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[RP] Hostel de Clisson ou l'Antre parisien du Phénix

Ingeburge
Et toujours cette tendresse, cette douceur, cette prévenance, ce respect, qui habillaient le moindre de ses gestes, qui paraient la moindre de ses délicatesses, qui nimbaient le moindre de ses mots alors qu'elle, toujours, l'écartait, le repoussait, le rejetait, se montrant tout juste courtoise, ne mettant les formes – et à peine, encore! – que par habitude, que par automatisme, ne le traitant au final pas mieux que ce tout-venant auquel elle n'accordait qu'une attention polie a minima. Dès son accueil dans la cour, il avait été tout ce que sa raison refusait, tout ce dont sa conscience ne voulait pas et il en avait été ainsi durant leur progression à travers les corridors de l'hôtel alors qu'il gardait sa main dans la sienne et maintenant, ici, dans ce salon dont elle ne voyait rien.

Alors qu'il l'étreignait à nouveau, plus raisonnable mais non moins ardent, elle se reprocha un bref instant de s'être montrée aussi mélodramatique dans son débarquement même si sur le moment elle n'en avait guère eu conscience. En fait, pas du tout même, il n'y avait eu dans son apparition aucun calcul, aucune stratégie, juste la nécessité de combler son besoin de le revoir alors que désormais, sa vie serait autre. Mais elle ne se gourmanda pas longtemps car c'était bon ce doux bercement, cet environnement chaleureux, cette présence rassurante après le froid, le rejet, la privation, la faim, la soif et c'était agréable quand il lui fallait de la chaleur, de l'attachement, la conscience d'être encore quelque chose pour quelqu'un. Et puis, à quoi bon, alors que tout était net maintenant dans son esprit, nier que c'était bon parce que c'était lui, que cela l'avait toujours été malgré la faute, le manquement, que cela l'avait été dès lors qu'elle avait pris conscience que sa répulsion native n'avait plus cours quand il la frôlait, la caressait ou alors l'étreignait avec cette violence, réminiscence du mal de ce qu'ils étaient en train de faire et de s'infliger.

Mais alors qu'elle avait tout refusé, le confort, l'eau, la couverture, il se sépara d'elle et ce fut comme si, un instant, le charme se fut rompu. Elle entrevit alors, nettement, désormais dégagée des brumes de son heur, qu'il n'y avait pas que ses besoins et ce qu'elle voulait qui comptaient, il s'agissait avant tout de ce qu'elle était et devrait être. S'étant assise, très droite et sur le rebord du fauteuil, les mains posées en son giron, elle prit la parole dans cet étrange silence :

— J'ai bien conscience que l'on ne tombe pas ainsi chez quelqu'un et croyez bien que j'apprécie que vous acceptiez de me recevoir sans que j'aie été annoncée ou sans que je n'aie fait savoir ma venue.
L'on eût pu croire en entendant son entrée en matière qu'Ingeburge se livrait là à la représentation de la duchesse d'Auxerre en société mais cette courtoisie qu'elle lui refusait par ailleurs, c'était elle, elle ne savait pas agir autrement, sauf dans des moments de grande colère assez rares d'ailleurs... sauf avec lui. Et la suite du discours démontra que c'était la femme qu'elle était qui parlait, et non cette duchesse de mascarade, de parade :
— Je n'abuserai pas de votre temps mais je tiens à vous faire savoir certaines choses et je vais donc, dans ce but, me permettre de vous conter une histoire... La mienne.
Un instant, son regard pâle quitta le visage franc du vicomte du Tournel pour ses propres mains dont le dépouillement la gênait, elle ne pouvait, comme à chaque fois qu'elle était troublée, jouer avec ses bagues. Et mal à l'aise, elle l'était, elle était sur le point de lui livrer ce que peu – si ce n'est personne et encore, par bribes – savaient.
— Ne me coupez pas, je vous prie, car il m'est difficile de m'exprimer à ce sujet et je ne suis pas sûre de l'avoir déjà fait, si ce n'est à mon confesseur.
L'idée qu'Actarius pût se sentir comparé à un prêtre lui arracha un petit sourire et relevant les yeux, elle s'empressa de démentir la comparaison qui aurait pu être logiquement conclue :
— Non pas que je vous prenne comme tel, ce n'est pas le propos. Mais je vous dois certaines explications et il ne m'est pas pénible de m'en ouvrir à vous car c'est vous, justement.
Ses dents vinrent mordiller sa lèvre inférieure, peu satisfaite de ce qui lui apparaissait comme une maladresse.


Un soupir vint clore ce déplorable exorde et elle se lança, enfin :

— Je suis née il y a vingt-cinq années à Copenhague, capitale du Royaume du Danemark, de parents de la noblesse locale, dernière d'une fratrie de cinq enfants et ayant un écart d'âge assez conséquent avec mes frères et sœurs, la plus proche ayant neuf ans de plus que moi. J'ai passé les premières années de ma vie à la campagne, sur l'île de Fyn, dans un environnement clos et privilégié. Ma naissance, espérée ou non, je ne l'ai jamais su, a ouvert de fructueuses espérances pour mes parents en ce qu'un seul de mes frères avait survécu, qu'une de mes sœurs avait déjà choisi de prendre le voile et que la seconde semblait emprunter le même chemin. En ce qui concerne celles-ci, il n'était pas question pour mes parents d'aller contre ce qui était à leurs yeux signe d'une distinction divine; j'étais donc, de fait, celle par qu'ils pouvaient réaliser d'intéressantes perspectives. C'est ainsi que j'ai été élevée au Danemark et que j'ai été éduquée plus tard, dans le but d'être mariée à un parti permettant de hausser davantage notre famille et je n'ai pas souvenance d'en avoir conçu de l'opposition. Je n'imagine d'ailleurs pas agir autrement avec ma propre fille même si cette élévation sociale désirée par mes parents s'est bel et bien réalisée.

Les sourcils d'Ingeburge se froncèrent, le souvenir de Mette n'était jamais agréable et elle n'évoquait jamais son enfant sans en concevoir de regrets. Cela viendrait plus tard dans le récit, pour qu'il comprenne, et elle enchaîna, le visage un peu plus fermé :
— Tout fut mis en œuvre, matériellement et moralement, pour que je sois protégée et choyée, cette résolution m'écartant davantage de frères et sœurs qui m'étaient déjà éloignés par l'âge, cette résolution m'isolant tout à fait, cette résolution me coupant des autres. Il ne fallait surtout pas que quoi que soit m'arrivât, il ne fallait pas que l'on me fît du mal, j'étais traitée en fragile idole et j'étais plus souvent entourée d'adultes aux ordres que d'enfants moi qui pourtant, ayant eu une nourrice, avais quelques frères de lait de mon âge. Las, comme vous le savez déjà, ce n'est pas en Danemark que ce pour quoi j'ai été éduquée s'est accompli. Le Danemark, la Scandinavie en fait, réunie dans l'Union de Kalmar, connaissait des troubles assez importants, du fait notamment de la puissance et de l'influence grandissantes de la Ligue Hanséatique et la question de quitter Copenhague pour la plus grande part de famille se posait avec plus d'acuité chaque jour, au point que ce fut l'idée même de partir du Danemark qui fut un jour conçue. Mon frère était déjà établi et marié, ma première sœur cloîtrée, et mes parents refusaient de s'en aller. Il fut décidé que ma seconde sœur et moi partirions en exil. Nous fûmes toutes deux séparées et ce fut étonnamment en Empire que je fus envoyée, malgré les menées de la Hanse. Ma mère avait des relations avec une religieuse de ses amies qui s'était établie en Provence et elle espérait qu'à l'écart de tout, protégée par les murs d'un couvent placé aux confins d'un potentiel agresseur, je pourrais grandir loin du conflit latent et ainsi revenir, un jour, en jeune fille accomplie et prête à marier. Je ne suis pas rentrée mais je me suis mariée, indubitablement.

Et elle rit, spontanément, tant cette docilité lui apparaissait tout à coup cocasse, secouant légèrement la tête. Se reprenant, elle continua d'évoquer ses souvenirs :
— Le temps s'est écoulé, long et paisible, et même si je n'ai jamais été que l'étrangère, préfiguration de ce que je serais toujours au final, je n'ai pas été malheureuse. Mes compagnes étaient agréables même si je ne me liai à aucune en particulier, et j'incline à penser que si j'avais été comme elles, je n'en aurais pas moins été solitaire. Je passais ainsi de longues heures dans la bibliothèque à lire tout ce qui m'était accessible et à chaparder ce qu'il ne fallait surtout pas que nous voyions, apprenant aussi bien dans les textes sacrés que dans les textes profanes, puisant tant dans le Livre des Vertus que dans des billevesées païennes. Bien sûr, l'île de Fyn me manquait même si j'étais à la campagne, j'eus d'ailleurs vraiment du mal à m'habituer au bruit, aux odeurs... Vous savez, ces cigales qui ne cessent jamais de vibrionner, c'était... déconcertant, incompréhensible; tout l'était. Je recevais, assez irrégulièrement, mais avec constance tout de même, des lettres de ma mère, conservant ainsi un lien avec le Danemark et la langue que je ne pratiquais plus. Je ne la parle plus d'ailleurs, pouvant la comprendre, mais je ne me sens pas à l'aise et à mon neveu, fils de mon frère aîné, qui lui a passé toute sa jeunesse entre le Norvège et le Danemark et donc la manie fort bien, je réponds différemment. Ces missives, oh, je les attendais ardemment, sachant par avance que je ne serais jamais déçue et poussant la torture à ne pas les décacheter sitôt arrivées afin de pouvoir en profiter bien à fond. Je les ai toutes conservées et elles ne me quittent jamais, même quand je voyage, car c'est là tout ce qu'il me reste du Danemark et de ma mère.

