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[RP] The Royal Doll Orchestra

Anaon

    Gorgée avide d'oxygène. Les doigts ont lâché l'étau après l'avoir entrainé dans sa chute. Les pieds se sont rattrapés de justesse pour ne pas finir étalée sur le baladin et voilà la mercenaire presque accroupis au-dessus de lui. Il ne lui faut que quelques secondes pour recouvrer pleinement ses esprits. Il est à terre. La balafrée se redresse d'un geste, avise l'homme un bref instant avant de lui matraquer brutalement la tempe d'un coup de botte. A terre. Et pour longtemps. Les azurites se relèvent devant elle. L'Anaon se jette sur la porte, verrouille le loquet, y place la première caisse qui lui vient sous la main avant de se retourner, pour la voir, enfin.

    Frêle Ève recroquevillée, à la peau déchirée par son Adam. Pauvre petite chose plus semblable à un animal traqué qu'à une adolescente. Il n'est pas temps pourtant de s'émerveiller ou de s'apitoyer sur cette vision, car de temps justement, il en manque. L'Anaon permute et l'esprit pragmatique étend à nouveau sa tyrannie sur le moindre de ses gestes. Et puisque le doute n'est désormais plus permis quant à son identité, il faut faire vite.

    La mercenaire se précipite vers le corps dont elle prend pleinement conscience de la nudité et tombe à genoux devant lui.

    _ Vite, ma c'halonig, dépêche-toi ! Il faut partir !

    Les mains empoignent sans douceur les frêles épaules pour les secouer et tirer la jeune fille de sa catalepsie. L'oiseau qu'elle reconnaît piaille à son encontre et l'Anaon a l'heureuse intelligence de ne pas le chasser comme un vulgaire parasite. Elle ne prend pas le temps de prendre la mesure des grands yeux bleus affolés et paumés, déjà elle se relève pour trouver de quoi l'habiller, boudant sa robe de spectacle échouée sur le sol, éventrant une malle qui passe sous ses mains. Une robe en est extraite et elle la lance plus qu'elle ne la donne à la poupée dénudée.

    _ Vite habille-toi ! Et presse t...

    Quelques pas pour contourner la fille et les yeux qui s'arrêtent sur les maillons d'une chaine. Escalade le long de la ligne... jusqu'à la cheville enserrée. Le visage se fait pâle. Le cœur se compresse.

    _ Merde c'est quoi çà !

    Les deux genoux percutent à nouveau le plancher de la roulotte. Oh non... non... Ma pauvre chérie, pourquoi t'ont-ils fais ça ? Les doigts se referment contre le fer, saisissent la cheville condamnée. Si l'Anaon avait des talents en bien des domaines, l'effraction n'avait jamais été son fort, et si elle pouvait être capable de faire sauter le mécanisme d'une serrure à force de persévérance, elle serait bien incapable de le faire en quelques secondes. Par réflexe désespéré, elle tâte son gilet dans l'espoir d'y trouver quoique ce soit d'utile. Il y a bien ses stylets oui, mais elle risquerait de blesser la petite dans un mauvais geste.

    La tête pivote brusquement. Elle tire sur la chaine pour en voir l'accroche. Fixée à la roulotte même. La femme bondit. Une petite plaque de fer clouée dans le bois du mur. Nouveau coup sec. Solidement clouée même. Sans perdre de temps, la mercenaire déloge sa courte dague pour tenter de la glisser entre le minuscule interstice qui sépare le bois du fer. Trop serré. Et de creuser le bois de coups bien placés.

    Un regard au corps du baladin. Un regard derrière elle.

    _ Nyam ! Bouge-toi !


Ma c'halonig : breton, "mon petit coeur "
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - [Clik]
Nyam
La bagarre éclata et la prit par surprise. Elle n'eut pas le temps de récupérer la pierre qui s'était échappée. En fait, Hugon en s'écroulant sous l'assaut de la femme, tomba au milieu du tas restant en éparpillant les autres aux quatre coins de la roulotte. Un cri s'étrangla au bord de ses lèvres. La panique enserra son coeur qui s'emballa dans sa poitrine. Le Petit Frère était partout ! Il allait disparaître ! Les images embrouillées de sang d'un petit corps disloqué se succédèrent dans son esprit. Et il aurait éclaté en morceau si une voix de femme ne l'avait pas arraché à son enfer.

