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[RP] L'Hôtel Castelmaure.

Elianor_de_vergy
La poupée reposa délicatement sa coupe, songeant que les vins de Bourgogne n'étaient pas mauvais au fond, bien que plus légers que les productions médoquines auxquelles elle était habituée. Et que son chauvinisme exacerbé lui faisait de toute façon préférer à tout autre bien sûr.

Mais ces considérations alcooliques n'étaient pas les seuls objets des ruminations ducales. Ainsi donc, elle se retrouvait chargée de veiller sur des terres dont elle ignorait tout. Et, largement plus compliqué, de réussir à faire sceller à son époux une renonciation en bonne et due forme à une tutelle dont il devait au fond se ficher assez éperdument _ sinon pourquoi l'aurait-il délaissée ainsi? _ mais à laquelle il risquait fort de s'accrocher tout de même par fierté mal placée et désir de contrarier sa poupée de femme. Autant dire qu'elle se préparait des nuits blanches, des migraines, des nervousses brékdones comme on dirait un de ces jours*...

Sur cette peu réjouissante perspective, elle reprit une gorgée de vin. Et comme à l'habitude, cet aimable breuvage colora l'avenir de plus riante façon, et ses joues pâles de deux tâches rougissantes. Après tout gérer des terres, elle savait faire. La Lorraine ne l'effrayait pas, le tout était simplement de se renseigner avant d'oeuvrer. Quant à affronter son époux... Si ca n'était pas sur cette histoire de tutelle, ce serait sur autre chose puisqu'aussi bien, ils n'étaient jamais d'accord sur rien.

Ainsi ragaillardie intérieurement, elle leva les yeux sur le jeune prince qui était venu se placer près d'elle. Et qui, du haut de sa dizaine d'années, lui offrait le plus sérieusement du monde son appui.


Altesse, j'ai un profond respect pour votre famille. Votre mère, que le Très Haut la garde, fut la plus digne et capable des souveraines. Si modeste et futile que puisse sembler le poste d'Intendante aux Menus Plaisirs, c'était pour moi un grand honneur que de le tenir sous son règne. Et il me sera tout autant à honneur d'assister son héritier dans toute la mesure de mes moyens. Et puisque vous me faites la grâce de me le proposer, j'ose donc vous soumettre une requête. M'autoriseriez-vous, à l'occasion, à vous présenter mon jeune demi-frère? Orphelin de père et de mère depuis son plus jeune âge, Faran a lui aussi vu sa tutelle quelque peu négligée. J'étais hélas trop jeune moi-même pour y remédier et je crains qu'il n'ait pris, au cours des années, de mauvaises habitudes de négligence et d'indifférence à l'égard de ses devoirs. Votre exemple, Altesse, pourrait lui être bénéfique, si vous acceptiez de le lui offrir.

* Citation adaptée d'un dialogue de Michel Audiard

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--Josiane


[Dans le couloir, attendant sa Madame-Maitresse aux longues tresses]

Le trajet avait été court pour la nouvelle dame de chambrée d'Elianor de Vergy. Elle avait évité avec l'agilité qu'on lui reconnait : les seaux d'eaux sales jetées depuis les étages, les vagabonds qui empestaient la mort, les ivrognes qui lui criait "allez au Sang Noms, vieilles chiennes!", gueules grandes ouvertes laissant s'échapper une odeur de vin cuit, un chien, deux chats, quatre chariots qui ne tenaient pas compte des passants.... Que de péripéties!
Un temps d'attente longue à poireauter dans ce couloir doré avait succédé à la mouvementée promenade. Josiane, qui n'arrêtait jamais de s'activer, trouvait regrettable de perdre un temps si précieux. Au lieu d'attendre, elle aurait pu passer un coup de chiffon sur cadre étincelant d'où une hautaine figure princière en peinture la fixait du coin de l'oeil. Elle aurait pu également replacer ce rideau, pour qu'il tombe juste au bon endroit de la fenêtre. Mais la dame de chambre se devait de se tenir à sa place. Déjà, elle avait croisé le regard d'un serviteur un peu bourru et avait bien senti qu'elle n'était pas de la maison et qu'elle n'avait pas intérêt à bouger ne serait-ce qu'un cil.

Elle aurait aimé la compagnie de Lucas, mais Madame-Maitresse avait refusé net : Lucas avait à faire. Quoi? Grand mystère. Elle lui demanderait plus tard.


