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[RP] Puisqu'il nous faut nous séparer d'ensemble

Actarius
L'idée lancinante d'une pureté sans nulle autre pareille l'étreignit avec une puissance affolante. De ce sourire qu'elle lui offrait émanait une lumière insoutenable, éblouissante comme si elle était demeurée prisonnière des glaces durant des siècles. S'il avait cherché, fouillé dans ses souvenirs, jamais il n'aurait trouvé trace d'un éclat similaire. Cette quête avorta dans son inconscient tout entier baigné de cette aura chaleureuse, bienveillante, tendre même. Alors que tous les signaux avaient désigné un drame irréversible dans cette chambre d'auberge, rien ne présageait plus désormais d'une issue tragique. La main douce et pâle, arrimée à la sienne, attirait son regard fasciné. Tant de différences, tant d'obstacles s'étaient dressés, se dressaient et se dresseraient encore devant eux. Cependant, les frontières entre leur deux univers s'étaient unies au point de disparaître. Ils se rejoignaient pleinement dans leur solitude respective, dans leurs doutes et dans leurs faiblesses. Ils se rapprochaient, se comprenaient, parlaient enfin. Le moment tendait vers le sublime, vers l'infini. Il deviendrait un point d'ancrage, une source où se désaltérer d'espoir et de promesses, marquerait une rupture peut-être définitive avec ce dédale conflictuel dans lequel ils s'étaient égarés si souvent.

Ils se tenaient l'un à l'autre, s'accrochaient même l'un à l'autre, comme ils s'accrochaient à la rareté de ce partage sans nuance. Dans son coeur d'oc, le sentiment d'urgence se dissipait, le besoin s'éclipsait. Il s'emplissait d'elle et plus que tout n'aurait jamais souhaité y mettre un terme. Il le fallait néanmoins. Pour elle, pour lui, pour eux. Elle s'abandonnait entière mais la précipitation, la fougue qui le caractérisaient, rouvriraient des plaies, réaffirmeraient les différences, les culpabilités réciproques. Souffler une bougie pour ne pas risquer de se priver du soleil. Il se leva sans rien briser de leur communion, il contourna la table sans lâcher sa main et posa un genou devant elle tout en attirant sa frêle prisonnière contre son coeur. Les doigts se délièrent, se défirent des siens pour que la paume de la Bourguignonne épousât cette puissante poitrine qui ne vibrait plus que pour elle.


Votre Altesse, fermez les yeux et ressentez ce coeur. Un murmure rien de plus qu'un murmure dispensé avec douceur pour ne surtout pas briser la sensation qui devait envahir la Prinzessin. Ne soyez pas effrayée, il ne vous veut aucun mal, entendez ce que mes mots ne peuvent vous dire... Les lieues qui vous sépareront de moi n'y changeront rien. Nous resterons ensemble. Ces instants nous accompagneront toujours. Il ne faut pas les briser, il ne faut pas les noircir. Ses yeux cherchèrent les siens presque malgré lui cependant qu'il se redressait. Délicatement, il éloigna la main adorée de son buste, doucement il la serra encore dévoilant petit à petit son intention d'aider le Roy d'Armes à se relever. Je ne veux pas vous laisser, je voudrais tant vous garder près de moi, glissa-t-il encore de sa voix rassurante par ses inflexions graves et douces. Vous devez partir... Avant qu'il ne fût trop faible pour résister à l'envie de l'étreindre, avant qu'il ne s'abandonnât à un geste déplacé, avant qu'il ne succombât à son instinct. Elle ne lui pardonnerait pas, il ne se pardonnerait pas de tout gâcher, de tout remettre en cause. Il se devait d'être fort, de ne pas accentuer ce mal encore trop présent en son esprit tourmenté, de ne pas profiter de ce qu'elle considérait encore comme une faiblesse.

Elle lui avait demandé son aide, il lui répondait favorablement sans se travestir. Car il demeurait fidèle à ce qui coulait désormais dans ses veines avec ses origines, avec son instinct, avec sa franchise: son amour pour elle. Pouvait-il vraiment succomber, tout noircir ? Il le pensait assurément. Mais ces gestes mesurés, cette force de ne pas s'abandonner à ses passions faisaient désormais partie de lui au même titre que sa fougue. Il ne ressentait plus cet amour. Il le vivait, sans en avoir conscience, et évoluait avec lui. Nulle volonté d'être ce qu'elle désirait ne se dissimulait sournoisement derrière cette voix de la raison. Elle était en lui et indéniablement il tendait vers elle ou plus exactement vers eux, vers la communion. Certaines barrières gisaient désormais sur le sol de cette auberge biterroise.

