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[RP] The Royal Doll Orchestra

Anaon
    *

    Le soleil se bombe en touchant l'horizon, saignant le ciel dans un bain crépusculaire. L'écho des cloches de Vêpres s'est dissipé depuis belle lurette, abandonnant les rues à des murmures moins religieux. C'est l'heure où les derniers travailleurs délaissent marteaux et charriots pour gagner leurs logis ou la beuverie des tavernes. Les rues se pavent des premiers remous nocturnes. Esquisses d'insomnie. Un autre monde s'éveille quand le soleil ferment les paupières, celui des pochards et des catins, certes, mais aussi celui des fards qui s'effritent et des mensonges qui se révèlent. Paris se met à nu.

    Les culs-de-jattes retrouvent leurs jambes, les aveugles recouvrent la vue. La médiocrité est soudain moins minable quand on voit les mendiants du jour rire de leurs impostures autour d'un feu et d'un mauvais vin. La comédie-vermine, autre face de Paris, qui se retrouve au repère que forme la cour des Miracles. Un grouillement de bohémien, d'escamoteur, de coquillards et de trompeurs en tout genre, tel un essaim qui larmoie le jour pour mieux sortir les dards la nuit et lécher la gorge du passant imprudent qui lui a fait l'aumône trois heures auparavant. Mais qu'on se le dise, Paris n'est pas uniquement galvaudée d'écornifleurs menteurs, non. Elle suinte vraiment l'avilissement. Elle pue la pauvreté comme elle peut empester le luxe. Et cette pestilence n'atteint nulle part ailleurs son apogée que sur les quais de Seine que l'on a trop tendance à oublier.

    Non, ce n'est pas aux Miracles où grouille la vermine que l'Infâme est à son paroxysme. Ce n'est pas non plus au cimetière des Innocents, où les cadavres que l'on charroie par dizaines de l'Hostel Dieu servent de graille putride aux cochons. Non. C'est près du Grand Châtelet, là où les relents des boucheries côtoient l'écœurement du marché aux poissons, pour s'allier aux vapeurs corrosives qui s'échappent des tanneries. Et c'est là que l'Anaon laisse traîner ses bottes.

    Les couteaux ne raclent plus les chairs. Les accents gluants des négociantes ne claquent plus dans l'air. Paris s'endort, alors que ses bas-fonds s'éveillent. Une main tâtonne son gilet pour en extraire une aumônière qui recèle un mélange d'herbe, acheté au matin même à un marchant Maure. Elle s'est collée sa longue pipe au bec, droite et fine, pour s'adonner à ce plaisir encore trop obscure dans les régions de France. Ça la change un peu de l'alcool.

    Une odeur la prend soudainement aux narines. Les azurites se relèvent de l'aumônière. Elle s'immobilise. A sa droite il y a la Seine. A sa gauche, la fin des quartiers des boucheries. Droit devant, les artilleries des tanneries. Le regard se pose à ses pieds. On a peine à croire qu'on a donné un coup de balais pour chasser les viscères incomestibles des bêtes dans le fleuve. La terre exhale un relent de fer et de sucre moisi. Ce n'est pas l'eau qui la rend si boueuse... L'odeur de cadavre a tant imprégné la terre qu'on croirait que le sol est en gorgé. Croûté même. L'odeur est tellement immonde qu'elle croit en avoir le goût dans la bouche. Comme de la sanie qui lui dégoulinerait le long de la gorge. Un regard sceptique se pose sur l'herbe fraichement achetée. L'aumônière se referme dans un claquement. Ça lui a coupé toute envie de fumer. La mercenaire reprend sa route sans pour autant ôter sa pipe du coin de ses lèvres.

    Devant elle, des badauds ont retourné des caisses sur les berges pour en faire des tables et des chaises improvisées. Quelques hères se joignent en claudiquant à la petite troupe déjà attablée. Ceux-là, ce sont des galeux, des vrais. Pas les comédiens de la cour des Miracles, non. Ce sont des êtres au visage boursouflé ou rongé par des maladies dont on ne veut rien savoir. Ou bien le corps déformé par des excroissances logées on ne sait comment par quelques odieux maléfices. Comme des rebuts issus de foirage monumentales de la nature, qu'elle aurait recraché par erreur sur la planète. La balafrée aurait pu choisir maints itinéraires plus agréables pour sa ballade du soir. Mais non. Ce sont les quais de Seine qu'elle a choisi.

    Curieuse, la femme s'approche doucement des badauds. Les fumets d'organes avariés ont laissé place aux remontées acres des eaux usées par les tanneurs. Ou plutôt cette odeur se superpose à l'autre. Sublime cocktail de subtilité. C'est sans compter sur les fragrances de sueur et de sexes sales qui s'imposent à son nez quand elle se rapproche encore du groupuscule de... parieur. On entend des bruits de dégringolade. Elle relève la tête par-dessus les épaules voutées, amassées autour de la table de fortune. Des joueurs de dé. L'Anaon a toujours été un véritable pigeon au jeu de carte ou de hasard. Ses piètres tentatives l'ont toujours vu se récolter tous les jours d'astreintes de toute la maréchaussée. En ce temps ancien, on se faisait toujours un régale de jouer aux cartes contre la brune. Les prunelles cobaltes se font tout de même curieuses quant au déroulement de la partie. L'attention bifurque un instant sur l'un des participants. Au vu de son accoutrement d'un chamarré passé, il doit très certainement être saltimbanque. Les yeux remontent encore un peu. Légèrement en retrait, derrière lui, quelques roulottes ont investi les lieux. On ne peut qu'accorder aux baladins le mérite d'avoir su manœuvré leurs engins entre les diverses constructions appartenant à la tannerie devant laquelle ils sont allègrement en train de squatter. Étrangement, l'Anaon est persuadé qu'il vaudrait mieux pour leurs matricules qu'ils quittent les lieux bien avant l'aube. Le tenancier de ce fourbi risque d'être un bien mauvais hôte. Mais là n'est pas ses affaires.

    Faisant bouger la pipe entre ses dents, les azurites retournent sur la course des dés.


Musique : " Surreal ", Alice: Madness Returns OST.
Titre : Référence à Kaori Yuki. "L'Orchestre Royal de Poupée "

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- Anaon dit Anaonne - [Clik]
Poupee_de_cire
L'odeur de pourriture imprégnait tout, et cela lui levait le coeur, du moins quand elle prenait le temps de se concentrer sur ce qui l'entourait. Ce qui était rarement le cas. Les roulottes s'étaient installées sur les quais parisiens après avoir été chassées des quartiers plus chics où la troupe aurait pu faire de meilleurs profits. Mais la Capitale était radine envers les miséreux et peu encline à laisser s'afficher dans ses rues les bouffons qui distrayaient le peuple. Qu'importe, le spectacle se ferait là, comme ailleurs, les clients ne seraient pas les mêmes, la recette moins forte mais le rôle lui, ne changerait pas. Elle remplirait sa tâche, une fois de plus, comme des dizaines d'autres qui se perdaient dans sa mémoire défaillante.

