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[RP Fermé] Rien ne sert de courir..

Thes
Pas de prairie verte sous un beau ciel bleu.. Pas de soleil bienveillant.. Pas de chant d'oiseaux. Rien d'agréable, aucune douceur, aucune fraîcheur. Elle n'avait ressenti ni joie, ni apaisement. Pas de lumière.. juste le noir. Les ténèbres étouffantes, brûlantes et.. douloureuses. Désillusions et profondes déceptions.. ses parents n'étaient pas là pour l'accueillir. Seul subsistait le bruit des vagues et leurs hurlements lointains.

Une puissante décharge lui fit ouvrir les yeux, malgré ses paupières lourdes, pour la renvoyer dans cet autre néant. Un air glaciale s'engouffra douloureusement dans ses poumons et elle se cambra sous la violence du choc. Son regard se posa instantanément sur le manche du poignard qui dépassait de son ventre. Elle resta quelques instants interdite, ne pouvant pas réfléchir.. juste subir cette horrifiante vision. Elle ne contrôlait pas ses gestes, si bien que sa main semblait être indépendante du reste de son corps. Thes leva lourdement le bras et agrippa fébrilement le poignard qu'elle retira de la chair d'un coup sec. Un jet de sang vint tâcher le ciel sombre. Elle regarda le trou béant dans sa chemise, l'arme encore fermement maintenue par sa main.

Elle ne voyait pas les deux hommes à ses côtés.. elle ne voyait pas la marre de sang qui drapait le sol boueux... juste cette plaie au centre de son hématome. Thes ne cessait de revenir d'entres les morts, une terreur inexprimable la tirait à chaque fois de l'inconscience. Son corps fut prit, pour la énième fois, de violents tremblements. Elle lâcha le poignard qui vint disparaître dans la marre de sang qui l'entourait.. son propre sang. Elle porta immédiatement la main à son ventre mais avait beau appuyer sur la plaie, le sang continuait à couler. La brûlure qu'elle ressentait était devenue un pincement aigu. Elle essaya de se redresser mais son cœur se mit à battre à grands coups. Elle avait la nausée. Le flot de sang qu'elle avait perdu et qu'elle continuait à perdre faisait dangereusement tanguer son esprit vers l'au-delà. Elle était faible et vulnérable. Aucun son ne passait la barrière de ses lèvres devenues bleues par le froid, mais au-dedans, elle hurlait. Sa fureur se mêlait à une sincère souffrance. Thes était incapable de bouger. Pourtant elle aurait voulu courir loin de cette clairière mais tous ses membres étaient raidis.

Elle fût parcourue par un frisson de peur et malgré les protestations de son corps elle poussa sur ses pieds pour glisser vers l'arrière. Chaque mouvement était comme un nouveau coup porté à ses blessures. Ses battements de cœur s’accélérèrent mais au prix de sa respiration qui, elle, se faisait plus faible. Thes s'aida de ses coudes et poussa encore sur ses pieds et ainsi s'éloignait des deux hommes en plein combat. Elle n'avait eu aucun pouvoir sur Eframm mais, désormais, il avait trouvé plus déterminé que lui. Elle contempla la clairière ravagée en secouant la tête, les larmes ruisselaient le long de ses joues. Tout était de sa faute. Elle remarqua les tâches sombre sur le corps de Lyants, cela lui brisa le cœur encore une fois et la douleur de sa peine fût plus forte que celle de ses blessures. Elle se traîna sur ce qui lui semblait être plusieurs mètres. Le froid nappait son corps meurtri et à bout de force elle laissa lourdement tomber sa tête sur la terre durcit. Son regard glissa sur le côté. Un rayon de lune vint éclairer une marre de boue non loin d'elle et il y avait.. quelque chose au centre. Pour une raison inconnue, Thes déplia le bras et ouvrit la main, s'en servant comme de griffes, puis racla le sol d'un geste lent. La boue coula le long de son bras, entraînant dans son sillage le sang qui lui collait à la peau.

Dans la paume de sa main s'était logée une pierre. Elle l'aurait reconnu entre mille.. C’était LE collier si particulier.. bien que la boue l'enveloppait entièrement, Thes savait qu'elle tenait entre ses doigts cette pierre en forme de bête ailées. Elle referma la main sur le joyau de Lyants. La douleur n'était qu'un souvenir. Thes ne sentait plus rien. Ni la douleur de l'hématome, ni celle de la profonde plaie au centre de son ventre.. non plus l'entaille à son cou et celle à son bras. Son esprit était parti vagabonder dans des songes. Elle ne sentait que la pression de la pierre dans sa main. Objet qui était son seul réconfort à cet instant.

Thes se mit à prier. Prier pour la mort d'un homme.. Prier pour que Lyants tue Eframm.

_________________
--Eframm
La réaction du Slave à ses menaces n'eut pas l'effet escompté, l'ultimatum qu'il lui avait imposé était pourtant des plus limpides, mais il avait préféré voir la Rousse passer l'arme à gauche sans lui venir en aide et finir son combat. Il avait pourtant dans son regard une légère fébrilité, ses pensées semblaient pour le moins confuses, il venait de choisir de sauver son amour propre plutôt que son Amour incertain.

Eframm était subjugué par la montée d'adrénaline de l'infirme. Malgré les blessures aux allures fatales, il se tenait encore face à lui, les pieds s'enfonçant dans le marécage sanguinaire qu'était devenue la clairière verdoyante. Il n'avait jamais côtoyer de tels effrontés auparavant, il désespérait de voir son corps joncher le sol. Ainsi la victoire pouvait lui échapper ?

