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[RP fermé] Au nom de tous les miens *

Sigrun



[Dans la demeure familiale de Courcy – Ribe – Danemark – Début septembre]


Le feu crépitait doucement dans la cheminée et Sigrùn s’était assise quelques instants, là, regardant la poitrine de son mari qui montait et descendait péniblement. La toux s’était abattue sur lui comme un miséreux sur un morceau de pain et depuis, la pauvre femme ne faisait que veiller afin que d’éloigner le malheur de cette maison. Malheureusement, elle savait que son époux n’était plus très vaillant même si elle estimait qu’il avait encore de belles années à vivre ensemble mais les récents évènements de leur pays, les batailles perdues d’avance à la diplomatie qui avaient affecté son moral, et surtout la perte de son petit-fils ainsi que de sa brue avaient contribué à affaiblir le patriarche.

Levant un regard bienveillant sur le visage de son époux tant aimé, cachant ses mains tremblantes de peur, Sigrùn se décida enfin à se rendre aux cuisines pour faire préparer un bouillon, seul alimentation que Eudes pouvait avaler même si cela se faisait avec peine. Puis, tout à l’écoute du silence effrayant qui s’installait dans la demeure, elle prit la décision de prévenir son fils, installé depuis peu en Normandie.

Sans faire de bruit pour ne pas éveiller le dormeur qui tentait de reprendre des forces mais ne pouvant quitter cette pièce où son époux était installé, Sigrùn se dirigea vers la petite table, non loin de la fenêtre afin d’écrire ce courrier qu’elle avait tant reculé à faire. Un instant, elle posa son regard sur la mer qu’elle voyait au loin. Cette habitude prise à chaque fois qu’elle passait devant une fenêtre avec son fils et dont elle gardait le besoin, comme un rituel entre eux. Elle savait que même au loin, Osfrid ne pouvait se défaire de ce regard perdu sur l’horizon. Un râle la sortit de sa contemplation et après avoir laissé un soupir presque de détresse s’échapper de sa gorge, Sigrùn prit place. Plume et vélin n’attendaient plus qu’elle.





A toi mon fils, mon enfant tant aimé,

Il est des jours où je prends la plume avec un plaisir non feint pour venir jusqu’à toi te demandant quelques nouvelles de ce royaume de France où tu vis désormais. Profitant ainsi pour connaitre un peu mieux cette famille que tu as trouvée là-bas même si ton discours est peu… loquace concernant tes cousines. Je sais que tu espérais tant de ces retrouvailles surtout depuis que Sibila et Ragnard t’ont été arrachés. Les familles sont ainsi mon fils, parfois peu encline à accepter de nouveau membre et te connaissant quand même, je suis certaine que tu leur as montré ton plus merveilleux sourire et ta docilité n’est-ce pas ?

Osfrid, tu sais que je t’aime comme toute mère peut aimer son enfant mais tu es parfois si difficile que je plains ces pauvres femmes qui ont dû voir débarquer chez elle un homme du nord peu engageant de civilités. J’espère au moins que tu ne les as point effrayées ? Tes ancêtres seraient fiers de toi si tel est le cas, moi un peu moins. J’aimerais que pour une fois tu te comportes comme un être civilisé et non un barbare sans nom. Et ne prends pas le prétexte d’être un homme du nord, froid et distant pour te racheter de ton attitude que je connais par cœur. Même si certaines femmes apprécient le genre revêche, toutes ne sont pas ainsi !



Sigrùn s’arrêta un instant, lâcha sa plume pour s’installer dans le fond de son fauteuil. Elle connaissait son fils par cœur et savait qu’il était arrivé en Normandie avec l’idée de faire la guerre à cette personne qui dirigeait maintenant la famille. Sortant de nulle part, ils avaient eu vent qu’une femme se faisant passer pour une de Courcy, récupérant ainsi les biens des normands. Le sang de son fils n’avait fait qu’un tour, jurant qu’il aurait sa peau et prouverait qu’elle n’était qu’une usurpatrice. Ce n’était pas le titre qu’il l’intéressait, loin de là, mais le domaine familial auquel il tenait par-dessus tout car renfermant ses souvenirs d’enfance. Et Osfrid avait eu beau se creuser la tête, aucun ne concernait une cousine quelconque. Et depuis, les courriers de son fils avait la saveur d’une guerre ouverte et déclarée. Se frottant machinalement la joue, la mère du danois ne put que lâcher « Oh Osfrid, quand vas-tu apprendre et devenir raisonnable ? ». Se faisant, elle reprit sa plume en main afin d’annoncer la douloureuse nouvelle à son fils. Mais la peur de sa réaction l’avait incité à attendre longtemps avant de le prévenir, sachant la souffrance que cela allait lui infliger. Une de plus dans cette vie pourtant si courte et malgré tout si bouleversée.




Osfrid, les banalités sont de mises et pourtant, tu sais que peu m’importe ces cousines éloignées de nous. Je ne pense pas les connaitre un jour et comme elles n’ont jamais daigné se renseigner sur notre famille, je pense que nous n’avons que peu d’importance à leurs yeux alors de grâce mon fils, oublie un instant tout ceci. J’ai d’autres nouvelles à t’apprendre qui elles, requièrent ton attention et même au-delà de cela.

Dans mon dernier courrier, je t’avais dit que le temps ici ne se prêtait pas à se souvenir de cet été. Les pluies et les brumes matinales sont venues plus tôt que prévues et ton père a attrapé une toux tenace. Si au début, nous pensions que cela passerait avec quelques herbes, il est fort de constater qu’aujourd’hui, son état s’est aggravé. Osfrid, tu sais que je ne te demanderais pas cela si je pensais qu’il ne courrait aucun risque mais il te faudrait rentrer dans les plus brefs délais… je crains le pire mon fils et j’ai besoin de toi… maintenant.

Je sais que ces nouvelles ne sont pas celles que tu attendais et que tu vas penser que le sort s’acharne sur notre famille mais je te demande de garder ton calme jusqu’à ton retour Osfrid. Je sais que la douleur te fait souvent agir avec impulsivité mais pour une fois dans ta vie, écoute-moi et fais ce que je te dis. Et préviens-moi de la date de ton arrivée afin que je puisse envoyer Harald te chercher.

Osfrid, par les dieux, fais vite.






Sigrùn ne pouvant aller plus loin sans que cela lui arrache un sanglot signa sa missive d’une main tremblante. Le temps leur était compté, de ça elle n’en doutait pas. Confiant sa missive à l’un de ses gardes, elle lui recommanda de faire le nécessaire afin que le pli arrive dans les plus brefs délais. Il ne devait souffrir d’aucun retard. Puis doucement, elle se réinstalla sur son fauteuil, au chevet de son époux, près de la cheminée pendant que le temps continuait sa course folle.


Titre inspiré de l'oeuvre de Martin Gray


[Bonjour, Bonjour,
Image (signature en fin de courrier) supprimée par mes soins car hors norme (dimensions supérieures à 250 x 250 pixels) Merci de prendre connaissance des Règles d'or du coin des aRPenteurs.
Bon jeu, bon RP
Modo Mahelya]
Osfrid
    La Normandie risquait de devenir son tombeau s’il ne faisait rien pour s’en sortir. Depuis son arrivée, on l’avait catalogué, mis à l’index, ignoré et les normands avaient fait forts. Sans doute parce que loin d’être un mouton, Osfrid avait du caractère et ne s’en laissait pas compter. Comment l’aurait-il pu d’ailleurs. Elevé entre discipline et combattivité, malgré le fait que son père soit diplomate, il avait reçu les enseignements de son grand-père, Eirik le rouge, chef de clan qui n’entendait rien à la diplomatie mais beaucoup trop en les armes.

    Osfrid avait donc grandi à grand renfort de coup d’épée ou de coup de pied dans le séant et il devait faire honneur aux siens aussi, il rabaissait plus souvent qu’il ne complimentait. Et depuis le décès de sa femme, le caractère s’en était ressenti. Il ne retenait plus les mots et s’était même fait champion de piques en tout genre. D’ailleurs, la première victime en était sa cousine. Adeline de Courcy, celle qu’il tenait pour une usurpatrice, celle qui ne savait même pas la composition de sa propre famille.

    Arrivée en Normandie, il s’était présenté au domaine, y retrouvant dans un coin de sa mémoire les rires d’autrefois, les gestes enfantins, les bêtises de gamins qu’il avait fait avec ses cousins mais la de Courcy avait vu son arrivée comme une invasion, une prise de pouvoir, une rébellion. Alors forcément, le danois avait foncé tête baissée. Et ce n’était plus que disputes, arrogantes démonstrations de celui qui toucherait l’autre au plus bas, orgueil mal placé et entêtements sans précédents. Et la goutte qui fit déborder le vase fut le départ de Briana, charmante enfant d’environ sept années qui avait été prise en charge par sa marraine.

    Pourtant Osfrid avait essayé de raisonner sa cousine. Que pouvait-elle avoir à gagner à faire grandir sa fille loin d’elle. Oh mais pardon, madame avait des affaires plus urgentes à régler. Madame se présentait comme duchesse alors qu’ils avaient organisé un voyage familial, Madame avait toujours une activité à prendre en compte avant de laisser ses sentiments vivre pour les siens. Et pour le danois s’en était trop. Non pas qu’il attachait une importance à cette femme, il en avait même rien à cirer au final mais il ne comprenait pas son entêtement à vouloir faire comme si la famille n’existait pas alors qu’elle était soit disant fière de porter le nom des de Courcy.

    Alors Osfrid s’était mis à cogiter et doucement, il avait fini par conclure qu’il devait dégager de ce duché. Tant pis pour la famille, tant pis pour ce qu’il désirait au plus profond de lui, c’est-à-dire réunir les siens, il ne supportait plus l’attitude de la duchesse qui préférait se fermer que d’établir le dialogue. Il la laisserait donc à sa petite vie médiocre de gratte-papier, incapable de prendre les décisions qui pourtant crevées les yeux. Elle ne désirait qu’être entourée des conseillers ducaux et bien soit, mais fallait pas qu’elle vienne pleurer dans ses bras le suppliant de rester.


    - Qu’elle aille au diable ! s’était-il égosiller un soir en rentrant dans sa chambre, après avoir tenté une dernière approche. Osfrid avait gardé contact avec sa petite cousine et lui écrivait dès qu’il le pouvait mais rien, la mère de la petite ne voulait rien savoir. Et ce fut ce soir-là que la décision de partir fut prise.

    Et comme un malheur n’arrive jamais seul, Osfrid prit connaissance de la missive qui l’attendait ce soir-là. La rage qui l’habitait depuis un moment ne put que se manifester et dans une colère noire, le danois se mit à balancer tout ce qu’il trouvait au milieu de la pièce ou contre les murs de sa chambre en hurlant son mal de vivre avant de se laisser choir au sol, vaincu par la douleur de perdre un être cher, à nouveau. Et le soir, en se mettant au lit après avoir ingurgité trop d’hydromel pour avoir les idées claires, il marmonna quelques mots en regardant le ciel de sa fenêtre.

    - N’ai-je donc pas assez payé le prix fort dans cette vie ? Comptez-vous m’arracher tous ceux que j’aime les uns après les autres ?

    La gueule de bois du lendemain rendit Osfrid grincheux. Il s’échina à plier ses maigres possessions dans ses sacoches de cuir avant d’aller les installer sur le dos de son fidèle compagnon à quatre pattes. Mais avant, il ne put qu’avertir sa petite cousine de son départ pour ce pays dont il avait lui-même émis le souhait de lui faire découvrir. Et au fur et à mesure que les mots glissaient sur le vélin, l’idée folle de l’embarquer avec lui germa au point de lui suggérer. Après tout, il lui avait promis de lui faire rencontrer son oncle et c’était l’occasion inespérée car ce qu’il avait lu entre les lignes de sa mère ne lui laissait aucun doute quant à la finalité de cette maladie. Le premier vélin fut donc pour Briana puis le second pour sa mère. Devant le feuillet, Osfrid mit un certain temps à trouver les mots qui sauraient si ce n’était l’apaiser au moins la réconforter.

