t'elle.
Elle n'a cessé de le supplier, depuis l'aube. Depuis qu'elle a senti, ou ressenti devrions-nous dire, ses mains sur sa peau, à des endroits interdits. Ses mains qui palpent ses seins, avec si peu de délicatesse, qu'il aurait pu s'agir de la traite d'une génisse. Le bégueule, d'avec ses serres d'Aigle, il a même retroussé sa chemise, et trouvé en dessous de quoi contenter les succubes.
Ploc. Vous entendez ?
C'est le bruit d'un hymen qui saute...


FAITES VENIR UN MÉDICASTRE !

Dans son délire, elle ne remarque pas que la voix change.
Mais voyons, Blanche, ça n'est pas lui, ça n'est plus lui. Remarques-tu, les différences ?
Il ose à peine te toucher, quand l'autre t'arrachait la peau en la lacérant avec ses ongles.
Il ose à peine te regarder, vois comme il est timoré, si ta chemise remonte un peu trop, et laisse entrevoir une cuisse !
Aurait-il peur de tes formes, Blanche, s'il n'avait pas déjà mordu dedans ?
Elle hésite.
Ce...
Ce n'est peut être pas lui.

Oui, vois les meubles, vois ton corps. Tu n'as plus de brûlures au cou, ni la main mordue. Et le sang, entre tes cuisses, séché en carapace dégueulasse ?
Elle passe une main, à la faveur d'un dégoût au visage de son interlocuteur, qui le fait détourner les yeux. Au contact de la peau, le muscle se raidit.
Mais il est aussi vierge qu'elle ne l'est plus ; doux et tiède, intact. Protégé.
Ce n'est peut être pas lui...


...Aimbaud ? demande t'elle, lorsque la raison lui revient.
Tu vois, Blanche, il est brun. Il n'est pas blond.

Et elle rentre dans un délire nouveau : celui de la négation.


Restez, je vais mettre un peignoir, et nous parlerons jusqu'au matin. Qu'en dites vous ?

En psychiatrie, on appelle ça un trouble comportemental.
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Aimbaud
Là dessus, elle lui attrape la main et puis tout le bras, comme si c'était un ours en peluche qui fait pouêt. Bien peu accoutumé aux démonstrations de tendresse frénétiques, il est forcé de se raidir. Il analyse le périmètre à l'aide de son sonar sensoriel : qu'est ce qui ne va pas rond ? Là : une femme en nuisette, des cheveux déliés, un lit en bataille, et des doigts coquins qui l'agrippent. Pourquoi cette envie pressante de foutre le camp ? Cette sonnette d'alarme qui fait des BIP BIP BIP dont la fréquence s'accélère ? Ah non, ça c'est son palpitant... N'empêche, un pressentiment domine : DANGER IMMINENT. Du calme... Détendu... Tranquille...

Il exécute un bâillement (presque) naturel, celui utilisé pour quitter les réceptions mondaines qui traînent en longueur, ou encore les débats du Conseil Ducal. Ou en l'occurrence, échapper à une situation indécente : n'être qu'à trois pouces d'une amie très chère, quand cette dernière n'est vêtue que d'un millimètre de lin, déficelé qui-plus-est.


Parler... parler... BOAAarf....! C'est qu'il se fait t...

Elle le coupe tout d'emblée en lui tirant le bras pour l'entraîner avec elle... au lit. Quelle brute ! Elle ne connaît pas sa force en plus, il a des courbatures de l'entraînement aux joutes ! Mais... La surprise passée, notre Aimbaud reste là pétrifié au beau milieu des édredons, il entre en phase de mutisme aigüe... Et suffoque un peu...

C'est...
Le lit de Blanche de Walsh-Serrant...
Je suis dans le lit de Blanche de Walsh-Serrant... Je suis dans le lit de Blanche de Walsh-Serrant... Je suis... Mais pourquoi paniquer ?! C'est pas beau ? Si, si, sisi siiiiiiiiaaargh... gghh.... PANIQUE. Respire. PANIQUE. Calme. ELLE EST FOLLE, ELLE EST POSSÉDÉE. Elle est charmaaante, elle veut discuter. ELLE EST BRETONNE. Elle est canon. VEUT PAAAAAS. Sois aimable. CHIEEER MEEERDE PUTAIN ! ... Calme.