L'homme, sous un coup de colère instinctif vint déposer son bâton à mainte reprise sur la croupe du colosse. Les coups, malgré le peu de puissance qu'il contenaient, lui infligeaient un peu plus de souffrance à chaque impact. Les plaies béantes du mastodonte le poussaient un peu plus vers le dernier voyage. Mais Eframm était conscient qu'il avait toujours été Le Maître de sa vie, et dans la majorité des cas , de celle des autres.

Dans un élan insufflé du plus profond de ses entailles, il vint à lâcher un coup d'épée qui alla s'écraser du plat de la lame sur la hanche du Slave. Un coup pourtant sans gravité mais qui impacta beaucoup sur le physique de l'homme. Sans le savoir il venait de viser juste.

Sa douleur se transforma très rapidement en une rage débordante, son bâton virevolta dans les airs et s'approcha tel un faucon sur sa proie, du cou d'Eframm. Les réflexes étaient encore fougasse chez le jeune homme, et son épée trancha le bois, avant l'impact, avec une facilité débordante. Mais sous l'effort que lui demanda ce geste il ne s'attendit pas à la rétorque immédiate de son agresseur.

La douleur fut accablement morbide, Eframm en perdit tout repère, toute sensation, seul cette atroce souffrance persistait , elle le paralysait, le rendait tel une marionnette sans ficelle, il se tenait maintenant à la merci d'Aristote lui même... Ou plus certainement à celle du Slave...

En une fraction de seconde, le bloc de muscle s'écroula par terre, chevauché par l'infirme.

Son visage goûta à la boue sanguine il n'avait plus le semblant de force pour contrer son attaque, la douleur avait pris possession de son corps. La pression qu’exerçait l'homme sur sa tête commençait à priver Eframm, d'air, il suffoquait. La boue pénétrait dans sa bouche, l'eau croupie se faufilait dans ses orifices, jusqu'à parvenir dans ses poumons à chaque inspiration de sa part.
Quelques débattements instinctifs prirent le dessus sur sa paralysie, mais sans impacter le projet du Slave.
L’asphyxie le gagnait, ses pensées disparaissaient, sa respiration s’accélérait, amenant de plus en plus de matières dans ses poumons.

La mort lui souriait. Quel satyre, lui qui avait l'habitude lui sourire, c'était désormais à elle de le faire.

Le poux rallentit progressivement jusqu'à se disparaître à tout jamais, les derniers accoups d'Eframm se taisaient, plongeant la clairière dans un calme funeste.


La vie s'en était allé...
Lyantskorov
Noyé dans la boue ... une mort horrible pour un être horrible. L'idée lui était venue spontanément. A présent, rien ne pouvait plus le détourner de son sombre dessein. Il se poussait dans ses derniers retranchements pour en finir. Une grimace féroce lui déformait le visage. Il sentait son adversaire lutter, se convulser. Mais il sembla que le désir de vivre d'Eframm n'était pas aussi fort que le désir de tuer de Lyantskorov. Il pouvait sentir son adversaire s'affaiblir à mesure que la terre souillée prenait la place de l'air dans ses poumons. Il força encore la pression, avec un grondement triomphal. La vie s'échappait du titanesque protagoniste.

Ce serait la dernière chose qu'il contemplerait; la boue. Il n'aurait pas droit à un dernier regard vers celle qu'il était venu chercher. Même pas vers l'homme qui allait le tuer. Le barbu avait eu de la chance. Cette dernière manœuvre désespérée aurait pu signer sa perte. Mais elle lui fut salutaire. Une sorte d’allégresse s'empara de lui, tandis qu'il imaginait sans peine l'insolente confiance en soi du colosse s'étioler. Une dernière convulsion ... et ... enfin, ses mains n'appuyaient plus que sur une enveloppe froide. Il roula sur le côté, et retomba sur le dos. Puis, il poussa un long soupir. Il avait gagné. Ils avaient gagné. Enfin.

Mais à quel prix ? Sa rage retombait. Jusque-là, elle avait été suffisante pour compenser la douleur. Mais plus maintenant. Il poussa un gémissement. Son torse, sa hanche, son bras, et, lui sembla-t-il, tout son être, avaient décidé de le torturer. Il laissa échapper un nouveau cri; cette fois, c'était de souffrance et de détresse. Il avait déjà été blessé, par le passé ... mais jamais jusqu'à un tel stade critique. Cependant, sa tâche ne s'arrêtait pas là. Après les horreurs qu'il avait commises, Eframm goûterait aussi facilement au repos éternel ? Certainement pas ...

Il se redressa légèrement pour regarder autour de lui. Et il vit l'objet de sa convoitise. Il se contorsionna en grimaçant, avança le bras ... et referma la main sur la poignée de l'épée du défunt. Au prix d'efforts éprouvants, il se releva. Il peinait à garder l'équilibre; mais il lui restait quelque chose à faire. Il avisa la carcasse inanimée. Leva l'épée au-dessus de sa tête. L'acier refléta un rayon de lune, éclairant faiblement le cadavre. Et la pâle lueur donna un côté plus malsain encore à ce qu'il s'apprêtait à faire. La lame s'abattit. Et sectionna net la partie qu'il avait visée. Séparant la tête crispée en un dernier rictus du corps puissamment bâti. L'âme de feu Eframm serait condamnée à errer sans fin. Un juste châtiment, aux yeux de Lyantskorov ...

