Anaon
- Assise sur le rebord de la fenêtre, le chambranle pour appui de son dos et ses pieds. Elle s'imprime à nouveau des vieilles habitudes. Le regard perdu au loin contemple l'horizon et ces gens si petits à son regard qui s'activent à la tâche. Pâle toile de fond pour l'esprit errant dans de vagues réflexions. Elle contemple, refuse de se souvenir et envisage à peine ces lendemains. Banale spectatrice de la vie qui s'anime autour de son monde. Vieilles manies, comme elle le faisait si souvent à Paris. Seule différence entre l'avant et le présent est ce chiot qui dort paisiblement lové contre sa poitrine. Une main pensive caresse avec douceur la tête noire tandis que l'esprit vide attend. Elle a vu le grand shire débouler dans la cour sous les jupons d'une duchesse aux filins blonds. Puis elle a vu les gens se presser pour accourir dans le château. Elle n'a pas bougé.
Bien vite pourtant on vient frapper à la porte de la petite chambre. La duchesse réunit tout le monde dans la Grand Salle. Immédiatement. Elle ne répond pas, se contente d'un regard avant de retourner à sa contemplation. La mercenaire prend son temps avant de s'ébranler enfin pour rejoindre la foule qui a déjà du se former depuis un petit moment déjà. Elle descend de son perchoir, s'apprêtant à poser au sol le chiot qui couine de protestation. Elle le garde alors contre elle, comme la mère cèdant devant les caprices de son enfant.
La pièce est rejointe sans empressement et elle avise avec une brève curiosité l'attroupement de domestique qui s'est réuni au même titre que les demoiselles de compagnie. Et Yolanda, souveraine au centre, unique point de toutes ces attentions demeure en silence. La balafrée s'immobilise au niveau des premiers communs puis s'accroupit pour déposer Fenrir qui ne manque pas de geindre contre ces bras qui lui sont refusés. Un genou toujours au sol, elle prête une oreille attentive en repoussant doucement le chiot qui tente de lui grimper sur ses jambes. Et le couperet tombe dès les premières paroles.
Pour seul témoin de sa surprise, un regard qui se relève. Latence. L'attention revient au chiot. Par amour, Yolanda a renier sa noblesse. Pour l'amour... Naïveté. Mais la balafrée l'a compris, le bonheur est, tant que dure la naïveté. Les protestations pleuvent, la surprise et les larmes aussi. Elle, elle ne réagit pas, comme si elle n'était pas concernée par Château-Gontier. Comme si elle n'avait jamais fait partie de ses murs. Le détachement est revenu. Le pragmatisme aussi. A trop se l'amputer, elle n'a plus le cœur à s'émouvoir. Les seules pensées qui l'animent sont celles qui constitueront son lendemain. Des choses qu'elles avaient prévues et qui se voient ironiquement précipitées.
A peine se retourne-t-elle quand la Sabran s'enfuit. Mais c'est lorsqu'elle avise la Josselinière prendre sa suite qu'elle daigne se relever. Les azurites suivent un instant la silhouette qui s'éloigne, imperméable aux inquiétudes qui se partagent parmi les communs et les proches de la duchesse. Et le regard s'abaisse sur Fenrir qui la contemple d'un air réjouit.
_ Aller viens, fils.
Il est des choses dont elle devra parler avec la jeune noble, en aparté. Pour l'heure elle s'éloigne comme elle est arrivée. Discrète et effacée. Comme si elle n'était déjà plus là.
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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
