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[RP] Le triptyque d'Hyménée

Judas
[Petit Bolchen, début septembre 1460 ]

    J'aimerai me réincarner en un pont de pierres, subir le mauvais temps durant 500 ans...
    Qu'importe si le soleil me brûle ou si la pluie me fouette, tant que je sais qu'un jour elle viendra me fouler de ses pieds.

    - Le Règne des Assassins. -



L'instant était figé. Eternité mutique, agonie du moindre bruissement de cils. Il régnait dans la pièce une clarté particulière, si blanche que l'on l'aurait vu se refléter le vol d'une nuée d'étourneaux passants près de la fenestre ouverte sur les joues aux pommettes timides d'Isaure Von Frayner.

Le couple siégeait souverain sur un couplé de chaises aux dossiers interminables, creusé des courbes de bois de cent feuilles de vignes. Le mobilier, bien faste même aux gouts du seigneur de Courceriers avait été prêté pour l'occasion par une duchesse amie. Voilà près d'une heure qu'ils posaient, déjà extrêmement las alors que l'artiste venu tout droit d'Italie à la demande de Judas s'affairait à peine à terminer l'esquisse de deux visages, peu jouasses. Alesso Baldovinetti. Le seul, l'unique, le convoité. De Rome à Paris, l'homme était en vogue, Frayner avait expressément exigé qu'il leur tire un portrait de famille, lui ou nul autre.

Mais voilà, plus le petit sablier posé près du couple se vidait, plus le séant seigneurial s'engourdissait, et plus le peintre étalait sa science en fronçant des sourcils fournis, plus Isaure soupirait. Bientôt ce ne fut plus que cascades de souffleries, exaspérantes expirations, tant et si bien que les oreilles finirent par bourdonner de l'ostensible ennui de la jeune femme. Sans bouger autre chose que ses yeux et ses lèvres, gardant sa pose patriarcale senestre posée sur la tête de son lévrier - qui lui, gardait patience sous la menace d'un coup de botte- il l'invectiva d'une voix pourtant bien monocorde.


Cessez de soupirer... Vous serez fort aise de voir le portrait de vos quinze ans jusqu'à votre mort au dessus de votre coiffeuse. Voyez, est-ce que votre mari se lamente? Non, point. Il tient l'assise, laissant notre bon maistre des toiles éterniser ce que le Très Haut, notre suzeraine et votre chère cousine on fait ; notre réunion. Et ce nonobstant la désolante rigueur de ce siège... Comme quoi, le beau n'est pas forcément le bon.


Bien au fait de l'entêtement de la jeune épouse à trouver léger le passe temps de se faire faire un portrait familial il sût que le poids de ses paroles ne pèserait guère lourd face à l'impétuosité du tendron Isaurien... Un peu comme les vaines mais sages palabres d'un pater pour sa progéniture en pleine crise de puberté. Déjà qu'il ne la touchait plus depuis leur mémorable Nuit de noces lors de ce premier juillet étouffant Judas n'avait parfois rien d'un époux, assis là à coté de ce qui était le propre vestige de sa jeunesse. Alors il fallait bien ruser, occuper l'infante, puisque lorsqu'il était fort mal luné c'était ainsi qu'il la considérait. Deux mois qu'on l'a lui avait mariée . Deux mois qui avaient suivit l'évolution prodigieuse d'une Isaure de plus en plus exécrable, lunatique et parfois remarquablement insolente. A croire qu'au lieu de se bonifier avec le temps, la brune devenait de plus en plus insupportable. Se disant usée, étant bien plus usante, Judas ne comprenait pas comment une si jeune plante pouvait se plaindre constamment du temps, de la nourriture servie, de tout, de rien, et surtout de la fatigue. L'homme au cheveux noirs et aux allures de statue laissa son regard trainer sur les fantaisies de sa chaise, pensif. Tant et si bien qu'il ne trouva rien de mieux pour faire passer le temps et l'envie de bailler à tout bout de champs à sa femme que de s'égarer en poésie... Sans doute une façon comme une autre de lui suggérer qu'il ne l'entendait pas.


Tenez, observez d'ailleurs l'illustre ouvrage. Voyez les grains rondelets en bas reliefs semblant alourdir de leur charnu gorgé de sucs juteux les fines tiges aux volubiles torsades... La délicatesse du sculpteur révélée à la grappe de raisin. On les croirait mûrs à point, juste sous nos doigts. Je jurerai qu'ils embaument, ne les sentez-vous pas?

Judas les fixait avec une extrême sévérité, comme s'ils étaient à portée d'une main et de dents vengeresses, prêts à les pourfendre et à les gober redoutablement pour en extraire la délicieuse essence.

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Isaure.beaumont
Depuis de longs jours déjà, Isaure était lasse. Lasse de cet hymen, lasse de cette vie d’épouse. Oui, le mariage n’était finalement pas aussi plaisant qu’elle ne l’avait d’abord imaginé. Il ne s’agissait pas seulement d’une histoire de robes et de noms, mais aussi et surtout d’un époux austère et antipathique qui la délaissait quand il aurait dû l’aduler, elle, sa jeune épouse fraîche et pimpante. Elle avait passé ces deux derniers mois à le poursuivre de ses assiduités : philtres d’amour, intrusion dans les draps seigneurial, mais rien n’y avait fait. La chasse avait été vaine, et l’Isaure s’était finalement lassée.

