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[RP]L'Art de devenir une fem... rester catin.

--Desiree



[Sur le chemin du retour, entre le Bourgogne et Paris, fin avril 1459]


Les cahots la rendaient nauséeuse. Blottie contre la portière du coche qui les reconduisait vers la Rose Noire parisienne, elle essayait de ne pas y penser. Elle se concentrait surtout sur la belle somme confiée à son gardien, et au beau pourboire dont elle tairait l’existence jusqu’au bureau de « sa » Dame Rouge. Il était plus que temps de frapper un grand coup et de négocier sa vie et celle qui grandissait dans son ventre.
Elle jetait de temps à autre un regard dédaigneux vers l’homme qui lui faisait face. Focaliser sa colère sur lui l’empêcher aussi de penser aux remous de la route et à son estomac sensible. Elle espérait simplement que cela finirait par s’apaiser avec le temps, et que cela ne durerait pas jusqu’à son accouchement. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre de l’argent et d’être trop faible pour travailler. Elle serait chassée. Elle ne pouvait pas mettre au monde un enfant si elle n’avait pas d’argent pour le faire vivre.
Elle n’était pas certaine que la Pourpre accueille un ange déchu de la Noire. Surtout si l’ange en question arrivait grosse du Gardien de la Pourpre, et propriétaire d’une partie de son cœur.


Cesse de m’observer ! Paie moi ou regarde ailleurs si tu n’es pas capable de contrôler tes braies !

La phrase avait sifflé, assez fort pour être entendue de l’extérieur, assez fort pour humilier le gardien qui n’avait rien demandé. Il fallait bien se distraire. Il était plaisant de défier l’homme qui devait la protéger. La surveiller. L’empêcher de fuir. Comme si elle allait fuir sa seule et unique source de revenus. Jamais. Jamais elle ne quitterait la Rouge.
Mais il était si amusant de torturer cet homme. Elle se savait belle, même pâle. Elle se savait lui être plaisante au regard. Elle avait vu ses braies gonfler un nombre incalculable de fois. Elle en avait jouit au moins autant. Il gagnait plus d’argent qu’elle, il vivait de son travail à elle, il était censé la dominer et la faire obéir. Mais il la désirait si fort que c’en était risible.

Elle le toisa une fois encore avec dédain, et se détourna vers la fenêtre, avec la ferme intention de dormir. Elle ramena sur elle sa capuche violine, dont s’échappaient les mèches d’or pâle de sa chevelure. Elle prit grand soin que la cape la recouvre bien, tout en dégageant une cheville de sa robe.
La peau blanche, douce et désirable – elle en était convaincue ! – était visible, évadée de la soie de sa robe, jusqu’à la mule qui enfermait ses orteils. Ode au désir de son infortuné compagnon de route, elle lui imposait de ne pas quitter le pâle et délicat artifice de séduction du regard. Jusqu’à son réveil.

Certaine de le torturer, elle ferma les yeux. Priant pour que son estomac lui, cesse de la torturer.

__________
--Geoffroi



[Sur le même chemin, à la même date, et dans la tête, la marche du destin]



Il se triture les doigts. Ils sont moites et ça l'agace. Il se les frotte sur ses cuisses, les triture à nouveau, maintenant qu'ils sont secs. Il sait pourquoi il est nerveux. Il le sait mais ne peut se contrôler. Ce moment où il serait seul avec la catin, Geoffroi l'a attendu des semaines. Et pendant que certain(e)s se payaient le luxe d'apprendre à être un homme, lui, le larbin de la catin, développait l'art de se venger.

Il ne sent pas les soubresauts de la voiture. Il est occupé à masser ses doigts. A jeter de temps à autres un regard à la blonde. A laisser le mépris qu'il lit dans ses yeux alimenter tranquillement sa haine. Il attend. Que la voiture s'éloigne de la Bourgogne. Que le silence de la campagne protège le méfait qu'il va commettre.

Il a couvert ses arrières, le gardien de la Noire: A défaut de payer Désirée pour louer légalement ses services, c'est le cocher qu'il a soudoyé. Cent écus pour qu'il ferme les yeux et les oreilles sur ce qu'il pourra voir ou entendre sur le chemin qui mène à Paris. Il ne sait pas encore très bien comment il va se prendre. Mais il a confiance. C'est ici et maintenant. C'est son destin. Et plus jamais la blonde Rose du Bordel ne le regardera avec dédain ni indifférence. Non, plus jamais…

Il encaisse la phrase-insulte comme il a encaissé toutes les autres depuis le début. En silence. Les lèvres crispées. A s'en briser la mâchoire. Les doigts se séparent et les poings se serrent. Les yeux fixent la peau blanche, haineux, lentement fous. Dix secondes. Elle ne le regarde plus. T'es qu'une m.erde Geoffroi. La m.erde, je ne la remarque pas. Vingt secondes. Elle se drape, dans sa dignité, dans son opulence, dans sa sensualité. Elle le provoque. Icône inaccessible. Regarde Geoffroi, ce que tu n'auras jamais. Trente secondes. Elle ferme les yeux. Elle l'ignore délibérément.

Quarante secondes. Il aura tenu quarante secondes avant d'exploser. Il se lève de son siège et se penche brusquement sur elle. La gorge est saisie d'une main, tandis que l'autre gifle. Coup droit, revers. C'est ça le jeu de paume. Il n'entend pas les cris ou les paroles de la catin. Ca y est. C'est l'heure de la vengeance. Il le sait dans ses tripes. Il le sait dans ses braies. Oui, celles-là même qu'il ne contrôle pas. La dernière claque envoie Désirée s'allonger sur la banquette.

