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[RP juillet] Mais toujours le plaisir....

--Adryan
.... de douleur s'accompagne.
Pierre de Ronsard.


La journée s’étirait, cruelle de fatigue et éclatante d’une joie malsaine.

De la nuit précédente, il n’avait pu tirer le moindre repos. On ne dort pas la veille d’un duel à outrance. Le ventre trop noué d’un fatras enchevêtré de peur, d’excitation, d’impatience, de repli, l’épée dont la lame luisait à la flamme vacillante d’une chandelle puant le suif avait avalé son sommeil, le narguant quand il restait immobile, affalé dans son fauteuil précieux.

La nuit était encore pleine quand avait ricoché le battement régulier des sabots de sa monture entre les rues étroites et sombres de Paris. L'Ile Notre Dame avait étrangement été délaissée quand le regard du Castillon restait fixé au nord est. Montfaucon. Le nom lui seul frémissait déjà des effluves de la mort, et sournois, Adryan dans ce choix avait asséné entre les tempes chauves l’image effroyable du gibet. Ses pas avaient été les premiers à parcourir la butte et ce fut dos au bâtiment massif, dont les seuls ornements étaient les pendus dansant dans une brise funeste, qu’il avait attendu, toute son angoisse enferrée dans la seule menace de rester seul. Pourtant, il était arrivé, un petit page emplumé lui courant autour la mine défaite. Adryan n’avait pas dit un mot, détaillant la silhouette graisseuse s’avançant vers lui, commençant à articuler des mots qui ne trouvaient aucune oreille mais seulement une haine froide et profonde. Pour couper court à toute retraite, l’épée au pommeau gravé de motifs orientaux avait été tirée du fourreau sonnant, implacable, le début du duel. Malgré son adiposité répugnante, l’homme était fort et habile. Habile au point que la lame adverse ripa aux côtes d’Adryan lacérant sa chemise blanche d’un écarlate outrageux. La douleur avait été vive, aussi cuisante qu’une gifle, gonflant le Castillon d’une rage neuve qui d’une botte convoitée avait engouffré la pointe de son épée à la gorge flasque pour l’ériger victorieuse à l’arrière du crane nu. Planté ainsi, l’homme lui avait lancé un ultime regard surpris avant de s’écrouler, les yeux encore ronds de stupeur. Longuement, Adryan avait toisé le corps sans vie, la lippe méprisante, puis d’un geste brutal avait extirpé sa lame de l’amas sanguinolent. Dans le silence lourd qui s’était abattu sur la campagne, la voix d’Adryan ne s’était élevée qu'une unique fois.

Jusqu’au dernier écu, Grateloup, je t’ai remboursé, et en guise d’intérêt, je t’offre la botte des Saint Flavien et en marque ta mort aux yeux de tous.

Quelques piécettes jetées dans la pogne crasseuse d’un gueux déniché au hasard, maquillé pour l’occasion en improbable témoin, brides de son cheval en main, Adryan était rentré chez lui avant de prendre son poste à l’Aphrodite et de mener un duel tout autre.

Un martèlement des doigts sur le panneau de bois ouvragé. Aucune réponse. Adryan ouvrit la porte sur le bureau d’Alphonse, soulagé de le trouver vide. Son teint était pâle, ses yeux maquillé d’un voile mauve mais rien ou presque ne trahissait la naissance de sa journée. Sa mise était impeccable, mais la démarche vaguement incertaine, légèrement courbée par la douleur vicieuse cachée sous les bandages mais surtout sous le poids de l’alcool invité sans carton dans le sang du noble. Alcool pour soulager. Alcool pour fêter. Otant son pourpoint sur sa chemise ample d’un blanc immaculée, il prit la place qui était la sienne depuis quelques jours. Place de l’autre coté du bureau patiné, face au brun dont méticuleusement à nouveau, il fuyait le regard, se contentant de quelques mots quand enfin les colonnes de chiffres étaient alignées dans un ordre parfait. Et c’est ce qu’il commença à faire, cherchant à se concentrer sur sa tâche, mais devant l’anthracite, les chiffres dansaient une gigue endiablée, et ses efforts à masser la naissance de son nez restaient sans effets.

Pourtant, il le savait, aujourd’hui plus que jamais, il devait fuir la présence d’Alphonse…
Alphonse_tabouret

S’il avait pu, Alphonse aussi aurait fui la présence d’Adryan, trouvant l’obligation de cette nouvelle cohabitation, même si elle ne durait qu’une heure par jour au plus, particulièrement insupportable, aiguisant immanquablement quelques sursauts de mauvaise humeur dont il refrénait autant que possible les ondes, refusant de céder une miette de ce qu’il estimait être déjà trop d’une attention dont il était volontairement scrupuleusement avare. En général, la scène était toujours la même. Les deux têtes brunes restaient obstinément penchées, chacune de leur coté sur les chiffres qui s’alignaient dans un silence que seules les plumes se permettaient de rompre dans un bourdonnement doucereux. Les mots étaient rares, souvent tranchants, toujours jonglés, et nervurés d’une colère tue mais partagée à subir la présence l’un de l’autre. Adryan parce qu’Alphonse lui rappelait, sans le savoir, le délice d’une déviance qu’il abhorrait, le comptable parce que son hôte profanait un des rares sanctuaires qui n’était qu’à lui en y légitimant sa présence.
Immanquablement, par pure provocation, Alphonse choisissait dans ses masques celui dont il avait perçu le plus d'animosité voilée de la part de ce nouveau parasite et ne manquait jamais de lui assener quelques syllabes aux courbes félines, chafouines, dès qu’il passait la porte, dans un sens comme un autre. A son entrée pour jeter un froid immédiat et éviter la quelconque possibilité d’une causerie qu’un évènement inattendu aurait pu susciter malgré lui, à sa sortie parce qu’il savait que le Castillon choisirait plus facilement l’exil à un duel verbal.