Tout le domaine vivait au rythme des caprices isauriens et de ses humeurs, qui, ces derniers temps étaient bien mauvaises. L’été l’avait vue fatiguée et déprimée. Un rien l’agaçait, tout l’irritait. Jusqu’à cette idée ridicule de portrait nuptial. Ce n’était pas tant l’idée d’être immortalisée qui lui déplaisait, mais plutôt celle de devoir poser de longues heures durant aux côtés d’un époux qui ne daignait pas la regarder. Rajoutez à cela son malaise qui persistait depuis le matin, comme chaque jour, et l’empêchait de dormir et d’apprécier ses repas. Rien n’avait de saveur, tout était fade, aussi insipide que ce mariage.

Revenons-en à nos jeunes époux. Isaure, bien plus livide qu’à l’accoutumée et dont les cernes ourlaient ses grands yeux bleus, siégeait aux côtés de Judas, altière. Elle avait demandé à ce que l’on reporte la séance, mais sa doléance avait été écartée d’un signe de main. Elle s’était alors installée, résignée. Les paillettes de sable s’écoulaient dans le sablier, mettant à rude épreuve la patience de la dame. Et bientôt, ce fut un concert de soupirs, pouvant laisser croire qu’elle signifiait à son époux son mécontentement et ennui. En réalité, il lui semblait que sa tête était prise dans un étau et qu’elle suffoquait.

La voix de son époux s’éleva alors, mais elle n’entendit rien du sermon qu’il lui servit. Il lui semblait qu’un voile passait devant ses yeux et cette immobilité forcée l’incommodait de plus en plus. Son pied glissa malencontreusement, la rappelant à la réalité et au discours de son époux qui prenait fin. Ouvrant la bouche, elle voulut lui parler, mais déjà il se lançait dans une description méticuleuse des grappes aux raisins lourds de jus. Si elle les sentait ? Oh que oui ! Il lui semblait que leur odeur sucrée venait lui chatouiller la narine, l’indisposant un peu plus. Se mordant la lèvre, elle essayait de maîtriser son écœurement.


-Par pitié, taisez-vous.

La supplique fut prononcée d’une voix faible. Un nouveau soupir, plus fort que les autres s’échappa de ses lèvres, et n’y tenant plus elle poursuivit.

-Mon Seigneur… Permettez-moi de me retirer.

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Judas
Objection rejetée.

Mon époux. On dit mon époux.

Il soupira rageusement. C'était ainsi que Rose s'amusait à l'appeler quoi qu'en le prononçant volontairement façon ecclésiastique. Un brin cynique la rousse... Pour un Monseigneur qui venait d'ajouter à sa liste d'amantes et de maitresses diverses une nouvelle conquête en la personne d'une certaine Charlyelle. Les haltes de voyages ont du bon, parfois. Le couple et toute la suite de la maisonnée venaient de rentrer de Courceriers en Maine la veille, tout le monde était raisonnablement reposé de la nuit alors non, Isaure n'obtiendrait aucune grâce de son mari.

Ne bougez-pas, vous allez anéantir une heure de pose.

Puis levant ses yeux au ciel avant de les fixer tour à tour sur sa voisine, le chien et le peintre il eut un mouvement de menton inflexible, avant de vite retrouver sa pose statufiée. Les lèvres s'activèrent de nouveau seules sur un visage figé.

Vous n'êtes jamais satisfaite! Qu'ais-je fait au bon dieu pour mériter une telle épouse ... Maistre ne vous arrêtez pas j'ai dit. Quant à vous ma Dame, appréciez l'instant, cette journée et ce portrait honorifique. Regardez là sous votre main. Mais regardez-vous dis-je! Vous êtes assise sur un fauteuil de la Duchesse de Rochebeauboua. C'est comme si vous trôniez sur un plateau de fruits.

C'est que ces histoires de raisins l'avaient mit en appétit. Il rit nerveusement à l'idée que sa femme, cette exécrable créature puisse incarner un gros fruit aussi délicieux qu'une cerise, elle qu'il verrait mieux réincarnée en courge portant la touche finale d'une nature morte insipide.

Haha! Comme la cerise sur le gâteau. Enfin le raisin sur le gâteau. Ou le plateau, ou ...
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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Isaure.beaumont
Docile, autant qu’elle pouvait l’être, Isaure repris la pose, bien plus pâle que précédemment. Le souffle coupé, elle se faisait violence pour se maintenir droite. La tête lui tournait et il lui semblait qu’elle allait étouffer. La main se porta au décolleté, étrangement trop serré, alors qu’elle ne l’avait pas fait lacer plus que d’habitude. Les doigts tentèrent de détendre le tissu pour libérer la poitrine comprimée, mais sans succès. Le cœur se soulevait, et les oreilles s’agacèrent au discours de l’époux intolérant.

Il reprit alors sa tirade sur les grains de raisin et leur rebondis avant de se perdre entre gâteau et cerise. Le cœur ne supporta pas ses dernières allusions et se rebella un peu plus, torturant la jeune femme. Elle pinça les lèvres jusqu’à les faire blanchir : rien ne devait les franchir. L’effort était grand, n’était-elle pas mignonne à vouloir ainsi satisfaire son époux ?