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Ingeburge, incarné par Actarius



Malgré les épreuves connues, malgré les revers de fortune, malgré les coups pris, Ingeburge avait conservé nombre de certitudes et la principale tenait à elle-même, à sa force, à sa détermination et à sa faculté à se relever et à repartir au combat. Elle n'avait pas eu le choix, connaissant l'exil dès son plus jeune âge et contrainte en conséquence de se débrouiller seule. De noble naissance et de famille aisée, son destin était de se laisser vivre et porter, d'accepter les décisions fixées par ses parents qui se résumaient en un concept : un mariage suffisamment honorable pour les élever davantage. Mais la guerre en avait décidé autrement et dès ce jour, la solitude et l'obligation de s'en sortir par elle-même avaient été ses uniques compagnes. De cette lutte pour survivre et accomplir la volonté de son père et de sa mère, elle avait acquis conviction, volonté et solidité et s'il lui arrivait de vaciller face aux tumultes de l'existence, elle ne s'effondrait pas. Actarius d'Euphor avait conquis la forteresse de son être, il avait percé ses défenses et elle s'en rendait physiquement compte maintenant qu'il dégageait ses doigts des siens. Pourquoi? La question claqua dans sa tête, annonciatrice d'une panique qui lui était étrangère. Il s'était levé, sans un mot, sans faire retour à ce qu'elle avait encore avoué – pourrait-elle jamais se taire en sa présence? – et rien que ce silence lui avait fait perdre pied. Et voilà maintenant qu'agenouillé devant elle, geste qui l'avait quelque peu calmée, il entreprenait de se défaire de son emprise. Ses yeux s'ouvrirent largement, incrédules, miroir de sa surprise, mais celle-ci fut rapidement balayée par une émotion bien plus violente qu'Ingeburge ne parvint à nommer. Le vicomte du Tournel venait de guider sa paume contre son torse et sous sa main étalée tout contre lui, elle pouvait sentir les battements de son cœur. Elle en fut bouleversée, plus qu'elle ne l'avait jamais été, plus encore que lorsqu'il l'avait attirée dans ses bras dans la cour de l'Hôtel de Clisson car il y avait dans son mouvement une sérénité et une confiance là où jusque lors l'urgence et l'insécurité dominaient. Une vague de chaleur la traversa et dans son visage aux joues érubescentes, ses prunelles se firent timides. Il parla, elle retint son souffle.

Fermer ses yeux? Le scepticisme entama la réserve, elle reprenait pied, sa nature circonspecte se voyant chatouillée par cette requête. C'était curieux qu'il intimât pareille recommandation, pourquoi diable lui demander de fermer ses yeux? Mais il semblait si convaincu, si sérieux et il l'était si dangereusement de surcroît qu'elle ne résista pas plus longuement et abaissa ses paupières. Elle n'aurait pas dû, il lui faudrait se montrer moins docile quand il lui dispenserait d'autres conseils du genre car privée de sa vue, elle percevait de manière plus prégnante ce cœur qu'il lui demandait d'écouter et dont il traduisait les paroles, au cas où. Sa main frémit et Ingeburge eut envie de glisser de son siège et de s'agenouiller à son tour pour se lover entièrement contre la poitrine du Phœnix. Mais le souhait resta à l'état de chimère, elle était trop secouée, trop étonnée, trop perdue pour libérer le peu de spontanéité qu'elle possédait. Puis, il remuait après tous ces mots caressants qu'il venait de murmurer et dont le sens lui échappait quelque peu. Elle rendit ses yeux pâles à la lumière et le vit ainsi finir de se lever, les siens posés sur elle et dans la prolongation de son geste, elle se mit également debout. Il n'y eût son regard ardent qu'elle aurait protesté quand il avait éloigné sa main mais il regardait et tenait encore ses doigts orphelins de son corps et de son cœur et il parlait aussi. Toujours à mi-voix, il révéla qu'il ne voulait pas plus qu'elle parte, qu'il ne souhaitait pas davantage qu'ils se séparent et elle goûta à cet instant parfait où tout entre eux se coordonnait, malgré les différences, malgré le mal qu'ils s'étaient fait, malgré les désaccords qui n'avaient en fait pas été réglés.

Mais l'instant de grâce se brisa en mille morceaux quand dans un souffle le verdict tomba : elle devait partir. Toute la tendresse contenue dans la sentence, toute la caresse de ce chuchotement ne purent rien contre l'impression qu'elle eut d'être repoussée. Mais comme il disait – elle comprenait maintenant, du moins le croyait-elle – il ne fallait pas tout noircir, il fallait protéger ce partage comme une fleur rare, précieuse et délicate, il fallait préserver cet échange comme l'on préserve un feu. Alors elle tâcha de ne pas se montrer négative, de ne pas se vexer car après tout, il n'était pas en colère même si ce ton bas et cette économie de mots lui paraissaient inquiétants. En outre, elle n'avait rien fait de mal, il avait passé sur ce qu'elle avait pu dire d'irritant, ils étaient au-delà de leurs habituelles querelles, ils étaient ensemble, ils formaient un tout comme jamais auparavant. Non, elle n'avait pas commis de faute, elle avait même fermé les yeux alors que cela lui avait paru un peu idiot, obtempérant plus ou moins docilement mais obtempérant tout de même. Prenant sur elle, elle espéra que sa déception n'avait pas altéré ses traits, ses efforts pour tenir sa langue sinon seraient vains. Il la contemplait, ne cessait de l'observer : il verrait et inévitablement l'interrogerait. Mais déçue, elle l'était, elle ne comprenait pas pourquoi il la congédiait alors qu'elle avait fait savoir qu'elle ne voulait pas le quitter. Ne s'était-elle pas montrée claire et résolue? N'avait-il pas entendu? Elle était sûre d'avoir été totalement transparente et d'avoir adopté le comportement en relation. Malgré elle, elle laissa échapper, car son départ n'était pas immédiat, il y avait du temps avant qu'elle monte en voiture :

— Mais nous ne sommes pas demain.

