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[RP] A tes genoux

Judas
[Chapitre 1 "I am beyond repentance",
to 16 "Roide et Reynes" - (Roi des Reynes)]

    " L'hiver, cette saison de silence froid mais aussi, d'attente féconde." - Stéfan Satrenkyi


    - 21 Décembre 1461-


Trônant sur un fauteuil désormais nu de tout apparat, Judas écoute. La demeure n'est que silence, rien ne subsiste des murmures qui serpentaient, des corps qui se chevauchaient dans la grande pièce principale de Petit Bolchen. Le rire fugace d'un homme faussement amusé, entouré de ses maitresses qui échangeaient des regards aussi francs que des couteaux dans le dos ne dégringole plus. Le seigneur ouvre les yeux. Elles ne sont plus là, se trainant à ses pieds, se coulant dans son dos, formant une parure qui manque d'humilité avec leur gestes lents et leur langues fourchues comme de délicieux faire valoirs. Petit Bolchen semble appartenir à un passé qui n'a jamais existé. Les yeux se referment. Ici même, on lui donnait la becquée s'il la demandait, diantre que cette vie était belle, que cette vie a été fugace.

Les cheveux du Von Frayner sont lâchés, les gants de cuir soigneusement calqués à ses mains. La herse est ouverte, le cheval a été abandonné aux herbes hautes de la nature qui a reprit ses droits sur le domaine... Monture de prix fort, jadis trois de ses asservis ne suffisaient pas à rembourser l'un de ces palefrois. Et chaque bouffon assujetti le savait. Les yeux se réouvrent, l'enfant piaffe en appel au jeu tandis que son père observe mutique les vestiges d'une jeunesse.

Petit Bolchen est semble figé dans un néant ineffable ne racontant plus rien du meilleur comme du pire qu'il a su abriter; avant... Ambiance lourde sous les tentures obscures de la pièce principale restées après son départ. La cheminée haute comme deux hommes ne réchauffe plus personne. Les âmes Echauffées, liquorées, exaltées ne font plus régner dans l'ancien castel du satrape cette atmosphère à couper au couteau. L'endroit embaume. Le renfermé, la poussière, la moisissure. La cire des candélabre ne scelle plus que des jointures de carreaux au sol désertés de tout passage. La joubarbe habille les murs de pierre, là où les grands tableaux fastes le faisaient si bien quand l'endroit était encore habité.

L'enfant se tient là sur ses genoux. En lieu et place d'une coupe de vin, entre les mains cuirassées du seigneur. Les iris noirs viennent enfin lui accorder leur attention, rencontrant le visage poupin figé par la fascination de l'immensité de la pièce. Ses lèvres à demi ouvertes et les prunelles bleues qui semblent s'écarquiller d'un rien, le visage d'Amadeus arbore l'hébètement si familier des enfants face à la découverte. Bientôt il marchera. Ses mouvements impatients l'annoncent plus fort chaque jour. Se redressant dans son assise, Judas fait malgré lui sursauter l'enfant. Fil de la rêverie brisé il lève le nez sur son père. Sans doute ne comprend-t-il pas ce qu'il fait ici, posté sur ses genoux à attendre dieu sait quoi. Et ce silence inhabituel, ce vide immense... Cet endroit méconnu et froid. Dans un glapissement le poupon tape dans ses mains, comme pour se donner contenance, découvrant par le fait l'étrangeté de l'écho. A l'aube de ses un an, ce fils jalousement gardé respire l'audace.

    Tap, tap, tap.


Le spectacle est inexplicable vu de l'autre bout de la grand salle. Judas Gabryel Von Frayner semble régner sur la désuétude.

      Tap, tap, tap.


Un éclat de rire claironne dans l'obscurité de l'endroit. L'écho amplifiant sa portée.

          Tap, tap, t...


L'homme s'est levé, prenant dans ses bras le petit. L'aube se profile... Judas avait un rendez-vous à honorer.

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Anaon

"En prenant l'enfant par la main, on prend la mère par le cœur."

    -Proverbe Danois-



    *

    La neige se tasse dans un crissement de verre. L'impromptue abandonne un sillage d'empreintes, là où l'immaculée ne souffrait d'aucune bavure. Au fil de sa marche, elle trace dans la peau blanche comme une cicatrice, que les flocons peinent à refermer. Les petites larmes s'écoulent, dans un silence de plomb, s'échouant dans ses filins et ceignant son front d'une couronne sans or et sans autres pierreries que ces cristaux liquides. Autour d'elle, les arbres ont revêtu leur percale de grisaille, muant l'horizon en un impénétrable tableau de noir et de blanc. Des êtres morts, penchant sous leur vêture de givre et de neige mêlée, tendant vers la silhouette égarée des membres tortueux. Les prunelles impassibles embrassent la vision trop calme d'un monde endormi qui lui endort l'âme. Silence. Elle traine en cortège le son feutré de sa cape qui frôle la neige, et mis à part elle, rien ne vient prouver dans le paysage mortifié la présence du Vivant.

    Un geste calme vient réajuster ses gants, sur ses doigts qui pincent une petite branche de gui. Nulle part ailleurs, elle ne serait être mieux à sa place qu'en ce paysage mort, l'Anaon. Le froid mord, toutes canines dehors, sans qu'elle ne s'en offusque et l'humide qui tend à lui geler les bottes n'arrive même pas à la faire frémir. Elle aurait pu prendre chien et monture, elle a préféré s'accompagner de sa volonté et de sa solitude. Ainsi elle marche, depuis les pavés de la ville, sans se hâter, en se rassérénant à chaque pas de cette vision monotone. Appréhendant cette saison, injustement détestée, comme les battements d'un cœur tranquille sur lequel elle calque ses états d'âme. Vides. Apaisés. Anormalement calmes.

    Petit point noir mouvant sur l'horizon blafard. C'est un jour qui aurait dû la voir fébrile. Fébrile, car journée de solstice. Date anniversaire, qui a vu, il y a des années de cela, sa déchéance et son anéantissement le plus total. Fébrile aussi, car aujourd'hui arrive l'échéance de cette absence qui l'a rongée pendant des mois. L'impatience, à la fois agaçante et porteuse d'espoir, s'est pourtant muselée. L'Anaon a l'esprit vide. Conscient, et pourtant aussi languide que les flocons qui s'échouent sans bruit. A cet instant, elle est aussi impénétrable que cette saison qu'elle porte à fleur de peau et à fleur de cœur.

    Les azurites se lèvent enfin pour voir se dessiner à l'horizon une bâtisse de roches grises. Comme une pierre brute sertie dans un écrin de velours. A chaque pas, son cœur oscille entre l'envie de se serrer ou de s'apaiser. La Nostalgie.

    Petit Bolchen...

    C'est en s'informant au bourg que l'Anaon avait appris que le Von Frayner avait vendu. Judas ne lui avait jamais annoncé. A cette nouvelle, elle avait été surprise. Sans doute avait-t-elle été peiné, mais tout son être en était à ce point résigné que son visage n'avait rien exprimé. Désormais, alors que ses pas se plantent devant la herse ouverte, l'Anaon réalise et sent la poigne du regret et de la perte lui enserrer le cœur. Le Gontier n'est plus, Petit Bolchen est perdu, la mercenaire n'a désormais plus rien, nulle part, qui pourrait un jour l'attendre. Un vide...

    Elle n'ose pas avancer, comme bloquée par une barrière infranchissable. Les prunelles parcourent tranquillement les pans de murs dont elle aurait voulu être la pierre. Combien de temps n'est-elle pas venu ici ? Elle a l'impression que c'était hier... Ou bien une éternité. Elle compte. Un an... Un an et demi... presque deux. A ce constat, un vertige lui prend les tripes. Tant que çà... Les lèvres échappent un paquet de buée. Tant que çà...

    Le regard bifurque, suivant les courbes du lierre qu'on enraye plus, lézarder les pierres comme de petites veines parasites. Petit Bolchen dans son manteau d'hiver a une aura bien étrange. Il n'a plus cette désinvolture qui le rendait si arrogant. C'est un souvenir qui s'ébrèche... comme un ancêtre à la gloire passée que l'on ne regarde plus. Le visage si austère s'attriste. Elle aimerait en prendre l'âme dans ses bras, comme on le ferait avec un être. Petit Bolchen a toujours été dans un sens plus de chair que de roc.

