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[RP fermé] Au nom de tous les miens *

Osfrid
    « Jusqu’à la mort nous espérons toujours. » *


    - Je suis là mon père… je suis là….

    Les mots n’avaient que peu d’importance, tout ce que pouvait dire Osfrid n’était qu’illusoire et pourtant, le danois ne pouvait se résoudre à laisser son père dans l’ignorance de son arrivée. Lorsqu’il avait franchi le seuil de la chambre, Osfrid s’était arrêté quelques instants laissant son regard se figer sur cet être qu’il avait connu toute sa vie robuste et plein de vie. Mais ce colosse n’était que d’argile et aujourd’hui il sombrait. Le cœur meurtri de cette douloureuse constatation, le danois avança alors en direction du lit, retenant sa respiration avant de se laisser aller à prendre la main paternelle qui l’avait si souvent retenu pour ne pas, à son tour, sombrer dans les méandres de la folie.

    Mais aujourd’hui, le combat était perdu d’avance, il le savait. Rien ne pourrait ramener cet homme sur les rives de Ribe. Le mal était bien installé, la fièvre, fleur carnivore, dévorait inlassablement sans conteste l’âme du normand. Osfrid prit alors le fauteuil où il devina sa mère, jour et nuit, au chevet de son père, reprenant avec la délicatesse qu’un enfant envers son père pouvait avoir les doigts du de Courcy dans sa paume. Un court instant, sa tête bascula légèrement en avant sous le poids de la dure réalité. Force étant de constater qu’il revivait inlassablement la même scène. Une nouvelle fois il n’était pas du bon côté de la barrière, une nouvelle fois il ferait parti des vivants… Alors il aiderait à faire ce deuil qui venait lui ronger l’âme un peu plus longuement. Le mal avait déjà bien entamé le travail lorsqu’Osfrid avait perdu femme et enfant, il donnerait un coup supplémentaire afin de saper le reste du moral du danois et l’entrainer un peu plus vers le fond avec légèreté. Mais l’heure était au recueillement alors en bon fils qu’il était, il récita quelques prières, de celles qu’il avait appris chez les prêtres aristotéliciens mais aussi celles oubliées, d’un passé pourtant si présent aujourd’hui. Et ce fut ainsi que Sigrùn le découvrit, murmurant en danois les mots anciens. Elle s’approcha sans faire de bruit, posa une main sur l’épaule de son fils avant de s’installer à ses côtés. Puis ce ne fut qu’une voix qui s’éleva dans la chambrée. Les doigts noués à ceux de son fils, ensemble ils faisaient front.

    Combien de temps dura cette mélopée, nulle ne sut le dire finalement mais une chose était certaine, elle eut le don de sortir Eudes de sa léthargie. Comme tiré de son sommeil trop profond, il ouvrit les yeux doucement avant de les poser sur son fils et sa femme. Quelques mots, une toux qui vint le saisir, Osfrid se releva rapidement afin d’aider son père à respirer tandis que Sigrùn lui offrait un peu de tisane aux plantes médicinales qui malheureusement, restaient sans effet. La respiration paternelle se calma doucement, des oreillers vinrent accueillir son corps afin qu’il puisse s’entretenir avec son fils, en tête à tête, demandant ainsi gentiment à sa femme de les laisser entre hommes. Elle en profiterait surement pour passer du temps avec Briana comme elle le lui avait promis. Et la discussion dura un long moment. Osfrid avait parfois grincé des dents, parfois il avait souri mais il avait toujours approuvé la parole de son père. Rares étaient les fois où il s’était opposé à la décision paternelle et là, rien n’aurait pu l’y obliger. Il recevait les dernières volontés aux frontières de la mort de celui pour qui il avait la plus grande admiration. Ça forgeait le respect. Puis vint le temps où Eudes désira voir sa petite nièce. Alors Osfrid se déplaça lui-même, laissant sa mère prendre le relais et profiter de cet éveil pour dire tout ce qu’elle n’avait pas pu dire à son époux.

    Entrant dans la chambre de son fils, Osfrid se mit à respirer plus longuement, le chagrin faisant déjà son œuvre, détruisant les premières barrières qu’il avait mis tant de temps à édifier. S’arrêtant au milieu de la pièce, ses yeux se posèrent sur chaque objet ayant appartenu à Ragnard, se souvenant de son rire d’enfant, de sa voix, de ses cris, de ses pleurs. L’émotion était trop forte mais le danois serra les dents , faisant signe à Inge de sortir. Il s’occuperait de Briana lui-même. L’espace d’un instant, il avala l’air avec avidité, la tête légèrement en arrière, chassant des larmes qui montaient en lui. La faiblesse d’Osfrid résidait dans cette maison. Sa famille était tout pour lui et il en perdait chaque membre un par un.

    Doucement, ses pas le rapprochèrent du lit sur lequel il se posa délicatement. Sa main vint caresser la joue enfantine à laquelle il se réchauffa quelques secondes avant de déposer un baiser sur cette dernière, venant lui murmurer tout bas.


    - Petite princesse, regarde ce que j'ai pour toi… Et sans plus attendre, Osfrid posa Eleanore aux côtés de Briana, la laissant le retrouver comme bon lui semblait.

    Puis se forçant à lui sourire, cachant sa peine au-delà de ses traits tirés, le danois observa l’enfant. Il retrouvait un peu de ses cousins, les frères d’Adeline surtout dans le regard, parfois les mimiques qu’elle faisait aussi… Fil aurait été fière de sa nièce pensa-t-il encore alors que déjà Briana venait contre lui. Ce contact qu’ils avaient établi, ce lien qui s’était créé au fur et à mesure du temps passé ensemble, Osfrid savait que si demain il arrivait malheur à la petite, il en mourait. Son cœur usé ne résisterait pas à la perte de Briana. Elle l’avait aidé sans le savoir, elle l’avait porté de ses petits bras afin qu’il sorte la tête de l’eau, elle l’avait accepté tel qu’il était, touché, brisé, meurtri et il l’avait alors aimé comme un trésor dont on ne pouvait plus se séparer.

    Refermant ses bras autour de Briana, il l’avait bercé, retrouvant cette tranquillité qu’il n’avait qu’en sa présence puis soudain, il lui murmura.


    - Ton oncle est réveillé et il voudrait faire ta connaissance. Tu crois que tu es prête ?

    Laissant le choix à l’enfant de savoir si elle le désirait tout autant que lui, il attendit qu’elle lui donne son approbation avant de la prendre par la main et de la conduire auprès de son père. Il lui présenta comme Eudes Cillien de Courcy même si, dans la maisonnée tout le monde l’appelait Cillien. Il avait abandonné le Eudes en Normandie où là-bas il était connu sous ce nom. Puis Osfrid avait installé Briana sur le bord du lit avant de se mettre en retrait. Non pas qu’il désirait écouter la conversation mais, prévenant, il préférait être prêt s’il s’avérait que son père se sentait mal. Et il regarda la scène sans vraiment y prêter attention, un léger sourire posé sur ses lèvres. Entre chuchotements et confidence, entre sourires et rires, Cillien parla d’Enguerrand son frère et grand-père de Briana, il lui conta leur famille, ce passé d’un autre temps qui bientôt serait oublié pour de bon, étant le dernier représentant de cette branche qui mourait avec lui. Et Osfrid sentit un poids venir l’accabler. Il n’avait laissé aucune chance à la mère de Briana de venir ici afin de faire la connaissance de son père mais comment l’aurait-il pu elle qui semblait se moquer des siens. Il aurait aimé faire plus, la convaincre… Oh pas pour Adeline, d’elle il s’en moquait mais pour son père. Il aurait mérité de connaitre aussi Erwan…

    Se passant une main sur le visage, Osfrid chassa cette culpabilité à grand coup de pied afin de garder l’esprit libre pour les heures à venir. Et ses heures furent bien sombres malheureusement car cette nuit-là, au milieu du silence qui habituellement peuplait les maisons, on entendit un cri retentir dans la chambre familiale. Osfrid n’avait pu que laisser faire la mort qui était venue prendre l’âme prête à les quitter. Et dans un dernier effort, le danois s’était levé, avait déposé un baiser sur le front de Cillien avant de prendre sa mère dans ses bras, la serrant fort contre lui, retenant à nouveau ses larmes, les empêchant de montrer sa faiblesse d’homme. Puis tournant la tête, le visage grave, le regard perdu, il aperçut déjà Harald qui pénétrait dans la chambre suivi par Inge qui tenait la main de Briana. Briana qui allait être confronté à la mort pour la première fois de sa vie alors il l'appela doucement tout en lâchant doucement sa mère qui trouvait refuge dans les bras d'Inge tandis qu'Harald s'occupait de Cillien.


    - Viens...

    C'était tout ce qu'il était capable de dire le danois, les mots restaient coincés quelque part dans sa gorge. Se mettant à la hauteur de sa cousine, il l'attrapa pour la serrer contre lui. Mais qui avait le plus besoin de l'autre à cet instant ?




de André Chénier
Extrait du L'aveugle

_________________
Briana.
Elle s'était endormie sans même s'en rendre compte, bercée par ses souvenirs d'enfant. De ces souvenirs qui vous font agréablement sourire.
Partie loin , très loin, dans un sommeil paisible et profond... Loin de tous les malheurs qui s'étaient et allaient encore venir s'abattre sur cette maison, jamais elle n'aurait pu l'entendre entrer dans la chambre.
Ni le bruit de ses pas battant le sol, ni les intenses inspirations dont il se gorgeait essayant de contenir un flot de douleur venu faire trembler et fissurer, petit à petit, la carapace dont il s'était muni. L'homme avait beau tout essayer pour se faire le plus robuste qui soit, il n'était rien face à la torture qui résultait de la perte d'un être cher.

Seule la place qu'il vint prendre près d'elle, sur le bord du lit, commença à la tirer de ses rêveries. La présence se faisait doucement ressentir, un peu plus à la main dont le contact sur sa peau se fit frais et saisissant avant de se voir réchauffer par le souffle d'un baiser.
Mais ce fut à la voix venue s'insinuer au creux de son oreille qu'elle s'efforça enfin d'ouvrir l'oeil. Elle ne savait pas encore de quoi il en retournait que déjà un sourire était venu égayer le petit minois encore tout endormi qu'elle arborait.
Sa voix aurait suffit à lui donner le sourire, mais c'est doublement ravie qu'elle retrouvait enfin sa poupée.

Le regard brumeux, elle le gardait posé sur Osfrid tout en calant contre elle Éleanor, son visage à demi dissimulé dans la chevelure de cette dernière dont elle humait le parfum... Suave et délicate odeur de fleur d'oranger, fleur chérie d'Occitanie dont ils s'étaient procuré un peu d'eau dans une parfumerie, se rendant un jour à Paris, en la compagnie de sa mère.

Se redressant, elle vint trouver appui contre son cousin, elle qui s'était habituée à la proximité réconfortante qu'il lui offrait. Logée contre son épaule, tout son poids retenu par le buste qu'il imposait, elle continua un instant à se laissait aller à l'éveil dans un silence où seules les respirations calquées sur un même rythme se faisait entendre.
Menton légèrement relevé, elle l'observait, ses azurites fixant les sourires qu'il lui adressait. Mais son regard le trahissait de par l'immense tristesse qu'il renfermait. Un regard, si temps est qu'on y accorde toute son attention était révélateur de tous ressentiments.
Ne disait-on pas que les yeux étaient le miroir de l'âme ?

Et face à cela, elle ne pouvait que lui sourire pour lui montrer qu'elle était là pour l'aider à supporter. Aussi, abandonnant sa poupée, elle se redressa, se retourna pour lui faire face, prenant position sur ses genoux pour venir enserrer son cou de ses deux petits bras. Ce n'était rien qu'une étreinte, mais elle était là pour lui faire du bien, tenter de le rasséréner un peu.

Vint ensuite le moment de quitter la chambre pour qu'enfin elle soit présentée à son Grand oncle, et si elle s'était sentie prête à être conduite auprès de lui, il n'en restait pas moins qu'elle appréhendait la rencontre. Pas pour ce qui était de sa connaissance en tant que telle, mais de crainte de voir ce dernier, à bout de souffle.
Chemin les séparant encore de l'endroit qui accueillait le corps malade, Briana avait tenu à s'informer de son état, manière pour elle de pouvoir mieux appréhender. Elle le savait affaiblit, et elle prendrait soin de ne pas le bousculer.
Et c'est ce qu'elle fit, prenant place près de son Grand oncle sur le bord du lit.