Poussant la porte de son bureau, son regard découvrit la silhouette d’Adryan déjà affairée, les doigts enfouis sur un visage parsemé de diverses sensations indéfinissables, et un instant, de dépit de le trouver encore là, il leva les yeux au ciel avant de se recentrer, promptement, forçant un sourire en coin quand il s’approchait, passant, volontairement mais inconsciemment près, à fleurer l’éclat blanc du tissu qui cachait la plaie fraiche du matin même, car c’était souvent quand il en avait le moins envie, qu’Alphonse revêtait ses plus beaux habits, goutant dans ces victoires-là, une satisfaction supplémentaire présomptueuse et arrogante : s’il voulait, il pouvait.
Nul mot échangé dans le silence qui ondoyait dans la chaleur confinée du bureau les deux hommes s’étant déjà croisés au bar plus tôt dans la soirée, lors de l’ouverture des portes du bordel, le flamand veillant chaque soir à passer quelques heures en compagnie du personnel et des clients, vestiges solides d’un savoir-faire commerçant quand il n’œuvrait pour rien d’autre qu’un mort.
Il avait trouvé le nobliau palot mais plus exalté que de coutume, et s’il avait mis ça sur le compte de l’alcool dont la flamme ondulait avec une ivresse mauvaise dans sa prunelle, Adryan avait parfaitement géré son comptoir et n’avait causé aucun problème qui aurait nécessitait une intervention directe. Désormais en tête à tête, seuls, retranchés dans ce bureau qui, pour quelques instants devenait le terrain de jeu du dédain, du mépris et de la curiosité, le comptable savait qu’il ne résisterait pas à profiter de l’étrange humeur qui se lisait sur le visage gracieux et marqué du brun pour faire claquer la mâchoire de cet hôte imposé. Passant derrière son fauteuil, il ouvrit la large fenêtre, laissant les parfums de bois précieux de la pièce s’évaporer doucement dans la fraicheur d’une nuit qui s’achevait, puis s’assit, saisissant un parchemin, et lâchant, sans même jeter un coup d’œil à son interlocuteur, une vérité dont il était sûr qu’Adryan ne pourrait pas vraiment le contredire :


-Vous avez une mine épouvantable.
_________________
--Adryan
Sa tête dodelinait doucement, trop pleine de l’intensité de la journée, trop entêtée par l’ivresse suave qui battait entre ses tempes d’un feu apaisant quand le cliquetis de la serrure l’enferra dans une immobilité tardive. Il ne broncha pas en écoutant les pas s’avancer sur le parquet, se hérissant au frôlement d’Alphonse. Il avait été trop lent. Trop saoul pour se soustraire à la présence toute légitime mais sauvagement odieuse du brun. Tête penchée sur son vélin qu’il ne parvenait à noircir, il n’espérait plus qu’une chose, le silence habituel. Comme il se trompait. Et la voix retentit, doucement bourdonnante à ses tympans, rugueuse d’une déférence fausse, cherchant à égratigner.

Mais contre toute attente, ce ne fut pas une réplique cinglante qui fusa de ses lèvres, mais un rire sardonique qui vibra entre les murs de la pièce, projetant sans honte la tête du Castillon sur le dossier du fauteuil, exhibant le sursaut de sa pomme d’Adam quand il déglutit pour retrouver constance. Et dans un sourire fendant sa bouche avec dédain, son regard trouble vint se poser sur le comptable, retrouvant certes la beauté honnie de ses traits, mais aussi cette morgue sans pareille, s’enlaçant l’une à l’autre dans un ballet complexe de sentiments répudiés. Sa voix était âpre, dure quand il répondit.

Croyez moi, certains ont une mine bien plus épouvantable que la mienne
, étira t-il dans une lueur morbide quand sa mémoire retraçait avec une férocité palpable le visage épouvanté du chauve embrassant la mort à pleine bouche. Mais merci lâcha t-il goguenard. La fenêtre ouverte laissa glisser sur sa joue une brise fraiche à laquelle il ne put résister, et incapable de freiner la faible évasion à laquelle elle l’invitait, repoussa le vélin à moitié griffonné de colonnes branlantes et se leva en prenant appuis sur l’accoudoir. Le pas incertain, il s’en approcha et s’y accouda, tirant d’une main hargneuse sur la chemise qui entravait son souffle pour respirer de pleines goulées d’air, salvatrices inopinées d’une journée trop poisseuse qui semblait ne jamais vouloir finir.

Sans se retourner, contemplant sans le voir le visage rieur d’une lune blanche, le gout de l’orgueil reflua à sa bouche, sauvage. Vous me voyez bien aise de votre touchante attention, cracha t’il cependant tant que mes mains savent tenir une bouteille, ma mine n’a guère d’importance, n’étant plus en charge de trousser la première donzelle rose venue. Sa dextre s’enfouit dans ses cheveux, massant son crane divaguant conscient qu’il venait déjà d’en dire trop, regrettant ses paroles où s’agglutinait la répugnance pleine de sa condition.

Le tiraillement de son flanc lui arrachant une grimace, il se retourna et toisa Alphonse.