Ainsi, le coffret, actuellement, trônait dans sa chambre, à l'Hôtel de Bourgogne. Mais il fallait délaisser la période de l'innocence et passer à ce qui lui serait dur. Sa voix d'ailleurs devint blanche, perdit de ses inflexions attendries; elle reprit :
— Je me suis mariée. C'était peu de temps après mon entrée dans le monde. Il avait été décidé que l'abbaye de La Celle quittée, je resterais dans un premier temps en Provence, il n'était pas question de rentrer. Je suis donc restée, puisqu'il le fallait, n'ayant de toute façon rien qui ne m'attendait nulle part ailleurs et je restai dans le voisinage du seul lieu que je connaissais vraiment, ce couvent qui avait abrité mon enfance et mon adolescence, m'installant ainsi à Brignoles. Il me fallut m'adapter, ne connaissant rien ni personne et ce fut au bout de quelques mois que je m'ouvris réellement à ce nouveau lieu et aux gens y gravitant, m'investissant pour la ville et m'intéressant aux affaires du comté. La période, ce que je fis exactement, me sont étrangement flous, peut-être parce qu'ils sont le point de départ de quelque chose qui va totalement m'échapper. Désormais impliquée dans la vie du comté, je me plaçai sous la protection du vicomte de Cassis qui m'avait ouvert les portes de son parti et rencontrai un homme dont on disait qu'il était l'avenir. Le fait m'intéressa grandement, ayant dans l'idée qu'une femme honorable ne peut demeurer sans époux et ayant au final été élevée dans ce but. Je savais ce qui était attendu de moi et j'étais la seule à pouvoir y parvenir, personne ne m'aiderait, j'étais loin de ma famille. Et le fait m'intéressa d'autant plus que cet homme n'était pas inatteignable même s'il m'était plus vieux de dix-sept années car il était lui-même reparti de rien, ayant quitté le Piémont quelque temps plus tôt. C'était donc un étranger, comme moi, issu de noblesse, comme moi, déjà fieffé en Provence mais pas au point de dédaigner une jeune fille de noble extraction bien qu'assez démunie. Et puis, il y avait cette perspective, qu'un jour, il serait plus, on lui promettait ainsi des responsabilités au niveau impérial et son ascension en Provence était écrite. Le hasard fit qu'il était lui aussi dans le parti du vicomte de Cassis et nous ne tardâmes pas à nous opposer sur certaines questions lors de discussions internes. Je ne sais ce qu'il vit en moi, s'il se livra aux mêmes calculs, s'il estima que j'étais un bon investissement mais le fait est que nous nous fiançâmes, rapidement. L'aimais-je? Non, je ne le crois pas, mais je le respectais et même l'admirais, il était hâbleur, volubile, ouvert, aimable, tout ce que je n'étais pas et il m'offrait une sécurité qui me faisait cruellement défaut, un avenir radieux et en sus, toute une famille de Piémontais tout aussi...

Elle eut un geste vague, comme pour dire qu'ils étaient tous fada, ces Martius et elle dit encore :
— ... moi qui étais seule. Le vicomte de Cassis, devenu comte de Provence, me dota et fit de moi sa vassale et ainsi pourvue, j'épousai le baron d'Apt. Ce fut non sans mal car prise de doutes, je ne me présentai pas à la cathédrale d'Aix où j'aurais dû me marier sous les yeux de tout ce que la Provence comptait de notables. La noce eut lieu à Brignoles, dans ce chez moi que je m'étais créé et l'union fut bénie par une personne qui compterait, plus tard, mais que je ne connaissais nullement, MrGroar von Valendras. Nous nous étions donc mariés et plus que jamais investis en politique, conseillers comtaux du vicomte de Cassis qui, comte de Provence, éleva la baronnie de mon époux en vicomté et m'octroya une baronnie. Si je me mariai avec Vittorio sans n'éprouver pour lui guère plus que du respect, de l'admiration et certainement de l'amitié, je commençai, dès les premiers temps de notre union union, à subir son charme à finalement en tomber amoureuse, flattée certainement par le fait que c'est moi qu'il avait distinguée parmi d'autres, comme je l'apprenais alors. Je m'étais tellement attachée à parvenir à mes fins que j'avais occulté le fait que je ne le connaissais pas, que je ne savais rien de son passé, ne serait-ce qu'en Provence et j'avais vite fait de découvrir que sa séduction était toute une partie de lui, qu'elle lui était irrémédiablement liée et que si c'était moi qu'il avait épousée, il se montrait charmeur avec tout ce qui portait jupon. Mais mon cœur était touché et ce n'était qu'après tout qu'une attitude de sa part, je n'avais nulle raison de redouter quoi que ce soit. C'est à la même époque que la déclaration d'indépendance fut proclamée. Je ne reviendrai pas sur le pourquoi, il est de toute façon de notoriété publique que cette indépendance, je l'ai votée et il est facile de dire désormais que si, et puis si... Nous fûmes alors emportés dans un extraordinaire tourbillon et c'est là que je découvris qu'il n'y avait pas que la Provence et que mes yeux s'ouvrirent au reste du monde. C'était... passionnant, transcendant et c'est à ce moment-là que me fut donné le goût d'écrire et de faire des annonces, je fus d'ailleurs chargé de la propagande des félons. Ces écrits expliquent, pour partie, l'hostilité toujours persistante de certaines personnes en Empire.

Ses épaules se haussèrent gracieusement, comme pour signifier qu'elle n'avait cure de ce que pensaient ces mauvais coucheurs et elle poursuivit :
— Je ne mettrai pas sur le dos de l'indépendance l'échec de mon mariage mais toute cette euphorie, tous ces projets à mener à bien, tout ce comté pour lequel il fallait construire du neuf n'aidèrent pas une union faussée dès le départ. Faussée car c'est le calcul qui m'avait fait accepter cette homme, faussée car les séductions de celui-ci ne s'arrêtaient pas aux mots. Vittorio était en lice pour devenir le nouveau comte de Provence, de Provence libre comme il était de mode de le présenter, et nous menâmes en ce sens une campagne offensive, efficace, au point que nos rapports ne se bornaient plus qu'à cette élection qu'il fallait à toute force remporter. Nous gagnâmes, largement, et la reconnaissance ne fut qu'une formalité. C'est ainsi que je devins la comtesse cornue de Provence car mon cher et tendre époux n'avait rien trouvé de mieux que d'aller voir ailleurs durant la dernière soirée électorale. J'eus tous les torts, je l'avais abandonné, délaissé, m'étais détournée et si dans un premier temps, je me défendis comme une diablesse, je lâchai prise, ahurie, hébétée, désormais tout en haut... mais à quel prix? Je ne sais qui souffrit le plus entre mon cœur blessé et mon honneur outragé car il y avait bien au milieu de tout ce désastre une cuisante brûlure d'orgueil. C'est au lendemain de cette infidélité que je fis le deuil d'un mariage heureux et que je décidai de me vêtir de noir. Je n'ai pas varié depuis et n'ai nulle raison de me comporter autrement. Pour autant, je ne le quittai pas; mes sentiments pouvaient avoir été méconnus, ma réputation écornée, je pouvais être la risée de tous, je pouvais bien être blessée, l'on ne défait pas un engagement pris devant le Très-Haut. Je restai donc, allant même à corriger ce qu'il m'avait reproché, à savoir mon peu d'attachement, mon manque de tendresse et tâchant de... me montrer plus... empressée... pour...

Là, elle s'interrompit tout à fait et baissa à nouveau les yeux, triturant ses doigts à défaut pouvoir de triturer ses bagues et elle murmura, une légère rougeur lui colorant les joues :
— Je lui avais fermé ma porte dès la première nuit de notre mariage et il y eut d'autres nuits où je lui refusai l'accès de ma chambre. Il était donc facile pour moi de conclure qu'il était allé chercher ailleurs ce que je ne lui donnais qu'avec trop de... parcimonie. Et je le crus, durant quelque temps, me reprochant cette répugnance que je n'avais que trop mollement cherché à combattre, cette répugnance qui concernait bien d'autres chapitres puisque le monde effleurement, la moindre proximité me sont insupportables et qu'il en a toujours été ainsi. Nul ne pouvait me toucher, nul ne pouvait s'approcher, et j'incline à penser que cela est dû à ce statut de clé pour l'avenir que j'avais, de toute cette protection dont j'avais sans cesse été entourée. Tout était de ma faute, je ne lui avais pas donné ce qui est pourtant commandement divin et moi qui montrais une dévotion de tous les instants, j'étais sur ce chapitre une bien mauvaise aristotélicienne. J'ai su, très vite, que c'était faux, que ce n'était pas sa première infidélité et qu'avant notre mariage, il était tenu pour un véritable coureur; il avait déjà donc, et plus que son content, ce qu'il lui fallait.