Le tintement caractéristique du fer se fit entendre lorsqu'il lâcha l'épée. Son regard se porta alors sur Thes. Elle avait les yeux ouverts, certes, mais ... c'était comme si elle ne le voyait pas. Il fallait qu'il lui fasse les soins d'urgence. Elle perdait beaucoup de sang. Il fit un pas. Puis un autre. Sa vision s’obscurcissait ... non ... il devait ... tenir ... il tituba. Cligna des yeux. Impossible ... le monde se déformait autour de lui. Il se traîna jusqu'à une souche, et posa son dos contre celle-ci ... le temps de ... se reposer ... oui, il s'en occuperait ... après ...

Il tenta vainement de regarder encore une fois la rousse. Peine perdue. Tout était devenu noir ... sa respiration devint un râle. Ainsi, sa victoire n'était pas complète. Son corps tremblait. Il ne pourrait pas la sauver ... il lui fallait espérer ... qu'elle se débrouille seule ... à la recherche d'assistance, sa main vint machinalement trouver le chemin de son cou ... mais ... horreur ! Il se mit à racler le sol boueux autour de lui, à l'aveuglette, sans grand espoir. C'était fini. Il avait perdu son collier. Il ne leur serait plus d'aucun secours, à Thes et à lui-même. Il cessa enfin de résister aux ténèbres qui l'attiraient. Et il ferma les yeux. Le monde semblait tourner autour de lui. Il sombra, préparé à la mort ...


" Lyantsi ? "

Il poussa un grognement. N'était-on donc jamais tranquille ?

" Lyantsi ! "

Il tiqua. Cette voix lui était familière ... une voix de femme, protectrice, à la fois douce et ferme ... c'était ...

" Lyantskorov ! Vsitan'ye ! "

... elle lui parlait dans sa langue maternelle. Lui ordonnait d'ouvrir les yeux. Était-ce vraiment ... ? Il obéit à l'injonction. Oui ... il ne pouvait pas s'être trompé ... c'était bien Glorislava qui l'appelait. Celle qui l'avait porté, lui, Lyantskorov dans son ventre ... il observa les alentours. Il était de retour chez lui. Il reconnaissait la lande enneigée ... là-bas, le bois dans lequel il aimait à jouer ... et, plus proche, la chaumière de son enfance. Son cœur se sentit apaisé. C'était un jour comme les autres ... ils n'allaient pas tarder à rentrer ... là, les accueilleraient un bon feu et un repas ... ils se raconteraient des histoires, et ... il fronça les sourcils. Il y avait quelque chose d'étrange. Comme s'il contemplait tout cela pour la première fois, comme si ces choses lui étaient étrangères. Il repoussa cette idée. Il n'allait pas laisser ces idées stupides gâcher cette fin de journée.

A nouveau, il porta son attention sur sa mère. A côté d'elle se tenait son père. Tout deux lui souriaient. Leur vie était heureuse. Et elle le resterait toujours: comment quelque chose d'aussi fort aurait-il pu disparaître ? Il répondit à leur sourire. Il s'apprêta à se lever pour aller les rejoindre.


" Niè zaraz, Lyantsi. "

Il se figea à ces paroles. Ces mots lui rappelèrent des choses plus sombres ... c'était la réponse qu'il avait bien trop entendue. Qu'il entendait résonner à chaque fois qu'il leur avait demandé quand ils rentreraient. Quand ils reviendraient chez eux. Ils lui avaient dit qu'il lui fallait être patient. Que leur voyage, à tous les trois, n'étaient qu'une étape. Qu'ils reviendraient à la maison. "Niè zaraz". "Pas maintenant". Ils avaient trahi sa naïveté. Mais il ne leur en voulait pas. Il ne leur en voulait plus. Ils avaient fait cela pour le protéger. Sans doute eux-mêmes avaient-ils souffert de mentir ainsi à leur propre enfant. Et puis, peut-être cela aurait-il pu être vrai, si tout s'était bien passé. Il leur envoya un regard dépourvu d’animosité. Tout cela était derrière eux. Ils allaient reprendre leur vie telle qu'elle avait été ... telle qu'elle aurait toujours dû être. Une nouvelle fois, il voulut se lever.

" Niè zaraz, Lyantskorov. "

Il leur demanda pourquoi, dans sa langue maternelle. Mais pourquoi sa voix était-elle si grave, si rauque ? Pourquoi était-elle celle ... d'un adulte ? Il comprit que quelque chose d'autre clochait. Il tourna légèrement la tête. Qui était ce grand individu, à la barbe si fournie, à la musculature impressionnante, et au visage couturé de cicatrices ? Mais, bien sûr ! Comment ne l'avait-il pas reconnu ? C'était l'Ancêtre ! Mais que faisait-il ici ? ... sans importance. Il expliquerait à ses parents qui il était, et ce qu'il avait fait pour lui. Ils l'accepteraient. Pourtant, son malaise persistait. Plusieurs choses n'allaient pas, dans ce qu'il voyait ... il interrogea l'être titanesque du regard. Et, à sa grande surprise, il y lut ... de la fierté ! . Le Slave en fut flatté. Il ne lui avait réservé cela que bien rarement. A vrai dire, les fois où il avait ...