Elle glisse une jambe sous les draps. HUMPF. Pendant un bref instant, un genou se découvre. AAAAAH. Elle incline gentiment la tête, et minaude.


"Écoutez. Vous m'avez, si je reconsidère bien les choses, entendu et vu faire des choses dont je n'ai pas souvenir, et que j'aimerais bien connaître. J'ai dit des choses intéressantes ?"

Euh...

vous étiez...

comment dirai-je... Un peu remontée. MAIS décente, très décente. Oh vous savez c'était plus des... gargouillements... de... Grommellements ! Je voulais dire.


HAAAAarf. Tendu comme la corde d'une cithare, nerveux comme une anguille électrique, le damoiseau se redresse légèrement en engageant lentement mais sûrement, la botte sur la pente du lit, en mode : C'est bon je peux partir là ? Et la maîtresse des lieux, elle, se plie dans un bâillement ostentatoire pour faire miroiter sa gorge aux chandelles, et laisse tomber sa tête sur... YAAARG. L'épaule d'Aimbaud, avant de glisser plus bas sur un poitrail qu'elle écrase douillettement, et mêlant ses cheveux tièdes aux les boutonnières de son pourpoint, OUUUUUH, elle reste là confortablement installée sans plus lui laisser aucun moyen de décamper. La voix, chaude, vrombit contre le ventre du Josselinière...

"J'ai un peu peur du noir, vous voulez bien rester ?"

Il retient son souffle et adresse un plafond du lit à baldaquin, une figure de condamné à la décapitation. POURQWAAAaaaa cette éprEEeeUVE dieeuuUUU ? La respiration aussi brève qu'un lapin de deux jours, la pompe interne battant une marche de guerre et les idées aussi claires qu'après une cuite à la poire-belle du père Futaille, il tente malgré-tout de se décrisper, fibre musculaire par fibre musculaire, et surtout, surtout, de paraître maître de la situation. Sa voix pourtant, peine à sortir :

... euh bah hm. Oué.. mais. Hm.
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Blanche_
S'en suivit une discussion insipide, sur l'usage du nez et son implication dans le réveil de Blanche. Elle osa même jouer les indifférentes, et le mettre à l'aise jusqu'à parler de ses douleurs lombaires (dont elle souffrait atrocement depuis la délivrance), n'ayant aucun autre but, dans cette démarche excessivement amicale, que de créer une relation purement spirituelle, avec le jeune Josselinière.
Néanmoins, parler de toute zone au relief prononcé, corporellement parlant, s'avérait être une erreur, compte tenu des circonstances présentes, et du manque de tissu qui couvrait sa peau.
Ils parlèrent, de choses innocentes et d'autres, jusqu'à ce que...


Vous êtes déjà allé au bordel de Nevers ?

Peut être toutes ces choses n'étaient pas à ce point innocentes.
Quoique...
Ne dit-on pas des hommes qu'ils partagent leurs expériences sexuelles ?
Blanche pourrait, si elle n'avait que d'horribles contes pour adultes avertis à narrer à cette pauvre âme.
Elle parle du bordel, parce que cet endroit parait si exotique, si extravagant, si superficiel pour les femmes qui n'y sont pas encore entré, qu'il parait inconcevable de ne pas en parler ; a fortiori dans une conversation d'amis, entre amis, et complètement amicale.


Ca n'est pas la place d'une femme. Enfin euh, de rang. Évidement.

Elle lui lance un regard noir. Un de ces regards qui vous tuent sur place.
Si les geishas arrêtent les hommes en plissant les paupières, Blanche, elle, les lamine de pareille façon.
So british !
Et cette petite façon, qu'elle a de serrer sa tête ensuite contre lui, tête qui, inexorablement, glisse vers plus bas, vers plus bas encore, vers...
Oui, elle glisse cette tête, mais est-ce sa faute, à la fin, si le tracé de ses broderies, à son pourpoint riche, guide la pente juste vers cette extrémité ?
On aurait tort de dire de Blanche qu'elle profite de cette situation ; entendez bien, Blanche a une relation amicale, amicalement entretenue, avec un ami.
CQFD.
Et le fait qu'elle entoure, désormais, l'un des boutons en jouant avec d'un doigt las, cela aussi, est proprement amical ; d'ailleurs, ses mains sur son velours, ses cheveux contre son flanc, et sa bouche qui respire en soufflant près du nombril, cela aussi, parfaitement ! Est gage de leur amitié indéfectible.