Mais l’effort fut bref. La main droite se porta précipitamment à la bouche, tentant de faire front avec elle contre le flot déchaîné de bile et de bouillie diluée, vestige de l’unique cuillérée qu’elle avait pu ingérer le matin même. Impuissante, elle fut rapidement rejointe par sa seconde qui l’assista vaillamment. Les yeux se tournèrent alors vers le Maîtres des lieux, l’implorant de cesser ses énumérations comestibles.

Le visage aussi suppliant que livide semblait crier : « Par pitié, taisez-vous ! Laissez-moi partir ! ». Bêtement soumise et obéissante, Isaure aurait mieux faire de fuir la grande salle et ses raisins alléchants. Pourtant, elle resta là, aux côtés de son époux, et les secondes lui parurent être des heures. Le regard se brouillait, la fatigue des derniers jours l’accablait. Et bientôt, elle ne put plus lutter. Son esprit combattant l’abandonna et les lèvres faillirent, laissant un jet bilieux s’échapper violemment, entre les doigts impuissants. Propulsion artistique sur le chien et le maître…

Isaure ou comment resserrer les liens du mariage.

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Judas
Adieu Poésie de l'instant, lyrisme charmant.

HA!

Il n'avait pas bougé. Figé d'horreur Judas n'avait pas moufté d'un pouce, tapissé du bassin aux épaules du contenu stomacal Isaurien. Sa bouche grande ouverte par le choc, ses yeux écarquillés d'effroi, elle venait de... lui vomir dessus! Statue souillée n'a plus beaucoup de prestance... Surtout secondée par un chien que la désagréable odeur avait rendu fou. L'animal la queue fouettant l'air tourna gaiement en rond autour des époux, bousculant tout ce qui pouvait se trouver sur son passage. Les fines pattes achevèrent de marcher dans la flaque poisseuse et de répandre mille traces sur les parcelles de sol qui étaient encore sauves la minute d'avant. Encore un peu secoué, à l'image des entrailles de la jeune épouse, le seigneur chercha des yeux la suivante et l'intendante comme on chercherait la lumière.


Rosaliiiiiiiiinde! Gweeeeenn!

Comme un appel au secours.


Ma Dame est malade! Ma Dame est malade! Pouha! Je suis certain que c'est contagieux!


Et enfin de bouger de son siège, bras en arc de cercle comme si c'était le choléra en bouillie. Compassion? Nulle. Elle venait de foutre en l'air son plus beau cuir, la garce! Poitant un index vers elle puis vers le peintre il geignit:


Vous auriez pu partir avant, c'est intolérable! Quant à vous ne peignez pas cela!


Ho il avait bien compris qu'elle n'avait pas envie de poser, mais de là à faire preuve d'une telle mauvaise foi c'était le bouquet! On mésestime trop souvent le pouvoir des femmes à faire capoter l'enthousiasme des hommes. Mariez-vous qu'ils disaient!

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Rosalinde
Ô cri mélodieux qui tinte à ses oreilles, comme un couteau d'argent sur du cristal... Parlant de couteau, c'était précisément à quoi l'intendante était affairée. L'inventaire de l'argenterie. Tâche hautement importante, et pour laquelle elle avait précisément ordonné à tous les domestiques de la mesnie de ne pas la déranger. Mais bien sûr, elle ne pouvait commander à Judas de se la fermer, même si parfois... Enfin, non, le Seigneur de Courceriers ne l'assommait jamais de paroles. En réalité c'est plutôt à Madame qu'elle ferait parfois volontiers clouer le bec. Hélas, chimères que cela, et il n'y avait guère que dans les songes de la Rousse qu'elle pouvait faire taire Isaure, quoique la nuit dernière elle avait plutôt rêvé que le Prince Uruk s'allongeait à plat ventre dans une flaque de boue pour lui permettre de passer au sec. Il était bien malséant de discuter galanterie avant d'aller se coucher.

Abandonnant donc timbales et hanaps, elle se dirigea vers la source même des cris, selon toute vraisemblance, là où le couple von Frayner se faisait tirer le portrait. Porte poussée et franchie, elle demande machinalement :


- Monsieur me mande ?

Avant de se rendre compte que ledit Monsieur était recouvert de ce qui semblait être une bonne dose de vomi. Et vu la pâleur d'Isaure, elle ne pouvait se douter qu'elle en fut la source. Bon. Par où commencer ? La jeune femme manifestement sur le point de tourner de l’œil, ou le râleur effarouché par ces reflux gastriques ? Comme d'habitude, troisième solution. Elle s'avance vers la zone sinistrée, tout en lançant au peintre :

- Je crois que vous pouvez disposer pour le moment.

Éviter les mines du terrain, s'approcher encore. Et tout d'abord, prévenir une nouvelle offensive. Mains posées sur les épaules d'Isaure.

- Gwenn sera ici d'un instant à l'autre, elle vous mènera à votre chambre, vous vous y reposerez. Faut-il que je fasse appeler un médicastre, ou n'était-ce que la faute du faisan ?

Puis il fallut se tourner vers Judas à la mine outrée, elle prit fort sur elle pour s'empêcher de rire (parce qu'après tout, elle était aussi dégoûtée que lui de devoir patauger dans la gerbe isaurienne, mais elle y était bien obligée...).

- Quant à moi, je vais aller préparer un bain pour Monsieur... Ce ne sera pas, je crois, superflu.

Et, Rose de tendre la main pour lui indiquer la direction de la sortie.

- Mestre Baldovinetti a assez travaillé pour aujourd'hui, je crois.

