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[RP] Celui qui s'humilie, Dieu l'élève.

Sancte
Le 26e de Mars 1459.

Blaye et sa citadelle, la "clef de l'Aquitaine", s'étend à perte de vue sous les pâles dorures d'un soleil printanier. A l'ombre des cèdres qui bordent la route de Reignac, un cavalier s'avance, traînant derrière lui deux charrettes à l'aide de son seul frison blanc. La première chargée de vivres, d'alcool, d'armes, et d'un coffre massif. La seconde ... se contente d'en charger d'une troisième. Sous le casque aux crins de jais, se peint le visage balafré du Resplendissant dans ses jours d'infortune. L'œil beurré de noir. La lèvre tuméfiée. La mâchoire écorchée. Mais un éclat intense agite furieusement la noirceur de ses prunelles. Un éclat qui ne se limite pas à une protestation naturelle, à une revendication roturière de l'accession à la majesté. Cet éclat, c'est l'étincelle du triomphe. Le triomphe de la volonté sur la raison. De la force morale sur le renoncement. De la foi sur le doute.

En passant les portes de la ville, il sent dans son dos le poids d'une foule de regards inquiets et une cacophonie muette de médisances dictées par la peur.
Le chevalier esquisse un demi-sourire glacial, d'orgueil et de satisfaction mêlés.



[L'auberge du Porche.]

Une bourse que l'on pouvait estimer à une cinquantaine d'écus atterrit sur le comptoir.
- Une chambre. Calme. Vue sur l'estuaire. Apportez moi une bouteille. Faites préparer un bain. Ajoutez du linge propre. Une glace. Un rasoir. Une aiguille. Du fil. Des œufs au lard. Dans cet ordre.
Une main décharnée, détail suspect chez un aubergiste, prend possession de son règlement et en vérifie scrupuleusement la valeur, ainsi que le crédit qu'il peut accorder au sinistre étranger, qu'il finit par toiser d'un regard fourbe et mesquin.
- Vous aurez tout ce qu'il vous faudra monsieur. Et entrevoyant en lui l'homme de guerre, il ajoute non sans intérêt avec un sourire des plus entendus: Peut-être que monsieur désirerait que je lui fasse porter de la compagnie ?
Iohannes s'emparait de la clé laissée à son attention sur le comptoir lorsqu'il arrêta son geste à ces derniers mots. Il prit le temps d'une réflexion dont il n'avait pourtant pas besoin. De la compagnie ... Il n'était pas prêt à en refuser. Mais plus que d'un besoin naturel à assouvir, il aurait voulu la présence d'un proche, d'un frère, d'un camarade. Quelque chose qui ne s'achète pas avec ce sale fric dégueulasse qu'on récolte sur les routes ou dans les propriétés bourgeoises. Quelque chose que Iohannes, n'avait jamais pu s'offrir. Il n'était pas vain de penser que le réformé était totalement inapte à l'entretien de ce type de relations. Les amitiés sont trop complexes. La théorie veut qu'elles échappent à la rationalité marchande qui régit le monde. Alors oui ... De la compagnie. Seulement payer une pute pour lui tailler bavette, c'est acheter sa pitié. Et en prime, cadeau bonus, se forger une réputation de pleurnichard impuissant. Remballe.
- Ce ne sera pas nécessaire.
Pour cette nuit, Dieu suffira amplement à lui tenir compagnie. Après tout, il n'y avait pas ami plus fidèle et plus disponible.

La vie est une affaire de relations.
L'Homme sage fait en sorte de n'en conserver que les meilleures.

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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Sancte
[Chambre 19]


La chambre était propre. Les meubles grossiers mais de bonne facture. La vue admirable. A cette saison, l'Estuaire était magnifique. C'était la première fois qu'il posait les pieds à Blaye, la seule grande cité de Guyenne qu'il n'avait jamais eu l'occasion de visiter. Il n'aurait jamais pensé le faire en ces circonstances.

Une fois barricadé dans son nouveau gîte, il s'empressa d'accélérer sa délivrance. Déposer ces armes qui lui pèsent. Ôter le poids de l'armure odieusement macérée dans sa transpiration glacée. Dégager ses bottes limoneuses, tant de fois maudites pour la tyrannie qu'elles exercent sur des pieds jamais trop endurcis. Se défaire de ses frusques rendues rigides par la crasse et gorgées tout à la fois d'une humidité méphitique ; et les faire disparaître dans le poêle pour que rien ne subsiste de l'horreur traversée.

Et enfin, comme une apothéose ... s'étourdir de plaisir.

Après six semaines rigoureuses, faite de revers, de privations, de solitude et de détresse, il se livra dans sa chambre à une véritable orgie de paresse, sous le regard bienveillant du coffre installé contre son lit et sur lequel il veillait comme la lionne sur son petit. Quelle merveille que de s'abandonner à la volupté d'un bain chaud, de se livrer au sommeil dans la caresse des draps de flanelle, propres, aux douces senteurs de lavande !


De ce fait, il sortait peu. Priait beaucoup. Lavé. Propre. Rasé de près. Parfumé. Coiffé court, à la Romaine. Son cuir durci, portant encore les stigmates de ses récentes déconvenues, embaumait une fraîcheur boisée et épicée. Au crépuscule, il prit néanmoins le parti de sortir, et alla se promener aux vergers communaux dans sa nouvelle mise, avant de décider d'y travailler en échange de quelques fruits qui lui faisaient envie.

Il rentra tôt. Soupa léger. Et après s'être lavé les mains et les pieds, pria intensément, ivre de reconnaissance pour le Créateur. Ne souriez pas. Vous ne pouvez comprendre. Pour profiter de la véritable valeur d'un lit, d'un rôt, et d'une flambée, il faut avoir avalé des centaines de kilomètres à pied dans des sentiers plus étroits que le conin d'une pucelle, avoir supporté les micro-siestes dans la boue, les réveils blafards, les nuits glaciales, les soirées humides où rien ne sèche et où le feu ne prend pas. Endurer la douleur des articulations, les cals aux pieds, les crampes aux mollets, le délitement moral de semaines de marche à l'aveugle. Subir les caprices de la mauvaise fortune, les attaques éclairs de coupe-jarrets sans pitié, l'agressivité des maréchaux, la violence des milices, la férocité des bêtes sauvages. Bref, encaisser pleine gueule le renoncement à la civilisation. Et là, vous percevrez que la simplicité apparente d'une chambre d'auberge recèle en vérité aux plus humbles le meilleur avant-goût des innombrables délices du paradis.