Des bruits sourds de conversations provenaient de la salle où s'était introduite Elianor de Vergy. Rien qui ne fut identifiable. Josiane n'était pas curieuse et ne tendit pas non plus l'oreille pour en savoir d'avantage : "il est plus sage de ne rien savoir, car le savoir, c'est ben beau, mais ça fait mal à la tête" lui répétait sa Mater. Et sa Mater avait toujours raison.
Charlemagne_vf
Comment ne pas se sentir flatté par la Duchesse de Bellesme ? Ses mots, d'une courtoisie extrême, plurent à Charlemagne à tel point qu'il eut l'impression de trouver en elle un idéal. Un juste milieu entre la Froide Prinzessin et une Chaude fille de joie - quoi qu'il ne susse alors qu'en théorie ce qu'était une fille de joie.
C'était rare, mais le Prince se laissa presque aller au compliment.

Madame, feue ma Mère a apprécié votre oeuvre sous son règne.

A dire vrai, le jeune Castelmaure ne savait rien de ce qu'avait apprécié Béatrice ou non. Outre quelques psalmodie entre deux portes, et quelques humeurs de notoriété publique, la Reine n'avait pas été des plus expansives sur les conditions de son règne, en tout cas pas en la présence de ses fils. Il savait ses haines pour Armoria, pour Nebisa, pour quelques autres impudents, mais rien de plus. Aussi, le Duc du Nivernais inventait-il allègrement des moments privilégiés entre lui et sa mère. Souvent, il lui octroyait des paroles qu'elle n'avait jamais dites, pour donner au monde l'impression qu'elle avait été plus présente que la réalité l'affirmait pourtant.

N'ayant toujours pas touché son vin, Charlemagne réfléchit un instant avant de répondre à sa cousine. Certes, sa demande était flatteuse, mais s'il avait été honnête, l'Aiglon aurait admis qu'il n'était pas le plus indiqué des hommes pour parfaire un semblant d'éducation, quand la sienne même consistait davantage à avoir la tête bien pleine que bien faite. Mais dans un sursaut d'orgueil loin d'être occasionnel, l'Héritier accepta.

Qu'il en soit ainsi, Duchesse. Je recevrai votre frère. Il pourra voyager à mes côtés même s'il le désire, et sera alors traité comme s'il était de mon sang. Je pars bientôt pour le Languedoc, en revanche. S'il n'est pas à Paris, il m'y rejoindra, j'espère. Et pourquoi pas vous ?
Je logerai chez la Duchesse d'Auxerre.

Et au train où allaient les choses, il faudrait bientôt deux Hôtels mendois pour loger ce petit monde gravitant autour des Altesses Royales et Impériales.

Les ailes se déployèrent à nouveau, et c'est un mouvement d'au-revoir qui tendait à s'esquisser.

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Elianor_de_vergy
La poupée baissa les yeux quelques secondes et rosit sous le compliment inattendu. Sans vraiment se demander d'ailleurs s'il était fondé. C'était là l'un des défauts de la duchesse: elle résistait fort mal aux compliments. Même si son éducation lui avait enseigné à répondre en les minimisant, afin de ne pas paraître immodeste.

Sa tâche était des plus lourdes, Altesse. Tant mieux si mes maigres efforts lui ont permis de se distraire à l'occasion.

Le silence retomba ensuite sur la pièce tandis que le jeune prince réfléchissait à sa demande. Elle commençait même à craindre de l'avoir offensé lorsqu'il reprit la parole pour accepter. Au grand soulagement de la jeune femme, qui espérait que la princière compagnie l'aiderait à remettre son jeune frère sur le droit chemin. C'est donc une poupée sincèrement reconnaissante qui répondit à l'Aiglon.

Je vous remercie, Altesse. Mon jeune frère n'étant pas actuellement à Paris, je vous l'amènerai donc directement en Languedoc. J'espère pouvoir également, à cette occasion, vous amener le document scellé par mon époux.

Autrement dit, elle allait passer ses prochains jours à courir les monastères pour en sortir ses frère et mari récalcitrants. Réjouissante perspective non?

Mais pour l'heure, l'entretien touchait à sa fin et il était temps de prendre congé avant de devenir importune. Elle se releva lentement, prenant soin de ne point appuyer son poids sur sa mauvaise jambe, et inclina la tête en guise de salut.


Ce fut un réel plaisir de faire votre connaissance, Altesse, pas seulement un honneur. Je vous donnerai dès que possible des nouvelles de vos affaires, je m'y engage. Et que le Très Haut vous conserve sa grâce, Altesse.
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Charlemagne_vf
A nouveau jour, nouvelle audience.