... il écarquilla les yeux. Il revit le visage d'Eframm suffoquant dans le sol fangeux. Et, lui, Lyantskorov, qui lui maintenait la tête sous la boue. Et il conçut brusquement toutes les incohérences dans ce qui se jouait sous ses yeux. Il s'était résigné à ne plus voir cette chaumière. Il savait qu'il ne la reverrait jamais. De plus, ses parents et l'Ancêtre ne pouvaient pas s'être connus ... quand il avait rencontré le second, les premiers étaient déjà ... morts ! Il plissa les yeux. Et ce fut comme si sa vision se précisait. La chaumière, ainsi que Glorislava, s'évanouirent comme si elles n'avaient jamais été là. Le visage de son père était affreusement pâle, et les cernes autour de ses yeux étaient profondément creusées. Rongé par la maladie. Tout le long du ventre de l'Ancêtre s'étalait une impitoyable entaille. Le genre d'entaille qui ne laissait pas de place pour la survie.

C'était donc cela ... "Niè zaraz" ... ils l'avaient ... mis en garde ! Il était passé à un cheveu de la mort, mais eux ... lui disaient qu'elle n'était pas encore venue pour lui. Il ne trouva pas la force de protester. En désespoir de cause, il se tourna à nouveau vers l'Ancêtre. Mais celui-ci affichait simplement un air narquois en l'observant. Il savait que le Slave avait compris. Tout cela s'estompa ... et à nouveau, tout devint noir.

Cependant, malgré ses yeux fermés et son air agité, Lyantskorov, certes faiblement, respirait.

"Niè zaraz" ...
Thes
Les clapotis de l'eau.. le croassement d'un corbeau au loin. Thes resserra machinalement la main sur le collier de Lyants, le regard toujours hagard. La pierre s'enfonçait doucement dans sa paume et, pour sûr, laisserait sa marque pour longtemps. Une goutte d'eau vint se poser sur son bras, une autre, un peu plus fraîche, sur sa joue. Elle cligna des yeux plusieurs fois et semblait, peu à peu, reprendre ses esprits. La pluie se mettait à tomber, les gouttes, qui lui faisaient l'effet de petites aiguilles que l'on enfonçaient dans sa peau, la sortaient de sa somnolence. Thes tenta de relever la tête mais sa vue se brouillait à chaque tentatives, pourtant elle le savait.. elle le sentait, il le fallait. De gros nuages, sans doute épais, étaient venus couvrir la lune, plongeant la clairière dans le noir total. Combien de temps était-elle restée dans cet état ? Que s'était-il passé ?.. autant de questions dont elle ne voulait pas connaître les réponses.

Les battements de son cœur étaient faibles mais lui faisaient malgré tout mal à la poitrine. Ses yeux étaient devenus deux petites billes brûlantes, elle ne cessait de les ouvrir et de les refermer.. jusqu'à ce que son regard s'arrête sur un point du paysage. Non loin d'elle se tenait.. une forme.. une tâche un peu plus obscure que le reste. Une vague d'horribles souvenirs lui traversa l'esprit. La clairière.. Eframm, le sang, les armes, la douleur, et .. Lyants. Thes se leva tant bien que mal et récupéra d'un mouvement de main, le poignard de Lyants qui gisait non loin, dans une petite mare de sang. Son regard se posa sur ses jambes et elle fût surprise de constater qu'elles arrivaient encore à la porter. Elle s'attendait à voir une masse immense surgir devant son nez.. mais il n'en fût rien. Eframm ne se montra pas. Aucun bruit.. aucun cri.. aucun râle. D'un geste incertain, Thes rangea l'arme derrière sa ceinture. Les pieds traînant au sol, les épaules courbées et les mains posées sur sa blessure au ventre , elle s'approcha avec appréhension de la chose qui semblait s'être adossée à quelque chose. Ses yeux s'habituaient doucement à l'obscurité et les traits de cet être se dessinaient peu à peu. Une barbe broussailleuse, un visage émacié.. des cheveux mi-longs collé par la boue et le.. sang. Lyants. Le prénom mourut avant de trouver le chemin de ses lèvres. Elle accéléra la cadence, quoi qu'encore trop lente à son goût, et se retrouva à ses côtés.


« Lyants »

Thes le prononça d'une voix brisée par l'émotion. Était-il.. ? Ses yeux étaient fermés. Les larmes jaillir sur ses joues se mélangeant aux grosses gouttes que déversait le ciel et elle se laissa tomber sur ses genoux dans un bruit sourd. De sa main libre mais hésitante, elle effleura la joue du blessé. Thes ouvrit la bouche, en manque d'oxygène, comme si elle venait de courir, mais ses entrailles réagissaient simplement à l'évidence. La vue du sang, des blessures, de la tunique déchirée, ce visage fermé.. lui était insurmontable. Elle se colla tendrement au barbu mais refusait l'idée que se fût leur ultime caresse.. refusait que ce soit la dernière once de chaleur que pouvait donner l'homme qu'elle aime. Le sang de Lyants lui collait au visage mais fût vite lavé par la pluie qui continuait doucement à tomber. Emprunte de désespoir, croyant qu'il était mort, Thes enfouit son visage dans son cou.. mais.. il lui semblait.. oui ; elle sentait les sourds battements de son cœur. Elle redressa la tête avec une vitesse folle, ignorant la déchirante sensation de brûlures dans son cou, et tout aussi rapidement retira la main qu'elle avait laissé sur la joue. Thes approcha ses lèvres de celles de Lyants.. pas pour l'embrasser, non, et resta quelques secondes comme ça, leurs lèvres pratiquement en contact. Une faible mais douce chaleur vint frôler sa bouche charnue. Un petit nuage de buée alla tournoyer dans les airs. Il respirait.