Il la retourne sur le dos et l'enfourche sans ménagement, un rictus de maigre victoire sur les lèvres. La dague est sortie, posée lame contre peau au niveau du cou.


Hurle ma belle, hurle. Le cocher est sourd et aveugle. Et moi je me délecte de ta voix.

Il glisse lentement l'arme le long de la gorge jusqu'aux seins. Il ne la quitte pas des yeux. Les préliminaires, en amour ou en vengeance, c'est tout autant excitant.

Tu t'es bien moqué de moi, tu m'as bien humilié depuis le début. Mais maintenant c'est fini, petite catin! Tu vas devenir gentille avec moi… Et peut-être alors que je ne te couperai pas la gorge - Il remonte la dague et appuie ostensiblement le tranchant contre la peau blanche et tendue - ou que je n't'arracherai pas les tripes - cette fois, l'arme redescend, ignorant la poitrine, et s'arrête sur le ventre.

Il se souvient du mot "grosse", Geoffroi. Il l'a entendu, il ne l'a pas rêvé. Il ne sait pas pour sûr si Désirée est enceinte, mais il joue son coup. Il veut voir la peur dans ses yeux. La peur après le mépris. Oui c'est ça qu'il veut. Donne-moi ta peur, et j'en ferai un viol…



--Desiree




Si un client est violent avec toi, ne te débats pas, et attends que ça passe.

Voilà la devise de toute bonne catin. Voila le mantra de Désirée. Elle est immobile, la catin. Elle a bien un peu crié sa surprise quand la main s’est abattue sur sa gorge, mais depuis, rien. Elle ne dit rien, et elle attend que ça passe. Elle sait déjà ce qui va se produire. Ses frusques luxueuses vont choir, et elle sera possédée par un homme qu’elle exècre. La belle affaire. C’est son métier.

Qu’il croie l’impressionner de l’affole guère, la catin. Sage et passive, elle attend. Au fond, elle aurait du se douter qu’à trop le provoquer, il finirait par craquer. Elle pensait qu’il aimait plus l’argent que son corps encore arrogant. Visiblement, gémir en labourant son ventre lui plaisait plus.
Elle tressaille quand la lame froide l’effleure. Peur pour sa vie ? Nenni. Pas dans l’immédiat en tous cas. Il ne la tuera pas. Il ne peut pas la tuer. Aucun prétexte ne suffirait. Même une tentative de fuite ne mériterait pas la mort aux yeux de la Rouge. La tuer serait injustifiable, et puni de mort. Elle le sait.
Mais la marquer ? Ca, il pourrait. Une cicatrice de plus gâcherait sa valeur. Et voilà une chose qu’elle ne peut absolument pas se permettre. Au nom de la vie qu’elle porte, et qu’il menace maintenant de sa lame.
Elle n’a pas peur de lui, non. Mais d’un cahot un peu brusque, peut être. Elle frémit à nouveau sous lui. Et se résout à l’ultime provocation. Elle préfère être meurtrie dans sa chair et quelques bleus sur les cuisses.


Une lame ?

Elle ose le rire mordant, moqueur. Vicieux.

Une lame ? Tu es seul face à une femme et il te faut une lame pour la dompter ?

Le sarcasme est déjà cuisant. Pourtant elle rajoute encore :

Tu n’as pas du tremper celle dans tes braies bien souvent, Geoffroi, pour avoir peur d’une femme comme moi…

Une femme comme elle, oui. Elle le repousse encore, plus bas que terre, plus bas que rien, là où sont ceux qui ont peur de s’offrir une putain.
Elle profite de ses instants pour essayer de chasser la crainte, et détendre son corps. Pour que l’assaut ne soit rien qu’une passe ordinaire. En vain. Pour qu’il ne voie pas cette crainte dans ses yeux, elle ferme les paupières.

Cette fois, elle aura mal.

__________
--Geoffroi



[La Métamorphose *]



Bien sûr qu'il peut la tuer, Geoffroi. Une fois la première limite franchie, les autres deviennent floues, et qui peut prévoir ce qui se passera dans l'esprit d'un homme humilié et qui rumine sa frustration depuis des mois? Pas toi ma Désirée… Même pas moi, parce que là, je suis tout simplement hors de moi…

Et elle se moque encore de lui, la catin. Elle le défie, elle le rabaisse, elle l'émascule plus sûrement qu'avec cette dague qu'il tient entre ses mains. Et la rage de Geoffroi explose soudain. Le poing s'abat lourdement sur le beau visage de la blonde. Une fois, deux fois, cinq fois. Il halète. Elle saigne des lèvres, inconsciente. Le sang qui coule le ramène brusquement à la réalité.

La haine est toujours là, mais il sait qu'il est allé trop loin dans sa violence. Il ne faut pas qu'il blesse la catin, encore moins qu'il la défigure. La Rouge ne lui pardonnerait jamais d'avoir définitivement dévalué sa plus précieuse marchandise, parce qu'il n'a pas accepté son statut d'eunuque mental… Et c'est de sa vie qu'il paierait cet instant de jouissance vengeresse.

Alors il se redresse sur le corps inerte de la catin. Il faut qu'il se calme pour réfléchir. Il ne peut plus reculer. De toute façon il ne le veut pas. Non. Il faut qu'il aille jusqu'au bout maintenant. Que Désirée souffre. Que Désirée abdique son arrogance. Que Désirée le respecte enfin. Et c'est uniquement par ce viol programmé qu'il y arrivera, le bougre. Mais il faut qu'il se calme…

Les yeux rivés sur la fenêtre du coche, il respire lentement. Le corps de Désirée prisonnier sous le sien lui procure un incroyable sentiment de toute puissance. Et il bande, forcément. Soudain, il a une idée. Il hèle le conducteur d'une voix ferme.