    Machinalement, elle ôte ses gants, elle, qui a toujours eu le besoin compulsif de frôler la moindre parcelle de ce qui peut l'émouvoir. Mais ses doigts n'embrassent ni la pierre ni le fer quand elle se décide enfin à franchir le seuil du castel. La cour n'apparaît plus sous le coton neigeux. Seules quelques herbes vivaces percent çà et là l'épaisseur immaculée. De quoi satisfaire le palais d'un cheval qui y a jeté son dévolu. L'appréhension vient creuser sa place. La balafrée s'arrête au milieu de la cour. Hésitante presque, elle relève la tête, laissant couler son regard sur les murs qui lui font face... jusqu'au premier étage, jusqu'à se poser sur une fenêtre particulière.



Musique : " Tout ce sang versé ", Dark Sanctuary
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
    "Tant de solitude me comble, que le moindre rendez-vous m'est crucifixion." - Emil Michel Cioran


Chaque niche de lumière sur la continuité du mur s'entrecoupe de l'ombre qui l'occulte brièvement , comme le passage fantomatique des valets autrefois ici pressés. Les coursives se souviennent... Judas n'a pas oublié. La cape a soulevé des tempêtes de poussières, de celle qui vous rappellent que c'est à cela que le corps retourne un jour, réminiscence poudreuse et vite oubliée, condamnée à une plus jamais s'agiter que sous le pied du passage. Les chiens ne jappent plus à ses trousses que dans ses pensées, la porte de la pièce aux fioles est dépassée béante, crachant son lot de spectres, Le vieux garde assassiné, les cris des femmes et toutes ces histoires que Petit Bolchen a gardées imprégnées dans ses murs. L'édifice est bavard sous ses airs taciturnes, ne vous y fiez pas, malgré l'histoire qui suinte des interstices marmoréens, c'est l'âme du castel qui hante le seigneur. Non l'inverse.

L'enfant tend une main pour toucher le défilé des vieilles pierres, emporté par la course monotone de son paternel. Le froid est détestable. Frileux, l'homme a recouvert sa peau de couches épaisses de tissus et de cuirs, et une volumineuse fourrure mordorée vient enserrer ses épaules et son col. Amadeus n'est pas en reste, attifé bien trop chaudement pour un enfant ivre de mouvements. Si l'Anaon rend hommage à l'hiver, Judas lui s'en détourne. Un instant, le regret de cet arrangement en terre froide pointa. Mais le nécessaire prévalait sur l'arrangeant. L'ascension de quelques marches dans la pénombre fit se rétracter la menotte comme un petit escargot méfiant. Les yeux bleus se perdirent dans le noir. Ceux du seigneur sec et trop couvert se figèrent sur le seuil de son ancienne chambre.

Sensation indescriptible de n'être qu'écho parmi l'écho. Le grand lit était là, souverain au milieu. Le corps de l'Anaon ici, posé à la fenêtre. Sa senestre là bas , posée sur sa nuque. Les promesses n'existaient pas, à juste titre, mais les nuits étaient douces... Avant les absences. De l'un, de l'autre, qu'importe. Deux absents qui s'absentent, et la décadence. Le duo traversa la pièce désolée qui ne dénotait en rien avec le reste des lieux, il était temps de lâcher un peu la bride. Temps de desserrer les mâchoires. La chose avait quelque chose de follement effrayant, malgré qu'amorcée par l'épistolaire, malgré qu'acceptée en âme et conscience. Il resserra le poupon contre son torse , comme si l'approche de cette fenêtre représentait sa perte.


    Et après un léger pincement au coeur, inexplicable, il se posta face à la cour, tournant son fils vers la luminosité de ce blanc persistant.

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Anaon

"Contre vents et marées j'étais inébranlable, droite et fière comme une tour de cathédrale, quand tu vins comme un ver me ronger par dedans et réveiller en moi le feu d'un vieux volcan..."
    - Frollo, " Etre prêtre et aimer une femme" -



    Elle regrette d'avoir levé les yeux. Comme on regrette d'avoir posé le regard sur ce qu'il y a de plus beau. Parce que l'on sait qu'après cela, tout ne peut être que fade, tout ne peut que manquer. On aimerait parfois ne jamais avoir connu, plutôt que de vivre avec le souvenir de la perfection en toile de fond, chimère inatteignable, qui hante plus qu'elle n'apaise... Les doigts se sont resserrés autour de ses gants et la ramille de gui grince sous sa poigne. Un froid s'insinue dans son corps que l'hiver lui-même n'aurait supporté. L'Anaon se fait statue de gel.

    Il est là... Vision à la fois redoutée et désirée. Un néant se creuse dans l'esprit court-circuité. Les mots ont préparé, oui, mais les mots ne sont pas faits. Le visage féminin ne montre pourtant rien d'autre que la fixité qui a scellé le bleu sombre de ses yeux. Son cœur soulevé par l'inexplicable, ou cette chose que l'égo, à nouveau, ne veut plus nommer. Ces traits... Austères et solennels. Elle ne les a vus, depuis bientôt un an, qu'en songes ou en cauchemars. L'esprit, quoi qu'il en ait souhaité, n'en a pourtant oublié ni les aspérités ni les moindres vallons.

    Des secondes qui s'étirent sans que rien ne s'exprime. Rien d'autre que cette peau qui se pare soudainement d'un frisson. Elle a froid. Étonnamment froid, elle, qu'aucun mistral n'aurait réussis a ébranler. Il ne lui a suffi que d'un visage. Les azurites, alors, se résolvent... lentement... Elles glissent du regard du seigneur, pour se poser sur le petit être qu'il tient entre ses bras. Trop loin. Trop haut. Des traits qu'elle ne distingue pas, ou trop peu. Comme un réflexe d'auto-défense, le cerveau gèle la moindre effusion, ne laissant dans son corps qu'une âme dans l'expectative. Acérée pourtant, la frustration arrive à pointer, de ne pas voir suffisamment, de ne pas pouvoir frôler. De ne pas pouvoir découvrir. Calmement, les prunelles reviennent au visage de l'homme avant de s'en détourner, surprenament, pour se poser sur la porte de la demeure.

    Une tension dans la colonne. Et la résolution ferme de ne plus lever les yeux. Pensivement, la mercenaire vient coincer ses gants dans la lanière de sa ceinture. Elle pourrait entrer... Et attendre, près d'un feu qui ne consume désormais que des fantômes, que le seigneur veuille bien la rejoindre. Mais elle n'en fait rien. Elle demeure, obstinément fixe devant cette porte fermée à plusieurs mètres d'elle. Les mains se frottent l'une à l'autre, avant de se tenir, comme dans l'attente de l'eucharistie, et recueillir dans la coupelle de sa paume les flocons éparses qui viennent s'y échouer.

    La respiration se force à rester calme et l'esprit à maintenir son sang-froid. Ils sont là et c'est une prime certitude. L'Anaon, alors, attend, comme dans une demande muette. Comme soucieuse, de vouloir préserver l'émotion de la première rencontre sans la gaspiller dans une contemplation lointaine, une vision trop approximative. Comme si, l'Anaon, aujourd'hui, n'avait qu'une seule et unique chance.

    A la tension déjà tangible de l'instant, s'ajoute la fébrilité nouvelle d'un souhait en suspens et de cette porte close dont elle attend anxieusement l'ouverture.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
    "Je te vois en contrebas, te faire neige parmi la neige. Comme une morte suspendue au carreau, que convoite-tu? L'instant ou ses promesses? Plus saisissant qu'une bague O , ta patience m'émeut. Anaon est aussi mère de sagesse." - Pensée Judéenne


Elle est là. Apres tous ces mois à se trouver d'un bout à l'autre d'une abyssale indifférence Judas retrouve Anaon, et le bleu électrique semble n'avoir jamais perdu le plus court chemin pour retrouver le noir impossible. Aimants contraires, le télescopage est irrémédiablement naturel. Les prunelles n'obéissent pas aux mêmes règles que les lèvres, jamais, se foutant bien de ce qu'elles peuvent raconter. Elles imposent leur no man's land. Voilà bien longtemps que ne lui a été donnée l'occasion de baisser les yeux sur Elle. Etrangement, elle semble avoir toujours été là sur les pavés recouverts de la cour. Figée. Comme si elle l'avait toujours attendu. L'histoire a son ironie... Roide est à l'heure puisqu'il est des rendez-vous plus importants que d'autres.