Le regard de Thes devint particulièrement clair, toutes traces de tristesse et de souffrances quittèrent ses pupilles sombres. Son cœur puisa dans ses dernières réserves et lui redonnant un peu de vigueur. L'instinct de survie et la vue de l'homme qu'elle aimait y était pour beaucoup. Elle se redressa toute tremblante. Si elle ne sentait plus rien, son corps lui ne pouvait s'empêcher de réagir à ses terribles blessures. Elle plaça son bras gauche, valide, sous les bras de Lyants, l'entourant ainsi et tira de toutes ses forces. Si elle semblait penser qu'elle pouvait le soulever comme cela, il n'en fût rien. Le corps de Lyants ne bougea pas d'un pouce. Thes tomba à la renverse, une bulle de sang remonta le long de sa gorge et vint éclater bruyamment sur ses lèvres. Elle tourna la tête puis se mit à tousser et cracher cette infâme liqueur. La pluie cessa de tomber d'un seul coup et un éclair déchira le ciel, illuminant la clairière comme en plein jour. Tout le paysage tremblait, comme une effroyable secousse sismique. Elle eut juste le temps d’apercevoir .. ce qu'il restait du corps d'Eframm. La vue de cette horrible scène lui redonna une impulsion. Si Thes avait été élevée sous les croyances d'Aristote, sa vie après la mort de ses parents avait quelque peu ébranlé ses convictions.. mais il fallait bien reconnaître qu'après pareil tragédie, la pensée qu'Aristote allait les balayer de sa fureur traversa son esprit. Tout son être le refusait violemment et son visage se contracta dans une vilaine grimace haineuse. Peu importe la punition.. Aristote ne lui prendrait pas Lyants comme il avait prit ses parents. Non.. hors de question !

Elle aurait tout le temps, « après » de repenser à toute cette horreur. Ironie de la situation. Elle était prête à mourir cette nuit et la voilà qui, maintenant, faisait tout pour.. survivre.


« Lyants.. ne m'abandonnez pas »

Elle avait lâché cette phrase entre ses dents, d'un ton presque implorant même si elle le voulait ferme. Thes sonda les alentours. Un autre éclair suivit d'un violent vacarme. Elle découvrit soudainement une trouée qui perçait la végétation comme une déchirure, courant le long du bois. «  Ne le laisse pas ». Cette phrase tournait en boucle dans sa tête et encore une fois elle tenta de tirer Lyants. Elle devait désormais ne compter que sur elle-même. Elle n'avait pas assez de prise, il lui fallait utiliser son autre main, celle qui tenait encore fermement le pendentif. Thes délassa grossièrement une de ses chausses et tira d'une main fébrile le morceau de corde qui maintenait le soulier. Elle le noua rapidement autour de la pierre qu'elle plaça tout aussi vite autour du cou de Lyants. Ils allaient quitter la clairière.. ils allaient laisser cette horrible chose derrière eux.. mais avant ça, Thes voulait le voir. Regarder le monstre une derrière fois. Elle s'avança doucement, ses pas la rapprochaient de plus en plus d'Eframm.. plutôt de ce qu'il restait de lui. Sa tête avait été séparée du reste de son corps et le tout baignait dans une importante quantité de sang. Son regard se détourna de lui-même et elle posa une main sur ses lèvres pour s'empêcher de vomir. Elle en avait assez vu et il était plus que temps qu'elle retourne auprès de Lyants.. mais.. deux bouts d'acier vinrent s'illuminer au rythme des éclairs.
Thes s'agenouilla, balayant le sol avec sa main et récupéra la dague du barbu qu'elle rangea aux côtés du poignard. Vint le tour de l'arme d'Eframm. L'épée était lourde et elle ne pouvait s'en encombrer. Elle s'approcha du colosse et tenta de lui retirer son ceinturon. L'opération était difficile, il semblait que le corps s'enlisait dans la boue et elle perdait trop de force à essayer de le lui retirer. Cependant, quand elle était sur le point de faire machine arrière, la boucle du ceinturon lâcha. Elle le dégagea rapidement et rangea l'épée dans le fourreau puis retourna auprès de Lyants, le cœur.. oui ; le cœur léger.

Thes attacha le ceinturon et l'épée autour de Lyants. Il fallait faire vite.
Ses bras vinrent se loger une nouvelles fois sous les bras du barbu et dans un cri de douleur, le traîna sur le sol boueux jusqu'à la sortie du champs de bataille. Leurs deux corps glissaient sur le terrain humide et il s'enfoncèrent dans la brèche naturelle qu'elle avait vu auparavant. Sa blessure au bras recommençait à verser des flots de sang mais elle n'y prêta pas la moindre attention. 

Le boyau se ferma sur eux pendant qu'ils s'enfonçaient un peu plus dans la forêt. Le souffle de Thes se chargea des vapeurs du vertige. Elle devait tenir le coup. Ils devaient survivre. Thes cambra son corps vers l'arrière, puisant encore un peu plus dans ses faibles réserves et son ventre se creusa, prit d'une violente décharge. Le paysage se mit à tournoyer. Thes était sur le point de s’effondrer et de vomir avec l'impression que toutes ses chairs étaient à vif. Perdu au milieu du néant, il semblait que tout son corps retournait dans le chaos. Dans sa vision brouillée par l'effort, Thes ne voyait plus distinctement le chemin. Elle relâcha son étreinte et essuya la sueur qui lui envahissait le front.