Etre un homme, ça doit être bien. C'est bien, non ?

Dit-elle, à cheval sur les convenances, n'ayant ni trouble d'esprit, ni du corps, et relevant le nez pour dévisager le jeune Aimbaud. Force est d'admettre, que même avec ses attributs dont la grossesse ne gâche rien, Blanche aurait fait un mec baisable à souhait.
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Aimbaud
Être un homme... Être un homme... Depuis le jour où Aimbaud de Josselinière a relevé ses couches du sol pour parcourir le monde, en partant du bac à sable de Saumur jusqu'aux frontières de l'Anjou, vers l'infini et au delà, il n'a en vérité que ce seul objectif : être un homme.

Être fasciné par les chevaux de course, comme tous les morveux de son âge, la vitesse, la puissance ! Passer ses petits camarades à tabac, se faire troncher la face en retour. Ne plus jamais pleurer, ou juste cette dernière fois parce que Sa Grasce Maman a dit que c'était pas grave. Avoir son premier poney. Prendre sa première gamelle à poney. Se tailler une épée en bois. Pisser le plus loin. Défoncer ses figurines Chevalier-du-Chaos. Foutre la tête sous les jupons de sa cousine. Gratter sa cythare-hero. Faire la course à cheval. Se latter la tronche dans la gadoue. Coller une beigne. Se prendre une tarte. S'engager dans l'armée. Tirer à l'arc. Se prendre une flèche. Bécoter sa cousine. Être majeur et arrêter les conneries. Prendre sa première cuite, en brave. Tailler son premier brigand, en héros. Entrer au Conseil.
Se pieuter dans le lit de Blanche de Walsh-Serrant.
Être un homme quoi...

Question à 1000 écus... Alors, est-ce que c'est bien ?

Quand on a la tête — divinement blonde — de la femme la plus désirable de Bretagne et d'ailleurs, posée là dans le tendre du ventre... Qu'une haleine enjôleuse réchauffe son pourpoint tandis qu'une main blanche joue malicieusement avec le dernier bouton de sa rangée... Qu'une lutte sans merci s'organise dans son corps contre une certaine ascension, une vague, un événement scandaleux dont la venue pourrait causer quelque trouble, et qu'on est bien peu à-même de contrôler en cette époque vigoureuse qu'est la jeunesse... Qu'enfin, on se doit de faire preuve de raison et d'honneur, quand la représentante du sexe faible, elle, embrasse sans retenue un élan de frivolité et d'inconscience... Est-ce que c'est tellement génialissime, d'être un homme ?


Ç...ça dépend des moments...

Rouge pivoine, cramponné à deux poignées d'édredon, le jeune et non moins fameux Écuyer Tranchant de Bourgogne est terrassé. La plus sage décision a été votée par lui-même au suffrage universel : ne plus respirer, afin de ne s'emplir trop les narines du parfum rare qui s'élève à chaque mouvement de la Terrible. Qu'est-ce que c'est au juste ? Fleur d'oranger, laurier, eau de rose ? Détourner le regard, dès qu'elle engage un mouvement qui déplie le col de son linge. A-t'on jamais vu une peau pareillement blanche, et ce petit grain de beauté qui égaye royalement la plaine de l'épaule...! ARGh...

Serrer les dents.
L'esprit froid comme une lame.
Plus roide que le fer, implacable et raisonné.


J'aurais mieux fait de naitre garçon, tiens. Franchement, Mère Nature m'a pas fait de cadeau. Je pourrais me couper les cheveux, et faire semblant !

Mais bien sûr... On vous reniflerait à des lieues. Il n'y a pas plus femme que vous.