L'Aiglon s'ennuie. Paris, c'est moche. A Paris, son carrosse s'est fait emboutir par celui d'une perruche en mal de mâle. A Paris, il n'a rien à faire. Que fait un Héritier approchant la quatorzaine dans la Capitale ? Rien. Il se tourne les pouces.
Certes il y a les leçons. Certes il y a les lectures que se doit d'ingurgiter toute bonne éminence grise en devenir. Mais une journée, c'est long. Et Charlemagne ne reçoit pas. Il n'aime pas le Monde, et voir quelques fardées danser la pavane dans ses salons ne lui sied pas.
Il écrit. Il se tient au courant de la gestion de ses fiefs, et tente, avec le concours de la Duchesse de l'Aigle, d'y comprendre quelque chose. Mais il s'ennuie, s'ennuie, s'ennuie.


Je m'ennuie.

Mais le tableau poussiéreux de Charles de Castelmaure a toujours le même regard vide. Il doit s'ennuyer, lui aussi, sur sa cheminée depuis près de vingt ans.
Il faut s'amuser un peu. Un bouffon ? Non. Il est mieux de s'amuser d'une chair fraîche à faire mariner un peu.
L'on pourrait inviter - convoquer - Isaure Wagner, la nouvelle Von Frayner pour savoir où en sont ses menstrues. Ou encore Jade de Sparte, pour savoir où en sont ses ambitions impériales qui ne sont un secret pour personne. Ou alors...Aimbaud de Josselinière !
De même que Béatrice le vit émerger comme un parti idéal pour sa vassale, le Prince voit soudain en lui le Salvateur. On le dit drôle en plus.

Quittant un poussiéreux exemplaire de "Comment arracher aux mouches leurs ailes sans se salir les doigts", le Prince monte à son cabinet. Là, il trouve plume, vélin, sable, encre & cie, et dans des mouvements machinaux, il écrit.


Citation:
A Aimbaud de Josselinière, Marquis de Nemours, Duc de Corbigny, Seigneur de Decize et d'un autre endroit dont l'importance est moindre,

Mon Vassal.

Je devrais vous avoir déjà rencontré. Vous auriez dû me faire la joie infime d'une visite.
Je n'aime pas être privé d'un plaisir, alors je vous invite non sans insistance en l'Hôtel Castelmaure sis en Paris.
Il serait de bon ton que vous veniez seul, car j'ai déjà rencontré votre épouse.

Donné à Paris.

S.A.R. C.d.C.
Prince de France. Duc du Nivernais & de Bolchen. Vicomte de Chastellux & de Baudricourt. Baron de Chablis, de Laignes & de Thuillières.

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Aimbaud
Sitôt arrivé en Anjou, à peine ses bottes posées sur cette terre natale si longtemps quittée, son couvre-chef juste ôté et son bec prêt à s'ouvrir pour dire à Clémence de l'Épine "Regardez,ma feûmme, c'est ma terre, où je chevauche ! Mon château, le vin que je bois ! Qu'on y touche pas ! C'est mes cousins, autour de moi !"(*), sitôt arrivé donc, pas le temps de prononcer quoi que ce soit car le jeune marquis s'était fait cueillir comme pâquerette par le messager Castelmaure.

Mais que... pourquoi ? J'ai rien fait. C'est pas moi c'est ma femme ! Se justifia-t'il, en fixant le messager pour le prendre à parti.

Qu'est-ce qui pouvait bien lui valoir cette convocation ? Il n'y avait eu ni disette ni feu sur ses terres. Il avait payé ses tributs. Il avait fait allégeance vite fait bien fait. Il n'avait pas tabassé ses petits camarades à la récré, alors que lui voulait le dirlo ? Et pas de joker "Clémence" autorisé. Ça sentait le vieux fromage qui pue, cette affaire.

Grave, il annonça à sa Marquise qu'il devait s'absenter pour affaire. "Pour affaire" c'était neutre, c'était bien. S'il avait fait l'erreur de dire "Je vais voir votre suzerain." elle aurait répondu "Je viens.", et si elle avait dit "Je viens." il aurait été forcé de dire "Il ne souhaite pas votre présence." Elle lui aurait donc fait violemment la tronche. Et c'est en fait exactement ce qui se produisit, puisqu'elle se hâta (sûrement pétrie d'idées tordues et accusatrices) de lui demander il allait. En conséquence, l'ambiance conjugale s'avérait encore une fois bien joviale quand Aimbaud prit la route de Paris.

Quelques jours de tapage de cul sur une selle plus tard, il se présenta pluvieusement aux portes de l'Hotel, suivit par deux valets qui restèrent en retrait sur le palier. Un orage les avait surpris en route, aussi la toque du marquis gouttait maintenant à intervalle régulier sur le devant, ce qui le faisait tiquer de la paupière. Il se fit annoncer.


*Pardon !...