Thes resserra un peu plus ses bras autour de Lyants et s'accorda une longue expiration de soulagement. Un cavité, illuminée par un autre éclair se dessinait sous ses yeux. Une bulle de sang vint à nouveau éclater sur le bord de ses lèvres. L'épuisement dû à son état général s'apparentait à un besoin de sommeil même si.. en réalité, il était bien plus grave. Elle posa doucement Lyants contre la roche glaciale et lui retira l'épée qu'elle avait accroché autour de sa taille, puis, ramassa dans le creux de ses mains, l'eau qui coulait le long des parois. Thes réussit.. difficilement.. à le faire boire. Elle le laissa quelques instants et se mit à la recherche de bois pour allumer un feu. Elle en fit un tas et tenta a plusieurs reprises de l'allumer. C'en était trop pour elle. Elle ne pouvait plus.. ses forces l'abandonnaient, la douleur des blessures reprenaient le dessus.. Les sanglots reprirent. Thes posa sa tête sur les genoux de Lyants.. si il devait en être ainsi.. elle était prête.


« Pardon »

Elle le murmura d'une voix claire et ferma les yeux sans voir que le feu faisait naître ses premières flammes.


* Modifications de texte.

_________________
Lyantskorov
Un grognement ... Il sentait ... une chaleur inattendue lui titiller les sens. Ses membres engourdis se déraidissaient seconde après seconde. Il parvint à faire bouger ses doigts. Il essaya de se détendre, mais la douleur se réveillait en même temps qu'il reprenait possession de son corps. Lyantskorov serra les dents. Ça allait passer. Ça devait passer. Il tourna lentement la tête. Et grimaça. Quelque chose avait touché son torse meurtri. Associé à un poids familier et rassurant. Il déplaça le bras jusqu'à la chose en question. Sa main se referma sur l'objet de pierre. Même simplement par ce contact, il reconnut son pendentif, revenu à la place qu'il n'aurait jamais dû quitter. Il se décrispa un peu, et laissa retomber son bras.

Enfin, il se décida à ouvrir les yeux, qu'il cligna plusieurs fois pour s'habituer à la lueur émise par les flammèches. Il regarda autour de lui, essayant de reconnaître les lieux. En vain; c'était la première fois qu'il venait ici. C'était ... une sorte de grotte. Proche de lui se trouvait un feu qui crépitait faiblement. Sur le sol était posée une épée dans son fourreau. Et il y avait ... quelque chose de posé sur ses genoux. Ou plutôt quelqu'un. Il baissa le regard. Même tâchée de sang séché, la chevelure rousse ne lui laissa pas de doute. Il tendit ses bras pour lui écarter une mèche de cheveux. Même à la lueur du feu, elle paraissait terriblement pâle. Il ignorait cependant si elle était en vie ou non. Une chose était sûre; si c'était le cas, ils ne tiendraient pas longtemps s'ils restaient là.

Il souleva précautionneusement la tête. Le contact avec la peau était froid, mais pas autant que l'aurait été celle d'un trépassé. Néanmoins, il préférait en avoir la confirmation. Il déposa doucement la tête sur le sol, et posa ses doigts sur le côté du cou. Il sentit un infime battement. Dans un souffle, il murmura quelques mots. Elle était en vie. Avec apathie, en maugréant, il retira sa chemise, laquelle était à présent souillée de sang et de boue, et en lambeaux par endroit, puis s'en servit pour faire un coussin grossier à Thes. Il se redressa ensuite douloureusement, et prit le temps de raviver le feu.

Soudain, il tressaillit. Il y eut un brusque éclair de lumière. Il fit un rictus plein d'autodérision en comprenant, et attendit quelques secondes. Un bruit sourd se fit entendre. Un orage ... pas de quoi s'inquiéter. Il se passa un doigt dans la barbe; celle-ci était poisseuse. Il reporta son attention sur le feu, qui prenait tranquillement. Lorsqu'il fût sûr qu'il tenait bien, il se rapprocha de la rousse. Il vit alors ses armes à la ceinture de la jeune femme. Il récupéra d'abord son poignard, qu'il rangea, puis prit sa dague afin de découper certaines parties de sa chemise, prenant soin de ne pas toucher la tête de Thes de sa lame. Il en fit alors quelques bandes.

Un filet d'eau claire s'écoulait non loin; une aubaine. Il alla nettoyer les morceaux de tissu, ainsi que ses mains qui avaient pris une teinte marronâtre à cause de la terre séchée et de l'hémoglobine. Il en profita pour s'abreuver un peu. Avaler le faisait grimacer, mais il s'y efforça néanmoins. Cela ne lui ferait pas de mal. Il retourna ensuite auprès de Thes, et utilisa les lambeaux de sa chemise pour lui faire des garrots de fortune. Le sang avait certes cessé de jaillir; mais, elle n'était pas à l'abri que cela reparte. Il les attacha solidement, évitant cependant de trop serrer celui qu'il plaçait à son cou. Son bras gauche le tiraillait, mais il commençait à être ... moins attentif à la douleur, sinon accoutumé à celle-ci. La demoiselle aux cheveux rougeoyants était salement touchée au ventre ... tout près de ... l'hématome qu'il lui avait infligé lui-même. Mais, nulle place pour le regret. On lui avait appris qu'il était inutile de ressasser ce qui avait été fait.