Je peux faire... Une grosse voix masculine... Gonfler le torse, et donner des ordres à tout-va ! Et cracher, aussi ! Oh, apprenez moi, apprenez moi à être aussi dégoutante qu'un homme, à me battre, à boire, s'il vous plait ! Oh, allons au bordel !


Son visage s'approche du sien quand elle mime pitoyablement une voix grave. Sa poitrine gagne en volume quand elle parle de torse. Et puis soudain elle s'excite, elle pépie, elle sautille à un souffle de lui et du coup, le lui coupe. Ses paumes pâles volettent, ses joues se fossettent, ses épaules s'attendrissent, son décolleté n'en peut-mai. Et puis c'est le coup de grâce, elle lui saute au cou en scandant :

Allons-yyyy ! Je suis prête, j'ai envie, je veux, je veux !

...

Moi, narrateur, je pose-là un silence pudique pour vous laisser à la plaisance d'imaginer le trouble de notre Josselinière en chef.

...

Fin du silence pudique.
Aaaaaaah. AAAAaaaaaahh. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHH ! Pourquoi. Pourquoi ! POURQWAAaaa moooiiii seigneuuuuur ! HHHAAAAA. GGAAAAARGH. Gouh. YAAAAH. Hiiiiiii. OUhh. GrrrAAah. Huuuuuu... Arf. Arf. Arf... Arf, arf arf... HAAarf... hu... hi... fff... En conclusion... Trouble. Un petit mot pour partager son émotion ?


Geuh... hm... euh... beuh oui mais... 't... hm...

Forcément, une sorte de court-circuit s'est produit dans le réseau-testostérone, produisant de graves lésions dans le cortex du langage, résultat des courses : le sujet présente la pathologie de la langue en parchemin. Un temps de rééducation est alors nécessaire. Temps durant lequel la bretonne en nuisette soupire, en se laissant retomber au beau milieu des coussins, avec un petit reniflement mécontent, et fatigué...

Raah, vous n'avez pas envie... Si c'était avec une tout autre que moi, vous iriez, mais pour mon malheur vous refusez. Plutôt qu'un homme, je voudrais être une femme à qui vous obéissez, tiens. Eh ben puisce que c'est comme ça, je ! je !

Je dors, tenez !

Et vous avez intérêt à rester, parce que si vous partez, je vous BUTE !


C'est ainsi qu'elle se retourna en s'enfouissant dans la soie, laissant tout juste une épaule dénudée offerte aux chandelles. Le silence s'abattit dans la chambre, entre-coupé de ses respirations lascives. Notre Aimbaud, en proie à un terrible émoi, incendié et tourneboulé, laissa filer un bon quart d'heure nécessaire au recouvrement de son flegme habituel.

Et quand les flammes se noyèrent dans la cire, et qu'il sentit que sa voisine avait bel et bien succombé au sommeil, il rompit la visite d'un pieu baiser sur la tempe, et s'éclipsa dans un discret cliquetis d'arme et un froissement de cape, sans faire gémir la porte.

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Blanche_
          Fragment II        



La cire avait eu le temps de durcir.
Et, profitant d'une accalmie soudaine dans les rafales de vents qui rabattaient les feuilles aux fenêtres, deux merles vinrent se poser sur le rebord en bois, pour picorer entre les écailles soulevées par la pluie.
Blanche ouvrit un oeil ; troublée dans son sommeil. Elle avait les bras engourdis, et semblait sentir à chacun de ses mouvements la position exacte de chacun de ses muscles ; comme si un étau de lin entourait les uns et les autres, en les faisant geindre quand elle les tendait.

Hm... fit-elle se redressant un peu.
Puis elle retomba, endolorie, au fond d'un tas de coussin, dans un soupir de contentement.

Réveillée, presque. Les yeux étaient fermés et ne daignaient s'ouvrir, quoiqu'elle eut remarqué, au bruit et à son seul parfum qui couvrait les draps, qu'elle avait passé une bonne partie de la nuit, seule.
Les rideaux s'ouvrirent ; un museau frais jappa : il voulait à sa maîtresse accorder un câlin.
Elle tendit seulement une main fatiguée ; mais l'animal déjà venait à sa rencontre, contournant les oreillers qui gisaient là, en agitant la queue à chacun de ses soupirs.