Non, plusieurs heures s'égrèneraient avant le jour suivant, il y avait toute une nuit qui devait s'écouler et il ne tenait qu'à lui qu'ils pussent la partager ensemble, tous les deux. Elle se figea, une idée s'imposant à son esprit. Mais bien sûr! Elle n'avait pas été si déterminée que cela puisqu'elle avait indiqué que la situation était inconvenante et il avait dû se fixer là-dessus et non sur le reste. Ce n'était pas le principal, c'était secondaire et ce qu'elle avait dit ensuite aurait dû être pris en compte et il aurait dû le comprendre. Malgré cette nuance, ses intentions ne faisaient pas de doute : elle voulait rester avec lui, elle désirait qu'ils partagent tous les deux, loin du monde, dans leur univers propre les dernières heures qu'on leur accordait encore. Et voilà qu'il faisait fi de son désir, qu'il l'écartait de ces mots peut-être raisonnables mais si cruels. Pourquoi ne comprenait-il pas? Pourquoi refusait-il sa présence? Ce devait donc être chose, la raison de ce rejet était à dénicher ailleurs car elle n'aurait pas pu être plus intelligible, car à la fin comment pouvait-on affirmer autrement que l'on veut rester? Que devait-elle faire pour lui prouver que ce qui lui importait c'était d'être avec lui encore un peu? Pourquoi ne la croyait-il pas quand elle faisait preuve d'une totale honnêteté? Il lui avait reproché d'avoir menti, alors qu'elle n'avait fait que taire certaines choses et maintenant qu'elle était sincère, il semblait en faire fi. Non, rien ne venait expliquer ce refus de sa compagnie et elle commençait à perdre pied, à être persuadée qu'il s'éloignait. Ce bannissement se matérialisa par sa main qu'elle retira brusquement de la sienne et le pas tout aussi soudain qu'elle marqua pour reculer. Elle butta contre le siège qu'elle avait occupé quelques minutes plus tôt quand lui devant elle avait formulé une promesse venant s'ajouter aux autres. Elle grimaça, s'étant fait mal, mais rien ne valait la désarroi qui venait de fondre sur ses épaules, rien n'était comparable à la douleur quand elle comprit que tout ce qu'ils avaient édifié était fragile et vulnérable. Il suffisait d'un soupir ténu pour ébranler l'ensemble. Blessée, elle éructa :
— Vous me chassez.

Rien de plus pourtant ne vint là où ordinairement elle aurait donné libre-cours à son exaspération. Il ne fallait rien noircir et il avait eu raison, il avait tout à fait raison, sa recommandation sonnait désormais comme une funeste prédiction. Alors, pour ne pas ajouter au drame, elle fit davantage marche arrière, tâchant de repousser tout à fait le fauteuil qui résista et de fait la déséquilibra. Vacillante, elle se rattrapa à la table, posant sa main sur son manteau et elle contempla celui-ci qui semblait lui aussi, en se rappelant inopinément à elle, la convaincre qu'elle était éconduite. Comme si elle avait été brûlée par le contact du riche et lourd vêtement, elle retira sa paume. Il lui faudrait pourtant y revenir puisqu'elle... « Vous devez partir »... devait partir. Partir.
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Actarius
Cette paume "brûlée" fut bientôt rejointe. Trois mots avaient suffi à lui faire entendre le malaise, la rupture, à mouvoir ce corps jusqu'à elle, à tendre sa main jusqu'à la sienne. Son regard rassurant chercha à se mêler aux opales. Qu'il aurait aimé en cet instant la serrer contre lui, glisser sa dextre dans ses cheveux. Mais il ne fallait pas. Il ne devait pas s'abandonner à son envie, écouter son instinct. Ce moment précieux devait perdurer malgré cette brisure, la communion s'éterniser au-delà des premières ombres indissociables d'une séparation. Ses lèvres, légèrement empourprées de ce désir d'absolu, se désunirent et libérèrent quelques mots. Je ne vous chasse pas,lui pria-t-il de croire toujours murmurant. L'élan de franchise, de partage restait trop présent pour qu'il se contentât de non-dits. Parler, se dévoiler encore, s'ouvrir à elle. Vous êtes venue vers moi, vous vous êtes livrée à moi, vous m'avez dit vos doutes et vos craintes. Je vous ai parlé plus que je ne l'avais jamais fait. Ce soir, nous avons partagé... nous sommes allés là où jamais nous étions allés. Et cela nos âmes ne l'oublieront pas, elles le conserveront non seulement pour les semaines difficiles qui nous attendent, mais aussi pour le restant de nos jours. Il marqua alors un temps d'arrêt, profita de cette promiscuité merveilleuse et en sourit même imperceptiblement.