Citation:
Très chère Mère,

C’est avec une immense tristesse que je viens vous faire part de mon retour prochain sur nos terres ancestrales. J’aurais aimé que cela soit en d’autres circonstances mais le destin a choisi de nous entrainer une nouvelle fois sur la route du chagrin. Comme si la perte des miens n’était pas assez grande, les dieux ont décidé qu’il fallait nous arracher à nos cœurs déjà meurtris une nouvelle vie.

Je sais que vous n’aimez point que je saute aux conclusions trop hâtivement, mais je vous connais mère. Vous ne me rappelleriez point auprès de vous s’il subsistait un quelconque espoir de guérison. Alors il va nous falloir nous préparer au pire… encore et nous serrer les coudes comme jamais.

Sachez que j’ai émis le souhait d’entrainer avec moi dans ce retour au bercail ma petite cousine qui, malheureusement n’a pas la chance de connaitre un foyer des plus agréables et tendres. Et n’allait pas vous imaginer que je la kidnappe ou je ne sais quoi. Briana a tout autant besoin de retrouver et surtout connaitre ses racines familiales que moi de la voir prendre conscience qu’une famille n’est pas une mère ou un père absent, la refourguant à du personnel histoire de se donner bonne conscience. J’attends donc de rencontrer sa marraine chez qui elle a été envoyée afin de savoir si je peux vous annoncer cette nouvelle qui mettra du baume à votre cœur, je l’espère avec sincérité.

Mère… Sachez que chacune de mes pensées vous accompagne. Je sais que la distance, mon caractère ombrageux mais aussi ces derniers mois n’ont pas été facile à vivre pour vous. Je n’ai jamais été une âme tranquille et je regrette à ce jour de vous avoir causé bien du tourment à vous et à père. S’il m’était permis d’effacer certaines choses de nos vies…

Ce soir, il est donc dit que je prends la route qui me conduira jusqu’à Briana et si les dieux sont favorables, nous prendrons le bateau rapidement. J’ai trouvé un équipage qui voulait bien se risquer jusqu’à Ribe et ils mettent la main à leur dernier préparatif le temps que je ramène ou non l’enfant. Voyez Mère, je serais là rapidement. Juste une question de jour maintenant….

Que les dieux vous gardent et nous donnent du temps.

Avec toute ma tendresse
Votre fils.



Osfrid fit le nécessaire afin que soit acheminé son courrier. Il régla sa note à l’auberge, ne laissa aucun mot à sa cousine et pris la direction de Beaumont-sur-Sarthe. Plus un instant à perdre, son père ne saurait attendre la venue de son fils plus longtemps. Il lui fallait coûte que coûte gagner le Maine rapidement.

Et les jours se succédèrent rapidement. Du moins ce fut cette sensation qui habita le danois qui évitait de prendre du repos plus que de nécessaire pour arriver où la petite résidait le plus rapidement possible. Et quelques jours plus tard, mal rasé, les traits tirés, Osfrid vit enfin la grille du domaine.

Briana.
    [ Beaumont-sur-Sarthe - Comté du Maine ]


Combien de temps ?
Trois ? Quatre jours ? Plus encore ? Peut-être même depuis qu'elle avait fini par quitter la Normandie, il y a de cela quelques semaines maintenant.

Interminable était le temps d'attente. L'attente de le revoir, de le voir venir enfin.
Lui, son cousin. Cet homme qu'elle avait détesté pour ce qu'il faisait endurer à leur famille depuis son arrivée. Comme un cheveu sur la soupe, il s'était présenté comme un membre reconnu de la famille, abattant sur eux ses foudres, les accablant de ses sauts d'humeur, de son ton complaisant, de ses reproches incessants.
Longtemps, elle avait espérer le voir quitter la Haye du Puits, Dieppe, la Normandie même, pour retourner là d'où il venait, bien plus au nord, vers le grand froid, sur ces terres que l'on disait peuplées de Barbares.

Et là, derrière l'homme arborant fièrement des allures guerrières, massives, et inébranlables, derrière ce qu'elle pensait n'être qu'un homme au coeur de pierre, se tenait à couvert, bien enfoui, un homme au coeur de chair. Elle s'était acharnée pour creuser le roc avant d'entrevoir la face cachée d'un homme meurtri. Un homme torturé au point de s'être forgé une carapace de dureté et d'indifférence que peu de ses proches parvenaient à percer. Et elle, du haut de ses 7 printemps, y était arrivée.
Toujours persévérer lui avait-on dit. A force d'en user, on finissait toujours pas obtenir ce que l'on cherchait. Peu importe le temps qu'il faudrait mettre pour ça. L'important étant le résultat.

Aujourd'hui, l'"Affreux" cousin s'était transformé et le seul regard qu'elle posait sur lui n'était désormais qu'amour. Un sentiment empreint de pureté, d'une sincérité sans faille que seul l'enfant était en mesure de donner. Lui, tant que Karyaan étaient devenues les deux pièces maitresses à son équilibre. Elle, qu'elle considérait intimement comme une mère et Lui, seul dans la famille à lui montrer qu'elle avait véritable importance.

La séparation qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt avait été déchirante. Les premiers jours difficilement vécus, alors que tous autour d'elle veillaient à ses bons soins. Elle ne pouvait pas être mieux placée que sous l'égide de sa Marraine, entourée des Marmules qui avaient le don de lui faire oublier sa mélancolie. Et puis, il y avait cette correspondance régulièrement entretenue. Quelques billets échangés qu'elle prenait plaisir à lire pour ce qu'elle lui apportait de nouvelles de celui qui lui manquait tant.
D'autres missives étaient attendues, mais en vain. Alors elle ne s'accrochait plus qu'à ces écrits et plus encore au derniers qu'elle avait reçu. Dieu sait combien de fois elle l'avait lu. Dix fois, cent fois... Rien que pour être sûre.

Il s'était décidé à venir pour la retrouver, avec pour souhait de l'emmener découvrir ce pays dont il lui arrivait si souvent de parler. Heureuse, elle savait pourtant que leur périple laisserait à son cousin un goût amer, une plaie béante venant élargir celle qui suintait encore et qui ne saurait sans doute jamais guérir complètement.

Euphorique, les cris de Briana avait eu l'effet d'un tremblement de terre à Beaumont. La mini de Courcy s'était transformé en tornade, tant elle avait eu souhait que son invité soit reçu comme il se devait de l'être.

Avec l'accord de sa Marraine, elle avait fait choix d'une chambre ni trop grande, ni trop étroite, un endroit où il pourrait se sentir à son aise et confortablement installé. Et puis il y avait cette immense fenêtre qui donnait sur les jardins et qui laissait deviner au loin la ligne d'horizon. Elle savait ses habitudes pour ce qu'elle l'avait longuement observé sans qu'il ne le découvre jamais.

Tout était prêt pour le recevoir. La couche avait été soigneusement préparée et Briana avait, pour chaque chose, avec l'aide des Marmules, mit la main à la patte. Karyaan lui avait un jour dis que jamais il ne fallait exiger de quelqu'un ce que l'on n'était pas capable de faire soi-même. Ce fut donc l'occasion pour elle d'apprendre à faire bon nombre de chose qu'au quotidien, elle ne faisait pas lorsqu'elle se trouvait en Normandie.

Les jours étaient comptés depuis qu'elle savait son arrivée imminente et plus personne ne comptait le nombre d'aller-retour qu'elle effectuait du château aux grilles de ce dernier. Pas une fenêtre donnant sur les grille n'échappait à un coup d'oeil en son travers, pour s'assurer qu'elle ne le voyait pas arriver au loin.
Puis vint le jour, l'instant... Celui où occupée à jouer dans la cour du château, elle entendit un groupe de Marmules s'écrier au loin que quelqu'un arrivait.
Sans plus attendre, elle s'empara de sa poupée, entamant une course folle dans la longue allée. Devant elle, aux grilles de se dessiner avant qu'arrivée à hauteur une main ne vienne s'y agripper. Les yeux rivés droit devant, elle les plissa légèrement comme pour mieux distinguer celui qui s'avançait.
A ce moment, plus rien ne pouvait la tromper, et ce fut sur un cri qu'elle demanda aux gardes de bien vouloir faire ouvrir les grilles.

"Il est là ! Il est là ! Gardes ! Gardes ! S'il vous plaît ouvrez lui vite ! La pauvre doit être si fatigué."

Et aux grilles de s'entrouvrir pour le laisser pénétrer sur les terres de Beaumont, un sourire radieux venue se dessiner sur le visage de Briana.
Enfin, il était là.
Osfrid
    Ce fut d’abord cette petite voix reconnaissable entre mille qu’il entendit puis le mouvement des gardes qu’il perçut alors qu’il lui restait encore quelques mètres à parcourir. Tandis que Grani ralentissait l’allure attendant que les grilles s’ouvrent complètement pour s’engouffrer dans l’allée, Osfrid souriait malgré la fatigue du voyage, des nouvelles récemment reçues et des batailles familiales qui l’avaient usé et marqué. Pourtant rapidement, il mit pied à terre afin de recevoir sa petite cousine dans le creux de ses bras et la soulever de terre.

    Resserrant son étreinte, un bras passé autour de la taille de l’enfant afin de la maintenir de façon stable, son autre main posée sur l’arrière de la petite tête blonde, il tenait Briana face à lui et l’observait en détail. Notant que ce visage était plus souriant que lorsqu’elle l’avait quitté en Normandie, ce teint plus clair et brillant dû grand air qui semblait avoir ravigoté la petite, ce pétillement au fond de son regard qu’il n’avait jamais connu jusqu’à maintenant. Alors seulement, une fois son inspection terminée, ses lèvres glissèrent sur le front de l’enfant, déposant ce baiser avec douceur, effaçant le dernier qu’il lui avait fait lors de leurs adieux dans cette taverne de Lisieux.


    - Bonjour Petite Princesse… Que tu es belle aujourd’hui, on dirait que l’air de Beaumont te réussit !

    L’évocation du lieu fit passer une ombre dans le regard d’Osfrid, le ramenant à cette séparation contre laquelle il avait œuvré durant des jours et des jours, n’ayant été prévenu qu’au dernier moment. Sa cousine ne souhaitant certainement pas subir son courroux trop rapidement. Mais depuis, il n’avait de cesse d’en vouloir à cette femme pour ce qu’elle faisait subir à sa fille et à la terre entière par la même occasion histoire de montrer que sa mauvaise humeur n’aurait de fin que lorsqu’il l’aurait lui-même décidé. De toute manière, le danois n’était plus à un grognement près. Le barbare qui sommeillait en lui, petit-fils d’Eirik le Rouge avait de qui tenir et surtout de la ressource à ne pas en douter !

    Mais revenons à notre charmant tableau. Osfrid bougea légèrement sans pour autant lâcher la petite tandis que Grani venait quémander un peu d’attention. Alors le danois glissa la gamine sur le dos de son cheval avant de passer un pied dans l’étrier et de venir s’installer derrière Briana. Passant les deux mains devant elle, il tenait les brides fermement tout en offrant à la petite la sécurité de ses bras.


    - Si tu es prête et que damoiselle Eléanore est bien installée, tu me montres le chemin jusqu’à ton nouveau chez toi ?