Quant au lévrier qui ne cessait de tourner en rond :

- Et toi, DEHORS !
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Voyez la vie en Rose !
Gwennaelle
A la lueur d'une petite fenêtre, l'aiguille se mouvait agilement dans la robe isaurienne bleutée qui devait être reprisée. La domestique ne supportait plus la vision de la couleur céleste, et pour cause ! Combien de fois ses yeux s'étaient-ils plissés devant les broderies azurées décousues ? Un jour, peut-être, la maîtresse changerait de couleur de prédilection, du moins l'espérait-elle. L'aiguille continuait son chemin dans le tissu, avant de piquer savamment la paume d'une main, arrachant un petit cri surpris à la domestique. Mais ce cri n'était rien comparé à celui qui s'échappait, sans aucun doute possible, de la gorge du Seigneur.

Misère.

Délaissant l'ouvrage et ne se souciant déjà plus de la goutte de sang qui perlait au creux de sa main, elle s'empressa de rejoindre la salle où venait de se dérouler la tragédie. Elle manqua de tomber lorsque le lévrier lui fila entre les jambes, faisant ainsi désordre dans les jupons. Satané chien.

La porte était déjà ouverte, aussi, elle ne se fit pas prier pour entrer, visiblement la dernière. Rose enquêtait déjà sur les lieux du crime, auprès d'un Seigneur crépi de la tête aux pieds d'une substance nauséabonde que la domestique identifia instantanément. Elle n'avait pas vu l'Isaure qui se tenait en retrait, défaillante. Aussi ne comprit-elle pas qu'elle était la cause de ce massacre. Elle demanda donc, d'une petite voix :


- Comment va Madame ?

Car elle était censée se trouver avec son mari. Mais bientôt, Gwennaelle la vit et observa tour à tour les deux époux ainsi que Rose.

- Je... Je vais m'occuper de vous Madame. Je vais vous conduire à votre chambre pour vous laver.

La domestique se demandait d'ailleurs comment elle pourrait retenir sa nausée grandissante. Les deux pieds dans le vomis, elle s'avança vers sa maîtresse, préférant ne pas porter le regard sur le Seigneur hors de lui. Mieux valait se dépêcher d'emmener Isaure loin de lui et de sa fureur.

S'autorisant à prendre la Dame par le bras, Gwennaelle la tira lentement vers la sortie, déposant des traces de vomissure sous ses pas.

Charmant tableau.

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Judas
Vint alors le ballet des domestiques, l'effervescence de la nouvelle frasque du jour de sa gracieuseté Isaure. Rosalinde vola d'une main de maitre au secours de l'impromptu désastre, Gwennaelle d'une délicate manoeuvre à celui de la souffrante. Contrarié, Judas lui préféra fuir cette ambiance. Il sortit de la pièce en vociférant quelques ignominie à propos de sa femme, de son bliaut et de son chien, les bras toujours arqués bien loin de ses flancs. Le pas vif il remonta les marches menant à sa chambre, de cette démarche robotique qui en aurait rire plus d'une, gravement blessé dans son HUmour propre. Sa voix se fit plus lointaine dans les corridors de Petit Bolchen, jusqu'à devenir un bourdonnement insignifiant suivit d'un 'CLAC!' avertissant quiconque que le Seigneur de Courceriers s'était enfermé dans sa chambre, défiant aussi vaguement les téméraire de tenter de l'y déloger.

A l'intérieur, ses affaires souillées pour seules témoins, Judas hurla sa colère. Pas comme on crie au vent, non. Nu et décoiffé il avait prit à la manière d'une adolescente un pauvre édredon qui se trouvait là malgré lui et, l'ayant plaqué contre son visage, le rendit sourd.


HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA!

C'était un bon résumé de toute la colère qu'il ressentait, croissante, pour son épouse. Lorsqu'il n'eut plus de souffle et que la forme de son nez se fut imprimée dans le moelleux de son catalyseur improvisé il releva le menton, comme si de rien n'était, et s'enquit de rentrer dans le baquet vide où il se laissa glisser et resta planté, bras croisés et bouche crispée.

Il y avait encore cette odeur désagréable qui semblait lui coller à la peau, et puis toute cette rage qui tendait ses mâchoires. Décidément non, malgré tous ses efforts, il détestait sa femme, il la détestait viscéralement et ce n'était pas cette journée qui allait lui faire passer le gout de la haine maritale... C'était comme si l'ignoble créature prenait un malin plaisir à le faire déchanter lorsqu'il pensait avoir atteint un niveau de compatibilité respectable avec elle... Il attendit Rose ainsi prostré, prêt à ne pas bouger d'un pouce tant qu'il ne sentirait pas à nouveau bon et ne serait pas détendu.


Devant Alesso Baldovinetti ! Ha la chienne!

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Rosalinde
Laissant Isaure aux bons soins de sa chambrière, Judas à ses vaines vociférations, l'intendante prit dare-dare la direction des cuisines. Séance tenante, toutes taches cessantes, il fallait de l'eau pour le bain de Monsieur. On mit donc celle que l'on avait à disposition à l'office à chauffer, et le reste, une armée de bras fut envoyé la puiser. Dans ce genre de mission, la rapidité est essentielle pour ne pas s'attirer les foudres du maître, Rose était donc fort affairée à houspiller une servante afin que cette dernière fasse repartir le feu de plus belle. Il fallait que ça chauffe plus vite, et plus fort.