Citation:
_ Vite, ma c'halonig, dépêche-toi ! Il faut partir !


Des mains sans douceur l'empoignèrent pour la secouer, comme si le fait de mélanger ce qu'il y avait dans sa tête le rendrait plus clair. En quelques secondes, une robe atterrit à ses pieds, une des choses un peu misérable qu'elle porte quand elle n'est pas sur scène. Mais elle ne la regarda même pas, ses yeux bleus se portant de pierre en pierre, son esprit malade essayant de mettre de l'ordre dans le chaos, de donner un ordre à son corps tétanisé. Et l'agitation de la femme ne l'aidait pas à se concentrer. Petit Frère lâcha un cri de protestation par sa voix de rapace, mais dans sa tête, l'adolescente entendait d'autres cris, issus de souvenirs ou de cauchemars, dont elle était persuadée que c'était chacune des pierres qui les poussaient.

Une traction sur sa chaîne qui lui enserrait la cheville et un juron poussé. Pourquoi l'étrangère y touchait-elle ? Elle allait être punie par le chef. Elle-même l'avait été quand elle ne l'avait pas porté. Dans sa précipitation à vouloir la libérer, l'autre renversa une autre pierre, l'éloignant un peu plus et la confusion l'envahit de nouveau. Seule l'idée fixe de devoir à tout prix sauver Petit Frère se maintenait dans son esprit. Même les bruits de coups sur le bois ne la firent pas émerger. Puis une injonction.


Citation:
_ Nyam ! Bouge-toi !


Et des souvenirs, des vrais, effleurèrent la surface de sa folie. D'autres voix, d'autres appels, tantôt des ordres, tantôt des murmures tendres, et la voix de la femme sembla soudain bien plus familière bien que son visage resta dans l'ombre. Et des ombres, il y en avait. Des souvenirs d'odeur, de douleur aussi, et de sons, mais pas de visages. Tous effacés. Et la caresse délicate d'une main sur son visage tuméfié après des semaines de sévices... Et une certitude, qui perça dans le chaos de son esprit. Et sa bouche délicate qui s'ouvrit pour libérer son premier cri.

Maman ! Tu tues Petit Frère !

Le frêle corps se mit alors en branle. Les gestes se firent frénétiques. Perdue l'immobilité de la statue. Les mains minuscules tâtèrent le sol alors que des larmes s’échappaient de ses lacs bleus. Elle se saisit amoureusement des premières pierres, les reposant avec méthode sur un coin du sol épargné par la chute d'Huguon. Ignorant la robe, elle resta nue pour rassembler ce qui était à ses yeux le centre de son existence, sa seule raison de vivre. Les pierres tâchées de sang séchées s'empilèrent rapidement sous les yeux de cette femme en qui elle pensait, fugacement, reconnaître une mère, la sienne peut-être, la sienne sans doute si sa mémoire n'avait pas foutu le camps.

La poupée était morte en cette roulotte. Et Moineau allait devoir s'envoler pour que Nyam puisse se libérer.

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*Frédéric Régent, Historien
Anaon


    Clac. Clac. Clac. Le bois cri sa plainte sous la lame qui l'éventre. Des échardes s'hérissent des planches comme les côtes d'une cage thoracique soudainement écartelé. L'Anaon s'acharne, les coups pleuvent plus forts et chaque choc résonne à ses oreilles comme une cloche d'alerte, la clameur d'un cor, trahissant à des lieux à la ronde le délit dans lequel elle s'enfonce. Nouveau coup de dague. L'alliage s'enfonce timidement dans la rainure creusée, entre la plaque de fer et le bois malmené de la roulotte. Oui, on y est. La mercenaire force pour l'y plonger plus profondément encore, jusqu'à ce que l'éclat d'une voix ne la glace jusqu'à la moelle. Un coup de surin dans la corde sensible de la poitrine. Inébranlable, il ne lui suffit pourtant que d'un mot pour qu'elle ne crève. Maman se retourne brutalement. Ce simple mot qui fait sauter les verrous de sa déraison et de toute son affection.