Les derniers mots furent crachés avec mépris alors qu'elle relevait fièrement le menton et trouvait ainsi le courage de continuer :
— Je restai, il continua à contribuer à mon statut de femme trompée. Je supportais tout, docile, et ne variais pas dans ma résolution, malgré le fait que cette femme que j'avais cru la première était devenue sa maîtresse, malgré les récits de ses conquêtes que l'on me faisait, malgré l'enfant qu'il fit à celle vers qui il s'était tourné alors que moi, la légitime, j'étais incapable de lui donner un héritier. Il avait du reste deux grands garçons issus d'un premier mariage mais son épouse précédente n'était pas de notre monde, j'étais donc celle chargée de lui offrir ce mâle qui propagerait nom et titres. Sa maîtresse lui donna un garçon, je finis par accoucher d'une fille, plus tard; faisant à nouveau ce qu'il ne fallait pas. Ces mois furent difficiles, très difficiles, et je lançai à fond dans mes diverses charges, le déchargeant efficacement de ses soucis de régnant là où dans le privé, je n'étais qu'une incapable. Les projets pour un marquisat se montaient, j'étais sceptique mais convaincue de la nécessité de créer quelque chose, il y était tout à fait opposé. Il quitta le trône, se repentit solennellement auprès de Kreuz von Valendras, nouvel Archevêque d'Arles, et fit pénitence, m'offrit de grandioses et somptueuses festivités sur son nouveau domaine comtal en guise d'excuses et je le crus et lui pardonnai. Je devins à mon tour comtesse de Provence nous permettant de profiter enfin, à deux, de notre pouvoir et de notre puissance, comme nous aurions dû pouvoir en jouir quelques mois plus tôt. Nous avions des divergences politiques et j'essayais de ne pas m'en formaliser car ce n'était pas nouveau, devenant sur ce chapitre plus indépendante qu'avant. Ce qui, étonnamment, nous rapprocha, ce fut la Très Sainte Eglise, lui le pécheur et moi la simple fidèle. J'avais été ouverte à la religion par mes sœurs, très pieuses, et j'avais d'ailleurs eu l'occasion de retrouver l'une d'elles, la plus jeune, devenue abbesse de Toulon, puis Archevêque d'Aix. Mais je n'étais rien de plus qu'une spectatrice. Je devins pourtant diaconesse, puis archidiaconesse, rejoignant là mes sœurs. Pour autant, je connus une fin de mandat difficile, Vittorio perdant tout à fait la raison. Je ne croyais plus en ses propos, remettais en cause la moindre de ses paroles, sentait mes sentiments venus tardivement s'amoindrirent plus vite qu'ils ne s'étaient renforcés et ma sœur de son côté tâchait de le chapitrer et de lui faire cesser ses tromperies et incartades. Kreuz était devenu mon confesseur et était, même sans cela, le témoin du désastre de notre mariage et des lubies de mon époux. Celui-ci m'accusa de projeter de me débarrasser de lui car il sentait bien que mon amour se mutait en une sorte de tendresse forgée par l'habitude et de convoler avec celui que l'on présentait comme le futur marquis, mon suzerain ayant renoncé au trône. Il professa d'autres insanités, insultant Kreuz, tenant des propos hérétiques et finalement, pour ce comportement outrancier et anti-aristotélicien, fut excommunié. Malgré cela, depuis, je porte toujours mon alliance, certainement pour ne pas oublier. Mon mandat s'acheva, je me retirai dans ma seigneurie sise non loin de Brignoles, tandis que mon mari, me poursuivant de ses déclarations d'amour, de fidélité, de pardon, finit par partir en pèlerinage. Je ne le revis pas et quelque temps plus tard, appris que son corps avait été retrouvé dans un ravin. Le coup m'assomma à m'en bouleverser physiquement et j'accouchai de son enfant dont l'arrivée était de toute façon imminente.

Son regard se porta au loin, alors qu'elle se revoyait à Sainte-Anastasie avec ce nourrisson qui la réclamait toute alors qu'elle aurait voulu pouvoir pleurer son père. D'une voix neutre, elle présenta son enfant qui ne l'était que par le sang :
— Vittoria, pour son père, Mette, pour l'une de mes aïeules, naquit orpheline de père et serait sous peu orpheline de mère. Ma sœur, écœurée par la situation provençale et le peu de respect que les nobles lui opposaient, avait décidé de briguer un autre archevêché et de quitter la Provence. La Primatie des Gaules se trouvait alors vacante et elle postula pour devenir le nouvel Archevêque de Lyon. Mais elle était inquiète pour Aix, tout comme Kreuz, et ils en vinrent à me proposer de reprendre la place. Mon étonnement était grand, j'étais peut-être le bras droit de l'Archevêque mais j'étais mariée, mère et à mille lieues d'être une religieuse, toute vertueuse que je pouvais être. Mais j'étais aussi honorée que ces deux grandes figures de l'Eglise de Provence et de l'Empire pensassent à moi et je me laissai convaincre, mettant comme condition que je ne serais ordonnée que si je gagnai le siège. Je le remportai comme ma sœur remporta Lyon et je fus ordonnée et intronisée à Cologne, par le Primat du Saint-Empire, renonçant à nombre de choses et envoyant mon enfançon à Assens, au Danemark, auprès de ma sœur abbesse. Ce fut ainsi que Magnus et Helle von Ahlefeldt-Oldenbourg se trouvèrent avec trois filles ordonnées, voyant leurs prédictions tout à la fois concrétisées puisque j'avais fait d'eux les parents d'une comtesse et déjouées car je quittais à mon tour le monde temporel.

Que voyait-elle maintenant? La Kölner Dom, qui serait le théâtre d'autres succès et d'une plus haute ascension encore. Il lui semblait encore entendre les vivats mais pour autant, ils ne pouvaient couvrir tout à fait les insultes et protestations :
— Tout aurait été facile si je m'étais contentée de rester ce bon Archevêque d'Aix, mais je n'étais pas issue du moule, j'avais vécu et c'est cette expérience que je lançai dans les actions. Très rapidement, trop rapidement aux yeux de bon nombre, je pris de l'importance, devenant coup sur coup Primat du Saint-Empire, moi la félonne au Saint-Empereur Long John Silver, et finissant par être appelée par la Très Sainte Curie que je dérangeais par mes prises de position primatiale et qui avait là le moyen, du moins le croyait-elle, de me faire taire. Ce fut l'affaire de quelques mois tout au plus, mois durant lesquels, parallèlement, je prenais conscience que la Provence ne suivait pas le bon chemin, embrassant ainsi l'opinion de mon époux, qui, le premier, avait essayé de traiter avec l'Empire et qui s'était élevé contre toutes les décisions visant à priver la Provence de sa souveraineté au profit d'une entité sans légitimité. Devenir primat m'avait permis de mieux connaître un empire qui m'était au final étranger, la position excentrée de la Provence, son enclavement conduisant à ce que l'on reçoive d'Aachen ce que l'on voulait bien nous faire savoir. Durant quelques mois, ma position de cardinal me protégea et j'étais bien l'une des seules, en Provence, à tenir des positions opposées au marquisat, attitude qui, pour le tout-venant exposait celui-ci à des poursuites pour haute trahison. Je devenais donc celle à abattre, sans qu'on l'osât pour autant, cette pourpre que je ne portais pas me constituant une barrière efficace. Mais vint le temps où mon statut et ma dignité ecclésiastiques ne me protégèrent plus et comme ma sœur auparavant, maltraitée, je laissai Aix pour Lyon devenue vacante à la suite du décès de mon aînée.

Le regard d'Ingeburge se fit plus dur et elle expliqua, brièvement :
— On l'a assassinée et ces mécréants ne méritent même pas que je les nomme. Ils ne sont rien et ce qu'ils ont osé perpétrer n'ont fait que conforter ma résolution à les combattre eux, et tous ceux de leur engeance. Je le fis, en tant que Primat des Gaules, en tant que cardinal, en tant que Connétable de Rome. Mais Lyon ne fut pas que le symbole de la peine et du combat, ce fut aussi la Bourgogne où je m'installai, durablement, d'abord dans la campagne mâconnaise, puis à Auxerre.

La dureté avait été balayée par l'évocation de son chez elle :
— C'était la première fois, au final, que j'avais le sentiment d'être à ma place, même si je n'étais, encore et toujours, qu'une étrangère. Mais je connus un tel accueil, une telle chaleur, que mon installation se passa fort bien. La suite, peu ou prou, vous la connaissez, en ce qui concerne mon investissement politique en Bourgogne et mes premiers pas au service de la Couronne puisque c'est en cette dernière occasion qu'il nous a été permis de nous rencontrer.

Une sourire tendre étira ses lèvres mais il était aussi empreint de tristesse, elle arrivait au terme de son récit :
— Je ne dirai rien de plus là-dessus, pas plus que je ne parlerai de la campagne provençale où je me lançai puisque j'étais de nouveau vassale du Saint-Empereur et que j'entendais bien honorer le pardon qui m'avait été offert et démontrer que ma fidélité n'était pas seulement pétrie de mots. J'ai dit l'essentiel sur le chapitre bourguignon et politique car ce chapitre n'est pas clos et que je n'ai certainement pas le recul nécessaire pour l'analyser comme j'ai pu examiner le reste. Ce qui compte maintenant, c'est mon engagement clérical. Vous l'aurez fort bien compris, je ne suis pas de ceux qui se contentent de suivre, je m'exprime dès lors que je l'estime nécessaire, je fais connaître ma position dès lors qu'elle m'apparaît porteuse. Il en est allé ainsi en Provence, il en est allé ainsi en Bourgogne, il en va ainsi à la Curia et vous ne serez pas étonné si je vous dis qu'il en est allé ainsi à Rome. J'ai connu divers périodes dans l'exercice de mes ministères. Il y a eu la locale où je ne m'occupais que de ma paroisse, puis de mon diocèse. Il y eut ensuite le niveau primatial où je m'occupais de l'Empire dans sa totalité, qu'il fût italien, néerlandais, allemand ou français. Et pour poursuivre, il y eut la période universelle, en ce que j'étais un cardinal romain et avais donc toute autorité sur l'universalité des fidèles mais, paradoxalement, elle déboucha sur la période romaine, il n'y avait plus que le palais pontifical, la Curie, les dicastères, les congrégations. Et à chaque fois, eh bien, je ruai dans les brancards. Cela en devint gênant, on me le fit comprendre, surtout que j'estimais que nous nous coupions davantage chaque jour de la base. J'en revins donc à mes premières amours, sans pour autant quitter Rome tout à fait et me consacrai à ma province ecclésiastique. Là est la base, là est le fondement de notre sacerdoce et il est condamnable et même coupable d'oublier que nous tenons une part importante de notre légitimité des fidèles.