Elle avait regardé Osfrid s'éloigner, avant de prêter toute son attention à cet oncle qu'elle voyait pour la toute première fois et dont elle tendait à apprendre, se nourrissant du moindre de ses souvenirs, du moindre de ses récits. Elle avait écouté, partagé sur bien des sujets. Écouté parlé de son grand-père qu'elle n'avait pas eu la chance de connaître... De la famille, de son histoire, apportant à l'enfant, de ces éléments qui lui manquaient à cet immense puzzle pour comprendre un peu plus son passé à travers celui de ses aïeules.
De son côté, elle n'avait manqué raconter sa mère, son frère, ses ambitions, ses rêves...
Le temps était passé à une vitesse folle et déjà dehors, le jour commençait à décliner, tout comme l'état de son oncle qui, tenu au mouroir, s'efforçait à lutter contre adversaire plus fort que lui.

L'échange avait été des plus enrichissants et à son terme, elle s'était promis qu'un jour elle tiendrait un de ces ouvrages aux cents feuillets sur lesquels elle viendrait y noter toutes les choses importantes et essentielles qui feraient sa vie. Pour elle, mais pas que... Pour ceux qui suivraient aussi, car son Oncle Cillien lui avait fait comprendre une chose, que la transmission familiale était fondamentale.

Un premier, mais aussi un dernier baiser avait été déposé sur le front brûlant de ce dernier avant qu'on ne l'invite à rejoindre les cuisines où le souper l'attendait. Sa main déjà logée dans celle d'Inge, elle s'était retournée sur son cousin dont la place était encore auprès de son père, avant d'apercevoir une dernière fois la silhouette de son oncle et de la voir disparaître derrière une lourde porte que l'on venait de fermer.

La soirée se passa, soupant légèrement, avant qu'elle ne rejoigne sa chambre pour s'y coucher et y dormir. Une prière avait été adressée au Très-Haut pour son Oncle, mais en vain...
Ce soir-là, il était écrit que ni elle, ni personne d'autres d'ailleurs habitant la demeure, n'auraient le droit de passer une nuit sans éveil.
Cette nuit était la nuit durant laquelle un cri était venue signer la fin d'une vie.
Déjà Inge se présentait à la porte de la chambre, le visage gris qui pleurait, les yeux grands ouverts sans songer à essuyer les larmes qui ruisselait sur son tablier alors que Briana s'était levée, cherchant à savoir ce qui avait bien pu se passer.



" Inge ? Mais qu'est ce qui se passe ? J'ai entendu crier..."



Et en tout juste quelques mots, elle tenta de s'exprimer :


" C'est votre Oncle Damoiselle..."
" Mon oncle ? Souffre t-il si fort ? "
" Oh non Damoiselle Briana, il ne souffre plus désormais... "
" Serait-il guérit alors ? "
" Loin de là... Je suis triste de vous annoncer que votre oncle s'est éteint."



Elle comprenait enfin que son oncle ne faisait plus partie de leur monde, elle qui un instant avait cru qu'un miracle s'était produit. A sa demande, elle se fit conduire auprès des siens. Elle voulait être auprès de son cousin et de tante et même si elle ne savait trop que faire, elle savait que sa place était avec eux.
Pénétrant dans la chambre, son regard se focalisa sur le corps inerte de son oncle, ce corps réduit à rien, cette ombre qu'elle avait laissait encore en vie quelques heures plus tôt.
Dans ses yeux aucune larmes. Seul son petit coeur était là de pleurer en silence, lorsqu'elle aperçu enfin Osfrid et qu'elle répondit à son appel en se jetant impétueusement contre lui. Douloureux fut l'instant lorsqu'elle le vit s'agenouiller, s'abattant au sol comme un animal blessé, si rudement, que le sol résonna sous ses genoux.

Elle était là, face à face avec la mort. C'était donc ça ? Une réalité inéluctable contre laquelle on ne pouvait strictement rien faire. Un instant de vie fait de déchirement et de souffrance. Elle avait mal elle aussi, mal de les voir souffrir et de sa bouche s'élevèrent ces mots qui n'étaient alors adressés qu'à lui :



- " Je suis si triste pour vous... Si triste pour ma Tante. Mais songez mon cousin que s'il s'en est allé, c'est pour rejoindre ce monde dont vous m'avez parlé. Celui où l'on ne connait qu'amour et douceur. Je suis certaine que vous aviez raison et qu'il existe. Pensez, mon cousin, à la joie qu'il doit éprouver de pouvoir retrouver son petit-fils... et dites-vous bien qu'un jour, nous les retrouverons nous aussi... après tout ces instants de vie que nous avons encore à partager. Je ne vous laisserai pas, jamais... et vous, promettez-moi de ne pas me laisser... "


La mort était tragédie, mais elle croyait dur comme fer qu'on mourrait pour mieux revivre après. C'est ainsi qu'elle tenta de consoler l'homme à nouveau meurtri, lui apportant par la même tout son soutien, tout son amour dans un promesse qu'elle tiendrait aussi longtemps qu'elle le pourrait.

Etre là, pour lui, pour toujours... même si, elle le savait, la vie se jouerait tôt ou tard de les séparer.
Osfrid
    Le silence… accueillant, apaisant, angoissant…
    Voilà ce qu’il restait d’une vie… le silence.
    Osfrid avait disparu tôt dans la matinée pour aller sur la petite colline derrière la demeure, se poser sous le chêne centenaire qui avait vu tant de choses qu’on ne pouvait faire que le curieux et se demander ce qu’il pourrait nous raconter de ce passé qu’il avait connu ? Et Osfrid était à ses pieds, assis sur l’une des racines qui s’échappait du sol pour onduler sous les feuilles que le vent avait porté à ses pieds, contemplant la mer, là-bas au loin. Cette habitude prise depuis l’enfance lorsque sa mère en faisant autant, cherchant du regard les âmes qui viendraient se perdre près d’elle afin de lui révéler ce qu’était de l’autre côté.

    L’autre côté.
    Ce grand mystère qui nous attachait à tant de questions sans ne jamais trouver aucune réponse. Aujourd’hui il aurait aimé en saisir au moins une afin de satisfaire son besoin de croire à quelque chose. Poussant un soupir à pierre fendre, le danois savait que seul le néant ferait écho à ses interrogations. Remontant machinalement le col de sa cape dont la bordure en fourrure de loup vint caresser sa peau lui rappela tant de souvenirs d’enfance qu’il se sentait au bord du gouffre. Jamais il n’avait ressenti autant ce froid qu’aujourd’hui, jamais il n’avait eu si peur de l’avenir. Son père était celui à qui il se confiait, celui qui posait sa main sur son épaule tout en resserrant ses doigts pour lui faire comprendre qu’il était là, celui qui lui disait de relever la tête et de continuer à avancer. Bien sûr il y avait eu des hauts et des bas entre eux mais Cillien était un homme de patience qui avait su apprivoiser la rébellion de son fils avec acharnement. Et dieu savait qu’osfrid ne lui avait pas facilité la tâche. Mais peu lui importait, Cillien était fier de son rejeton au point de le remettre dans le droit chemin à chaque fois. Mais qui le ferait dorénavant ?

    Etrange sensation qu’il vivait désormais.
    Pas une larme ne s’était échappée de son regard éteint depuis que son père avait rendu son dernier souffle. Le barbare était bizarrement éloigné de tout ce qu’il se passait autour de lui. Il avait entendu Briana lui parler, il avait vu Harald s’occuper de son père, le médecin que Inge avait fait quérir, sa mère qui elle ne pouvait retenir son chagrin. Tout ceci, il l’avait vécu… de l’extérieur. Cette impression d’avoir quitté son corps pour mieux observer sans à avoir toutes les peines du monde à gérer. Et il se refusait à comprendre, à savoir, à admettre tout ce qui devenait une évidence.

    Et la nuit fut longue, très longue.
    Il avait gardé Briana a ses côtés, tantôt dans ses bras, tantôt assise dans le creux de ses bras sur le vieux fauteuil qui maintenant lui revenait. Et entre ses lèvres, avec douceur, il lui avait fait ce serment qui lui tenait tant à cœur. Jamais il ne la laisserait, du moins volontairement parce que l’homme savait que demain tout pouvait arriver. Et si les dieux voulaient lui arracher le danois alors, malgré son petit cœur pur, malgré ce lien indéfectible qu’ils tissaient chacun de leur côté, rien ne saurait arrêter la machine infernale. Et la veillée funèbre avait commencé. Alors en choisissant ses mots, Osfrid avait expliqué à la petite que tous ceux qui le désiraient pouvaient venir afin de dire un dernier adieu à l’homme qui s’en allait. Qu’aurait-il pu dire à Briana qui n’avait jamais connu la mort, du moins pas directement ? Il était désemparé mais en même temps, prenant son rôle très à cœur, il tentait de la guider dans ce que la vie leur montrait. Jamais il ne s’était plein, jamais il n’avait montré sa douleur. Pour sa mère, pour ses amis, sa famille mais avant tout elle, Briana. Il savait qu’elle devinait la torture qu’il s’imposait. Depuis des jours il la devinait attentive à ces paroles comme à ses actes mais il ne pouvait se résoudre à lui montrer cette partie de lui qui ne demandait qu’à flancher. Alors il avait tenu bon des jours et des jours jusqu’à ce que plus rien n’ait d’importance et que l’esprit cède enfin devant la douleur qui ne cessait d’augmenter.

    Et ce fut au pied du grand arbre, à la veille du départ, qu’Osfrid laissa enfin son chagrin prendre possession de son âme. D’abord silencieusement, tel un torrent qui ne peut que franchir les barrières qu’on lui mettait, tout céda au point de faire gémir l’homme sous les pleurs. Les sanglots longs et violents trop longtemps ignorés faisaient des ravages chez le danois. Recroquevillé sous le vénérable chêne, Osfrid n’en pouvait plus de cette vie qui l’avait ainsi terrassé. Pour quoi, pour qui devait-il continuer ?

    Sa femme lui avait été arrachée, son fils prit lui aussi dans les filets de cette mort sans merci et maintenant son père… devait-il mettre genoux à terre pour faire cesser cette hémorragie et faire comprendre aux dieux qu’ils pouvaient le prendre lui et tout arrêter mais il se doutait déjà du refus des éternels face à sa décision d’en finir avec la vie. Alors il continuerait à survivre comme il le faisait depuis des mois pour leur plus grand plaisir. Quant à lui… lui il continuerait à errer entre les mondes à la recherche de ce passé qui lui manquait tant et de cet avenir qu’il se refusait à prendre.

    Soudain un léger vent s’éleva ramenant Osfrid sur le rivage du présent. Il sentit non loin de lui une présence mais ne préféra pas se retourner. Qui que ce soit, il se laissait le temps de cacher ses larmes, cette pudeur toute masculine qui voulait qu’on ne montre pas ce qui nous atteint en plein cœur, et reprendre contenance. Il ou elle arriverait bien assez tôt à ses côtés pour constater ce visage défait et ce repli sur soi, le reste lui appartenait comme toutes ses émotions qu’il continuerait à cacher aux autres. Le gouffre devenait béant, en toucherait-il bientôt le fond ?

    Respirant profondément, il se redressa doucement tandis que ses azurs se portaient sur la barque qui accueillait les premières malles de Briana et du barbare. Tout se mettait en place doucement avant le grand départ. Quitter Ribe serait un nouveau déchirement mais il devait ramener la petite à sa marraine bien que l’idée ne le séduisait aucunement, il ne pouvait pas abuser de la gentillesse avec laquelle elle leur avait permis de partir. Et puis peut être qu’une fois là-bas, il resterait quelques temps dans la Maine. Sa cousine n’avait pas daigné prendre des nouvelles de Ribe alors il n’avait plus rien à faire en Normandie. Sa vie s’organiserait autrement et le moment venu, il rentrerait sur ses terres du Nord pour ne plus en bouger. Mais pour le moment tout ceci lui paraissait encore bien loin… loin de ce présent et de cette présence qui se rapprochait.

_________________
Briana.
Qu'avait été le reste de cette nuit ?

Un trop long moment où, si l'angoisse de voir le dernier souffle de vie quitter le corps de son Grand oncle eut été passé, avait été accompagnée de moult lamentations, synonyme du déchirement qu'occasionnait cette funeste fatalité.
Une veillée funèbre.
Terrible adieu qui vous faisait soudain prendre conscience que la vie n'était pas éternelle. Qui vous laissait là, devant une enveloppe corporelle inerte, seule avec vos questions.
Et maintenant ? L'âme de son oncle, où s'en était-elle allée ? Avait-il vraiment rejoint Ragnard, comme elle l'avait tantôt suggéré ? Elle espérait que oui... Elle voulait croire à l'existence de ce monde où les âmes finissaient par aller se réfugier.
Un espoir pour tous de pouvoir se retrouver un jour... peut-être...