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Charlemagne_vf
L'ennui avait été long. Le Josselinière avait trouvé malin d'aller se planquer en Anjou quand le coursier le cherchait en Bourgogne. L'Anjou ! Le Prince avait jugé l'idée vulgaire : non seulement, il avait du renvoyer la missive jusqu'à cette terre hostile, mais en plus, il s'était pris à imaginer sa vassale bousculée par des angevins avinés, criant comme la femelle qu'elle était.
L'Infant ne s'inquiète pas, mais si l'on touche à Clémence, l'on touche à une Marquise, et à sa Maison.
Il voyait déjà l'affront. Il le voyait partout l'affront d'ailleurs.
Comme l'attente. L'attente est un terrible manquement. Par trois fois il avait demandé :


Combien de temps faut-il pour arriver d'Anjou ?

Jamais l'on avait daigné lui répondre la même chose. Les valets savaient l'humeur changeant de leur Maître. De fait, ils avaient eu à coeur de rallonger la distance selon les jours. Cela préservait aussi un peu le frère de la bombonne du courroux de l'Aiglon.
Heureusement, il faisait un temps de chien. Le Prince préfère la pluie. C'est une question d'anticonformisme, et puis quand on ne sort pas, on se fiche bien d'avoir chaud ou froid, d'être mouillé ou pas.

Enfin ! L'on annonça l'invité. Hallelujah !
Il fut reçu, donc. Le Salon était pourpre, orné du visage d'une Béatrice de Castelmaure encore fraîche. Elle sortait du couvent.


Ainsi. C'est ça, mon vassal.

Chouette entrée en matière. Mais le "ça", c'est tout de même une chose qui dégouline, c'est un jouvenceau. Plus vieux que Charlemagne, mais jouvenceau quand même.
L'on ne demanda pas si le voyage avait paru long au Josselinière. Il avait paru long au Von Frayner, et c'était tout ce qui importait.
Les yeux guiséens s'arrêtèrent longuement sur l'époux de Madame de Decize. La première fois qu'il l'avait vu, l'Aiglon n'avait qu'à peine cherché à l'identifier, dans la Cathédrale nuptiale. Or, depuis, il avait été éveillé à la sensibilité charnelle. Il n'y pouvait rien : son corps s'était pris à murmurer sans qu'on puisse le faire taire.
L'esthète ne regardait plus seulement les gravures et les sculptures de ses Palais. Il en regardait les gens, les soldats, les cuisinières. Tous des laiderons. Tous des brutes. Tous des roturiers, en somme : un divertissement bas.
Aimbaud, lui, était une toute autre marchandise. Haute naissance. Haut mariage. Haute noblesse. Un égal ou presque. Il méritait une considération certaines, et le Fils de France s'en était déjà fait une image solide et idéale : à la hauteur de la déception.
Voyant Yolanda, l'on eut pu pensé que son frère fut fort. C'était un gringalet.
Voyant le Frère de Charlemagne, l'en aurait pu penser que c'était un nain. Eh bah non. Mais ça, allez l'intégrer dans l'esprit si étriqué de qui se croit Maître du Monde.
Ainsi, faute de se distraire du moindre attrait physique, il faudrait essayer d'en tirer un quelconque intérêt intellectuel. Mais n'est-ce pas tout aussi jouissif ?


Clémence a-t-elle été triste que vous partiez ? Ou est-elle habituée ?

Allons-y. Clémence d'abord. Il ne faudrait pas l'avoir évitée pour rien.
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Aimbaud
Débarrassé de mantel et chapeau, dont le paquet atterrit en "schpluuichant" dans les bras d'un valet, Aimbaud put exécuter sa révérence face à son blanc-bec de suzerain, sans s'empêtrer les pieds dans sa cape (+1). Ainsi c'était ça, le vassal ! Ça. Et bien ça releva la tête pour qualifier Charlemagne d'un regard en deçà. Ça sentait venir l'entrevue casse-bonbon et les remarques désobligeantes qui fuseraient ça-et-là, et ça n'était pas pour s'en réjouir. Ça s'y préparait psychologiquement pour éviter de répondre vilement, sinon ça allait être la çatastrophe.

Mais enfin Aimbaud releva le front, qu'il avait barré par une ligne de sourcils noirs, pour mieux étudier son suzerain. Y'avait-il un meilleur point-de-vue que celui d'en haut ? Et il étudia. Mais comme les études l'avaient toujours fortement saoulé, il cessa vite l'exercice. D'abord il n'y avait pas grand chose à étudier. Dès la première minute, Charlemagne lui avait tout de suite évoqué l'allure de ces tire-au-flancs que, jadis, il victimisait avec talent durant ses premières années dans l'armée de Bourgogne... En vertu de ces bons souvenirs, il qualifia désormais le jeune Von Frayner d'un regard nostalgique et attendri.