    Il avait toujours promis à la fille de sa cousine qu’il lui apprendrait à monter à cheval et hors de question pour lui que quelqu’un d’autre s’en charge aussi, même si elle était avec lui sur le dos de Grani, Osfrid ressentait une certaine joie à venir chevaucher un peu en sa compagnie. L’impression qu’au moins, les promesses qu’il lui avait fait étaient tenues et cela n’avait pas de prix aux yeux du danois. Et le trio prit une allure paisible pour remonter l’allée jusqu’à la grande porte où enfin Briana pourrait lui faire visiter les lieux et où il pourrait se reposer une journée avant de partir là-bas, chez lui.

    Le temps était compté certes mais à cette distance, une nuit de plus ou de moins ne changerait pas la donne. Il savait son père robuste au point de tenir tête à la mort elle-même si elle s’approchait de trop près afin d’avoir l’occasion de revoir son fils au moins une fois avant de fermer les yeux définitivement. Les derniers instants de cette vie sur terre nous faisaient faire de bien étranges choses et la volonté aidant, tout pouvait se passer…

    Osfrid rappela ses pensées qui commençaient à vagabonder vers ce terrain miné qu’était ses souvenirs de son père, de sa famille et il resserra doucement sa prise sur les rênes tout en faisant claquer sa langue contre son palais à plusieurs reprises indiquant ainsi à Grani qu’il pouvait ralentir encore un peu l'allure, voulant profiter de cette balade improvisée.

    Une certaine sérénité vint finalement prendre Osfrid dans ses bras, lui offrant un réconfort qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps et son regard se porta sur Briana. Comment une enfant pouvait l’aider ainsi à surmonter ses peines et ses souffrances, il se le demandait encore mais l’important n’était plus au questionnement, l’important pour lui était l’instant présent, ce répit qui lui était offert en pleine campagne mancelle. Inspirant profondément, Osfrid reprit la parole alors que se dessinaient les contours de la demeure.


    - Alors, dans ton dernier courrier tu me disais avoir une bonne nouvelle pour moi… ferais-tu donc une petite surprise à ton vieux cousin barbare ?

_________________
Briana.
Jamais, il n'eut fallu grand chose pour mener Briana sur les chemins de l'allégresse. Pour elle, pas de petits plaisirs, rien que de grands instants de bonheur. Et l'arrivée de son cousin ce jour, en était un.

A l'apogée de sa satisfaction, ses petits bras étaient venus étreindre l'homme, vaillant, mais abîmé par un long voyage. Elle n'avait pas manqué remarquer, l'enfant, la lassitude que peinait à dissimuler la joie des retrouvailles. Dans son regard, elle aurait pu tout deviner, tout voir. L'épuisement, l'annihilation venu l'accabler.
Et si seulement d'un sourire donné, elle pouvait faire que tout s'efface...
Au fond d'elle, elle savait bien chose impossible, mais elle essaierait quand même.

Au visage donc, de rester illuminé.
Un sourire avait tant à apporter à qui le recevait. Un enchantement au pouvoir communiquant, là de donner du repos à l'être fatigué. Un sourire, pour le consoler de sa tristesse ; un antidote de la nature pour toutes les peines.
Un signe, un geste tendre pour apaiser les âmes en souffrances.

Tous les deux avaient souffert, de causes différentes, mais qui pourtant les affligeaient d'un même mal : le manque. Ce lien qui nous tient rattaché à l'autre et qui fait si mal lorsqu'il se fait ressentir. Celui qui survient à la séparation, à cet espèce d'abandon ressenti, comme celui qu'elle avait cru vivre en quittant sa mère. Ou bien encore celui qui vous tombe dessus, quand la mort vient vous arracher ceux qui vous sont si chers.
C'est ce qu'il avait vécu Lui... Cette douleur, qui bien qu'exprimée sans bruit, n'était pas invisible au fond de son regard meurtri. Et là encore, la blessure allait être creusée, plus profonde, dans les jours à venir.

Se préparer à souffrir, à perdre un être cher. Était-ce seulement possible ? Elle l'aurait souhaité en invitant son cousin à rejoindre sa nouvelle demeure. En lui apportant là tout le confort qu'elle s'était appliquée à mettre à sa disposition.
Juchée sur le dos de Grani, la main, du bout de l'index pointant le chemin à emprunter, de son autre, tenant fermement sa poupée, alors que son dos fragile, cherchait le contact sécuritaire d'un torse familier, ils progressaient dans les allées.
Et conversation se faisant, avait ressurgi cette surprise à laquelle elle avait pu faire allusion lors de leur échange épistolaire.

A la petite mine enjouée de se tourner vers Osfrid et de lui apprendre la nouvelle qu'elle s'était gardé de lui annoncer, préférant le faire de vive voix.



" Vous rappelez-vous avoir émis le souhait de m'emmener avec vous, au Danemark ? J'ai pu discuter avec ma Marraine et celle-ci m'a jugée assez grande pour décider seule de ce que je voulais. Alors... Mes affaires sont prêtes et moi par la même occasion de vous accompagner. Nous pourrons partir dès demain si vous le voulez. Mais avant, que diriez vous d'aller vous reposer un peu ? Une chambre vous attend et les gens de la maison répondront à tous les besoins que vous pourriez avoir envie de satisfaire. "


Le château rejoint, tout avait été mis en place pour recevoir Osfrid dont la venue avait été annoncée quelques jours auparavant et dans un soucis de bien faire, tous s'étaient vite mit à la tâche de préparer Beaumont à le recevoir.
La soirée avait suivi son cours, agrémentée d'un copieux repas, d'une nuit à se raconter, de quelques instants d'un repos bien mérité.

Puis au jour de se lever sur un départ annoncé. Malle aux pieds, bien emmitouflée dans une épaisse mante de laine doublée de fourrure, Éléanor serrée tout contre elle, elle attendait sur le perron que soit l'heure de partir. Dernières accolades partagées avec sa Marraine, avec les Marmules...


Étrangement, drôle de sensation s'immisçait en elle. Le voyage effectué, elle reviendrait... Mais comment ? Changée ? Sûrement...
Sigrun



[Dans la demeure familiale de Courcy – Ribe – Danemark – courant septembre]


Un râle se faisait entendre, une toux persistante qui comblait le silence de la pièce. Rejetant la couverture que l’une des domestiques avait posé sur elle la veille au soir lorsqu’elle s’était endormit devant le feu de cheminée, Sigrùn se leva précipitamment afin de venir auprès de son époux. Le linge qui trônait sur le bord de la bassine fut humidifié et la blonde le passa sur les joues rougies par la fièvre ainsi que sur le front de son époux.

Les jours passaient et se ressemblaient. Quelques fois il y avait une petite accalmie et Eudes semblait reprendre des forces pour mieux chuter dès la nuit tombée. Et Sigrùn tenait l’espoir à bout de bras même si elle savait, épuisée qu’elle était mais pas encore complètement sénile, que son mari n’attendait qu’une chose afin de partir l’esprit libéré. Et cette chose ou plutôt ce quelqu’un tardait à venir.

La fraîcheur du linge sembla apaiser le feu des pommettes rougies. Sigrùn en profita pour humecter les lèvres de son patient de mari tout en le regardant avec un amour qui n’admettait aucune limite. Ses doigts caressèrent son visage, doucement, comme pour ne pas le réveiller même si enfiévré qu’il était, Eudes n’aurait pas pu soulever l’une de ses paupières. Elle repensait à leurs jeunes années, la première rencontre, l’intimidation mutuelle. Elle, fille d’Eirik le rouge, un homme robuste, dominateur, obstiné mais finalement juste, qui tenait ses terres dans une main de fer n’hésitant pas à lever une armée pour chasser l’opportun et lui, normand, fils de diplomate et diplomate lui-même qui ne s’y entendait guère en combat avait donné lieu à une rencontre quelque peu insolite mais qui s’était révélée des plus agréables et des plus unies dans le temps. A ce bonheur était venu se rajouter Osfrid, unique enfant du couple. Et maintenant… maintenant la vie s’en allait doucement de celui qu’elle avait tant aimé. Et elle avait du mal à l’accepter. Tant d’années à vivre ensemble pour se réveiller un matin seule et abandonnée.

Se redressant avec lenteur, Sigrùn essuya les quelques larmes qui avaient coulé sur son visage dont les traits accusaient cette fatigue grandissante. Attrapant une étole, elle la mit sur ses épaules puis se dirigea vers la fenêtre. Les yeux perdus dans le lointain, elle ne pouvait que penser à son fils. Elle savait qu’il faisait tout pour revenir le plus rapidement possible mais serait-ce suffisant ? Pourquoi était-il parti si loin alors qu’ici il avait tout ?

La blonde danoise secoua la tête. Elle se mentait à elle-même, elle le savait. Osfrid était de ces êtres libres que rien ne pouvait attacher, surtout pas après le décès de sa tendre épouse et de son fils. Une blessure qu’elle comprenait que trop bien. Son regard se porta vers le lit où reposait en paix son époux. Un moment de répit pour elle qui le veillait depuis des jours et des jours sans relâche. Harald, son homme de confiance et Inge, sa dame de compagnie avaient tout fait pour l’obliger à prendre du repos, à laisser sa place à l’un ou l’autre mais n’était pas fille d’Eirik le rouge pour rien. Son obstination n’avait d’égal que celle de son père et Sigrùn avait fait taire les suppliques à coup de menaces arbitraires.

Plume en main, la femme qui n’était plus que l’ombre d’elle-même ces dernières semaines, se laissa porter par l’exercice qu’elle affectionnait tant normalement. Elle rédigea un nouveau courrier pour son unique enfant.




Mon fils,

Voilà des jours que j’ai reçu ton courrier m’annonçant ton départ de cette Normandie que je trouve si lointaine depuis peu. Et chaque jour j’espère, le regard sur l’horizon, apercevoir un bateau qui battrait pavillon étranger afin de m’annoncer ton arrivée.

Osfrid, si tu savais comme les journées sont longues ici en ton absence. La santé de ton père ne s’est pas améliorée mais, il semble combattre en attendant ton retour. Si seulement… si seulement nous pouvions espérer que ces humeurs reprennent un peu de cette vie qui était la sienne, le rendant si invulnérable… mais plus les jours passent et moins je trouve la force d’espérer. Je sais que je n’en ai aucun droit mon fils mais ma lueur du jour s’éteint doucement à mes côtés et je ne sais plus quoi faire pour garder cette étincelle de vie vaillante auprès de moi.

Je sais que me plaindre ne résoudra rien, ni même quémander quoi que ce soit mais à l’heure actuelle, ta présence me serait d’un grand réconfort. Ton grand père a encore assez de force pour s’imposer et tu penses bien qu’il ne s’est pas gêné. Il a pris les rênes du domaine en ton absence. Tu le connais, il a une confiance limitée en beaucoup de choses et de gens et a décrété que je n’étais pas capable de m’occuper de chez moi vu les circonstances… Je ne suis même plus maîtresse en ma maison, c’est un comble.

Oh Osfrid, mais quand vas-tu donc arriver ? J’ai l’impression que cela fait une éternité que je t’ai écrit ce premier courrier. Depuis lors, il n’a cessé de pleuvoir sur Ribe comme si, même le ciel s’était mis à pleurer en attendant ton retour. Je sais que pour toi c’est difficile à admettre et que beaucoup de choses vont changer mais de grâce, il est temps maintenant. Même si je sais que ton retour va sonner le glas sur notre demeure, je ne puis supporter de voir souffrir ton père plus longtemps mon fils.

Il est temps maintenant…

Ta mère qui t’aime.