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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Sancte
Iohannes réchauffait ses doigts engourdis à la chaleur du poêle qu'il absorbait par les paumes, comme si elle fut capable de venir lui réchauffer le cœur qu'une sècheresse d'affect avait considérablement refroidi. Comme tous les mâles, plus il voulait plaire, plus il se trouvait gauche. Dans sa quête de séduction, sa lucidité foudroyante cédait aux mirages les plus stupides ou aux idées les plus fausses. Il se livrait à l'ennemi sans le vouloir, et surtout sans motifs. Un simple regard devenait déclaration. Un air grave valait provocation. Pour une œillade appuyée, il était capable d'aller décrocher la lune. Pour un mot trop vif, de sortir sa lame. Afin de lutter contre la tempête de ses émotions qui le ramenait à un état d'adolescent attardé qui lui faisait horreur, il s'était isolé. La perte de contrôle lui faisait peur, en ce qu'elle ne pouvait que lui faire mal. La méditation seule pouvait encore l'apaiser. La méditation et cette chaleur bénie qui l'imprègne de son souffle bienfaisant, l'assoupit aussi divinement qu'un alcool de prune. Il avait passé une nuit divine, nu dans ses draps et le poêle brûlant, se laissant rôtir le dos, les fesses, et les muscles pectoraux qui se relâchèrent dans un abandon plus délectable que le premier baiser d'un puceau.

Que ferait-il aujourd'hui ? Il n'avait aucune envie de travailler. Sans doute retournerait-il aux vergers ramasser quelques fruits pour obtenir le droit d'en croquer. Et surtout ... Le plus important. Placer son coffre chez un juif à la réputation sûre que lui avait conseillé Salem et dont il avait noté l'adresse dans son calepin. Pas d'intérêts à la clé, mais la garantie de revoir son bien à condition de savoir conserver une lettre de change.

Après quoi, il partirait au contact de Blaye, dont à Montauban on disait le plus grand mal, pour ce que ses habitants n'étaient que des "Calinours mièvres et décérébrés". La réalité du terrain, pour le moment, ne pouvait pas réellement donner tort à cette triste réputation. Mais avec un peu de chance parviendrait-il à y déceler quelques individus de bonne société et d'excellente compagnie. Il devait bien y avoir de fringants aristocrates et de grands bourgeois par ici ... S'il y en avait, Iohannes les dénicherait. Et qui sait ? Peut-être finirait-il par décrocher une invitation à dîner.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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Il revint tard, et fort accablé.

Blaye lui avait sourit de toutes ses murailles crénelées. Mais elle avait les dents pourries. Ses murs n'abritaient qu'un plumard totalement dévoué à la débauche d'un angélisme consanguin qui dépassait de très loin les limites de la décence.

Il se laissa tomber au milieu des draps en poussant un gémissement d'aise. Il avait placé son coffre et reçu sa lettre de change en bon ordre qui l'authentifiait de manière certaine. Il n'avait plus à craindre un vol ou un guet-apens quelconque. Et maintenant que ses richesses avaient été mises à l'abri, que faire ?

Il ne voulut pas répondre. Sans doute ne voulait-il pas entendre sa propre réponse de crainte de la regretter dans l'heure. Au lieu de cela, il s'étala de tout son long sur le matelas moelleux, sans oublier de fourrer sa tête dans l'édredon duveteux qui le réceptionna avec la délicatesse d'un ange. Les paupières closes et les membres en repos, il comprit comment les hommes avaient un jour pu céder à l'acédie tant le Créateur avait rendu d'infinis délices accessible aux Hommes. Durant deux jours et deux nuits encore, il dormit. Le ciel pouvait bien s'abattre sur la côte, les Angloys pouvaient bien canonner sur la rive, la terre pouvait trembler ... Cela lui était bien égal. Dans une ville magnifique sans personne à connaître ou à combattre, il se livra entier à Sainte Flemmasse, pour ronquer comme pas permis, sans l'once d'un sentiment de culpabilité.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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La clef du plaisir est dans la quintessence.

Seulement voilà. Flemmasser au lit, c'est bien joli, mais après deux jours d'un relâchement intense, presque pathologique, il commença à souffrir d'une certaine lassitude. La même sans doute, que ressentent les hommes mariés depuis trop d'années à la même rombière. Le poids des habitudes. Car un lit n'est pas une femme. S'il sait apporter autant de plaisir, on peut néanmoins lui reprocher de se montrer moins créatif qu'une jeune pouliche en ce qu'il s'agit d'égayer le mâle. Vous l'aurez compris, on s'en lasse plus vite. L'envie est toujours là, mais la nouveauté s'étiole, la jouissance s'effiloche dans les limbes de l'ennui. Le repos tant désiré s'inscrit alors dans un besoin conventionnel, sans exalter plus que cela celui qui en jouit des premiers transports enflammés, si caractéristiques de la passion.

Les yeux restent ouvert plus longtemps. Une certaine vitalité se fait ressentir. Les batteries trop pleines refusent de continuer à se recharger. Bref, votre corps vous rappelle les devoirs que vous avez envers lui, et surtout ce pour quoi il est fait: bouger, vivre, construire. A l'aube du troisième jour, de sérieuses fourmis commençaient à lui agiter les jambes. Les draps n'avaient plus leur odeur de propre, et son traversin lui sembla avoir fait la guerre. Non, vraiment, le beau de la passion avec Sainte Flemmasse touchait à son terme. Il allait lui falloir trouver autre chose.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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Définitivement émergé des abysses soporifiques, il lui fallait trouver de quoi occuper ses mornes journées. Le printemps l'y aiderait. Il ne jugeait pas sage de reprendre la route aussi vite. Ses plaies venaient d'être suturées. Elles avaient encore besoin de cicatriser sainement. Voilà plusieurs semaines que sa vie avait été mise en suspens. Maintenant, il ne savait plus réellement par quel bout la reprendre. Il constata avec une certaine amertume que ces temps derniers, il ne rêvait plus. Il se laissait vivre. Pourtant, il se sentait bien. Blaye portait en elle quelque chose de rassurant, qui semblait le protéger. Après tout, n'était-il pas de retour en Guyenne ? Sa Guyenne.