Et elle disait encore " notre ", comme si elle avait encore été clerc, comme elle disait encore " mon époux " pour un homme qui ne l'avait plus été, avant même de décéder. Il est des habitudes dont on ne peut se dépêtrer, elle ne s'en rendit pas compte, toujours plongée dans son récit :
— Mais je ne trouvai pas de satisfaction, certainement parce que je gardais des responsabilités romaines et j'en vins à démissionner de Lyon. Mon départ me fut refusé, je restai donc, m'occupant toujours de Lyon, tentant sans trop de conviction d'honorer mes obligations de cardinal. Il n'y eut pas plus de succès que de conviction et je me recentrai davantage sur ma province et sur la Bourgogne où j'accomplis un nouveau mandat de duchesse. La rupture, avec Rome, fut consommée, les orientations prises par le Sacré Collège me paraissaient effarantes et inconséquentes et je fus faite émérite. Je ne parus plus à Rome, ou si peu, désintéressée de cette cuisine interne qui s'apparentait davantage à des magouilles et à des compromissions. Ce fut à cet instant précis que je commençai à me poser des questions sur qui j'étais, sur ce que j'avais fait, sur mes fautes, sur les personnes que j'avais blessées et il m'apparut que si c'est dans la Très Sainte Eglise que je trouverais le salut, Rome n'en était pas le centre.

Un frisson la parcourut, alors qu'elle mettait les choses en ordre, les datait et elle lâcha, incrédule :
— Cette introspection a débuté à l'automne mille quatre cent cinquante-huit, l'automne de notre rencontre puisque nous venions tous deux d'être nommés aux Cérémonies de France.

Cette coïncidence, elle l'avait déjà remarquée quand le mal de tout ça, de toute leur relation lui était apparu et elle avait vu en cette mise en présence une épreuve envoyée par le Très-Haut à une de Ses enfants plongée dans le doute. Le percevait-elle toujours ce mal? Elle ne savait plus. Revenue de son étonnement, elle dit :
— Je crois aux signes et je ne puis y voir qu'un présage. J'espère ne pas vous heurter car nous savons qu'à l'époque, jamais vous n'auriez levé les yeux sur moi, du reste, vous n'étiez guère présent au début, retenu par vos affaires en Languedoc. Mais je serai, toujours, frappée par ce fait. Je commence à m'interroger, vous apparaissez; le lien est à mes yeux indubitable même si sur le moment, je n'ai rien vu venir. Et je suis d'autant plus encline à le croire que la suite des événements présente d'autres cas du genre. Mais il est facile de pointer ces éléments avec le recul.

Le recul, mais pas l'apaisement. Elle ne triturait plus ses doigts, car elle aurait fini par se faire mal tant son trouble allait grandissant, elle froissait désormais un bout de la soie grossière dans laquelle avait été coupée sa cottardie de pénitente :
— C'est à ce moment-là que j'ai envisagé de quitter la Très Sainte Eglise, totalement et définitivement. Pour autant, je ne parvenais pas à m'y résoudre, ayant pour mes vœux la même vision que celle que j'ai du mariage. Ils sont perpétuels, irrévocables, rien ni personne ne peut aller à leur encontre car il s'agit d'un engagement envers le Très-Haut. Mais il est des choses qu'un être humain ne peut, tout convaincu soit-il, supporter; il est des choses qu'un être humain ne peut endurer et j'ai dû faire face à une véritable campagne de haine de la part de certains de mes pairs. Jamais cela n'a été frontal, ce n'est pas le genre de la maison, mais je voyais là la confirmation d'une résolution que je ne parvenais pas à convertir en actes. Le summum du grotesque fut atteint quand l'on m'accusa d'avoir épousé Charles de Margny. Je tombais des nues, réellement, moi qui étais, comme eux, liée par le vœu de chaste célibat, comment aurais-je pu me marier? Et me connaissaient-ils si mal pour me prêter un pareil comportement? Je ne sais si je puis être fière de grand chose mais je me flatte de n'avoir répondu à aucune avance de quelque nature que ce fût pas plus que je n'ai jamais encouragé un homme à me courtiser. Je sais que d'aucuns se sont crus autorisés à regarder la femme en moi, ils m'ont été proches, comme le duc d'Amboise ou le comte de Belfort, mais il ne s'est jamais agi pour moi de plus que de l'amitié et jamais mon honneur n'a pu être entaché par ses relations. Je sais aussi que l'on clabaude sur mon compte quant à mes rapports avec le vicomte d'Aubusson mais il s'agit là d'un lien plus fort que la vassalité qui s'est forgé dans la lutte pour un idéal. J'ai ma vertu pour moi et si certains ne veulent pas comprendre, je n'irai pas les édifier.

Sa voix s'était faite farouche alors qu'elle tirait sur sa jupe et qu'elle se justifiait. Et c'était tant pour mettre au point certaines chose que pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas légère, qu'elle n'était pas une coquette enragée. Elle répéta :
— J'ai ma vertu pour moi. Ils le savaient, ils n'en ont pas tenu compte. Ils m'ont accusée, ils ont convoqué mon neveu, est-ce ainsi que ceux que j'avais côtoyés des années durant me voyaient? Est-ce ainsi que je devais être traitée? Et comme je l'ai dit, cette accusation ridicule n'a pas été la seule et il est des choses qu'une innocente ne peut accepter. Alors, j'ai renoncé, j'ai cessé de me battre et je n'ai eu plus aucun goût pour l'exercice de mon ministère. J'ai choisi, pour la troisième fois, de démissionner de mon siège archiépiscopal l'été dernier et, petit à petit, de laisser chacune des charges et dignités restantes. Le Primat de France n'était plus là, j'ai dû attendre le suivant, et pour une démission posée en juillet, je ne me suis vue remplacer que fin novembre. Entre temps, n'y tenant plus puisque l'on se moquait de moi, j'ai finalement résigné de toutes mes fonctions et ai demandé dans le mouvement d'être libérée de mes vœux.

Elle s'était levée, ne pouvant plus contenir son énervement pétri de lassitude et, malgré sa faiblesse, malgré sa fatigue, elle commença à tourner autour de son siège, ahurie, secouant la tête, les mains :
— Je le devais, pour qu'ils ne me contrôlent plus, pour qu'ils me laissent enfin en paix car même absente, ils trouvaient le moyen de me toucher! J'aurais pu rester simple prêtresse et continuer ainsi ma vie, entre mes occupations à la Hérauderie et la gestion de mes domaines. J'aurais pu et je ne serais ainsi pas allée contre mes principes, mes valeurs et surtout, je ne serais pas allée contre le Très-Haut! Mais il le fallait, ils me faisaient vivre l'enfer!

Et en disant cela, elle le regarda franchement, comme s'il était inclus, pour d'autres raisons, dans ce " ils " :
— L'enfer. Alors, j'ai fait l'irréparable, j'ai commis l'impardonnable, je me suis laissée aller à l'irrémissible. J'ai failli, j'ai trahi tous mes serments en demandant la rupture de mes vœux, cette rupture à laquelle je pensais depuis près d'un an. J'ai franchi la frontière et désormais...

Elle se mit alors à carrément arpenter la pièce, esquissant des gestes plus grands à mesure qu'elle exprimait sa colère, sa honte :
— Et croyez-vous qu'ils auraient accepté de me libérer si facilement? Oh non, bien sûr que non! Nulle réponse, nul signe, même pas pour me faire savoir que ma requête avait bel et bien été reçue. Ils m'ont laissée dans l'ignorance la plus totale, me traitant plus que jamais comme une moins que rien. Et j'ai finalement appris que cela ne leur était pas assez bon, voilà qu'ils y étaient opposés pour des prétextes fallacieux, se drapant dans un droit canon dont ils ne respectaient la lettre que lorsque cela les arrangeait! Ils refusaient, eux qui avaient œuvré pour que je m'en allasse! Et maintenant que je décidai effectivement de partir, ils disaient non. Et ils disaient non alors qu'ils allaient dire oui pour un autre cardinal, ce que je n'étais d'ailleurs plus, puisque je n'étais plus évêque... mais encore quelque chose qui démontre que le respect des lois, c'est selon le sens du vent avec eux!

Durant quelques secondes, elle s'immobilisa puis se tut, se prenant la tête dans les mains. Elle n'avait pas imaginé avoir tant de colère en elle, tant d'amertume, à croire que la pénitence infligée dans le but de la faire réfléchir n'avait fait qu'exciter son ire. Accablée, elle laissa glisser ses mains sur le dossier du fauteuil derrière lequel elle était revenue et elle continua, sans passion :
— Il a fallu l'intervention de Sa Sainteté elle-même pour solder définitivement le contentieux. Et c'est Sa Sainteté qui m'a libérée de mes vœux, me frappant d'interdit et m'imposant de rester trois jours et trois nuits étendue sur le sol d'une église pour me rendre compte et que mon humiliation soit visible et connue. C'est à Saint-Germain-l'Auxerrois que j'ai effectué cette punition et c'est de là dont je reviens, à peine, et c'est de là que je suis partie afin de venir à vous.