Arrête-toi !

L'homme lui obéit aussitôt, et les chevaux s'immobilisent en piaffant. Geoffroi saute à bas de la voiture et sort sa bourse.

Cent… Cent cinquante écus de plus, si tu gares le coche là-bas, à l'abri des arbres, que tu vas te promener et que tu reviens dans une heure…

Il ne quitte pas l'homme des yeux et lui tend la bourse, sans retirer une seule pièce. Il ne faut pas longtemps au cocher pour se décider. Dans quelques heures, il déposera ses clients à Paris et disparaitra. Cent cinquante écus de plus pour fermer un peu plus longtemps les yeux, c'est un cadeau du ciel, ça.

Les instructions du gardien sont suivies à la lettre. Bientôt la voiture est dissimulée et le cocher parti. Geoffroi se retrouve seul avec Désirée qui reprend doucement ses esprits. Reste calme mon grand… Tu as une heure, une éternité et c'est toi le plus fort… Tout en surveillant que la catin ne retrouve pas brusquement son énergie et ne tente de fuir, Geoffroi sort de sa besace un rouleau de corde épaisse, puis se penche vers Désirée, lui saisit les deux poignets d'une main et l'entraine hors de la voiture.

Il choisit un arbre de grande taille, aux branches nombreuses et d'apparence solides, et s'approche de lui avec sa victime. Souriant d'un air satisfait, il regarde Désirée.

Je veux que tu me voies faire, ma belle. Mais si tu fais mine de t'échapper, je t'assomme une nouvelle fois.

Hochant la tête avec impatience, il augmente la pression sur les poignets de l'obsédante catin.

Alors?




* Oui, c'est de Kafka, le titre...

--Desiree




Elle savait qu’elle aurait mal. Elle n’imaginait pas à quel point. A quel poing. Elle ferme les yeux quand sa lèvre éclate. Elle ne pourra pas travailler ce soir. Que va dire la Rouge ? Que devrai-t-elle dire à la Rouge pour la convaincre qu’elle n’a pas tenté de fuir ?
Il l’écrase. Le souffle lui manque déjà, et son poing s’abat encore une fois, puis une troisième. Et encore une autre. Il faut qu’elle trouve quoi dire à la Rouge. S’il lui poche aussi les yeux, il sera bien plus délicat de camoufler les dégats. Elle ne bouge plus, elle ne provoque plus. L’arrogance est morte, c’est son sang qu’elle goûte à son palais. Et encore une aut…

Elle sombre.

Combien de temps ?

Elle ne le sait pas.

Elle sombre.

Quand elle ouvre un œil, elle s’empresse de le refermer. Qu’il continue à la croire inconsciente. Sa tête lui fait trop mal pour ouvrir les yeux, mais il semble avoir compris qu’elle avait émergé des brumes où il l’avait envoyée. Il lui enserre les mains. Le coche est arrêté, et le cocher absent.
Elle suit son tortionnaire. Sa robe s’accroche aux fourrés, elle perd une mule. Il devient de plus en plus difficile d’imaginer comment faire comprendre à la Rouge qu’elle n’essayait pas de fuir, et que le Gardien l’a abusée. Hors du coche. Dans les bois.

Elle allait mourir. S’il ne la tuait pas, la Rouge le ferait. Si la Rouge ne la tuait pas, qui voudrait d’une catin défigurée ?
Elle n’oserait même plus se montrer à la Pourpre comme elle l’envisageait encore dix minutes plus tôt.
Elle allait mourir.
Pourquoi alors ne pas lutter maintenant, et le laisser en finir avant qu’il n’assouvisse son immonde désir ?

Parce qu’une vie grandissait dans son ventre. Et que s’il y avait ne serait-ce qu’une chance sur mille pour qu’elle puisse la mettre au monde, alors tout valait la peine d’être subi.

Les tempes douloureuses, la lèvre et une pommette palpitant douloureusement, elle hocha la tête. Pas trop fort. Pas trop fort, sinon elle avait l’impression que son cerveau poussait ses globes oculaires hors de son crâne.
Elle acquiesce. Elle le regardera faire. Quoi qu’il fasse, elle ne luttera pas, elle ne fuira pas, elle ne dira rien. Elle n’a pas le temps de mourir maintenant. Elle a un bébé à avoir un jour.

Mais la pression augmente à ses poignets. Si elle ne parle pas bientôt, elle aura des marques là aussi.


Ou… Oui..

Regarde la, la belle arrogance envolée. Elle n’est plus rien qu’une loque soumise. Pour sauver sa vie et son enfant.
Et le Gardien de la Noire ne l’emportera pas au Paradis. C’est certain, et les yeux baissés dissimulent un regard où couve la haine pure.

__________
--Geoffroi




Le premier "oui" de Désirée, même forcé, même volé, explose dans la tête du gardien en un feu d'artifice victorieux. Geoffroi est étrangement décontenancé. Et maintenant, pathétique eunuque, que vas-tu faire?… Rien. Rien… Me laisser reprendre par la haine, celle qui m'empêche de devenir fou parce que j'aurais pris conscience de mon impuissance…

Alors la haine le reprend, docile amante, et le visage se fend d'un rictus dédaigneux tandis qu'il lâche ses poignets et l'oblige, d'une main puissante sur une épaule, à s'agenouiller, visage à un mètre face au tronc.

Tu es une petite catin obéissante finalement. Dommage pour toi que tu ne l'aies pas été plus tôt avec moi, ma belle Désirée.