Lorsque ceci fut fait, le bataillon se mit donc en branle en direction de la chambre seigneuriale, la générale Rosalinde en tête. Au pas de charge dans les escaliers - et gare à celui qui renverse ! - la porte précédemment claquée est finalement rouverte. Il est là, il trône non dans sa cathèdre, mais dans sa baignoire, nu comme un ver, l'air buté masquant une bonne couche de déconfiture. On s'active, petit à petit l'oiseau fait son nid (ou, en l'occurrence, la cuve se remplit), quelque flamme est allumée dans la cheminée histoire de réchauffer la pièce. Experte en la matière, la rousse est affairée à déboucher, et renifler plusieurs flacons d'huiles de bain, et va y concocter un mélange à l'odeur musquée, dont le contact avec l'eau embaume toute la pièce et chasse l'infâme fumet parfumé à l'acide gastrique.

Chassant la valetaille munie des vêtements souillés, elle s'occupe elle-même des derniers réglages de la température du bain, y versant encore un peu d'eau brûlante, allant d'une blanche main prendre la température de l'ondée. Sans un mot. Elle ne le regarde même pas. Le feu de l'action étant à présent passé, elle peut reprendre le fil de sa bouderie conséquente à l'étranglement et aux menaces reposant sur la tête de sa cousine Anne, l'adorée.

La chaleur la satisfait, aussi se relève-t-elle. Un détail attire son attention, tandis que son regard perfectionniste ne peut s'empêcher de chercher si tout est en ordre. Alors elle saisit un linge, le trempe un instant, et va essuyer quelques gouttelettes ayant giclé et formé croûte sur la joue judéenne. Avec suffisamment de douceur pour que l'on puisse prendre ça pour de la tendresse, quasi-maternelle. Néanmoins, le visage reste toujours aussi fermé, et elle n'attend plus à présent que la permission de se retirer.

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Voyez la vie en Rose !
Judas
Il laissa faire. Les suivantes se suivirent mais ne se ressemblèrent pas, il regarda l'eau monter à grand peine au dessus de ses genoux et resta stoïque au geste de Rose, trop occupé à revivre cette scène horrible et à revoir la tête du peintre au moment M. Ha oui, cette tête! Il fallait voir. Les encoignures de sa bouche se crispèrent un peu plus vers le bas. Bien sûr qu'il sentait que Rose patientait là tout près du baquet. Bien sûr qu'elle boudait encore après les charmants écrits qu'il s'étaient échangé la veille. Pourtant il fit tapoter le plat de sa main dans l'eau comme on tape du pied, sans piper mot, et sans lui demander de prendre congé. Ce n'est pas comme si elle ne l'avait pas traité de "c*n" , comme on parle du c*n d'une putain après tout. Et puis contre toute attente elle n'était pas partie, même sans avoir reçu la moindre excuse de Judas pour l'avoir vaguement étranglée en retour sinon une bague qui s'en rapprochait presque. Si la rousse intendante était encore là, c'est que quelque part, bon gré mal gré... Elle ne partirai pas. Pas encore. Et Judas en tirait une satisfaction jouissive.

Lorsque le baquet fut rempli comme il fallait et que toutes la valetaille eut terminé son office, lorsqu'un lourd silence s'installa dans la pièce et que Judas eut du plat de la paume éclaboussé tout le bord intérieur dudit baquet...


Non mais vraiment, on n'a pas idée, de souiller ainsi un instant de grâce! Ni un bliaut aussi beau! Je sais qu'elle l'a fait exprès, ho oui je le sais. Elle ne voulait pas me faire le plaisir de poser pour ce tableau, moi qui me suis donné tant de mal à faire venir d'Italie le plus Grand du moment! De toute façon c'était prévisible, c'est moi qui suis naïf. Et hier, elle m'a laissé une lettre. Oui oui. Une lettre. Enfin un brouillon, pas même appliqué. Savez-vous ce qu'elle disait? Elle disait qu'elle était lasse de moi, qu'elle en avait assez de mes "escapades nocturnes " . Mais si ma Dame était un tant soit peu plus chaleureuse, plus gracieuse et plus aimable avec son époux, ha ça! Je serai là, moi! Tous les soirs! Pour sûr qu'elle ne donne pas envie de rester à Petit Bolchen, entre ses humeurs depuis un mois, ses vomissures et sa tendance à épier le moindre de mes mouvements. Quinze ans, quinze ans et toujours fatiguée! Et elle me traite de vieux. Moi! Un vieux. Je ne suis peut être pas du tendron comme elle mais je tiens encore la route, et beaucoup de... Personnes peuvent en témoigner. Non vraiment, la créature que j'ai épousé un jour de faiblesse est une ingrate. Vous savez? Elle a même sous entendu que je n'étais pas capable de lui donner des fils car je ne partageais jamais son lit. Mais partager son lit, ha j'aimerai vous y voir! Les draps pour suaire et l'inertie d'une moribonde, diantre faut-il encore aimer s'agiter sur un poids mort! Par contre, pour m'accabler, en parole, en écrit et en pensées j'en gage! Là oui elle est vigoureuse, elle a de la ressource! Puis elle a menacé de partir hier. Oui oui. De quitter Petit Bolchen, vous vous rendez-compte?! Que dira-t-on de moi si jamais cette petite écervelée décidait de mettre à exécution sa menace et de partir rejoindre un Raymond ou mieux, mieux que cela! Son Cassssssssssssssounet! Je vous le dis moi, on me traitera de pauvre homme, de sot et d'impuissant. Mortecouilles, je ne le permettrait pas. Tout cela pour dire que je connais la cause de son mal. N'en doutez pas je ne suis pas idiot. Elle est souffrante parce qu'elle me fait du mal et que le Très Haut dans sa grande miséricorde a décidé de rétablir une certaine justice!