Son visage était plus calme, comme ses gestes, comme son comportement, elle avait expulsé tout ce qu'elle avait à sortir. Et elle ajouta, redevenue maîtresse d'elle-même malgré cette exténuation qui l'affaiblissait à nouveau :
— Je me devais de vous l'annoncer en personne, eu égard à ce que j'ai pu vous dire à Saint-Dionisy. Je vous ai fait savoir que ce n'était pas possible, que je Lui étais liée et que rien ne viendrait faire varier ce lien qui m'attache à Lui depuis que j'ai été ordonnée à Cologne. Je ne voulais pas que vous appreniez par la rumeur publique que j'avais demandé à ce que l'on rompît mes vœux, je ne souhaitais pas que vous l'appreniez par d'autres et je ne désirais pas que vous le sachiez en un lieu public ou lors d'une quelconque réunion à caractère officiel. Et je me devais d'en être la messagère car cette libération...


Et là, sa voix chavira, et ce calme revenu se fendilla en ce cri venant du plus profond d'elle-même, provenant de son cœur trahi par sa raison :
— ... Dieu du ciel, elle ne change rien!
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Actarius
L'oaristys s'estompa bien vite, bien trop vite pour un homme dont le coeur semblait battre à nouveau. Elle redevint cette duchesse inaccessible, elle redevint froide et distante, elle redevint cruelle. Pourtant, là où il s'attendait à ce que cela perdurât, déjà prêt en son for intérieur à essuyer l'écume des vagues ténébreuses, elle le surprit, comme jamais elle ne l'avait fait. Certes, nombre de ses réactions demeuraient autant de pans d'une impénétrable tour d'ivoire. Le recul aidant, il parvenait néanmoins à déceler une logique, une cohérence. Mais cette mise à nu abrupte, cette offrande généreuse le désarçonna tout à fait. Ses mains s'abattirent littéralement sur ses cuisses, ses paupières clignèrent quelques fois de trop pour que cela parût anodin. Il lui fut extrêmement difficile d'en rester à ces signes tout justes perceptibles, il lui fut douloureux de garder contenance dans cet état de crispation intense et nuancée par une bouillonnante excitation intérieure. La Prinzessin se livrait à lui. Sans pudeur, sans retenue, elle se racontait. A cet instant décisif, il fut heureux, les sens embrasés par un espoir impossible, une foi qu'il avait perdue depuis son départ du Languedoc. Il percevait sans en avoir pleinement conscience toute l'importance de ce moment, tout l'enjeu de ce qui s'apparentait de plus en plus à une confession. Pourtant, encore, il fut pris au dépourvu. Le choc survint, sa main resserra son emprise sur sa cuisse blessée. La douleur physique pour oublier le trait mortel de souvenirs qu'il ignorait, qui lui torturèrent l'échine.

Elle avait aimé... elle avait enfanté...

Instinctivement, il sut alors que son espérance serait déçue, qu'elle ne survivrait pas à ces aveux. La suite ne releva alors que du remplissage, un remplissage qu'il n'entendait presque plus, tant son esprit se focalisait sur l'inéluctable conclusion, l'adieu. Toutes les objurgations qu'ils avaient endurées lui apparurent futiles. Des feuilles mortes balayées par un vent d'automne en comparaison des épines vivaces emportées par la tempête qui lacéraient toujours un peu plus son âme. Elle le mettait au supplice, prolongeait son tourment en se découvrant ainsi pour mieux se refuser à lui par la suite. Femme, amie comme jamais auparavant, elle étirait le miroir du passé sur lequel le Sienne n'apercevait qu'un mirage du possible s'entremêlant aux volutes d'un bonheur déchu, d'une trahison, d'un partage. Et bientôt s'y dessina l'ombre du néant. Ce récit, elle l'avait amenée comme une Déesse des temps passés apportant la lumière de la vie à un homme prisonnier pour mieux lui faire comprendre ce dont il était privé. Une colère sourde jaillit alors contre cet imbécile, une colère qui gicla dans ces veines, jusqu'à ces doigts, jusqu'à ce sang dont la chaleur s'écoulait lentement sur sa cuisse. Elle souffrait elle aussi, chacun de ses gestes en attestaient, chacune de ses postures, chacun de ses regards... et elle était belle, infiniment belle dans cette agitation, dans cette faiblesse qui s'apparentaient si peu à la duchesse d'Auxerre. A n'en pas douter, elle se comportait avec lui ainsi qu'elle ne l'aurait fait avec aucun autre. Pourtant... cette promesse, elle la lui retirerait bientôt. Il crut à la sentence, lorsque presque exténuée, elle glissa ses mains sur le dossier du fauteuil, lorsque son visage retrouva un peu de sa quiétude originelle. Encore, toutefois, elle le martyrisa d'une nouvelle astuce imprévisible.

Elle lui avait menti...

Et ce mensonge-là extirpa un profond soupir de lassitude au Coeur d'Oc. Plus que de la lassitude, il s'agissait de désespoir, d'une totale désolation de l'âme qui se traduisit par un regard tout à fait incrédule, par des doigts pressant un peu plus cette plaie sanguinolente. Il subissait, rendu totalement atone, insensible lorsque s'ébranla l'assaut final. Certains disaient qu'on ne pouvait être misérable lorsque l'on était aimé. Il l'était bel et bien, jamais cependant il ne s'était senti si misérable. Fidèle à sa légende, il recouvra néanmoins son instinct, sa vie. Réapparut alors la perception induite par cette incomparable soif de survivre. Sa main abandonna la plaie. Le Sienne de ses iris se posa sur elle avec une assurance improbable. Oui, le Phénix déployait à nouveau ses ailes, fort de cette conviction absolue qu'elle mentait encore. Se trompait-il alors ? La question ne lui effleura pas même l'esprit. La conclusion servie ne tenait pas la route, elle n'avait rien de logique, d'abouti. La glaciale bourguignonne dissimulait sous un flot de vérités ponctué d'un mensonge, une vérité encore plus profonde à la manière d'un tueur confessant un vol pour mieux détourner les soupçons de son véritable crime.

Des images défilaient... le Louvre, le Palais mainois, Saint-Dionisy… ces gestes tendres, ces refus de plus en plus murmurés, cette inquiétude, ces moments de partage infinis, ravageurs entre deux âmes essentiellement divergentes et paradoxalement capables de se fondre l’une dans l’autre en une osmose indescriptible, parfaite. Même cette venue, alors que l'absence et le silence auraient suffi à la débarrasser de lui, n'avaient rien de cohérent. Même ces reproches, cette volonté de cacher, là où aucun mal n'avait été fait, trahissaient cette vérité éclatante qu'elle se refusait encore à concéder, à admettre. Cette scène touchante n'était rien de plus qu'un nouveau stratagème pour taire ou réduire au silence ce qui étincelait dans son coeur. Il devint impitoyable pareil au guerrier qui écumait le sang et la mort sur les champs de bataille. Son ton, son accent d'oc encore renforcé par la détermination qui parcourait chaque parcelle de son être, lui conférèrent une solennité soudaine. Le sang avait beau avoir rougi le tissu de ses vêtements, il était bel et bien là. Encore et toujours. Le "par et pour elle" s'était estompé. Dans son horizon, il existait désormais un "nous".


Je me suis livré à vous tel que je suis. Certes maladroit, sans doute agaçant, mais franc et honnête. Je n'ai pas décidé de vous aimer, je vous aime, je vous aime au point que j'aurais pu renoncer à vous et je le faisais, croyez-moi, je le faisais, car je pensais que cet amour vous était insupportable, que vous ne pourriez être heureuse avec moi. Vous savez ce que cela peut être douloureux de se ronger de culpabilité, vous le savez puisque vous l'avez vécu. Vous savez ce que cela peut être d'éteindre ses propres envies, de taire son être pour que l'autre puisse exister, de s'infliger mille reproches continuellement bercé que l'on est par l'amour. Vous savez ce que cela peut être d'aimer quelqu'un qui ne vous aime pas et qui revient vers vous avec l'apparence de la sincérité. Vous savez tout cela et pourtant, vous revenez ici, vous acceptez mes étreintes, vous acceptez ma main, vous acceptez de vous asseoir face à moi, vous vous dévoilez à moi comme à personne, vous m'avouez que vous m'avez menti et vous osez me dire que cela ne change rien…

Il se leva alors, découvrant les traces apparentes du sang dont s'était imbibé le tissu autour de sa blessure. Droit, martial, sourd à cette douleur physique, il poursuivit sans aucune forme de pitié.