Plus vitaux. Que voit-elle, là, statufiée dans son gel? Judas décroche ses iris de jais de cette vision quasi sépulcrale, observant les réactions de l'enfant, revenant à la mère-cenaire en contrebas. Que voit-elle là, écorchée telle qu'il la connait? Posté à son mirador, son fils dans les bras, se ferait-il vitrail? Couleurs en moins, virginalité de coté... Roide observe-t-elle un tableau reflétant la famille d'un idéal, sa présence manquant à ses cotés? Judas ne se pose pas ces questions. Lui voit le manque cruel qu'il s'est imposé depuis une année, depuis que la tête brune aux cheveux épais qu'il tient en son joug a surgit d'entre les cuisses ensanglantées. Il accuse le coup de l'après coup. De la vision qui réveille ses sens anesthésiés sciemment, qui dénoue les noeuds, insufflant une oppressante et redoutée liberté. La liberté de se sentir prisonnier de quelqu'un d'autre. Cette douleur que l'on embrasse avec passion, que l'on autorise à ravager sans la museler, à faire table rase et à.. Obséder.

Elle détourne les yeux. Il se détourne d'elle. Faut-il espérer clore cette promesse ici? C'est la question qui bouscule ses certitudes. Une seconde il ne sait plus s'il doit se retourner, rester ou partir, attendre ou s'attendrir. Et le chemin est refait à l'envers, cette fois chemin de croix bien moins serein qu'à son aller. L'ascension est toujours exaltante, la redescente est toujours vouée à être infernale. Aussi est-il moins pressé, car moins sourd à lui même. Quelque part dans sa poitrine quelque chose s'acharne à cogner. Les fantômes du passé ont disparu, les couloirs ne lui racontent plus rien. Il ne repense ni aux boniches, ni aux gardes. Plus au chiens ni aux légendes du bois, Malesoir et Sombrejour, la Meyre et ses complaintes. Il ne pense qu'à l'impact. Et plus les marches sont descendues, plus il s'affranchit de la nostalgie qui l'avait frappé à son arrivée sur les lieux. Plus sa cadence s'alourdit, plus ses pas ralentissent... Comme le métabolisme de la vie sous les assauts d'Hiver.


    Et si l'impact était plus brutal que redouté?


C'est un Judas presque fourbu qui apparait dans la grand salle, tenant plus fort contre le renard chaleureux cet enfant si convoité. Et jusqu'à la porte repoussée, et jusqu'aux premiers pas dans la neige, et jusqu'à s'approcher à sa hauteur il ne se sent pas ployer genoux. Avant que le froid ne le ramène à son chagrin, et que l'enfant, à hauteur de grain, s'annonce d'un pas mal assuré sur le gel.

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Anaon

" Il ne savait qu'une chose, que l'enfant était son garant. Il dit : S'il n'est pas la parole de Dieu, Dieu n'a jamais parlé "

    - "La Route" -



    *

    Et elle attend. Une brise s'invite dans le paysage, soufflant dans les mèches de châtain sombre. Les paupières s'abaissent, l'Anaon ferme les yeux. Hiver. Il a toujours été le réceptacle de ses plus grands bonheurs et de ses peines les plus cuisantes. Il l'a vu enfanter des anges pour les lui reprendre, il l'a vu rencontrer, aimer et s'endeuiller. Il l'a porté au seuil de la mort avant de la vivifier. Une griffe dans son âme, taillée au surin du froid et de la neige, mais l'Anaon n'a jamais su expliquer l'amour incommensurable qu'elle a toujours porté à cette saison si calme... Comme on aime un amant sans en voir ni les défauts ni les travers, en faisant fi des écueils et en se faisant aveugle. Éperdue.

    Lentement, le cou se tend et le visage s'offre au ciel, la corole de ses cils toujours abattue sur ses pommettes. C'était en hiver, il y a deux ans, la première fois où elle s'est perdue dans l'étreinte de Judas. Lors des premières neiges. Comme un hasard heureux, un ironique jeu du destin. C'était en hiver, il y a seize ans, qu'elle a perdu son Premier et son Unique, dans une auréole sanguine qui lui faisait un linceul. Lors des premières neiges. La rencontre de l'un, pour achever le deuil de l'autre. Bien qu'il y ait des amours mortes dont on n'oublie jamais l'existence...

    Les paupières s'ouvrent, pour embrasser les pierres du castel qu'elle a si souvent frôler du doigt. Des rides faites de fissures et du lierre recouvert de givre pour cheveux blanc. Malgré elle, elle voit du coin de l'œil la fenêtre désormais vide. S'il n'y avait la monture pour attester de la présence du seigneur, on aurait pu croire à une illusion. Une image fantasmée, cristallisée derrière un verre opaque. Des fantômes, des ombres qu'elle ne saisira jamais. Et si ce n'était que cela.... Une histoire faite d'espérance sans espoir de concrétisation ?

    Elle attend. Sage et patiente en se demandant tout de même, s'il ne viendra jamais, si tout n'a pas été que rêve, si... Et la porte s'ouvre...

    Le regard accroche le bout des bottes, avant de remonter le fuselage des jambes qu'elle connait si bien. Une hanche voilée, l'étreinte des bras. Un visage. Les traits du seigneur lui apparaissent sans matière pour en occulter les détails. Morcelés.... Et l'égo seul pour maintenir l'ensemble dans l'expression grave qu'elle a pu lui connaître. Les prunelles s'attardent, quand l'homme s'approche, cet homme qu'elle n'a pas vu depuis tellement de temps, et elle, impassible, ne saurait nommer les sensations contraires qui s'amplifient dans sa poitrine. Une absence qui n'avait jamais été aussi longue. Mais Judas, tout aussi beau qu'il puisse être, ne saurait capable de retenir plus longtemps les azurites sur sa personne. L'attention se porte sur l'enfant qu'il tient contre son flanc.

    Les doigts se sont repliés pour se rapprocher de sa poitrine et tout son être force sa respiration à garder sa même cadence. Judas s'agenouille, posant leur fils dans la neige comme on présente une offrande. Et le bleu de mère se mêle aux azurs infantiles qui se sont relevés sur elle.

    Un petit nez plat qui perce une tête lisse et ronde. Les mèches noires, qui pointent çà et là, aussi sombres que celles de son père. Deux inconnus qui se découvrent. La mère reste immobile. Pantoise. Même les paupières ne vibrent pas, comme si d'un battement de cil, elle craignait de faire disparaitre l'inespérable.

    Latence. A l'Anaon de mettre genoux en terre pour se mettre à la hauteur de cet enfant qui esquisse déjà ses premières marches sans qu'elle ne l'ai vu grandir. Les doigts frémissent. Hésitent. Avant de s'ouvrir avec lenteur pour se tendre fébrilement vers l'enfant. Les petits yeux curieux se baissent sur les mains qui s'approchent avant de se tourner vers le visage paternel pour y lire une quelconque réponse. Mais la poigne de mère l'étreint doucement par la taille pour le tirer délicatement à elle et le tenir contre sa poitrine tandis qu'elle se relève.

    Les azurites contemplent alors leurs égaux hébétés à même hauteur. Il est beau... Dieux, qu'il est beau et il ne peut en être autrement. Les paupières se ferment, pour savourer pour la première fois ce léger parfum innocent couvre toujours la peau des enfants, pour frémir sous la petite menotte exploratrice qui se risque sur le trait de ses joues. Une nappe de frisson lui couvre les flancs.

    Elle est en train de tenir son fils dans ses bras. Elle le tient tout contre sa poitrine... Elle le tient..

    Le cœur gonflé comme une éponge libère enfin ses humeurs noires et sort de sa prison de gel. Les lèvres de la mère se posent avec amour sur la joue blanche.

      Enfin.

Musique : " Âme de Décembre ", Dark Sanctuary
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
[- You said it was the definition of love.
- But is the truth.You must shut your eyes and endure.*]




"L'homme prit à grand pas la direction des remparts qu'il dépassa, frôlant Anaon comme s'il ne l'avait pas vue, agrippant son bras afin de la sortir du champ de la porte non loin. La senestre de Judas vint prendre en coupe l'arrière de la tête brune et fière avant que les deux corps ne se heurtent l'un à l'autre contre la muraille à l'abri de tout curieux."