Il se fit à lui-même un bandage improvisé pour son torse, repris un peu d'eau, humecta également les lèvres de la blessée, puis poussa un soupir. Il s'accorda encore un peu de temps pour méditer sur ce qui avait dû se passer. Il avait sombré dans l'inconscience ... il détailla un instant le visage de la rousse. Elle était épuisée, c'était flagrant. Comme si elle avait fait des efforts démesurés ... comme si ... elle l'avait amené jusqu'ici elle-même. Bien sûr; qui, sinon ? Ce devait donc également être elle qui lui avait remis son collier. Il ressentit un élan de gratitude pour cet acte. Il aurait sûrement eu du mal à le retrouver lui-même dans le sol fangeux. Il songea, narquois, qu'ils devaient donner un spectacle presque burlesque, à se relayer ainsi dans l'inconscience. Le barbu jeta un bref coup d’œil à l'extérieur. La pluie s'était tue. Il était temps. Ses yeux parcoururent le sol nu. Pas trace des affaires de Thes; si affaires il y avait eu. Il fit la moue. Il attendrait pour se caler l'estomac. Il n'avait pas grande faim, de toutes les façons.

Il lorgna un instant le fourreau de l'arme de feu Eframm. Un petit sourire de satisfaction vint fugitivement flotter à ses lèvres. Depuis le temps qu'il cherchait une vraie arme ... il la ceignit à son ceinturon. Il lui faudrait un peu de temps pour s'habituer à l'avoir au côté, mais ... cela en vaudrait sûrement la peine. Il sortit de la grotte quelques instants. Au moins, les progrès qu'il avait entamés pour se remettre à marcher normalement n'avait pas été gâchés par le combat. Néanmoins, il se trouva un bâton de bonne taille, assez solide, qui lui servirait de canne; ce ne serait pas un luxe. Il observa les alentours. Il était revenu à la clairière; enfin, autant dire qu'il n'était pas allé très loin. Pris d'une morbide impulsion, il chercha la silhouette du défunt du regard. Il l'aperçut rapidement. Il faillit s'en approcher ... mais, finalement, haussa les épaules. Tant pis si quelqu'un le trouvait. Il n'était qu'un faible infirme, après tout; qui irait le soupçonner ? Non, il jugeait qu'il était très bien, là, à pourrir dans sa flaque visqueuse ... il réfléchit encore quelques instants pour se rappeler par où il était passé, ainsi que où où était sa destination. Il hocha lentement la tête pour lui-même, puis retourna dans la cavité. Il était temps de se mettre en route; il revêtit sa chemise, du moins le tas de haillons difforme qu'il en restait, et fit passer le bras de Thes par-dessus sa propre épaule, la maintenant de son propre bras, et, il faut bien le dire, la traînant un peu pour avancer. Il marmonna une nouvelle prière, les yeux fermés, et enfin, s'enfonça dans les bois.

Thes n'était pas bien lourde; et heureusement ! L'effort que ce procédé lui demandait était, sur la durée, colossal. A plusieurs reprises, il la déposa, non seulement pour vérifier qu'elle avait toujours un pouls, mais également pour reprendre son souffle. Cependant, il écourtait toujours ces arrêts; il préférait arriver à destination avant la fin de la nuit. Ses yeux étaient continuellement en mouvement; non seulement, il essayait d'apercevoir quelque potentiel danger, si danger il y avait, mais il voulait également essayer d'éviter de marcher, d'appuyer son bâton et de traîner la jeune femme là où la terre était boueuse. Ce fut une longue et pénible avancée, mais, finalement, il poussa un tas de fourrés qui avait finir par lui devenir communs. Ils étaient arrivés dans son campement, l'endroit isolé qui était devenu son havre au cours des dernières semaines. Laborieusement, il déposa Thes, ainsi que l'épée d'Eframm, dans sa tente, s'épongea le front, et mit de l'eau à chauffer. Pendant ce temps, il avala rapidement un quignon de pain, sans grande véritable envie de manger. Il avait surtout la gorge sèche.

Sortant un pot de sauge séchée, il bourra sa pipe, qu'il posa sur le côté, et prit son matériel pour la soigner plus efficacement. Lorsque l'eau fût chaude, il humidifia des linges. Il retira les grossiers garrots sur le corps de la rousse, et nettoya la peau boursouflée. Sans trop s'attarder, il passa de l'onguent; et enfin, plus proprement, il refit ses bandages. Il ne s'occupa cependant que des blessures de Thes. Comme à son habitude, il fit brûler des encens, en nombre certes plus important que d'ordinaire, en marmonnant, passant de temps à autre une main à son collier. Lorsque tout cela fut fait, pipe entre les dents, il alla chercher un briquet à silex et une allumette de soufre. Il manipula le premier pour obtenir une étincelle afin d'enflammer la seconde, qu'il plaça au-dessus du fourneau de sa pipe. Le nuage de fumée qu'il recracha lui procura un certain plaisir; c'était son premier vrai moment de quiétude depuis le moment où il avait quitté la taverne à la recherche de la jeune femme. Il l'examina attentivement. Elle semblait plus ... détendue, plus sereine. Elle reprenait timidement quelques couleurs, et à présent, son ventre qui se gonflait péniblement à intervalles réguliers apportait un certain réconfort au Slave. Il savoura quelques bouffées tout en la regardant; mais il n'avait mis que bien peu de sauge, car sa tâche n'était pas encore terminée. Il fouilla dans la sacoche qu'il avait laissée au camp tout ce temps, et en sortit une petite fiole, vide aux deux tiers. Sans hésiter, il but d'une traite ce qui restait, et esquissa une petite grimace, avant de ranger le flacon.