Elle avait vu la peine, ressentie la douleur , de tous ceux qui lui étaient proches.
Elle, n'avait pas su pleuré. Pourquoi l'aurait-elle fait d'ailleurs ? Elle qui ne l'avait vu qu'une toute première fois durant à peine quelques heures.
Par contre, il y eut une chose qu'elle n'eut pas compris... Comment son Cousin, contrairement à sa mère, qui lui aussi pourtant, semblait fortement attaché à son père, n'avait-il pas laisser s'échapper le flot de tristesse qui ne demandait d'ordinaire qu'à s'échapper, sans retenue aucune ?
Les hommes ne pleuraient-ils donc pas ? Et ce peu importe le mal qui s'abattait sur eux, alors qu'elles, les femmes, fondaient en larme à la moindre petite blessure de l'âme ?
Pourquoi n'avait-il pas pleuré ?
La question lui avait à maintes reprises brûlée les lèvres, mais sans jamais qu'elle n'ose la poser. Elle était simplement restée silencieuse. Aussi muette qu'il avait su l'être parfois, plongé dans ce qui semblait être une profonde introspection.

Après un baiser d'adieu furtivement déposé sur le dos d'une main déjà froide de ne plus sentir la vie circuler en ses veines, elle avait de nouveau trouvée refuge dans son monde à elle, s'endormant là, au creux des bras de son cousin, bercée par le son de sa voix venue la rassurer.

Puis le jour s'était levé, et elle avec. Seule, dans sa chambre, elle l'avait cherché. Mais en vain. Il n'était pas là. La nuit avait été courte et bizarrement, ce matin, la fatigue n'était pas là.
Les yeux sitôt ouverts et habitué à la lueur du jour, elle avait repoussé les épaisses couvertures qui la couvrait, se redressant, l'oeil attiré par l'immense fenêtre qui s'offrait à elle. Debout, ses pieds nus embrassant le sol et les peaux qui le recouvrait, elle s'avança jusqu'à aller voir de plus près, en son travers. Devant elle, le gris d'un ciel monotone, comme s'il eut été prêt à déverser ses larmes de pluie. Comme si le ciel du pays tout entier portait le deuil avec eux.

Au bruit de la porte qui s'ouvrit de la faire se retourner sur la silhouette de sa Tante sans doute venue s'assurer de son confort.
Pas de mots échangés à son entrée... Juste elle, la Môme partie accueillir Sigrùn d'un baiser. Et puis la question, que dès son réveil elle s'était posée :


" Où est Osfrid ma Tante ? Où est-il ? Je veux le voir... "


Le bras de cette dernière enveloppant alors ses épaules, elle la poussa à se rendre de nouveau proche de la fenêtre, son index pointant un endroit, légèrement en retrait, suivant alors la trajectoire qu'elle voulait bien lui montrer.

Il était donc là, face à sa solitude, et sans nulle doute à ses pensées. Il ne lui fallait pas seulement le réclamer. Maintenant qu'elle savait, il lui fallait le rejoindre, et sans perdre une seconde de plus, sans même prendre le temps de passer quelques vêtements chauds pour la protéger de l'air frais que leur offrait le Danemark en ses matinées, ses pieds restés nus, elle sortit en courant de la chambre, les cris de sa Tante là de l'interpeller, mais ne sachant pas la retenir dans sa course effrénée.

Quelques secondes à peine après le début de sa course qu'elle se retrouvait dehors, ses poumons s'enflant d'un air frais.
Les cheveux non coiffés, indisciplinés, se retrouvaient là, virevoltant, épousant les contours de son visage, et lui cachant la vue, parée de la seule chemise longue à lui retomber sur les chevilles se gonflant doucement d'un vent venu l'accueillir. Et ses pieds nus qui épousaient le sol, humide de la rosée, déjà, elle ne les sentaient plus. Et qu'importe. Le froid, elle ne le sentait pas.

Essoufflée, le petit mont enfin gravit, elle n'eut qu'à ralentir le pas et poser ses yeux sur lui, restant là, un instant, figée... se laissant submergé par des pensées venue la troubler.
Elle n'avait pas compris tout de suite, l'ampleur de la douleur, pas temps qu'elle ne s'était pas imaginé devoir faire face à la disparition de son propre père... ou bien encore de Lui. Son cousin... Son Osfrid... Et que de s'imaginer que la Grande Mort puisse se jouer de le lui enlever, elle se sentit ronger par une toute autre douleur... Intense, dévorante, apportant avec elle les larmes qu'elle n'avait jusque là pas su verser.

Le liquide lacrymal noyant ses joues, elle se précipita pour le rejoindre sous l'arbre qui, devant elle, se dressait géant. Et Lui au dessous, recroquevillé, qui semblait si triste.
Arrivée à sa hauteur, le regard débordant de larmes rencontrant le sien, devinant à l'occasion la contenance, la retenue de l'homme qu'il était, le reconnaissant si bien, elle se laissa tomber tout contre lui ses petits bras l'encerclant sans qu'elle ne fasse aucun bruit. Juste l'étreindre du plus fort qu'elle ait pu.

Certains silences valaient mieux que tous les mots. Et le sien, sur l'instant voulait dire tellement de choses. Toutes ces choses qu'ils avaient de communs et qui faisaient qu'ils se comprenaient si bien.
A eux deux, la souffrance du manque il connaissait, et comme elle le lui avait promis durant la nuit, elle était là pour lui...


_________________
      Parce que ma vie à moi est faites de rêves, j'ai décidé de faire de tous mes rêves une réalité.
      " Ne rêves pas ta vie, mais vis tes rêves "... avec une pensée pour Lui
Osfrid
    Le corps de l’enfant était venu se blottir contre celui de l’adulte à grand renfort de précipitation et de larmes partagées. Les petits bras s’étaient agrippés à ce cou salvateurs tandis que ceux, puissants du danois s’étaient repliés autour du corps frêle de Briana, protecteurs. Et là, fermant les yeux, Osfrid avait laissé aller sa peine silencieuse qui l’étouffait depuis des jours, des mois, des heures.

    Le danois n’avait jamais fait le deuil de sa femme et de son fils et devant l’inévitable qu’il vivait à nouveau aujourd’hui, l’homme semblait devenu bien fragile, à la limite de la rupture émotionnelle. Fort heureusement, la petite tête blonde qui avait su l’apprivoiser était comme une voile de douceur sur ses meurtrissures. Devinant, appréhendant, s’accaparant le moindre des sentiments d’Osfrid, la petite allait souvent au-devant de ses réactions. Et le danois se rendait compte du lien profond qui le reliait à l’enfant. Ensemble, ils soignaient leur plaie, ensemble, ils se relevaient de leur drame, ensemble ils réapprenaient à vivre.

    Alors poussant enfin un soupir à fendre l’âme, devant cette évidence qui lui arrivait en pleine face, Osfrid resserra son étreinte. Ses bras puissants enveloppèrent Briana pour la garder contre son cœur. Elle était de cette famille, elle était des siens et à jamais il se jurait de la protéger des autres, à jamais il lui jurait fidélité telle une princesse à qui l’on doit la vie. Elle avait su le faire renaître de ses cendres et aujourd’hui, elle partageait cette douleur qui était sienne. Qu’aurait-il pu faire d’autre à part lui ouvrir les portes de son monde ?

    Les lèvres d’Osfrid vinrent doucement se poser sur la chevelure d’or tandis que ses doigts caressaient avec tendresse et délicatesse la joue encore humide de ce chagrin qui s’envolait petit à petit. Et le danois s’aperçut que la petite était bien plus fraiche qu’à l’accoutumé. Ses yeux alors se posèrent sur le petit corps et à force d’inspection, il découvrit qu’elle n’était pas vêtue pour subir la froideur du matin à Ribe. Machinalement sa main se posa sur les pieds enfantins dont il prit brusquement conscience qu’ils étaient nus et glacés. Alors se redressant avec rapidité, il se mit à grogner.


    - Voilà une jeune demoiselle qui brave les plus élémentaires notions de vie pour le vieux fou que je suis… Tu es devenue déraisonnable Briana, tu vas attraper la mort d’être sortie ainsi…mais à quoi pensais-tu ma princesse ?

    L’inquiétude se lisant dans le regard céruléen tandis qu’Osfrid déposait la petite sur la racine où il avait trouvé refuge quelques instants plus tôt. Rapidement, il ôta sa propre chemise pour la passer par-dessus la tenue de la petite. La chaleur de son corps imprégnant encore les fibres, elle lui tiendrait chaud jusqu’à leur retour à la maison. Et sans plus attendre, un bras vint se glisser dans le creux des genoux de Briana tandis que l’autre maintenait sa taille pour mieux la caler contre son torse, faisant ainsi le chemin le plus rapidement possible. Même si la distance était courte, elle n’aurait pu rentrer à la maison aussi vite que lui, pas après avoir eu les membres refroidis par la brume environnante et l’humidité du matin. Lui était un enfant du pays, il était né de ces terres froides et inhospitalières pour celui qui ne les connaissaient pas alors la froidure était plus une amie qu’autre chose, une éternelle dame qu’on finissait par apprivoiser à la longue…

    L’espace fut parcouru à grandes enjambées et Osfrid poussa la porte à l’aide de son pied avant de venir placer Briana devant le feu de la cuisine qui ronronnait, attendant de prendre de la puissance pour montrer à la maisonnée de quoi il était capable. Et le danois se mit à brailler dans la demeure devenue bien silencieuse depuis que la mort avait emporté son père.


    - Mère…. Inge…. J’ai besoin d’aideeeeeeee ! ET VITEEEEEEEEEEEEE !

    L’ordre avait fusé et il savait, pour avoir si souvent hurlé à l’aide dans cette maison, que bientôt il entendrait des pas raisonner contre les dalles de pierres du long couloir. Espérant que les femmes prennent les choses avec sérieux, il installa la petite un peu plus confortablement avant de se retourner pour attiser les flammes qui prirent une carnation des plus vivaces, jouant de leurs couleurs chamarrées pour prouver qu’elles étaient aux ordres du danois, plus vaillantes que jamais. Et la tiédeur déjà envahissait l’espace entre Briana et le foyer. Prenant les mains de sa petite cousine, Osfrid les frottait dans les siennes pour la réchauffer avant de s’attaquer à ses pieds. Avec lenteur dans un premier temps afin de ne pas maltraiter la peau et les chairs de la petite, il s’appliquait à sa tâche lorsqu’Inge pénétra dans la cuisine.

    - Mon dieu, qu’avez-vous encore fait à cet enfant Osfrid ? Avez-vous décidé de la tuer avant son départ ?

    Et la dame de compagnie qui continuait à jacasser tandis que le danois se renfrognait en lui lançant des œillades noires, prouvant par-là même son mécontentement. Comment aurait-il pu faire du mal à Briana. Elle n’allait pas s’y mettre elle aussi sinon il allait finir par la mettre dehors à son tour.

    - Inge, je te demande pas ton avis sur la question ni des commentaires qui tombent mal à propos… prépare quelque chose à boire de chaud, du lait avec du miel et donne-lui… fais au moins ton travail convenablement pour une fois !

    Fallait pas le chercher le danois pour l’heure. Il était irascible, susceptible et encore plus puisqu’il s’agissait de Briana. Il tenait à elle bien plus qu’à sa propre vie et de la voir ainsi débouler aussi peu vêtu pour le réconforter l’avait mis devant l’évidence de tout cet amour qu’il avait pour elle. Il pensait son cœur mort depuis des mois, il ressentait les premières palpitations d’un nouveau genre. Et tout aussi surprenant que cela puisse paraitre, Osfrid avait envie de les laisser commander sa vie… pour une fois, juste parce que cette petite fille était différente de tous les gens qu’il côtoyait depuis des mois…

    Reportant son visage sur Briana, Osfrid lui sourit enfin tout en caressant son visage. La lueur qui animait son regard en disait bien plus long que les mots qu’il aurait pu employer pour lui décrire ce qu’il ressentait mais doucement, du bout des lèvres, il murmura pendant qu’Inge avait le dos tourné.


    - Plus jamais tu me refais une chose pareille… Ne me fais plus jamais si peur Briana, je n’ai pas l’intention de te perdre toi…

    Se penchant en avant, il déposa un baiser sur son front tandis que sa mère entrait dans la cuisine. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre la situation et venir glisser son châle sur les épaules de la petite. A cela s’ajouta Inge et son lait fumant qui prit place non loin de Briana. Si avec ça, la petite ne se sentait pas la plus importante du monde à cet instant, c’était à rien n’y comprendre. Osfrid se redressa avant de regarder Sigrùn.

    - Je vous la confie Mère, je vais passer une autre chemise. Et empêchez-la de poser les pieds sur le sol. A ce rythme-là elle va se transformer en statue…

    Rassuré, souriant malgré tout, Osfrid fit un petit clin d’œil avant de s’éclipser de la pièce et une fois passer la porte, il s’y adossa, inspirant profondément. Ses mains se portèrent sur son visage, effaçant la tension qu’il ressentait. Il espérait que Briana n’ait pas eu le temps de prendre froid. Son inconscience mais surtout l’amour qu’elle lui portait lui avait fait prendre un risque dont elle ne mesurait pas les conséquences. Et si la fièvre frappait à nouveau, et si elle se sentait mal, et si… Osfrid s’exhorta à ne plus penser au pire afin de garder espoir. Espoir... Cette petite graine qu’une petite fille du nom de Briana avait su planter dans son cœur.