Le temps pour Sigrùn de signer son courrier qu’Inge faisait son entrée dans la chambre avec de quoi prendre une collation. Soupirant légèrement devant l’obstination de la jeune femme à vouloir lui faire avaler quelque chose, Sigrùn lui donna la lettre à envoyer à qui de droit tandis que la dame de compagnie lui tendait à son tour un bol de lait avec du miel en levant un sourcil. Et Sigrùn de s’exécuter si elle voulait voir sa missive arriver à bon port.
Osfrid
    La nuit était tombée sur le port. Osfrid avait installé Briana dans la cabine jouxtant la sienne afin de rassurer la petite fille qu’elle était. Même s’il ne doutait pas que l’enfant soit téméraire, il savait que l’embarcation pouvait subir les assauts des vagues et être ballotée comme bon semblait à la mer d’en jouer. Aussi, la nuit risquait d’être mouvementée si le temps n’était pas de la partie et, prévoyant autant que possible, Osfrid s’était organisé pour rendre le voyage agréable pour Briana.

    Elle avait pris une grande décision seule lorsqu’elle était chez sa marraine et lorsqu’elle le lui avait annoncé, Osfrid n’avait pas su quoi lui dire. Alors devant la mine radieuse de Briana, il avait juste resserré son étreinte, la tenant plus fermement contre lui, lui faisant comprendre ce que les mots ne pouvaient lui dire. Lui le râleur n’avait pas l’habitude de montrer sa gratitude à qui que ce soit. Mais là… Comment aurait-il pu lui dire la peur de ce voyage en solitaire, comment aurait-il pu mettre à jour ses fissures, ce qu’il se refusait de montrer à sa propre mère ? Mais le danois supposait que la petite tête blonde avait un sens aigu pour comprendre ces choses-là, elle qui souffrait en silence depuis bien longtemps et qu'il n'était pas forcément besoin de parler avec elle pour qu'elle comprenne.

    Resserrant les pans de sa cape au col de fourrure de loup, Osfrid s’était dirigé vers le pont du bateau, le regard perdu vers le ciel. Il avait cherché une réponse auprès de ses dieux, il avait cherché une réponse en lui mais rien n’y faisait. Et les étoiles ne lui apportaient aucune consolation. Il avait du mal à comprendre pourquoi le sort s’acharnait sur sa famille ainsi. Avait-il offensé quelqu’un, avait-il subi un mauvais sort de la part d’une personne qu’il avait malmené ? Rien ne pouvait le lui assurer mais rien ne pouvait lui indiquer le contraire alors il subissait la souffrance et le chagrin sans le montrer, se laissant ronger de l’intérieur, inexorablement.

    Passant une main sur son visage, chassant les démons qu’il avait en lui tandis que les membres de l’équipage allaient et venaient autour de lui, il laissa son masque habituellement chargé d’un léger sourire reprendre sa place. Bien souvent les gens le prenaient pour un homme manquant cruellement d’éducation. Et même Briana avait eu peur de lui les quelques premières fois où ils s’étaient côtoyés en Normandie et pourtant c’était elle qui était à ses côtés à l’heure actuelle. Pas l’une de ses cousines, pas un ami, elle. Comme quoi, l’innocence savait faire la part des choses et voir au-delà des apparences. Cette douce pensée lui mit un peu de paume au cœur, apaisant momentanément ses dérives. Et le capitaine le sortit complètement de sa rêverie pour lui indiquer le départ alors Osfrid acquiesça d’un signe de tête avant d’aller s’enfermer dans sa cabine.

    Un peu plus tôt dans la journée, alors qu’ils voyageaient vers leur destinée sur les routes gravillonneuses, Osfrid avait reçu un courrier de sa mère. Loki avait bien fait les choses et l’avait retrouvé. Bien dressé, l’animal avait même pris quelques grammes au château maternel ce qui fit sourire le danois qui lui avait murmuré « toi tu ne perds rien pour attendre. Tu es mon messager, pas question que tu t’empiffres au point de ne plus voler ». Relâchant le corbeau pour qu’il se pose sur une branche peu éloignée du petit campement de fortune que le danois allait mettre en place pour que Briana ainsi que le vieux charretier qu’il avait engagé pour convoyer les malles de la petite jusqu’à bon port puissent manger, Osfrid prit le temps de lire la missive.

    S’éloignant un peu de ses compagnons de route, il avait reçu la douleur de sa mère en plein cœur. Elle le connaissait sur le bout des ongles et savait qu’il faisait tout pour retarder l’inévitable. Se donnant du temps, estimant que tout n’était pas trop tard. Il n’avait pu le faire avec Sibila et Ragnard mais lui, son père, peut-être que les dieux seraient cléments s’il prenait son temps, peut être que… Serrant la machoire afin de retenir les larmes qui lui serraient la gorge, il inspira profondément avant de retourner auprès de sa petite cousine. Ne pas montrer ses faiblesses d’homme, même à elle… Et avant de repartir, il avait fait grimper Briana sur Grani afin de l’emporter avec lui…

    Se réchauffant les mains l’une contre l’autre, Osfrid était entrée dans sa cabine s’assurant auparavant que la petite était confortablement installée, lui signalant au passage que le départ était donné. « Si tu désires aller sur le pont, vient me chercher avant. Je suis dans ma cabine ». Peu loquace, il devait répondre à sa mère afin de l’avertir que le destin était en marche.


Citation:
A vous ma mère, douce et tendre à mon cœur,

N’y a-t-il donc aucun secret que je puisse vous cacher, n’y a-t-il donc aucun désir que je puisse éviter de vous révéler ? Me connaissez-vous donc si bien Mère qu’il en est parfois impressionnant que vous sachiez autant sur moi ?

Il est vrai que j’ai fait trainer les choses, tout en espérant que cela serve à quelque chose. Je ne voulais pas que le passé se répète et pourtant, le mal est aux portes de notre demeure. Il va me falloir l’affronter à nouveau tout en vous apportant cette épaule que vous réclamez tant pour pouvoir vous y appuyer. Vous me demandez tant et si peu à la fois, comment oserais-je vous le refuser ?

Sachez toutefois que je ne serais pas seul à débarquer à Ribe. Une petite demoiselle blonde, à la langue bien pendue et à la curiosité des plus saisissantes m’accompagne. Il s’agit donc de Briana, la fille de ma cousine. C’est une longue histoire dont je vous épargnerais les détails ce soir mais si père a encore assez de force pour m’attendre, je voudrais qu’il connaisse au moins la petite fille de son frère. Elle est un rayon de soleil dans ma grisaille quotidienne et vous apportera quelques joies malgré la tristesse qui va nous cueillir bientôt. Mais elle sait aussi à quoi s’en tenir, je ne lui ai jamais menti et c’est de son propre chef qu’elle tenait à vous connaitre, vous et père. Aussi, je vous demanderai de faire préparer la chambre de Ragnard. Elle est restée telle qu’elle était depuis ce jour où… et c’est encore un monde d’enfant que Briana y trouvera. Cela pourra peut-être la rassurer, elle qui va entrer dans une famille aux membres inconnus qui subit un drame de plein fouet. Et puis… je peux vous avouer à vous ma tendre mère que sa curiosité a porté ses questions sur mon fils et que depuis des mois, elle fut celle, et bien la seule d’ailleurs, qui a recueilli quelques confidences. Je gage que plus tard, elle deviendra d’une incroyable force de persuasion si elle continue sur ce chemin.

Mère, dans quelques jours nous serons là alors je vous exhorte à tenir bon. Je prendrais la relève et vous pourrez ainsi vous reposer sur moi. Et pour ce qu’il en est de messire mon grand-père, dites-lui que son petit-fils sait très bien mener les affaires familiales et qu’il peut retourner d’où il vient. Et que si ça lui chante, je saurais très bien le lui faire comprendre ! Je pense que ça lui fera plaisir d’entendre cela de ma part.

Il me faut vous quitter chère mère mais sachez que mes pensées vous accompagnent à chaque instant.

Ah et évitez de trop nourrir Loki je vous prie. Après ça, il a tendance à oublier qu’il n’est pas un corbeau de salon mais un corbeau-voyageur et il joue les difficiles lorsque je veux vous le renvoyer. Après vous vous plaignez que mes courriers mettent trop de temps à vous parvenir…

Votre très cher fils,



Lettre sablée, signée, Osfrid chopa son corbeau et l’emmena sur le pont histoire de le jeter par-dessus bord avec ordre de ne pas faire d’arrêt. *Vol ou crève mais fait ton boulot l’ami* pensait encore le danois en aidant au décollage de la bestiole. Ce soir, la froidure était de mise mais Osfrid ne la sentait pas. Et il resta là, sur le pont, accoudé au bastingage.
Briana.
Il commence à se faire tard en ce soir de départ. Dans un coin de la cabine qu’elle occupe, une vieille lampe à huile a trouvée sa place sur le coin d’une petite table, répandant son doux halo de lumière.
Elle, elle a prit place sur la couche qui la verra passer les nuits à venir.
Ce soir, les flots berceront l’enfance de leurs bras pervers. Impétueuse sera l’insaisissable lorsqu’avec violence sa houle viendra cogner la coque du navire.


L’avertissement a été donné en quelques échos de voix qui retentissent et viennent s’insinuer par la porte légèrement tenue entrouverte. Ce soir, la mer n'aura de souhait que de chercher les emporter. Briana, sise en tailleur, arrache alors à son bagage sa poupée qu’elle vient doucement loger contre elle, sous la mante épaisse et fourrée qui la couvre, la tenant à l’abri des grands froids. Calmement, un regard lui est adressée, à elle, la fidèle amie qui ne la quitte jamais, un sourire, quelques mots pour la réconforter : «  Ne t’inquiètes pas ma douce Eléanor… Osfrid est là. Tu verras… nous n’avons rien à craindre et la mer ne nous engloutira pas. Foi de moi. »

Dehors, sur le pont, se font entendre les bruits, incessants, des pas des matelots en train de s’affairer et de préparer un départ qui s’annonçait imminent. Puis à l’ouïe fine de percevoir le claquement d’une porte voisine qui se referme. Serait-ce alors son cousin qui ait ressenti le besoin d’aller humer l’air marin ? D’en avoir le cœur net, poussée par la curiosité d’obtenir rapidement une réponse à sa question, elle glissa de sur son lit sans abandonner sa poupée. Ses pas la menant vers la sortie, elle entrouvrit davantage sa porte et reconnu sans mal celui qui ferait sa compagnie. Cette fois encore, à le voir, il semblait être perdu vers un ailleurs qu’elle ne connaissait pas. Son regard porté sur l’horizon, elle le voyait là, comme lorsqu’ils se trouvaient encore à la Haye du Puits, elle de se tenir là, à l’observer dans l’embrasure d’une porte mal fermée tandis que lui restait immobile, son esprit rejoignant sans doute d’autres mondes, ce monde, celui qui avait englouti son fils, sa femme et qui bientôt ne tarderait pas venir lui arracher son père.

Un léger soupir vint réchauffer l’air, une légère fumée opaque s’élevant , et ce avant que d’un pas décidé, elle ne s’en aille rejoindre Osfrid. Un instant, elle vit son avancée ralentie. Il n’était pas aisé se déplacer dans l’espace réduit d’une caravelle ou tant de gens s’agglutinaient et la course de deux matelots manquèrent de peu de la faire tomber. Une main de l’un d’eux avait réussi à la retenir, lui rendant ainsi sa stabilité. Son équilibre retrouvée, elle s’en alla donc se placer à la hauteur de son cousin.

C’est machinalement que sa petite main libre vint se glisser dans celle bien plus grosse, aspirant à la sécurité, tandis que se hissant tant bien que mal sur la pointe des pieds, elle essayait elle aussi de fixer l’horizon. Sur la vaste étendue, reflétait la rondeur d’une lune au contour parfait alors qu’au loin un corbeau s’éloignait dans un croassement retentissant. Elle l’avait vu, le messager, quitter les mains de son propriétaire, et avec lui s’envolèrent quelques pensées pour ces terres qu’il rejoindrait bien avant eux...