Il reprit la demoiselle à la crinière flamboyante sur son épaule, et poursuivit son chemin. Le soleil, à présent, perçait parfois çà et là la voûte épaisse des nuages; mais, pour l'essentiel du temps, il restait voilé. Même si le matin allait bientôt se lever, au moins ferait-il toujours sombre. Cela pouvait sembler étrange qu'il s'attarde sur ce genre de détails, mais ... il n'avait pas grand désir de croiser quelqu'un. L'allure de son pas s'était accélérée, et, malgré sa chemise déchiquetée qui laissait passer le froid hivernal sur sa peau nue, il ne semblait pas en souffrir plus que cela. En effet, la boisson qu'il avait bue, un puissant stimulant, avait fait disparaître la fatigue et partiellement la douleur, sans lui embrumer l'esprit. Il voyait bien que ses mains étaient craquelées par le froid; toutefois, il n'y prêtait pas grande attention. Il allait terminer ce qu'il avait commencé, et ce serait la fin de toute cette histoire. Il se fit vigilant, mais cette fois, pas pour repérer des menaces cachées dans la forêt, non ... ils approchaient de la civilisation, et il voulait être sûr qu'ils ne croiseraient personne.

Il fut chanceux; il ne vit, au loin, qu'une silhouette d'ivrogne qui tituba avant de s'effondrer dans une ruelle. Mais pour l'essentiel, Saint-Aignan était encore endormie. Car, pour sûr, sinon, on les aurait remarqués : une sorte de rustre efflanqué qui portait comme parure un tas de chiffons crasseux qui rendaient visible une partie de son buste entaillé, en train de porter une charmante donzelle aux cheveux roux, blessée et inconsciente ... cela ne passait pas inaperçu. Il fit de petits détours par d'étroites allées; et, à son grand soulagement, ils ne rencontrèrent pas âme qui vive. Enfin, sa destination; une porte miteuse, au-dessus de laquelle apparaissait une enseigne : "Au trou de Souris". Il savait qu'ici, il trouverait de l'aide pour elle; Thes était une femme que les gens avaient l'habitude d'apprécier, et elle avait plusieurs amis, ici, qui s'occuperaient d'elle aussi vite qu'ils la verraient. Elle serait dans de bien meilleures conditions pour guérir, dans un vrai lit, entourée des siens, que dans son campement rugueux. Il la déposa contre le mur de la bâtisse.

Lui ... c'était une autre paire de manches. Il n'était pas réputé pour être très apprécié des gens qui le connaissaient. Et puis, il rentrait avec Thes meurtrie; on pouvait le croire responsable. Mais surtout, il n'aimait pas l'idée de se remettre entre d'autres mains, de dépendre d'eux, de ... leur devoir quelque chose, de vivre enfermé entre ces murs ... et puis, les gens faisaient toujours preuve d'une curiosité maladive qui le répugnait ... il entendait déjà les questions ... tellement de questions ... il les imaginait déjà piailler, caqueter, jacasser ... il en soupira d'ennui. Non, décidément, il n'avait surtout pas envie de se retrouver confiné avec ces gens-là; son état s'aggraverait probablement. La rousse avait le potentiel pour supporter cela. Pas lui. Non, il se remettrait bien mieux, à l'écart du monde qui se disait civilisé. Il avait de quoi se nourrir plusieurs jours, de quoi se soigner ... il n'avait pas besoin d'aller se perdre à Saint-Aignan. Il la regarda encore brièvement. Il aurait mieux valu qu'elle ne se fasse pas trimballer de la sorte, mais ... elle s'en sortirait. Il le savait. Il le sentait. Il aurait pu lui écrire quelque chose pour expliquer ce qu'il avait fait, mais ... il jugeait les mots inutiles. Tout ce qui comptait, c'était qu'Eframm soit mort, et qu'eux soient en vie. Du reste ... pourquoi chercher plus loin ? Il donna quelques coups sourds à la porte de l'auberge, puis s'éloigna sans attendre son reste, disparaissant dans une ruelle avant que le battant ne s'ouvrît.

Et c'est ainsi que, seul, il reprit le chemin de son campement dans la forêt. Il savait qu'ici l'attendait enfin la quiétude. Il allait soigner ses blessures. Reprendre l'entraînement. Puis, lorsqu'il serait remis ... il serait grand temps de retourner sur les chemins. De renouer avec son ancienne vie. Cela faisait plusieurs mois qu'il attendait cela, déjà. Il arriva à la minuscule clairière surélevée dans laquelle il avait posé sa tente. Les effets de son breuvage commençaient à diminuer, et la lassitude et la douleur reprenaient le dessus. Il raviva le feu, fit à nouveau chauffer de l'eau, se prépara une infusion, et enfila un autre habit, en meilleur état. Il s'attaqua ensuite à ses propres soins, en grimaçant, s'arrêtant de temps à autre pour boire sa boisson aux plantes. Lorsqu'il eût fini, il alla s'allonger avec reconnaissance sur sa paillasse. Malgré les souffrances et les peines endurées ce soir-là ... il avait l'impression ... d'avoir accompli quelque chose d'important. Mais ce fut tout pour ces belles pensées, car ... lui qui d'ordinaire avait souvent du mal à trouver le sommeil était si hagard et abruti d'épuisement, que l'instant d'après, il plongea dans un profond sommeil, son plus long depuis de nombreuses années.

Pour les protagonistes (enfin, pour la plupart), certes, la vie continuait. Mais c'était pourtant bien une page, une page sanglante qui venait d'être tournée. Et c'est ainsi que cette histoire qui s'était jouée dans la tristesse et dans la violence du commencement au dénouement connut une fin somme toute ... souriante. Impossible de savoir ce que la suite leur réservait; mais la menace du nom d'Eframm avait été définitivement écartée.
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