Le monologue prit fin sur le mot presque crié 'Justice' et sur une petite vague qui parcouru avec mollesse toute la largeur du bain, portée par le mouvement d'un Judas qui changea de coté afin de mieux voir l'intendante et de jauger son degré d'attention. Judas était d'une nature plutôt taciturne, et lorsqu'un évènement ou un élément le repoussait loin de ses retranchements il exagérait toujours un peu et exigeait qu'on le soutienne, ou à défaut que l'on fasse semblant. Entre contradictions et véritable cynisme, Frayner avait l'art de se foutre de la charité, comme l'hôpital. Elle pouvait le détester pour ce qu'il lui avait fait hier, elle pouvait. Mais Judas toujours plus préoccupé par son petit nombril que par les états d'âmes de son ex limier, emporté par les péripéties de la maisonnée et surtout de son épouse s'en fichait éperdument. Les crises d'hier n'appartenaient qu'à hier, et toute personne restant dans son giron ne pouvait que suivre cette vision personnelle de la rancune envers sa personne, ainsi fonctionnait le satrape. Et Rose était la meilleure oreille qu'il n'aurait jamais, malheureusement pour elle.

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Isaure.beaumont
La délivrance.

Chancelante, les mains poisseuses mollement tendues en avant, Isaure se laissa retomber sur le siège. Un frêle sourire ornait ses lèvres qui tranchaient avec la pâleur de son visage. Au coin de la bouche, juste là, un fin filet de bave suspecte venait la trahir. Les yeux rivés sur ses mains, elle semblait les contempler longuement, pourtant, elle ne les voyait pas. Elle restait juste là, immobile et faible, enfin soulagée du malaise qui l’opprimait depuis le matin.

Elle ne fit donc pas attention à l’agitation qui régnait à présent dans la pièce. Elle n’entendit rien des cris de son époux, et ne vit pas même le chien s’exciter et décorer d’un goût nouveau la grande salle. Non, elle se contentait simplement de se sentir mieux.

Mais son nouveau bien-être n’était pas suffisant pour qu’elle puisse se déplacer seule. Les dernières semaines l’avaient vue s’amaigrir sensiblement. Suffisamment en tout cas pour qu’elle le constate. L’appétit n’était que rarement là, et quand il s’invitait à sa table, elle souffrait ensuite d’une terrible indigestion qui ne s’était jusque là pas si violemment manifestée. Et le fragile réconfort qu’elle avait ressenti s’évapora devant l’inquiétude soudaine. Elle était malade et son mal avait empiré. D’abord faible, il s’était développé insidieusement et prenait enfin le pouvoir sur son corps.

L’arrivée de Gwennaelle arrive à point nommé. L’anciennement Wagner se laissa lever et conduire à ses appartements. Largement appuyée sur sa suivante, la main droite enserrée sur l’avant bras gauche de cette dernière, sans s’inquiéter de la salissure qu’elle causait, elle grimpa les marches qui la séparaient de la porte. Un bain ne serait pas de refus. Et un médicastre non plus. Avant qu’elle ne meure, c’était plus sûr.

Se laissant dévêtir, elle attendit qu’on la plonge enfin dans l’eau chaude, salvatrice.

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Rosalinde
Allait-il lui permettre de se retirer enfin, et de retourner à son décompte de l'argenterie ? Pensez vous. Messire von Frayner avait enclenché le mode geignard, et c'était à elle, infortunée intendante, de prêter l'oreille à ses jérémiades incessantes. Bien sûr, ce fut Isaure qui en prit pour son grade de A à Z, la pauvre avait du en avoir les oreilles bourdonnantes. Remise en question de sa propre personne ou de son comportement ? Allons, c'est de Judas que l'on parle, pas de quelqu'un capable d'un minimum d'objectivité. Le Très-Haut qui la fait vomir rien que pour la punir d'avoir un peu rudoyé son époux ? Elle rit, in petto, et s'enhardit à provoquer un peu plus la colère du Seigneur.

- Le Très-Haut. Bonne plaisanterie. Et puis, s'il avait voulu uniquement punir Madame, il n'aurait pas dirigé le jet dans votre direction.

Logique implacable, quitte à donner dans le déterminisme divin, ce en quoi Rose était plus que dubitative. La religion aristotélicienne ne s'adaptait pas à ses mœurs ? Qu'à cela ne tienne, une pensée libertine avait fleuri en son esprit, et de dieu, certes elle admettait qu'il avait du y en avoir un, un jour, mais aucunement qu'il puisse intervenir dans les actions terrestres des humains. Pas de prophètes, pas de saints, ni de bienheureux, et pas de littérature religieuse. Mais elle avait appris à paraitre la plus parfaite aristotélicienne, les penseurs marginaux n'étant pas ce que l'on pouvait appeler "bien vus".

Et de toute façon, qu'est-ce qui, dans sa vie, n'était pas mensonge et faux semblants ?


- Madame est malade, rien de plus. Rester si longtemps immobile l'aura sans doute indisposée.