Cela ne le rendait cependant pas invulnérable. Ce Duché était une passoire. Ses ennemis habitués à se parer des masques les plus divers, à intervenir sous les formes les plus variées. Pas de quoi se voir délivrer de sa constante vigilance à l'égard des vendettas papistes et des actions meurtrières, le plus souvent menées par des chevaliers d'Ordres aux affiliations douteuses, qui avaient du avoir vent de son arrivée depuis belle lurette. Et ce, avant même que ses proches n'en soient informés. Or, à vue de nez, au regard de ses blessures, il devrait rester à Blaye environ une semaine. Largement le temps pour lui de se voir tricard dans toutes les venelles de la ville.

Pour s'occuper, il lui fallait trouver des complices. Il jeta son dévolu sur un tisserand croisé dans les bouges de la cité. Un type qui adorait le fric pour ce qu'il n'en avait sans doute jamais eu entre les mains et qui était prêt à tout pour en palper. Un gars attachant, au fond. A partir de cette relation, il essaierait de s'insérer dans ce microcosme, et pourquoi pas, prêcher la bonne parole à qui voudrait bien l'entendre pour ne pas avoir à ressortir seul de ces murs. Ces derniers temps, les balades en solitaire n'étaient pas franchement des plus recommandés.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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Après être allé couler un bronze derrière la haie d'un champ, il s'assit sur la grève de l'estuaire, et fit ses comptes. En additionnant les liquidités détenues sur sa lettre de change, celles qui dormaient tranquillement sous séquestre du côté des banquiers de Montauban, la valeur de ses actifs, et les quelques écus qu'il avait en poche, il cumulait 65.000 livres tournois tout rond. De quoi attendre calmement l'instant d'accéder au calme, au luxe, et à la volupté. Ce qui faisait que désormais, il n'avait plus qu'à paresser comme un Homme d'Église, tâcher de se faire gentiment oublier des taquineries du pouvoir temporel et surtout, de vivoter sans rogner le fond de son pécule, que les impôts aussi bien municipaux que ducaux, grevaient de près de 4.500 livres tournois par an, soit environ 4 écus par jour.

Ainsi fut-il décidé que ses journées à Blaye commenceraient toutes par une grasse matinée, se prolongeraient par une longue sieste dans l'après-midi, et se poncturaient par un coucher dès le crépuscule, après un souper honorable. Dans les entractes, il cultivait le farniente à la Corse, espionnait les habitudes des Blayais, se montrait attentif à leurs médisances, aux petits commérages locaux qui défrayent la chronique plébéienne, les agitations nocturnes aux feulements plus ou moins étouffés, les scènes de jalousie des voyageurs et autres disputes de ménage. Lui qui prenait la clef de l'Aquitaine comme la place forte du Cistercien Kronembourg en fut pour ses frais. La morale de ces gens là ne valait pas pet de lapin et l'homme, à la personnalité si dense, se montrait invisible, comme s'il avait renoncé à tirer quelque chose de pieux de "ces gens là". Lors de ces balades, il scrutait les lois locales, souriait légèrement lorsqu'elles étaient directement inspirées de celles de Montauban, et fronçait les sourcils lorsque l'une d'elles ne lui paraissaient pas forcément des plus utiles, lorsqu'elles n'étaient pas tout simplement néfastes. Hélas, aussi pittoresques que pouvaient être les moeurs Blayaises et leurs coutumes, il n'y avait rien de très excitant là-dedans, si bien qu'un beau matin, Iohannes s'arma de sa besace et se rendit aux portes de la ville pour donner de la harangue aux voyageurs, quitte à bousculer quelque peu ses louables résolutions. Chassez le naturel ... n'est-ce pas ?


Religionnaires, Aristotéliciens Romains, païens, agnostiques, athées,
Venez à moi ! Ouvrez grandes vos oreilles et écoutez la bonne parole.
s'exclama-t-il depuis les murs de la citadelle.

Chers camarades, amis de Blaye, vous tous, visages connus et inconnus, vous qui m'êtes chers: DOMINUS VOBISCUM.


Ce à quoi les plus attentifs -ou les moins ignorants- répondirent en choeur:

E CUM SPIRITU TUO.

Et il reprit.

Entendez mes frères, que tout le bien de ce monde est l'œuvre de Dieu et que Sa parole ne peut souffrir de la prescription d'une quelconque autorité. Que notre rôle, à nous autres huguenots, ministres et pasteurs, docteurs théologiens et diacres, est de contribuer à l'édification et à l'instruction des peuples afin de leur donner les clés qui feront d'eux non plus des païens, mais des fidèles serviteurs du Tout-Puissant.

Le message divin est accessible de tous.
Recevable par tous.
Transmissible par tous.

C'est en ce sens concret que le sacerdoce est universel, la différence que Rome établit entre le Clerc et le Laïc ne se justifiant en aucune façon.

Aussi, vous l'aurez compris, puisque Dieu se trouve partout, la bonne parole des Saintes Écritures n'est pas nécessairement circonscrite à l'intérieur d'un édifice, qu'il soit temple ou église. Aujourd'hui, puisque je me présente à vous pour la première fois, j'ai décidé de vous faire lecture des sages enseignements d'Assad, un des plus éminents Sicaires du Lion de Juda et Episkopoi de la vraie foy du temps où cette organisation millénaire se préoccupait davantage de la lutte contre l'hégémonie Romaine que de commettre des méfaits sous forme de coups d'éclat en s'associant avec la canaille la plus impie.



Car AINSI PARLAIT ASSAD, pèlerin du Lion Ailé.


Ainsi parlait Assad a écrit:
I.

Si je n'ai jamais mis en colliers les perles de la prière,
Je ne t'ai jamais caché cette poussière de péchés qui souille mon visage ;
C'est pourquoi je ne désespère pas de ta miséricorde,
Car je n'ai jamais dit que le Un était Deux.

II.

Ne vaut-il pas mieux te dire mes pensées secrètes dans une taverne
Que de me prosterner en logorrhée sans Toi devant l'Autel ?
Ô Toi le Premier et le Dernier de tous les êtres,
Donne-moi l'Enfer ! Donne-moi le Ciel ! Fais de moi ce que tu veux.

III.

Ô toi qui te crois sage encapuchonné, ne blâme pas ceux qui s'enivrent ;
Laisse de côté l'orgueil et l'imposture de la tonsure.
Pour goûter ici-bas un peu de la sérénité du Ciel,
Incline-toi vers ceux qu'on humilie, vers les plus vils.

IV.
Le Livre des Vertus, que des hommes nomment le mot suprême,
On le lit de temps en temps, mais qui le lit sans cesse ?
Ah ! Sur les lignes de la coupe, un texte adorable est gravé
Que la bouche, à défaut des yeux, elle-même, sait lire.