La tête endolorie, une complainte agaçante lui revenait en tête. Sa vie n'avait jamais été qu'une vaste comédie, une danse, une farandole de personnages indécents ou frivoles, parce que cela l'amusait.
Une danse...


Un, deux, trois.
J'irai dans ses bras.

Elle s'étira, souriant, bien que triste.

Quatre, Cinq, Six,
Cueillir des bêtises.

Le chien couina. Elle rit.

Sept, Huit, Neuf ?
Un baiser, tout neuf !

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Aimbaud
[Chambrée du Petit Sanglier — Corbigny place]

Fllllllip... Flllllllap...

C'est le bruit d'un jeu de ramponneau qu'on mélange pensivement, étalé de travers sur sa grande paillasse solitaire. Un vent matinal s'introduit entre les panneaux de la fenêtre, le soleil tape gentiment, et il flotte dans l'air comme un parfum de nuit blanche. En gros, le jeune Josselinère a eu bien du mal à fermer l'oeil, qu'il a désormais cerné, plus noir que d'ordinaire.

Un demi millier d'hypothèses et de théorèmes s'entrelacent dans sa tête, il saute de conjoncture en conclusion, d'idées farfelues en implacable raisonnement. Il tique, il s'énerve, il se rassérène, il jure, il râle, il se prend le crâne, il se trouve abruti, et puis il triture ce pavé de cartes qui ne lui a rien fait, tordant les valets pour les catapulter à l'autre bout de la pièce, fouettant les rois, battant les reines, et menant toute cette foule dans un défilé bête, sans queue ni tête, coupant et re-coupant sans jamais distribuer...

La cause de son trouble, est bretonne.

Il n'en revient pas... Jadis elle lui était insupportable, tout juste capricieuse, bécasse et faiseuse d'histoires. Mais là... Là ! Elle... Elle lui a fait du gringue. Était-ce bien ça ? Est-ce qu'il ne s'est pas mépris sur le sens de la parade ? Mais non, pas de doute, elle l'a bel et bien... Allumé. La preuve, il s'enflamme, il brûle, il se consume !

À présent, il fixe le plafond d'un regard vide. Il se fait un film...

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Blanche_
Le petit Thibaut Clodwig sera parti d'ici peu.
Le petit Thibaut...
Elle l'a fait amener sur son lit. Mademoiselle, encore en chemise, joue à mordiller, et embrasser les pieds libérés de leurs langes d'un rejeton au bon poids, qui rosit et dandine ses jambes potelées au nez de sa mère.
Oh, elle l'aime ce môme !
Tant, et tant, qu'arrive un moment où elle compile son amour pour le petit, et sa haine pour l'enfant. Pour Aimbaud. Pour lui aussi.
Lequel elle hait, lequel elle aime ?


Tu sais mon Chéri, entreprend-elle alors, en prenant une voix savante. Il ne faut pas croire tout ce que te disent les femmes.
Il lui lançait un regard baveux, elle essuya le coulis blanc d'un index amusé, qu'elle frotta ensuite sur les draps propres.
Erk !
Tu sais mon Chéri, il ne faut pas croire les femmes... Sauf moi !

Les femmes, parfois, disent des choses...


Reste pur et fort, mon fils !
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Aimbaud
BON ! euh...

Il rompt immédiatement la scène qui s'est établie dans sa tête, au moment où une chemise de lin commençait très légèrement à s'entre-bailler et... ARG. Reposant les cartes à son chevet, il se masse l'arrête du nez où convergent des sourcils plissés d'ennui, avant d'ouvrir un manuscrit de tactique militaire.

Chapitre sans enluminure... Du ravitaillement des soldats assiégeant et des statistiques de victoire en fonction de la courbe du moral des troupes, soit 10% plus élevé s'il y a des tonneaux de vin et 15% plus faible si les rations sont maigres... Soit un bonus de majoration d'efficacité si l'on compte une fille-de-joie pour 50 hommes d'armes. De l'importance du discours adressé au troupes avant la bataille, et de la répétition des mots "Gloire", "Pillage" et "On va leur démonter leurs sales faces !" en appuyant ces dires d'un frappement compulsif de l'épée contre le bouclier et d'un aboi furieux... Et...