Clémence ? Triste ? Euh.

Et il avait de l'humour !

Je ne sais trop. Mais elle sera tranquille, car je lui ai fait dire que mon retour ne tarderait pas. Sûrement cet entretien ne durera pas trois jours ?

Un petit sourire entraînant, pour ponctuer.
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Charlemagne_vf
Le regard nostalgique et attendri déplut à l'Aiglon qui voyait là une espèce de condescendance malsaine qui disait : "Pauvre gosse, ta mère est morte."
Charlemagne n'est pas un expert lorsqu'il s'agit d'identifier les expressions humaines, et en bon égocentrique, il n'imagine pas que ce puisse être autre chose que de la pitié mal placée ou de l'admiration mal rendue.
Le Josselinière le regardait de haut, et ne lui faisait même pas sentir qu'il lui était pourtant inférieur. Le regard guiséen se mit à briller légèrement : c'était un défi. Rien que ça.
En plus d'être indélicat, le vassal, "ça", avait franchement l'air ahuri. A se demander s'il savait ce qu'il foutait là. Il faudrait l'aiguiller.

Clémence n'était donc pas triste de savoir son époux au loin. Instructif.
Un entretien. Trois jours. Drôle d'idée : le Castelmaure n'avait pas besoin d'entretien, il avait besoin de distraction, et il était à Paris pour un moment.


Alors vous faites dire des choses dont vous n'êtes pas sûr ?
Trois jours. C'est court, vous savez, trois jours, pour...connaître quelqu'un. Je ne suis pas inquisiteur, Moi.


Le Prince était un garçon expéditif et franc. Toutefois, il aimait faire durer les choses lorsqu'elles se jouaient en sa faveur, et tant qu'elles lui plaisaient.
L'Héritier se posa dans un fauteuil. C'est ridicule de rester debout.
Il scruta le Josselinière. Il n'avait pas grand chose de sa soeur :


Vous n'avez pas grand chose de votre soeur.

Elle, c'était une fille. Déjà.
Cela ne suffisait pas à alimenter une conversation quelconque. Nul n'attendait de réponse d'ailleurs. C'était un fait, un simple fait.


Aimez-vous Clémence ?

En avant. Lancement des hostilités, ou plutôt des cérémonies.
Derrière une question toute con, le Prince cherchait en réalité à connaître les rouages d'un mariage bien ficelé et arrangé. Aimbaud était le mignon d'une Marquise. Le faible qui épouse la grande.
L'Infant serait le grand dans sa configuration. Alors il devait savoir quel genre d'oiseau on lui collerait entre les pattes.

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Aimbaud
Pas inquisiteur ? Pas inquisiteur... Elles étaient quand même sacrément inquisitrices ses questions, au petit malpoli. Évidement, si ce morpion n'avait pas le sang si bleu (à la limite fluo), le Josselinière se serait contenté de lui botter le cul en lui apprenant que la curiosité était un vilain défaut et qu'il allait passer deux heures au coin les mains sur la tête, pour son indiscrétion. Mais l'ennui là, c'était que le petit avait tous les droits, et que le bottage de cul pouvait très bien venir de l'autre côté.

Aimbaud écouta donc sereinement les remarques du petit Prince, lequel allait peut-être bientôt lui demander de lui dessiner un mouton, et il faudrait bien alors qu'il obéisse ! Il n'était pas encore agacé, juste las que la malchance ait voulu qu'il fut désigné pour traverser un bout du Royaume afin que la jeune Altesse puisse l'entendre parler de ses problèmes de couple. Il commençait à comprendre le rôle qu'on lui assignait, à savoir : une arme de distraction massive.

Mais la question sur Clémence laissait entendre une sorte d'inquiétude suzerainesque ! En vassal attentionné — ou juste soucieux des apparences — Aimbaud voulut y répondre au mieux.


Eh bien, si cela peut vous rassurer, en tant qu'aristotélicien fervent, je sais que le sens de la vie est amour ! Et je vous prie de croire que Clémence occupe une bonne partie de ma vie. Déduction faite, je l'aime. Hormis cela, comme vous le savez, il est tôt pour juger car notre mariage est jeune.

L'Enfançon croyait peut-être encore aux mariages d'amour, il n'était pas bon de briser ses rêves par un constat trop amer.

En attendant, Aimbaud était debout quand Charlemagne était assis, l'un tapotait de la semelle quand l'autre épousait un fauteuil moelleux, et l'heure ne semblait hélas pas venue de les mettre sur un pied d'égalité en matière de confort... Tant pis ! Le marquis gouttait sur le sol avec immobilité. Et puis quoi, après une petite de semaine intensive de voyage, on dira que cela faisait du bien de se dégourdir les pattes ?