V.
Puisque nul ici-bas ne peut te garantir un lendemain,
Rends heureux maintenant ton cœur malade d'amour.
Au clair de lune, bois du vin, car cet Astre
Nous cherchera demain et ne nous verra plus peut-être.

VI.
Ici-bas, il vaut mieux que tu te fasses peu d'amis ;
Ne sors de toi-même que pour de brèves entrevues,
Celui-là dont le bras te semble un appui,
Examine-le bien, et prends garde.

VII.
Mon bien est disséminé aux quatre vents,
Et je chevauche en tous lieux pour le rassembler.
Il n'est jamais donné à Deos que l'aumône que l'on consent aux pauvres.
Tout le reste est donné au monde et je viens prélever ma part.

VIII.
Les corps qui peuplent cette voûte du Ciel
Déconcertent ceux qui pensent.
Prend garde de perdre le bout du fil de la sagesse,
Car les guides eux-mêmes ont le vertige.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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Hélas, les écrits d'Assad était vieux comme Mathusalem. Et tout ce qui était vieux ne captivait pas des masses les jeunes. Il y retournerait demain. Sans doute avec un autre thème, bien qu'il doutât que cela change réellement quelque chose à l'intérêt que susciterait son discours face à l'assistance. Aussi, au bout de quelques jours de ce régime, où le plus gros de ses distractions consistaient à vider son pot de chambre sur la tête des blondinettes qu'il ne pouvait pas sentir et à taquiner les belles-filles de l'aubergiste -pourtant bien laides- chargées de lui apporter ses repas, il se faisait royalement chier. Bien sûr, il aurait pu courir le cotillon et tripoter de la pas farouche de la touffe pour se distraire, mais la perspective dérangeante de se faire surprendre par une connaissance et la fraîche nouvelle de l'arrivée prochaine d'une amie chère gâtait considérablement l'intérêt du projet.

Quelle plaie.

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
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La providence avait finalement eut pitié de lui, et lui avait collé une connaissance entre les pattes: Clytie, qu'il avait parfois fréquenté à l'Ombrière lorsqu'il était Gouverneur, et avec qui il avait parfois conclu quelques marchés anodins. C'était le bon temps. Il avait connu son mari aussi. Deliriuma. Une race de diacre romain. Un ancien d'horizons formé à la bonne école, mais qui avait fini par défendre les sales idées de Brixius dans un moment d'égarement. Il y avait de l'eau dans le gaz dans le couple. Mais notre brave chevalier ne parvint pas à en savoir plus. Face à ses prospections sur le sujet -assez malhabiles, il faut en convenir- la Clytie s'était fermée comme une huître. Finalement, il rentra chez lui plus tard que prévu et un peu imbibé.

Ce ne fut que le lendemain, à l'aube, qu'il se posta de nouveau sur les murailles de la citadelle pour entamer son second prêche, et qui concernait cette fois-ci ... la croisade de Genève.


Peuple de Guyenne,
Permettez moi en ce jour, de vous livrer un nouveau sermon.


De toute façon, il semblait bien parti pour la prendre.

Nous n'aborderons point aujourd'hui les mémoires d'Assad.
Si pour certains d'entre vous, celles-ci ont pu vous paraître obscures, je suis là pour vous éclairer. Contactez moi par courrier ou rejoignez-moi à l'auberge du porche ou à la taverne des amis. Je répondrai à vos questionnements sur la foi.

Aujourd'hui, nous nous contenterons de dénoncer la politique belliqueuse menée par l’Église Romaine en terre de Genève, et qui s'étend désormais sur toute la Confédération Helvétique. Ces guerres, dites de religion, parfois appelées croisades, sont un drame. Un drame pour les populations locales, qui voient leur région s'enliser durablement dans un climat de terreur perpétuelle. Ainsi, désormais, quoi qu'il advienne, les rancœurs étant tellement tenaces, la Savoie et la Confédération ne connaîtront sans doute plus jamais la paix avant de nombreuses années. Il est fort à parier que les rancunes profondes, alimentées chaque jour par les meurtreries et l'occupation illégitime des croisés Romains, seront durablement enracinées dans la conscience collective des Helvètes. Mais le drame n'est pas seulement limité aux massacres, aux villes pillées et brûlées par les deux camps. Il s'étend à l'insécurité ambiante qui permet au brigandage de se développer, les tire-laine et la canaille étant assurés, dans ce climat chaotique, d'une impunité presque totale.

Mais lorsqu'on nous vend cette guerre comme le fer de lance de la foi Aristotélicienne, de qui se moque-t-on ? Alors que la plupart des cures du Royaume sont délaissées, que la morale Aristotélicienne n'est plus nulle part assurée, que la Guyenne, Toulouse, l'Armagnac, se sont affranchis de leur Concordat, que la Bourgogne réclame de la part de l’Église plus de considération, que les évêques mettent la tête des élus à prix, que les actes du Clergé comme leur morale, des nonces jusqu'aux Primats, sont dénoncés en tous lieux y compris par une frange de la haute noblesse du Royaume ; quelle peut bien être la signification à donner à cet effort de guerre qui voit des brigands semer troubles et désordres en brandissant la bannière des prétendues Sanctes Armées ? A-t-on déjà vu la parole de Dieu enseignée par le fer et par les flammes ?

Ils osent se vanter de leur vertu ! Mais qu'y a-t-il à vanter lorsqu'il s'agit de justifier les crimes du gascon Namaycush, coupable direct de nombreuses rébellions et guerres civiles Gasconnes que seule l'ambition mégalomane de ce triste Sire justifiait et qui porte aujourd'hui l'étendard Aristotélicien Romain ? Hélas, rien.

En cet état de délabrement de l’Église, nous conseillons aux croyants sincères et véritables de se détourner de Rome, et de prêcher à leurs familles et à leur proche la patience. Nous autres, réformés Aristotéliciens, de confession Montalbanaise ou Genevoise, annonçons la fin imminente de l'institution Cléricale en ce qu'elle a délaissé l'édification et l'instruction des peuples pour ravir leur souveraineté dans leurs provinces respectives et vouloir régner à la place des régnants. Le rôle des ministres, pasteurs, théologiens, diacres, et des anciens, est de catéchiser leur village, de célébrer en toute heure et en tout lieu l'amour de Dieu, de convaincre le cœur de l'athée, de louer le Seigneur pour sa justice, de moraliser la société, de prôner les valeurs constitutives de notre foi : le devoir, le courage, la noblesse d'âme, la générosité, et l'humanité ; de prononcer, enfin, les chapitres des Saintes Écritures qui ne doivent jamais sombrer dans l'oubli.