"Non, Anaon ne sortira pas vive de sa vie, et ce ne sont pas les mains soudainement vascularisées qui serrent de toutes leur forces le cou d'icelle qui diront le contraire. Elles qui hier encore redessinaient son corps de femme ne semblent plus vouloir que se l'approprier, raide et froid entre ses bras. Pour toujours. Entre ses dents serrées d'effroi semblent sortir la cohorte des mots d'un fou. Le langage des sanglots de rancune.


- Tu es à moi Anaon! Juste à moi... Je fais... Partie de toi."

"Le reste de la phrase est tellement broyé entre ses dents, dans le rauque d'un grognement qu'il est a peine devinable. Et Judas d'envoyer les pieds avec rage contre la Roide, camisolé dans la force inégale d'un Moran à la sagesse trop détestable aujourd'hui. Qu'il est vain de se battre! Qu'il est vain d'aimer! Ruer dans les bras du sénéchal, tuer du regard, ébranler tout Décize, tant pis! Tant pis. Lorsque même les pieds ne peuvent plus l'atteindre, ne restent que les mots. Ho serre Moran, serre-moi fort, ma fuite sera sa fin. Me délivrer de toi et me délivrer d'elle. "

"Adieu prestance, adieu constance, Judas s'imagine qu'elle en aimera d'autres , qu'ils la dévoreront en meute et qu'elle se perdra dans les parfums des loups. Cette idée qu'il a en aversion éclate sa raison en morceaux délétères. Fou. Il est fou. Le cheveux hirsute et l'écume aux lèvres, Judas est fou d'elle. "




Citation:
Le désert de ton coeur est une nonne, aucun homme ne le courtisera comme je l'ai fait, il a fait retraite, serein et immuable, au-delà de toute poursuite et de tout abandon. Ce désert n'a pas le droit de connaitre le remord, mais les justes conséquences de son aridité. Pour ces choix, tes choix, je t'interdis d'entrer en contact avec qui que ce soit de ma maison et qui que ce soit qui soit assez proche de moi. Sache que pour ta témérité et l'offense que tu perpétue en entretenant secrètement cet échange, ta chère "c'halonig" en paiera le prix fort.

Tu as fait voeu de silence, alors tais toi, ou je te ferais taire.

Judas Gabryel Von Frayner






"C'est avec ce pincement faussement heureux sur les lèvres qu'il pencha un peu le menton en direction d'Ann, que de monde hein... Que de monde. Moment de stupeur. Pris dans sa comédie il n'avait pas écouté, et cette Ann qu'on interpellait n'était pas une énième présence insipide, une bonne ou une suivante comme une autre. C'était Elle. Elle qui l'avait mené jusqu'ici, Elle qui transformait les secondes en coups de surin. Finalement il y a plus jouissif que de faire chier de Josselinière. Il y a Elle. Là, austère mais là. Roide jusqu'au bout d'elle même et...

Enceinte.

Son petit air de casanove s'était dévissé en grinçant, c'est en regardant son faciès s'émailler qu'on pouvait mettre un vrai nom sur l'expression 'tomber la face'. Sous le cheveux propret et les traits séducteurs, l'esprit s'accordait un double combo. Les plis sur la vesture, la rondeur écrasée sous la révérence, les seins en bourgeonnement... Engrossée et vaguement plus qu'à moitié. Tous ses plans venaient de tomber à plat, pantelants. A l'utopique plaisir de retrouver la femme qu'il aimait succombait l'effroi de cette découverte, découverte prédite le soir où de rage il avait malheureusement battu ce ventre maudit. "Que Paris t'engrosse Anaon, que Paris t'avale." il l'avait pensé si fort que c'en était devenu réalité. Une terrible réalité. Les regards se mettent au diapason, Judas reste stoïque face à Anaon, il lui aura suffit de se montrer après des mois d'absence pour lui transmettre toute sa rage. Toujours ainsi fut-il, toujours ainsi sera. Il n'y a pas d'amour heureux. Anaon s'était barrée pour aller se faire gouter sur d'autres tables. Paris avait engrossé Anaon. Engrossée, engrossée, engrossée. Grosse et engrossée. Des grossesses et des hommes, et un homme. Des grosses et Judas. Pauvre de toi, Judas. "

"Une mauvaise pensée lui vint encore. Combien d'enfants? Combien en avait-elle eu, des enfants du sort qu'elle avait jeté aux orties? Car Judas n'a pas oublié qu'il l'a connue enceinte. Premier contact couvé de mensonges... Et la chute de cheval sur la route de Bretagne avait été finalement une bénédiction. Au moins il avait pu la toucher encore quelques temps comme s'il elle était sienne, et non souillée de diable savait qui... Mais c'était désormais bel et bien terminé. S'il avait bien du sang froid, comme les vipères dormeuses, Judas ne supportait pas l'idée qu'Anaon lui ait préféré un autre homme à peine leur rupture consommée. Paris, Paris... Partir pour Paris n'avait donc été qu'un prétexte pour aller retrouver quelqu'un d'autre, et ça... C'était un terrible coup dans le dos.

L'air de rien et ignorant autant que faire se peut la présence de la balafrée il manda presque naturellement:


- Quelqu'un pourrai me faire visiter les lieux et la chambre qui me sera allouée, je suis curieux de découvrir cet endroit dont on parle tant en ville...


Ho oui, il lui dirait le fond de sa pensée à cette mégère... Mais à la discrétion provoquée d'un moment plus propice. "

"Il ne retient pas un léger rire cynique. Anaon toujours là où l'on ne l'attend pas. Il la méprise. Il la méprise autant qu'il l'aime, parce qu'elle le blesse rien qu'en se tenant debout devant lui avec cette panse de malheur. Ca lui crève les yeux comme une injure, mais il ne faut rien laisser paraitre, pour Yolanda, pour lui, pour Elle. Parce qu'au final quoi qu'il se passe dans sa poitrine à cette vision personne ne doit savoir que l'Anaon a été l'amante du seigneur.

Droit dans ses bottes il a envie de lui faire remarquer qu'elle ne le regarde pas quand elle lui parle. Ses lèvres minces restent closes malgré toutes les méchancetés qu'il a envie de lui jeter au visage. Il se sent soudainement terriblement vexé d'avoir couru en Anjou pour la retrouver dans cet état, pour la trouver étrangère à lui. Lorsqu'elle lui fait dos il ne manque pas de détailler sa silhouette, l'amertume réussit là où tout à toujours échoué. Il ne la désire pas. Elle porte une vie étrangère, comme en Bretagne. Bretagne où il avait au premier abord refusé de la toucher. Mais les femmes ont leurs vices...

Sans commenter le ridicule de la situation il la suit, laissant cette distance s'instaurer dans la pratique comme dans la théorie. Cours Anaon, cours. Moi je t'aurai sans courir."

" Hostilité ouverte et lancée, il la regarde un instant droit dans les yeux , ces yeux qui ne sourient jamais . Ses balafres le font pour eux. Lui laisser une minute pour savourer son moment de gloire, sa toute puissance d'argile... Le contact de son ventre est plus rude que l'estoc d'une vieille lame, il s'en dégage comme de la peste en murmurant l'évidence de sa voix cassée. Cassée comme son moral.


-lâche-moi... Tu me dégoutes. Tu es grosse.

C'est si simple. Il s'éloigne d'elle juste assez pour la regarder entièrement des pieds à cette tête fière et creuse. Il a mal, l'envie de la laisser à terre n'en est que plus vive. Lui faire mal en retour. Comme il exigerait d'une de ses suivantes chez lui il hurle afin que tout le castel l'entende à son encontre. Sensation épidermique. Il exige, il rabaisse, il rendra coup pour coups.

-Conduis-moi à ma chambre!

Chaperon du dimanche. Poison de ma vie. Ecarte-toi de mon chemin..."

" Non, je n'ai rien vu. Non tu n'es pas là.