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Charlemagne_vf
Ce n'est pas parce que le sens de la vie est amour que celui du mariage l'est.
Et puis. Vous n'arrivez pas même à vous convaincre.


La très brève digression sur le sens de la vie était franchement approximative. Charlemagne, élevé par un réformé hérétique repenti ayant abjuré - rien que ça - avait une notion volontiers erronée de ce qu'était la religion aristotélicienne. Il avait certes lu le Livre des Vertus et quelques hagiographies, mais il préférait, et de loin, de vieux traités poussiéreux sortis de la Grèce Antique, ou encore le théâtre. Le ramassis d'idiotie qui faisait loi sur le spirituel n'était qu'un vague code de bienséance, que le Prince n'observait que par conformisme et parce que s'il avait du y comprendre une chose, c'était qu'il n'y avait d'autre choix que de passer par là.
Il se ferait baptiser par un Cardinal. Il se marierait devant un Cardinal. Il se ferait enterrer par un Cardinal. Comme tout le monde, ou presque.

Ainsi, Aimbaud se piquait de déduire qu'il aimait Clémence.
Le brave petit. Sauf que le Duc du Nivernais n'a guère d'inquiétude suzerainesque en fait. Une façade, tout au plus, et qui semble parfaitement trompeuse.
S'il s'intéresse à la Marquise, c'est surtout parce qu'en bonne vassale, elle doit le représenter partout, et qu'elle ne saurait le faire avec une tête de déterrée.


Pensez-vous que ma mère a voulu vous voir mariés pour vous aimer davantage que pour allier vos Maisons et vous assurer une descendance mutuelle ?

C'est que l'affaire, le Fils de France y est rôdé : d'abord, il doit marier son cousin Salvaire à la Comtesse du Gévaudan parce qu'il était dit que la Baronnie de l'un devait être alliée au Comté de l'autre. Ce n'était pas tant une affaire d'homme et de femme que de territoire.
Les épousailles ne sont qu'un moyen bien pratique de sceller la chose.
Lui-même...il va en parler.


Depuis quelques années, il paraît que je suis promis à une Princesse Bretonne, à une petite nièce, à une Marquise Impériale et plus récemment à une Vénitienne. Devrais-je les aimer alors que je ne les ai jamais vues, parce que c'est le sens de la vie ?
Et le mariage conditionne-t-il l'amour ? Je veux dire...ne peut-on aimer en dehors de cela ?


Sous des airs dédaigneux, c'était une vraie question. L'Infant n'aime pas, ou peu. S'il vient à se mettre en émoi devant un être vivant - ou pas - il préfère de loin le garder pour lui.
Alors : doit-il être question d'amour dans tout cela ?

Enfin, il nota qu'Aimbaud était toujours debout.


Vous ne voulez pas vous asseoir ?

C'est que si on était parti pour rester là plus de trois jours, valait mieux qu'il apprenne à prendre des initiatives avec le service, le Marquis.
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Aimbaud
Si.

Le marquis de Nemours prit siège en face du prince avec un nouveau bruit shpluuitchant. Il décolla un peu le devant de son pourpoint pour être plus à son aise, et testa la bonne tenue du coussin à l'aide de quelques menus rebondissements de séant. Le voilà désormais qui s'engageait sur la pente dangereuse de la discussion philosophique sur le sens de la vie, avec une altesse royale lettrée. Mettez un sanglier dans une boutique de porcelaine. Malaise.

Non non je ne pense pas que votre mère ait ordonné ce mariage pour autre chose qu'une alliance de... patrimoine ! Et la descendance itou. Je ne dis pas cela pour me convaincre, mais enfin, ça n'est pas qu'un contrat, c'est un mariage, bon...

Noyade de poisson en eaux troubles. Notre Josselinière converti en maître ès conférence tentait tant bien que mal d'expliquer un point de vue — de vue plutôt myope — sur l'intérêt du mariage — d'intérêt — à son juvénile suzerain. Déjà que lui-même n'arrivait pas à faire la lumière sur les avantages de son union avec l'Épine, et encore moins sur la façon d'en faire un compte-rendu...

Quant à aimer toutes vos fiancées, attendez peut-être de savoir laquelle sera votre épouse ! Enfin... de la meilleure façon de distribuer votre amour, ça, il vaudrait mieux poser la question à un prêtre. Mais sans vous chiffonner, sans rire, euh, je ne saisis pas bien, votre altesse mon suzerain. Vous m'avez fait venir pour que l'on parle de vos inclinaisons...?