Hommes éclairés et de bonne volonté, je fais appel à vous.

Ensemble, propageons la lumière ! Sermonnons les usurpateurs !
Et vantons sans relâche les infinis bontés du Créateur !

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Sancte
[Rappel]

Soumettant sa présence à l'usage du Dauphin, Iohannes attendit patiemment que la plage se vide pour s'y installer à son tour. Ayant descendu la dune de sable, il reprit son souffle à plein poumons, emplissant son corps d'un air iodé qui veillait à son sommeil, et ce d'autant plus qu'il n'avait guère l'occasion de le respirer en Montauban. Une fois assis sur le rivage, il attrapa sa tablette et écrit une prose sommaire à une jeune amie qui avait sobrement participé à sa campagne d'incivilisation en levant l'impôt révolutionnaire sur les chemins, sans trop de succès. Aussi, laissé seul durant cette quête, c'est sens dessus-dessous qu'il arriva à Blaye, les traits marqués par le régime draconien qu'il s'était si longuement imposé, et qui contrastait tant avec le gazouillement clair de l'eau qui une fois déversée sur le sable, se retirait inlassablement vers la mer. Son visage embarbouillé de vilaines blessures se montra dur en se portant vers la ligne d'horizons ... Son bras le lançait. Il craignait souffrir une infection. Mais en réalité, il souffrait de se rendre compte de combien son quotidien était devenu fade. Il était tout simplement en train de vieillir. Et comme tout aventurier qui constate que le plus gros de leur vie est derrière eux, il avait du mal à l'accepter.

"Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,
Et nous disent encore ce qu'il fut autrefois." *


J'ai soif.

Il décida alors de revenir à sa chambre pour s'armer de son tonnelet de Whiskey.

Et je sais ce qui me manque.

Et il prit enfin la décision de grimper sur les murailles de la citadelle, pour épier la route du Sud ...


*Corneille - Le Cid

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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Asophie
[Dis, quand reviendras-tu ?]

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux*
(L. Aragon)



Une fois quittée la Teste-de-Buch, sa plage et ses vacances, elle n’avait cessé de se retourner jusqu’aux murailles de Bordeaux. Accompagnée de sa sirène et de son taciturne compagnon qui n’avaient pas voulu la laisser voyager seule, elle avait fait la route, une boule au ventre, déchirée, presque assommée.
Et puis Bordeaux. L’étape intermédiaire. Celle où l’on s’arme de résolution et où l’on essaye de se vider l’esprit. En évitant de se jeter sur le vin qui y coule clairet et délicieux même si ce pourrait être un plongeon d’oubli bienheureux. S’enivrer, voyager dans le brouillard. Arrêter de réfléchir quand on la tête qui explose et le cœur qui implose. Mais la facilité, celle qui aurait consisté à s’embarquer sans se retourner, elle l’avait refusée. Par foi, par dignité, par principe. Quelles qu’en soient les raisons, elle devait aller à Blaye. Et du coup, elle cogitait sévère, conjuguant le passé, ignorant le futur, elle essayait de se rassembler.
Durant des mois ils avaient joué à « je t’aime, moi non plus », faisant de leur mélodie une maladie d’amour qui allait invariablement de « je suis venue te dire que je m’en vais » à « ne me quitte pas »… Et maintenant ?

Maintenant, les murailles de Blaye se dessinaient et elle ignorait plus que jamais ce qui cachait derrière. Non pas seulement parce que c’était la seule ville de Guyenne où elle n’avait jamais foutu les pieds –honte sur elle- mais surtout parce qu’elle ignorait bien si c’était son futur ou seulement son passé qu’elle allait y retrouver.



*Louis Aragon : « Il n’y a pas d’amour heureux » (La Diane Francaise, Seghers 1946)

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"Connais-toi toi -même et tu connaitras l'Univers et le Divin."
Sancte
La Quête.

"Aimer jusqu'à la déchirure.
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile." *



Ce soir là, il ne fut plus question de tirer au flanc. Deux chambres supplémentaires avaient été réservées à l'auberge du porche. Il remit également de l'ordre dans sa propre piaule histoire de ne pas passer pour un faible qui relâche sa discipline, et passa plus de temps que prévu à soigner sa mise, en se jaugeant dans la psyché d'un air sévère. Enfin, il dressa tous les préparatifs d'un feu de camp sur la plage: pierres, bois, alcool. Le trio prophétique de la mise en scène. Malheureusement, ces tâches modestes ne lui prirent qu'une infime partie de la journée. Il fut alors livré le reste du temps à son tempérament angoissé, qu'il tentait vainement de distraire dans un alcool fort et dans la contemplation d'un horizon figé qui lui arracha nombre de soupirs.

"Et si elle ne venait pas ?"

Cette pensée, toute cruelle qu'elle soit, le plongea simplement dans une profonde mélancolie qui ne fit que renforcer un insupportable sentiment d'impuissance, celui-là même que ressent l'accusé dans l'attente d'un verdict duquel dépend le reste de son existence. Ces six dernières semaines, il avait cru mourir au moins une dizaine de fois, risquant de faire d'elle une veuve. Devait-il à son tour supporter l'optique du veuvage en courant au devant d'une histoire morte, lui qui avait déjà enterré sa précédente épouse de ses propres mains ?

La belle et docile cambrousse de l'estuaire s'offrait à son regard sous la lumière d'un soleil déclinant, quand se présentaient parfois des voyageurs aux portes de la ville. Du haut de l'échauguette, il les scrutait attentivement. Il n'en reconnu aucun. Ce ne fut que tard dans la nuit, quand la forte odeur de poisson frit des miliciens de garde eut l'impudeur de lui chatouiller les narines, qu'il les vit tous trois, au-dessous de lui. A ce moment là, il n'oublia pas de glisser un pourboire dans le tablier du forgeron qui lui avait permis d'accéder aux murailles, et descendit les marches quatre à quatre afin de venir à leur rencontre. Tout cela pour se retrouver un peu idiot devant l'objet de son empressement, plein de gêne et de retenue, et totalement incapable de leur servir un accueil couci-couça intéressant. Ce que l'on lit dans les livres, au sujet du malaise d'amour, n'est que de la foutaise. En vérité, sur l'instant, il n'y a rien de plus moche et de plus pitoyable. Face à lui, campait sur une belle haquenée un passé radieux mais qui avait perdu de sa superbe. Soit. Il en était responsable. Toutefois, il lui était impossible de saisir dans quelle mesure elle pouvait encore faire partie de son présent. Il donna les clés de chambre à son escorte qu'il remercia avec une affabilité des plus fades, puis arrêta sa monture. Il aida sa belle à descendre. Tous deux déroutés par la gêne réciproque qu'ils éprouvaient l'un envers l'autre, le trajet jusqu'à la plage ne fut pas des plus agréable.