Hey Moineau ! Va te préparer ! Sinon le public va foutre le camps !

Quelqu'un tira un petit coup sec sur la chaine qui enserrait sa fine cheville, afin d'attirer son attention. C'était une tâche complexe et pas toujours réussie car la jolie poupée avait la tête un peu vide. Les yeux d'un extraordinaire bleu se baissèrent sur le lien de métal brut qui la retient. Cela lui rappelait une autre chaine autour de son cou si fin, mais le souvenir s'évapora comme le reste dans les brumes de son esprit. La frêle jeune fille se leva de son tabouret et abandonna sa chemise élimée. Son corps nu affichait les forme délicate et gracieux de sa féminité, bien qu'elle demeura fort menue. Sa peau blanche ne faisait que renforcer la pâleur de ses longues mèches de cheveux couleurs de l'or blanc. Elle ressemblait tant à une poupée que c'était en poupée qu'on la déguisait.

Poupée de cire passa sa tenue de scène sans trop de mal. Robe peu conventionnelle avec ses bras dénudés et ses jambes à la vie de tous, mais il ne s'agissait pas d'être décente mais de rapporter le plus d'argent possible. Il lui semblait bien avoir du ôter sa robe durant une représentation pour un riche seigneur qui avait ensuite payé grassement le chef de la troupe. Et quand elle ne rapportait pas assez, elle avait appris à craindre le ceinturon. Il y avait des choses qu'on ne pouvait oublier.

Sur son perchoir, un rapace aux plumes brunes se secoua et lança un bref cri. Les azurs se portèrent vers lui et un doux sourire un peu absent illumina le visage angélique. Petit Frère allait bien et aurait le droit de voler si elle travaillait bien. C'était tout ce qui importait. Saisie d'une brusque angoisse, l'adolescente s'agenouilla devant une malle qu'elle ouvrit, ôtant les tissus chamoisés aux couleurs passés, découvrant un tas de pierre dont certaines étaient tachées de sang séché. Les saltimbanques l'avaient trouvé là, à divaguer, délirante, près de ce tas de pierres. Et elle avait refusé de s'en éloigné alors ils avaient emportés jusqu'au dernier caillou. Depuis elle les transportait dans cette malle, les en sortant parfois pour les agencer d'une certaine manière, toujours la même, avant de les cacher à nouveau. Les autres se moquaient parfois mais quelle importance. Ils ne pouvaient comprendre que la vie de Petit Frère en dépendait. D'ailleurs, sous le tas de pierre se trouvait un autre trésor, un pendentif en forme de pentacle. Elle savait que c'était un cadeau de Maman mais pas moyen de se rappeler son visage. Là aussi, il se perdait dans les brumes de son esprit malade.

Une des femmes de la troupe vint l'aider à terminer de se préparer. Elle fixa les liens teints en blanc pour donner l'impression qu'ils étaient en argent. Des marques rouges sur la peau blanche montraient qu'ils étaient bien serrés. Les longs cheveux d'or blanc furent brossés et un maquillage apposé sur le visage de poupée. Pendant ce temps, le chef de la troupe hélait la foule pour attirer des spectateurs.


Allez Moineau, c'est à toi.

Moineau n'était pas son vrai nom. Mais comme le reste, il avait disparu.

Poupée de cire n'a plus de nom car elle n'a plus de raison...

La chaîne exerça une nouvelle traction sur la cheville et la jolie Poupée de cire se dirigea docilement vers la scène encore dissimulée par des rideaux élimés. Les fils qui retenaient ses bras en imprimant leur marque sur sa peau tendre furent fixés en haut, lui donnant des allures de marionnette géante. Derrière le rideau, la voix du saltimbanque et les murmures de la foule se perdait dans son esprit. Il ne restait que ce rôle à jouer, pour vivre encore une nuit. Alors qu'elle patientait que le rideau s'ouvre, une unique larme roula sur sa joue de porcelaine. Et dans sa tête s'égrenait déjà sa chanson.

Je suis une poupée de cire, une poupée de son...
Mon coeur est gravé dans mes chansons...*


*chanson de France Gall
Thiegauld
Le soir tombait sur les quais de la Seine.

Piètre endroit où dresser tréteaux. Etroit et peu commode. Et puant, mais cela les habitants du lieu ne s’en rendaient probablement même plus compte.

Nous avions été chassés des différents lieux où nous avions tentés de nous installer depuis notre arrivée dans la capitale, il y avait trois jours pleins. Quand même réussi à donner quelques représentations, mais s’il fallait être franc, les villes des provinces nous avaient fait bien meilleur accueil. La peste soit des bourgeois parisiens qui ne savent pas apprécier le talent.
Il fallait se dépêcher de lancer le spectacle avant que chacun ne se soit retranché chez lui. Sans spectateur, pas d’argent. Nous avions monté la scène avec la célérité des gestes cent fois répétés. Et sans attendre de savoir si tout le monde était prêt, j’avais commencé ma harangue.


MESSIRES ET GENTES DAMES, VENEZ VOIR UN SPECTACLE A NUL AUTRE PAREIL…

Pendant que je continuais à réciter mon discours bien rodé, mes yeux parcouraient la petite placette devant les tréteaux. Point de bourgeois parmi ceux qui se trouvaient là assurément. Piètre recette en perspective.
J’aperçus Scara qui se levait précipitamment quand je commençais à parler. Encore à jouer aux dés au lieu d’aider celui-là, très certainement. Il y avait des baffes qui ne perdaient rien pour attendre. J’espérais pour lui qu’il allait ramener quelques bourses, histoire de se racheter, bien qu’assurément elles seraient bien plates et peu fournies.


J’appâtais le chaland en lui vantant l’extraordinaire et terrifiant talent de Guillaume notre lanceur de couteau, je parlais de Jasmine à la souplesse extraordinaire, jongleurs, funambules, tout y passait.

Les divertissements ne devaient pas être courants dans ce quartier parce qu’en dépit de l’exiguité des lieux et l’heure relativement tardive, il y eut rapidement du monde au pied de la scène.
Il était temps de lancer le premier numéro.

La première fois que je l’avais vue, j’étais en train de conduire la roulotte de tête de notre convoi. Elle était assise, appuyée contre un arbre, si totalement immobile que je l’avais prise pour une statue de cire, ses cheveux d’une couleur tellement inhabituelle rajoutant encore à l’impression première. Quand elle avait remué, j’avais d’ailleurs eu un mouvement de recul. Nous avions vite compris qu’elle avait perdu la raison, quand elle s’était mise à prononcer des paroles sans queue ni tête et à s’accrocher à un tas de cailloux ensanglantés, comme s’ils étaient une bouée de sauvetage.