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Sigrun



Elle avait vu son fils partir se recueillir et épancher sa peine. Depuis son enfance, il avait pris l’habitude de venir au pied du chêne afin de prier et laisser couler sa tristesse. Mais elle avait été surtout surprise de la réaction de Briana. La petite fille lui était apparue sous un angle différent, téméraire et sûr d’elle, campée sur ses petites jambes de fillette d’à peine 8 années. Mais ce fut surtout la détermination dans les pupilles enfantines qui frappa Sigrùn de plein fouet. Elle avait vu un attachement bien différent que celui qu’on aurait pu s’imaginer entre cousins. La petite semblait aimer son fils avec sincérité, tenant à lui comme à la prunelle de ses yeux et Sigrùn eut une pensée pour Ragnard qui lui manquait tout autant qu’il devait manquer à Osfrid. L’amour paternel avait dû retentir dans le cœur meurtri de son enfant pour qu’il laisse ainsi Briana prendre autant de place dans sa vie. Elle observa par la fenêtre encore quelques instants, priant dieu que la petite n’attrape pas la mort en rejoignant Osfrid puis elle s’en retourna dans sa chambre, parmi ses souvenirs et ses pensées d’un temps reculé où elle-même vivait un bonheur sans faille.

Combien de temps se passa-t-il avant que la voix masculine aux intonations profondément rauques résonne dans la demeure, Sigrùn ne put le dire avec affirmation. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle s’était assoupi dans le fauteuil préféré de son époux, face à la cheminée, les joues humides de chagrin. Le temps guéri bien des blessures et la blonde mère savait qu’il viendrait le moment où son cœur pourrait penser à son époux sans en souffrir au point de laisser les larmes couler mais pour le moment, ce n’était pas encore à l’ordre du jour. Sortant donc de ses pensées en sursaut, elle prit le temps de remettre en place sa natte qui avait glissé de son chignon tout en cherchant du regard son châle préféré. Il lui fallait descendre, aller voir ce qu’il se passait. Et bien malgré elle, Sigrùn sourit en pensant au nombre incalculable de fois où Osfrid leur avait fait croire qu’il était blessé afin d’attirer l’attention de la maisonnée. Déjà elle entendait les pas d’Inge qui se précipitait. A chaque fois c’était pareil, sa dame de compagnie galopait au moindre hurlement. Mais aujourd’hui, Osfrid avait bientôt la trentaine et il était bien assez grand pour se soigner tout seul. Toutefois, la scène où Briana s’enfuit de sa chambre lui revint en mémoire et Sigrùn comprit enfin que ce n’était pas là une comédie. Alors avec vivacité, elle dévala les escaliers pour pénétrer dans la cuisine quelques minutes plus tard. La situation était entre les mains expertes de son fils et de sa dame de compagnie qui roulait des yeux sous les commentaires acerbes d’Osfrid.


- Et bien, en voilà des manières de remercier Inge d’être venue à ton secours… Rappelle-moi depuis combien d’années cries-tu au loup mon fils ?

Sourire indulgent d’une mère à son fils, Sigrùn arrivait à hauteur de ce dernier pour passer son châle autour des épaules de la petite. Elle savait qu’elle aurait dû la rattraper mais quelque chose lui avait interdit de courir après l’enfant. Quelque chose qu’elle voyait encore dans le regard de la petite normande et qui confirmait ce qu’elle pensait. Si quelqu’un pouvait aider Osfrid à passer le cap de ce deuil, c’était bien cette fillette alors doucement, elle s’approcha et s’installa à ses côtés, passant un bras autour des épaules de Briana.

- Tu n’as pas été raisonnable Briana mais je crois que ta petite folie a ramené Osfrid sur les rivages des vivants. En attendant, tu vas boire ton lait et vous resterez encore un jour ou deux ici. Je pense que les gens qui vous attendent là-bas, au royaume de France ne seront pas à un jour près. Et puis… ça nous permettra de mieux nous connaitre. Ton arrivée a été bousculée et j’aimerais te montrer un peu mieux la maison et ce que nous faisons ici, comment nous vivons et tu me parleras de chez toi, de ton frère.

Doucement, Sigrùn se leva un peu lasse mais décidée à aller attiser le foyer qui perdait en intensité puis elle allait fouiller dans une petite boite en bois posée sur une étagère un peu plus loin, en extirpa quelque chose qu’elle cacha dans le creux de sa main avant de revenir vers la petite.

- Donne-moi ta main Briana, j’ai un petit cadeau pour toi lui dit encore la blonde danoise en souriant avant de reprendre place à ses côtés. Et délicatement, elle déposa une fleur séchée au creux de sa main. Ce n’est pas grand-chose, c’est même presque rien mais c’est une petite fleur qui pousse au printemps sur les plages et les côtes de chez nous. Alors quand tu seras chez toi et si Ribe te manque, tu pourras la regarder et penser très fort à nous car je t’assure que nous, nous penserons toujours à toi.

La simplicité des mots, la sincérité du cœur, voilà ce qu’était Sigrùn. Elle n’avait jamais apprécié les gens pour ce qu’ils représentaient ou pouvaient lui apporter mais pour ce qu’ils étaient sincèrement. Et elle aimait déjà Briana.

- Pour ce que j’ai déjà vu de toi, tu pourrais être une véritable danoise. Aussi entêtée et aussi digne que les filles du Nord. A croire que ce pays n’attendait que toi mais n'oublie jamais que ce qui fait de toi quelqu'un de bien c'est ce que tu as dans le coeur Briana. ça personne ne pourra jamais te l'enlever.

Nouveau sourire, Sigrùn se pencha enfin pour faire quelques petites confidences à la blondinette. Puis elle lui annonça que dans l’après-midi, les enfants d’Harald viendraient pour passer un moment avec eux. Telle une tribu, tout le monde se réunissait afin de resserrer les liens entre ceux qui restaient et Briana allait faire ses pas dans cette famille au grand cœur.
Briana.
S'il est deux mots qui rime parfaitement avec enfance, ils sont ceux-là : "insouciance" et " inconscience". Qu'y a t-il de plus imprévisible, de plus fou qu'un enfant dont l'envie du moment dépasse tout entendement ? Ou plus simple encore... Qu'y avait-il de plus fou qu'une Mini de Courcy déterminée ? Rien !

Sans penser aux conséquences de ses actes, c'est sans crainte qu'elle était venue braver le froid et c'est a couvert de la stature massive de son cousin, et de ses puissants bras qu'elle entendait s'en protéger.
Mais était-ce suffisant pour lutter contre le froid du Nord auquel elle n'était absolument pas habitué ? Malheureusement pas assez.
Son cousin avait beau faire barrière au vent, la basse température allait en frigorifiant l'enfant, la faisant trembler de tous ses membres. De ses pieds foulant l'herbe, et de ses mains resserrant les épaules d'Osfrid, elle ne sentait déjà plus les extrémités, et si jamais elle s'était prise d'une envie soudaine de relâcher l'étreinte, alors elle aurait très probablement fini par s'écrouler, ses jambes commençant, elles aussi, à s'engourdir, rendant pénible le moindre de ses mouvements.

Même son esprit commençait à perdre de ses moyens, incapable qu'elle fut de répondre à son cousin lorsqu'il lui fit remarquer à quel point la raison l'avait quitté. Les petites lèvres bleuies ne parvenaient plus à bouger elle aussi. Le corps refroidi, ce fut comme si, peu à peu, elle se sentait endormie.

Soulevée, posée sur la racine de l'arbre sous lequel ils se trouvaient tout deux, elle se sentie prise d'un vertige, sa main venant sitôt trouver appui contre l'écorce fraîche et toute ridée qui l'habillait. Peinant à garder l'équilibre, elle ne manquait rien des gestes et de l'attitude adoptée par un Osfrid qui semblait être en proie à l'inquiétude.
Et dans ce qui semblait être un effort pour elle, déjà elle faisait signe, tendant un bras vers ce dernier pour qu'il vienne la porter de nouveau.
Mais avant cela, le confort d'une chemise encore imprégnée de la chaleur corporelle qu'elle avait retenue vint trouver place sur ses épaules, ce qui outre le fait de la réchauffer un peu, lui fit davantage ressentir les picotements dû au froid qui l'empêchait désormais de remuer pieds et mains. Et tel un havre douillet contre lequel elle se trouvait à présent blottie, elle trouva refuge contre son torse, sa tête trouvant repos sur l'épaule massive et contre la peau encore chaude d'avoir été couverte.

Légèrement secouée par le rythme des foulées que faisaient Osfrid pour rejoindre au plus vite l'intérieur, elle voyait la demeure se dessiner, grandissante, bientôt prête à les accueillir, à les englober de toute la chaleur dont elle était emplie. Une porte poussé et voilà qu'elle pouvait enfin sentir le chaud que dégageait le foyer d'une cheminée dans lequel s'élevait un petit mais si appréciable brasier, et qui, doucement, venait embrasser ses extrémités qu'elle avait de glacées.
Qu'il était bon de se trouver auprès d'un feu lorsqu'au dehors, le froid venait de vous ronger jusqu'à vous donner l'étrange et douloureuse sensation d'être brûlée vive. Car c'était ça le froid du Nord, un feu invisible qui lorsqu'il vous gagnait sans que vous n'y soyez habitué, vous consumez de toute part et ce jusqu'à ce que vous ne puissiez plus lutter et n'ayez d'autre choix que de vous laisser sombrer.

Les azurs rivés sur les flammes qui dansaient dans l'âtre, comme si elle eut été hypnotisée par leur vacillement, c'est peine si elle se rendit compte de l'agitation d'Osfrid qui hurlait au travers la pièce, sa voix cognant et résonnant dans toute la maison.
Briana, elle, n'entendait guère que le crépitement du feu, peinant encore à recouvrer toutes ses sensations, s'efforçant à remuer le bout de ses doigts qu'ils fussent de ses mains ou de ses pieds. Puis aux mains immense de venir étouffer les derniers picotements, apportant elles aussi de leur chaleur sur ses petits membres alors qu'une porte venue s'ouvrir dans leur dos, fit réagir Briana.
Inge venait de faire son entrée dans la cuisine, accablant son cousin d'accusations lancées à tort et qu'elle voulu contredire, même si la voix fut fébrile lorsque doucement ses lèvres se mirent à remuer :


" Inge, Osfrid n'y est pour rien ! C'est de ma faute !... Je suis sortie... sans rien sur le dos et... c'est lui qui m'a ramené jusqu'ici... au chaud "


Encore tremblante, la voix tentait d'être rassurante. Elle sentait bien, posant regard sur Osfrid qu'il n'était pas serein, craignant probablement qu'un mal ne vienne s'abattre sur elle. Aussi, un sourire était venu répondre au sien lorsque la main de ce dernier avait su trouver les contours d'une joue ou la peau, devenue blafarde, commençait légèrement à se parer de nouveau de sa douce teinte rosée.
A la confidence qui suivi, elle vint s'accrocher à lui, plaçant ses bras autour de son cou tandis qu'il venait la couvrir d'un baiser sur le front et qu'à son tour elle prenait temps de lui souffler qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Que plus jamais , elle n'irait braver le froid sans n'avoir rien sur le dos pour la couvrir :



" Je n'recommencerais plus... C'est promis... Soyez en certain..."



Et alors que les petits ourlets vermeille venaient tout juste de claquer sur la joue qu'elle avaient à portée, elle entendit la voix de sa Grand-Tante résonner dans la pièce, le ton quelque peu moralisateur. Présence qui se fit davantage sentir lorsqu'elle sentit le doux d'un châle venir recouvrir ses épaules. Se retournant vivement, se rehaussant sur ses genoux, elle partagea un dernier regard complice avec son cousin avant qu'elle ne le regarde partir, sa silhouette s'évanouissant derrière la porte.

Elle resta donc là, en compagnie de sa Tante Sigrùn et d'Inge venue ajouter un soupçon de miel dans un lait qui fumait encore et qui ne tarderait pas à être bu en son entier par Briana qui restait encore en quête de chaleur. L'instant fut au partage, entre accolade, discussion et petit cadeau.
C'est avec ravissement qu'elle avait appris le prolongement de son séjour ici. Les derniers jours lui avaient semblé être passés si vite... Trop vite, à son goût. Et la mort de son Oncle était venu les frapper si tôt. Comme s'il eut en fait attendu le retour d'un fils pour lui passer le flambeau et pouvoir partir.