Ils prirent néanmoins plaisir à s'y installer. Ils échangèrent quelques amabilités autour d'un tonnelet de Whisky. Renouèrent peu à peu contact en prenant des nouvelles l'un de l'autre, comme le font certains vieux amis qui font mine de s'enthousiasmer de leurs retrouvailles après de longues années de désintérêt mutuel. Mais on n'enterre pas ainsi une histoire si féroce. Après un court silence, les pieds furent mis dans le plat, provoquant un embarras profond. Il leur fallait s'expliquer. Ils s'expliquèrent. Les gestes tendres se succédèrent aux rebuffades. Les mots doux s'intercalèrent entre les violents éclats de voix. La compréhension vint se mêler à l'indignation. Et une douleur sourde comprimait violemment le fol désir d'être de nouveau ensemble. Pourtant, ce fut lorsque l'horizon fut bouché qu'ils eurent le sentiment de s'apprivoiser de nouveau. En exposant froidement leur situation, et les tragiques alternatives qui s'offraient à eux, ils en vinrent à s'aimer de douleur, dans un maelström de larmes et d'affection trop longtemps contenue, de fatigue et surtout d'alcool.

A la pique du jour, à l'heure où les pêcheurs sortent de leur cahute pour mettre les embarcations à l'eau, ils regagnèrent leur chambre d'un pas traînant, ivres de sommeil et d'espoirs projetés dans un futur menaçant.
...
Mais la main dans la main.




Jacques Brel - La Quête

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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Sancte
[Dans la cohue du monde, la froideur d'âme ne pense qu'à elle.]

Et à nul autre.



[L'aube pour seule destination.]


[Les abîmes de l'instant.]

Iohannes semblait de plus en plus convaincu que la rationalité était finalement le meilleur moyen de gérer l'irrationnel. L'administration des affaires d'un Royaume étaient en cela semblables à celles du cœur, en ce qu'elle exigeait de l'Homme de rester maître de lui-même. La passion, la colère, la rage, la haine, la violence, en clair, l'exaltation aveugle des sentiments extrêmes, c'était bien joli, mais ça n'avait jamais apporté la moindre solution à une problématique pour le moins cruelle. Pour hiérarchiser ses priorités, ses souffrances, évaluer les perspectives, quantifier le manque à gagner de chaque mauvaise solution qui souffre à lui et opter en faveur de la moins défavorable, un type ne doit pas se laisser submerger par ses mauvais instincts. S'élever au-delà de l'éruption intérieure, contraindre son esprit à une lucidité implacable, et amputer sans regrets les membres infectés par la gangrène, voilà la clé de tout. Certains désespérés vous diront que les sentiments doivent être mis à l'écart. Que cela nuit à la réflexion. Mais en réalité, celui qui analyse sans prendre l'affect en ligne de mire ne traite pas son problème avec toutes les données de celui-ci. Par conséquent, il ne peut que se planter dans la solution à y apporter. Et parfois bien salement. Combien de fois avait-il vu des types glacials n'agir que pour de froides considérations d'honneur, de fierté, et qui une fois serrés dans la solitude de leur chambre, se mettaient à pleurer leur mère pour s'être infligés une discipline trop stricte qu'ils s'imaginaient devoir à la vie publique, mais qui poignardait avec une violence inouïe l'équilibre sentimental qu'ils se devaient à eux-mêmes ?

Bordel de merde. Cessons les conneries et arrêtons les frais. Ya pas à tortiller du fion pour chier droit dans une bouteille. On est que des hommes. Ya pas idée de s'infliger tant de maux au nom des pures convenances. Parce que franchement ... La vie de débauché, la fraternité virile des castes inférieures, l'existence de clébard de rue qui noie son vague à l'âme et la crainte du lendemain dans le fond de ses pintes ou dans la sueur des bordels, il avait donné. A 20 ou 30 berges passe encore la vie de baroudeur qui marche des épaules sur le pavé du vieux port pour épater la bourgeoise ou exciter la pucelle. Mais à son âge, le môme espiègle et revanchard qu'il aperçoit parfois au fond de ses pupilles lorsqu'il se regarde dans la glace ne lui pardonnerait jamais une telle déchéance alors même qu'il touchait au but. A l'exemple du mâle alpha, Iohannes était prêt à tout pour se faire respecter des siens, mais pas au point de perdre sa meute. Autant crever direct. Au moins c'est propre. Concis. Net et sans bavure. Honorable quoi !


Ces derniers jours, ou au moins ces dernières heures, sans totalement annihiler les séquelles du récent choc qu'il avait pris pleine poire, lui avaient néanmoins ôté l'atonie dans laquelle il avait fini par s'enfermer. Il avait désormais besoin d'exercice. Prendre l'air. Renouer contact avec la terre. Revenir à l'authenticité de la vie rurale. La vraie. Bref. Oui voilà. Martine à la ferme. C'est ça. Semer. Labourer. Récolter. Nourrir les poules et manier le foin à la fourche. Vous avez pigé. Il vint donc à cheval au devant d'un officier de l'Ost, le fameux Lieutenant Choco qui lui avait promis un généreux salaire. Par gratitude, il lui promit de mettre à contribution sa monture et sa charrette à deux grandes roues, dans l'hypothèse où sa tâche se révèlerait plus ardue que prévue. Le travail manuel lui conféra un sentiment qui s'était étiolé avec le temps. Il se sentait enfin utile à quelque chose, de façon concrète et palpable. C'était pas le tout d'être un intrigant des plus douteux et un galant mal domestiqué, il lui fallait continuer d'exister au plus proche des gens et de la terre et soigner le mal par le plaisir. Bien sûr, un profond sentiment d'animosité face aux instigateurs de son malheur, fussent-ils issus d'une noblesse pauvre en force morale ou d'un clergé riche de son idolâtrie, subsistait en son for intérieur et puisait encore son énergie vitale du terreau fertile de son impitoyable rancœur d'homme meurtri.