L'estomac s'est révulsé, beaucoup de choses difficile à digérer. En souffrance il contient la déborde... Retenir le spasme de fatalité qui l'étreint. C'est vrai quoi... Aimer une roturière, t'as pas idée Judas. Pourquoi ne pas t'enticher de ton épouse, celle que ton Dieu t'a accordé un jour de faiblesse... L'union était vouée dès sa naissance à ne jamais s'épanouir. Alors pourquoi tu pleures ces moments auxquels tu n'as jamais eu droit? Aimer tout ce qui dérange c'est encore ce qu'il avait su faire de mieux...Mais maintenant... Maintenant c'était terminé. Et cette pensée gonfla sa poitrine d'orgueil, un pas en avant, contourner l'obstacle sans le regarder. Port altier, jouons les grands seigneurs...

Non, je n'ai rien vu. Non tu n'es pas là.

Il la frôle. C'est fou ce qu'il la redoute. Il s'accorde à penser que ce n'est pas un signe de sa guérison et que c'est détestable, puis que c'est un mauvais moment à passer et que...

Et merde... L'oeil se fait presque menaçant. Grand saigneur tu es, grand saigneur tu resteras. Judas.


- Laisse pas trainer ton fils...
"


'L'écoute passive? Judas la laisse à la roide. Pas dans ses habitudes de faire l'autruche... Direct, il ne passe pas par quatre chemins et tant pis si la brune en fait tant de mystères. On ne la lui fait pas. Le joug de sa main se resserre sur le bras breton. L'impatience est trahie par une voix plus cassée que jamais.

- ... Allez parle ou tais toi, qui est le père?!


Que je le tue. "

" Les prunelles se croisent, stupéfaites. Tout doute a un fond de certitude... Le seigneur accuse le coup. Instant de cohue dans le silence.

Judas aurait semé pour des moissons clandestines... Quand? C'est la première question qui fêla le doute. A croire que face à l'évidence les souvenirs se font plus fluides, l'homme plissa des yeux incompréhensifs sur le visage stigmatisé de l'Anaon. Une nuit sur le retour de Bourgogne, une de celle qui les avait réconciliés, qui lui avait fait croire qu'elle l'avait pardonné et avait accepté la nouvelle de son mariage... Alors qu'en somme, sans doute, c'était une façon de lui dire A dieu. C'était son dernier élan d'affection, avant de s'en aller. Avant de le quitter.

Combien de temps déjà? Il la regarde comme il la découvrirait. Il se sent misérable. Aveuglé de jalousie Judas n'a jamais songé que sa Roide puisse lui être fidèle, lui qui ne le lui a jamais été. La notion est difficile à intégrer pour un tel personnage. Le calcul est rapide... Les épousailles du premier juillet, l'ultime gage de tendresse une petite semaine auparavant. L'été a vu germer les impensables... Et quelle est l'ivraie de ces terres ensemencées? De l'enfant d'Amour et de celui d'Hyménée? Deux enfants, une seule issue possible. Le secret. "


    Souviens toi que tout cela, a donné naissance à ... Cela.


    Les genoux s'engourdissent, finissent par quitter la neige. Et la main de venir se poser sur les cheveux noirs, et les yeux noirs de se relever sur les bleus.





*- Vous avez dit que c'était la définition d'amour.
- Mais c'est la vérité. Vous devez fermer les yeux et endurer.

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Anaon

"Sentir, aimer, souffrir, se dévouer, sera toujours le texte de la vie des femmes."

    - Honoré de Balzac -


    Oui, elle se souvient. Du moindre coup de sang, des moindres coups du cœur. Des aménités et des louanges, de chaque baiser et leurs estocs, du néant pendant l'Absence, chaque souffle livrant les affres qui lui polluaient l'existence. Oui, elle se souvient des reproches mérités et des souffrances inutiles, bien qu'elle n'ait jamais eu l'occasion d'en savourer la résultante. Si quelques blessures ne sont plus, il en reste les cicatrices, parfois couturées par les mêmes lèvres qui les ont creusées. Les autres suturées à la va-vite au fil de la sagesse, pansées à l'arrogance, anesthésiées d'indifférence.

    L'esprit se gèle, se vouant tout entier au seul être qu'elle tient au creux des bras. Les doigts glacés par le frimas se lovent dans le vair qu'elle ne peut même pas offrir à l'enfant qui en est couvert. Elle, qui ne lui donne contre sa poitrine que le toucher du cuir ou de la laine épaisse. Mère qui se veut si tendre, elle doit paraître bien brute dans ses apparats d'homme, face au velours d'un père qu'elle imagine pourtant moins aimant.

    Crissement de la neige. Une main se pose sur la tête qu'elle ne cesse de contempler, la forçant à lui porter attention. Et les azurites se relèvent pour trouver l'iris plus sombre.

    Le père, la mère et son Messie. La scène prend des airs de Nativité douteuse. Le froid et la neige pour seules offrandes, Joseph jouant les traîtres pour crucifier une Marie bien trop païenne et un Jésus à l'essence véritable cacher aux yeux du monde. Un ersatz de famille, qui ne devrait pourtant avoir pour seul synonyme que le mot Bonheur. Les prunelles échappent au regard voisin pour s'échouer sur les lèvres qui demeurent closent. Ces lèvres, dont elle n'avait toujours languit qu'une seule chose. Qu'un simple mot...Un simple petit mot qui aurait pu, si souvent, tant désamorcer. Aujourd'hui encore, les quelques lettres ne franchissent pas l'orée des lèvres. Et l'Anaon ne dit rien. Il est des choses qui n'ont pas de valeur s'il faut les excaver...

    Le regard se relève un instant sur son vis-à-vis avant de s'en détourner pour embrasser le vide et baiser à nouveau, tendrement, la tempe tant convoitée.

    _ Amadeus... C'est un joli nom...

    Qui est le destinataire ? Elle laisse planer le sibyllin. La mère se détache alors doucement pour contourner le seigneur et avancer de quelques pas dans la neige. Les bottes se plantent alors devant la grande porte pour un face à face muet avec Petit Bolchen. Réajustant l'enfant sur sa hanche, elle couvre une fois encore les murs d'un regard mélancolique.

    _ Vois... C'est là que tu aurais pu naître...

    Timbre absent. Le visage se baisse sur l'enfant qui semble avoir trouvé plus intéressant en la tresse qu'il a réussi à attraper de son autre oreille. La mercenaire se tord alors quelque peu pour observer Judas.

    Elle aussi, elle veut revivre ses souvenirs.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
Le contact avait été noué, moins brutal que redouté. Plus posé, pas moins coeur serré. La voix éraillée sonna monocorde.

Amadeus est celui qui aime dieu.

Oui, c'est encore aller à contresens de tes amours païennes... De ta vie sans maitre. Je l'ai fait baptiser.

Il regarde les deux visages qui se font face, les plis consciencieux de l'enfant concentré et sévère sur l'entrelacs de la tresse brune. La ressemblance est évidente. Elle lui parait soudain grotesque. Comment Isaure pouvait-elle imaginer qu'Amadeus-Foulques Kenan Von Frayner était de son sang? De la moindre de ses chairs ? Comment pouvait-elle ne serait-ce qu'assimiler son odeur enfantine à son fait? Pour des yeux bleus, une mère s'inventerait le monde...! Pour aimer... Pour aimer un enfant!... Une mère enfanterait sa tombe. Amadeus a les cheveux noirs, du reste, il est tout Anaon. Ses jeunes jours surannés. La crédulité d'Isaure en vérité n'existe pas. Ne demeure que la folie de Judas, pour cet échange contre-nature le soir de sa naissance. Et maintenant que tout est scellé, que reste-t-il a léguer à la vérité? Il se heurte à ses yeux qui le cherchent. Toujours déroutent et désarçonnent son apparente maitrise. Que reste-il à te léguer Anaon...

Il a emporté avec lui son avenir, ce soir trop solennel. Comme un objet précieux, dérobé dans son écrin à peine ouvert. Il fouille le cobalt comme attendant de lui une vérité divine, une marche à suivre. Pour la première fois depuis longtemps, Frayner se sent désemparé. Maintenant qu'il avait obtenu, qu'attendait-il ? Qu'espérait-il de l'avenir? Qu'espérait-il qu'elle espère... De l'avenir. Les grands traits brouillons revinrent entacher le tableau. Les infinis indissolubles. Elle n'avait jamais voulu être sa maitresse, il n'avait jamais donné assez. Sa remarque sur le lieu de naissance du petit le tira des bras de ses vieux démons. Il plissa les yeux sur la fenêtre de leur chambre. Cette fameuse fenêtre.