Pourtant, votre Altesse, poursuivit-il animé d'une douceur et d'une tendresse à peine concevable pour un tel homme, taillé pour le combat. Si nous prolongions ce partage durant la nuit, le Mal que vous voyez encore en moi, ne ferait que croître. Vous voulez demeurer maintenant, mais demain vous vous en voudrez de vous être montrée faible et d'avoir consenti à étendre une situation déjà inconvenante. Je veux que vous demeuriez maintenant, mais demain je m'en voudrais de m'être montré incapable de vous aider. Non, insista-t-il encore mu par cette volonté, par cette force toujours prégnante de leurs échanges précédents. Je ne vous chasse pas. J'avance avec vous vers un avenir commun. Sa sénestre glissa jusqu'à la table, agrippa le tissu. Sa dextre abandonna sa prise et bientôt l'Euphor la contourna, repoussant encore le siège, et lui offrit par le geste de l'aider à revêtir le mantel. Souvent, il s’était égaré en maladresse. En la circonstance cependant, il baignait dans la conviction d’avoir raison. Le ton courroucé de la réplique qu’elle lui avait opposée ne prêtait guère à confusion. Elle lui tiendrait rigueur cette nuit-là de l’avoir "chassée", mais le lendemain, l’esprit reposé, elle comprendrait, elle ne pouvait plus que le comprendre. A force de ne plus donner corps à ce Mal, il disparaîtrait de son cœur.

Il faudrait du temps, beaucoup sans doute. Ce temps, ils le prendraient, le voleraient même, mais ne le gâcheraient plus à faire feu du nord au sud sans jamais s’accorder sur la cible. Ce soir-là, elle était apparue distinctement dans leurs horizons entrelacés. Elle s’appelait avenir, retrouvailles et amour, partage, aide et espoir. Sur leur route, ils seraient contraints d’emprunter des détours, s’ils avaient commencé de marcher côte à côte, un jour, ils la sillonneraient main dans la main. Le Cœur d’Oc n’en doutait pas tout comme il avait foi dans la nécessité de ne pas presser le pas, de ne pas courir, au risque de s’effondrer pour ne plus se relever. Cet amour ne devait plus lui être astreignant, la dévorer au point de l’amaigrir. Comment le Mendois avait-il pu être à ce point aveuglé pour ne pas remarquer ce changement criard ? Il l’avait vue déesse oubliant qu’elle était femme. Il avait contemplé une image idéale négligeant la réalité. Il avait entendu des reproches, là où elle l’appelait à lui. Il avait demandé plus là où elle consentait déjà trop. De tout cela, il s’en rendait compte désormais qu’il tenait ce vêtement, désormais que la vérité l’avait rendu à ses sens, à sa perspicuité.

Quitter ce reflet spécieux, cette chimère mélanique et enfin s’ouvrir à la lumière qu’elle lui offrait malgré les errances coupables auxquelles il s’était abandonné par le passé. De cette fougue déraisonnée du Louvre à cette révolte stupide de Clisson. De sa puissante poigne, il escomptait bel et bien refermer ce bestiaire infernal et ouvrir d’une main plus légère, moins maladroite, un livre vierge encore. Ensemble, ils en traceraient les chapitres. Lorsque la Prinzessin faiblirait, lorsque ses doigts ne pourraient saisir un manteau, alors il le prendrait pour elle, le lui tendrait, l’aiderait à s’en couvrir. Et cet acte ne consisterait plus en un sacrifice consenti à cœur défendant, il serait pur, désintéressé. Jusqu’alors, ne s’était-il pas contenté de vivre ce puissant sentiment pour elle et malgré lui ? Ne s’était-il pas complu dans un rôle de martyre ? Pourquoi s’étonner dès lors qu’elle vit le mal là où il n’affichait que faiblesse ? Oui, il s’était affirmé égoïste au fil des rencontres, avait travesti la réalité, avait fui parfois. Cette soirée-là ne marquait pas tant une séparation entre deux êtres, qu’une rupture profonde dans l’esprit vicomtal. Poussé par une volonté d’acier, un espoir peut-être un peu fou, le Phénix aspirait désormais à s’envoler avec elle et non plus à se morfondre dans ses cendres. L’attente d’une renaissance ne valait rien, rien en comparaison de cet irrépressible besoin de vivre enfin cet amour.

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Ingeburge, incarné par Actarius



Accepter de passer le manteau sur ses épaules, c'était accepter de partir alors qu'elle ne le voulait pas. Ce n'était pas le moment, il y avait encore du temps, ils avaient jusqu'au petit matin pour demeurer ensemble. Cela était-il si inconcevable? Qu'importait que demain, elle le déteste puisqu'elle était prête à l'aimer, maintenant. Il refusait pourtant, se permettant de dire qu'il voulait pourtant qu'elle reste là; néanmoins comment le croire puisqu'il avait déjà lâché cette main qu'il avait prise, spontanément, qu'il s'était saisi du manteau et qu'il était derrière elle, prêt à lui imposer cette chape symbole de leur séparation... elle ne voulait ni de la première, ni de la seconde. Accepter de se laisser habiller pour le départ, c'était également admettre qu'il avait raison, qu'elle donnait crédit à ses propos et elle n'était d'accord avec rien, réfutait l'ensemble; ils ne se comprenaient déjà plus. Il semblait confiant pourtant et elle détestait cette assurance qu'il mettait dans ses gestes et dans ses paroles, cette implacabilité inexplicable qu'il lui opposait et cette certitude de faire les bons choix. C'était mauvais, incohérent... détestablement raisonnable. Il lui parlait d'amour tout en se montrant pondéré et elle n'était pas loin de le trouver suffisant. Elle ne voulait pas mettre ce manteau qui aurait pu nourrir toute une famille durant des jours, elle n'en voulait pas de ce joug coûteux, elle voulait se rasseoir sur ce fauteuil contre lequel elle avait buté et qu'il avait repoussé, elle voulait parler, elle voulait rester avec lui, le regarder, l'écouter, elle voulait simplement qu'ils puissent se tenir ensemble, en dehors du temps, en dehors du monde, elle voulait ce qu'il avait toujours voulu et qu'il rejetait soudainement au nom d'une conviction qui lui était toute personnelle. Elle ne partageait aucune de ses vues, elle ne voulait pas partir car elle le voulait lui et ce qu'il gagnerait, ce serait non plus une compagne essayant d'être tendre mais une compagne entêtée, à la fierté blessée.