Interdiction de vider les lieux, donc, puisque du moins l'autorisation n'avait pas été donnée. La Rousse de se saisir donc d'un savon certifié provenant d'Alep, par delà la Méditerranée. Les clapotis que le Maître des lieux s'amuse à produire l'énervent au plus haut point. Si elle avait voulu de la musique, elle aurait fait venir un joueur de viole ou de mandoline, le glougloutement ne faisait que l'agacer. La voilà qui tourne autour du baquet, et d'un revers de la main, chasse les cheveux de Judas, rabattus sur son épaule. Savon qui mousse dans l'eau, et elle frotte lentement le dos vonfraynerien.

- Et pour ce qui est de vos visites à Madame, lui avez vous seulement enseigné ? Vous ne deviez pas en être à votre première pucelle, vous savez que la première fois qu'une femme connait un homme, cela est extrêmement douloureux pour elle. Elle ne vous connaissait pas, elle avait peur, et elle a eu mal. Et vous vous étonnez qu'elle reste pétrifiée ? Qu'elle prenne le mariage en horreur ? Il n'est pas de femme qui n'aime pas l'amour, juste des maris maladroits.

Car malgré tout, Judas semblait sensible à l'échec de son union charnelle avec Isaure. Après tout, les hommes étaient bien capables de se donner du plaisir tout seuls, alors le faire entre les jambes inertes de leurs épouses ne devaient pas causer grand soucis, et certains mariages duraient ainsi pendant des années, voire toute une vie. Mais il va protester. Dire qu'elle pourrait y mettre du sien, qu'elle ne l'attire pas, qu'il n'a pas choisi de l'épouser. Cela, elle le sait, alors quelques doigts viennent s'apposer sur les lèvres de Judas, empêchant toute sortie sonore.
Rose lâche son savon, se penche à son oreille, continuant cependant à nettoyer ce dos, jusqu'à la frontière tracée par l'ondée.


- Fermez les yeux, et songez à ce corps à peine nubile. De petits pieds, fins et délicats. Deux jambes qui n'ont jamais été enserrées par les mains d'un hommes. Cette croupe qu'aucune main ne flatta. Mise à part celle d'Eusaias, mais ça, il n'était pas sensé le savoir. Un ventre blanc, lisse, et fertile. Des seins comme deux pommes, ronds et fermes. Les épaules frêles et délicates. Lèvres douces, que vous sauriez rendre avides de baisers. Et ces yeux bleus, où allumer la flamme du désir...

Cette même flamme que la main baladeuse s'était un instant occupée de faire renaître chez Judas. Mais dès la fin de ce suave monologue, voilà que l'intendante au regard mutin se redresse tout de go, rendant à Judas l'usage de la parole, et essuie sa main et son bras humide sur sa jupe. Trois pas en arrière, et la voilà qui déclare, avec son aplomb de toujours :

- Si Monsieur veut bien m'excuser, il faut que je retourne à mes activités.

Tourner les talons, porte qui se referme derrière elle, direction l'argenterie, ô joie !
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Voyez la vie en Rose !
Judas
Je... Heu.

Vlam. Vlam? Non vraiment? Sisi. Vlam. Judas resta un instant perplexe, observant la porte de deux yeux clignants comme s'il eut s'agit de la téméraire intendante. Ho la garce.

Aplanissant sous l'eau du bain- qui commençait tout de de même à tiédir sérieusement - une érection naissante il reprit sa moue gravitationnelle plus intensivement que jamais. La voix rauque retentit au vent et à la poussière, aboiement poétique et déterminé à faire entendre sa toute puissance, hélas loin de carillonner gaiement dans l'esgourde désirée.


Je vous défend d'ouvrir cette porte et de vous en aller, damoiselle l'intendante !


C'était vain, elle était déjà certainement en bas, mais Judas voulait encore se persuader qu'il n'avait pas perdu sa pleine autorité sur les femelles de Petit Bolchen après la mutinerie de la veille, toute de lettres et de menaces à l'eau de Rose.

Madame est malade, Madame est malade... Madame pouvait avoir la décence d'être malade proprement. Cela aussi, fallait-il le lui enseigner? Il ferma les yeux, se renfonçant tout au fond de son bain et inspira profondément. Elle avait du talent, cette Rosalinde. Le talent de le laisser la queue entre les jambes, ça oui. La senestre seigneuriale cessa de torturer l'objet du délit, celui-là même que l'on accusait de ne pas contenter madame pour le flatter franchement. Toutes ces émotions avaient éprouvé notre pauvre époux, maistre, modèle . Après l'effort, le réconfort, mérité! La bonne excuse.

L'animal qui posait sagement n'était peut-être pas celui que l'on croit.

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Gwennaelle
Telle une carpe hors de l'eau, la suivante respirait la bouche ouverte afin que l'odeur pestilentielle ne lui monte pas à la tête. Un sourire qui se voulait rassurant éclairait, entre deux souffles, le visage de la domestique. Peu à peu, les marches séparant la chambre du salon furent franchies. Il ne restait plus qu'à laver Isaure, et surtout, à la soigner. Gwennaelle osa la quitter un instant, s'assurant qu'elle ne la laissait pas dans une posture délicate au milieu de la pièce.