Il leva deux yeux relativement anxieux sur Charlemagne.
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Charlemagne_vf
Le glissement humide du séant marquisal sur le fauteuil du Prince lui tira une grimace. Le Josselinière était le frère d'une foutue gamine détestable et bonne à claquer après l'avoir gavée assez pour la dégoûter de toute nourriture. Mauvais point. Le Josselinière était impudent. Mauvais point. Le Josselinière posait des questions aussi mauvaises que ses réponses. Mauvais point. Enfin, le Josselinière bousillait le mobilier ancestral des Castelmaure : Hérésie.
Mais au moins, il était lucide. Le suzerain n'attendait pas que son vassal aime son épouse. Qu'il l'engrosse serait une réponse à son devoir, qu'il honore leur alliance un paramètre appréciable. Qu'il l'aime était profondément accessoire, et au regard de l'Infant, ce n'était pas une question de mariage.


Si vous avez la fantaisie de l'apprécier. Soit. Mais il faudra m'expliquer la différence entre un mariage et un contrat, à vos yeux.

Puis la face diaphane se fendit d'un large sourire. Nemours, maladroit, avait posé une question excellente. Pourquoi l'avait-on fait venir ? Tout un programme. L'Infant aurait pu disserter longtemps de la question. A dire vrai, il avait des attentes particulières lorsqu'il s'agissait de ses vassaux. Ils étaient de la liste strictement tenue des gens qui vous promettent fidélité sans s'attendre à devoir en rendre compte un jour.
Lorsqu'il avait dit "oui", Aimbaud s'était retrouvé sur la liste. Sale coup du sort pour le Tranchant.
Charlemagne oublia donc ses fiancées, peu disposé à les aimer, qu'elles deviennent ou non des épouses, et se piqua de répondre non sans amusement ni ironie.


A dire vrai, je vous ai fait venir pour parler. De cela comme d'autre chose.

Il entendait finalement être franc. La vérité du pourquoi le vassal avait du venir d'Anjou aurait de quoi le perturber un rien, et par là-même, le Prince s'en verrait fort distrait.

Je regrette sincèrement que nous ne nous connaissions pas mieux. Je connais bien Yolanda. Mais pas vous. Et Paris en été...je m'y ennuie, alors j'ai trouvé que le moment était venu pour nous de nous rencontrer.

La voix muante de l'Infant sonnait pleine de tristesse à l'idée qu'il eut pu ne pas connaître ce si fameux Aimbaud, la coqueluche du tout-Paris féminin, dont le visage avait plus d'attraits que l'esprit, mais aussi un peu de la joie d'enfin le trouver sous ses yeux marine.
C'était là un grossier théâtre. Au fond, l'Altesse se fichait pas mal de mieux connaître qui que ce fut.
Il n'avait besoin que d'un ami, et s'employait à le convertir à sa cause : ce n'était pas le Marquis.
En ce dernier, il trouvait plutôt un potentiel bouffon pour la Cour Nivernaise. Quel dommage qu'il fût si bien né.


Votre route fut sans doute longue. Il faudra plus de trois jours pour vous en remettre. Je vous ai fait préparer des appartements.

Comme Dracula piège Jonathan Harker, Charlemagne emprisonne Aimbaud. Il n'y a, de toutes façons, qu'au détriment des autres que l'on peut prétendre prendre son pied.
Le Prince prit alors une position moins droite et plus détendue, lançant un très artificiel :


Alors. Qui êtes-vous ?

Que la psychanalyse commence.
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Aimbaud
Dracula ! Il était piégé. Trois jours ! Trois jours à parler. PARLER ! À parler de LUI. Il allait se faire décortiquer comme une MOULE. Ça sentait vraiment le PÂTÉ cette rencontre... Telles étaient les pensées d'Aimbaud à la seconde où les deux pupilles princières vinrent reluquer les siennes, s'y planter et y installer leur campement pour une durée indéterminée.

Lui vint l'idée de commencer une battle de regards, avec de petits tics de paupière, ce qui aurait peut-être l'avantage de lui faire remporter une première victoire sur ce freluquet intellectuel mal coiffé qui comptait le retenir TROIS JOURS à Paris, alors qu'il avait la capitale en horreur, et plus encore la cour du Louvre, et plus plus encore les jeux cérébraux qu'on y faisait : "Oh oui très chère altesse, je vous défie, hihihihihi, faites rimer Flûte avec Turlute, Fougère et Camembert ! Ah que l'on s'amuuuUuuse.", entre une partie de cartes ennuyeuse à se trouer la cervelle à l'arbalète, et une énième lecture de la chanson de Roland Barthes.
Oui, Aimbaud haïssait fréquenter la cour, malgré tout le respect que sa condition l'obligeait à vouer aux Rois. Il s'y sentait mal-à-l'aise, il s'y ennuyait, et en sus, dans ce genre de réceptions, il n'arrivait jamais à trouver où étaient les toilettes !