Ce fut certainement la perspective d'une nouvelle querelle qui entama ses velléités de résistance, elle savait où son orgueil était capable de la mener et elle déchirerait d'autant plus Actarius à belles dents qu'elle estimait qu'il était responsable de tous les sentiments contradictoires mais puissants qui se mêlaient en elle. Tout était de sa faute, elle en mourrait convaincue, il avait, un jour, osé penser différemment et osé lui faire connaître toute l'étendue de ses vues et considérations. Les coups qu'elle lui porterait en seraient proportionnellement violents et ils avaient trop souffert, trop lutté pour repartir dans une nouvelle bataille. Il y avait aussi le risque qu'il la chasse pour de bon, qu'il élève le ton, se montre plus entreprenant pour qu'elle plie et elle en serait d'autant plus humiliée et donc plus vindicative et acerbe. Dans tous les cas de figure, ce rendez-vous improvisé accoucherait d'un fiasco, n'était-il donc pas recommandé de limiter les dégâts, de prévenir les dommages pour ne pas risquer d'abattre le peu qu'ils avaient réussi à construire? Sur plusieurs plans, cette soirée serait décisive et à nouveau, il la mettait en position de devoir choisir, il faisait dépendre d'elle leur avenir, comme si elle n'avait déjà pas suffisamment cédé. Enfin – et la trivialité du détail ajoutait à son exaspération – elle serait incapable de mettre son manteau toute seule, elle ne savait pas, n'avait en fait jamais su, on l'avait toujours assistée pour se vêtir, dès son plus jeune âge et les années et la fortune aidant, rien en ses habitudes n'avait changé, il y avait toujours quelqu'un pour l'épauler. Et elle en serait d'autant plus incapable que les longues manches échancrées et déchiquetées de sa houppelande n'avaient rien de pratique et même, dans une certaine mesure, l'entravaient. Elle capitula, tendant le bras droit et retenant de sa main gauche les flots de tissu puis fit de même avec l'autre côté. Elle capitula... enfin presque.

Aussitôt revêtue du manteau, elle s'éloigna, rompant la proximité trompeuse, cassant l'attraction délicieusement fatale; elle courait le risque de vouloir se reculer tout à fait contre lui puisqu'elle voulait sentir l'étau de ses bras autour de son corps et le murmure de ses lèvres contre sa tête inhabituellement nue. Elle fit volte-face, les prunelles un peu frondeuses et elle demanda :

— En quoi serait-il faible de vouloir rester avec vous? En quoi serait-il faible de profiter de ces quelques heures de sursis? En quoi serait-il faible de nous tenir ensemble et de parler?
Doucement, elle secoua la tête et lâcha :
— Nous parlions, avant. Vous et moi, nous parlions, vous étiez Maître des Cérémonies, j'étais Grand Maître et nous parlions. Bien sûr, nous abordions le travail qui nous avait réunis à la Maison Royale mais nous parlions. Ensuite...
Un soupir s'exhala de sa bouche mi-close :
— ... ensuite, nous avons commencé à nous quereller et il y a eu Vincennes où dérogeant à notre habitude de nous intéresser à notre tâche, vous vous êtes enhardi à louer ma beauté et il y a encore eu le Louvre où vous avez exigé de moi un baiser. Nous n'avons jamais parlé depuis et je ne considère pas que nos révélations mutuelles constituent un dialogue. Nous n'avons fait que décliner, sous différentes formes cet...
Encore maintenant, surtout pas maintenant en fait, elle ne pouvait prononcé le mot « amour », elle avait déjà du mal à le penser. Elle se reprit :
— ... ces sentiments qui nous lient, malgré nous. Nous ne parlons plus. Je suis venue vous faire mes adieux et je me suis pris à désirer, au fur et à mesure de cet au revoir finalement apaisé, quelques instants où nous aurions parlé de tout, et surtout pas de notre attache, où nous aurions évoqué n'importe quoi, comme avant.
Résignée, elle haussa les épaules puis l'interrogea une fois de plus :
— Pourquoi ne pas parler? Cela ne s'accorderait-il donc pas à cette nouvelle raison que vous portez en étendard? Cela n'irait-il pas de pair avec cette retenue et cette modération qui ne vous ressemblent pas? Ne serait-ce donc pas assez correct, prudent et sensé? Ne vous suffit-il donc plus de vous tenir loin de moi?