Comment était-ce là-bas ? Les terres, les hommes ? C’est avec un peu d’appréhension qu’elle s’apprêtait à le découvrir.
Et qu’auraient-ils à vivre une fois là-bas ? Peine et douleur serait-elles seules compagnes de leur périple ?

Aux questions de se poser, d’en soulever d’autres.
Que pouvait-on ressentir lorsque l’on perdait quelqu’un à qui l’on vouait amour ?
Quelques années auparavant, sa famille avait du subir la perte d’une petite sœur, mais n’était-elle pas trop jeune pour comprendre, ressentir le mal qui en découlait ? Surement que oui. Car sa peine n’était en rien similaire à celle qu’elle pouvait parfois reconnaître dans le regard de sa mère ou bien encore dans celui de son cousin.

Et là encore, lorsque sentant sa main, son regard vint croiser le sien, pour venir la porter, elle reconnu au fond de ce dernier, ce qu’il ne savait plus dissimuler. Mais qu’était-ce au juste ? De la colère ? De la peur ? Un espoir qui se meurt ? Il y avait tant de choses à lire à l’échange d’un regard. Et cette souffrance, muette qui vint malgré tout arracher aux traits angélique un sourire, qui, donné avec bienveillance, pourrait peut-être, pour un instant , aussi infime soit-il, apporter son lot de réconfort.

C’est tout ce qu’elle se sentait capable d’apporter pour l’heure, au moment même où la cloche retentissait et que les cris des marins s’élevaient d’annoncer le départ. Et voila que doucement, la frêle caravelle se laissait transporter sur les mers du Nord, direction les terres barbares.
Les yeux rivés vers le lointain, son bras passé autour du cou de son cousin, elle laissa s’échapper une question qu’elle s’était maintes fois posée depuis qu’ils avaient quittés Beaumont :



«  Qu’est-ce qui nous attends de l’autre côté ? Racontez-moi , expliquez-moi ce que l’on ressent quand on s’apprête à perdre une personne aimée… »


Savoir pour se préparer, pour ressentir les choses, pour mieux partager. Savoir pour mieux consoler…
Osfrid
    Pas besoin de s’annoncer, pas besoin de mots pour préciser, il savait que Briana était tout près de lui. Et lorsque la petite main enfantine avait trouvé à se loger dans le creux de la sienne alors le danois avait resserré ses doigts autour des siens, la tenant fermement afin de ne plus la lâcher. Briana, petite flamme qui éclairait ses ténèbres, ténèbres dans lesquelles il s’enfonçait de jour en jour. L’inéluctable l’attendait mais il voulait encore croire à un jour meilleur, à ce que demain chanterait encore l’apogée du bonheur. Et dans un soupir, il prenait soudainement conscience qu’il n’y croyait plus. Et ses azurs criaient cette fêlure que plus rien ne saurait combler.

    La mort, cette famille disloquée, ces comportements égoïstes, ces affrontements pour honorer des promesses jamais formulées, de la haine et de la rancœur pleins le cœur, tout aujourd’hui prenait vie en lui au point de ronger cette dernière part d’humanité qu’il lui restait. Mais la petite était là, le tenant encore à bout de bras pour ne pas le laisser sombrer. Elle était le dernier rempart avant qu’il ne se laisse complètement glisser.

    Redressant le visage vers Briana, il tenta un sourire en la portant dans ses bras, calant sa poupée afin qu’elle ne la perde pas. Cadeau de l’enfance, elle aimait cet être de chiffon comme s’il était de chairs et Osfrid se voyait mal ne pas en tenir compte alors il était entré dans son jeu, lui apportant cette complicité qui lui faisait défaut dans sa vie de petite fille. Petite fille qui malgré tout se targuait d’une imagination et de questions sans bornes et là où les adultes n’osaient parler, elle, Briana, voulait savoir. L’étreinte resserrée tandis qu’un frisson parcourait l’échine du danois, il plongea ses azurs dans les siennes avant de l’entrainer silencieusement vers les cabines, choisissant la sienne plutôt que celle de la petite.

    Installant l’enfant sur sa couche, il l’enveloppa dans sa cape à la fourrure de loup afin qu’elle se réchauffe plus vite. Et toujours dans ce silence qui en disait long sur ses réflexions, il servit un verre de lait et un autre d’un alcool sans nom mais dont les matelots lui avaient fait cadeau devant sa générosité dont il avait fait preuve pour le voyage. Tirant une chaise, il s’installa face à la petite, lui tendant son breuvage tout en s’enquillant le sien d’une traite.


    - En toute sincérité, je ne sais pas ce qu’il y a de l’autre côté Briana… ce que l’on espère tous, un endroit où il n’y a plus ni souffrance ni méchanceté, où la douceur et l'amour ne sont pas de vains mots…

    Osfrid marqua un temps d’hésitation. Il ne savait plus vraiment à quoi il croyait à l’heure actuelle. Il était fatigué et ne savait plus à quel saint se vouer. La mort avait fait son travail de sape depuis le temps, et venir quémander une autre vie était devenu pour lui intolérable. Il aurait aimé donner la sienne mais rien n’y faisait, la grande faucheuse ne voulait pas de lui. Alors le Très-Haut ou les croyances ancestrales n’avaient plus ni queue ni tête. Sa tête était vidée de toute question religieuse mais il ne voulait en aucun cas le dire à Briana. Elle avait encore le temps et surtout il ne pouvait pas lui dire qu’aujourd’hui, dieu n’était plus qu’un nom auquel il ne vouait plus aucune considération. Humant l’air marin qui traversait les parois de la cabine en bois, le danois en eut un léger frémissement avant de reposer ses azurs sur la petite. D’un geste calme, il posa son godet sur la petite table, prenant le temps de choisir les mots avec lesquels il allait lui répondre puis doucement, sa main prit celle de la petite blonde dans la sienne, la regardant en la lui caressant doucement, comme pour se donner du courage. Le sujet n’était pas facile mais contrairement à ce que l’on pouvait penser, il ne lui ferait pas faux bond et se préparait à lui répondre.

    - Ce que l’on ressent… c’est difficile à dire tu sais, chaque personne réagit différemment face à la mort. Parfois c’est un sentiment d’incompréhension qui nous prend, pour d’autres c’est de la colère, de la haine, certains te diront qu’ils se sentent soulagés parce que la personne souffrait mais dans la plupart des cas, c’est un immense chagrin de devoir laisser la personne s’en aller qui nous envahit. Savoir que demain elle ne sera plus là, à nos côtés, pour nous guider, nous conseiller ou simplement nous tenir la main… faire un geste, un sourire, nous donner envie de continuer à vivre…

    C’était un sujet d’adulte et Briana était plongée dans ce monde depuis sa petite enfance. Ses parents ne s’étaient guère souciés de savoir si elle s’amusait comme une enfant de son âge et la petite avait grandi vite, trop vite sans doute et maintenant, elle avait soif de connaitre ce monde qui se dévoilait devant elle mais n’était-elle pas encore trop jeune ? Osfrid se posa la question en la regardant puis doucement, il s’s’installa sur la couchette à ses côtés, dos contre la parois de bois qui vibrait sous les assauts du vent qui commençait à se lever et la prit dans ses bras, bien emmaillotée dans sa cape avec sa poupée. D’un geste de la main, il remit une petite mèche blonde dans sa chevelure avant de prendre le parti d’alléger l’atmosphère pour lui raconter son pays. Les maisons faites de briques rouges, de toits de chaumes et de bois foncés, les monastères qui peuplaient les alentours de la ville, le vieux marais proche de la demeure de ses parents, grosse bâtisse faisant plus penser à une demeure bourgeoise qu’à un château… d’ailleurs il ne le nommait que rarement ainsi… et puis la rivière qui bordait son village, sinueuse, parfois douce ou parfois orgueilleuse au point de montrer son mécontentement et de sortir de son lit. Il lui parla aussi des parties de pêche organisées par tout le village afin que tout le monde puisse manger, les marchés remplis avec les vivres provenant des grands bateaux qui partaient si loin mais qui rapportaient toujours des choses extraordinaires, les chevaux bien plus lourds et plus massifs que ceux que l’on trouvait dans son royaume. Et doucement, il entrainait la petite vers un monde inconnu qui le serait moins d’ici quelques jours.

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Briana.
Si certains auraient étouffés de se retrouver enfermés dans la cabine étriquée d'un bateau, il ne pouvait être meilleur endroit pourtant, pour se réfugier et se mettre à l'abri d'une tempête qui s'annonçait.

Ses deux petites mains, remontant sur son visage le col en fourrure d'une cape bien trop large pour elle, cherchaient elles aussi à trouver un peu de chaleur qui soit bonne à les réchauffer. L'une d'elle un peu tremblante, accepta volontiers ce verre de lait qu'elle aurait apprécié trouver chaud, accompagné d'une touche de miel, substance sucrée dont elle raffolait particulièrement.

A quelques gorgées d'être soustraite à la choppe et à la tête de répondre en de légers hochements aux explications qui lui étaient données. Cet endroit, dont il lui parlait... N'était-ce pas le ciel ? Celui qu'elle contemplait si souvent, pointant du doigt, ça et là, son manteau scintillant ? Tellement persuadée qu'elle était que derrière chaque étoile se tenait une âme qui avait dû quitter leur bas-monde, pour elle, il ne pouvait être autre endroit que celui-là.
Et cette façon qu'avait de réagir les gens... Voilà que bientôt elle serait confrontée à la situation. Bientôt, ils auraient à rejoindre le Danemark et bientôt elle aurait à en faire l'expérience. Elle ne souffrirait certainement pas tant que son cousin, où ceux qui lui étaient bien plus proche, mais elle ressentirait tout de même, au moins la teneur des sentiments d'un fils qui perd son père, d'une épouse qui perd l'être cher.

A son tour, elle abandonna un verre vide de son breuvage lorsqu'elle se sentit attirée. Et si elle avait un instant cru que le meilleur endroit pour se sentir en sécurité fut entre les quatre murs de la cabine dans laquelle ils étaient installés, elle découvrit bien vite qu'il n'y avait pas meilleur que l'espace de deux bras se refermant sur elle. Là, bien calée, confortablement blottie, elle écoutait, les paupières clauses, ce que serait ce pays... Son pays à elle aussi. Au récit de l'aspiré, de la transporter, de lui inspirer ses rêveries.

Nuit de rêves entrecoupée de quelques éclats de voix lorsqu'ils purent deviner les tensions croissantes entre quelques matelots, résultat d'une cohabitation trop étroite surement, ou tout peut être étincelle susceptible d'allumer un grand feu de violence. Et cette houle qui n'aura de cesse de les accompagner durant tout le temps de la traversée. Le bruit des vagues éclatant contre la proue. La mer couvrant et découvrant le pont, la coque craquant comme si d'un coup, elle pouvait se briser sous la force de l'Insaisissable, les mâts qui sifflent et les voiles qui s'affolent.

Aux jours et aux nuits de se ressembler, jusqu'à cette matinée où leurs pieds foulèrent de nouveau le pont, pour découvrir une mer moins agitée, presque paisible, un vent doux gonflant les voiles. Ils avaient répondu à l'appel de la vigie, qui fidèle au poste, situé dans le hunier du grand mât, avait crié si fort que tous s'étaient précipité au dehors.



"Teeeerre en vue à baaaaabord !


Pour autant, la pluie n'avait pas cessée de tomber et les azurites cherchant à percer du regard l'écran d'eau que le ciel gris déversait, aperçurent enfin les terres au loin. Un sourire irradia le visage enfantin avant qu'un cri ne s'élève et qu'elle cherche à présent du regard son cousin dont la silhouette se dessinait enfin quittant sa cabine.