Il insiste sur l'article. Car il la possède en cet instant. Et elle sera à lui désormais. Il va la faire sienne et elle ne lui refusera jamais plus rien. Elle le respectera. Elle l'aimera. Oui elle va apprendre à l'aimer, la fière Désirée ! Et ça va commencer tout de suite...

D'un regard vers les branches, il en choisit deux, à environ égale distance du corps de sa victime. Il attache solidement le premier bout de la corde au poignet gauche de la blonde et fait passer le reste par-dessus la première branche. Lentement, comme dans un rituel qu'il inaugure, il avance vers la deuxième branche et répète l'opération.

Il a mal évalué la distance, Geoffroi. La corde peut bien être attachée au poignet droit de Désirée, mais il faut pour cela lui étirer carrément le bras. Il le fait, tout en lui intimant sèchement l'ordre de rester à genoux. Elle n'est pas très gracieuse, écartelée ainsi, la catin. Mais elle correspond plus ou moins à l'image que le gardien a en tête, alors il se frotte les mains, satisfait.

Il vient ensuite se placer devant l'objet de son obsession, le bassin collé à son visage. Il est légèrement fébrile lorsqu'il baisse ses braies. Comme un puceau le premier soir. Et c'est presque ça. Aujourd'hui, il va enfin s'unir à sa belle catin, et rien ne sera plus comme avant…

Le membre ignoblement dressé vient frôler les lèvres meurtries. Et les mains de Geoffroi agrippent les cheveux d'or d'une infamante poigne. Sur l'autel de son désir, il est sur le point de commettre le premier acte qui fera de lui un dieu, le maître de Désirée… Et d'un mouvement brutal, il force la bouche de la catin. La voix est rauque, presque caverneuse, lorsqu'il entame le sacrifice.

Au travail, ma Désirée...





--Desiree




Il appuie sur son épaule et ses genoux ploient, ses genoux plient et tombent durement au sol, écorchant la peau délicate. Elle ne résiste pas. Elle ne laisse pas échapper une plainte. Elle ne dit rien quand il lie sa main, et cache la panique grandissante qui point en elle quand sa deuxième est ligotée. Les bras en croix, face au tronc du chêne qui n’avait pas demandé à être complice, l’horreur l’envahit.

Il va l’abandonner là. Il va rentrer sagement à Paris et dira qu’elle s’est enfuie. La Rouge le croira. Non, non. La Rouge le tuera. Il ne peut ni la tuer, ni l’abandonner. Il doit la reconduire auprès de la Rouge, et elle doit trouver comment expliquer les coups, les marques, les griffures et les écorchures. Elle doit trouver et…

L’odeur mâle contre son visage lui soulève le cœur. Mais elle n’a pas le temps de détourner le visage que sa bouche est forcée. Sa lèvre éclatée saigne encore, saignera longtemps, mais la douleur y pulsant lentement est le cadet de ses soucis.
L’objet engouffré au fond de sa gorge s’y fraie durement un passage, et y contracte les muscles, révulsant l’estomac.
Les yeux clos, la catin ravale la bile amère qui lui vient. Les larmes ruissellent sur ses joues quand, s’appliquant, elle entreprend d’assouvir l’immonde pulsion. A-t-elle autre choix que l’engloutir d’elle-même en entier, si elle ne veut point s’y étrangler ? n’a-t-elle pas le cruel avantage d’être putain, et de savoir faire sans s’y étouffer ?

Un bref instant, alors que la langue habile s’active et qu’elle force l’objet jusqu’à l’engloutir entier, elle envisage de fermer brusquement les dents. Si elle est rapide et puissante, elle lui tranchera si bien le vît qu’il ne pourra plus s’en servir.
Et la seconde suivante, elle sera morte.
Elle le ferait, si elle n’avait pas d’enfant en son sein. Si elle n’avait pas sa loyauté à prouver à sa maitresse.
Elle le ferait si elle voulait la mort.
Mais qu’importe. Le gardien de pacotille mourrait pour ce qu’il lui faisait, et elle serait là pour y assister.

Les poings serrés, les ongles lui entamant la chair, elle lutte avec les cordes qui la maintiennent. Les branches sont justes assez hautes pour qu’agenouillée, elle ne puisse totalement reposer au sol. La position est une torture pour ses muscles, et si l’immonde spirale de chanvre voulait bien s’assouplir un peu, elle pourrait au moins reposer ses pieds, et ses cuisses.

Mais rien n’y fait, et la douleur est plus cuisante à chaque instant, aussi terrible que l’humiliation de devoir engloutir encore, et encore, jusqu’au fond de sa gorge, l’ignoble pal de chair dressé. Sur ses joues, les larmes n’en finissent pas de couler.

__________
--Geoffroi




Avilir. Rendre méprisable. Déshonorer. Souiller.
Geoffroi veut avilir Désirée. Lui rendre la monnaie de sa pièce, au denier près. La voir non pas chuter, mais être obligée de descendre d'elle-même de son piédestal, parce que lui, lui son larbin, lui qui n'a jamais trouvé grâce à ses yeux, l'avait décidé. Il veut l'avilir, totalement, irrémédiablement. Ames sensibles, n'allez pas plus loin. Les mots sont choisis après moult réflexion, mais les images, elles, sont terribles.

La frontière est ténue entre raison et folie, n'est-ce pas. Que d'hommes sont des Geoffroi en puissance. Parfois un peu fourbes, parfois un peu crétins, mais encore rattachés à la réalité de l'instant. Et ils franchissent le pas de leur violence inhérente, parce qu'une femme, celle-ci et pas un autre, leur a refusé le statut d'homme, les a piétinés de son arrogante indifférence. Beaucoup restent en retrait de cette ligne, parce qu'ils ont les mots en eux pour survivre. Geoffroi, lui, ne les a jamais eus.