Entre temps, le creux d'une main avait été offerte à sa tante alors qu'elle y déposait une fleur séchée. Un petit présent qui bien que n'étant pas grand chose, fut manipulé avec une grande prudence avant qu'elle ne soit machinalement porté à son nez. La petite fleur était encore imprégnée de son odeur loin d'être désagréable et c'est sourire aux lèvres qu'elle la remercia :



" Merci ma Tante, pour ce cadeau. J'y veillerai avec attention. Et vous savez... même sans cette fleur, je n'aurai pas manqué penser à vous. J'aurai juste eu à fermer les yeux pour voir les souvenirs ressurgir. "



Elle l'avait toujours fait. Faire remonter les choses en surface par la simple force de ses pensées. Et elle le referait comme toutes ces fois où elle en avait ressenti l'extrême besoin. Lui suffirait alors de songer à Ribe, pour voir tout le reste se dessiner ; le paysage, les visages...

D'un sourire de plus, la conversation après moult confidences, s'acheva sur l'étreinte d'une petite nièce à sa Grand-tante. Peu après, elle se fit raccompagner jusqu'à sa chambre, par Inge, qui une fois les lieux rejoint s'empressa d'aller plonger les mains dans la malle regorgeant des vêtements de Briana. Elle, pendant ce temps, s'était installée sur le lit de Ragnard, sise sur ses genoux, toujours emmitouflée dans la chemise d'Osfrid alors que le châle de sa tante avait été abandonné aux pieds de la couche.

"Inge ? Ma tante m'a dis que les enfants d'Harald viendraient nous rendre visite aujourd'hui... Pourrai-je aller l'annoncer à Osfrid ?"

- Je suis certaine qu'il sait qu'ils viendront et n'ayez crainte, vous irez le retrouver, mais plus tard. Mais avant cela que diriez vous d'aller vous plonger dans un bon baquet d'eau chaude, après quoi vous passerez des vêtements plus chauds que ceux que vous avez sur le dos. Il faut vous réchauffer encore un peu. Le froid du pays est traitre.

Un petit tas de vêtements avait trouvé place dans les bras de la dame de compagnie, qui d'un geste invita Briana à la suivre jusqu'à une pièce d'eau qui se trouvait située non loin. A leur arrivée, tout était déjà prêt, cette dernière ayant eu le temps, sans doute aucun, de faire préparer le bain pendant que la jeune de Courcy entretenait conversation dans les cuisines en la compagnie de Sigrùn. Et le peu qu'elle eut sur le dos fut rapidement laissé au sol pour vite aller se plonger dans une eau douce et chaude à souhait. Le corps s'immergeant progressivement, elle pouvait sentir son épiderme réagir au contact de l'eau et de la chaleur qu'elle lui apportait, une légère chair de poule apparaissant sur les parties de son corps qui n'avait pas encore été mouillées.
De bonnes et longues minutes, elle resta là, Inge rajoutant parfois quelques quantités d'eau chaude qui laissaient s'élever un nuage de vapeur dès lors qu'elles étaient déversée. Puis le petit corps avaient été frotté, soigneusement lavé par des gestes délicats avant qu'elle ne soit extraite de l'eau, séchée, rhabillée puis coiffée.


Avec cela, bien du temps s'était écoulé et déjà au loin, on entendait des voix, au timbre aussi jeune et enfantin que le sien. Il ne pouvait alors être que les enfants d'Harald qui étaient enfin là. Et parmi elle, d'autre voix, celle de sa tante et d'autres bien plus masculines qui s'élevaient dont celle d'Osfrid qu'elle reconnue au fur et à mesure qu'elle s'approchait suivant Inge de près.

C'est alors que cette dernière fit halte, devant une porte, se retournant vers Briana, tout en lui souriant :


- Vous êtes prête ?

Un simple hochement de tête avait su répondre d'un oui tandis que la porte s'entrouvrait déjà et que la main d'Inge l'entrainait avec elle, la plaçant au devant de la scène, ses deux mains en appui sur ses épaules.
La Môme avait sur l'instant revêtu le masque de la timidité, balayant la pièce du regard, ses yeux courant les divers visages qui se montraient à elle. Puis vint celui qu'inconsciemment elle s'attendait à voir : celui d'Osfrid.
A chacun son remède pour combattre ses petites angoisses du moment. Elle, le sien, c'était lui. Ses yeux posés sur elle, ou les siens sur lui, il n'y avait jamais eu plus rassurant.
Osfrid
    - Quand tu reviendras au printemps mon frère, je peux t’assurer que nous aurons fait le nécessaire pour construire…

    Osfrid n’écoutait déjà plus ce que lui disait Harald. La porte s’était ouverte et immédiatement, il avait senti le regard enfantin se poser sur lui alors doucement, il avait tourné la tête dans la direction adéquat et avait souri. Il ne lui restait plus grand-chose dans cette vie mais cette petite fille-là, ô dieu, qu’il n’était pas près de la lâcher comme ça. D’un geste tendre, il lui avait donc fait signe afin qu’elle vienne jusqu’à lui, passant devant des inconnus, des nouveaux visages. Les enfants d’Harald qui s’étaient arrêtés de jouer pour la regarder de la tête aux pieds, elle qui était pas si différentes d’eux en âge mais en apparence, c’était autre chose. Et puis il lui avait tendu la main pour ne plus la lâcher.

    Briana était encore très pâle à son goût et ainsi devant la cheminée, elle reprendrait vite des couleurs. D’ailleurs Inge apporta du lait chaud au miel pour la petite avant de remplir les godets des hommes avec un breuvage à l’alcool chaleureux qui permettait aux âmes de se réconforter. Et tandis qu’Osfrid allait prendre la parole, une voix forte retentit dans son dos.


    - SON… du har glemt mig ! hvordan du velkommen din morfar*

    Partant à rire, Osfrid se retourna avant de lâcher la main de Briana pour aller donner l’accolade à son grand-père. Les deux hommes restèrent un moment à se murmurer des mots pour sans aucun doute éloigner les maux. Et dans cette langue maternelle qui leur était propre, les murmures s’estompèrent doucement mais le regard de l’un comme de l’autre était empli d’une nostalgie d’autrefois, de cette famille encore vaillante qui prouvait à tous que seul leur nom suffisait à faire trembler les terres du nord. Et puis doucement, Osfrid se retourna vers Briana et lui offrit un sourire.

    - Grand-père, je voudrais te présenter ma petite cousine qui vient du Royaume de France. Une pure normande mais qui doit avoir dans son cœur quelques traces du Nord enracinées car elle est de celle qui n’a guère froid aux yeux !

    L’homme tout aussi géant qu’Osfrid leva donc un sourcil en direction de la petite, prenant un air intrigué et maitrisant parfaitement la langue de la mini de Courcy, s’exclama :

    - Voyez-vous ça, je n’ai pourtant pas souvenir d’y avoir laissé quelques descendances par là-bas !
    - Père ! il suffit, ce n’est qu’une enfant !


    Sigrùn c’était approchée tout en posant une main délicate sur l’épaule de la petite fille. Osfrid avait alors éclaté de rire tout en soulevant Briana de terre.

    - Mère, Briana a les oreilles les moins chastes de Normandie… avec tout ce qu’elle a déjà entendu…

    Et il fit un clin d’œil à sa petite cousine, un sourire de connivence au coin des lèvres. Il était vrai qu’il ne s’était jamais soucié, du moins au début, de savoir si Briana était dans les jupes de sa mère lorsqu’une dispute entre eux débutait et elles étaient légion à cette époque. Depuis, les choses avaient changé pour elle, parce qu’il faisait maintenant attention à ce petit être qui le collait comme son ombre et qui lui avait déjà ravi le cœur sans prévenir. Même s’il avait autant de griefs contre cette mère qu’il trouvait des moins aimantes, il ne voulait pas faire subir à Briana son caractère volcanique et ombrageux alors il préférait se taire en sa présence sauf quelques petites fois où sa langue avait fusé… mais rarement… très rarement.

    Sigrùn mit un godet d’hydromel dans les mains de son père en l’apostrophant en danois ce qui amusant le nordique qui savait très bien qu’entre chien et chat, ils ne finiraient pas la journée sans se quereller. Quant à Osfrid, il reposa Briana non sans lui avoir donné un baiser sur la joue. Mais déjà Eirik se posait sur une chaise tout en appelant l’enfant.

    - Ainsi donc tu te nommes Briana… pas très normand il me semble mais ce n’est pas grave… approche… approche donc…

    Osfrid observait du coin de l’œil la scène tout en reprenant la discussion avec son ami Harald. Les enfants s’étaient mis à courir après Inge qui préparait quelques gâteaux et Sigrùn guère plus loin enveloppait de son regard tendre la scène. La famille était réunie et sa peine s’allégeait à la vue de ce tableau. Qui aurait cru que la mort avait frappé quelques jours plus tôt dans cette demeure ? Mais au milieu des siens, on panse les blessures du corps comme de l’âme.

    Harald venait de partir afin de séparer ses deux fils qui se battaient pour être celui qui s’attablerait à côté d’Eirik, Osfrid en profita pour se rapprocher de Briana. Jamais loin d’elle, il préférait la garder à l’œil, sachant qu’elle pouvait se sentir bien esseulée au milieu de tous ses gens qui, au final, n’étaient que des étrangers pour elle. Lui n’était guère mieux, il le savait même si quelque chose de particulier s’était tissé au court des jours. Elle ne connaissait pas vraiment cet homme aux cauchemars insondables, aux douleurs désespérées, aux mains couvertes de sang par les guerres fratricides auxquelles il avait participé, ni l’homme au rire chaleureux qui prenait le temps de parler aux enfants, de jouer avec eux ou même de dresser un cheval… Elle n’avait été témoin que de brefs bribes de ses instants et lui n’était pas mieux, devinant l’enfant meurtrie qu’elle était sans vraiment connaitre son histoire plus que ce qu’elle lui avait dévoilée… Et pourtant, pourtant ils s’accrochaient l’un à l’autre comme si rien au monde ne pouvait plus les séparer. S’approchant doucement, il entendit son grand-père faire des efforts dans cette langue qu’il connaissait mais qu’il n’utilisait que rarement.


    - Petite… je vais te donner le nom de Botilde. Si mon petit-fils dit que tu es une fille du Nord il te faut un nom de chez nous. Ici tu porteras ce nom, il est tien désormais et tu peux m’appeler Grand-père si tu le souhaites.

    Redressant fièrement le menton, Eirik prit un air déterminé qui fit sourire Osfrid. Il venait d’accorder une grande faveur à Briana. Tout le monde n’avait pas le droit de le nommer ainsi, c’était de sa réputation qu’il y allait mais l’enfant avait dû le charmer ou tout simplement lui plaire pour qu’il baisse sa garde ainsi. Le danois s’approcha encore avant de s’accroupir pour se mettre à la hauteur de Briana qu’Eirik avait installé sur ses genoux.

    - J’espère qu’Eirik ne te fatigue pas trop avec ses histoires… il a tendance à se laisser aller par moment…

    Et l’éclat de rire qui s’ensuivit se fit taquin tout autant qu’affectueux. L’amour d’Osfrid pour son aïeul allait au-delà de tout entendement. Il aimait son père mais Eirik avait été pour lui bien plus qu’un père, un guide, un mentor, un double et de ça, il ne pouvait se défaire ni l’oublier. Tendant la main à nouveau à Briana, Osfrid lui fit signe de la tête de le suivre tout en disant à son grand-père qu’il revenait. Puis se tournant vers la mini de Courcy, il lui sourit.

    - Je voudrais te présenter quelqu’un qui aimerait bien faire ta connaissance depuis un moment….

    Et doucement, ils s’éloignèrent de l’âtre pour s’approcher d’une petite fille qui tentait vainement de broder quelque chose sur une toile en grommelant.

    - Et bien Thyra, tu sais que tu ressembles de plus en plus à tes frères ainsi…

    Osfrid passa une main dans la chevelure de la petite qui grogna de plus belle, arrachant un rire au danois. Puis il dit quelques mots à l’oreille de la petite fille qui acquiesça de la tête. Enfin, il se retourna vers Briana pour faire les présentations d’usage et il finit par avouer à sa petite cousine.

    - Thyra désespérait de te rencontrer mais elle avait peur de t’accaparer alors elle est venue me trouver. Elle s’ennuie un peu tu comprends, ses frères ne s’occupent pas vraiment d’elle et vu que tu as à son âge à quelques mois près, vous pourriez passer un peu de temps ensemble, qu’en dis-tu Briana ?

    Et s’installant sur une chaise, Osfrid incita les petites à se déclarer amies. Après tout, la journée ne faisait que commencer et en attendant le repas qu’Inge préparait sous l’œil attentif de Sigrùn, les enfants pouvaient profiter de ce temps pour faire connaissance, laissant ainsi Osfrid le loisir de partir dans ses éternels souvenirs.