" Osfrid ! Osfrid ! Nous y voilà enfin ! Combien de temps encore avant que nous ne posions pied à terre ? J'ai tellement hâte de découvrir, en vrai, tout ce à quoi j'ai pu rêver durant notre traversée..."


Et aux yeux d'appréhender de nouveau les côtes. Côtes qu'elle foulerait bientôt... Bientôt...
Osfrid
    "Teeeerre en vue à baaaaabord !

    C’était le signal, les mots qu’il attendait, ceux qu’il espérait. Dépliant enfin sa grande stature, Osfrid attrapa sa cape qu’il glissa sur ses épaules d’un geste souple du poignet avant d’ouvrir la porte de sa cabine et se diriger vers le pont. Mais soudain la petite voix résonna proche de lui et un sourire naquit sur ses lèvres, il souleva l’enfant de terre pour la prendre dans ses bras.

    - Regarde Briana, là-bas tu vois ? Un bateau vient à notre rencontre. Ribe est un petit port et on ne peut pas accoster avec le nôtre, bien trop grand, alors on va prendre place dans le plus petit… Nos malles vont être transportées plus tard…

    Le temps passa et ce fut debout, sur le devant de la grande barque qu’Osfrid se présenta sur ses terres ancestrales. Un pied sur le bord, au-devant de la barque, il se tenait ainsi prêt à sauter une fois que l’embarcation aurait touché le sol. Chose qui fut faite assez rapidement et sans laisser le temps aux gens de manœuvrer, le danois toucha terre enfin le premier. Instant saisissant, il en ferma les yeux. Revenir à Ribe pour y enterrer les siens alors qu’il avait quitté cette même terre pour la même raison bien des mois plus tôt. C’était là le paroxysme de la vie. Se retournant rapidement, le danois aida à l’accostage puis il tendit les bras à sa petite cousine pour l’attraper et la faire virevolter dans les airs avant de s’interrompre, à bout de souffle mais heureux. Gardant Briana dans ses bras, il avait besoin encore de la sentir près de lui un petit peu car une fois l’oiseau posé à terre, il savait que le reste se mettrait en place, engrenage de la vie qui s’enchainait les uns aux autres... Malgré cela, la fierté se lisait dans ses traits et son regard et ce fut d’un pas conquérant qu’Osfrid s’empressa de rejoindre un homme aux cheveux longs qui se tenait prêt d’une charrette. Les salutations se firent fraternelles une fois qu’il eut posé Briana à terre. Une main sur la nuque du danois, l’homme tenait Osfrid et ne cessait de le regarder tandis que ce dernier frappait ses épaules avec chaleur.

    - Harald, vieux bougon, tu m’as manqué !

    - pas autant que moi vieux frère, pas autant que moi… Puis Harald fit un signe de tête en direction de la plus grande demeure qui se tenait sur la petite colline là-bas au loin. Elle t’attend avec impatience, ça fait des jours… Se tournant vers Briana, le grand viking la pris à son tour dans ses bras puis sérieusement annonça. Je vois que tu nous as ramené de la chair fraiche, nous allons pouvoir faire un excellent repas ce soir !

    Faisant un clin d’œil à Osfrid, il éclata d’un rire franc et sonore tout en installant la gamine dans la charrette.

    - Bienvenue à Ribe Briana. Je m’appelle Harald et je suis l’intendant de la maison Rasmussen de Courcy. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas.

    A peine les présentations faites que le chevelu grimpa à son tour dans la charrette tout en prenant les rênes. Il attendit qu’Osfrid soit installé pour faire avancer la voiture tout en indiquant aux marins qu’il leur renvoyait pour faire prendre les malles. Et durant le voyage, une petite discussion s’installa entre les deux hommes. Quelques phrases en danois fusaient ça et là avant qu’Osfrid passe un bras autour des épaules de Briana. Il savait qu’il ne devait pas l’exclure de sa vie mais certaines choses se devaient d’être réglées au plus vite.

    Mais bientôt, la petite équipée arriva devant les grilles du domaine. Harald ralentit l’allure afin de permettre aux gardes d’en ouvrir les herses. Un claquement de la langue contre son palais pour faire repartir les chevaux et bientôt ils arriveraient dans la cour du domaine. Osfrid se pencha vers l’oreille de la petite et lui murmura avec douceur.


    - La première dame que tu vas voir sera ta grande tante. Elle se prénomme Sigrùn et… je te laisse la découvrir…

    Un regard tendre, un sourire affectueux, Osfrid rassurait la petite comme il le pouvait. Ce monde, ces gens tout lui était inconnu et il se doutait qu’à l’intérieur, Briana devait se poser mille questions. Peut-être même n’avait-elle jamais connu d’instant comme celui-ci, il se le demandait lorsqu’il se remémora un peu la mère de l’enfant. La froideur avec laquelle elle le toisait la plupart du temps, le peu de conversation qu’elle avait. Et dire qu’elle lui reprochait sa façon mordante qu’il avait pour s’exprimer, forcément à préférer le silence on en finit par détester que les autres puissent avoir des avis. Enfin, rapidement Osfrid fut sorti de ses pensées quand il daigna se rendre compte que les sabots des chevaux ne claquaient plus sur le sol. Relevant la tête, il aperçut sa mère sur le pas de la porte, une main serrée sur son estomac, essayant de faire bonne figure. Lâchant doucement Briana, il sauta de la charrette pour aller à la rencontre de celle qui l’avait ramené chez lui et sans un mot, il la prit dans ses bras, la serrant contre son cœur. Les mots étaient inutiles entre eux, juste un long sanglot finit par s’échapper de la gorge de Sigrùn déchirant le cœur d’Osfrid. S’il avait pu épargner la souffrance à celle qui lui avait donné vie… mais il ne pouvait combattre la mort, la seule chose sur laquelle personne n’avait de prise.

    De son côté, Harald sauta de la carriole à son tour pour en faire le tour et tendre les bras à Briana.


    - Si ma demoiselle de Courcy veut bien se donner la peine, je serais heureux de l’amener jusqu’à la demeure.

    Et prenant d’office la main de la petite, il prit la direction d’Osfrid et de sa mère.

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Sigrun



[Dans la demeure familiale de Courcy – Ribe – Danemark ]


- Pavillon étranger en vue dame Sigrùn. Je pense qu’il est enfin de retour !

La nouvelle était tombée au petit matin alors que la brume s’élevait doucement des champs qui entouraient la demeure. Il y avait dans ces mots un espoir, un désir, un besoin maladif de retrouver la paix qui palpitait contre les oreilles de la mère qu’elle était et son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine. Ainsi son fils, son unique enfant, était enfin revenu.

Avec douceur, elle s’approcha du lit dans lequel reposait son époux, qui errait entre deux mondes. Elle lui caressa le front avant d’y déposer un tendre baiser. D’un geste presque maternel, elle remit les couvertures en place avant de se redresser et prendre la direction du couloir. Il lui fallait donner quelques ordres en cuisine afin de faire préparer les plats préférés de son fils. Il aurait surement grand faim et puis, la petite qui l’accompagnait ne devait pas subir la morosité de la maison. D’ailleurs, Sigrùn demanda à Inge de réserver quelques heures dans son après-midi afin de faire visiter le domaine à Briana en sa compagnie. Prendre l’air lui ferait du bien maintenant qu’Osfrid était revenu. Il prendrait la relève au chevet de son père, elle pourrait enfin s’en remettre à quelqu’un.

Et le temps défila sans qu’elle n’y prête vraiment attention. Sigrùn mis un point d’honneur à se préparer afin de célébrer l’arrivée de ses invités même en pareil circonstance. Oh bien entendu, elle aurait pu s’en passer, son fils savait à quoi s’en tenir mais la petite Briana avait fait un long voyage afin de connaître sa famille du nord et rien que pour cela, elle se devait de mettre les petits plats dans les grands. Et puis l’enfant n’était pas responsable du tragique de la situation, elle ne pouvait que subir comme tous ceux de la maisonnée la finalité de cette épreuve alors Sigrùn choisit avec attention une robe simplement brodée aux emmanchures, dans les tons bleutés qui s’harmonisaient à l’azur de son regard. Une ceinture vint lui ceindre les hanches, soulignant sa silhouette encore parfaite pour son âge, des pendants à ses oreilles assortis aux motifs de ses broderies vinrent parfaire sa tenue. Tout était impeccable pour la rencontre qui aurait lieu dès qu’Harald reviendrait. Car dès l’annonce du bateau battant pavillon étranger voguant au large, Sigrùn avait envoyé son intendant afin de s’enquérir de la situation. Son instinct de mère voulait y croire aussi Harald serait sur place pour les accueillir s’il s’avérait que c’était là bien Osfrid qui arrivait. Et elle ne s’était pas trompée. Son fils revenait au bercail.

De loin, perchée dans la plus haute tour de la demeure familiale, Sigrùn avait suivi le débarquement des invités, priant muettement les dieux d’autrefois afin que ces derniers lui accordent enfin la bénédiction de voir Osfrid en personne revenir au domaine. Et sa joie fut la seule réponse qu’elle admit lorsqu’elle aperçut enfin la blondeur caractéristique des mèches de son fils. Dès lors, elle dévala les marches à grande vitesse pour se poster sur le devant de la scène, espérant son arrivée, désespérant qu’il n’arrive pas plus vite. Et quand enfin il fut là, Sigrùn se jeta dans ses bras, prête à défaillir. Elle avait l’impression qu’un poids immense venait de s’ôter de ses épaules, libérant enfin ces sanglots qui l’étreignaient chaque soir mais qu’elle se refusait à laisser sortir. Elle se voulait forte, elle se voulait combative mais Osfrid revenu, il allait prendre la relève et l’aider à accepter l’inévitable.

Se redressant enfin après un instant qui lui parut une éternité, ses yeux croisèrent ceux de son fils. Ses doigts vinrent caresser son visage, retrouver ses traits si familiers qui lui avaient tant manqués quand enfin, Harald arriva à leur hauteur. Sigrùn tenta un sourire sans trop montrer son émotion puis tendit la main à la petite blonde qui se trouvait devant elle.


- Ainsi donc c’est toi damoiselle de Courcy. Permets-moi de t’appeler Briana. Ici nous délaissons facilement le protocole surtout lorsque nous sommes en famille.

Tournant son visage vers son fils, elle inspira profondément avant de reporter ses azurs sur l’enfant.

- Sois la bienvenue chez toi Briana. Notre demeure est la tienne autant de temps que tu le souhaiteras. Et j’espère que tu apprécieras ton séjour parmi les tiens même si, comme Osfrid a dû te le dire, beaucoup de choses vont se passer dans les jours qui viennent. Mais dis-toi ma chère Briana que malgré le chagrin qui m’habite, je suis heureuse d’enfin te connaître. Tu es un oiseau rare tu sais. Il parait que tu as réussi à apprivoiser un ours.

Et Sigrùn jeta un œil amusé à Osfrid avant de tendre la main à sa petite nièce.

- Me feras-tu l’honneur d’accompagner mes pas jusqu’à la cuisine. Il y fait bien meilleur que dehors et j’y ai fait préparer quelques plats afin de vous rassasier du voyage. Et dans l’après-midi, si tu le veux bien, nous te ferons visiter le domaine et ta chambre dont tu pourras prendre possession. Il s’agit de celle qu’occupait Ragnard. Osfrid t’a-t-il déjà parlé de son fils ?