Ma Désirée… Je t'aurais aimée comme une reine, si tu m'avais regardé. Mais tu m'obliges à te soumettre, catin que tu es… Je t'aimerai autrement maintenant, quand tu seras entièrement mienne… Et la bouche est littéralement ravagée, au rythme des pensées du gardien de la Rose, au diapason de leur violence. Il ne la regarde pas, pas encore. Elle n'est plus femme en cet instant. Elle est une porte que l'on défonce à coups de béliers implacables, alors même qu'elle a brandi le drapeau blanc.

Et il pousse, et il pénètre, les doigts férocement emmêlés à la chevelure blonde. Etalon en échauffement avant la saillie finale… Il ne doit pas être totalement fou encore, le petit brun, parce qu'il va et vient, mais se retient, jusqu'au bout. Et lorsqu'il sent son membre prêt à exploser, il se retire brusquement. Pas encore, pas ici, ma Désirée… La tête est brutalement rejetée en arrière, et il baisse pour la première fois les yeux sur la catin, contemplant son oeuvre.

Il découvre les larmes et l'étendue de sa victoire. Avilie, Désirée. Souillée. De salive mêlée de sel et de sang. Presque tendrement, il lui caresse le visage, étalant sur les joues et le front ce que les lèvres rejettent d'humeurs diverses. Mais le moment de douceur passe. La haine, comme le désir du gardien, est loin d'être assouvie. Il lâche la tête qui retombe vers l'avant. Oui, baisse les yeux Désirée, sur cette déchéance dont je suis l'instigateur…

Geoffroi contourne alors sa victime, sans un mot. Il doit faire vite maintenant, s'il veut avoir fini avant le retour du cocher. Il retrousse la robe jusqu'au hanches, sur lesquelles se posent fermement ses doigts humides, puis il relève la jeune femme. L'étau se desserre sur les épaules meurtries, mais le gardien fait courber d'une main l'échine à la reine déchue, puis guide lentement sa verge encore dure. Tu me sens, Désirée? Tu me sens bien? Et sans ménagement, il introduit son vit, il s'immisce dans l'intimité de ses fesses rebondies…

Il est Geoffroi. il est l'homme qui veut posséder Désirée. Il ne passera pas par là où tout le monde, ou presque, paie pour passer… Et la conquête continue. Plus violente, plus dégradante. Désirée gémit et retient des sanglots. Geoffroi lui, ne retient plus rien. Il empoigne une touffe de cheveux, définitivement hors de lui, et il la besogne, sauvagement. Ses râles de jouissance bestiale couvrent les cris de douleur de la catin, et lorsqu'il se déverse enfin en elle, il éclate de rire. Un rire pervers, un rire fou.


C'est moi qui aurais dû être le père de ton enfant…

La justification suprême de ses actes… Il lâche les cheveux et, satisfait, repu, il se retire d'entre les fesses, laissant échapper encore quelques gouttes de sa semence sur la peau tendue. Désirée est détachée, la corde jetée au loin. Il ajuste ses vêtements, puis attend que la catin se relève, avant d'ouvrir un bras. S'il n'était pas lui-même, il aurait eu froid dans le dos…

Viens ma Désirée, nous rentrons….





* Merci à toi qui te reconnaitras, pour tes conseils et ton aide.


--Desiree




A chaque instant, elle a l’impression de mourir. Chaque geste du gardien lui semble être le dernier qu’elle pourra endurer avant de succomber. Les yeux gris ruissellent et supplient, et se ferment, dernier geste d’orgueil avant sa fin. Ne pas lui montrer. Subir sans faiblir, et ne pas lui montrer le mal qu’il lui fait. Elle voudrait pouvoir, mais sa gorge brutalisée ne cesse de se contracter, refusant le prochain assaut, pour mieux souffrir du suivant.
Chaque mouvement lui soulève le cœur, et tous la forcent à ravaler l’amertume de sa déchéance avec l’immonde poussée.

Quand enfin cela s’arrête, elle sait que le pire est à venir. Parce que dressée devant ses yeux, la preuve de son humiliation s’étire fièrement vers le haut. Lorsque les doigts caressent son visage, elle le détourne avec vigueur. Pas pour les fuir mais pour vomir. Pour vider son estomac, parce que les muscles douloureux de sa gorge ne réclamaient que ça depuis ce qui lui semblait être des heures, et qu’elle ne veut pas souiller sa robe plus qu’elle ne l’est.

Mais il ne lui sera laissé aucun répit, que déjà ses jupes sont levées, ses hanches tirées, et ses épaules, écartelées. Courbée, pliée en deux de la plus ignoble des manières, elle sait très bien ce qui l’attend, et elle sait que son corps entier en souffrira. Chaque poussée tirera sur ses fragiles poignets, ses bras, soumettra ses épaules à la terreur de la luxation.
Elle sait ce qui l’attend, et pourtant elle ne peut s’y préparer. Le premier assaut lui arrachera un cri, alors que ses chairs souillées de sa présence se révulsent. Chaque coup suivant sera ponctué de même, et entrecoupé de sanglots.
Elle ne supplie pas. Elle ne quémande rien. Elle se contente de subir, luttant avec elle-même pour se décontracter, se hurlant silencieusement qu’elle est catin et qu’elle fait ça tous les soirs pour de l’argent.