    Les azurites se posent vivement sur Nyam, bifurquent sur l'oiseau "Petit Frère". Les flashes d'une fameuse journée de sang lui sautent au crâne, mais l'urgence de l'instant relègue ses réminiscences au second plan de ses pensées. Un instant interdite, l'Anaon regarde la gamine entasser ce tas de pierre auquel elle n'avait accordé aucune importance, puis une claque dans le sang vient lui rappeler sa tâche première. Le visage se tourne à nouveau, délaissant Nyam à son étrange obsession. La dague racle, alors qu'elle s'enfonce au plus profond de l'encoche. Les mains se saisissent solidement de la garde et les muscles se bandent pour tirer sur ce pied-de biche improvisé. L'effraction ce n'est pas sa spécialité. La force brute non plus. Le bois grince de protestation. Le fer s'ébranle à peine.

    _ Par tous les dieux et leurs putains !

    Le pied vient en renfort contre le mur de la roulotte. Les bras se crispent à s'en claquer les tendons. Tension. Encore. Et c'est la rupture. Le bruit sec du métal qui éclate. Le cul qui heurte sèchement le plancher de la roulotte. La lame s'est à peine pliée avant de voler brutalement en éclat, projetant ses fragments aux quatre coins de la pièce. Un esquille de métal se fiche dans sa pommette lui tirant une fugace douleur, mais le corps en fait fi et la main se redresse devant ses prunelles écarquillées. Une boule de haine éclate à l'encontre de cette lame à deux balles.

    _ Malloz Doué!


    La balafrée bondit pour attaquer cette fichue attache de fer avec son moignon de lame. Si elle rechoppe l'enfoiré qui lui a vendu une daube pareille, elle lui fera bouffer un à un ses fragments de métal, jusqu'à ce qu'il s'en perce l'œsophage et s'en crève l'estomac. Le fer grince sous le levier. La tige des clous apparait. Et elle, elle, elle se montra moins courge la prochaine fois qu'elle devra racheter une arme, blasée de la perte de ses deux premières dagues, sa première d'exception, qu'elle a paumé entre les côtes d'une saleté hibou, elle avait négligé le choix de cette troisième ! Et elle en paye le prix ! Bien fait pour sa pomme … Stupide, stupide, stupide !

    Crac !

    Le son final. Les quatre tiges presque aussi larges que son petit doigt ont quitté leur nid de bois. Et c'est de ses mains nues qu'elle les déloge totalement du mur qui les crache comme un corps étranger dans des chairs organiques. Victorieuse, la mercenaire se redresse regardant dans ses mains endolories le pan de fer. Elles ont l'air fines toutes deux, avec cette chaîne rattachant la cheville au néant, mais une fois de retour à l'auberge, elle aura tout temps de trouver son bonheur dans son matériel de maréchalerie... Pour l'heure il faudra faire sans. Et avec des maillons en guise de sillage. Les doigts s'empressent d'enrouler leur fardeau autour de la plaque décrochée et les azurites remontent à Nyam qui est... encore nue.

    _ Nyam, petra zo peg ennout ?!
    Nyam, qu'est-ce qui te prend ?!

    La femme se précipite pour lui coller avec autorité la robe contre la poitrine. Un regard se porte sur le cercle de pierre. Un bref instant, l'image d'une tombe Berrichonne lui revient en mémoire. Un trop bref instant. Les azurites se posent sur le visage tant chéri de la petite. Un regard agacé et angoissé sur un visage noyé de larme. L'Anaon hésite. Elle ne comprend pas, pour l'heure, l'importance qu'à ce tas de pierre aux yeux nimbés de pluie, mais dans l'ébullition de ses pensées, elle comprend néanmoins qu'elle ne pourra par partir sans lui.

    _ D'accord ! D'accord, mais habille-toi ! Et attrape Petit-Frère dans tes mains ! L'oiseau !

    La mercenaire se relève pour trouver un semblant de baluchon, de sac, ou quoi que soit qui pourrait lui permettre de transporter ce maudit tas de cailloux. Le stoïcisme est toujours là, mais sérieusement mis à mal. Derrière les remparts du sang qui bat ses tempes, elle entend le brouhaha du dehors. Le spectacle qui continue, peut-être, les badauds qui sont retournés aux jeux. Les saltimbanques, sans doute, qui ont entendu le fracas du combat qui a sévi dans la roulotte...


Malloz Doué : breton, littéralement "Malédiction de Dieu" mais avec l'impact très vulgaire d'un "Bordel de merde"
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - [Clik]
Thiegauld
En approchant, j’entendis des bruits de lutte dans la roulotte. Mais celle-ci fut brève. Tellement brève que s’en était inquiétant.