La votre n’est pas reluisante non plus
, mentit il effrontément pour s’en persuader, certainement, dans toute sa volonté de s’extraire à son ignoble contemplation.
Alphonse_tabouret
Le rire d’Adryan fut la réponse première, retentissant, lugubre malgré sa teinte, dans bureau et Alphonse,ne se formalisa d’une réaction aussi décalée, estimant, à tort que l’alcool brulait plus violemment qu’il n’y paraissait, les veines du barman, retenant tout juste une moue où le mépris aurait eu la part belle, reconnaissant dans le timbre usé par Adryan tout ce que le vin ou la bière amenait de mauvais à un esprit bouillonnant, entendant au travers d’un écho imaginaire, le rire de son père, et chassant ce souvenir désagréable, s’obligea à considérer la scène sous un angle neuf au vu de la réaction du nobliau, se convaincant que l’occasion était belle d’observer son parasite dans un cocon nouveau.
L’œil attiré par cet inattendu, Alphonse délaissa momentanément le parchemin fraichement saisi, suivant le fil de la gorge tendue, goutant à la mort du tressautement qui l’animait avec un œil plus esthète qu’il ne l’aurait voulu, jusqu’à ce que les yeux gris d’Adryan ne trouvent les siens, les accaparant le temps qu’ils égrènent des mots durs, ensanglantés, osmose parfaite avec la flamme cruelle de ses prunelles.

Croyez-moi, certains ont une mine bien plus épouvantable que la mienne. Mais merci

La mort du chauve n’était pas encore revenue aux oreilles du flamand dont les nuits s’attardaient volontairement dans le bordel depuis quelques jours, choisissant discrètement de mettre l’ordre nécessaire à un voyage droit vers l’Océan, et dont les journées s’étiraient entre quelques heures d’un sommeil alourdies par les vapeurs nocturnes et les lignes de comptes. Il suivit, sans mot dire, une mèche poussée par le vent glisser sur la joue effilée du jeune homme avant qu’il ne repousse, d’un geste las, le travail qu’il avait entamé et ne se lève, précipitant l’intérêt du félin dès lors que sa main s’appuya au dossier de son siège pour le soutenir. Observateur imperturbable retranché derrière une fausse inattention ou un intérêt tronqué par la courtoisie, Alphonse, fronçant imperceptiblement le front, attarda son regard sur la silhouette brune allant cueillir la fraicheur du jardin, notant le trouble du pas, la raideur du flanc, la grâce écornée du nobliau et sut que l’alcool n’était pas père de tous les maux du Castillon ce soir, que quelque chose de plus lancinant avait contaminé sa tête. Pivotant à peine sur son siège, suivant, curieux, sans penser à s’en cacher le cheminement du brun jusqu’à la fenêtre, misant sur la salvation que représentait visiblement cette fenêtre pour qu’il ne lui prête aucune attention, et le changement radical à ses traits lorsque l’air rafraichi lui prenant enfin les poumons lorsqu'il tira d’une main fébrile sur son col pour dégager la gorge, acheva de convaincre le comptable qu’il était victime d’une conversation dont il ne maitrisait ni le sujet ni la direction.. Enfin, la voix du barman retentit à nouveau, pleine d’une telle morgue qu’un instant, Alphonse se demanda si elle lui était adressée, habitué à la déférence ironique du parasite et en aucun cas à un ton aussi nettement agressif :

Vous me voyez bien aise de votre touchante attention, cependant tant que mes mains savent tenir une bouteille, ma mine n’a guère d’importance, n’étant plus en charge de trousser la première donzelle rose venue. Un instant, Alphonse eut l’impression que le Castillon lui-même perdait pied au sein de sa phrase, que sa présence n’était qu’un prétexte à quelque chose qui pesait âprement sur ses épaules et lorsque il se retourna pour planter son regard anthracite dans le sien, ne broncha pas, de plus en plus envieux de connaitre la suite de cet égarement dans la grimace qui se dessina, fugitive , sur les traits du jeune homme. La vôtre n’est pas reluisante non plus.

-J’ignorais que vous étiez soucieux de ma santé au point de le remarquer, rétorqua le flamand dans un sourire qu’il força à naitre immédiatement sur ses lèvres, modulant immédiatement sa voix pour permettre à son interlocuteur d’en saisir le dessin, se demandant, encore une fois, ce qu’Adryan pouvait bien lire sur son visage pour qu’il le dégoutte à ce point-là, conscient qu’il n’était pas bien loin de saisir les affres de ce rejet mais sans parvenir à suivre le fils épars laissés par le passé de l’anglais et du Castillon. Incapable de résister à l’envie de vérifier si son intuition était bonne, le flamand se leva, nonchalant, et attrapant l’une des bouteilles de Bourbon réservée aux célébrations de contrats lucratifs, commençant par remplir un verre avant de poursuivre, dans une provocation saupoudrée d’ironie : Vous me trouvez plus ému encore que vous preniez sur votre temps pour m’en faire part… Le second verre fut rempli, et la bouteille, rangée dans le petit compartiment ouvragé réservé à cet effet, tandis que, saisissant les deux verres, le flamand s’approchait de la fenêtre à son tour. J’ignorais que les femmes vous avez pesé à ce point... poursuivit-il, tendant volontairement le verre à la main droite, forçant les muscles à jouer, curieux de vérifier ce qu’il pressentait dans le teint cireux du nobliau, dans sa façon de soutenir son corps, dans la hargne sanguine qui perlait de chacune de ses syllabes décousues, poussant, doucement violent, tendrement sadique, inconscient et pourtant étrangement confiant, le vice un peu plus loin sur le ton insupportable de la complicité: ... mais, vous avez raison, les hommes sont nettement moins regardant quant à ce genre de détails…
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--Adryan
Le bref soulagement que lui apporta l’air frais fut insuffisant à apaiser la fièvre qui le rongeait, gangrène pointilleuse, quand son regard retrouva le visage du brun dont les lèvres s’arquaient et s’arrondissaient dans une attaque bien plus virulente que les mots irritants qu’elles déversaient. Par tous les moyens il voulait effacer ce sourire narquois qui l’épinglait avec une férocité insoupçonnée par le brun. Epuisé, meurtri, boiteux de trop de blessures, de trop d’alcool, de trop provocations, il chancela, se rattrapant de la dextre dans un grincement douloureux ricochant sur sa respiration, délatrice impénitente quand il se sentait observé, épié d’une curiosité qu’il jugeait malsaine. Pas le moindre instant il ne cherchait à comprendre les interrogations d’Alphonse, toutes légitimes. Le comptable n’étant ni tyran, ni béotien rien ne lui valait une telle hargne aux apparences si gratuites.