***
"- C'est aussi mon enfant, regarde, il a des cheveux plus noirs que tout... Il est si... Beau.

L'homme se déraidit, il retrouve le giron d'Anaon et s'assoit au bord de la paillasse à ses cotés sans pour autant lui restituer l'objet de tous les désirs.

- Ce ne sera jamais l'enfant d'Isaure non, nous le saurons... Elle a donné naissance à une fille, qu'elle m'a donnée morte. J'imagine que c'est pour la punir de cet affreux cadeau que le Très Haut la laisse moribonde... Elle était sans doute trop jeune pour enfanter. Demain je me lèverai peut-être veuf, entends- tu? Seul et vieux, mon fils unique diable sait où, chez les hérétiques, touché par une épidémie ou pendu par des soldats pour être né au mauvais moment, au mauvais endroit.


La conclusion est teintée d'altruisme, pourtant malgré lui, machinalement Judas parle en son nom:

- Personne ne mérite cela.

Les doigts nervurés de veines masculines viennent effleurer la lèvre enfantine qui par réflexe cherche un rassasiant téton en l'index paternel. Surpris, le seigneur laisse faire, attendri par ce qu'il croit prouesse alors que n'est que naturelle manifestation. Le visage se tourne vers la balafrée, il renchérit, fervent.

- Laisse moi l'élever, laisse moi en faire un noble rejeton au pain blanc, tu sais bien que je lui offrirai tout...!

Tout ce que tu ne pourras jamais lui offrir. Tout et plus encore, jusqu'à une mère de substitution.

- Tu le verras, je te le promet. Tu le verras grandir et te ressembler, laisse moi lui donner une vie sans déshonneur...

Car déshonneur secret n'existe plus. Et qui lave le déshonneur de qui? Déjà il prend la courtepointe qui choit sur la couche de l'amante, cet enfant c'est le sien et jamais il ne laissera les bruits de couloir du nivernais colporter son infortune , son épouse mal-enfantante qui n'est bonne qu'à parader en société, son union infructueuse aux tristes récoltes.

Allez Roide, ne rend pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont... Le nouveau né est couvert soigneusement, précautionneusement le duvet brun de son crâne est offert à portée des lèvres maternelles. Dehors c'est la tempête.


***

C'est sûr... En Anjou le printemps avait tardé à arriver.

Veux tu entrer? Il n'y a personne.

Même plus mon âme.

Et puis j'ai froid. Regarde moi.

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Anaon
" Ce qui atteint le coeur de la mère ne monte qu’aux genoux du père. "
    - Proverbe Polonais -


    Oui, enfant de baptême, Judas le lui avait dit. Pendu à la corde des imbéciles et des moutons. Le visage se serre un instant, l'étau des bras s'affirment contre l'enfant, comme si la mère craignait qu'on le lui enlève. Comme si songer à ce premier sacrement l'éloignait déjà un peu plus d'elle. Jamais Anaon n'aurait baptisé son fils. Jamais elle ne l'aurait voulu. Le bénir de la foi de ses bourreaux... ce serait... leur donner raison. Soutenir leurs exactions, pardonner l'opprobre. Pardonner les cicatrices. Pardonner qu'ils l'aient détruite. Ce serait excuser la perte de sa fille... Ce baptême est une insulte à la face de l'Anaon. Les lèvres n'éclosent pourtant en aucun reproche. La balafrée est trop lasse pour la moindre algarade. Et quand bien même... ce qui est fait est fait.

    Ama Deus. Qui Aime Dieu. C'était pourtant logique... Étrangement le prénom lui est bien moins plaisant tout à coup.

    A la question du Von Frayner, l'Anaon hoche doucement la tête. Elle attend pourtant qu'il fasse le premier pas pour oser y entrer à son tour. Et alors les bottes quittent la neige pour poser le pied sur la première dalle de la grand-salle de Petit Bolchen.

    Les yeux s'accoutument à la pénombre latente et à peine la mercenaire s'est-elle avancée qu'elle s'arrête déjà, figée. Les murs ne transpirent plus rien d'autre que le silence. Couverts d'oripeaux de poussière, là où des cascades de soupirs jouissaient contre la pierre désormais bien froide. Elle se souvient de cette salle où elle avait traîné son âme la première fois, vivante et mouvante. Un tapis de chairs enchevêtrées, des bouches scellées au vin et aux seins, martelant le roc de leurs rires avinés ou de gémissements feutrés. Il ne reste plus rien de cette cour discordante que le souvenir qui s'est gravée dans les méandres de l'esprit mercenaire.

    Le corps se met en branle, avec la lenteur des processions funèbres. A trop chercher à se souvenir, l'oreille se créent des sons et lui fait croire à des murmures s'exhalant des fissures, des chuchotements derrière les tentures. L'Anaon se surprend même à regretter de ne plus entendre gémir les murs.

    Les azurites accrochent la béance de la cheminée.


      "Reste. Tu es chez toi ici, si tu le veux."


    Les lèvres se pincent, dans un simulacre de sourire qui se regrette. C'était presque, déjà, la première promesse avortée. La mère continue sa marche, une main qui vient couvrir avec affection le crane enfantin. La grand-salle est abandonnée, la cuisine gagnée. La balafrée prend un soin presque inconscient à toujours devancer le seigneur et instaurer la distance, coupant court à la moindre tentative de dialogue. Les grandes marmites de laiton n'habillent plus la gueule de l'âtre et les matrones ne sont plus là pour s'échanger leurs ragots. Les prunelles se posent sur un buffet qui éveille en elle quelques souvenirs impudiques. Elle continue.

    La porte dérobée est empruntée, le trio passe sous la travée dans ce même silence. Religieux. Une marche blanche pour leurs amours infirmes. Chaques pierres du castel lui rappelle quelque chose. Un mot, une caresse ou un sourire. Cette pièce aux poisons et ses dames de verres... Ce simple escalier où Judas l'a porté comme une épousée. Et cette chambre... où l'Anaon s'arrête.

    Kenan s'agite dans ses bras, cherchant à voir le seul visage qui lui est connu, une menotte minuscule se tendant vivement vers le paternel dans l'attente, sans doute, de saisir on ne sait trop quel jouet. La mère ne bouge pas, les yeux rivés vers l'intérieur de la chambre sans se résoudre à en franchir le seuil. Combien de ses soupirs se sont fracassés contre ces draps ? Combien d'autre y ont échoué leur parfum... Combien de fois sa femme s'y est-elle perdue... Ce n'est plus rien d'autre qu'un tombeau, qu'elle-même, fantôme, ne peut plus hanter. La mercenaire ne s'y attarde pas, coupant court à ses pensées qui spéculent sur ses autres qui ne sont pas elle. Sur cette Elle, à l'anneau d'or. De vingt ans sa cadette et tyran sur sa vie. Le pas reprend, monotone, dans le déroulé de pierre grise.

    Une inspiration se prend, profonde, les lèvres s'ouvrent. Mais les mots se bloquent. Comme un agglomérat de roches coincé dans sa gorge. Oui... Lui parler directement lui brûle les cordes. Pourtant, la mercenaire se tord d'un effort, le pas ralentit un peu et la parole sort, insipide... Un masque placide pour couvrir un monceau de regret.

    _ Pourquoi as-tu vendu Petit Bolchen …

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
A trop la voir lui échapper, il s'était forgé une raison. Lorsque lassé de suivre son ombre mouvante, Judas avait laissé du mou à sa poursuite, il s'était imaginé qu'elle échouerait bien quelque part où elle le laisserait s'approcher. Il respectait cette distance qu'elle imposait pour avoir manqué de sa proximité, de celle de son fruit, d'autres peut-être aussi. Judas avait posé son épaule contre le mur, posté en silence non loin de l'embrasure de cette porte. Son ancienne chambre. Il n'y avait qu'à la regarder, là, se faire poussière parmi la poussière pour être transpercé de ses ressentis. Il détestait cela. Ressentir à l'insu de son plein gré, c'était détestable. Mais il se tût. Il ne risposta pas. Il se contenta de les observer tous deux, postés sur ce seuil ressurgi sur passé. Il ne broncha pas plus lorsqu'elle lui parla enfin, vraiment, comme si finalement... Il est des questions auxquelles on s'attend.

Parce que ce qui faisait l'essence de cet endroit s'est évanoui, sans que je ne puisse la retenir. - Comme toi.