J’envoyais Scara chercher l’hercule, le monsieur muscle de la troupe.

Pendant qu’il détalait prestement, j’arrivais devant la porte de la roulotte. Fermée bien entendu. Allez savoir si c’était du fait de la femme ou d’Hugon. Enfin, vu le début de l’affrontement entre ces deux-là, je doutais que le crétin ait eu le dessus. Mais elle avait eu l’avantage de la surprise et il était possible qu’il se soit ressaisi ensuite.

J’essayais d’écouter ce qui se passait à l’intérieur. Je perçus quelques bruits de voix sans vraiment comprendre ce qui se disait. Pas une conversation soutenue en tout cas. Et puis des bruits de choc répétés contre la paroi de la roulotte. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien fabriquer là dedans ?

Je me retournais impatiemment juste à temps pour voir revenir Scara, l’hercule, et, pour faire bonne mesure, d’autres membres de la troupe. C’est une sorte de spectacle qui allait se jouer là et la curiosité avait toujours fait partie de la nature humaine.


L’hercule ouvre moi cette porte, tu veux.

La montagne de muscle se dirigea vers ladite porte et appuya sur le loquet. Il se retourna vers moi d’un air interrogateur.

Où il est le problème ? Ouvre la! Peu importe comment. On réparera plus tard.

Quelques secondes et gémissements de bois torturé plus tard, la porte se retrouvait hors de ses gonds, loquet cassé. Le mastodonte sauta à bas des quelques marches en tenant son trophée dans les mains.

J’entrai dans la roulotte embrassant l’intégralité de la scène devant moi le temps d’un regard.

Hugon étalé par terre, manifestement hors d’état de faire quoi que ce soit. Moineau debout, complètement nue, saignant d’un bras et serrant de l’autre sur sa poitrine un morceau de chiffon informe, les yeux fixés sur ses précieux cailloux éparpillés à ses pieds. La plaque de la chaîne décrochée du mur. L’oiseau agressif qui piaillait sur son perchoir. La femme inconnue, du sang lui coulant de la pommette, agenouillée en train de remplir une besace avec ces foutus cailloux. (J’aurais dû m’y intéresser de plus près à ces cailloux. Doivent être plus précieux que je ne l’avais cru).

Je m’arrêtais sur le seuil et pris ma plus belle voix de harangueur de foule, celle qui vous fige et retient toute votre attention, celle qui dominait les fracas des batailles à l’époque lointaine où j’étais dans l’armée.


MAIS QU’EST CE QUI SE PASSE ICI ?
Nyam
Trop d'ordres tuent l'ordre. Voilà ce que l'on pouvait dire à propos de Nyam. La robe mise avec fermeté dans ses bras y resta, et l'adolescente tétanisée ne pouvait que regarder la femme s'agiter en ramassant ses pierres. Le trop plein d'informations la perturbait, et l'inquiétude que quelqu'un d'autre qu'elle toucha à ses cailloux la faisait se déconcentrer de tout le reste. Seule certaine chose réussissait encore à se frayer un chemin dans sa tête encombrée. Maman, elle avait dis, et Maman avait réagi. C'était donc forcément sa mère non ? Elle pouvait mettre un visage sur une ombre et une voix, et à la réflexion, en fait, la voix collait un peu, du moins, le pensait-elle, mais avec les cris et les ordres, il n'était pas facile de penser...

Petit Frère poussa un cri de protestation quand la porte de la roulotte fut soudain arrachée de ses gonds. La poupée qui fut Moineau tourna la tête vers le Chef qui entrait en hurlant dans la roulotte, rajoutant à la pagaille générale. Les yeux d'azurs s'écarquillèrent alors qu'un réflexe chèrement acquis la faisait baisser la tête avec soumission, ses longs cheveux d'or blanc masquant son visage confus couvert de larmes. Son regard se posa d'ailleurs sur une des pierres qui reposait près de la porte arrachée. C'était la plus ronde du tas, et la plus blanche aussi. Si elle était incapable de se rappeler sa vie passée, elle se souvenait à la perfection de chacune des 43 pierres que constituaient son trésor.