Ne faisant pas mine d'avoir remarqué les tâches de vomissures sur ses propres vêtements et sur ses chausses, la suivante se rendit aux cuisines mander de l'eau chaude pour le bain de Madame. Un soupire désespéré fut adressé à Rose lorsque les deux employées de la Maison Frayner se croisèrent, l'une avec serviteurs et eau chaude en prime. On pouvait aisément suivre à la trace les pas des différentes personnes de la maisonnée puisque le l'acide gastrique isaurien se répandait sous les pas de tous ceux s'étant aventurés dans le salon. Et bien sûr, il faudrait nettoyer tout cela.

De retour avec l'eau du bain, la suivant s'empressa d'allonger sa maîtresse dans le baquet.
L'odeur se dissipa un bref instant lorsque les vêtements tombèrent sur le sol et furent immédiatement enlevés de la chambre. Bientôt, l'on pourrait respirer convenablement.

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Rosalinde
La Rose s'éloigne donc, laissant Judas à sa croissante virilité, malgré les hurlements de se dernier. Pour autant elle ne se presse pas, peu désireuse de se retrouver à nouveau face à la vaisselle du couple Wagner-Frayner. Lentement, elle descend les escaliers, marche par marche, laissant vagabonder ses pensées le long du fil d'Ariane contre lequel sa main glisse...

Curieusement, de Judas, ses pensées ont dérivé vers un autre de ses anciens amants, Finn. Son parrain, aussi, accessoirement. Cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu, et ne voulait plus le voir, d'ailleurs. Cela lui avait coûté la préparation de boeuf au verjus, de ses blanches mains (si si !), et en donner la becquée à Judas dans son lit. Et après, Isaure s'étonnait que Rose passât ses soirées avec son époux, et il lui fallait conter qu'ils revoyaient les comptes de la mesnie... Le pire étant qu'ils ne faisaient plus rien de répréhensible depuis de longues semaines déjà. Car elle était vexée.

Finn, donc. S'il espérait devenir un jour un saint homme, elle serait à coup sûr son fardeau et la cause de sa béatification. Elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs, elle le reconnaissait aisément, et ne le regrettait absolument pas. Il était une cible de choix, et comme elle avait aimé faire tomber les barrières de sa pseudo vertu pour se vautrer avec lui dans la luxure, elle se plaisait à présent à le provoquer sur tous les terrains possibles, afin qu'à son calme succède la colère. Et elle semblait plutôt bien y réussir, puisque sa dernière tentative - à savoir, le convaincre d'épouser une version édulcorée d'elle-même - semblait avoir porté ses fruits, il boudait et ne lui écrivait plus.

Enfin, la fois où elle avait fait le plus fort, avait été lors de son baptême. Ce foutu Irlandais n'avait pas été capable de la boucler face aux exhortation à la confession de l'évêque, et avait révélé qu'il avait déjà passé quelques folles nuits au pieu - et pas que - avec sa filleule en devenir. Comme elle l'avait maudit ! Obligée ensuite de faire croire à la galerie qu'elle était enceinte de lui, d'un fruit du péché, et qu'il lui fallait se faire baptiser afin d'espérer pouvoir donner une vie décente à son bâtard... Quelle idée ! Rosalinde, enceinte ! Ah, depuis le temps qu'elle couchait, elle ne s'était pas retrouvée une seule fois avec un polichinelle dans le tiroir ! Pas la peine de toucher du bois, ses doigts effleurent la rampe de l'escalier depuis tout à l'heure.

De toute façon, si jamais un jour elle se retrouvait enceinte, elle n'aurait qu'à se débrouiller pour le faire passer. Jamais de la vie Isaure ne la laisserait travailler pour elle engrossée d'un bâtard, et Judas aurait sans doute bien trop peur que l'enfant soit de lui (car elle finirait bien par coucher de nouveau avec lui un jour, ne nous voilons pas la face !) pour prendre le risque de la garder contre la volonté de sa femme. Et alors que lui resterait-il ? Elle n'aurait plus qu'à aller mendier, et vivre la vie misérable d'une fille-mère. Très peu pour elle !

Et puis, son corps déformé par son habitant... L'envie quasi-permanente de pisser, l'impossibilité de dormir sur le ventre, la fatigue, les nausées...


- Une minute.

Oui, elle parlait toute seule, parfois. Mais c'est que... Venait-elle de mettre le doigt sur quelque chose ? Ayons-en le cœur net. Demi-tour, jupons relevés, la voilà qui escalade les marches de l'escalier dare-dare.

- Madaaaaaame !

Oui, autant prévenir son arrivée. Les joues rouges, et les mollets galbés de soie (ses seuls bas de soie, cadeau de Judas !) entre découverts par le relevé de sa jupe, elle entre en trombe dans les appartements isauriens, pour trouver la peste dans son bain. Un instant, furtivement, elle l'observe. Elle a maigri, sans nul doute, ce qui était assez aux antipodes de ce qu'elle imaginait, mais enfin... A présent qu'elle était ici, autant se jeter dans le bain. Au sens figuré, s'il vous plait.

- Madame, j'ai une question. Indiscrète, certes, mais... Qui pourrait bien nous éclairer quant à votre mal.

Elle se rend compte de son accoutrement, et lâche ses jupons, avec un léger rire.

- Depuis combien de temps n'avez-vous pas saigné ?

Et, comme s'il était besoin de donner plus de détails... Au cas où... Elle la connait, la Naïve.

- Sang des Lunes, je précise.
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Voyez la vie en Rose !
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