Et s'il ne fut exceptionnellement ébranlé à l'idée de rentrer enfin à son domicile, c'est qu'une conviction terrible se trouvait sagement tapie au fond de ses entrailles.
La folle certitude qu'un jour, il leur ferait payer. En les crevant tous.




[La fine équipe.]

- Blaye me plaît. Le soir venu, les nuages se dissipent et les étoiles s'abaissent pour venir flatter l'œil des hommes sous le merveilleux paysage de la côte Aquitaine. Et quand l'aurore rougeoie sur l'estuaire, la matinée semble chargée de nouvelles promesses. On ne voit ça nulle part.
...
Hormis à Genève, peut-être.


Le manouvrier avec lequel il partageait le pain et la pause ne connaissait pas Genève, mais lui renvoya un bref regard de gratitude. Il se sentait flatté que l'on dise du bien de sa Cité. Ce redoublement d'éclat dans l'oeil de l'humble prolétaire n'échappa pas à Iohannes. D'ailleurs, il y avait eu dans ses dires une exagération qui dépassait la simple politesse et qui appartenait à une part de calcul. Toutefois, il ne se sentit pas insincère en racontant ces semi-conneries à un pauvre type qui les prenait pour de la considération. Blaye lui avait fait du bien. Et elle n'était pas vilaine.

- Et vous êtes venu seul ?

Le pasteur observa l'horizon et esquissa un demi-sourire emprunt d'une malice odieusement courtoise.

- Ma femme m'accompagne.

Son interlocuteur n'en capta pas la signification profonde. Il ne pouvait comprendre. Le manouvrier enfourna un morceau de pain frais dans sa bouche et s'enferma lui aussi dans la contemplation silencieuse du paysage, que seule venait troubler une mastication joyeuse dans l'expression de sa simplicité.
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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Sancte
Sa tête heurte une bouteille vide dans un bruit mat. Ses paupières s'ouvrent sur un regard brumeux qui sonde l'espace-temps. Qu'est-ce qu'il fout là ? Un soleil au zénith illumine de son éclat une chambre digne d'une porcherie. Une brune en travers du paddock à moitié recouverte de draps poisseux et souillés d'huile et de ... mieux vaut ne pas savoir, le traversin tâché de vin et enfoncé, des vêtements épars autour d'un fauteuil capitonné donnent à l'endroit un air de décadence affirmé. Ses paumes frottent ses yeux qui observent finalement la belle endormie, aux cheveux en vrac et aux lèvres entrouvertes. Vérification faite, c'est bien sa compagne qui dort comme une enclume d'un genre nouveau.

Et lui ... Ce mal de crâne ... Qu'est-ce qui avait bien pu se passer cette nuit ? Sans répondre à la question indiscrète, le réformé se masse le cortex et se lève pour enfiler son mantel carmin. Sa main passe dans sa poche et vérifie qu'il dispose de quelques pièces non rognées. Une cinquantaine d'écus. Bien. Il enfile ses bottes et s'éclipse pour se taper les courses du matin.

Il revient une demie heure plus tard avec un panier qu'il dépose à l'entrée et se dirige vers le cabinet de toilette qui sert de boudoir, intime réceptacle à la mélancolie féminine. Il asperge sa face de taulard d'une eau fraîche qui semble le ramener à la vie, puis se lave sommairement à l'éponge, se rase, se parfume en quelques touches avec l'air pénétré de ceux qui ont fini par assimiler l'élégance et un certain respect de sa personne comme un devoir. Un devoir ... malgré une belle gueule cassée de marlou passé à tabac. Une fois la mise soignée, il rejoint la chambre dans son beau pourpoint noir de pasteur. Jetant un oeil sur le lit, son regard s'arrête sur elle. Il ne peut pas décemment la laisser finir sa "nuit" ainsi. Il l'attire lentement à lui, sans la réveiller, passe un bras sous ses genoux, l'autre sous ses épaules, la porte, et l'emmène sur le divan bleu où subsiste encore une odeur de propre. Il se relève, passe dans le cabinet, s'arme d'une éponge humide, revient, puis la passe délicatement sur son visage qui porte les stigmates de la nuit. Ses yeux s'entrouvrent. Elle gémit. Il n'y prête pas attention. Patiemment, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, jusqu'à ce que ce visage ne reflète plus que la grâce d'un ange pâle, au feu éteint, il la débarbouille. Il démêle ses cheveux, sans lui faire mal, ôte ses bas, et lui fait passer en l'articulant un peu l'immense chemise qu'il a porté la veille. Il la rallonge, la tête bien au milieu d'un coussin, et la recouvre jusqu'au menton d'une couverture que le peu d'usure n'a pas encore rendue trop rêche.

Il se relève en une profonde inspiration et attrape le panier, disposant ce qu'il contient sur la table. Pain, fraises, bouteille de lait, oeufs, lard, miel, confiture de myrtilles. Ainsi qu'un mot, griffonné à la hâte et déposé sous les fruits:


Citation:
Mangez en priorité les fraises, autrement elles seront gâtées.
Ne vous en rendez pas malade.

Je vous embrasse. A ce soir.

S.I.


Il ferme les volets de bois des grandes fenêtres à meneaux et passe dans le couloir, où il alerte les chambrières en déployant tout son sens de la prévenance.

La Vicomtesse est indisposée.
Attendez qu'elle se lève pour faire les poussières.


Dommage que la valetaille n'ait pas le même goût que lui pour les euphémismes.



[Hors les Murs. Dimanche. L'Église carillonne en la vieille ville. La Réforme anime la spiritualité en pleine campagne.]


De la Charité Aristotélicienne.

Installé sur une chaire de fortune, le bon pasteur Iohannes apporte la bonne parole aux rares réformés de Blaye, ainsi qu'à quelques égarés un brin curieux de savoir qui est réellement ce religieux braillard apportant la bonne parole avec une gueule de repris de justice.

Que Dieu vous bénisse en ce dimanche matin, mes frères et amis, vous qui vous êtes déplacés hors des murs pour assister au discours du Pasteur Sancte Iohannes, le sagace obstiné, venu en votre ville vous adresser son sermon. Sancte Iohannes, le pacificateur, qui fera émerger de ce Royaume déchiré par les luttes intestines les prémices d'une nation phare, donnant à tous les religionnaires réformés une place honnête, en tous les cas unique dans notre vaste Europe, et qui va faire d'eux les thuriféraires du Salut par la foi seule et les pionniers de la critique cléricale.