Lorsque les saltimbanques entrèrent dans la roulotte, l'espace se réduisit de beaucoup, et la pierre oscilla sur elle-même durant un instant parfait. Puis elle bascula dans le vide, vers l'extérieur. Son coeur dans sa poitrine sembla s'arrêter. Jamais, jamais elle n'avait perdue une seule de ces pierres depuis qu'elle avait été trouvé sur le bord de la route, délirante et à moitié morte de faim. Et voilà que l'une d'elle s'échappait. Petit Frère allait mourir, forcément... D'ailleurs, devant tant de monde, le rapace prit son envol dans un cri et s'enfonça dans la nuit en frôlant les têtes.


Petit Frère ! Maman, Petit Frère va mourir !

Que faire d'autre si ce n'était se lancer à sa poursuite pour le sauver. Pas l'oiseau non, lui revenait toujours comme un chien bien dressé. Mais la pierre, la pierre, elle, allait rouler, rouler sans fin... Enfin pas vraiment sans fin puisque le camps se trouvait si près de la Seine... Trop près... Nyam se mit à bouger rapidement, bien qu'entravée par la chaine à sa cheville. Mais pour une fois, sa longe de métal ne la retint pas enchaînée au mur. Fine comme elle était, elle se glissa sans mal sous les jambes de l'hercule. Nue, elle se retrouva sur les pierres glacées de Paris, ses yeux cherchant un cailloux blanc assez petit pour tenir dans le creux de sa main.

Dans ce quartier en particulier, afin de permettre d'évacuer les déchets des abattoirs vers le fleuve, les bords de Seine étaient en pente douce. Et la pierre si ronde et si belle roulait tranquillement vers les eaux. Lâchant un cri horrifié, Nyam se lança tant bien que mal à sa poursuite, trainant sa chaîne derrière elle. Elle se saisit au dernier moment de l'objet tant chéri et le serra contre son coeur, indifférente au froid mordant sa peau nue. Seulement dans sa précipitation, elle avait donné de l'élan à sa chaîne qui ne se soucia pas de l'arrêt de la frêle adolescente, continuant sa course pour plonger dans le fleuve. Nyam lâcha un cri douloureux quand la traction la fit tomber à terre et traîna son corps si léger vers l'eau sombre. Elle aurait pu se rattraper au pavé et s'éviter la chute dans l'eau, mais il aurait fallu lâcher la pierre et perdre Petit Frère. Et cela, son esprit était incapable de l'envisager.


Maman !!

Le bruit de son corps percutant l'eau glaciale couvrit son cri, d'autant qu'elle avala l'eau directement par la bouche, entrainée vers le fond par sa chaîne et le socle de fer. Elle aurait pu regagner la surface si elle s'était débattu contre sa prison liquide, mais elle serrait trop fort sa pierre contre sa poitrine pour cela. Et puis, elle ne savait pas nager... Le Maître ne le lui avait pas fait apprendre. Comme un éclat de lucidité le visage de l'homme apparut devant ses yeux avant de disparaitre, perdu au milieu de pensées chaotiques. Mais elle n'avait pas peur. Elle était avec Petit Frère...

"Et oh, ce matin, y a Clhoé qui s'est noyée..."*

Sauf que cette fois, c'était Nyam.


*Chanson de Mylène Farmer
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*Frédéric Régent, Historien
Anaon

    C'est un sac élimé qui trouve grâce aux yeux de la main empressée qui s'en empare sans douceur. Le tas de chiffon rejoint le sol comme le poids de son corps qui s'y incline. C'est sans plus d'égard que les doigts y jettent les pierres si précieuses pour la gamine. Elle sait que c'est bêtise que de s'attarder, qu'il faudrait fuir sans plus attendre, mais dans les tréfonds du cœur et de l'âme il y a toujours l'irrépressible désir de faire plaisir même dans les situations les plus critiques. Comme si chaque demande sortie de la bouche prise en affection était un ordre qui écraserait jusqu'à la pensée la plus pragmatique et résolue. Le scénario classique du héros qui revient toujours sur ses pas pour ramasser la peluche égarée par les mains enfantines. Et l'on sait pourtant que le retour-en-arrière est une incommensurable connerie.

    Le brouillard lointain de son se fait grincement. La mercenaire redresse brusquement la tête. Giclée d'adrénaline. On grimpe sur les marches de la roulotte. Comme les branches des arbres qui craquent dans le vent et annoncent la tempête. Les azurites s'ébranlent. Cherchent une sortie. Il a une fenêtre dans le mur du fond. La mercenaire aurait bondi vers cette solution si son regard ne s'était pas posé sur Nyam.... désespérément pantoise. Trop d'agitation pour prendre réellement conscience de l'état disloqué dans lequel baigne l'esprit adolescent. La motivation de la balafrée touche le fond. Une dernière pierre est jetée au milieu des autres quand l'Anaon se lève pour passer de force cette foutue robe sur les épaules de la Blanche. C'est alors qu'un craquement effrayant la stoppe net dans son geste, figé en appuie comme un chien près à jaillir.