Les mots assénés étaient comme autant de tisons ardents le chahutant avec une cruauté sans pareil, et le Castillon délaissant un instant le verre tendu serrait un poing blême quand c’est le menton du brun qu’il brulait d’emprisonner entre ses doigts et de faire taire cette bouche, impardonnable d’être à ce point ourlée, l'écrasant de ses lévres où tout le souffle de la morgue serait avalé, violemment, quitte à les faire saigner pour les anéantir. Enfin. Mais même enivré, même à ce point malmené, la volonté du noble restait maitresse, engloutissant les pulsions farouches qui agitaient son esprit malade. Désarçonné un moment sous les attaques, il encaissait les éraflures profondes infligées au vernis mat gardien de son indigne faiblesse. Mais si la bête hurlante était assommée, elle n’en était pas pour autant morte.

Le regard presque inquiétant de l’ivresse, mâchoires de fer dont l’attention semblait pourtant occupée à un ailleurs indéfini, se referma sur le comptable, alors que, contre toute attente, ce fut la senestre qui se referma, elle, sur le verre tendu, tout son être vacillant doucement. Sans même un regard au sirop ambré qui ondoyait doucement dans le verre, oublieux des convenances habituelles, il en but le contenu d’un trait, abusé par la brulure menteuse de l’alcool dans sa gorge qui ne le rassurait que pour mieux le tromper. Et d’un geste preste, jeta le verre vidé par la fenêtre qui se brisa d’un éclat cristallin.

Un sourire fin étira sa bouche, loupant de peu d’être assez narquois pour donner le change quand la langue se faufilait à sa bouche recueillant une goutte échappée de Bourbon. Faussement revigoré par le nouvel afflux empoisonné dans ses veines sa tête oscilla d’un non amusé.


Alphonse, Alphonse, Alphonse… seriez vous fourbe au point de tenter de me dévoyer avec vos succulents breuvages ?
Puis il s’approcha du brun, imprimant son souffle alcoolisé à son visage, Vous avez peut être raison, il semblerait qu’être saoul me rende aimable au point de m’inquiéter de votre santé. Déséquilibré, sa senestre s’appuya sur le torse du comptable pour se redresser, l’ivresse ankylosant la douleur de son flanc quand les bandages se teintaient en catimini, avant de la retirer comme s’il se brulait. Quant aux femmes, elles sont de délicieuses garces, et les hommes… les hommes… il laissa planer un moment lourd avant de siffler, venimeux, je n’ai pas votre connaissance pointue sur le sujet.
Alphonse_tabouret
L’impression que le temps se suspendait s’imposa brièvement entre les tempes du brun quand le Castillon planta son regard dans le sien, et il eut la sensation diffuse de patauger dans une fièvre glaciale, incompréhensible où la vivacité de la flamme n’avait d’égale que son courroux.
C'était quelque chose qu’il avait dit ou fait, mais définitivement, il suscitait chez son interlocuteur quelque chose qui le dépassait, dont il avait longtemps hésité à se sentir coupable avant de s’en découvrir curieux. Quel était cet étrange pouvoir qu’il possédait sur Adryan et surtout que s’était-il écrit avec la mort de l’anglais pour que cette déférence jusqu’alors placide ne se mue en un jeu de pouvoir entre eux ?
L’alcool et la douleur désormais visible à l’observateur attentif, n’aidaient pas le barman à gérer convenablement les émotions qui le traversaient, et loin de s’en inquiéter, le comptable, ayant aperçu cette opportunité délicieuse de mener le cheminements de ses pensées à l’assaut de la forteresse affaiblie du Castillon, n’ombra son visage d’aucune sorte de compassion quand il discerna le vacillement, et ne prit nullement peur à l’acier qui coula sur lui quand Adryan saisit enfin le verre tendu de la main gauche. Le sourire d’Alphonse s’étira d’une insolence acide devant cet aveu silencieux, bien trop insouciant pour mesurer à quel point il déversait le sel sur la fierté du Castillon quand celui-ci vidait son verre d’une traite avant de l’envoyer par la fenêtre, soldant ce moment d’observation par les éclats du verre trouvant l’une des dalles contre laquelle se briser.

