Tout avait commencé dans une taverne. Cela commence toujours dans une taverne. Mais ici, point de noble compagnie attiré par une quête mystérieuse, point d'amis réunis par la poigne du Destin, et encore moins de dragon (au singulier) ou de princesses (au pluriel). D'ailleurs, ça n'aurait même pas dû commencer dans une taverne. Au petit matin, le ci-devant Mucius Scaevola, dont la description ne vous sera pas épargné, avait reçu un pigeon. Cet homme bien bâti, à l'âge indéterminé oscillant encore entre les vertes années et la première sagesse, en caressa d'étonnement sa barbe rousse parfaitement taillée. Il lut le message à trois reprises tant le contenu lui en semblait incongru. Une prieure ? Ainsi une prieure n'était pas une espèce rare d'oiseaux à couleur mauve comme il l'avait toujours pensé.Premier sujet d'étonnement. Et une si illustre personnage requérais son aide, à lui l'encore-apprenti sergent ? Une occasion pareille, ce n'était pas à manquer ! Une dame de cette qualité devait avoir des coffres regorgeant d'or, de bijoux, de pierreries et serait forcément fort généreuse s'il retrouvait ce mouton ! Puis il se reprit en se souvenant qu'il allait bientôt intégrer la Prévôté. Intégrité. Honneur. Dignité. La cupidité ne faisait pas parti de la liste. Mais après tout, rien ne l'empêchait de vendre des billets pour le bal de la Prévôté légèrement plus chers que le prix habituel...personne ne lui en voudrait d'empocher la différence comme...prime ?
Sur ces joyeuses et clinquantes pensées il sortit de chez lui après avoir convenu d'un rendez vous le soir même, la chemise d'un gris-jadis-blanc gonflée par l'impatience de secourir cette noble Dame. Puis il se rendit aux champs afin de les labourer. Il s'occupa de lettres de médiation à destination de plusieurs criminels. Il écrivit un long texte pour sa mairesse. Il fit lacquisition de poissons pour la mairie. A la fin de la journée, épuisé, il ne pensait plus qu'à s'écraser sur le banc de la taverne et d'y écluser quelques godets. A la mi-nuit, il gesticulait debout sur une table pour raconter comment il avait arrêté toute une armée aux portes de la ville à un auditoire goguenard. Quelques heures plus tard, le tavernier allait le raccompagner jusqu'à la porte, interrompant sa grande discussion avec le douanier à propos de la taille réglementaire des miches de pain, quand le contact de sa main avec la missive dans sa poche lui rendit instantanément la mémoire
Par les Saintes Culottes de Mac Grégor ! La curetonne ! Je suis pas sensé être en taverne mais au rendez vous !
Paniqué, il bondit littéralement hors du troquet, avisa un cheval, sauta en selle et parti au triple galop. Au bout d'une dizaine de battements de coeur, il eut l'esprit assez clair pour poser quelque constatations. Déjà, il n'avait jamais su y faire avec les bêtes, ce cheval ne faisait pas exception. Ensuite, ce cheval ne lui appartenait pas. Enfin, il était en retard et ignorait totalement où était le lieu de rendez vous. Sans avoir eu le temps de dire fou, ou ouf, il avait déjà quitté Bordeaux et galopait dans la plaine. Enfin le cheval galopait, lui s'accrochait à la crinière en fermant les yeux. Curieusement, il venait de retrouver la foi. Ce n'est qu'à la dix huitième promesse de changement en cas de survie que le cheval fit une embardée soudaine qui projeta son fardeau à terre. Mucius se redressa, sépousseta pour retrouver un semblant de dignité, et mira le paysage autour de lui. Des champs, quelque arbres, un talus. Au dessus des étoiles. Il était perdu.
Il choisit donc une direction au hasard et partit à travers champs. Dans l'obscurité de la nuit la chance devait lui faire un joli sourire car il tomba sur un chemin de terre au bout de quelques minutes. Il l'emprunta, désespérant de trouver quelqu'un à qui demander son chemin. Et justement, quelques instants après encore, alors qu'il pensait que son moral avait atteint le plus bas niveau, le son des sabots d'un cheval se fit entendre. Un cavalier arrivait au pas face à lui. Mucius ne pu en discerner plus qu'à quelques pas de l'homme. Un étrange halo sombre l'éclairait et pourtant on distinguait les contours de sa silhouette avec netteté grâce à la lumière de la pleine lune. Il portait une armure complète et très sombre, heaume et écu. Il stoppa à trois enjambées, distance que Mucius combla rapidement pour s'adresser directement à lui:
- Hola mon brave, le chemin de Marmande je vous prie ?
- Coupez à travers champs en suivant cette étoile et vous y serez dans quatre heures messire.
- Je vous remercie bien, méritant inconnu. Et connaissez vous une bâtisse abandonnée à proximité de la ville ?
- Mais bien entendu, vous la trouverez sur le même chemin mais bien plus tôt en ce cas
- Vous êtes d'une amabilité confondante. Dites, c'est amusant, j'étais en train de me dire, votre armure noire et votre écu frappé de lys et de lions dorés, c'est pour ressembler au Prince Noir ? Vous vous rendez à un bal masqué ?
- Oh non mortel, le Diable me permet de sortir une fois par an pour une nouvelle Chevauchée !!
- Ben c'est bien, c'est bien. Et chevauchez prudemment hein !
Le cavalier piqua des éperons et s'engouffra dans la noirceur de la nuit en poussant un terrifiant rire fantomatique. Mucius haussa les épaules en murmurant qu'on trouvait toujours des cinglés sur les routes la nuit.
Il reprit la route dans la direction indiquée, et au bout d'une bonne heure de marche il parvint aux environs de la grange. Cela lui faisait bien trois heures de retard mais il était là, c'est le principal. Il s'approcha à pas de loup mais en pleine plaine, ce qui rendait toute arrivée furtive assez improbable. A la porte mi close de la grange, il voulu se saisir du parchemin et lire le mot de passe particulièrement corsé qu'on lui avait proposé. Malheureusement, la missive avait dû glisser de sa poche durant sa folle cavalcade. Et évidemment plus moyen de se souvenir de la phrase. Mais il n'avait pas fait tout ce chemin pour le rebrousser ensuite. Il passa la tête par l'ouverture et tenta
Les chiens aboient, la caravane passe !