    De la porte, il ne reste qu'un trou béant sur la nuit entrecoupée d'un chapelet de visage. Un être, dont elle ne distingue pas la taille, s'efface avec le dernier reliquat de leur discrétion, soulageant la roulotte d'un poids qui fait couiner son bois. Les hommes s'approchent. Le chef de la troupe. Et la voix scinde les secondes de silence avec la puissance d'un olifant sur un champ de bataille.

    Crispation glaciale.
    Instants immobiles.

    Les regards se jaugent. Les volontés s'éprouvent. Les pensées flouées par la surprise retrouvent leur marbre. Le cœur se calme. Le sang se glace... dangereusement. La mercenaire permute. Quelque chose au fond de ses entrailles s'active. Plus que le sentiment de rage ou de haine. Plus que le mécanisme de survie qui galvanise le réflexe de défense. L'indéfectible. Incoercible. L'instinct le plus basique et viscéral d'une mère protégeant sa progéniture...

    Les azurites. Deux parpaings de glace, fichés dans un visage de roc. Le regard tranchant comme un hachoir s'est scellé dans les prunelles de l'homme qui lui fait face. Les mains se meuvent avec une lenteur déterminée et de deux gestes secs, elle extrait de son gilet deux stylets qu'elle tient entre l'index et le majeur de ses poings repliés.

    J'ai juré, que plus rien ni personne ne m'enlèverait mes enfants. Je ne referais pas deux fois la même erreur...

    _ Dégages de mon chemin... Où je te crève.

    La voix qui éclot est un trait calme. Une articulation mortelle. Le sang ne bat plus ses tempes. Il s'est figé en attendant l'éclat de la haine. Et alors... tout deviendra sombre pendant la débâcle et le monde se teintera de rouge s'il le faut... C'est ce qui aurait dû se passer, si la Frêle n'avait pas choisi de défrayer la chronique à sa manière.

    _ NYAM !

    Nul temps de comprendre. Un éclair blond passe devant son regard. Un instant pour qu'elle disparaisse de sa vision. Une seconde pour que la charge se déclenche. L'Anaon s'élance. La biche s'est faite louve à la voix de banshee. Qu'importe le groupe qui lui bloque le passage, ses mains qui empoignent, ses muscles qui barrent. Agglomérat de fibres organiques, cadavres en devenir. Elle se fera sa place comme la faux dans un champ de blé. Devrait-elle les saigner un à un avec les dents...

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - [Clik]
Thiegauld
J’étais entré dans la roulotte, j’avais hurlé. Enfin je préférais dire que j’avais posé une question. Les choses s’étaient figées le temps d’un bref trop bref instant. Echange de regards avec la femme. Elle est prête à attaquer. Comme une louve acculée. Je sens l’envie de meurtre au fond d’elle.

_ Dégages de mon chemin... Où je te crève.

Je sens qu'il va falloir se battre. La négociation me parait compromise, dans un premier temps au moins. Soit, on va frapper d'abord on causera après.

Et là…

J’étais incapable de retranscrire clairement dans ma tête la suite des événements.

Toujours est-il qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour exhaler un soupir, j’avais juste eu le temps de me baisser légèrement pour éviter cette saleté de piaf qui s’était envolé dans la nuit. La gamine avait profité de l’instant de distraction que ça avait provoqué pour sortir de la roulotte tirant à sa suite la chaîne, détachée de son support. Elle pouvait être incroyablement rapide quand elle le souhaitait. Elle avait évité l’hercule sans aucune peine. Il faut dire qu’il n’était pas très vif. Mais là je ne m’étais pas montré meilleur que lui.


A peine le temps de me retourner et de crier « Scara rattrape là !», en même temps que retentit un rugissant « NYAM ! », incroyable comme certaines femmes peuvent hurler fort, que je me retrouve poussé violemment au bas de la roulotte. En même temps que je me précipite à la rencontre du pavé, j’aperçois la gamine en train de glisser vers l’eau noire de la Seine, entraînée par le poids de la chaîne apparemment. Scara s’est précipité mais il n’arrivera pas à temps pour l’empêcher de plonger. Pas le temps de me demander si elle sait nager que ma cheville entre en contact avec le sol dur avec un claquement sec et un élancement de douleur.