Malgré toute la concentration qu'il tente d'y apporter, le Métisse étouffe un bâillement et... se remet à divaguer doucettement... et...


Arg ! Fais-toi une raison.

S'argue-t'il en faisant claquer sa paume contre son front. Il reste prostré un instant, s'adressant intérieurement une leçon de morale pour tenter de se raisonner...
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Blanche_
Blanche a toujours son petit bout entre les lèvres. Elle embrasse avec passion les pieds boudinés et chauds d'un petit homme, ne songeant même pas que d'ici peu, une autre femme se chargera de ces rituels maternels.
Elle pense à tout autre chose.
Jamais encore elle n'avait songé, entrevu le petit Josselinière sous un autre angle que, justement "Le Petit Josselinière".
C'est cet être, pré-pubère, éternellement enfant, qu'elle tyrannisait avec passion lorsqu'il était plus jeune.
Quelle âge avait-elle, la première fois qu'ils s'étaient vus ?

A peine 15 ans.
L'âge, que bientôt, il aura.
Il y a donc une génération qui les sépare. Et une tête, aussi. Mais avant c'était elle, qui le dominait. En y repensant bien, elle ne pouvait plus lui frotter la nuque, qu'en tendant le bras...


Certes. osa t'elle à haute voix. Il a un peu grandi.
C'est un gros bébé !


Ce qui faisait d'elle, à peu de choses près, une pédo-criminelle.
Elle poussa un cri d'horreur.
Aimbaud était un enfant ! Un enfant !
Dieu serait très faché qu'elle puisse avoir à son encontre d'autres sentiments, que ceux que l'on a d'ordinaire pour un enfant ; elle s'empressa alors, avec succès, à repousser ces idées et fantasques images, pour revenir à celle, moins bizarre, de vacances en Bretagne où il était venu goûter. C'était comme cela qu'il fallait se souvenir de lui. Elle essaya, concentrée.
Souvenirs. Gâteaux. Aimbaud. Melchiore. Sucre, sucre. Aimbaud, Melchiore, Azenora...
Essaye !


Elle soupira.
Aimbaud, lumière de sa vie, feu de ses reins. Son péché, son âme. Aim-baud : le bout de la langue caresse le palais, les lèvres s’entrouvrent pour le prononcer. Et se referment, se touchent, enfin. Aim. Baud.
Le matin, il était Lui, simplement Lui, avec son mètre soixante-six et ses cheveux mal peignés. Il était Monsieur en pantalon. Il était Seigneur à Corbigny. Il était Josselinière sur les pointillés. Mais dans ses bras, il était simplement Aimbaud.

Admirez l'évident échec de la religion sur des milliers d'années d'instinct.


[Lolita, V. Nabokov]
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Aimbaud
Blanche n'est pas une femme.
C'est LA femme.

Faites un sondage dans tout le royaume, des Flandres au Languedoc, que tout homme normalement constitué, vieillard ou pré-pubère, se repaisse une seconde de la compagnie de LA femme, et qu'un seul ose seulement prétendre à n'être pas aiguisé par la puissance de son charme. Du pic de son escarpin jusqu'à la pointe de ses cheveux, en passant par la carte de ses manières... Du timbre de sa voix qui frappe, doucereux, comme un trait de flèche toujours en plein-mille du tympan masculin... De son intellect frais, dangereux et excitant, qu'elle tresse de candeur justement dosée... De sa gorge, bon dieu ! Sa gorge... De tout cela, foi de Josselinière, s'il n'y a pas d'appel au désir !...

Ça n'est pas sa faute, quoi ! Il est réceptif.

Ça lui fait des frissons partout...
Qui se multiplient...
Il perd le contrôle !
Elle exerce une telle sorte d'empire sur son être que... Ç'en est électrifiant ! C'est une évidence, plus de doute... Maintenant finies les gamineries, la timidité maladive, il ferait bien d'être au taquet. LA femme a besoin d'un homme.

Et celui qu'elle veut, c'est LUI.

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