Loin d'admonester la conduite de ses pairs, son sermon est le vecteur principal de l'édification des âmes en ce qu'il révèle la conscience spirituelle des Hommes qui ne sont pas encore totalement perchés. D'ordinaire, le pasteur délivre son message dans un temple. Faute de mieux, nous délivrerons le sens des Écritures issu de la religion réformée au sein même de cette modeste clairière.


Il s'éclaircit la voix, puis écartant les bras dans un geste rassembleur:

Venez donc, fils et filles de haute morale et de bonne famille, assister au prêche du Pasteur Montalbanais qui contredira l'opinion moralisatrice et ennuyeuse que vous vous faites de la spiritualité. Car le prêcheur prêchant la réforme Aristotélicienne vous épargne volontiers son prêchi-prêcha bigot et monotone, dont la seule vocation est d'empêcher l'homme de pécher, quand bien même la moralisation du discours produit souvent l'effet inverse.

A l'instar du pêcheur qui trop préoccupé par ce qui se trouve dans ses filets ne voit pas sa barque couler, l'athée en jouissant des nombreux bienfaits d'une vie matérielle ne se rend pas compte du danger qui plane sur son âme vouée à l'éternelle damnation. Ma présence en ces lieux est une perche qui vous est tendue: celle de renouer avec la foi des origines, celle qui berça nos prophètes bien avant l'instauration de l'Église par l'Empereur Constantin qui décida d'en faire un organe de pouvoir en asservissant les âmes de ses sujets.


Il se recueillit quelques secondes, tant pour réorganiser ses pensées que pour laisser le temps à l'auditoire de bien enregistrer ses paroles.

En ces heures de tristesse et de pauvreté, nous avons choisi une thématique fort à propos: celle de la charité, la place qu'elle doit avoir dans la vie d'un Aristotélicien et surtout comment la mettre en pratique de façon raisonnée et efficace. Mais pour cela, il convient avant toute chose, de poser la bonne question:

Qu'est-ce que c'est la charité ?



Et son visage aux traits agressifs s'arma d'un sourire féroce.

La charité est la traduction, dans notre vie quotidienne, de notre engagement envers les autres, de notre amour des autres. Elle se définit comme l'acte de donner à autrui ce dont il a besoin et vise l'équité entre tous au sein de la communauté. C'est ce que nous indique le chapitre deux de l'ouvrage "De l'éducation de François de Gêne et de la découverte d'Aristote" que nous citons ici:

Citation:
"S’éloigner de Dieu était s’éloigner de la vertu. S’éloigner de la vertu était s’éloigner des fondements de la société des hommes et de ses lois.

Ainsi il reconnaissait la grandeur d’âme de certains, et, en demandant l’aumône , en conséquence il faisait appel à la communauté Aristotélicienne dans son ensemble, à la charité universelle. Sa survie ne dépendait que de la communauté, il remit ainsi toute sa confiance, sa vie même entre les mains des Hommes, entre les mains de Dieu."

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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Asophie
[« La différence c’est ce silence parfois au fond de moi… »]*


Les jours passaient, les nuits aussi. Les jours se redécouvraient dans une tendresse particulière, de celle qui se sait fragile et qui se veut assurée et complice, risquant d’achopper au moindre mot maladroit, d’échouer à la moindre allusion. Les nuits s’oubliaient dans la fougue sauvage des corps, de celle qui étouffe l’esprit et qui réunit les amants qui ont cru se désapprendre quand leurs chairs sont restées marquées au fer rouge de l’empreinte de l’autre. Ainsi, à tâtons, ils se cherchaient, par des caresses, ils se retrouvaient.

Oui, les jours passaient…Au cœur d’une ville où l’agitation régnait, où la vie grouillait, où les tavernes semblaient se multiplier pour mieux servir une bonne humeur de façade mais dont les bières se révélaient bien amères quand on percevait au fond d’une choppe offerte toute l’hypocrisie de bon ton qui couvrait la rivalité des groupes, la suspicion des clans, l’instinct grégaire des tribus. Autant de tavernes que de fausses amitiés… En tous cas, c’est ainsi qu’elle le percevait, sans doute désabusée par une nouvelle clairvoyance qui teintait de gris la lumière de son optimisme naturel.
Néanmoins, loin de chez elle et de ses amis éparpillés en tous coins de Guyenne et d’ailleurs, elle commençait à sombrer dans un ennui proche d’une mélancolie dangereuse chaque fois qu’elle se trouvait livrée à elle-même. Ce qui arrivait bien trop souvent.


Ce jour là, elle s’en revenait d’une marche dans la campagne environnante durant laquelle elle s’était volontairement occupé l’esprit à observer le réveil de la nature et à faire une cueillette distraite de quelques jeunes brins, observant le timide épanouissement du printemps. Devant l’auberge du porche, un coursier semblait attendre, une jument blanche tenue par la bride, discutant avec le tenancier qui la désignait alors qu’elle approchait.


« Ah… m’dame la Vicomtesse… C’pour vous… L’comte a dit qu’si vous préfériez vot baudet d’aéropage, fallait que j’la ramène à Cahors ».


Surprise.. Le mot était faible. Tant de choses qui se bousculent dans sa tête mais il fallait garder contenance. Le sourire qui vint illuminer son visage était pourtant des plus sincères. Refilant quelques piécettes au coursier en l’engageant à aller se rafraîchir, elle fit face à la douce camarguaise. Une caresse sur le museau, échange d’odeur, abandon immédiat des peurs. Tout comme Soara avait sur la dompter, échangeant les rôles entre la bête et le cavalier, la blanche haquenée la rassura, la séduisit dans l’instant.
Sans perdre une seconde, elle planta son pied dans l’étrier, et engagea sa monture vers la plage. Là, sur le sable, elle mena sa cavale, chevauchant entre la terre, le ciel et l’eau, galopant contre le vent à en perdre le souffle, faisant corps avec la belle, cédant à une ivresse délicieuse… Une course contre le monde, contre le temps, contre les pensées parasites. Juste un moment de joie pure, intense, simple...


Quelques heures plus tard, elle s’en revint à l’auberge où elle retrouva le coursier, le crin en bataille et le corps en sueur, à l’image de sa nouvelle compagne. Sa décision était prise. Il n’était pas question de heurter Iohannes en cavalant fièrement sur la camarguaise mais elle ne pouvait y renoncer. Une bourse et la promesse d’écus supplémentaires achevèrent de convaincre le coursier d’emmener la jument à Terrides… Là-bas, elles se retrouveraient.




* Michel Polnareff : Lettre à France

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