Il était d'une espèce encore mal adaptée aux changements nobiliaires. Passé trop vite de "fils de", à seigneur, combo Marquis, combo Duc, sans prendre le temps de faire des paliers de décompression, il s'était vu propulsé à la vitesse de la lumière dans le tube mortel de l'ascension sociale. Un danger par trop méconnu, l'ascension sociale ! Le risque était, hélas, arrivé tout en haut, de passer pour un... con.
Pas de "Mais euh ze voulais juste êtreuh sevalier moi euh..." qui tienne. Taratata ! Niet ! Pas de "Clémeeence ?... Elle est où Clémence ?". Il était seul, face à l'intellect supérieur. Il était... arbre. Face au bûcheron. Ce qui, soit-dit-en-passant, le fit sourire un quart de seconde, car il imagina Charlemagne avec une hache et de gros mollets poilus dans la forêt. Reprise du sérieux.

Aimbaud n'entama pas de battle de regards. Il se contenta de tapoter son accoudoir, puis de faire craquer pensivement une, non deux, trois, toutes ses phalanges en circulant des yeux, aux alentours d'un lustre plaqué or — duquel pendaient, figées, des coulures de cire dont le lecteur n'a que faire, sachant pertinemment que le narrateur cherche par là à gagner du temps pour permettre à son personnage de trouver quoi dire — pour enfin ouvrir le bec !

Alors. Qui était Aimbaud de Josselinière ?


Hum. Alors. Vous connaissez mon nom et sans doute ma famille, pour avoir parlé à ma soeur. Donc... Je ne sais trop que vous dire ! Faut-il parler de mes occupations, de mes goûts ? Du caractère, des fréquentations, de la façon dont je gère mes terres ? Et si je fais tout ce récit, en y mettant partout du "moi" et du "je", vous n'allez pas vite vous mettre à me bâiller au nez ?

Franchement, hein ? Et si le Prince ne s'en décrochait pas la mâchoire, sûrement lui-même le ferait. Il hésita en tapotant du pied, avec l'envie subite de prendre la clef des champs, avant d'ajouter rapidement pour sa défense :

Puis-je écrire à ma femme, pour lui dire que je suis retenu ?
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Charlemagne_vf
Le massacreur de fauteuil d'un bois sorti de chez les meilleurs menuisiers nordiques et recouvert d'un des plus beaux velours de Gênes se piquait d'être insolent et franchement chiant.
L'Aiglon n'est pas bavard. Soit. Il considère que chaque mot dit en l'air est un mot qu'il ne pourra plus dire un jour où il voudra parler bien et utilement. De fait, il lui est fort agréable d'écouter et d'entendre les autres. Le Prince aime les histoires. S'il ne les lit pas, il se les fait lire. D'ailleurs, il a demandé que ses Gardes sachent lire, ce qui le fit passer pour un original auprès de ses précepteurs relégués à l'éducation du petit personnel. Et après tout, n'était-ce pas un Charlemagne qui avait inventé l'école ?

Mais non. Le Josselinière est avare en parole. Et lui, l'Infant gage aisément que ce n'est pas par souci d'économie, mais plutôt par pauvreté d'esprit. Il soupire.

La façon dont est gérée Decize peut m'intéresser, tout autant que vos goûts et vos loisirs. Vos fréquentations, l'on m'en a déjà dit mot, et celui qui se pique d'épouser une Marquise ne les doit pas avoir mauvaises. J'imagine.

Quant à piquer du nez, si c'était la crainte de Nemours, il risquait d'être déçu. Le Fils de France est un foutu insomniaque. Si par bonheur, les paroles de "coupe au bol" arrivaient à le faire somnoler, il gagnerait immédiatement la sympathie du Suzerain avec en prime l'obligation de rester en tant que "Conteur officiel de Son Altesse, mention berceuses et histoires de vie".
Et puisque le sommeil voulait déjà s'échapper, il fut retenu, selon ses propres termes.

Parlez, et vous écrirez après. Je dois moi aussi écrire à Clémence. Qu'elle sache quel bon traitement vous est fait.

Non, l'on ne dira pas qu'un Von Frayner ne sait pas recevoir ses hôtes. L'hospitalité, c'est sacré. On l'offre et on la reçoit sans broncher. L'on n'est pas retenu à proprement parler. L'on est plutôt tenu de rester. Nuance, et pas des moindres.
Ainsi, sûr de lui et de sa bonté infinie, le Castelmaure était tout ouïe.

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