Sigrùn avait tourné les talons afin d’entraîner Briana avec elle, un sourcil levé légèrement inquisiteur et impatient de connaitre jusqu’où avait été son propre fils dans ses confidences à ce petit membre de la famille. Et les dames furent suivies par Osfrid et Harald. Le temps que l’intendant donne quelques ordres et il rattrapa le cortège qui se dirigeait maintenant le long du couloir menant vers la porte qui renfermait les trésors aux fumets particuliers et délicats.
Briana.
Ce fut avec une fébrilité certaine que Briana vint poser le premier pied dans la grande barque chargée de les transporter et de leur faire gagner les terres danoises. Le tangage de l'embarcation n'était pas là de favoriser sa stabilité, et manquant de perdre l'équilibre, elle se rattrapa de justesse à la main qu'on lui avait offerte. Et à cela, vint retentir un rire enfantin, mêlant nervosité et excitation.
Un double état qui se faisait ressentir et qui l'envahissait davantage maintenant qu'elle voyait les terres barbares s'approcher.

Assise à l'arrière du petit rafiot, elle s'était terrée dans le silence, comme si de n'émettre aucun bruit, lui permettait de mieux découvrir le paysage qui s'offrait à eux. Cet inconnu, qui, pourtant, lui semblait presque familier.
Était-ce le fait d'en avoir si souvent entendu parler ? Peut-être était-ce cela ? De l'avoir tant imaginer ? L'imaginaire de ses songes ne l'avait peut-être pas trompé.
Elles étaient là, ces terres qu'elle avait si souvent rêvé, les vallées se dessinant peu à peu parmi les montagnes environnantes, donnant à la vue de voir ça et là quelques fermes isolées entourées d'élevages et de cultures.

Après quelques minutes passées, Briana se retourna pour se rendre compte qu'ils avaient été comme avalé par une brume épaisse. Lui était devenu difficile de distinguer au loin la Caravelle qui les avaient fait quitter le Royaume de France, et se retournant de nouveau pour faire face, elle se sentit comme engloutie, comme si elle venait d'être immergée dans un nouveau monde.
L'inconnu... Intrigante sensation. Elle anime, elle agite, elle excite, elle fait peur.

Un condensé d'émotions qui mettait tous ses sens en actions et qui atteignirent leur apogée lorsqu'elle sentit l'avant de la barque se confondre avec la rive. Sans se faire prier, elle répondit à l'invitation de se lever, se faisant aider jusqu'à rejoindre les bras de son cousin. Un instant, alors qu'elle virevoltait dans les airs, son regard planté dans celui d'Osfrid, elle eut cette impression d'y voir une étincelle de bonheur et pour qu'elle ne s'éteignent jamais, elle aurait aimé que jamais, tous les deux, ne s'arrêtent de tournoyer. Seulement, il n'y avait de pause à la vie. Non ! A celle-ci de continuer et à eux de devoir faire avec. D'avancer vers leur destinée.

Avec lui, elle rejoignit un homme. Un inconnu de plus pour elle, mais qui ne l'était visiblement pas pour lui. Elle observait la Mini de Courcy, cette façon qu'il avait d'accueillir son cousin. Cet homme à l'allure aussi colossale que celle qu'affichait Osfrid, une montagne humaine devant laquelle Briana se sentait si petite. Et quelle angoisse ne vint pas la ronger lorsque ce dernier lui fit quitter la terre tout en faisant allusion au dîner, avec l'idée qu'elle pourrait faire un excellent repas.
Et au rire de la faire frémir avant qu'elle ne cherche désespérément à retrouver le regard confiant de son cousin.

Pas un son autre qu'un...



"Bonjour..."



... ne pu sortir de sa bouche, résultat d'une trop grande impression. Et si elle eut pu parler, elle aurait à coup sur émit le souhait de ne pas finir plongée dans l'un de ces grands chaudrons que l'on trouvait communément dans toutes les cuisines dignes de ce nom.

Les premières retrouvailles terminées, installée dans la charrette, blottie contre Osfrid, les petites esgourdes s'emplissaient d'un idiome qu'elle n'avait pas coutume d'entendre et qu'elle comprenait encore bien moins. Alors durant ce temps, les petites azurites se plaisaient à découvrir la demeure qui allait les accueillir. Bientôt la herse fut passée pour être sitôt refermée tandis qu'elle relevait doucement le menton vers son cousin acquiesçant à ses dires. Sa grand tante... Voilà qu'elle allait la rencontrer. Serait-elle seulement ravie de la voir venir ici ? Elle l'étrangère au Pays...
Osfrid avait beau eu lui parler d'elle, elle n'était pas rassurée pour autant. Pas tant qu'elle ne l'aurait pas vu.

L'instant ne tarda d'ailleurs pas à se présenter. Elle était là, attendant avec toute l'impatience que devait éprouver une mère de revoir son fils. Un fils qui ne tarda pas aller la rejoindre et l'étreindre comme il se devait. Et elle regardait la petite âme, le tableau, son petit coeur s'emplissant d'une vive émotion qu'elle s'efforcer de ne pas laisser transparaître.
Pour elle, c'était comme si la faute leur revenait. A sa famille, restée de l'autre côté, par delà les mers. De leur faute, si Osfrid s'était retrouvé si loin des siens.

Alors qu'elle gardait les yeux rivés sur le couple mère/fils, elle vit son attention détournée par Harald. A la main tendue, elle répondit en y glissant la sienne pour se laisser conduire jusqu'a eux, un léger sourire accompagnant son geste, fortement intimidée qu'elle était pour l'heure face au géant danois. Et si ce dernier était content de l'amener jusqu'en la demeure, en son for intérieur, elle espérait vivement que le premier endroit qu'il lui fasse visiter ne soit pas les cuisines.

Et puis la voix, douce et féminine de retentir lorsqu'ils stoppèrent leurs pas. Sans crainte, sa main échappa à celle d'Harald pour s'avancer vers sa grand tante qu'elle écoutait attentivement, un sourire détendant progressivement les traits un peu trop crispés de l'enfant. Les mots étaient là de la rassurer. Soulagée, elle était la bienvenue. Jamais elle n'aurait cru prétendre recevoir pareil accueil.
De temps en temps, les azurs se portaient sur Osfrid avant de se reposer sur Sigrùn. Elle repensait, elle, à l'accueil qui avait été fait à son cousin. Lui, qui, contrairement à ce qu'elle vivait en l'instant, avait été reçu comme un intrus à leur famille. Si sa mère avait pu voir ça... Sans doute porterait-elle sur ses épaules, le poids de la honte. Car que ressentir d'autre ?
Osfrid aurait du recevoir les mêmes faveurs qu'elle. Depuis quelques temps déjà, elle en était convaincue et ce jour plus encore.
Il méritait bien plus que ce "Rien" qu'ils avaient su lui apporter. Et Briana l'avait deviné. C'est sans doute pour ça qu'elle s'était entêtée à s'immiscer dans sa vie. Elle avait creusée, rencontré des murs faisant obstacles à leur relation, et enfin, un jour, elle avait trouvé le bon chemin. Celui qui l'avait menée tout droit vers le coeur de l'homme. Un coeur qui n'était pas aussi noir qu'il le laissait croire.
La Bête avait été apprivoisée c'est vrai, et elle était si fière d'y être arrivée.

La conversation se poursuivant, elle glissa naturellement sa main dans celle de Sigrùn, prête à la suivre. Un regard fut adressée par dessus son épaule tandis que déjà, ils s'enfonçaient dans la demeure, juste pour s'assurer de voir qu'Osfrid étaient toujours là, mais aussi pour surveiller le géant d'Harald.

Ses yeux tournés vers sa grand tante, continuant d'avancer, elle se décida enfin à rompre son silence. Les premiers mots furent doucement prononcés, ne voulant surtout pas qu'Harald puisse l'entendre.



" Ma tante... Je veux bien vous accompagner en cuisine, mais je crois qu'Harald veut faire de moi votre dîner. Vous ne le laisserez pas faire n'est ce pas ?..."


Et reprenant d'une voix plus audible.


"... Il me tarde, ma tante, de découvrir toutes ces choses dont vous venez de parler, même si j'ai déjà l'impression de les connaître un peu. Osfrid m'en a souvent parlé vous savez... et de Ragnard aussi... "


Comment aurait-il pu en être autrement, pour elle dont la curiosité n'avait pas de limite. C'est sans doute comme ça d'ailleurs, qu'elle avait su apprivoiser l'Ours, toucher l'homme. Pour ce qu'elle avait voulu tout savoir, tout connaître de lui.

Puis à une question qu'elle posa à son tour de venir agrémenter la conversation, alors qu'ils pénétraient dans la cuisine, l'odorat et les papilles se mettant en éveil.



" Et mon oncle, ma tante ? Pourrai-je le voir lui aussi ?"



Avant, songea-t-elle intimement, qu'il ne soit trop tard...
Sigrun


La petite main s’était glissée dans celle de Sigrùn et le regard bienveillant de la danoise s’était posé sur Briana. Un sourire avait animé les lèvres carmins tandis qu’elles avançaient dans les couloirs de la demeure. Resserrant parfois son étreinte sur les doigts de l’enfant, Sigrùn l’écoutait avec attention surtout lorsque Briana lui murmura quelques mots à propos d’Harald. La blonde mère se retint de rire devant la supplique enfantine puis se penchant un peu en avant afin d’atteindre son oreille, le visage légèrement tourné vers les hommes qui prenaient leur temps, Sigrùn murmura doucement.

- Ne t’en fais pas, ce grand dadet d’Harald ne touchera aucun de tes cheveux. Il aime trop la tendresse des enfants pour en manger ne serait-ce qu’un. Sais-tu qu’il a trois fils et une fille qui ont à peu près ton âge…

Sigrùn connaissait trop bien Harald pour savoir qu’il avait voulu coller à la réputation qu’on faisait des gens du nord sur les terres françaises. Bien entendu, les légendes vikings avaient contribué à cette rumeur qui faisait d’eux des barbares mais l’homme aurait pensé que leurs frères normands qui étaient pour la plupart issues de leur peuple auraient été plus compréhensifs envers Osfrid, ce qui n’était pas le cas aux dires de ses longs courriers qu’ils échangeaient. Se redressant, la blonde mère sourit à Briana tout en lui caressant la joue. Geste affectueux d’une femme à une petite fille, geste sans équivoque d’une mère à un enfant. Sigrùn aurait tant voulu donner une fille à son époux mais le second fils qui était né n’avait pas survécu à la froidure de l’hiver qui avait frappé peu de temps après sa naissance. Et la femme qu’elle était alors, encore jeune, n’avait pu se remettre de ce deuil. Elle avait caché ses blessures, enfouit bien loin la douleur de cette perte qui la rendait souvent nostalgique d’un passé qui aurait pu être autrement mais pour son fils, elle avait fait abstraction et continué à vivre sans qu’il ne se rende compte de rien, ou si peu. Car elle savait son fils sensible et parfois, lorsque longuement elle regardait au loin, il lui demandait alors glissant ses bras autour d’elle. « Mère pensez-vous encore à lui ? »

Et souvent, elle venait caresser son visage de sa dextre, légère comme une plume afin d’effacer la douleur qu’elle provoquait à son tour chez son fils. Et aujourd’hui, son geste s’était fait doux et serein face à cette petite normande qui se faisait timide mais adorablement présente. Sa petite voix continua sur sa lancée, lui révélant enfin qu’Osfrid n’avait pas été avare. *Pour une fois !* pensa-t-elle en poussant la porte de la cuisine, surprenant Inge avec une cuillère de bois dans la main, goutant une sauce qu’elle venait préparer.

-Inge, je te prends la main dans le sac et après ça, tu diras que c’est la cuisinière qui t’oblige à gouter tous ses petits plats qui font que ta taille s’épaissit. Et bien ma fille, tu ne manques pas d’air !