*Fils... tu m'as oublié! comment tu accueilles ton grand-père !

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Briana.
Mal à l'aise ? Toujours un peu lorsque pesaient sur elle les regards de ceux qu'elle ne connaissait pas. Et c'est peine si elle avait osé les soutenir, se hâtant de quitter Inge pour aller retrouver Osfrid qu'elle ne daignait plus lâcher des yeux. Bien logé au creux de ses entrailles, la petite boule au ventre qu'elle ressentait avait alors bien du mal à se résorber, mais dès lors que sa main fut blottie dans celle bien plus imposante de son cousin, elle s'était enfin retournée sur ceux qui s'amusaient de la détailler sans bruit, un peu comme on découvrait quelque chose, pour la toute première fois, se gardant d'exprimer son ressenti durant les toutes premières secondes.
Était-elle si différente pour qu'on s'arrête ainsi sur elle ? Elle aurait juré que non et pourtant, c'est l'impression qu'elle eut, en plus de se sentir davantage étrangère.
Comme elle aurait alors aimé se faire petite, courir et aller se cacher dans un trou de souris.

Et à l'heure ou, elle ne savait plus rien faire d'autre que poser son regard sur Osfrid, elle vit son attention détournée par l'approche d'Inge venue lui servir un bon lait chaud au dessus duquel s'élevait un délicieux fumet à l'odeur de miel. Le sourire avait été là de l'accueillir avant que gourmande, elle ne plonge les lèvres, avec précaution dans le breuvage, se laissant alors submerger par la chaleur du liquide qui se déversait en elle.
Et ses mains sur le grais qu'elle trouvait alors bon de réchauffer, ne souhaitant pour rien abandonner son verre. Et fort heureusement, elle le tenait fermement car si ce n'eut été le cas, à coup sûr, la chope aurait terminé en mille morceaux à ses pieds. Elle n'avait pas manqué d'être prise d'un sursaut lorsque se fit entendre une voix à la forte et grave intonation. Une voix qui laissait deviner l'imposante stature de celui qui en était le détenteur. Elle, petite chose, tenue debout face à Osfrid, n'eut pas besoin de bouger pour découvrir la gigantesque silhouette qui se dressait à présent parmi eux. Elle avait simplement attendu de voir Osfrid se déplacer pour aller le rejoindre, gardant les yeux rivés sur les deux hommes qui semblaient se retrouver comme s'il ne s'étaient alors plus vu depuis de trop longues années.

A son tour de détailler l'homme, ce nouveau Géant, discrètement, de crainte que sur elle il ne pose les yeux. Elle n'eut pas grand mal à deviner le lien qui ne pouvait être que familial. Tant de choses communes à leurs physiques. La même peau, pâle, tout comme cet héritage qui se trouvait dans le bleu des yeux d'Osfrid et que le Grand-père arborait lui-même. Et ce blond commun aux habitants de ces terres...
Songeuse aux siens... Sa mère, son frère, son père restés là-bas, elle terminait de boire son lait, les mires à présent rivés sur l'horizon, un peu à la façon qu'avait de faire son cousin lorsque loin de chez lui, sans doute avait-il le besoin de voir plus loin que l'horizon.
Les pensées avaient ça de magiques, qu'elles permettaient toujours de nous emporter dans ces lieux que l'on rêve d'atteindre, et ce, peu importe l'endroit dans lequel on se trouvait sur l'instant présent, le corps restant là, alors que l'esprit lui, s'était improvisé vagabond.

Et comme bien souvent, la rêverie prenait fin, interrompue par un bruit, une présence que l'on sentirait là, dans son dos, une voix qui nous interpelle... Ce qui fut le cas pour Briana qui se retourna sur son Cousin lorsqu'elle entendit celui-ci parler d'elle. Figée par un mélange de timidité et d'anxiété, elle se contentait alors d'écouter, son regard courant du patriarche à sa tante Sigrùn dont la présence fut là de la rassurer. Les traits légèrement crispés par l'agitation qui émanait de la discussion, elle parvint néanmoins à décrocher un sourire lorsqu'Osfrid lui fit quitter terre pour la prendre dans ses bras. Jamais elle n'aurait de cesse de se le dire, il n'y avait pas meilleure place qui soit que celle-là. Dommage alors que l'instant n'ait pas duré plus longtemps, car à peine les pieds posés de nouveau sur le sol qu'elle se voyait invité par l'aïeul qu'elle redoutait de devoir approcher depuis qu'il avait fait son entrée.
Aussi ne put elle faire autrement que d'y répondre en prenant sa direction, marchant d'un pas hésitant tandis que ses prunelles peinaient à se détacher de sur son cousin dont elle tenait à ce qu'il ne se tienne pas trop loin... au cas où...

Et là, campée sur les genoux du Patriarche, elle était loin d'afficher cette fierté qu'elle arborait parfois, lorsqu'elle se sentait si sûre d'elle. Elle écoutait, secouant la tête dans quelques signes d'approbation, car jamais Ô grand jamais elle ne se serait amusée à contredire l'homme sous peine de le contrarier. Même la surprise qui vint l'habiter lorsque ce dernier vint lui donner prénom avait été masquée. Botilde...Qu'est ce que cela pouvait bien vouloir signifier ? Pourquoi celui-ci, plutôt qu'un autre ? Sans doute lui avait-il était attribué pour ce qu'il lui ressemblait et le sourire qu'elle distingua sur le visage d'Osfrid vint lui confirmer que la faveur était là. Et prenant ce nouveau baptême pour privilège, l'on pu voir un sourire se dessiner peu à peu sur les lèvres de l'enfant avant qu'elle n'ose se mettre à parler :



" Merci... Grand-père. Je vous promets de porter fièrement ce nouveau nom."



Grand-père... Jamais elle n'avait eu à appeler personne de la sorte, n'ayant jamais eu l'occasion de connaître ni le père de son père, ni même celui de sa mère.
De voir son cousin se rapprocher d'eux, l'enfant se détendit un peu plus alors que sa place était désormais faite sur les genoux de celui qu'elle ne verrait plus autrement que comme son Grand-père et profitant qu'Osfrid soit accroupi face à elle, elle tendit les bras, ces derniers trouvant accroche autour de son cou le temps d'une étreinte et de se voir quitter les genoux de l'aïeul pour un autre endroit, pour une nouvelle rencontre.

Se sentant bien désormais, elle suivi son cousin sans hésiter, se demandant qui il allait lui présenter alors que déjà son regard se posait sur une petite fille qui semblait être du même âge qu'elle. Arrivée à sa hauteur, elle délogea sa main de celle d'Osfrid pour venir s'installer tout près de Thyra.
Souriante, elle se pencha alors doucement pour saluer d'une bise celle qu'elle ne connaissait pas encore mais qui deviendrait sûrement une amie dans le temps.



"Enchantée Thyra de te rencontrer. "



Et à la petite tête blonde d'acquiescer aux dires de son cousin alors qu'elle tirait une chaise pour s'asseoir tout près et de tendre les mains vers l'ouvrage après qu'elle l'eut observer. Briana avait l'habitude de broder, Carenza l'ayant dès son plus jeune âge familiarisée avec cette activité.


" Est ce que je peux... Je voudrai te montrer comment moi je fais... C'est ma Nourrice qui m'a appris... Si tu voyais comme elle fait ça bien. "



Il n'était pas difficile de deviner les quelques difficultés de Thyra et si Briana pouvait l'aider à s'améliorer alors elle le ferait. L'ouvrage entre les mains, elle s'affaira d'abord à défaire les points peu soignés et repassant le fil à l'aiguille vint repiquer par dessus, puis par dessous, le fil coloré dans le tissu à broder. Le geste était simple, et effectué doucement pour que Thyra puisse voir comment elle procéder et alors qu'elle enfilait le dernier point, cherchant à rattraper l'aiguille à demi dissimulée, les fils d'Harald, si curieux qu'ils devaient d'être s'étaient précipités vers elles, bousculant légèrement briana, mais assez fort pour que dans le geste, elle se pique le bout du doigts avec l'aiguille.

La douleur lui arracha un cri avant qu'elle ne porte son index à ses yeux, une goutte de sang grossissant là où l'aiguille avait pénétrait dans la chair.
Machinalement, alors que Thyra essayait de faire fuir les garçons, grommelant comme elle l'avait fait à l'approche d'Osfrid un peu plus tôt, Briana avait porté son doigts à sa bouche, aspirant la goutte de son essence qui perlait, les yeux rivés sur tous ceux qui s'étaient alors retournés.
A ceux qui voulaient trouver un peu de repos, répit n'était jamais que de courte durée.

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      Parce que ma vie à moi est faites de rêves, j'ai décidé de faire de tous mes rêves une réalité.
      " Ne rêves pas ta vie, mais vis tes rêves "... avec une pensée pour Lui
Osfrid


    Ribe, les odeurs d’autrefois, les couleurs de toujours, les paroles des gens présents, cet accent rare, cette prononciation plus rude qu’ailleurs, les rires des enfants ainsi que les petits pas qui résonnaient sur le planché… Osfrid était perdu dans ses pensées, ses pensées lointaines qui le ramenaient à des instants d’autrefois où son fils était présent, où sa femme venait vers lui pour le taquiner d’une main passée dans ses cheveux, où sa mère tenait tête au chef de clan qui se la jouait aussi têtu qu’à l’accoutumé histoire de ne pas déroger à l’image qu’on avait tous de lui. Un sourire naquit sur les lèvres du danois, de ces sourires qui en disent long sur ce que le cœur ressent et ce fut le cri de Briana qui le sortit de sa rêverie. La tête se tourna dans la bonne direction comprenant bien vite ce qu’il s’était passé. Il déplia ses longues jambes pour venir auprès de sa petite cousine, s’accroupissant à ses côtés, prenant son doigt entre les siens tout en caressant sa chevelure dorée de sa main libre.

    - Et bien damoiselle de Courcy, on prend les armes et on se pique ! J’imagine si je te confie une épée, il va falloir du travail…

    Sourire tendre pour la petite, Osfrid se relevait déjà pour l’entrainer avec lui afin de nettoyer la plaie quand la voix de son grand-père résonna derrière eux..

    - Et quand vas-tu commencer l’entraînement de Bothilde ? Si c’est toi qui t’en occupes, tu aurais dû déjà le faire !

    - Grand père arrête, laisse-la grandir un peu...

    - Je ne t’ai pas laissé grandir et tu es un des meilleurs combattants que j’ai vu de toute ma vie et ta femme était ainsi… Sibila était…

    La voix du vieil homme trembla légèrement, cherchant ses mots, ses quelques mots qu’il avait eu l’intention de dire mais qui restaient coincés dans son gosier. Osfrid, qui s’était baissé pour attraper Briana dans ses bras passa à côté d’Eirik et lui posa une main sur l’épaule qu’il serra affectueusement.

    - Jeg kender morfar*

    Pas besoin d’autres mots, d’autres gestes, Eirik avait déjà ravalé sa peine et regardait Briana qui était maintenant à sa hauteur.

    - Et bien Bothilde, tu apprends à devenir grande… maintenant va vite te faire soigner et on passera à table. Et je te veux à mes côtés !

    La sentence était tombée, Eirik s’appropriait l’enfant. Osfrid eut un geste des plus protecteurs en resserrant ses bras tout en lançant un regard assombri vers le vieil homme mais à ce jeu-là, il avait encore du chemin à faire le danois et il le savait. La menace latente que contenait son regard s’effaça rapidement pour laisser place à un hochement de tête. Et doucement, les pas du danois éloignèrent l’homme et l’enfant pour venir se poser dans la cuisine où Osfrid prit soin de nettoyer la petite plaie qui n’était guère grave en soi.

    Marmonnant, il finit par s’accroupir à nouveau devant Briana pour lui faire une petite poupée au bout du doigt avec un bandage de lin. L’extrémité des doigts avait tendance à saigner facilement et surtout longuement aussi il préférait lui coller ce pansement de fortune plutôt que la petite souille sa jolie robe. Redressant le visage, il ne put s’empêcher de caresser la joue de Briana avant de se relever et de venir déposer un baiser sur son front.


    - Ne t’en fais pas ma princesse, Grand-père ne mange personne et c’est un honneur qu’il te fait. Tu vas présider la table avec lui.

    Osfrid tendit la main à la mini de Courcy pour la ramener dans la grand pièce où Inge s’affairait déjà à installer une assiette en bout de table. Le regard d’Osfrid couva l’enfant une dernière fois avant, d’un mouvement du poignet, lui indiquer d’aller voir Eirik. Mais ce n’était pas pour autant qu’il la lâcherait d’une semelle. Il savait combien son grand-père pouvait être impressionnant pour un enfant. Il n’avait qu’à regarder les fils d’Harald pour le savoir. Ils filaient doux quand ils sentaient le regard de l’ancêtre sur eux aussi, Osfrid se dirigea vers la table et tirant la chaise à la première place, il s’y installa.