Avec le temps, avec l'absence, la solitude, avec Isaure, avec les jours, les mois et les années. Insidieusement, la grisaille avait pénétré l'enceinte, franchit la porte, s'était étalée sur l'or et l'étain, immiscée dans son lit, mise à suinter par ses pores...

Et un jour il s'était réveillé. Dans un lit froid au draps linceuls, sans plus envie d'y inviter une femme, sans plus y laisser que les chiens coucher. Paris avait englouti Anaon, et la guerre avait éloigné les rêves et les fables du bois. Les poissons s'étaient mis à crever dans le vivier et Judas avait quitté la Bourgogne pour respirer un air moins vicié par un quotidien devenu sacerdoce. Parce que Petit Bolchen était le castel du temps de son Célibat, et que ce temps était mort, exhumé sous des monticules de choix sceaux. De sot choix. Se lever chaque matin et faire comme s'il n'en était rien était une injure à lui même, quand bien même Rose avait tenté d'égayer l'endroit avant d'elle aussi se tuer d'un mariage, quand bien même il avait espéré retrouver le palpitant qu'un corps défendu savait jadis lui faire ressentir, quand bien même il avait obtenu ce fils qu'il se targuait tant de pouvoir montrer à la face du monde. Il avait même fait contre mauvaise fortune bon corps en prenant une maitresse bretonne, l' épousant au secret de quelques obscures prières avant de se mettre à la haïr d'être sans doute trop humaine.

    Pourquoi l'avoir vendu hein... Dis, pourquoi on vend son âme au diable, Meine Liebe* ?


Le seigneur passa une main nerveuse contre sa tempe , à la lisière de ses cheveux raides et noirs. Puis dépitée, narquoise et acide, la main cynique balaya l'air comme cherchant à accuser l'environnement de pierre et de silence. Une épaule amère enroule le geste.


J'ai cherché autre chose.

Et il se met enfin, enfin oui et à peine, à la détailler. Sa posture, ses vêtements, son air étranger qu'il lui sait tellement surfait. Son fils à la hanche, sa façon de s'adresser à lui. Comme s'il était ailleurs, comme si elle ne le voyait pas. Sa distance, légitime, terrifiante. Les yeux fuient le contact qui la rendrait plus rétive, de toute l'histoire qui l'a toujours liée à lui, c'est par sa façon de la réaprivoiser que Judas a su se garder l'Anaon. Et toute la violence érigée entre eux n'aurait jamais été sans ces terribles instants de douce crainte qui les rapprochait toujours, étrangers liés, l'un de l'autre. Elle reprend sa route, l'épaule se décolle du mur, il entre dans la pièce pour aller se poster à la fenêtre.

Je n'ai rien trouvé.

En bas, dans la neige, des empreintes de pas se rejoignent au centre de la cour, formant un creux béant en son coeur. Et un profane à bien y regarder ne saurait dire si ces traces racontent une séparation ou une réunion.

* Mon amour
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Anaon
"Les femmes se défendent en attaquant, et leurs attaques sont faites d'étranges et brusques capitulations."
    - Oscar Wilde -


    L'essence est partie oui... Tout ce qui rendait Petit Bolchen si arrogant n'est plus. Sa débauche, ses intrigues. Ces facettes qu'Anaon, en fin de compte, avait toujours méprisées. Ces visages, qui ne l'avaient jamais laissé indifférente. Fascination malsaine du serpent. Le castel n'avait toujours été qu'un Judas fait de roc et de bois. Avec ses inconstances. Écrin de velours sur une âme de métal. Écrin de métal sur un cœur de velours. Et dans un sursaut d'égocentrisme, l'Anaon se demande si elle a pu être, pendant un temps, une parcelle de cette essence.

    Les pas reprennent dernière elle, mais surprenament ne la suivent pas. L'enfant s'agace dans un couinement contrarié de ne pas voir son père accéder à ses désirs. La mère, que ce fils ne reconnaît pas comme telle, se force à l'arrêt. Les yeux se ferment. Le front se plisse. Et l'Anaon sert les crocs. Soupir... Le poupon gémit contre l'épaule et les azurites s'ouvrent sur le petit visage à la moue boudeuse. Les lèvres s'entrouvrent... désemparées. Cœur rongé de velléité. Blessé cependant de n'être qu'une inconnue pour les yeux enfantins. Les bottes impriment un demi-tour et la mercenaire s'arrête à nouveau, sur le seuil de la chambre.

    La pièce baigne dans la lumière lactescente déversée par la fenêtre, invitant sur les meubles et les pierres le blafard de l'hiver. L'ambiance est nimbée d'un soupçon d'irréel... La silhouette de Judas se détache du fond blanc, détouré d'un liseré d'opale. Un frisson souffreteux lui couvre les flancs. On croirait a une icône sacrée. A le voir ainsi, simplement, elle se rappelle douloureusement à quel point elle a pu l'aimer. Son oiseau de malheur, dont elle s'est tant plu à caresser les plumes... Les prunelles parcourent lentement la silhouette jusqu'à ruisseler sur les longs cheveux noirs. Ces cheveux, que ses doigts frémissent encore de vouloir en dénouer les crins.

    Lentement, un pied se pose dans la chambre, comme on mettrait le pied dans une tombe. Sans un son. De peur que par profanation, un cadavre enfoui ou quelques détestables secrets ne se réveillent de la poussière. A pas de loup, la mercenaire parcoure la distance qui la sépare de Judas, distillant dans la pièce des regards inquiets. Inexplicable malaise. Mais une fois arrêté dans le dos du seigneur, le cobalt a tôt fait de retrouver ses bottes.

    La main se détache du corps pour faire tournoyer la petite branche de gui toujours pincée entre ses doigts. Depuis le premier jour, l'Anaon s'était enfuie et Judas perpétuellement échiné à la retrouver. Toujours la même histoire de poursuite et de retrouvailles, où l'Anaon avait sans cesse concédé au premier pas vers la réconciliation. Mais cette fois-ci tout était tellement plus grave. Plus impardonnable. L’œil se mire dans le reflet nacré des petites boules blanches.

    _ La Modra Necht... C'est un peu... la fête des mères. C'est la Nuit-Mère, durant laquelle les hommes offrent le houx aux femmes, et les femmes le gui. Les boules rouges, çà représente la force et l'ardeur avec laquelle il faut savoir protéger ses amis et défaire ses ennemis... Les blanches... C'est pour la tendresse... avec laquelle on doit traiter ceux qu'on aime... C'est un peu... comme une promesse...

    La main se lève légèrement en direction de Judas. Si l'Anaon n'avait été Anaon, en plus du cœur gros elle aurait eu les yeux plein d'eau. Mais le marbre avait eu le temps de renforcer l'Ebréchée. Jouant comme une argile asséchant ses rivières, laissant les azurites à nouveau froides et immuables. Fuyardes pourtant. Le geste est cependant là, fébrile et hésitant, dans l'attente.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines


Dernière édition par Anaon le 10 Jan 2014 22:06; édité 2 fois
Judas
[Femme surprise est toujours prise.]

La Modra... Quoi.

La modra necht, la fête des mères? Judas détache ses yeux de la neige retournée pour se retourner vers son vis à vis, soudain si proche, si proche que c'en est vertigineux. Sans le vouloir, il amorce du menton un léger mouvement de recul, surpris de la proximité mais surtout du détail de ce visage, là, son visage. Les yeux bleus qui semblent dire " Alors" , la main qui se tend pour dire "Encore", et cette apnée au bout des cils, comme si un souffle de Lui pouvait tout faire voler en éclat, cette approche château de carte. La responsabilité écrase. Judas de toute sa hauteur, se fait tout petit en dedans. Les yeux noirs n'ont plus de garde-fou. Judas Von Frayner semble soudain peiner à atteindre ses genoux.

Il voit la main, sans la regarder. Obnubilé par sa proximité. Ce n'est pas celle de tout à l'heure, lorsqu'il lui a porté son fils. Ce n'est pas celle de tantôt, lorsqu'il suivait son sillon. C'est celle qu'elle a décidé de lui accorder. Celle qu'elle a appliqué délibérément, de sa propre volonté. Anaon accepte de se laisser de nouveau apprivoiser. Et voyez, c'est comme ... Les merveilles d'un cycle naturel. Lorsque l'on retrouve le plaisir du printemps apres l'hiver. Lorsque lassé de l'été, l'automne vient apaiser. Le perpétuel retour de la normalité. l'ouverture de la chasse, les jours giboyants. La fin du carême. Anaon concède, honneur extrême. La direction des traces de pas est devenue limpide. Parlante.