Nous ne pouvions pas la laisser là au milieu de nulle part. Elle était déjà maigre à faire peur. Si elle restait là, elle mourrait.

Non que je sois particulièrement altruiste, mais cette première impression m’avait donné une idée de numéro. La marionnette vivante. Et je dois dire que je ne m’étais pas trompé. Elle avait le don de scotcher le spectateur et depuis qu’elle faisait partie de la troupe les recettes avaient considérablement augmentées.


ET MAINTENANT MESSIRES ET GENTES DAMES QUE LE SPECTACLE COMMENCE.
TOUT DROIT ARRIVEE DE L’ORIENT MYSTERIEUX, TELLEMENT BIEN FAITE QU’ON POURRAIT PRESQUE LA CROIRE REELLE, VOICI
(roulement de tambour)… POUPEE !!!
Anaon

    Bruit de chute et de rupture. Les dés roulent et percutent les planches. Les cris s'élèvent de joie ou de défaite, avec la grâce des piaillements de mouettes et des toux glaireuses. Un frêle sourire tend à s'esquisser sur ses lèvres, celui du fragile amusent de voir la mine déconfite des perdants. Plaisir anodin, sans arrières pensées. L'Anaon aurait presque envie de se lancer. L'esprit est prompt à user du moindre détournement qui serait capable de l'arracher à ses pensées, mais... Elle se sait trop pitoyable joueuse. Elle en perdrait jusqu'à sa chemise et son reste d'humanité.

    Les dents se plaisent toujours à faire bouger sa pipe tandis que ses pupilles restent rivées sur la folle culbute des dés. Une brise charrie alors jusqu'à ses narines les effluences âcres qu'exhument les bains de chaux. L'attention se détourne. Et dire que c'est ici, dans ce panachage de senteurs fétides qui prennent à la gorge qu'est créé le cuir qu'elle affectionne tant. La noblesse primaire s'extrait toujours de la misère... Derrière eux, quelques saltimbanques ont fait leurs apparitions, se livrant à un conciliabule qui échappe à l'ouïe pourtant fine de la mercenaire. Et voilà les bonshommes qui s'activent alors à "déballer" une roulotte. Ils s'apprêtent à donner une représentation ? Devant quelques traine-misères aussi pauvres que des cailloux sur les bords répugnants de la Seine ? En pleine nuit et clandestinement ? Tout est bon pour amasser du pognon me direz-vous...

    Intriguée, la concentration de la balafrée n'en revient pourtant pas moins à la partie de dé. Des œillades s'échappent de temps à autre vers la scène qui se monte, puis reviennent sur la table de jeu. L'Anaon en a même oublié les relents putrides et a pris soin d'allumer sa pipe. Le baladin attablé sur les caisses n'est pas mauvais parieur. Il fait de grands gestes pour captiver sa petite foule, remporte souvent, mais perd avec force de simagrée la mise tout juste amassée. Un joli jeu d'acteur pour mettre en confiance le futur public qu'il ne serait en effet pas bon de plumer et de faire fuir. L'homme prête même quelques deniers à l'Anaon, seule femme du groupuscule, pour l'inclure dans la partie. L'aînée ne cherche pas même à ergoter. La main se prête au jeu. Voyons voir si elle est toujours aussi malchanceuse... Les encouragements des gouailleurs la feraient presque sourire. Tous des gueules cassées qui gagneraient leur place aux musées des horreurs, mais pas de mauvais bougres en sommes. Elle en a connu des bien mieux lotis qu'elle a dû bénir d'un coup de manchette ou même de fer pour leur rappeler un semblant de bonne manière. La brune contemple ses dés. Une pauvre paire contre une double adverse. Si elle relance ces deux-là elle peut espérer sortir un brelan et même tenter le full. Les doigts s'en saisissent. La main s'agite...

      MESSIRES ET GENTES DAMES....

    Le visage se tourne d'un bloc. La mercenaire avise soudainement les badauds qui se sont attroupés devant la courte esplanade. Des rats silencieusement sortis d'on ne sait quels trous. Les joueurs se désintéressent des dés pour s'approcher à leur tour de l'homme qui les hèle. On ramasse l'argent sur la table de fortune, on s'éloigne. Anaon lâche ses dés pour la forme. Ah... Ça aurait été une double paires. Pas de quoi l'emporter cependant. Le saltimbanque récupère ses dés avant de lui sourire d'une manière bien trop aimable. La femme se fige avant de vérifier avec empressement qu'on ne l'a pas délester de son argent. Tout semble y être. Du moins... oui, non, tout y est.

    Les bottes daignent s'avancer à leur tour et se figent un peu à l'écart de la foule, dans ce soin continuel de ne pas se mêler de trop à l'humain. Vaguement intéressée la mercenaire... Marquée par une profonde superstition, les tours de passe-passe ou les talents soit-disant hors du commun ne l'ont étrangement jamais attirés. Ce soir sera pourtant l'occasion de s'y intéresser un peu.

    La première scène est annoncée. Les doigts s'affairent machinalement à rallumer sa pipe.
    Allons donc jolie poupée... Voyons si tu es aussi vivante qu'on nous le dit.


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Poupee_de_cire
Le chef commença à ameuter les spectateurs et Moineau entra dans son rôle. Si elle ne faisait pas bien les choses, elle serait encore sanctionnée. Cela lui arrivait régulièrement avec sa mémoire défaillante, d'où la chaîne à sa cheville, pour éviter qu'elle ne vagabonda sans but. Soudain le mot "poupée" retentit derrière le rideau. C'était son signal à elle pour savoir qu'il fallait commencer.

Baissant la tête, elle laissa ses longs cheveux d'or blanc masquer son visage et prit une posture statique, assise sur une simple caisse en bois couverte d'un coussin miteux. Immobile, avec sa peau si blanche, elle semblait comme morte ou mieux, telle la poupée que l'on avait annoncé. Lorsque le rideau se souleva, pas un muscle, pas un souffle ne vint troubler son corps si bien qu'on l'aurait cru Poupée pour de vrai, un instant du moins. Il lui fallait masquer son visage le plus possible pour maintenir l'illusion le plus longtemps possible.

De la musique commença à s'élever de derrière la scène, tirée de quelques instruments mal accordé mais au final, le public n'y ferait guère attention car les hommes avaient tous leur regard braqué sur ses longues jambes fines que sa robe dénudait. Une astuce pour convaincre les clients masculins de dépenser plus. L'introduction musicale terminée, un premier mouvement est imprimé sur les liens argentés qui donnent toute l'apparence d'une marionnette. Il était d'ailleurs un peu brusque, signe que le marionnettiste était un de ceux qu'elle n'aimait pas. Mais le Moineau avait appris à faire profil bas, les liens pouvant la meurtrir douloureusement, aussi se fut donc Poupée qui suivit l'impulsion et commença un ballet étrange où ses gestes volontairement saccadés, lui donnaient l'apparence d'un automate avec son visage masqué par son rideau de mèches d'or. La voix d'une des saltimbanques s'éleva dans une complainte, contant le discours qu'aurait du tenir la Poupée si elle avait su parler.