La voix d’Adryan le tira du spectacle, et lorsqu’il tourna la tête vers lui, ce fut pour le voir approcher d’un pas jusqu’à frôler l’intimité d’un souffle alcoolisé


Alphonse, Alphonse, Alphonse… seriez vous fourbe au point de tenter de me dévoyer avec vos succulents breuvages ? Vous avez peut être raison, il semblerait qu’être saoul me rende aimable au point de m’inquiéter de votre santé
La blessure, ou l’alcool, amena le duc à chanceler, le forçant à s’appuyer involontairement au comptable, et cette main posée pour la première fois sur lui eut presque raison de son masque, tant par la nouveauté, le barman ayant toujours refusé le moindre contact entre eux, limitant leur politesse à une inclinaison du buste que par la sensation laissée par cette empreinte. Retirée aussi vivement, elle illumina immédiatement la conscience du jeune homme et la suite des propos prirent le reflet d’une clarté neuve, quoique faussée, sans qu’il le sache. Il connaissait ce dégout, il l’avait déjà vu dans les yeux de certains et il se demanda, stupéfait, comment il n’avait pas pu y songer avant. Quant aux femmes, elles sont de délicieuses garces, et les hommes… les hommes… je n’ai pas votre connaissance pointue sur le sujet.

Un sourire absolument radieux, parfaitement exaspérant inonda le visage du flamand. Il avait enfin quelque chose dont il était certain, il mettait enfin un mot sur ce mépris, et bien loin de se douter que c’était au fond cette attirance pour les hommes soigneusement lovée dans sa chair, qui dégoutait Adryan de lui et des autres, le jeune homme venait de se convaincre que c’était ses mœurs déviantes et affichées au creux du bordel qui soumettaient le barman à une telle répulsion, et si Dacien échappait à cette rogne tenace, c’ était certainement qu’il monnayait ses passes quand Alphonse ne se livrait aux affres du plaisir que dans la gratuité.
Le fauve s’étira, trouvant à son gout ses cartes qu’on lui proposait si joliment et choisit, se croyant fort de ce savoir neuf, de pousser encore plus loin ta tyrannie de sa présence tout entière


-Adryan, si je voulais vous dévoyer, croyez-moi, ce ne serait pas d’alcool dont je me servirais, lui confia-t-il dans un filet de voix à mi-chemin être la confidence et la conversation, sans rajouter quoique ce soit, laissant planer le doute qui gangrenait généralement l’esprit des puritains au point de les affoler quant aux techniques secrètes dont les déviants usaient pour pervertir les autres. Mais j’avoue que je suis curieux de voir jusqu’où irait votre… « Amabilité »…, fit il en appuyant sur le mot en imprimant un regard sombrement joyeux aux rétines du nobliau, … si on l’excitait d'un verre ou deux… L’arrogance amusée illuminait les traits du jeune homme qui porta le verre à ses lèvres pour boire une gorgée avant de rajouter. Vous avez raison pour les femmes, et si je devais apporter une nuance, je dirais que certaines sont délicieuses, d’autres sont garces et celles qui restent, les deux à la fois…quant aux hommes… Et le flamand osa, se penchant à son tour vers Adryan, narguant sa bouche d’une distance ridicule pour y souffler certain que la fierté du Castillon le forcerait à l’immobilisme devant cette attaque sournoise : … je me ferai un plaisir de parfaire vos connaissances sur le sujet si vous le souhaitez La colère du fauve face à son parasite venait de trouver un exutoire à ce point rafraichissant en cette soirée que le flamand balaya d’un geste toutes les réserves qu’il observait jusque-là, euphorique , oubliant la sagesse et osa un bluff né des informations semées çà et là depuis une semaine, entre la demande du prêt et ce moment précis : Et puis, n'avions nous pas quelque chose à fêter ? fit il en reculant la tête pour prendre assez d’ampleur. Votre duel s’est visiblement bien passé ce matin, à l’exception de cette petite blessure, demanda-t- il en avançant sa main vers le flanc droit d’Adryan, dans un mouvement qui portait à croire qu’il venait l’effleurer prêt à subir la possible empoignade à suivre, misant sur Hubert pour venir l’extirper de ce qui pourrait possiblement arriver

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--Adryan
« Adryan, si je voulais vous dévoyer, croyez-moi, ce ne serait pas d’alcool dont je me servirais. Mais j’avoue que je suis curieux de voir jusqu’où irait votre… « Amabilité » »

Les mots se déversaient sur les épaules du Castillon qui, retranché dans cette volonté farouche de résister à ce que sa peau affamée lui ordonnait en assenant une douleur bien plus vive que celle de son flanc, ne pouvait répondre que par brides décousues, trompant l’adversaire avec les armes que l’ivresse ne lui avait pas encore dérobées. Pourtant entre ses tempes, une question, quelques temps auparavant opposée au comptable hurlait : Pourquoi ? Sauf que c’est à lui qu’il la posait. Pourquoi s’infligeait-il ce tourment innommable ? La fierté d’une renommée, d’un rang, d’un titre, d’une éducation valaient-ils cette torture effarante, quand de la renommée il ne restait déjà plus que celle d’une famille ruinée ? Peut-être justement pour ne pas tout détruire, pour garder encore l’ombre de ce qu’il devait être, de ce qu’il aurait du être. Lignée poisseuse le pourrissant avec une ténacité farouche. Pourtant, dans son ivresse, la légitimité de toutes ses propres flagellations vacillait dangereusement sous les traits cruellement désirables du comptable. Qu’il aurait été facile de tout abandonner, de tout laisser derrière lui et de s’approprier cette bouche dessinée pour être embrassée, d’asservir cette langue vipérine dont il imaginait le gout à la sienne et d’oublier jusqu’à son nom dans les courbes élancées du corps d’Alphonse. Comme cela aurait simple, comme cela l’aurait sauvé, lui qui n’avait le droit d’aimer personne, que ses purs-sangs qui de leurs galops effrénés et sauvages parvenaient à lui offrir un répit, un oubli sous le soleil écrasant du désert, seul, pour qu’aucun désir ne l’assassine.