La cuirassée saisit avec une infinie délicatesse le grain blanchâtre, démentant toutes les horreurs qu'on lui prêtait, éclipsant toute sa perfidie naturelle et ses exactions passées. L'enfant tendit les bras avec véhémence, et obtint ceux de son père, comme si ceux ci étaient réellement le refuge parfait qu'il réclamait. Judas avait revêtu sa conscience de velours, celle qu'on lui prétendait inventée. Fabulée. Mais qu'on lui supposait toujours lorsqu'il accédait à un instant de tendresse. La main qui nourrit, la main qui affame, dirait Cerdanne.

Il n'avait pas de houx. De rouge, qu'une pierre parmi les bagues dont la Roide se foutait, de piquant que sa volonté soudaine - quoi qu'éternellement latente- de la reconquérir. Il laissa Amadeus enfouir son nez dans l'épaisse fourrure de son col, et laissa le gui rouler dans sa paume refermée.


J'ai vendu Petit Bolchen à Amadeus.

Voilà. Ta Modra necht. Pourquoi serions nous encore ici si le castel était devenu propriété étrangère... Je ne fais pas que des promesses, lorsque je t'aime.
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Anaon
" Heureux les amants séparés et qui ne savent pas encore qu’ils vont demain se retrouver. "
    - Jacques Brel -


    La main s'approche. La branchette glisse de ses doigts. Les azurites contemplent le seigneur se saisir de la petite perle végétale dans un soulagement craintif. Avec l'émotion qui vibre d'un "peut-être". Un mince espoir qui se gausse de la fatalité. Le cœur se risque à une respiration, avec toute la retenue dont il a choisi de se draper, pour se protéger de lui-même. Camisole de sagesse pour une passion bien délétère. Les prunelles se mêlent à leurs jumelles d'ardoises, troublées, un instant, elles perdent leur contenance et se font bien fragiles alors qu'elles cherchent dans les miroirs du seigneur l'évidence de la sincérité. Non, ce geste n'a pas le protocole des serments, il n'en a pas même la valeur... Pourtant, pour l'Anaon, l'acceptation dans ce silence est presque aussi sacrée que les vœux d'un jour de noce. Ça en a la fébrilité. Car c'est un Peut-être. Comme un bourgeon de cristal en plein hiver. Le frisson malgré l'infection.

    Malgré les doutes, une résilience...

    Le sursaut de Kenan la tire brusquement de sa contemplation et l'enfant s'arrache à elle en lui emportant à vif un lambeau de poitrine. L'Anaon reste en suspend, pantoise, les bras ouverts dans le vide.


      "Comprends que tu n'existes pas aux yeux du monde. De mon monde."*


    Elle a froid, soudain. Terriblement froid. Les doigts se recroquevillent avec lenteur. Elle n'existe pas même pour les yeux de son fils. Dieux, qu'elle en est écorchée... Le comprendre... Elle peut le faire. S'y résoudre... ça lui est impossible. La dextre se fait cependant précautionneuse et se pose avec affection dans le dos de l'enfant.

    J'ai vendu Petit Bolchen à Amadeus.

    Blocage.
    Anesthésie de la surprise.
    Afflux de la compréhension.

    Un couperet qui tombe. Pourtant, une lame sans douleur. Le regard se trouble puis s'arrache brusquement de l'enfant pour trouver le père. Quoi ? Les mots lui tournent dans l'esgourde sans trop trouver de fondement. Les prunelles sautent d'un œil à l'autre et cherchent... et cherchent... et cherchent quoi ? Une réponse ? Elle n'y a pas même de question à poser. Elle ne sait pas même quoi en penser. Quoi en comprendre. Mais a t-elle bien entendu ? Le front se plisse un peu, l'Anaon tente de retrouver pied. Et le regard accroche Kenan lové dans les bras de son père. Est-ce que... alors... Alors Petit Bolchen n'est pas entièrement perdu...

    Il lui faut quelques instants à la mercenaire pour se remettre les idées en place avant d'ouvrir la bouche... d'abord, sur une inspiration vide... ensuite sur quelques mots.

    _ Alors... et où êtes-vous maintenant ?

    Ce n'est pas tout à fait la question qui correspond. C'est néanmoins la seule compréhensible qui franchisse ses lippes.

Judas, extrait de "Mais putain, je t'haine"
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
Judas
    Anaon : Aimes-tu toutes les catins que tu prends?
    Judas soupire.
    Judas : Arrête...
    Anaon Hausse les épaules.
    Anaon : Simple ricochet de question.
    Judas pense à voix haute
    Judas : En fait tu n'as jamais réellement cru que je n'aimais que toi.
    Anaon fait tourner sa chope entre ses doigts.
    Judas boit quelques gorgées de la sienne.
    Anaon : Je ne sais pas...
    Judas : Moi non plus, je ne sais pas.
      [Lors d'un certain voyage en bateau. ]


Il savoure la surprise mal gérée de la Roide, fouillant de ses yeux indiscrets les moindres signes d'icelle. Oui, le castel est encore dans la famille, sans qu'il ne daigne pourtant le faire revivre. Le regarder. Il s'imagine que plus tard, un jeune et beau garçon aux yeux bleus et aux cheveux noirs viendra y voir sa mère lors de secrets rendez-vous. De parenthèses interdites. Il condamne la maternité de l'Anaon sans pour autant lui retirer l'éventuelle chance d'un avenir. La main qui prend, la main qui donne. Toujours. Ce parfait équilibre entre son égoïsme et son altruisme. Croit-il.

Dans ses bras, l'enfant semble s'endormir. Le nez dans le vair, il ne pipe plus mot, et ses bras se font mous quand ceux de son père resserrent leur étreinte. Un bambin en partance. Le seigneur observe la question sous ses coutures les plus pratiques et raisonnées, avant de s'interdire la manoeuvre. Se demander si c'est une idée raisonnable que de lui donner l'endroit où vit désormais son fils n'est jamais qu'un pas en arrière... Il n'a pas rejoint la Roide ce jour pour continuer de lui dissimuler des détails par crainte qu'elle ne bouscule ses précautions... Ce serait absurde. Ce serait faire un pas en avant, pour reculer, oui. S'il est là, face à elle, c'est qu'au fond... Le temps nécessaire est passé. Il se fait violence. Il se déteste pour cela. Pour devoir s'arracher des choses qu'il ne devrait plus abriter. Soucieux de ne pas réveiller Amadeus, il se pencha à son oreille. L'odeur retrouvée de sa peau lui fit fermer les yeux comme on courberai l'échine devant la potence.


Un petit manoir sans prétention, en Alençon.


Le Domaine Royal. Le plus bourguignon des Von Frayner a tiré sa révérence, s'est mis au vert. Comme s'il voulait faire oublier à l'histoire entière ce qui découlait de Bourgogne. Beaucoup de choses avaient changé dans l'année. Beaucoup. Mais l'amour malsain qu'il nourrissait pour la roturière n'avait pas moufté. Il finit par faire un pas, tanguant volontairement pour bercer l'héritier. Et maintenant? Oui maintenant, comment allaient-ils gérer les au revoir? Comment réagirait-elle... A un nouvel enlèvement? Il fronça des sourcils inquiets, et frissonna. Rester statique laissait le froid pénétrer au coeur même de sa peau, sous le cuir et le reste. Judas murmura:


Je ne dois pas tarder... Veux-tu...?

Quoi? Demander quelque chose? Embrasser ton fils ? Fixer un rendez-vous futur? Les mots ne vinrent pas. Judas avait envie de la prendre dans ses bras, mais la place était déjà prise. Et puis, qui sait s'il aurait pu. Il pencha un peu la tête de coté, contrit. Que dire. Maintenant qu'elle savait pouvoir voir son fils ici, venir hanter le castel sans être inquiétée, Judas pouvait reprendre la route un peu plus serein.


    Anaon : un mois au lit...
    Anaon : tu veux ma mort!
    Judas : je veux sa vie.
      [D'une discussion sur le dernier mois de grossesse ]

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