L'histoire à raconter était banale en soi, un conte d'amour où une poupée s'éprend de son marionnettiste et pleure de se voir délaissée dès le rideau tombé pour la chair de femmes réelles. Mais elle prenait une autre dimension avec cette poupée là, grandeur nature, et non pas de bois mais plutôt d'apparence de la porcelaine fine. Le marionnettiste pour ce soir, était plus brutal que nécessaire. Avant la fin du spectacle, elle aurait des marques à vifs sur ses bras. Il lui faisait payé que leur chef ait refusé qu'il disposa d'elle et de son corps selon son bon plaisir. Il l'effrayait. Mais lui là-haut, cela signifiait que le rôle du marionnettiste serait tenu par son frère qui lui était gentil avec elle. Et comme elle allait devoir l'embrasser...

Penser au baiser permit à son esprit volage de se disperser, lui rappelant vaguement d'autres lèvres, emplie d'affection qui la cajolaient quand elle avait mal ou peur... Mais peut-être n'était-ce que le fruit de ses rêves et non un souvenir éparpillé. Peu importait car s'était l'illusion qui lui permettait de vivre en se disant qu'elle n'avait pas toujours été une jolie coquille vide. Une brusque traction sur son bras la rappela au spectacle. Elle avait oublié où elle se trouvait. Tournant le dos au public qu'elle ne pouvait voir derrière ses longs cheveux, elle leur offrit son dos au regard, dont la peau blanche était marquée par des cicatrices, ultime témoignage de la colère d'un maitre dont elle ne se rappelait pas.

Finalement elle se figea, alors que le premier tableau prenait fin, laissant apercevoir la courbe de sa gorge, le dessin d'une joue rose, et les longs sils de ses paupières closes, le reste de son visage disparaissant dans l'ombre. Une éphémère apparition de sa beauté pour intriguer les spectateurs et les pousser à offrir de l'argent pour que l'histoire continue, tout en conservant son mystère pour récompenser ceux qui resteraient. Mais la traction sur les liens se faisaient toujours aussi forte et cruelle alors qu'elle n'avait plus le droit de bouger. C'était la force de l'habitude qui la faisait tenir immobile...

Paie donc ton écot spectateur, pour que la Poupée prenne vie. Que le spectacle continue pour qu'ensuite Moineau soit libre.
Hugon
Le moins qu’on pouvait dire c’est qu’il était frustré Hugon ce soir, obligé qu’il était de rester derrière le rideau à manipuler ces foutus liens de faux argent, alors que son abruti de frère allait avoir le beau rôle.

Le vieux le laissait plus approcher la Moineau depuis qu’il l’avait surpris, couché sur elle, il y avait quelques nuits de ça. Il l’avait chopé par la peau du dos et jeté de la roulotte comme un malpropre, alors qu’il n’avait même rien eu le temps de faire, en lui hurlant dessus qu’il n’avait plus intérêt à la toucher.

Qu’est-ce que ça pouvait lui foutre à ce vieux con ? A tous les coups, il voulait se garder toutes les femmes de la troupe pour lui. Sûr qu’à son âge, il devait craindre la concurrence. C’est bien connu qu’en vieillissant on assurait plus question huile de rein.

Et puis Moineau là, quand il l’embrassait pendant le spectacle, il avait bien senti qu’elle en redemandait. Faisait des semaines qu’elle le provoquait. Et quand il était couché sur elle et qu’il l’a pelotait, elle s’était pas débattue. Si ça c’était pas la preuve qu’elle en voulait.

Un jour, il aurait sa peau au vieux. Et ils verraient tous qui c’était le chef ici.

Si encore il pouvait compter sur sa famille. Son crétin de frère… Qui se figurait qu’il était amoureux. Enfin c’est l’impression que ça donnait. Mais allez savoir avec lui. En tout cas, il était dégoulinant de gentillesse. A vomir. Alors qu’au fond, ce qu’il voulait, c’était exactement la même chose que lui.

Et puis quoi ! Elle existait pas au-dessus de la ceinture. Suffisait de la regarder dans les yeux. Ils étaient tellement vides qu’on pouvait presque voir à travers son crâne.

En attendant il était coincé là. A devoir la regarder de loin. A remâcher sa rancœur. Il était tellement énervé qu’il tirait comme une brute sur les liens de la « marionnette » histoire de se défouler un peu.
Anaon

    Un brasier dans les lèvres. Une fumée âcre est recrachée dans l'air. Particules d'âme qui s'évadent à chaque enfoncement dans le vice et la décadence. Les azurites sont grandes ouvertes, en attente, comme deux puits béants sur une mer insondable. Le rideau accroche et suspend. L'aînée s'amuse. Regardez-les, ces grêlés et ces malpropres... Devenus tout à la fois aussi dociles et impatients que des enfants. Le voile se retire.

    Un flash blanc. Une cascade de filins pâles ruissellent devant leurs yeux comme des filaments de lune mordoré. Les exclamations graveleuses s'élèvent des bouches qui voudraient goûter ce que les yeux savourent. La poupée ne bouge pas. Cela suffit pourtant à attiser les hommes qui s'impatientent déjà de la courbe des gestes et de la danse aérienne du tissu. Une corde claque dans les tréfonds de son crâne. Le cœur s'est cassé la gueule dans sa poitrine et à louper son battement. Des souffles se retiennent. Des autres la pressent. Est-elle vraiment vivante cette poupée ? On ose y croire, on veut savoir. Quant à la mercenaire...

    La pensée vient de clamser en dedans.

    La pipe culbute, libérée de l'étau des émaux. Le bois heurte la paume immobile en libérant son herbe calcinée qui brûle la chair tendre et ré-enclenche le courant dans les méninges court-circuitées. Sursaut violent. La mercenaire bat sauvagement de l'air pour se débarrasser des particules ignées. Les doigts enserrent la pipe fuyarde, mais la tête se redresse d'un coup pour se sceller à son mirage. La poupée est bien là. Avec ses cheveux blonds et ses membres graciles.

    Délire.

    La brune se retourne pour tourner le dos à la scène. Elle a froid. Ses doigts tremblent. L'air putride s'emplit soudainement d'un fumet entêtant de lavande. Ce n'est plus l'odeur des cadavres des bêtes qui lui noue la gorge. C'est autre chose. La putréfaction de ce qu'elle a aimé et de ce qui ne sera plus. Ses yeux lui mentent. Ça ne peut pas être Elle. Un regard paniqué se pose sur sa pipe. C'est l'herbe qui lui ment... C'est elle qui la rend folle ! La fumée a laissé un goût de cendre dans sa bouche. Ça ne peut pas être Elle, non, Elle, qu'elle a déterré de sa tombe il y a un an.