Elle avait réussi, dès les premiers mois de son odieuse vie de fille de bains, à soumettre et contrôler elle-même ses chairs, à par la seule force de sa volonté, assouplir son corps pour y accueillir les hommes, quels que soient leurs désirs. C’est ainsi qu’on survit. En ne souffrant plus dans son corps des actes masculins. Les blessures de l’âme sont invisibles.
Pourquoi cette fois ne pouvait-elle pas ?

L’immonde acte terminé, elle s’effondre, incapable de se tenir sur ses jambes, écartelée, ses épaules à la limite de la brisure. Elle tombe mollement au sol lorsqu’il défait ses liens, incapable d’obéir et de se porter elle-même. Souillée. Plus que jamais.

Souillée, et c’est ce qui fera sa force. Est-ce la folie ou le calcul qui la pousse à se relever, à trouver l’énergie de cracher aux pieds du gardien, et à marcher d’un pas alerte vers le coche ?


Je n’ai pas d’enfant, imbécile !

Elle payera aussi pour cette parole, elle en pleure déjà, mais elle est remontée dans le coche, roulée en boule dans un recoin du siège, pitoyable et sale, les cheveux emmêlés, souillée et avilie, vaincue.
Il a parlé de renter. Elle sait qu’elle va vivre, et dans sa tête se bousculent déjà les idées, le raisonnement l’aidant à maintenir à distance la terreur. C’est après. De retour au bordel, quand elle aura appris quel sort l’attend. C’est après son passage dans le bureau de la Rouge et ce qui en découla qu’elle saura la peur qu’il lui inspire.
Pour l’instant, elle reste roulée en boule, et elle espère rester plus souillée que jamais. Les humeurs mâles entrainent de minuscules perles de sang, preuve de sa déchéance, qui sècheront ensemble sur le jupon immaculé sous sa robe. C’est sale et détestable, son corps entier souffre et les larmes ne peuvent cesser de couler, la secouant de sanglots, mais roulée en boule dans son coin, elle sait qu’elle n’a pas encore tout perdu.

__________
--Geoffroi




Comment sait-on que l'on a marqué un point, dans la lutte qui nous oppose à celui, ou celle, dont on cherche à posséder le désir quitte à en détruire l'âme? Aux mots que l'autre érige en dérisoire rempart face à la violence dont il a été victime. Et Geoffroi a compris qu'il a marqué un point supplémentaire devant Désirée lorsqu'elle hurle sa dénégation qu'elle voudrait insultante et percutante.

Mais le coup se perd dans la nature. Le gardien sait, maintenant. Et plus rien n'arrêtera sa jubilation intérieure et l'extraordinaire sentiment de puissance qui l'habite. Certainement pas le regard d'abord étonné, puis instinctivement indifférent, du cocher, revenu entre-temps et dont les yeux se sont suffisamment attardés sur la catin pour comprendre qu'il ne fallait pas provoquer l'homme qui l'accompagnait.

Et certainement pas la position foetale de la jeune femme, recroquevillée sur elle-même et la tête contre ses genoux. Dans cette attitude qui réveillerait bien des vocations chevaleresques, Geoffroi ne voit que la soumission de Désirée envers lui, et l'expression de sa propre désormais suprématie sur la catin. Les choses sont enfin rentrées dans l'ordre, et il a les moyens de les y laisser maintenant.

Il attend que la voiture s'ébranle, pour la dernière ligne droite avant la Rose. C'est seulement à cet instant qu'il efface le sourire à la limite du sardonique sur ses lèvres et se penche vers la petite tête blonde dont il empoigne une touffe afin de forcer la jeune femme à lever ses yeux vers lui. La voix n'est pas caverneuse, même pas rauque, lorsqu'il s'adresse à elle. Simplement naturelle, sans appel, car dorénavant, tout allait de soi entre elle et lui…


Ne t'avise plus jamais de me manquer de respect, ma Désirée. Seuls ou en public. Plus jamais. Je ne suis pas un imbécile, et si tu me parles à nouveau comme ça, je te promets que tu le paieras encore...

Il relâche la tête qui retombe immédiatement sur les genoux. Le pouvoir qu'il n'a pas dans les titres ni la fortune, ce pouvoir durement acquis face à la résistance acharnée de la catin, Geoffroi ne compte pas l'abandonner si facilement. Et pour que la jeune femme l'imprègne bien dans son esprit comme dans son corps, il lui saisit durement le bras et l'attire brutalement sur sa banquette, l'enlaçant, comme un amant sa dulcinée.

Reste près de moi le reste du voyage, ma chérie. Ca se passera mieux pour toi.

Il l'enlace, d'un bras ferme. La douceur dans le ton n'est pas feinte. Elle dénote simplement la folie naissante et implacable d'un homme qui ne voit plus les limites et que plus rien ne retient. S'ensuit un court silence au cours duquel Geoffroi pose presque amoureusement sa main sur le ventre de Désirée et la caresse, petits mouvements circulaires et tendres…

Il relève de nouveau de force le visage de la catin, et l'embrasse, emprisonnant ses lèvres entre les siennes, entre ses dents. Au même instant, il lui assène un terrible coup de poing dans l'estomac, comme pour marquer son territoire. Cette fois le regard est de nouveau haineux, et la voix tout autant.


Et ne t'avises plus jamais de me mentir…

Estimant que le message était bien passé, il se tait et ferme les yeux, jouissant en silence de l'étreinte imposée à Désirée.





--Desiree



Il ne lui reste plus que la raison, pour ne pas sombrer. Il ne lui reste plus que son esprit, confiné, qu’il n’a pas su briser. Il ne lui reste plus rien d’autre qu’un corps souillé et des synapses connectées. Elle se terre dans son coin de coche, mais elle sait qu’il reviendra à la charge. Elle est surprise. Surprise parce qu’il l’enlace. Il est fou. C’est bien pire que s’il avait été simplement fort et violent. Il est fou, donc il n’est pas contrôlable.