    - Bon vous attendez quoi ? On mange ou pas… j’ai faim !

    Osfrid sourit de toutes ses dents mettant au défi quiconque de le contredire. Et les convives se placèrent autour de la table. Beaucoup d’entre eux parlaient en danois mais la majorité faisait l’effort afin que Briana comprenne ce qu’il se passait, se disait. Cela n’empêchait pas Osfrid de se pencher de temps à autre afin de lui murmurer quelques petits détails sur tel souvenir qui s’évoquait ou quelques précisions nécessaires pour situer une action. Et la journée fut rapidement bien entamée.

    Inge avait donné des instructions aux petites mains qui finissaient de débarrasser les mets et la table, et reculé sur sa chaise, Osfrid observait sa mère qui était en face de lui, le regard absent. Un coup d’œil rapide à Eirik qui faisait la conversation à Briana et Thyra qui était venue s’installer sur la chaise aux côtés de sa nouvelle amie, le danois se leva doucement et vint enserrer de ses bras les épaules de Sigrùn. L’absence commençait à se faire sentir, il le savait, il l’avait vécu. Certes son mariage n'avait duré qu’une dizaine d’années mais il avait souffert de ce manque des gestes quotidiens, de ses paroles réconfortantes, de ses sourires qui mettaient du baume au cœur… Là, la solitude faisait son nid dans l’existence de la danoise et cela fit mal à Osfrid.

    Sa mère… elle représentait le centre de son univers. Elle lui avait donné la vie, elle l’avait soigné, elle l’avait sauvé quand il avait failli mourir, elle avait été un roc quand il avait perdu sa femme et son fils, elle avait été de toutes ses joies et de toutes ses peines… elle était la gardienne de sa vie, de ses souvenirs et de son humeur et aujourd’hui, il ne pouvait l’aider plus qu’il ne le faisait. Respirant profondément, il trouva la vie injuste, tellement injuste qu’il pensa soudainement être maudit. Il attirait le mauvais œil sur les siens, cela ne pouvait être autrement… voulant se reculer, il sentit les mains de Sigrùn sur les siennes et leurs regards se croisèrent. Tant de choses auraient dû se dire, tant de choses auraient pu se confier mais seul le silence les accompagna durant ce laps de temps qui dura une éternité ou une poussière de seconde, peu importe finalement. Osfrid finit par venir murmurer quelques mots en danois au creux de l’oreille de sa mère, apportant ce réconfort dont elle avait besoin. Mais la voix tonitruante d’Eirik se rappela à eux.


    - Son**, pourquoi n’emmènes-tu pas Bothilde faire une balade à cheval. Tu pourrais prendre Thyra et les garçons, ça leur ferait du bien à eux aussi de penser à autre chose que cette atmosphère pesante où l’on pense à nos morts !

    La suggestion devenait un ordre, il l’avait bien senti le danois. Alors il s’éloigna de sa mère en lui offrant un sourire de connivence, sachant très bien que malgré les années, Eirik surveillait tout le monde et donnait encore ses ordres malgré la vieillesse qui le poussait à passer la main. Osfrid opina du chef quand Harald l’interpella de la main.

    - Je viens avec toi, seul tu ne t’en sortiras pas avec les garçons…





*Je sais grand-père
**Fils

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Briana.
Les Nacres pressent, et la peau, et la chair, tandis que la langue, elle, épouse l'infime piqûre, tout en aspirant la légère montée de sang résultant d'un geste malhabile. La plaie n'est rien, se faisant presque invisible à l'œil, mais la douleur sait malgré tout se faire ressentir.
Il est l’êxtremité d’un index qui lancine encore un peu, et une main qui se secoue vivement.
Le geste perdure, machinal, avant qu’il ne cesse, stoppé par l’emprise d’une main bien plus imposante que la sienne. Elle est celle d’Osfrid sur qui les azurs de la Môme se posent, se figent. Un sourire qui s’étire alors est là de le remercier pour cette nouvelle attention qu’il lui donne.
Son doigt délicatement fait prisonnier, le contact se faisant si chaud et apaisant, elle en oublie sitôt le mal enduré. Seule petite ombre au tableau, le rictus venu marquer son visage qui s’était visiblement aggravé, accompagné d’un froncement de sourcils qu’elle ne su réprimer entendant la réplique faite par son cousin.


Réplique à laquelle elle ne manqua pas de répondre alors qu’elle se levait, se laissant entraîner vers la cuisine en vu de s’y faire soigner.



" Oh ! C’est ça ! Allez-y !… Moquez-vous donc… "


Léger haussement d’épaules faisant mine qu’elle n’était en rien touché par le sarcasme de son cousin, même si c’était loin d’être le cas.

Et d’ailleurs… Si la pointe de l’aiguille était venue s’enfoncer dans sa chair, c’était avant tout de par la faute des fils d’Harald avant d’être la sienne. Si seulement ces deux là pouvaient se tenir ne serait ce que quelques minutes, mais voilà qui semblait être trop leur demander. Les garçons, tous les mêmes. Toujours là à penser que d’en faire trop les rendraient plus intéressants.
Mais quelle idée !

Ses pas accompagnant sa réflexion , non sans dévisager les deux qui ne perdraient rien pour attendre, furent stoppé quelques instants, les attentions de chacun se faisant désormais attentives aux paroles énoncées par le Patriarche. S’il en était que l’on respectait au point de cesser toutes activités, elles étaient celles là. Et l’intérêt fut doublement porté sur la conversation, puisqu’on en venait à parler d’elle. D’elle et d’entraînement. La surprise lui fit alors hausser le sourcil alors qu’elle cherchait, croisant le regard de son cousin ou bien encore celui de sa tante, à obtenir explication.
Bouche légèrement entrouverte, prête à s’engager dans la conversation, elle ne put émettre aucun son, ses paroles sur le point de naître, préférant mourir en silence.
Ce qui l’avait retenu ? L’émoi… Celui qu’elle perçu dans le son de la voix de leur aïeul. Ce son qui se tord comme saurait vous tordre une douleur vive, réapparue sans aucun signe avant-coureur.
Et ce nouveau contact, lorsqu’Osfrid la souleva pour la hisser dans ses bras, toujours plus resserré lorsque quelque chose était là de blesser… Ce regard qu’une fois de plus elle croisa et dans lequel elle se perdit assez longtemps pour lire, là aussi, les maux enfouis…

Aussi, si elle avait plus d’aisance à évoquer Ragnard lors de discussions, jamais elle n’avait encore osé prononcer le prénom de l’épouse disparue. Par manque d’intérêt ? Jamais. Simplement, pour rien, elle n’aurait voulu davantage faire saigner la plaie béante que le manque avait laissé, se disant qu’au jour où elle devrait en entendre parler, serait parce qu’Osfrid aurait lui-même décidé de partager ce qu’elle était. Mais cette fois, les mots, l’attitude, le ton d’une voix, avait fait s’éveiller un peu plus cette curiosité endormie.

Les azurs se détachant de son cousin, c’est sur son Grand-père qu’ils étaient venus se poser, ce dernier s’étant approché, le poids lourd de ses pas faisant presque trembler le planché. A plus tard elle remettrait son interrogatoire… Pour un moment plus approprié que celui-là.
A ce moment, elle s’était seulement contenter de répondre d’un signe de tête à « l’ordre » de son Grand-père de la voir prendre place à ses cotés pour le repas et ce fut lèvres scellées qu’elle accompagna Osfrid jusqu’en cuisine, se faisant docile au soin prodigués.
Et peut-être ce dernier avait-il sentit, non pas la peur, mais toute l’appréhension d’une Gosse qu’elle était de se voir soustraire à l’égide protectrice et familière de son cousin. Mais après tout, quand bien même serait-elle éloignée de lui quelques instants, ils partageraient néanmoins la même table.
Son regard ne le quittant pas, elle savait que même aux côtés d’Eirik, elle aurait vue sur lui. Et rien ne pouvait la rassurer plus que ça. Et les mots s’en vinrent le confirmer :


" Je ne suis pas inquiète, car je sais bien qu’il ne me voudrait aucun mal… Il est juste… très… impressionnant. "



Déjà la senestre avait répondu à l’invitation de venir se poser dans celle qu’on lui offrait, se laissant guider, prête à rejoindre membres de la famille et autres proches que l’on pouvait considérer comme tel. Les liens étaient fort perceptibles et il aurait fallu être aveugle pour ne pas s’apercevoir de l’attachement des uns pour les autres.

Rapidement, la grand pièce fut rejointe. A leurs yeux s’offrait une table parfaitement dressée et dans les airs dansait un fumet qui se jouait de venir flirter avec les narines, sans manquer d’éveiller les papilles qui avaient hâte alors de découvrir saveur et texture d’un repas qui avait été préparé pour l’occasion.
Les azurs détaillant les premières écuelles, elle fit un premier pas en avant… Forcé par la main la poussant dans son dos. Invitation à aller prendre place ? Elle tourna alors légèrement la tête pour regarder son cousin avant de prendre inspiration profonde et de se diriger à la place qu’on lui avait faite. C’est timidement que les derniers pas furent entrepris, que les mains vinrent tirer la chaise et qu’elle s’installa. Timidement qu’elle releva les yeux sur Eirik avant que son regard ne balaye une fois de plus la table, et ce avant qu’elle ne soit attirée dans un sursaut par un geste brusque émis par les mains de ce dernier. Un geste pour répondre aux dires d’Osfrid et presser tout le monde de venir s’installer pour honorer le festin. Un festin qui débuta dans le respect de la bienséance. Tenue correcte à table, sourires et remerciements à Inge qui s’affaire au service.
Droite sur sa chaise, son attention s’attardait parfois sur les hommes qui entouraient la tablée et leur appétit féroce, alors qu’elle, n’était même pas parvenu à engloutir le tout de ce qu’on avait pu lui servir.

Le repas terminé, la table avait été débarrassée, et Thyra venue la rejoindre, avait redonnée un peu de confiance à Briana qui se décidait enfin à se laisser aller à la conversation, le temps passant lui permettant aisément de se détendre. Les gestes, les rires… voilà qui animaient de plus belle les discussions tandis que d’autres se faisaient plus discrets.
Parfois, les azurs sans doute trop curieux se détachaient de ses principaux interlocuteurs pour venir contempler le tableau qu’offrait Osfrid en compagnie de sa mère.
Serait-elle, elle-même, un jour, aussi proche de sa mère que son cousin savait l’être avec la sienne ? A la petite blonde d’en douter sérieusement. Ces deux là semblaient tellement se connaître. A les voir, on aurait dit que leurs silences valaient tout les mots du monde et qu’au travers ceux-ci, c’est sans équivoque aucune qu’ils se comprenaient… D’un simple regard.
Des silences, il en existait pourtant entre elle et sa mère. De trop long, sans aucune signification, si ce n’était de la persuader un peu plus chaque jours que sa mère ne lui portait pas la moindre importance.
Celle-ci la sachant à Ribe se serait-elle seulement donnée la peine de lui écrire, ne serait ce que pour savoir si elle était arrivée entière à destination ? Pas le moins du monde. Leur navire aurait bien pu couler que peut-être ne s’en serait-elle-même pas soucié. Cela lui avait-il seulement traversé l’esprit ? A cette question, elle ne trouva pas temps de répondre, la voix porteuse de leur Aïeul résonnant dans la pièce.

L’invitation à aller prendre l’air pour les plus jeunes avait été faite et personne ne s’y était opposé. Qui donc viendrait contredire leur Grand-père ? Personne.
Les enfants regroupés, avec une Briana assez couverte cette fois pour affronter le froid, se précipitèrent sans tarder en dehors de la demeure. Les cris de joies et d’empressement accompagnèrent leurs foulées et ce jusqu’à ce qu’ils soient ralentit par la voix d’Harald qui les interpellaient :


" Doucement en entrant ! Autrement vous allez affoler les chevaux ! "


Aux têtes qui s’étaient retournées d’acquiescer, de se tourner l’une vers l’autre le temps d’un regard partagé et complice. Quelques sourires échangés, heureux de poursuivre la journée avec une promenade à cheval et les voilà qui s’engouffraient sagement dans les écuries.
L’endroit ne manquaient pas de montures, et de bien belles de surcroît. Plantée au centre de l’écurie, ses yeux courant les chevaux, elle se demandait déjà lequel ferait office pour elle de monture. Il en était un sombre qui sous ses yeux balayait l’air de sa crinière, secouant son encolure, ses fers claquant le sol et ses naseaux laissant s’échapper un bruit tel qu’on aurait dit qu’il cherchait à faire trembler la terre.
Subjuguée par l’animal, elle n’avait pas entendu s’approcher Osfrid qui en compagnie d’Harald les avaient rejoint. Seule sa main venue se poser sur son épaule la fit réagir à sa présence et sur lui se retourner avant que tout contre, elle ne se cale enfin.
Infime instant d’une nouvelle proximité qui avait valut à la Môme de se réchauffer un peu, sa joue épousant le long mantel de son cousin. Puis choix des chevaux qu’ils montraient avaient été fait. Pour elle, nul besoin. Briana qui n’avait encore jamais monter autrement qu’accompagnée s’était vite retrouvée juchée, épaule en appui contre le torse puissant et familier que lui offrait souvent Osfrid pour s’y reposer. En amazone, ses deux jambes d’un même côté, une main était venue s’accrocher au pommeau de la scelle, tandis que s’accrochait fermement à son cousin, son bras enroulant la taille de ce dernier.