    L'histoire se conte dans son dos. Des exclamations émerveillées se frayent un passage jusqu'à son esprit assourdi. La balafrée se retourne. Et voilà qu'elle danse. Sans hématome, sans meurtrissure. Saccadée, mais envoutante. Épargnée des morsures de la mort. La peau pure de vie. Ou presque... Le dos se dévoile avec ses zébrures. Elle est revenue...

    Impossible...

    Ou alors... Alors. Un souvenir s'extrait péniblement des sépulcres de sa mémoire. Un visage... Un nom qu'elle avait enterré, il y a un an aussi...

    Elle s'ébranle d'un frisson. La poupée retourne à la mort. Immobile. Ne leur permettant que le temps d'un instant, d'apercevoir un fragment de sa beauté.

    Et elle retourne à l'ombre...

    Non... Non, non, NON ! Les jambes commandent sans réfléchir. Elle fond cette foule de monstre, envoyant valser ceux qui ne s'écartent pas, délaissant dans son sillage un chapelet de reproche qui ne l'atteignent pas. Elle heurte la scène plus qu'elle ne s'y appuie arrachant de son gilet une bourse qu'elle abat sur le bois. Les azurites cherchent le maitre d'orchestre. Non. Non... Pas les ombres pas maintenant. Pas encore.

    Je donnerais jusqu'à mon dernier sou, jusqu'à mes cuisses et ma chemise....
    Pour qu'elle revienne à la lumière...
    Et pour qu'elle vive encore un peu.


      Encore un peu...

        Juste encore un peu...


Musique : " Insane Kids ", Alice: Madness Returns OST.
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- Anaon dit Anaonne - [Clik]
Thiegauld
Le premier tableau s’achevait.

Caché derrière le rideau, j’observais la foule agglutinée au bord de la scène, éclairée par le soleil couchant. Pas un homme qui n’ait quitté des yeux la jolie poupée. Rien que d’ordinaire. Surprenant comme elle fascine, cette étrange fille. Ou pas surprenant, d’ailleurs.

J’ai remarqué qu’Hugon se montre particulièrement brutal ce soir. Il va falloir que j’y mette le holà. Il ne manquerait plus qu’il la blesse. Il commence sérieusement à me gonfler. S’il n’y avait pas son frère, je le virerais bien de la troupe. Enfin, j’allais surement y être contraint tôt ou tard. Il devenait franchement incontrôlable. Alors peut être valait-il mieux que ce soit tôt.

Bon retournons sur la scène.

Les jongleurs assurent l’interlude, pendant que je me prépare à entonner ma chanson pour inciter la foule à verser sa plus que probablement modeste contribution au spectacle, si elle veut connaitre la suite de la romance de la poupée et du marionnettiste, quand tout à coup je l’aperçois. Etrange femme encore que celle-là, décidément. Elle fend la foule pour se jeter au pied de la scène, comme si sa vie en dépendait. Respiration trop rapide, regard troublé, il émanait d’elle comme une angoisse sourde et pourtant elle n’avait pas l’air d’être femme à s’angoisser. Pas pour rien en tout cas.

Ses yeux azur croisent les miens en même temps qu’elle jette plus qu’elle ne dépose, une bourse bien remplie sur la scène. La recette sera peut-être meilleure que prévue finalement.

Pas besoin de discours, je sais ce qu’elle veut, c’est écrit sur son visage. Ce n’est pas la première fois que je vois ça quand il s’agit de la poupée. Bien que là, j’ai l’impression qu’il y a bien plus que le simple désir ordinaire qui avait agité les autres, même si je serais bien incapable de dire quoi.
Je m’empare de la bourse. Un simple signe suffit à faire disparaître les jongleurs derrière le rideau.


ET QUE LE SPECTACLE CONTINUE…
Poupee_de_cire
Un choc sur la scène manqua la faire réagir, mais la traction sur les liens argentés la rappelait à l'ordre. Hugon serait par trop heureux qu'elle bouge sans en avoir l'autorisation. Les exclamations dans le public la laissait indifférente, son esprit n'était pas assez connecté au monde pour que cela lui importe. Tant que cela ne la touchait pas directement, elle n'arrivait pas à en tenir compte. Le bruit des pièces sur le bois, lancées par les spectateurs, auguraient d'une maigre recette. Quelques jongleurs vinrent amuser la foule afin de laisser le chef décider si le spectacle continuait ou pas. Mais finalement, la musique reprit. Quelqu'un avait du offrir bien plus, car pour ce qu'elle avait entendu, généralement, le chef faisait s'arrêter là le spectacle et passait à autre chose.

Immobile toujours, la Poupée était l'incarnation de la fragilité telle la porcelaine. C'était au gentil frère de faire son entrée sur scène. C'était lui qui prononçait son texte, n'ayant pas les problèmes de mémoire de l'adolescente. Ezan se lamenta sur ses amours sans lendemain et en particulier sur une femme mariée qui le délaissait un peu. Il se tournait donc vers sa marionnette pour occuper son temps et détourner sa déception. Les fils argentés s'actionnèrent de nouveau, permettant à la Poupée de se mouvoir selon la volonté de son maître. Les gestes étaient toujours volontairement saccadés malgré la grâce de la danse.

L'histoire se déroula encore et la jeune fille se figea encore, pendant qu'une des gitanes incarnait la femme mariée. Jamais son visage ne fut dévoilé, car tel était la magie de ce spectacle, garder jusqu'à la fin le mystère sur sa personne. Le marionnettiste fut pris sur le fait par le mari, et abandonné mourant après un coup de poignard. Alors la poupée reprit vie, pleurant l'agonie de son amour. Le marionnettiste se rendait alors compte de ce qu'il avait raté, en ne voyant pas la vie qui animait cette poupée qu'il croyait vide. Hugon tirait de plus en plus fort sur les liens, imprimant des marques rouges et douloureuses sur les bras délicats à la peau si blanche. Rendant son dernier soupire de manière théâtrale, sa tête reposant sur les genoux blanc de la Poupée, Ezan dut murmurer entre ses dents pour la rappeler à l'ordre car elle s'était égarée dans son monde une fois encore...


Moineau, tu dois m'embrasser...

Mécaniquement, elle se pencha sur lui pour effleurer ses lèvres, offrant aux spectateurs une vue royale sur sa poitrine menue que l'on pouvait apercevoir dans l'échancré de sa robe légère. Au moins, il n'insista pas pour le baiser, contrairement à ce que son frère faisait. La musique se termina sur une note tragique alors que Poupée dévoilait son visage angélique, redressant la tête vers la lune comme pour lui adresser une prière, les deux gouttes bleues dessinées sur ses joues symbolisant des larmes. Elle ouvrit enfin les yeux, offrant à tous la vision de ses prunelles d'un bleu saisissant, tellement remarquable vis à vis de la blancheur de sa peau, la pâleur de ses cheveux d'or et le rosé de ses lèvres fines. Elle était parfaite. La musique était finit et la Poupée avait prit vie.