MEEEEERRRRRRRDDDE !

Sous la violence du choc, je m’écroule sur le sol. Je relève la tête juste à temps pour voir disparaître Moineau au niveau du quai avec un grand plouf.

Ezan saute juste derrière elle. Mais qu’est-ce qu’il fait ce petit con ? Il ne sait même pas nager.

Scara saute à son tour. Mais en sauver deux, il va avoir du mal.
Tous les autres semblent figés sur place. Faut dire que ça a été tellement vite qu'ils doivent pas comprendre grand chose.


VITE ! DES CORDES! IL FAUT LES SORTIR DE LA! BOUGEZ VOUS!
Anaon

    Rouillée. Rompue. La mercenaire accumule les fêlures et les blessures, mais bien sot serait celui qui la croirait inoffensive. Les os qui craquent. Les cicatrisent qui gémissent. Témoins des ans qui gardent leur emprise sans que la vie ne parvienne à l'abattre. Acharnée, à garder sa place dans ce monde qui ne veut pas d'elle, plus hargneuse encore que la tique accrochée à la chair de son hôte. Véritable machine de survie... Et ce n'est pas aujourd'hui que l'Anaon s'inclinera.

    Elle fond sur la troupe, faisant fi du corps à ses pieds qu'elle survole dans un saut. Les bras en arceaux, prêts à faucher les premières gorges qui y passent. Et c'est l'explosion. Le bruit mat de la chair contre la chair. Des corps qu'elle percute. Des êtres télescopés. Comme le marteau qui éclate l'enclume, l'Anaon se fend d'une place au cœur de la mêlée. Le poing rencontre le toucher meuble d'une joue. Elle se fout de qui elle pourrait blesser, femme, gredin, gamin, hercule. Le seul point de conscience dans son crâne est cette vision que ses yeux ont saisie et ce cri qui lui arrache les tripes d'un crochet d'angoisse. Murphy s'acharne avec ses lois à la con. Nyam a disparu. La Seine l'a avalée.

    Les pieds rencontrent le sol sous la roulotte. Elle déploie ses foulées dans une course effrénée. Un craquement douloureux dans les tréfonds de sa cuisse. La vieille blessure s'insurge de l'effort brutal, déclenchant un flash de douleur dans le creux de son âme.

    Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas couru...

    La texture boueuse des berges gicle sous ses pieds. Elle dévale la pente. Le dévers et puis l'abrupte de l'à-pic. Les pieds décollent du sol. L'Anaon s'élance sans se demander si c'est le sol qu'elle rencontrera en premier ou les abysses de la Seine.

    Apesanteur... Puis le choc violent du fleuve. Ça fait longtemps, aussi, qu'elle n'a pas nagé...

    La mercenaire est désormais sous la surface. Les paupières s'écarquillent brutalement malgré l'eau pour tenter d'en percer l'obscurité. Mais la Seine est d'encre et la vision ne se fait qu'interstice. Le cœur s'attaque à ses tempes dans une violente cavalcade. Rassurée, elle ne s'est pas fracassée le crâne contre le fond qui aurait pu être bien plus proche, mais ce constat instinctif lui démontre que le fleuve pourrait être plus profond qu'escompté. Tout ne sera qu'affaire de secondes. Les pieds battent rageusement l'étau liquide, la main se tend au devant dans un espoir désespéré, abandonnant aux entrailles du fleuve l'un de ses stylets. Quelques centimètres... Il ne suffirait que de quelques centimètres pour la louper. Quelques centimètres pour que la vie de Nyam ne lui glisse définitivement entre les doigts. Ce soir, tout est allé bien trop vite.... Bien trop vite.

    Les doigts s'emmêlent avec surprise dans un entrelacs de fil. Des cheveux. Le poing se referme brutalement. Pas le temps de s'en réjouir. De quelques brassées l'Anaon longe le corps de l'adolescente pour se saisir de la chaîne qui ne lui est pas si lourde et enrayer la chute. Les maillons sont rapidement enroulés autour de son bras alors que l'autre main passe sous le coude serré de la Frêle. Vite. Maintenant il faut faire vite. L'Anaon remonte avec toute la vitesse qui lui est possible pour crever la surface. Et c'est enfin l'air libre.