« Si on l’excitait d'un verre ou deux… Vous avez raison pour les femmes, et si je devais apporter une nuance, je dirais que certaines sont délicieuses, d’autres sont garces et celles qui restent, les deux à la fois…quant aux hommes… »


En son for intérieur, à tort peut-être, il pensait que l’anglais avait compris, raison pour laquelle, jamais en dehors de cette nuit là, mis au pied du mur, il ne l’avait provoqué plus que par son regard, l’épargnant dans le respect mutuel que les deux hommes se portait. Alphonse, par sa propre faute certainement, par ce trop plein de dédain protecteur, choisissait le contre-pied, le brusquant sans pitié dans ses retranchements les plus farouches, et lui idiot, s’était jeté dans la gueule du loup pensant égratigner sans voir qu’il s’empalait lui-même et que le brun tenait le pieux.

« … je me ferai un plaisir de parfaire vos connaissances sur le sujet si vous le souhaitez… »


Plus aucun sourire ne se dessinait à ses lèvres, quand une chape de plomb trop lourde s’abattait sur ses épaules, acculées de mots trop vibrants de sous entendus, d’un souffle trop proche quand dans son regard, sans qu’il ne puisse y faire, le désir louvoya, quand la remarque qui avait tout de narquoise le brulait d’être prise au mot pour la retourner contre le tortionnaire impénitent.

« Et puis, n'avions nous pas quelque chose à fêter ? Votre duel s’est visiblement bien passé ce matin, à l’exception de cette petite blessure. »


Et refuge d’un désir refoulé trop puissant, c’est la violence qui le sauva. D’un geste vif, encore grisé du sang qu’il avait fait couler le matin même, la trop audacieuse main d’Alphonse fut happée dans son mouvement, avec une telle force, une telle hargne que la douleur se faisait aimable même si le rouge perfide affluait à sa chemise. Sa poigne était féroce au poignet du brun, sentant jusqu’aux les pulsations de ses veines sous ses doigts impérieux, ne lui laissant aucune fuite possible quand il la remonta au niveau de leurs visages. Dans le gris affluaient la tempête et l’alcool bataillant avec cet éclat intrus de concupiscence.


Ne fouillez par trop loin Alphonse, sa voix était enrouée, ses mots tranchés, vous ne savez pas sur quoi vous pourriez trébucher. Il ne broncha pas, la main du comptable toujours prisonnière de sa poigne, toisant chacun des traits trop arrogants. Comment le brun avait il su, ou comment avait t-il deviné n’avait plus la moindre importance. Et ce ne fut pas la présence d’Hubert à portée de voix ou la douleur de la blessure qui s'étirait pernicieuse qui sauva Alphonse de sa rage, mais juste le refus, encore trop odieusement présent, de défigurer ce visage de ses propres mains.

Le temps filait sans que le Castillon ne puisse plus en prendre la mesure, le battement à la pulpe de ses doigts nus avait pu durer une seconde, une minute ou une heure qu’il aurait été incapable de le dire quand son poing lentement se desserra et lâcha sa prise. Et sautant du coq à l’âne comme seuls savent le faire les enivrés, avide de la brulure de l’alcool pour en chasser une plus obsédante,
alors buvons ! Lança t-il quand il aurait juste pu s’échapper, mais il est parfois des tourments qui doivent être regardés en face pour espérer être adoucis.
Alphonse_tabouret
Le chat gambadait, frottait son museau, propriétaire à tous les recoins de cette ère nouvelle que lui offrait les yeux d’Adryan, terrassés brièvement par un éclat plus intense qu’un autre et si Alphonse opposait à son parasite une satisfaction ravie mais mesurée, ce n’était rien en comparaison de l’exultation secrète du fauve qui venait de trouver avec certitude, selon lui, le point le plus faible du Castillon.
Tout à sa satisfaction d’avoir perçu ce qui faisait plus mal encore au Castillon que sa fierté, le jeune homme survolait l’évidence qui perlait dans ce regard gris, cette ambition farouche de ne pas céder au sourire qui dansait aux lèvres flamandes. Inconscient qu’il était un feu lancinant où l’envie se partageait le dégout, persuadé que c’était le mépris qui se liait à la répulsion pour l‘englober tout entier dans la braise mauvaise des prunelles grises, le jeune homme passa à coté de cette ombre concupiscente qui ne se refléta que pour mieux se faire étouffer.