Des sifflements et des cris retentirent dans le public, mais cela ne la touchait toujours pas. Son regard s'accrocha sur le visage d'une femme, si près de la scène qu'on aurait pu croire qu'elle voulait participer au spectacle. Une balafre parcourait son visage. Cela lui semblait terriblement familier mais le souvenir s'envola dans son esprit comme une brume au soleil. Elle lui adressa un sourire doux mais absent alors que le rideau se refermait sur eux.

Ezan se redressa rapidement et s'empressa de la libérer des liens, passant une main douce et navrée sur les sillons rouges que son ainé avait imprimé sur la peau du pauvre Moineau. Puis il alla ramasser la recette du jour qui était des plus surprenantes, compte tenu du quartier où ils s'étaient produit. La bourse était bien garnie. Chacun mangerait à sa faim pour plusieurs jours. Finalement Paris la catin s'était montrée généreuse avec les rebuts de la société.


Allez, va te changer Moineau, sinon tu vas prendre froid. Je t'apporterai à manger après avoir tout rangé.

Prenant soin de rattacher la chaîne à la cheville de l'adolescente pour éviter qu'elle n'aille déambuler seule dans la nuit, il l'aida à descendre à l'arrière de la scène puis la laissa dans la roulotte, seule. Le rapace qui patientait sagement lâcha un unique cri pour saluer sa petite maîtresse avant de se rendormir. Moineau, elle, abandonna sa tenue de poupée, oubliant de passer une robe quand son regard se posa sur son coffre à trésors. Une angoisse la saisit... Si quelqu’un était venu et avait touché aux pierres comme avant ? Elle s'agenouilla nue sur le tapis miteux et ouvrit le coffre, sortant avec tendresse une à une les pierres ensanglantées, les disposant de manière méthodique au sol, toujours de la même façon, en fredonnant de sa voix douce une mélodie sans parole qu'elle tirait de sa vie effacée d'avant.
Anaon


    Elle st dévorée par la scène. Engloutie, enclavée. Disloquée. Le monde est mort. Son cœur ne bat plus. Son sang ne pulse plus. Elle n'est plus qu'un regard qui se dissout dans le moindre geste qui se déploie devant elle. Un fragment de poussière qui se laisse mourir sur les pourtour d'une pierre tombale.

    Elle danse.

    Et c'est tout son âme qui se met en émoi. Elle la boit, comme un poète ivre s'enivre de sa muse. Avec la soif du désespoir. Comme le regard qui se pose sur la dernière merveille du monde, la dernière contemplation, avant la grande désolation. L'ultime prière, d'arracher à ce monde ce fragment de paradis, avant de crever le cœur tranquille avec la certitude d'avoir pu posséder durant un seul instant ce qu'il y avait de plus beau. La consécration.

    Et elle le sait, si elle ferme les paupières, elle meurt.
    L'illusion s'envolera.
    Elle ne sera plus là.
    Et elle, elle restera morte, dans sa carne inerte, son cloitre de chair à chercher dans les dédales de sa mémoire ce fantôme qui danse et qu'elle n'a pas pu posséder.
    Captive de sa propre tête.



    Folie
        Folie

      Folie

    Folie

      Folie



    La poupée s'affaisse. Elle va mourir et elle aussi. Elle se penche, elle embrasse. Se redresse, se révèle. Et c'est une double claque que la mercenaire se prend en pleine tête. La poupée n'a pas les yeux gris... Elle n'a pas ces diamants d'un éclat incommensurable qui sont comme deux crochets rivés dans le cœur de la mercenaire. Mais elle a.... les yeux bleus.

    Un raz marée déferle dans son corps, arrachant à cette peau gelée des frissons de douleur. La conscience crève l'indolence. La chaleur afflue enfin dans ses membres gourds. Ce n'est pas sa fille, non, mais c'est....

    Un sourire et le rideau se ferme. La balafrée se redresse d'un coup. Latence. Le gamin s'approche pour récupérer les piécettes, mais la poupée reste murée derrière ses tentures. L'immobilité éclate. La mercenaire perce une fois de plus la foule pour contourner la scène.

    Les pas s'immobilisent immédiatement. Derrière l'estrade de fortune, les quelques roulottes. Les amuseurs vont prendre la relève pour continuer le spectacle. La balafrée s'avance d'un pas, recule de deux, ne sait pas où donner de la tête. Quelle roulotte, quelle porte ? Ces gestes sont saccadés, victimes du combat interne ou la raison se heurte à la pulsion.

    Merde !

    Les poings de la femme se serrent et elle prend le temps de ravaler son empressement en reprenant un semblant de rênes sur ces abrutis de cœur et tête qui ne savent jamais se mettre d'accord. D'une main ferme qui veut enrayer ses tremblements, elle se carre sa pipe au bec pour en tirer une bouffée acrimonieuse. Puis l'herbe est jetée et l'objet retrouve sa place dans un bout de lanière sur le flanc de son gilet.

    La première roulotte. Ça ne peut être qu'elle, elle n'aurait pas eu le temps d'aller plus loin sans qu'elle ne la voit.

    Funambule sur le maigre fil de la raison, les nerf saignés à vif, la femme s'approche en silence de la porte du véhicule. Les doigts jouent sur le mécanisme.

    Pourvu que ce ne soit pas fermé.


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Hugon
Hugon ruminait toujours sa rage et sa frustration quand le spectacle s’était terminé. Son frère en avait encore profité. Il l’avait bien vu. Ce sale petit sournois.

Brutaliser Moineau de loin ne suffisait pas comme exutoire. Même si à un moment, il lui avait fait lever la main tellement vite que le petit con avait failli se la prendre dans la tronche. Il avait quand même réussi à esquiver, le saloupiaud, mais la tronche qu’il avait fait…

Par contre, le regard que le vieux lui avait lancé depuis l’autre côté de la scène. Beaucoup moins réjouissant. Ca ne lui disait rien qui vaille. C’est sûr qu’il allait encore se faire engueuler. Marre !!!!! Marre !!!!! Marre !!!!!!!!

Il avait ramassé et rangé le matériel le plus vite possible et s’était empressé de se sauver vers l’arrière de la scène et les roulottes. Avec un peu de chance, il aurait le temps de s’esquiver hors du campement avant que le vieux ne le rattrape. Mais vu le quartier, pas sûr que la recette soit assez rondelette pour l’occuper suffisamment longtemps. Enfin, il avait quand même fait tourner le spectacle en entier donc ça avait dû être meilleur que prévu.