C’est chevauchant au pas de promenade que tous s’étaient élancés sur une petite allée cavalière qui les conduirait sur tas de lieux qu’il restait à Briana de découvrir.
Aux chevaux d’être arrêtés parfois, les index pointant ca et là quelques endroits. Quelques sentiers poussant Briana à vouloir savoir jusqu’où ils menaient. Quelques bâtisses élevées, certaines sérieusement abîmées avec le temps… Sa nature la poussait toujours à en savoir plus sur ce qui l’entourait, qu’il soit objet, bâtiments, être de chairs… Tout à ses yeux avait son lot d’histoire à raconter. Rien n’était jamais sans valeur.
Et alors que les chevaux reprenaient route, leur naseaux soufflant de la fumée tels les cheminées des maisons, elle ne pu s’empêcher de poser l’ultime question. Celle qui un peu plus tôt lui avait taraudée l’esprit.
Menton légèrement relevé pour regarder Osfrid à qui elle s’adressait, elle osa enfin, la gorge un peu nouée d’avoir à le faire :



"  Osfrid… Dites-moi… Pourquoi Grand-père tient-il tant à ce que je suive un entraînement dès maintenant ? Serait-ce qu’il souhaite que je ressemble à ma cousine ? Sibila ? A l’entendre, on dirait qu’il en était très fier et j’imagine que vous aussi… Me la raconterez-vous un jour ? Que je sache quelle femme elle était… "

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      Parce que ma vie à moi est faites de rêves, j'ai décidé de faire de tous mes rêves une réalité.
      " Ne rêves pas ta vie, mais vis tes rêves "... avec une pensée pour Lui
Osfrid
    L’air frais avait rempli les poumons d’Osfrid, lui permettant d’évacuer la tension mais aussi le chagrin qui avait pris forme dans son corps. Les réunions de famille avait cette nostalgie qui le prenait souvent à bras le corps et aujourd’hui bien plus que d’ordinaire. Son père avait été mis en terre récemment et il avait encore ce manque paternel qui venait lui faire mal. Mais Eirik avait ordonné alors il s’était exécuté. Et puis ça ferait du bien aux enfants qui subissaient de plein fouet le deuil sans y avoir été préparé.

    Vite arrivé à l’écurie, vite grimpé sur les montures qu’Harald et lui-même avait préparé, les garçons et Thyra ne s’étaient pas fait prier. Ils avaient l’habitude et surtout leur propre cheval, chose qu’Osfrid avait tenu à mettre en place dès leur plus jeune âge. Ici, ils faisaient l’élevage de jutland et les garçons seraient amenés un jour à donner un coup de main aux écuries. Autant qu’ils sachent eux aussi se débrouiller. Et il était hors de question de laisser Thyra de côté malgré les suppliques de la mère de l’enfant. Osfrid n’avait pas cédé et Harald avait renchérit. C’était une occasion pour elle de sortir de la maison et de voir autre chose que les corvées de petite fille. Harald avait donc rejoint sa progéniture tandis que le danois avait soulevé de terre sa petite cousine pour l’installer sur le dos du cheval noir qui avait joué son orgueilleux à leur arrivée. Oh il n’était pas dupe le Rasmussen, il savait très bien que la bête faisait son mariole parce que Grani n’était pas en ces murs et que pour une fois, il pouvait se payer le luxe de recevoir son cavalier. Il était rare qu’Osfrid monte un autre cheval mais c’était là cas de force majeur alors il avait pris Torden afin de palier à cette situation.

    Briana était confortablement installée, ils pouvaient maintenant parcourir les champs, les chemins et les bois au gré de leurs envies. Les fils d’Harald ne cessaient de conter à la petite normande moultes légendes sur le pays blanc ce qui tirait à Osfrid quelques sourires amusés. Qui aurait cru que les fils d’Harald puissent rivaliser de leur savoir pour impressionner une jolie tête blonde. Et Thyra qui n’arrêtait pas de rire sous cape tandis que le danois lui faisait des clins d’œil, se moquant gentiment de ses frères. Et la petite troupe s’en allait cahin-caha, entre rires et courses à cheval. Et il fut un instant où Osfrid et Briana se retrouvèrent un peu à l’écart des autres. Dans un souci de confort, Osfrid resserra ses bras autour de la petite afin qu’elle ne sente pas trop le froid de son pays qui pouvait être mordant pour les jeunes pousses mais aussi pour celles qui n’avaient pas encore l’habitude de ces terres. Et ce fut au creux de ces bras que la petite cousine saisit l’occasion de l’observer d’un peu plus prêt et de venir assouvir son besoin de mieux les connaitre, mieux le connaitre. La question était tombée comme à chaque fois sans arrière-pensée, juste avec ce qu’il fallait de curiosité pour ne pas froisser Osfrid. Il avait alors ralentit sa monture, prenant le temps d’inspirer profondément.

    Que dire, que faire, que révéler à cet enfant qui ne demandait qu’à connaitre les siens ? Alors le regard azuré vint se poser sur Briana, l’enveloppant doucement dans ce cocon qu’il aimait créer pour la protéger, son attention se faisant plus dévouée. Il posa une main sur celle qui tenait le pommeau de la selle tout en choisissant les mots qu’il allait prononcer. Il était rare qu’il s’épanche sur sa femme estimant trop souvent que les gens n’avaient pas à connaitre celle qui l’avait rendu heureux car le peu qu’il pouvait avouer ne rendait que rarement grâce à sa femme. Pourtant, il savait que c’était important pour la petite, lui permettant de tisser sa toile autour d’elle, mettant en place les pions de son existence sur cette dernière. Et lorsqu’il y songeait, il ne pouvait que se rendre compte qu’il était le seul de sa famille à le lui permettre. Alors redressant le menton afin de regarder droit devant lui, il commença par se gratter la gorge avant de laisser parler son cœur.


    - Sibila… Sibila avait été choisi par Eirik très jeune afin de suivre son enseignement. Eirik ne fait pas les choses à moitié tu sais. Lorsque je suis né, il avait d’ores et déjà imposé sa volonté. Je serais un combattant comme lui, un homme de guerre. Ton oncle aurait souhaité que je suive la voie de la diplomation comme beaucoup de membres de la famille de Courcy mais Eirik s’y est alors opposé farouchement et sa volonté a été écoutée.

    Osfrid donna un petit coup dans les flancs de Torden afin qu’il recommence à avancer et doucement, le danois reprit avec dans la voix quelques bribes de nostalgie.

    - Tu sais, Grand-père ne dispense pas à n’importe qui son savoir, en général il laisse son maitre d’armes le faire à sa place mais il était hors de question pour lui que de ne pas choisir celle qui serait la compagne de son petit fils et il fallait qu’elle réponde à des critères bien précis… Ce que tu ne vois pas Briana c’est qu’ici, les clans se battent pour une terre comme pour une femme qui fait envie à l’un des petits seigneurs de guerre. Et Eirik a toujours protégé les siens avec une volonté de fer. Donc il a estimé que ta cousine serait la plus douée pour se battre et me tenir tête.

    Un sourire empreint de douceur vint étirer les lèvres d’Osfrid à cette pensée. Sa femme avait eu fort à faire avec lui depuis leur plus jeune âge mais jamais elle n’avait baissé les armes devant lui, au contraire. Elle lui tenait tête et pas qu’un peu. Seule la maladie avait eu raison de sa volonté. Le danois chercha l’air à plusieurs reprises comme si ses souvenirs le terrassaient toujours un peu plus avant qu’il ne baisse le regard vers la petite. Il lui attrapa le menton et lui leva doucement.

    - Tu lui ressembles par bien des côtés Botilde et je ne sais pas ce qu’Eirik a en tête… Peut-être tout simplement transmettre son savoir une dernière fois… tu sais il n’est plus tout jeune et… tu as l’âge de Ragnard… Il aurait sans doute aimé lui apprendre tout ceci mais la vie ne l’a pas souhaité alors il estime qu’il doit le faire avec toi. C’est sa façon à lui de te souhaiter aussi la bienvenue dans notre famille Briana…

    Sa voix s’était muée en un murmure. Il ne pouvait aller plus loin. Il avait déjà confié bien des choses à la mini de Courcy mais là, pour aujourd’hui, il ne pouvait plus rien lui dire. Peut-être qu’un autre jour il lui raconterait non pas la ténacité de Sibila mais la douceur qu’elle était, celle d’une mère attentionnée et d’une femme aimante, mais pas maintenant. Donnant un coup de talons dans les flancs à leur monture, ils rattrapèrent les autres qui faisaient une pause bien méritée.

_________________
Briana.
Tout ! Tout était là... Visible en ses yeux. Et ce, avant même que les mots ne daignent être prononcés à haute voix. C'est le regard de la petite Blonde qui, de manière bien involontaire, s'en vient percer celui qui vient de se baisser et de se poser sur elle.
Tant de mystères retenus dans ces deux sphères azuréennes, porteur d'un langage, de codes, qui leurs sont propres.
" L'oeil est la fenêtre de l'âme", disait-on, et une fois encore, celle-ci venait s'entrouvrir, doucement, mais surement, sur un flot de pensées et de sentiments plus souvent enfouis qu'exprimés.

Sibila... Ragnard... Deux prénoms que tous se retenaient de prononcer, les laissant s'échapper parfois, comme si s'eut été incontrôlé. Réserve émise pour ne pas blesser davantage, ne pas faire ressentir plus encore le poids de l'absence. Mais impossible de ne jamais avoir à en parler. La perte d'êtres chers avait beau être douleur, restait néanmoins l'importance d'entretenir les souvenirs.


Juchée sur le dos de leur monture, attentive au partage de quelques confidences, elle laissait soin à son imagination d'imager celle qu'elle ne connaîtrait jamais autrement que par quelques récits contés. Et parce que la promenade avait repris son cours en même temps qu'Osfrid continuait de lui confier ce qu'avait été celle qu'il pleurait si souvent en silence, le regard de Briana venait se poser parfois en quelques endroits, son imaginaire continuant lui d'oeuvrer, lui laissant apercevoir comme des flashs venus du passé. Et puis il y eu cette phrase qui la fit réagir, tourner la tête et relever le menton pour une nouvelle fois venir appréhender le regard de son cousin venu l'envelopper.


Citation:
- Tu lui ressembles par bien des côtés Botilde...



La Môme sourit alors, si fière, ses poumons se remplissant d'un air frais que le vent à fait se soulever en un léger courant et qui l'invite à se tenir plus droite qu'elle ne l'était jusqu'à présent. Et cette prise de conscience soudaine qui vient l'habiter, le souhait de son grand-père qui se fait plus précis et cette envie dont elle s'empreint alors, de devoir être l'une de celle qui saura faire perdurer les traditions ancestrales. Le faire pour elle, pour ceux que la vie portent encore, mais aussi pour tous ceux qui s'en sont déjà partis.

Doucement, alors que le silence est retombé, le dos de Briana vient trouver repos contre l'imposante stature qu'il a quitté en se redressant quelques minutes auparavant. Un soutien dont elle a besoin... Qu'il soit hier, aujourd'hui ou demain.
Se repositionnant ainsi, elle se détourne de ce regard qui déborde de ce mal dévastateur. Le silence se veut tellement évocateur. Si révélateur... Voulant parfois dire bien plus que les mots.
C'est donc seul qu'elle le laisse à ses dernières pensées, sans plus vouloir le sonder davantage. Elle n'est pas en droit, elle le sait, de s'immiscer dans cette intimité qu'il tend à entretenir dans certains de ses souvenirs.

Elle, pour l'heure, c'est à l'avenir qu'elle se met à songer, scrutant le disque rougeoyant d'un soleil qui ne tardera plus à aller se coucher. Aux traditions qui se doivent d'être conservées, si primordiales qu'elles soient. Nourrir les souvenirs, maintenir un lien entre les générations passées, à venir... Continuer sur la lignée de ceux qui en ont imposés à et pour leur enfants, comme leurs parents l'avaient fait avant eux.

Il est un dessein qui se fait très net désormais dans l'esprit Brianesque.
Une destinée au caractère sacré.
Au nom de tous les siens.


    - FIN-
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