Était-ce pour ça qu’il avait tendu la main, avec cette sérénité insupportable, vers le flanc qu’il avait deviné, abimé, sans en mesurer réellement la profondeur de la blessure ? Aurait-il joué autrement s’il avait pressenti que c’était aussi bien la brulure de l’interdit que la défiance naturelle du nobliau qui le couperait dans son élan ?
La main ferrée avec une fermeté à laquelle il ne s’attendait pas, le jeune homme esquissa une expression plus surprise que de celle où nait la douleur, mais laissa un grognement rauque lui échapper malgré lui, s’attendant à être repoussé avec force mais en aucun cas attrapé et gardé avec une telle poigne. La senestre prisonnière dans celle du barman dont les doigts ce soir, ne portaient aucun écrin blanc, Alphonse se raidit perceptiblement, les muscles tendus d’une tension qu’il avait lui-même provoquée, aux aguets de ce regard qui le toisait avec une colère qui ne lui donnait que plus envie d’insolence et d’audace encore.
Ses jeux avec l’anglais l’avaient si souvent amené à pousser Quentin dans ses derniers retranchements jusqu’à l’usage d’une force brutale et vindicative, ne laissant aucun autre choix au chasseur que de devenir la proie la plus immédiate du courroux qu’il avait suscité, qu’il ne put s’empêcher de sentir dans cette poigne d’homme, le frimas d’un désir lui parcourir les nerfs, l’enrobant aussi brutalement d’un dégout neuf. Désirer ce qui ne vous désire pas était un concept auquel il n’avait jamais porté aucun intérêt, trouvant dans cette idée la niaiserie d’un romantisme saugrenu, un avilissement consenti et en aucun cas partagé, et n’avait jamais voulu de ce qui ne le voulait pas. Souiller les souvenirs de son Lion avec un tel rapprochement exaspéra le flamand qui, s’il ne se rebiffait pas de cette poigne, y puisait assez de mépris envers lui comme son parasite, pour rester calme, froid, le sarcasme effleurant le dessin de ses lèvres d’une moue pincée d’un sourire mauvais.


Ne fouillez par trop loin Alphonse… vous ne savez pas sur quoi vous pourriez trébucher
La main était toujours tenue à hauteur de visage, sans que le Castillon ne donne l’impression de vouloir la relâcher, et l’envie désordonnée, virulente du Comptable le gangréna d’une sournoiserie en songeant une seconde à étendre l’index pour venir toucher les lèvres qui lui faisaient face et déclencher enfin la foudre qui menaçait dans les mots du barman. Aucun des deux n’aurait su dire avec exactitude le temps qui fuyait entre leurs doigts blanchis, l’un de sa poigne, l’autre de son étau mais nul mot ne filtra des lèvres masculines qui se faisaient face jusqu’à ce qu’enfin, la main glacée du Castillon ne délie sa force dans une injonction lancée qui trancha l’ambiance aussi étrangement que possible : alors buvons !

La main jouant discrètement des doigts pour la dégourdir, la mâchoire du flamand mit quelques secondes à décrisper le marasme de sensations qui cousait ses lippes, une pointe d’agacement venant attiser ses tempes quant à la façon qu’avait le barman de s’imposer au sein de son espace privé. Rarement en proie aux bouillonnements de l’agitation masculine, jeune homme nonchalant pour qui la démonstration de force n’avait rien d’héroïque, Alphonse ressentit pour la première fois une telle exaspération qu’il songea brièvement au plaisir indicible que lui procurerait le fait de jeter purement et simplement Adryan hors de ce bureau, se demandant si le chat pouvait se transformer en molosse sans que son vernis n’en pâtisse. S’il était épicurien de nature, Alphonse n’en demeurait pas moins un homme distant, froid et égoïste dès lors qu’il s’agissait de sauvegarder les apparences nécessaires à sa relative tranquillité, et la désinvolture du nobliau, si elle écorcha littéralement sa patience l’espace d’une seconde, fut de la même façon un parfait rappel à l’ordre. Il avait survécu à son père, ce n’était pas un ducaillon désargenté qui arriverait à le faire rompre et à le tirer de son insolente passivité.

-Et bien buvons, alors…
, reprit il en rejoignant le bureau pour y remplir à nouveau son verre et un autre pour Adryan, tournant le dos au jeune homme, prenant volontairement le temps d’étirer ses mouvements autant pour finir de calmer la colère qui le chatouillait que pour exaspérer son hôte. Je n’ai rien contre l’amabilité alcoolisée… Il se retourna enfin et la bouteille toujours à la main, dans un sourire qui s’il était volontairement doux aux lèvres n’en demeurait pas moins tranchant… pas plus que contre les dévoyés… La fleur rouge naissante au flanc d’Adryan happa son regard un instant, et il se surprit, témoin de la naissance horticole à la blancheur du coton, à n’éprouver aucune compassion à la souffrance qui perçait la peau jusqu’à l’ouvrir. Ses onyx se reportèrent dans les prunelles grises du barman, observant un temps de silence, curieux soudain, de savoir ce qui égarait le plus cet autre détestable, de la douleur ou de l’alcool et, poursuivit, laissant la bouteille sur le bureau pour se diriger vers la porte de son bureau : Quant à mon équilibre, soyez tranquille… debout, agenouillé ou à quatre pattes … Il observa une pause infime, juste assez pour que l’image s’incruste dans les tempes du Castillon… il y a toujours de quoi me satisfaire, conclut-il en lui jetant un coup d’œil goguenard avant d’ouvrir la porte et d’appeler : Hubert ! Les bruits de pas dans le couloir avertirent de l’arrivée quasi immédiate de l’homme de main et si les mots échangés entre eux le furent à quelques pas du Castillon, ils le furent assez bas pour qu’il n’en perçoive rien. Quelques secondes plus tard la porte était refermée et le comptable avait rejoint les verres qui patientaient sur son bureau, puis, en prenant un sans avancer vers Adryan, s’appuya au bois patiné, portant son verre à ses lèvres, le regard détaillant avec un intérêt réel la silhouette élancée que l’air frais de la fenêtre enveloppait, salvateur. Je crains qu’il ne faille remettre nos possibles réjouissances à plus tard, fit il enfin quand il fut sûr que quelques secondes de plus de cette inspection aurait pu déclencher chez Adryan une réaction… Vous saignez, fit-il sobrement en désignant d’un geste du menton le flanc droit florissant, laissant au Castillon le temps de vérifier cette information avant de reprendre quand il poussait le verre à la place qui lui avait été attribué pour le forcer à rejoindre un siège. J’ai fait mander une guérisseuse, en attendant, asseyez-vous et racontez moi ce duel. Grateloup n’était pas mauvais bretteur, admit-il, sur le ton de la conversation, comment l’avez-vous vaincu ?