Vous n'êtes pas venue ici pour me faire souffrir. Vous n'êtes pas venue ici pour me parler. Vous êtes venue ici pour moi. Car vous savez très bien que je n'ai rien à voir avec ceux qui ont voulu voir la femme en vous, vous savez très bien que je n'ai rien à voir avec votre défunt mari, car vous savez pertinemment ce qu'il y a dans votre coeur et que vous vous refusez à accepter. Si je n'ai pas assez de mérite selon vous pour être digne de votre amour, alors dites-le. Si ce que je suis ne vous plaît pas, si vous ne voudriez pas m'aimer, alors dites-le. Je pourrais moi-même vous raconter ma vie et vous comprendriez alors que ce que j'ai supporté de vous, je ne l'aurais accepté de personne d'autre. Parce que je vous aime, parce que je ne considère pas cet amour comme un mal, parce que vous êtes bien plus pour moi qu'une femme ou une duchesse, parce que je vois encore au-delà, parce que je sens surtout cette lutte en vous, cette souffrance. Oh... Ingeburge. J'aimerais tant que vous compreniez qu’une vérité crue et douloureuse, même cela je l'accepterais de vous pour peu qu'elle vous soit une source de bonheur. Je voudrais que nous partagions autre chose que ces incompréhensions, que ces doutes, qu’un tourment. Je crois… je crois que vous le voulez aussi, que si vous êtes venue ici, c’est pour que nous soyons réunis…

Il se rapprocha alors, jusqu'à ce que ses genoux vinssent buter contre le fauteuil. Ses yeux contemplaient encore avec une tendresse indescriptible celle qui quelques instants auparavant avait épousé les traits d'un bourreau, celle qu’il devinait fragile et dont il espérait que sa franchise ne la ramenât pas à cette froideur habituelle, à cette négation terrible et mensongère. Ensemble, ils se tenaient. Vraisemblablement plus proches l’un de l’autre qu’ils ne l’avaient été auparavant. Elle avait réussi à se livrer, il avait mis des mots sur son doute le plus profond, mû en une certitude par la force d’un entendement enfin éclairci. L’aveu du mensonge, le mensonge qu’il croyait percevoir, avaient cristallisé une vérité, la sienne. Elle scintillait avec l’insistance d’une révélation au point d’éclipser tous les autres horizons.

Je ne vous demande rien en retour de cet amour, je ne veux pas vous contraindre. Je crois simplement que je mérite de la sincérité. Au moins une fois, au moins maintenant. N'ayez crainte, cela ne vous obligera en rien à mon égard, vous n'aurez pas à agir contre votre gré, je ne vous y forcerai pas. Vous pourrez partir, vous resterez libre. Votre vie continuera, mais elle continuera sans le fardeau du mensonge que vous m'infligez et que vous vous infligez sans doute à vous-même. Si vous ne le voulez pas, alors laissez-moi sans un mot, car je ne pourrais supporter un nouveau mensonge de la femme que j'aime...

Et il se tut, suspendu à ses lèvres, perdu dans l’opale de son regard, espérant sans s’en rendre compte que ce moment de partage s’étendrait à l’infini. Car déjà, insidieuse et indolente, la peur qu’elle se retournât silencieuse, qu’elle ne parlât que pour sceller cet adieu, qu’elle le regardât avec complaisance, avec dureté, avait envahi son inconscient.
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Ingeburge
La première sensation qui prédomina alors qu'elle venait de se taire et qu'à nouveau, un silence gênant s'était mis à planer, fut la soif; ses lèvres étaient sèches, sa gorge irritée d'avoir trop parlé. Elle n'aurait pas dû plus tôt refuser les rafraîchissements proposés mais plutôt anticiper cette soif succédant à son récit et mettre de côté quelque chose, comme un secours, pour ne pas avoir envie de couper ce qui était en train de se jouer par une demande bassement terre-à-terre. Il faut dire qu'il lui était rare – et ce mot ne reflétait en rien la vérité – de parler autant, jamais encore elle n'avait tant monopolisé la parole, ni dans ses discours à ses hérauts ou au cours des homélies que récemment encore elle pouvait effectuer, ce droit qu'elle n'avait plus de monter en chaire et qui lui arracha un cuisant regret. Et surtout, jamais elle n'avait parlé à ce point à quelqu'un de matières purement privées. Elle n'avait plus de confidente depuis la mort de sa sœur aînée, quelques années plus tôt, et elle n'avait pas d'amie assez proche pour se livrer à de telles révélations. Le seul auquel elle aurait ainsi pu se confier, c'était Kreuz, mais lui aussi avait disparu et lui aussi faisait partie des ombres de son passé. Le vicomte de Menthon-Saint-Bernard aurait pu lui être d'un grand secours, comme il l'avait été quand il l'avait reçue en confession en la chapelle des Templiers de son domaine méditerranéen de Saint-Raphaël et qu'elle lui avait fait savoir dans quels affres les infidélités de son époux l'avaient plongée. Et qu'était Actarius, au fond? Un homme rencontré quelques mois plus tôt, par le plus grand des hasards, un étranger dont elle savait si peu si ce n'est qu'il concevait à son égard un amour inattendu, envahissant, improbable, incongru, dénué de sens. Et pourtant, c'était devant lui, son bourreau et son bienfaiteur, qu'elle venait de se mettre à nue, comme jamais encore elle l'avait été, le plaçant, s'enfonçant même dans le blasphème, au niveau de Dieu lui-même puisque Celui-ci était en fait le seul à tout savoir d'elle.
Et il y avait ensuite la fatigue, une fatigue bien compréhensible quand l'on examinait par quoi elle était passée. Elle avait, sans s'en rendre compte, tout jeté, lancé ses dernières forces dans ce monologue insensé. Elle avait donc sommeil, grand sommeil, regrettant, comme elle regrettait d'avoir refusé le verre d'eau, d'avoir décliné l'offre de s'allonger elle qui croulait de lassitude. Eveillée depuis plus de soixante-douze heures, c'était la seule tension nerveuse qui lui permettait de demeurer encore debout. Il y avait en elle comme une furieuse envie de s'étendre, de se coucher, là, même au sol qui ne pourrait être aussi dur que le dallage de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois. Et mieux encore, il aurait suffi qu'impérieuse, elle tende les bras vers lui pour qu'il vînt, l'étreignît et qu'elle pût s'endormir sur son cœur impétueux.

Mais il ne viendrait pas vers elle, certainement pas en tous les cas pour la soulager de sa peine et de son éreintement. Qu'avait-elle espéré? Un peu de répit? Une pause dans la lutte? Etrangement, elle semblait, par cette confession totale, lui avoir redonné des forces, avoir nourri son exaspération, avoir alimenté sa volonté et elle se revit projetée en ces instants troublants, premiers pas de la relation bizarre qu'était la leur, ces instants où ils s'étaient violemment opposés, ignorant tout à fait ce qu'il adviendrait d'eux. Un frisson glacial lui parcourut l'échine. A la soif et au sommeil s'adjoignit le froid car désormais, s'il rougeoyait, magnifique, s'il lançait des flammes, s'il s'élevait de cette immortalité infernale et mythique, ce n'était pas pour la réchauffer, ce n'était pas pour l'abreuver de ses rayons ardents, ce n'était pas pour la prendre sous ses ailes embrasées. Il était l'autre, celui qu'elle avait en fait connu en premier lieu, celui qui ne se laissait pas faire, celui qui ne s'en laissait pas conter, celui qui devait se dresser, impitoyable, sur les champs de bataille, celui qui tenait tête à ses opposants, celui qui anéantissait ses contempteurs... celui qu'elle avait envie de provoquer, d'invoquer quand il s'écrasait alors qu'elle franchissait insolemment les limites. Et c'était certainement cette facette de lui qu'elle chérissait le plus, parce qu'elle avait besoin de cette puissance, de cette autorité, de cette confiance absolue qui le rendaient irrésistible et parce qu'elle avait la conviction que c'était de quoi il était fait au plus profond. Non, elle ne le connaissait pas, mais elle pouvait supputer ce côté implacable et catégorique. Combien de fois avait-elle était agacée par cette contrition qu'il lui opposait quand et plus elle le malmenait? Là, indubitablement, elle le retrouvait et cette redécouverte la convainquit que ce qu'elle refusait de lui avouer était comme inscrit en son cœur de tout temps. Et parce qu'il n'avait jamais été si semblable à lui-même, si fidèle à ce qu'il était, elle eut peur, affreusement peur, peur de lui, peur de ce qu'il pourrait dire, peur de ce qu'elle pourrait répondre et qu'elle ne pourrait jamais rattraper, peur qu'il s'approche et qu'elle réponde spontanément à son appel. Perçut-il cette terreur soudaine? Sa première phrase le laissa penser.

Paradoxalement, elle respira mieux quand il prit la parole à son tour et même si chacun de ses mots devait être un coup porté à la personne vulnérable qu'elle était, elle redoutait davantage quand il s'enfonçait dans des réflexions qui lui assombrissaient le visage. Les mains toujours agrippées au dossier du fauteuil, elle l'écouta avec attention... mais à quoi bon? Elle ne comprit d'abord pas ce qu'il évoquait. Ou plutôt, elle ne comprit que trop bien que c'était de lui dont il était question. N'était-il pas en train de faire fi des secrets et des tourments qu'elle lui avait confiés dans la candeur de ses explications? Déjà, gagnée par une sensation bien trop connue, celle d'une colère qu'il était le seul à pouvoir déclencher, elle se contenait pour ne pas l'interrompre, l'aveu réitéré de son amour constituant le coup de fouet suffisant pour exciter une ire qui ne fit qu'accroître au fur et à mesure de son discours. Ainsi donc, elle savait. Qu'avait-il écouté pour tirer de pareilles conclusions? Pensait-il pouvoir l'attendrir en lui faisant croire qu'elle lui infligeait ce qu'il imaginait qu'elle avait subi? Pensait-il que ce serait là le moyen de l'amollir? La comparaison l'irrita, écartant tout ce qu'il pouvait y avoir de bien-fondé dans ses reproches. Non, jamais elle n'aurait dû accepter les chastes étreintes, les frôlements de joue, les mains retenues avec tendresse. Cela, elle l'avait reconnu, bien avant Saint-Dionisy, et elle avait tâché de contrer cette nécessité qu'elle avait de toujours se tourner vers lui. Mais tout cela, ne se l'était-il pas lui-même, et de souventes fois autorisé, malgré ses refus? Oubliait-il que pour un baiser sur le front, elle l'avait dix fois vertement repoussé? Incrédule, elle l'écoutait et elle ne put se retenir d'écarquiller les yeux quand il lui lança qu'elle avait menti.