Il eut un léger haussement d’épaule. Pour ce que ça changeait. Le vieux gardait de toute façon tout sous clef. Sous prétexte que, sinon ils dépenseraient tout tellement vite, que certains jours ils n’auraient pas de quoi manger. Tu parles ! Comme pour les femmes ça, il gardait tout pour lui. Il leur distribuait juste « généreusement » de quoi s’amuser un peu.
Au moment où il descendait de la scène, il vit un individu qui s’approchait de la roulotte de la poupée. Pas quelqu’un de la troupe, il les connaissait tous.


Un voleur assurément. Dans un quartier pareil, il ne fallait pas s’étonner. Il l’observa quelques instants. Une femme vu sa façon de bouger. Il jubila intérieurement. Une satanée foutue bonne femme. Un dérivatif bienvenu. Il allait pouvoir se défouler. Sans compter que le chef ne pourrait plus rien lui dire, s’il arrêtait un pilleur potentiel. La journée serait peut être pas si pourrie que ça finalement.

Il sortit son couteau et s’approcha le plus silencieusement possible de l’intruse. Celle-ci jeta quelque chose par terre, puis elle commença à ouvrir la porte de la roulotte.


Dites donc vous ! Vous croyez aller où comme ça ?
Anaon


    Un cliquetis comme un début de victoire. Le craquement d'un gond. Un espace qui se dégage et l'air de la nuit qui s'engouffre dans le mince interstice de la porte qui s'entrouvre. Et soudain une voix qui la gèle et la fige dans son geste.

    Dites donc vous ! Vous croyez aller où comme çà ?

    Au moins elle le sait maintenant... Ce n'est pas fermé. La main reste baissée sur la poignée immobile et la silhouette de la mercenaire ne bouge pas d'un cil. Elle ne l'a pas entendu arrivé celui-là. Elle ne sait pas même d'où il sort. Et en auto-dérision intérieure, elle se fait la réflexion que les longs mois passés à l'abri de château n'ont fait qu'empatter sa méfiance et son professionnalisme. Elle pensait avoir gardé l'ouïe fine, elle qui rôdait au premier murmure les pas feutrée des gamines en pleines tentatives de fuite. Et oui ma grasse, maintenant faut retrouver son tranchant... Paris n'est pas constellée de petites demoiselles dont la seule agressivité consiste en des cris et des caprices. La pensée se met en branle à une allure folle, faisant fonctionner les engrenages bien huilés d'un esprit chirurgical. Des méninges qui analysent, décortiquent, fouillent, dépècent, exhument de cette simple voix tout ce qu'elle doit savoir. Quelques secondes pour sortir un verdict. Il est jeune, mais plus enfant. Il est homme et trop confiant. Ce ne serai quand même pas sa veine qu'elle soit tombée sur le seul lanceur de couteau de la compagnie. Un rire intérieur. Tu crois encore à ta chance, ma fille ?

    Brèves secondes écoulées sans un geste de sa part. Secondes suivantes encore, où elle se questionne sur la conduite à tenir. Pour l'heure, la main droite se déplie avec une infime lenteur et se lève d'un même élan. Geste pour rassurer, assurer qu'elle ne tient rien. De la senestre, elle referme patiemment la porte à peine ouverte et la main s'apprête à faire comme sa jumelle. Sang-froid. Un pied descend de la marche où il s'était posé. Calmement, la tête entame son volte-face entrainant le buste dans sa torsion.

    Diplomatie ou pas, telle est la question...
    Pile je parle, face je frappe.

    Elle tourne un peu plus. Les rétines attrapent un éclat métallique à la lisière de sa vision.

    Face.

    Un craquement dans sa conscience. Jaillissement de l'adrénaline. La botte gauche part comme comme un carreaux, revers soudain et violent qui vient percuter la main armée du jeunot. A peine le pied retrouve le sol qu'une déchirure se fait sentir, secouant son échine d'un frisson glacé. Trait éclatant de la douleur. Putain de hanche en papier mâché. Putain de corps rouillé. Action. Agir. Attendre, c'est crever. La mercenaire embraye, attrapant l'indésirable par le colback, le plaquant brutalement contre le mur de la roulotte. Un choc sourd. Un claquement. Les azurites se braquent vivement sur la porte qui vient de s'entrouvrir.

    Elle ne réfléchit pas. Le pied s'enfonce sur le marche-pied et à l'aide d'une force dont elle ne se serait pas crue capable, elle jette plus qu'elle ne hisse le baladin dans le véhicule. Elle suit à son tour, refermant la porte dans son dos avec empressement. Crainte qu'on ne les ait aperçu. Crainte qu'on ne les ait entendu. Le cœur qui cavale. La tension aux tripes. Les azurites cherchent vivement son assaillant sans même regarder dans quelle roulotte elle a foutu les pieds. Sans savoir dans quelle gueule de loup elle s'est bêtement enfournée.


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Poupee_de_cire
La voix d'Hugon claqua dans le silence et perturba le monde de rêverie de l'adolescente. La pile de pierre durant un instant quitta ses pensées et la peur noua son ventre. Elle craignait l'homme. Et nue, elle était d'autant plus vulnérable. Mais les yeux d'azur se portèrent sur les pierres tant chérie et le choix fut rapide. Il fallait avant tout protéger le Petit Frère. Tant pis pour elle-même... Elle essaya d'interposer sa frêle silhouette entre la pile de pierre et la porte quand la roulotte vibra d'un coup sourd. La porte s'ouvrit d'un coup et le corps d'Hugon fut jeté sans cérémonie à l'intérieur. Les yeux écarquillés, Moineau contempla son tortionnaire affalé au sol, se tortillant de douleur. Elle ne remarqua même pas la femme qui suivit et referma la porte derrière elle.

Le rapace poussa un cri contrarié devant tant d'agitation, rappelant à sa tâche première la jeune fille. Elle se courba sur la pile de pierres, ses longs cheveux d'or blanc cachant son trésor, offrant son dos lézardé de cicatrices à la merci de l'assaillante. Dix marques pour dix commandements dont elle avait presque tout oublié hormis un. "Tais-toi !" La voix claquait encore parfois dans ses cauchemars, bien qu'elle ne sut remettre un visage sur cette voix. Aussi pas un mot ne franchit ses lèvres une fois de plus.

Les prunelles de ce bleu si particulier se posèrent sur la femme et elle crut la reconnaître, mais le souvenir se perdit dans son esprit malade. Elle ne comprit même pas que c'était la femme qui était devant la scène, sa mémoire défaillante lui faisant perdre les choses au fur et à mesure. Son faucon lâcha un autre cri avant de s'envoler pour venir se poser sur le bras que Moineau tendit par réflexe. Les serres mordirent la peau nue, imprimant des sillons sanglants en plus de ceux que les liens maniés par Hugon avaient fais. Mais là encore, pas un cri. C'était Petit Frère après tout, il ne l'avait pas fais exprès.