    La gorge se déploie pour s'enivrer d'une bouffée d'oxygène alors que ses yeux pleurent sous la brûlure de l'eau. Tout est flou, mais les azurites s'empressent pourtant de chercher la Frêle pour s'assurer qu'elle est toujours au bout de son bras. Autour d'elles, çà brasse. Les paupières battent rageusement l'air pour chasser le flou qui les obstrue. Le joueur de dé tire sur la berge le marionnettiste de la pièce. On se presse au bord de la Seine et même les grêlés se sont approchés pour se rincer l'œil d'un nouveau spectacle. Regard circulaire autour d'elle. Contre toute attente, la balafrée ne rejoint pas la rive. Coinçant sa dernière arme entre les dents, la tête de Nyam collée contre son épaule, l'Anaon s'éloigne à la nage dans la direction opposée.

    La traversée lui semble interminable et bien que Nyam ne paraisse pas même peser le poids d'une plume contre son torse, la femme se met à piaffer comme un bœuf. Le courant déviant sa trajectoire, l'Anaon pose enfin le pied sur l'extrême pointe de l'Île de la Cité, sous les hauts remparts du palais où elle hisse Nyam dans un dernier effort. Le cœur au bord des lèvres, elle ne s'octroie qu'une demi-seconde de répit avant de s'occuper de la gamine. Elle la place sur le côté et sans faire plus de manière, les connaissances médicales de l'époque étant ce qu'elles étaient, elle lui enfonce deux doigts dans la bouche pour lui faire cracher toute l'eau qu'elle aurait pu avaler.

    Une main qui se veut rassurante sur l'épaule de la Frêle, le visage se relève pour voir sur l'autre rive les baladins attroupés. Même s'ils prennent les ponts, ils ne pourront jamais descendre les rejoindre. C'est alors que sa poitrine se relâche enfin d'un semblant de soulagement... Le regard couvre alors la jeune fille sous sa main d'une tendresse inquiète.

    _ Nebaon, Nyam... Mamm a zo amañ... Hiviziken Mamm a zo amañ... *

* Breton et sauf erreur de ma part : "Ne t'inquiète pas, Nyam... Maman est là... Désormais, Maman est là."
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - [Clik]
Nyam
La pêche à la Nyam est un sport pluridisciplinaire qui nécessite de nombreuses compétences. Tout d'abord la réactivité, car sinon, la Nyam réussis à filer trop rapidement et sort du champs de vision. De la rapidité, sinon la Nyam se noie. Savoir nager, très important quand on veut pêcher la Nyam... De la dextérité pour pouvoir l'attraper et de la force pour réussir à la soulever, même si la Nyam n'est pas très lourde. Et puis de l'endurance, car il faut pouvoir la tracter la Nyam... Bref, la pêche à la Nyam, c'est physique et technique.

Fort heureusement, Anaon semblait taillée pour ce sport car dans soudain la Frêle fut arrachée à son linceul liquide. Les mains serrant toujours la pierre chérie, l'adolescente se laissa trimballer jusqu'à la rive sans broncher, malgré la prise commode que représentait sa chevelure d'or. Elle était à moitié noyée quand la Roide la tira sur la rive mais Maman avait plus d'un tour dans son sac et les doigts introduis de force dans sa bouche la forcèrent à recracher toute l'eau avaler par ses poumons. Nyam frissonna de froid, son corps mince et nue trempé et offert au vent froid de Paris. Elle ouvrit ses deux prunelles d'azur et les posa sur la femme qui venait de bouleverser sa vie. Sur l'autre rive, les saltimbanques se jetaient à l'eau pour récupérer Ezan qui avait visiblement plongé à sa rescousse. L'esprit tourmenté n'arrivait pas à analyser ce qui se passait.

Le regard troublé se posa sur le sac que la mercenaire avait trouvé le moyen de garder. Petit Frère était sauvé, plus rien n'avait d'importance. Alors qu'elle sombrait dans l'inconscience, la main de Maman l'apaisant, malgré le froid, son oiseau vint se poser sur le sol à côté d'elle, revenant à sa maîtresse plus fidèlement qu'un chien.

Nyam avait été retrouvée, même si son esprit lui, s'était perdu.

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*Frédéric Régent, Historien
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