Capituler, pourquoi pas, mais elle ne s'écraserait pas totalement non plus. Elle sortit ses gants de sa poche et l'air concentré sur sa tâche, elle entreprit de les passer. Il la chassait, quoiqu'il en dît et les arguments qu'il invoquait étaient loin d'être suffisants, ils étaient même faussés dès l'origine et il la chassait sans plus de tendresse qu'une main étreinte. Elle lui déniait le droit de s'appuyer sur les révélations auxquelles elle avait consenti et elle le lui déniait d'autant plus qu'elle avait la sensation qu'il se fodnait sur ses confidences pour la faire partir et pour disculper ce comportement distant et inédit :
— Ce combat contre le Mal, je suis la seule à devoir le mener, je refuse que vous l'évoquiez, je le refuse, prenez-le en compte. Cela me regarde moi, et seulement moi, c'est mon fardeau, non le vôtre et je ne veux plus que nous y revenions. Et vous ne m'aidez pas, sachez-le, en étant un autre, je préfère à tout prendre que vous me blessiez que vous soyez un homme que je peine à reconnaître. Mais continuez d'agir ainsi, d'observer ce tempérament mutique et dissimulateur, d'adopter cette attitude que vous vous êtes fait fort de me reprocher à maintes reprises. Et prétextez le Mal puisque vous décidez de ne plus être vous-même et qu'il vous faut pour cela une justification, allez-y! Mais faites-le par-devers vous et non plus à voix haute et trouvez une autre parade pour votre propre lutte, pour celle que vous devez mener de votre côté. N'expliquez pas votre tiédeur par ce que je vois en vous mais plutôt par ce que vous craignez et que j'ignore tout à fait.
Ses mains gantées, elle se dirigea dignement vers la porte et lança :
— Voyez, je pars.

Comme si elle se retirait pour un temps limité, comme si elle s'éloignait en sachant qu'elle le reverrait le lendemain. Mais son cœur souffrait, elle ne parvenait pas, à nouveau, à comprendre Actarius et ce qu'il attendait d'elle. Parviendraient-ils jamais à s'accorder? Où se trouveraient-ils toujours à contretemps l'un de l'autre?
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Actarius
Les vespéries fusèrent et avec elles se rouvrirent les plaies du passé. Le Louvre, encore et toujours. La même litanie, les mêmes reproches qu'elle ressassait avec une constance sadique. Il avait présenté des excuses, émis des regrets, des remords sincères et de vive voix. Et il s'en était flagellé de ces errements. Et ces accusations... il se mordit la lèvre pour ne pas répliquer. Tout comme il contint le vent de la révolte qui se levait en son coeur lorsqu'elle lui affirma qu'ils ne parlaient plus. Saint-Dionisy, les lieues traversées ensemble, à chaque fois, l'oc de son accent avait résonné pour ne rencontrer que l'écho du silence ou pis d'une indifférence insoutenable. Et voilà que désormais il fallait partager des choses et d'autres parce qu'elle partait, parce que soudainement elle avait oublié son refrain sur les convenances. Les incohérences se succédaient à un rythme effréné selon les dispositions de la Prinzessin. Fierté ? Assurément, elle s'en nourrissait au point de lui dénier avec un systématisme confinant à la plus détestable des mauvaises fois le droit d'avoir raison. Car oui, il avait raison et elle le savait pertinemment.

Elle préférait être blessée ? Et lui que préférait-il ? Certainement pas de se prêter à une nouvelle salve de reproche pendant des mois pour avoir parlé avec elle la nuit durant. Vu l'insistance qu'elle mettait à remuer le couteau dans la plaie, elle ne se gênerait pas pour créer un "Béziers" et le lui remémorer en toutes les occasions où sa logique destructrice prendrait le dessus. Inconcevable, pour un homme désormais tourné vers un avenir commun. Ainsi l'avait-il aidé à passer son manteau sans rechigner, sans répondre. Pourtant, elle ne l’épargnait pas avec ses vérités, sa logique, à en gâcher presque définitivement ce merveilleux moment de partage qu'ils venaient de traverser, en phase l’un avec l’autre. Par ailleurs, ne l'avait-elle pas déjà piétiné inconsciemment dans son discours ce moment, passant du "nous" ou "je" comme si l'entité fusionnelle avait égaré sa légitimité sur le fil de ses contrariétés toutes personnelles ? Et voilà que, de surcroît, elle le traitait d'autre. Des mois à lui jeter à chaque rencontre la nécessité de ne pas disconvenir, et lorsqu'il y consentait de bon gré avec cette volonté d'aller pas à pas avec elle, de ne pas mettre en péril le futur, il se travestissait. Le tout alors même qu'elle se faisait héraut de la contradiction.