Dès lors, quand elle le vit se lever, elle n'eut plus peur, ne s'émouvant pas de la trace sanguinolente souillant son vêtement, au niveau de la cuisse. Cette blessure était bien anodine à côté de celles infligées par les coups, qu'avec componction, il lui portait. De la tendresse qui avait pu voiler son regard quand elle lui avait tout dit et qu'elle se perdait dans sa contemplation, il n'y avait plus de trace. Il osait maintenant prendre des points de son récit pour les retourner contre elle. Les autres? Il n'avait pas le droit, elle les avait repoussés. Son époux? Tout autant. Et mêlé à toutes ces audaces, des reproches, encore, comme si elle avait été la seule en faute, comme si elle était l'unique responsable, comme si c'était elle, qui, un jour, avait levé des yeux différents, avait dès ce moment refusé de respecter les convenances, les répugnances et avait brandi cet amour en faisant fi de sa pudeur et de sa délicatesse. Et plus il avançait vers elle, plus elle soutenait son regard, chaque seconde davantage farouche, davantage hostile, prête à ferrailler puisqu'il avait rallumé le brandon de la guerre. Et elle mourrait en se battant s'il le fallait, que ce soit d'épuisement ou de sa main.

Pour l'heure, elle n'était pas encore terrassée par la fatigue et s'il l'avait fait vaciller, elle était encore debout. Tout serait contré, patiemment, fermement.

— Oui, je suis venue pour vous, mais pas pour ce à quoi vous songez. Je me devais, après Saint-Dionisy, de vous faire savoir qu'aux yeux de Rome, je n'étais plus liée par rien. Que croyez-vous? Que j'ai oublié ce que je vous déclarai chez vous, il y a de cela près de deux mois? N'était-il pas logique de penser que vous concluriez à un changement de ma part? Le seul argument que vous avez accepté de moi, c'est la sincérité de mon engagement envers le Très-Haut. Vous n'avez pas reculé plus tôt, non, vous avez méconnu mes refus, ne vous retirant que lors que je vous affirmai que je Lui appartenais.

Son ton s'était fait plus dur, niant que cet attachement exclusif fût seulement au passé. Elle Lui avait appartenu, Lui appartenait et Lui appartiendrait.
— Le fait est que je ne me trompais pas en anticipant votre réaction et que j'ai eu tout aussi raison de venir vous détromper. Mes vœux ont été rompus, oui, mais je ne Lui en demeure pas moins liée. Rien n'a changé, si ce n'est une ligne dans un registre poussiéreux. J'irai toujours geler sur la Lune, si ce n'est encore plus sûrement, et je soutiendrai toujours que cette coupable et condamnable libération ne modifie pas mes devoirs et obligations envers Lui. Vous voulez de l'honnêteté, vous exigez de la franchise mais vous ne vous satisfaites pas de mes propos, pas plus qu'il ne vous viendrait à l'idée que là réside la vérité. Et vous, êtes-vous seulement aussi honnête que vous le réclamez de moi? Assurément non puisqu'à votre habitude, vous ne voulez rien entendre, vous ne voulez rien prendre en compte, seul importe ce que vous avez décidé et ce que vous croyez. Vous dites ne pas vouloir me contraindre pour mieux me contrôler, vous dites que je dois faire un choix et que vous partirez si je décide de vous repousser. Que faites-vous si ce n'est me mettre la pression en me forçant à parler encore et toujours plus? Que faites-vous si ce n'est méconnaître votre engagement avant même de l'avoir formé puisque je vous ai déjà demandé de me laisser en paix?

Assez peu étonnée au final, elle secoua la tête. Autant parler à un sourd. Alors, elle changea d'angle d'attaque, pour mieux démonter son argumentaire et pour le mettre face à ses contradictions. La question, vint, abrupte :
— Etes-vous heureux?
Et les autres suivirent, implacables :
— Que cet amour vous apporte-il? Combien de tourments, combien de questionnements pour une poignée de secondes de communion? Vous ne pouvez décemment croire que quelque chose de bon peut ressortir de cette relation étrange et contre-nature alors que vous me dites que vous souffrez. Vous regrettez l'incompréhension, les doutes, le supplice, mais y a-t-il jamais eu autre chose entre nous? Tout ce mal, ce désespoir, toute cette affliction. Ajoutez à cela que nous allons contre Sa volonté, que nous n'en avons pas le droit. Et de grâce, ne me dites pas qu'il suffirait que je réponde positivement à vos sollicitations, vous n'avez pas la moindre idée de ce que cela pourrait donner. Et ne me dites pas plus que rien ne coûte d'essayer, voyez déjà comme nous nous déchirons alors que nous ne sommes finalement rien l'un pour l'autre.

Mais la glaciation n'était pas totale, connaissait des ratés et sa voix à nouveau marquée par l'émotion en gagna en raucité. Se prenant derechef la tête dans les mains, elle s'écria :
— Vous n'avez pas demandé à m'aimer? Et moi, croyez vous que je l'ai demandé? Croyez-vous qu'il m'est venu à l'esprit de m'attacher votre personne et votre cœur? Croyez-vous que j'ai voulu de vos compliments, de votre empressement, de vos sentiments? Vous n'avez pas idée! Vous parlez de vous, de votre douleur mais à quel moment, puisque vous dites m'aimer, vous êtes-vous demandé si je ne souffrais pas? Vous avez eu l'impudence, à Vincennes, de m'adresser ce compliment malheureux. Savez-vous ce que cette déclaration certainement anodine pour vous a provoqué chez moi? Oh, mon Dieu, je me suis interrogée, cette fois-ci comme pour toutes les autres qui ont suivi, essayant de comprendre ce que j'avais pu faire pour provoquer vos attentions. J'ai cherché, maintes et maintes fois, me torturant l'esprit, concluant que j'avais forcément fait ou dit quelque chose ayant suscité de tels hommages. Combien de fois me suis-je regardée dans un miroir et me suis-je reproché de renvoyer cette image-là? Et je ne voyais rien, absolument rien, concluant que je n'avais pas en fait besoin de m'exprimer ou d'agir, que c'était moi, simplement, ce que j'étais, le simple fait de respirer, la cause de tout ce malheur. Et tout cela aurait été supportable, j'aurais pu m'accepter, s'il n'y avait pas pire.

Pressentant une fin qui devait survenir, elle se mit à respirer plus rapidement, étouffée soudain par tout ce qu'elle n'avait effectivement pas dit. Ses mains regagnèrent le fauteuil.
— Oh oui, bien pire. Il ne suffisait pas que mon époux m'ait pris ma confiance, mes illusions et ma dignité, il ne suffisait pas que Rome m'ait pris mon enfant, mon courage, mon honneur, mon engagement. Non. Il a fallu que vous paraissiez, que vous soyez pour que je n'existe plus. Vous m'avez pris mon temps, mon appétit, mon sommeil. Vous m'avez pris mes pensées, mes rêves, mes cauchemars. Vous avez pris ma tranquillité, ma sérénité, mon bien-être. Vous m'avez pris tous ces derniers mois, vous me prenez mon présent et vous me prenez déjà mon avenir. Vous avez pris mon esprit, ma raison, ma force. Que me reste-il si ce n'est une vertu que finirez par saisir, de gré ou de force, quand vous êtes pris de vos coups de folie et que vous osez me regarder ainsi? Et quand il n'y aura plus rien, vous le prendrez quand même car même le néant ne pourra vous échapper.

Haletante, elle se tut et elle lâcha, l'instant de faiblesse passé :
— Voyez, vous savez presque tout maintenant et vous me ferez l'affront de ne pas être contenté. Alors, puisqu'il vous faut tout savoir, pour en finir enfin, sachez.
Et d'un ton ardemment glacial, après s'être repue de ce sang qu'elle voyait et qui était le signe tangible que cet Phœnix-là était après tout un être humain, elle lui envoya trois mots, simples, clairs, concis :
— Je vous hais.

Aime.

A l'en haïr.

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Actarius
La tempête se levait aussi sûrement que les mots impitoyables s'accrochaient les uns aux autres, se liguant en des sentences tourbillonnant contre le bon sens. Arriva l'instant prévisible où ceux-ci se déchaînèrent et s'abattirent sur le Phénix. Sans doute, aurait-il pu en d'autres occurrences se laisser emporter de guerre lasse par la déferlante animosité, mais il continua de voler implacable, embrasé. Dans cette pièce, dans cet hôtel perdu au coeur du Royaume de France, le Vicomte demeura terriblement droit, le regard toujours arrimé à son Eternité, la jambe sanguinolente. Il écouta sans mot dire le puissant laïus, l'émouvant aveu d'impuissance, la plus irrémédiable et pure déclaration qui ne fut jamais prononcée. De celles qu'aurait entonnées d'un murmure cristallin Melpomène, de celles qui se seraient extirpées après une lutte titanesque des lèvres incarnadines d'Yseult la blonde.

"Je vous hais" comme un "je vous aime" lancée à l'orée d'un ultime souffle de vie... Le Coeur d'oc se découvrit une oreille absolue. Là où résonnait le chant d'une Stryge, il perçut l'essence même de l'harmonie divine: l'amour. Un amour dramatique, un amour impossible, un amour refusé, nié, un combat, une guerre, une faiblesse, une force, une colère, une béatitude, une souffrance, une rayonnance, un chaos, une plénitude, un néant, un paradoxe, une cohérence, un instant, un infini, un absolu, un irrémédiable, une dévastation, une dévotion, un écho, une communion, une déchirure, une prostration, un renoncement, un désir, une bénédiction, un refuge, une promesse, un miracle... un miracle inspiré par le Très-Haut: la vie. L'amour comme une vie, la vie comme un amour, cet amour.