Que dira-t-elle à la Rouge ?

Elle n’a pas le temps d’y réfléchir. La voix doucereuse l’envahit, les lèvres écrasent sa bouche meurtrie, mordue, et un poing s’abat sur son ventre. Elle crie. Et de nouveau, son estomac se révulse. Elle vomit, et elle prend grand soin de viser les chausses de son tortionnaire. Celui-ci finira le voyage avec les pieds humides d’une bile verdâtre et nauséabonde.
Il la veut contre elle ? Il souffrira son haleine nauséabonde.

Est-elle folle elle aussi, de le provoquer ? As-t-elle définitivement perdu tout sens commun ?
Elle ne bouge pas, du reste, pliée à sa volonté. Elle reste contre lui, nauséeuse, vaincue. D’apparence. Elle attend, de plus en plus impatiente, de plus en plus angoissée, la rencontre avec sa Dame. Elle joue à se faire peur. Elle envisage le pire des scénarios. Elle se prépare au pire. Pour pouvoir l’affronter. Il faut toujours prévoir le pire. La preuve. Elle n’avait pas prévu le pire du gardien de la Noire, et elle le payait.
Elle ne bougeait pas. Chaque cahot était une souffrance. Elle n’attendait plus qu’une chose. La Rose.

Et la Rose se profila. Ce fut d’abord Paris, et l’odeur sale de la ville. Puis les bruits, différents selon les quartiers. Le calme, à l’approche du bordel. L’angoisse, qui l’étreint. Elle voudrait encore vomir, mais elle se retient. La poigne terrible l’entraine hors du coche, et l’homme ne se fait pas prier pour repartir sitôt leurs malles déposées à leurs pieds, devant la porte de la cour. Où le gardien sonne.
Elle patiente, passive, concentrant ses dernières forces, priant ses muscles brisés de se soumettre une dernière fois.

Quand la porte s’ouvre, elle bondit. Elle ne sait pas qui a ouvert, mais elle sait quel spectacle pitoyable elle offre. Elle se précipite dans la cuisine avant que son geôlier n’ait le temps de réagir.


Mère !

Elle ne la voit pas, marque un bref arrêt avant de repartir.

Mère !

Elle a perdu toute notion du temps, elle sait juste qu’il fait jour et que le bordel est fermé. Et si Rouge était sortie ? Dans le salon, elle regarde autour d’elle sans rien voir, éperdue.

Mère !
__________
--Leah


[Salon de la Rose Noire]

Nonchalamment installée dans l'un des confortables fauteuils de la Rose, Leah tourne et retourne son stylet sous ses yeux, passant un doigt sur la lame effilée. Chaque jour, elle observe méthodiquement cette routine, s'assurant de l'état de santé de ses armes, qui constituent un rempart efficace contre les agressions que pouvaient subir les filles. Satisfaite, elle replace la lame dans sa manche, lorsque la cloche de la porte résonne à ses oreilles. Quittant à regret la douceur du fauteuil, elle rejoint à pas de loups la porte, qu'elle entrouvre - simple précaution.

La furie qui bondit à travers l'embrasure l'ignore complètement, hurlant le nom de la Rouge, brisant de sa simple voix le calme du bordel. De la manche de Leah, la lame a fusé, bien avant que le cri n'ait été émis. Mais ses yeux de Louve ont eu le temps de reconnaître Desiree, et la pâleur de ses cheveux blonds. D'un geste sec, elle replace la lame dans sa manche, et pose un regard narquois sur Geoffroi, laissé sur le seuil.


―You stink, lâche-t-elle avec dégoût. Son museau froncé et son odorat délicat ont aisément repéré l'odeur écoeurante qui se dégage de lui. La Louve préfère tourner les talons, rejoignant le salon où une enfant éplorée attend sa mère.

Ignorante du lieu où elle se trouve, la Louve hausse ses épaules décharnées à l'intention de la catin. Mais ses yeux se froncent lorsqu'elle note le visage ravagé de la blonde. Elle toujours si fière. Toujours si hautaine. Toujours si froide. Serait-ce de l'angoisse qu'elle perçoit dans sa voix, dans son regard?




[Traduction s'il vous plait ! Puis suppression du message.
Merci.
Modo Mata]
--La_dame_rouge
Affairée aux compte, Rouge ne tilte pas au premier cri de Désirée. C'est le dernier, le poignant, le délateur, c'est ce dernier cri qui la sors de ses chiffres. Tiens... Désirée? Un sourire se dessine déjà lorsque ses fesses se lèvent, lorsque son jupon se gonfle et lorsqu'elle traverse sa piécette pour rejoindre le salon. Le sourire grandit lorsqu'elle passe la porte, lorsqu'elle appreçoit la silhouette de la jeune puterelle. Ha ! Désirée. Chère enfant, petite missionnaire partie prêcher la bonne réputation de sa maison! Désirée! Petite catin prodigue, prolixe, qui a manqué tant de jours au bordel. Désirée! Revenue parmi les siens pour leur conter ses aventures et la grande vie d'une catin de la Noire.

Désirée!

Le sourire se fige, et la Rouge aussi. Toute droite dans son corset, elle se rigidifie d'effroi quand les détails d'un visage autrefois irréprochable lui sautent aux yeux. Et Geoffroi, qui est non loin, qui arrive, sur ses pas. La lèvre inférieure de la Dame est mordue, pétrie d'effroi elle accoure, agrippe l'épaule frêle d'une et les mèches paille avec, accroche le menton écorché de l'autre sans douceur aucune.