Elle ne s'arrêta pas en si bon chemin, reléguant la torture morale au rang de simple amusement. "N'expliquez pas votre tiédeur par ce que je vois en vous mais plutôt par ce que vous craignez et que j'ignore tout à fait." Cette phrase bouleversa littéralement le Coeur d'Oc. Il avait ouvert son âme à maintes reprises, lui avait dévoilé sa sensation d'être continuellement considéré comme coupable, sa peur de ne pas la mériter, sa crainte de dépasser la bienséance par son emportement. Elle ne l'avait donc pas même écouté et désirait une discussion. S'il n'y avait eu ces quelques instants de grâce, s'il n'y avait eu ce revirement dans l'esprit vicomtal, elle aurait découvert une définition autrement plus concrète et réaliste du verbe "chasser" que celle dont elle se servait pour alimenter son flot de reproches. S'il n'y avait eu cette caresse d'avenir, il se serait fait sycophante et aurait claqué la porte derrière elle avec une telle vigueur qu'il l'aurait brisée afin d'étouffer par le fracas un exemple supplémentaire de son infernale capacité à tourner toute chose afin d'obtenir gain de cause en tout sujet, afin de flatter son orgueil parfois insupportable.

Fort heureusement pour eux, car le cygne aurait alors chanté une ultime fois, l'atmosphère bénie du partage demeurait trop prégnante pour qu'il s'abandonnât à de pareilles extrémités. Il avait ouvert les yeux et désormais il attendait bel et bien qu'elle le fit à son tour, qu'elle nuança ses attitudes envers lui, qu'elle les adoucit, car maintes fois il avait répété sa propre ritournelle: ses reproches incessants difficiles à endurer, son besoin qu'elle reconnût ses efforts, qu'elle le félicitât, qu'elle lui offrît autre chose qu'un reflet négatif de ce qu'il était. Il aspirait à ce qu'elle fût fière de lui et jamais elle n'avait montré un tel sentiment à son égard. Jamais une marque d'estime, juste des attentions, des gestes, des mots liés à des sentiments qu'elle considérait comme coupables. Oui, il ressentait cette nécessité d'être rassuré, épaulé. Un jour, peut-être, alors qu'elle repenserait à leurs échanges, cette évidence lui apparaîtrait tout comme jailliraient les douleurs infligées par sa dureté, son intransigeance envers lui, envers la terre qui l'avait vu naître, son Languedoc adoré, cette partie de lui qu'elle n'avait jamais vraiment épargnée. Le temps viendrait où elle saurait cette tendresse et en attendant qu'il vînt, le Mendois en prodiguerait pour deux.

Irrésolu jusqu'alors, maugréant en son for intérieur ces sentiments épars, ces morceaux de vie brisée, ces colères avortées, ces injustices, ces culpabilités amplifiées, il approcha d'elle. Alors qu'il l'avait laissée s'éloigner sans vraiment réagir, il progressait avec une détermination étrange, son regard de latérite rivé sur elle. Sa dextre inébranlable glissa jusqu'au visage marmoréen, en effleura du revers la joue puis se perdit un instant sur la chevelure de jais cependant que le sourire renaissait sur son faciès tantôt tendu.
Nous parlerons... "Mais pas cette nuit", poursuivit son esprit. Il ne fallait rien brusquer, avancer petit à petit, ne pas risquer les regrets. Mes pensées vous accompagnent mon amie. Elles ne vous quitteront pas jusqu'à nos retrouvailles. Sa main abandonna la cascade de ses cheveux et revint... elle le voulut du moins mais ne le put tout à fait demeurant en suspens près du visage aimé.
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Ingeburge
Le cœur battant, se révoltant contre ce qu'elle avait dit alors que cette saillie en émanait totalement, elle voyait la mine du vicomte du Tournel refléter divers sentiments. Néanmoins, elle était à ce point fâchée qu'elle ne parvenait pas à les déchiffrer, elle eût été aveugle qu'elle en eût une meilleure vision. Mais voilà, elle ne savait à quoi s'attendre, redoutant quelque peu la réaction qui allait lui être servie et qu'elle mériterait sans aucun doute. Il bougea enfin, s'approcha d'elle avec résolution et ce visage fermé ne l'alarmait nullement, il venait à elle, enfin et il n'y avait pas de table à contourner et sur laquelle prendre appui comme il l'avait fait auparavant, quand elle avait cru qu'il lui revenait. Il n'y avait qu'elle et son cœur tressauta, heureux de le sentir proche, se rendant compte qu'après tout ce temps, malgré ces mains serrées, Actarius la touchait enfin et réellement, pas seulement pour lui faire prendre conscience des choses et la tirer de ses raisonnements bien particuliers. Cette main sur sa joue qui glissa ensuite à ses cheveux fit finalement virevolter son cœur, c'était la fin de la disette, la fin du manque, elle était à nouveau comblée, et plus que ce qu'elle avait espéré, et un mouvement encore, et l'Euphor l'attirerait à lui, impérieux et victorieux. Rassurée, elle l'observait de ses grands yeux insondables et sa respiration se faisait haletante, elle attendait cette suite logique, cette étape cohérente. Quand il sourit, elle comprit qu'il n'en serait rien et elle eut peur d'être encore poussée dehors, d'être congédiée sans plus que cette dose infinitésimale de tendresse, presque consentie pour calmer un besoin qu'elle n'avait pas caché. Les doigts du Languedocien délaissèrent sa chevelure, confirmant que c'en était fini, qu'il n'y aurait pas davantage mais s'ils se retirèrent, ils ne s'éloignèrent pour autant pas.