Si tout n'était que ténèbres, alors nous ne nous tiendrions pas l'un face à l'autre. Aimer n'est pas un crime. J'espère que vous le comprendrez avant la fin... la fin, rabâcha-t-il plus faiblement. Malgré ... Il recula alors, puis se détourna tout à fait. Ses bras se croisèrent dans son dos cependant que ses pas l'amenaient à la fenêtre. Oui, il fuyait. La seule tentation de la prendre contre lui, la seule pensée d'agir autrement qu'elle l'aurait voulu, la seule perspective d'en ajouter à son terrible tourment par ses gestes, par cette union de l'opalin et du sienne, la seule idée de la noyer un peu plus dans son océan de doutes, l'avaient convaincu de prendre la tangente. Puis, en ce jour, elle lui avait paru plus belle encore que par le passé, plus aimable, plus éprise, plus tourmentée. Rester face à elle... Non. Non, il aurait faibli, il aurait voulu la rassurer, la protéger. ... Malgré nos luttes, nos doutes, nos incompréhensions, malgré tout, je ne suis heureux que lorsque vous êtes près de moi. Oui, je suis heureux que vous soyez-là, je suis heureux d'être là, maintenant avec vous.

Le souffle coupé par une hésitation, il fut rendu au silence le temps de s'abreuver de cet air qu'elle respirait elle aussi. Mais vous ne voulez pas l'être ou refuser de l'être au point de continuer de ne me servir qu'une bribe de vérité, celle que la raison vous impose à mes dépens, celle qui l'arrange. Je vous prie donc de me laisser. Elle aurait pu trouver un ami, un refuge, tant de choses encore dont elle avait besoin, mais dont elle niait la nécessité. Elle avait ainsi récolté un homme blessé, impitoyable, farouche, décidé à la mettre en face d'une réalité ainsi qu'à défendre cette réalité jusqu'à ce qu'elle fût acceptée.

Un des gardes quémandés par le Vicomte traversa la cour. Son regard grimpa par hasard sur la façade, jusqu'à l'étage, jusqu'à ce verre par-delà lequel il aperçut l'espace d'un clignement d'oeil un sourire sur le visage de son maître. Un léger rictus à peine perceptible, instantané que la Fortune avait bien voulu glissé dans le champ de vision de ce piéton désincarné et rompu ces derniers temps à la mine sombre d'un Seigneur mélancolique. Il déduit sans peine ce que cette rupture avec la coutume signifiait. Le Phénix était revenu à la vie. Malgré tout ce qui avait pu le plonger dans l'atonie, le réduire à l'état cinéraire, il avait recouvré de la vigueur et suffisamment de bonheur pour abandonner un léger et bref sourire éclatant de sincérité.

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Ingeburge
— Soyez assuré que je ne comptais de toute façon pas rester.

La réplique gicla aussitôt, témoin de sa volonté de ne pas perdre une pouce de terrain mais aussi de son désir d'en finir. Ils ne pouvaient plus demeurer en présence l'un de l'autre, c'était impossible, et s'il ne l'avait pas congédiée, elle aurait cherché un moyen de se retirer, vite, sans pour autant donner l'impression de fuir. Néanmoins, s'il savait tout désormais, il n'en aurait pas l'usage, elle ne lui laisserait pas l'occasion d'exploiter le moindre élément confié, il ne serait pas en mesure de jouir de cette emprise qu'elle avait spontanément mais impudemment révélée. Et s'il était persuadé de savoir, elle, était constante et inébranlable dans sa résolution. Qu'il s'en rende compte était tout ce qui importait. Ses faiblesses clairement affichées n'était pas la manifestation d'une hypothétique victoire, elles n'étaient pas le reflet d'une prise de contrôle. La guerre ne faisait que commencer et s'il avait, en ce jour, pris un net avantage sur elle, ce n'était que provisoire, et ne constituait certainement pas un augure favorable sur l'identité de celui qui remporterait le succès final et total.

Il y avait aussi dans cette vive réponse l'expression de son irritation ahurie. Comme lors du récit de sa vie, elle venait, pressée par les questions d'Actarius, aiguillonnée par le besoin de savoir de ce dernier, d'ôter les couches protectrices de son cœur, de son âme, jamais encore elle ne s'était montrée aussi ouverte avec lui. Et elle lui avait dit l'enfer, elle lui avait indiqué la remise en question, elle lui avait avoué à quel point elle ne s'aimait pas de s'être vue aimée, désirée par lui. Et... rien. Avait-il seulement écouté? Rien ne le démontrait, pas même ce recul et cet éloignement qui n'avaient eu pour résultat que de la rendre aveugle car elle ne voyait plus désormais son visage si franc et ses yeux si expressifs. Cette question de savoir s'il avait pris garde à ce qu'elle avait bien pu dire, ce n'était pas la première fois qu'elle se la posait et elle lui avait déjà reproché de faire fi de ses sentiments au profit des seuls siens. Et c'est ce qu'elle retint de cette retraite jusqu'à l'une des croisées. Elle ne voulait pas d'excuses, elle ne voulait pas de contrition, elle abhorrait ces instants où il se courbait sous les coups et les ripostes, elle aimait le voir sûr et tout-puissant. Mais de la considération, était-ce donc trop demander?

Et comme il n'entendit rien de son tourment, de sa désespérance, elle n'entendit rien de son bonheur de la voir, de sa joie d'être en sa compagnie, paroles dont elle se souviendrait plus tard pour panser son cœur endolori mais qui ne feraient que raviver des blessures creusées par le regret. Mais elle n'en était pas là pour le moment, il n'y avait que la colère, l'orgueil, la détestation, la haine, cette haine qu'elle lui avait soufflée, dans une bourrasque givrée, au visage. Le froid pour contenir le feu, la glace pour annihiler le brasier; jamais encore ils n'avaient paru si dissemblables dans le dépouillement de leurs révélations respectives. Lui, positif, lumineux, terrien, solaire, Phœnix; elle, négative, sombre, éthérée, lunaire, Sneedronningen.

Egoïste, c'est le seul mot qui lui venait maintenant qu'il osait à nouveau l'accuser de mensonges et donc la priait de s'en aller puisqu'il avait sucé toute sa sève et qu'il avait usé d'elle à l'en lessiver. Oh non, elle ne serait pas abattue, elle ne l'était pas même si elle était vidée et rendue fragile par son histoire et ses aveux. Méthodiquement, alors, elle continua, prenant congé comme si elle eût été dans un salon, comme s'ils ne venaient pas de se battre jusqu'au sang. Elle n'avait rien que cette pauvre cottardie informe et grossière sur le dos et ses cheveux décoiffés et épandus, mais elle eût été vêtue des étoffes les plus coûteuses, elle eût été parée des bijoux les plus étincelants qu'elle n'en eût été pas moins superbe de hauteur et de dédain, qu'elle n'en eût pas été plus prinzessin glacée et mondaine, ce qu'elle était en partie, qu'il le veuille ou non :

— Soyez à nouveau remercié pour tous vos bons offices. Vous n'aviez pas à me recevoir en ces conditions et je mesure combien mon audace et ma liberté ont pu être source de gêne. Ce chaleureux accueil, sachez-le, ne sera nullement oublié, cette hospitalité bienveillante ne sera pas sous-estimée et je me fais la promesse solennelle de vous rendre tout ce que vous m'avez si généreusement et aimablement offert. Je suis, monsieur, votre débitrice.

La menace, même si elle ne fut pas nettement pas formulée, n'en était moins réelle. Il serait payé de retour, pièce par pièce, avec ordre et méthode... il en aurait pour ses frais. Un salut fier de la tête fut adressé au dos du vicomte du Tournel et elle se retira, hiératique, la soie grossière du bas de sa robe bruissant sur le sol comme un serpent dans les feuillages. Une fois dans le couloir, elle suffoqua, la main sur son cœur et elle marcha à pas précipités et incertains, manquant de se fouler la cheville, deux fois, et même, de chuter. Mais elle parvint tout de même à l'entrée où elle s'obligea à rester quelques secondes, le temps de reprendre son souffle et ses esprits. Ce fut son orgueil et l'idée de vengeance qui la soutinrent quand elle traversa dans la cour où elle retrouva ses gardes lombards. A ceux-ci, elle jeta quelques ordres impérieux et ils la suivirent, empressés. Ils finirent par sortir, eux inquiets de cette ire qui obscurcissait les prunelles pâles de leur maîtresse, elle résolue à honorer sa menaçante promesse. Il le paierait et plus tôt qu'il ne le croyait. Sous peu, elle voyagerait vers le Languedoc où elle avait plusieurs engagements à honorer, comme la supervision de la cérémonie d'allégeances au nouveau régnant dont le nom sortirait des urnes, sous peu, ou la gestion d'un octroi où il serait un des vassaux reconduits. Et, en sortant de l'hôtel de Clisson, elle apprendrait qu'elle venait d'être acceptée au sein de la Très Noble Assemblée des Pairs de France où il siégeait déjà, se voyant offrir une occasion supplémentaire pour le poursuivre de sa vindicte. Oui, il paierait, il devrait supporter le contre-coup du moindre de ses mots, du moindre de ses actes, il devrait endurer cette haine comme il lui faisait endurer son amour.

Le carrosse de la duchesse d'Auxerre quitta la rue du Chaume dans un train d'enfer.

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