Le visage se faisait dur et sans lâcher la main de Briana, Sigrùn s’était stoppée dans l’entrée de la pièce. Mais le sérieux de la situation ne fit pas long feu lorsqu’Osfrid se précipita sur la femme prise en flagrant délit de dégustation, la souleva de terre pour la saluer à son tour. Sigrùn sourit devant la situation avant de conduire Briana à une chaise et de s’installer à ses côtés. Les épaules s’affaissèrent légèrement, usées par la fatigue, l’attente et l’angoisse de perdre son mari. Mari dont Briana lui rappela qu’il était encore parmi eux et qu’elle souhaiterait le voir. La danoise posa son regard emplit de douceur sur l’enfant, le bleuté de ses yeux avaient perdus de cet éclat qui faisait qu’on ne pouvait rarement se détacher d’elle puis elle ferma les yeux un instant, court instant afin de reprendre pied dans ce monde qui était devenu son quotidien.

- Bien sûr mon enfant que tu le verras. Osfrid t’y conduira lui-même afin de te présenter. Ton oncle Cillien sait que tu dois venir. Je lui ai annoncé ta venue dès que mon gaillard de fils m’en a fait part et sais-tu ce qu’il a fait ?

Sigrùn prit à nouveau la petite main dans la sienne. Elle partageait là des moments intimes avec cette petite fille qu’elle ne connaissait pas mais l’instinct d’une mère ne se trompe que rarement et Sigrùn avait vu en Briana tant de tendresse pour les siens, tant de curiosité mêlée à cette inquiétude de l’inconnue qu’elle ne pouvait faire autrement que lui ouvrir les portes de sa famille. Elle reprit après s’être légèrement redressée.

- Et bien il m’a murmuré de sa grosse voix tout droit sorti d’une caverne « il en aura fallu du temps pour connaitre les petits enfants d’Enguerrand mais je ne tiens pas à partir sans avoir pu lui parler. Il me faut un souvenir d’elle parmi les siens ».

Sigrùn se leva puis passa à côté de son fils qui s’était installé près de la cheminée, serra son épaule au passage avant d’aller prendre une bonne bolée de soupe qu’elle apporta à la petite fille.

-Tu vois Briana, il t’attend. Pour lui c’est important de faire ta connaissance. Mais il est dommage que ta mère et ton frère ne soient pas venus avec toi. Je crois qu’elle est très occupée d’après ce que m’a dit Osfrid. Duchesse de Normandie ce n’est pas rien, elle ne doit pas être très… disponible.

S’installant à nouveau aux côtés de la petite de Courcy, elle laissa faire Inge qui déjà servait tout le monde, à commencer par Sigrùn. Et la conversation s’orienta sur un autre sujet, celui du repas. Des spécialités à base de poisson qui avaient été pêchés et préparés le matin même. Puis enfin ce fut le moment où Harald prit congés, prétextant quelques tâches sur le domaine. Osfrid le suivit de peu afin de se rendre au chevet de son père. Briana et Sigrùn se retrouvèrent avec Inge dans la grande pièce devenue quelque peu silencieuse.

-Et bien, nous voilà entre dames de bonnes familles comme on dit. Si le temps le permet, nous irons faire une promenade sur la grève. Nous trouverons bien une cape de loup dans les armoires qui t’ira Briana mais en attendant, si tu venais prendre possession de ta chambre. Elle est à l’étage, à côté de celle de ton cousin ainsi tu ne seras pas trop éloignée de lui si tu ne te sens pas rassurée. Il est vrai que cette demeure peut paraitre hostile parfois.

Se levant, elle indiqua à Inge de passer devant puis incita Briana à la suivre en tendant sa main pour qu’elle s’y accroche. L’escalier fut grimpé rapidement et Inge ouvrit la troisième porte du palier avant de s’engouffrer dans un couloir pour enfin pousser la seconde porte devant elle qui menait à la chambre de Ragnard. Cette dernière n’avait pas été touchée depuis des mois, laissant les jouets de l’enfant ainsi que des plumes, de l’encre, des vélins sur un bureau face à la fenêtre en place. Seuls les vêtements du garçonnet avaient été retirés et rangés dans des malles. A la place, Inge avait pris soin de poser quelques habits plus féminins à l’attention de la petite, histoire qu’elle puisse trouver de quoi se changer si elle n’avait pas prévu ce qu’il fallait pour le climat de Ribe. Et enfin, un bouquet de fleurs avait été posé sur la table de chevet.

- J’espère que cela te plait ? intervint Sigrùn avec douceur. Tu peux te servir de tout ce qu’il y a ici. Osfrid y tient. Harald fera monter tes malles dans la journée.

Sigrùn s’approcha de Briana pour lui déposer un baiser sur le front.

- Pour ma part, je vais rejoindre ton cousin, il me faut lui dire quelques petites choses mais Inge va rester avec toi afin que tu ne te sentes pas seule et je reviens rapidement. Nous irons prendre l’air par la suite.

Un dernier sourire, Sigrùn disparut rapidement dans le couloir avant de se rendre dans ses appartements où Osfrid se tenait, assis sur le bord du lit, la main de son père dans la sienne, lui murmurant dans sa langue maternelle tant de choses que la danoise en eut le souffle coupé. La fin était proche et jamais elle ne s’était sentie aussi seule de sa vie malgré la présence des gens autour d’elle.
Briana.
Elle avait largement sourit. Presque rit même, en entendant sa Grand tante imiter les dires de son oncle d'une grosse voix.
Bien installée, attablée, attendant de pouvoir se rassasier, Briana gardait son minois tourné vers l'aïeule, son regard suivant le moindre de ses déplacements, le moindre des gestes qu'elle voulait bien faire. Et elle l'écoutait, toujours avec la même attention.

Elle avait compris la toute jeune de Courcy que son oncle, tout autant qu'elle, était envieux de la découvrir et c'est d'un signe de tête qu'elle était doucement venue acquiescer avant qu'un discret " Merci " ne daigne s'échapper d'entre ses lèvres.

Le menton légèrement avancé, tête toute juste placée au dessus de son bol de soupe, elle huma le fumet qui s'en dégageait, gonflant ses narines d'une délicieuse odeur. Les petites mains en avaient profité quant à elles, pour venir récolter davantage de chaleur, leurs paumes épousant le grès qui s'était vu réchauffé par le breuvage.


" Vous savez ma tante, je crois que vous avez raison. Moi aussi je trouve dommage qu'Erwan et Maman n'aient pu nous accompagner... "


Les petites azurites vinrent se figer dans celles de sa tante, comme si, durant un court instant, elle était venue se perdre dans son propre regard.
Elle aurait pu poursuivre, plaidant pour la cause de sa mère, l'excusant elle aussi. C'était ce que faisait continuellement les gens. Excuser ses trop longs moments d'absence prétextant qu'elle avait fort à faire de par le rôle qu'elle tenait en temps que Duchesse. Même sa grande tante semblait lui trouver des circonstances. C'est du moins ce qu'elle avait pensé en l'entendant conclure à ce sujet.


"... Mais je suis certaine que mon frère aurait aimé vous rencontrer, vous, mon oncle, et voir aussi tout ce qui nous entoure. Un jour, si vous me le permettez, avec lui je reviendrai, pour lui montrer. "


Sans attendre la moindre réponse, puisque quoi qu'on eut pu lui dire, intimement la petite de Courcy s'était fait promesse de revenir un jour ou l'autre, seule ou accompagnée, sur les terres de ses ancêtres, elle avait porté son bol de soupe à ses lèvres, s'en abreuvant avec précaution d'une première gorgée.
Et celle qui avait vu son estomac quelque peu noué en arrivant, avait vu son appétit devenir grandissant au fur et à mesure que les divers mets préparés leurs étaient présentés.

Le repas avait soustrait quelques minutes au temps, et le ventre rempli, la silhouette de l'enfant s'était un peu affaissée dans le fond de sa chaise, complètement repût. Sans rien dire, elle avait vu la pièce se vider de présence. Harald... Osfrid qu'elle suivit du regard jusqu'à ce qu'elle le voit disparaître et ce avant de reporter son attention sur Sigrùn.
Silencieusement, elle avait répondu à l'invitation de se lever, glissant sa main dans la sienne, se laissant conduire jusqu'à la chambre qui lui était destinée. Et déjà ses pensées s'en allaient vers l'autre monde, celui qui avait accueilli Ragnard et tant d'autres.
La porte ouverte, son seuil passé, la chambre était découverte avec intérêt. Sa main s'était doucement défaite de l'emprise de celle de Sigrùn, ses pas la poussant à s'enfoncer davantage dans la pièce.

Tout ! Elle avait tout d'une chambre d'enfant. Les jouets, le petit mobilier... Une étrange sensation la prit soudainement au ventre la forçant à se retourner vers sa tante, ses yeux se cognant au vide que laissait apparaître la porte grande ouverte. Pour un peu, elle l'aurait presque senti là, occupant encore les lieux.
Rien, dans ce que fut sa chambre, ne semblait avoir été dérangée, comme si elle restait là, à attendre le retour de son propriétaire.
Ragnard... Comme il devait leur manquer. Comme il devait Lui manquer, à Lui, plus qu'à n'importe qui d'autre...

Sa tante venue près d'elle, elle se logea un instant tout contre elle avant de la laisser partir, ses deux bras encerclant sa taille dans une douce étreinte, le temps tout juste de lui souffler quelques mots.


" Merci ! Pour cette chambre... Pour tout... "


Un sourire accompagna ses dires tandis que le minois se relevait doucement vers celui de Sigrùn avant qu'elle ne se décide à effectuer un pas de recul pour qu'elle puisse enfin rejoindre son cousin.

Doucement, elle regarda la porte de la chambre se refermer sur sa tante, avant de se diriger vers la couche sur laquelle elle se hissa, s'y allongeant sur le côté. Un instant, elle chercha après sa poupée, tâtant du bout des doigts les couvertures sur lesquelles elle s'était couchée.




" Inge ? Auriez-vous vu Éleanor, ma poupée ? "



Au signe de tête allant de négation, elle se souvint alors que celle-ci avait été soigneusement rangée dans l'une des malles qu'ils avaient abandonnées sur le navire et elle devrait attendre avant de pouvoir la retrouver.


" J'espère qu'elle va bien ? Parce qu'elle n'aime pas que je la laisse seule trop longtemps vous savez..."



A moins qu'en vrai, ça ne soit Briana qui ait du mal à se passer de l'amie, presque imaginaire, qu'elle s'était inventée en sa poupée...

Un léger soupir vint mourir après que la petite fille eut émit un long et large baillement. Ses yeux courraient alors les étagères, découvrant tantôt un bateau sculpté dans le bois, quelques soldats trônant fièrement et cette panoplie de guerrier, le tout reposée sur un destrier fait de bois, un peu comme celle que son frère, un jour, lui avait offert, a elle, son envie du moment étant de jouer les Chevalier, un peu comme Baile qu'elle avait pu rencontrer et qu'elle avait tant admirée.

Ses yeux à présent fermés, sans même qu'elle ne s'en rendre compte, emporté par la fatigue du voyage, elle se l'imaginait, ce cousin que jamais elle n'aurait plaisir à connaître autrement que d'en entendre parler. Elle s'imaginait, ce à quoi il avait pu ressembler. Un jour, Osfrid lui avait dit que surement il l'aurait aimé. Elle aussi très probablement. Et qui sait si dans le tréfond de ses rêves, elle ne le verrait pas ?
Les rêves, n'étaient-ils pas le meilleur endroit qui soit pour revoir ceux qui trop tôt nous avait quittés ?
Elle, elle en était persuadée...

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      Parce que ma vie à moi est faites de rêves, j'ai décidé de faire de tous mes rêves une réalité.
      " Ne rêves pas ta vie, mais vis tes rêves "... avec une pensée pour Lui
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