Alors, elle eut envie de rapprocher son visage de cette main suspendue près de sa joue, de s'y enfouir, de déposer délicatement ses lèvres au creux de cette paume offerte et de les faire glisser jusqu'à l'intérieur du poignet, là où la peau était plus fine et de ponctuer cette douce progression de petits baisers. Mais elle n'en fit rien, tétanisée par ses propres envies, effrayée par cette découverte qu'elle faisait d'élans qui jusque lors étaient demeurés aux tréfonds de son être. Et puis, il avait parlé alors qu'il refusait maintenant de la toucher, essayant peut-être de la consoler après l'avoir jetée dans un tourment qui la saisissait pour la première fois. Il y avait eu la conscience que sa proximité puis son contact physique ne la révulsaient pas, son corps reconnaissait son maître avant même que son cœur et sa raison pussent envisager qu'il le fût, il y avait eu ces instants où elle avait profité des puissantes mais chastes et respectueuses étreintes dans lesquelles il la berçait, il y avait eu la cruelle privation et il y avait maintenant cet effleurement serein et contenu, cette simple caresse propre à l'irradier, sans même qu'il s’approchât tout à fait et il fallait que cela survînt alors qu'elle devait se détacher de lui.

Les paroles qu'il avait prononcées et qu'elle ne saisissait que sur le moment la tirèrent de son hébétement, il rejetait l'appel qu'elle lui avait adressé, confirmait son premier verdict et elle détesta tout qui transpirait d'Actarius, sa volonté, son entêtement, ses certitudes. En se comportant ainsi, il lui donnait les armes pour le blesser, pour le faire souffrir comme il la faisait souffrir et ainsi annihiler sa propre douleur. Faire mal pour oublier son propre supplice. De sa voix rauque, elle souffla, rougissant encore de son désir :

— Que m'importe vos pensées, car elles sont vôtres. Vous pourrez me les écrire quand nous serons éloignés, mais elles seront toujours vôtres et dans le cas d'une séparation, périmées puisque arrivant bien après avoir été formées et formulées.
Quelques heures, elle avait tenté d'arracher quelques heures avec lui et il refusait de la soutenir, la repoussant malgré ses déclarations, sa promesse de parler dans l'avenir. Mais c'était maintenant qu'elle le voulait et il le lui refusait. Elle l'interrogea, sans vouloir au fond qu'il répondît, il lui tiendrait un autre de ces discours pontifiants dont il avait le secret, repoussant un souhait innocent après avoir durant des mois fait son siège pour qu'elle reconnût ses sentiments :
— Que ferai-je donc de ces pensées obsolètes? Quel bien m'apporteront-elles? En quoi m'aideront-elles puisqu'elles ne feront que me montrer ce que j'ai perdu? Gardez-les donc pour vous, comme vous avez appris à réprimer vos élans.

C'était lui, nul autre que lui, qui l'avait jetée dans un nouveau trouble. Alors, de sa main gantée, elle commit un crime, elle repoussa celle d'Actarius, celle dans laquelle elle aurait voulu se perdre, ne pouvant détacher ses yeux pâles du visage chéri. Il fallait, absolument, imprimer en son esprit bouleversé le moindre trait, la moindre expression, la moindre émotion. Dans une poignée de minutes, elle n'en verrait plus rien et la panique la gagnait à l'idée de l'oublier, de ne plus pouvoir se le représenter une fois sortie. Et elle eût pu s'ingénier à enfoncer ses doigts dans la blessure béante, à en aggraver la déchirure, à exciter de nouveaux élancements mais elle était fatiguée, ne portant les derniers coups que pour faire taire les reproches que lui adressait son orgueil violenté. Ce fut elle, cette superbe ulcérée qui conclut le duel :
— Adieu, monsieur, j'attends donc ce prochain courrier où vous me ferez expression de toutes vos pensées.

Insolemment, elle courba légèrement la tête comme elle saluait tout le monde, ne ployant totalement la nuque que pour son suzerain impérial et le souverain pontife et hiératique, elle acheva le trajet qui la menait à la porte. Sans un mot de plus, sans se retourner, elle tira le vantail de bois et rejoignit le couloir où l'attendaient les Lombards. Ceux-ci l'entourèrent immédiatement, prêts à la soutenir, dans toutes les possibilités que recouvrait l'idée d'assister quelqu'un, si elle devait s'effondrer, ils la rattraperaient.

Dehors, l'air frais de la nuit fut comme un soufflet claquant sur sa joue cramoisie et sur le chemin du retour, elle hâta le pas, pressée de pouvoir retrouver sa chambre. En quittant celle-ci, elle n'avait su anticiper ce qu'il allait advenir et elle avait fini par croire qu'elle ne la retrouverait que lorsque l'heure du départ aurait sonné. Elle s'était imaginé rester avec lui, à parler toute la nuit durant, à ne pas dormir en fait car occupée à se tenir en sa compagnie, à voler encore quelques instants au destin qui les contraignait à se séparer. Elle ne dormirait pas, oh ça non, mais pas à cause de la réalisation de son souhait; elle ne dormirait pas car elle resterait agenouillée sur le parquet de sa chambre, à prier pour le salut de son âme. Les découvertes qu'elle avait fait ce soir la jetaient dans l'effroi le plus total.

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