Désirée! Qu'est-ce que c'est que ...


Les yeux sont tombés sur l'ensemble, sur le reste, sur les stigmates , les bras les mains la vesture...


..ça?!


Les yeux ronds comme des vitraux se posent sur Geoffroi et le transpercent avec colère. Une main se lève, une claque retentit. Cuisante, irrépressible, indispensable. Avant tout, avant les confidences et les aveux, avant les explications c'est le chaperon qui prend. Il est fautif, il devait la protéger, et quoi qu'il soit arrivé il a tort. Il a échoué dans son rôle de gardien, lui qui gardait la poule aux oeufs d'or...

Reprenant entre ses doigts bagués le menton de Désirée, elle le foudroie des yeux, désignant en le secouant légèrement dans la direction du jeune homme le visage de la gamine. Il est à elle ce visage, et oubliant la douleur qui peut en émaner, elle le montre comme on pointe le doigt sur un indésirable.

Tu m'expliques.
--Desiree



Elle serre les dents. Elle lutte, pour ne pas gémir de douleur. Ses yeux pourtant s’emplissent de larmes, et elle bat des cils pour les retenir, souffrant en silence les manipulations de la Rouge. Elle est revenue à la Rose. Elle doit rester Désirée. La princesse de la reine du bordel. Froide, hautaine, et distante. Même de son propre corps. Même de sa propre vie.

Mais Geoffroi s’approche, il est trop près, même si la Rouge le châtie déjà. Inconsciemment, elle recule. Sans dégager son visage fermement maintenu, elle s’esquive, elle essaie de se cacher, mettant le corps de la Dame entre elle et son tortionnaire.
Elle déglutit un fois, deux. Elle se force à respirer calmement et à durcir son regard. A y faire luire tout le mépris dont elle est capable, et toute l’arrogance qu’il lui reste.

C’est sa voix qui la trahira, finalement. Sa voix qui s’étrangle d’angoisse dans sa gorge serrée, douloureuse, quand le murmure fuse :


C’est lui !

Elle sait qu’il faudrait qu’elle parle plus, qu’elle raconte, mais toute sa terreur vient de refaire surface. Et elle a parlé sans permission de sa Dame. La peur que cette dernière puisse la battre la fit taire. La lippe tremblante, elle tente de retenir ses larmes, et jette un regard éperdu à la Rouge, comme attendant la permission de fuir plus loin de Geoffroi.
__________
--Geoffroi



La gifle, il ne l'attendait pas. Il savait la Rouge tenir à Désirée comme à la prunelle de ses yeux. Il se souvenait parfaitement des mots qu'elle lui avait dit pour bien lui signifier qu'il était responsable de la catin. Mais la gifle le surprend alors même que le sentiment de victoire et de possession est encore puissamment présent en lui.

Il recule d'un pas, et un rictus vient méchamment déformer ses traits. Il ne se touche pas la joue, il bouillonne de tout son sang. Il le sent dans son corps, et le ressent dans ses yeux. Alors il détourne la tête et fixe un instant le sol pour se redonner contenance. Parce que la Rouge est trop forte pour lui en cet instant, parce qu'il ne faut pas qu'il perde tout, si près du but.

Il fixe maintenant Désirée, qui vient de briser le silence aussi fugace que pesant, en le désignant comme le coupable. L'envie de l'étrangler le prend, il se voit serrer sa fine gorge de ses doigts implacables. Il la voit écarquiller les yeux, cherchant de l'air par tous ses pores. Il l'observe rendre l'âme dans un gargouillement dérisoirement inaudible. Et ça le soulage. Ça le calme…

Désirée transpire la peur. De lui, mais pas seulement. Et c'est sa seule porte de sortie, la peur de la catin… Alors il retrouve la lucidité qu'il a failli perdre, et se retourne vers la Dame, arborant un visage contrit.


Oui c'est moi, ma Dame.

Jouer sur la responsabilité assumée. Jouer sur la repentance. Jouer sur le besoin qu'a la Rouge d'avoir confiance en lui.

C'est moi qui l'ai mise dans cet état, en l'empêchant de fuir…

Il regarde la blonde maintenant, les yeux insidieusement protecteurs, presque paternels. Et continue son récit, d'une voix calme et posée, pour mieux marquer la Maquerelle.

J'ai découvert pendant le trajet qu'elle était enceinte...

Il laisse passer un silence suffisamment long pour que Désirée comprenne qu'au jeu du mensonge, elle n'était pas la seule à en maîtriser les règles, mais pas assez pour qu'on lui coupe la parole. Son regard reste lourdement planté dans celui de la catin.

Je lui ai dit qu'elle devait tout vous raconter. Sinon je le ferai moi. Le coche était arrêté pour la pause, elle a cherché à fuir. Je l'ai poursuivi, et rattrapé brutalement dans la course. Elle est tombée. J'ai lutté un moment avec elle avant qu'elle cesse de se débattre, et je l'ai remise dans la voiture pour qu'on arrive à la Maison sans plus tarder.

Il se tourne maintenant vers la Rouge, se frottant toujours la joue, la regardant comme un enfant qui avoue une faute parce qu'il le faut, mais qui a commis cette faute pour plaire à l'adulte.

C'est ma faute, je l'ai mise dans cet état. Mais je ne voulais pas que vous perdiez votre catin prodigue. J'ai cru bien faire. Je vous présente mes excuses...

Il baisse les yeux, servile. Pas difficile, pour celui qui l'a toujours été. Il baisse les yeux donc, attendant le verdict de la Dame, ses pensées déjà tournée vers sa prochaine vengeance. Car tu ne l'emporteras pas au paradis, ma Désirée...




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