Dans son mouvement pour réceptionner l'oiseau, elle déstabilisa la pile de pierres et l'une d'entre elle roula loin d'elle et de la sécurité de ses bras, pour s'arrêter aux pieds de la femme. Une angoisse terrible monta dans la poitrine de l'adolescente. Et si l'étrangère lui volait une des pierres ? Que se passerait-il ? Petit Frère serait perdu ! Déchirée entre le fait de devoir protéger les autres pierres et son oiseau, et de récupérer la pierre manquante, Moineau laissa échapper un gémissement angoissé avant de se mordre les lèvres pour se forcer au silence.
Thiegauld
J’avais suivi du coin de l’œil suivi Hugon qui pour une fois mettait un zèle particulier à ranger le matériel, pendant que je finissais de ramasser, avec l’aide de Scara, la recette de la soirée éparpillée sur la scène.

Il avait filé bien vite après ça, le « marionnetiste ».

Nul doute qu’il savait que je n’avais pas apprécié la façon dont il avait traité Moineau ce soir. Il savait pourtant qu’elle était le meilleur atout du spectacle. Celle qui nous permettait à tous de vivre relativement confortablement. Encore ce soir. Je soupesais avec satisfaction la bourse qu’avait lancée cette femme. Quelques jours de pitance assurée pour tous alors que je n’aurais pas parié un denier sur l’intérêt de jouer, ici il y a quelques heures encore.

Je me dirigeais vers ma roulotte pour enfermer l’argent collecté en sécurité dans mon coffre quand j’entendis la voix bien reconnaissable de la brute résonner dans l’air du soir.

Dites donc vous ! Vous croyez aller où comme çà ?

Je me retournais pour regarder à qui il pouvait bien s’adresser.

Je le vis planter devant la roulotte de Moineau et, juste devant la porte de celle-ci la femme à la bourse qui lui tournait le dos.

Ah cela promet… Ma pensée n’a pas le temps de s’achever que, déjà, le couteau qu’Hugon tenait à la main vole dans les airs d’un coup bien ajusté… d’être intéressant.

Je l’avais bien observée cette femme après qu’elle ait payé pour revoir Moineau. J’en avais vu d’autres des comme elle, sur les champs de bataille. Mercenaire. Ce je ne sais quoi. Mettre des mots sur les impressions n’est pas toujours faisable. Mon intuition me disait qu’elle était dangereuse. L’ancien soldat que je suis se serait bien gardé de l’attaquer de front.


Avant qu’Hugon ait le temps de se remettre de la fulgurance de la première attaque, la femme saisit, le claque contre la paroi de la caravane histoire de le sonner un peu, puis du même mouvement fluide, le jette dans la roulotte et le suit à l’intérieur.

Scara veut se porter au secours de son camarade, mais je le retiens d’un geste.

Je ne peux m’empêcher de ressentir un bref, mais intense moment de jubilation. Et ça ça n’a pas de prix. Je sais j'ai un mauvais fond.


Quant au reste, après tout, elle a payé. Elle a au moins mérité un minimum de considération. Mais il est aussi vrai que je ne peux pas permettre qu’on malmène les membres de ma troupe, même contre de l’argent. Même Hugon.

Je me dirige, sans hâte excessive cela va sans dire, vers la roulotte de Moineau, suivi de près par le lanceur de couteau.

Pour l’instant, l’esclandre a l’air d’être passé inaperçu du reste de la troupe, Scara excepté, et je ne veux pas attirer l’attention des autres pour l’instant. Sans compter que, sait-on jamais, une petite explication supplémentaire d’Hugon avec la mercenaire ferait peut être du bien à l’ego de celui-ci.
Hugon
- A quatre mains -

La saloooope… Elle lui a pêté le nez. La douleur irradie dans tout son visage.
Il a du mal à respirer.
Et il pisse le sang.
Sans compter l’humiliation. Elle l’a pris par surprise. Alors qu’il ne l’avait même pas attaquée. Même pas insultée. Poli même, il avait été.
Putain de voleuse.
Il est tellement furieux qu’il ne voit même pas Moineau entièrement nue devant lui. Il ne voit qu’elle… la raclure.
Il se relève d’un bond, remarquant à peine la souffrance et lui fonce dessus comme un taureau furieux chargerait un morceau de drap qu’on agite devant lui.


Et putain, elle ne l'a pas vu venir. Le regard azuré s'est baissé sur la pierre que a touché sa botte, quelques secondes d'étonnement qui l'ont fait relever le regard... Et le choc sourd de la douleur. Une plainte étouffée s'arrache de ses poumons. La main droite se plaque contre le chambranle, la gauche sur un autre pan pour bloquer l'élan qui pourrait les éjecter dehors. Et brusquement la dextre agrippe les cheveux, tire la tête et envoie son front percuter le nez amoché.


Bouche ouverte, luttant contre une impression d’asphyxie, il manque tomber à genoux sous l’explosion de douleur qui lui traverse tout le corps, au moment où son nez déjà mal en point rencontre le crâne de la femme.

Sans même s’en rendre vraiment compte, il lève les mains et tente de la saisir à la gorge. Il n'est pas assez stable sur ses jambes pour autre chose. Il essaie de respirer profondément pour lutter contre l’impression de vertige qu’il ressent, mais il n’est capable que de quelques inspirations saccadées.
La TUER! Il allait la tuer! Il devait la tuer! C’est la seule pensée cohérente qui traverse son esprit.


Mais la femme qui lui fait face n'a pas l'esprit en branle, à peine une douleur sourde sur le front qui a joué l'enclume. Les poumons quand à eux se déploient dans une pleine inspiration. Les mains s'approchent. Déclic. Encore un qui veut se pendre à son col de cygne. Les doigts agrippent la chair blanche. Instant d'affolement. Mais ses mains à elle s'arriment aux assaillant, broyant sans vergogne d'une main les tendons du pouce et s'enfonçant sur l'autre dans le fragile creux du poignet. Elle serre sa prise comme si elle voulait en percer la chair. D'un geste sec, la jambe féminin vient balayer le pied voisin pour le faire chuter.


Et il s’écroule au sol comme un vieux sac de farine, expirant tout l’air de ses poumons sous le choc.
L’arrière de sa tête heurte violemment quelque chose, il ne saurait dire quoi. S’il avait été à l’extérieur il aurait pensé à une pierre peut être. Une lumière explose derrière ses yeux. Un éclat de douleur qui prend le contrepied de celle de son nez.
Il distingue vaguement son adversaire, qui le regarde de tout son haut. Il essaie de rassembler ses esprits, mais il lui est impossible de faire autre chose que de garder les yeux ouverts. Il faut qu’il se relève, il faut qu’il… Mais il est incapable de faire passer le message de sa tête vers ses jambes. Si elle décide de l’achever maintenant, il sera bien incapable de l’en empêcher. Il s’entend pousser un gémissement sans pouvoir s’en empêcher.
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