Parle, parasite, parle et bois en attendant la rebouteuse… Et même si je serais capable de danser sur ton cadavre pour ce que tu m’imposes, un mort cette année me suffit…
_________________
--Adryan
Un instant, un éclair si fugace qu’il pouvait être fantasmé, le visage si imperturbable d’Alphonse s’était teinté de surprise jusqu'à laisser les lèvres renégates se trahir d’un grognement rauque quand son corps le dénonçait en se tendant. La victoire était infime, presque insignifiante, mais suffisante néanmoins pour qu’Adryan y déchiffre une impassibilité habituellement si maitrisée et agaçante, divinement entachée. Il n’en connaissait pourtant pas la cause et était bien loin d’imaginer avec quelle perfidie cette poigne, juste protectrice, piquait le comptable. Dans leur lutte, aucun des deux hommes ne mesurait la portée de ses coups, ni les enjeux mis sur la table, renforçant ainsi leur animosité avec un tranchant inextricable de jeux de pouvoir et de convoitise, les chahutant sans ménagement. Et quand quelques mots, que tous deux refusaient, auraient suffi à dénouer la situation, ils s’y enfonçaient plus profondément encore. D’explications ou d’explosions, ils étaient incapables, engoncés qu’ils étaient dans leur superbe.

« Et bien buvons, alors… »

Les anthracites, malgré elles, dégoulinèrent sur le tracé net des épaules qui roulaient avec élégance sous le tissu de la chemise quand le comptable, ignorant de l’examen auquel il était soumis, servait les verres. Et le regard glissa encore, incontrôlable, pour s’échouer, vaincu, à la rondeur parfaite des fesses et son ventre se contracta douloureusement.

« Je n’ai rien contre l’amabilité alcoolisée… »

Craignant d’être pris en flagrant délit d’une faute qu’il n’assumait pas lui-même, d’un élan inespéré de lucidité, le regard fuyard bâtit en retraite sur les lames du plancher quand le brun se retourna, rendant sa dispersion bien moins perceptible que s’il l'avait redressé.

« pas plus que contre les dévoyés… »


Les mots glissaient sur lui sans qu’il ne les écoute vraiment. Le comptable imprudent se dirigeant vers la porte, se laissait à nouveau dévorer d’un regard faune. Sous le feu d’une ivresse volubile, chaque muscle se déliant sous le tissu était épié avec avidité. Et à cet instant, tenaillé par un instinct plus fort que lui, Adryan était prêt à bondir pour s’approprier ce corps qui le lardait férocement, jusqu’à l’enfler au secret brulant de ses braies.

« Quant à mon équilibre, soyez tranquille… debout, agenouillé ou à quatre pattes … il y a toujours de quoi me satisfaire, »


Les mots crus, féroces d’évocation et de lubricité le tirèrent instantanément de son accaparement. S’il savait le brun libertin, jamais pourtant il ne l’avait entendu prononcer des mots d’une telle salacité, et ses dents grincèrent quand c’est le sienne qui lui était crachée à la figure.

C’est à genoux, Alphonse, que je veux que tu le perdes ton bel équilibre. Et dois-je en perdre le mien, tu t’agenouilleras, je t’en fais le serment.

« Hubert ! »

Un instant, il espéra que le comptable excédé, n’en vienne à appeler de l’aide pour le mettre dehors. Quelle victoire cela aurait été au final. Mais il sous-estimait l’adversaire, grave erreur qu’il comprit aussi vite en entendant les pas de l’homme de main s’éloigner. Le supplice allait se poursuivre quand le regard noir, vengeur sans même le savoir, scruta à son tour. L’ancien courtisan, conscient de sa beauté sans pourtant s’en enorgueillir, était habitué à l’examen attentif des femmes, dont la lueur éclairant leurs prunelles ne laissait aucun doutes quant à leurs intentions. Mais ce regard là, certain qu’il ne recelait que mépris le fit gronder doucement, animal de foire quand le comptable poussait le vice jusqu'à boire tranquillement. Cette provocation la, de toutes, était certainement la plus humiliante, aiguisant encore sa hargne toute dévouée au brun.

« Je crains qu’il ne faille remettre nos possibles réjouissances à plus tard. Vous saignez. »

Le nobliau était tant accaparé par ses pensées torturées qu’il fronça les sourcils, incapable de comprendre dans un premier temps le sens des paroles du comptable, tant la douleur lancinante commençait déjà, sous le flux de l’alcool, à trouver sa place dans une normalité presque rassurante. Quand enfin il comprit, il baissa son regard sur l’écarlate florissant à sa chemise.
En effet… lâcha t-il indifférent, plus absorbé à l’idée alléchante de pouvoir boire, encore.

« J’ai fait mander une guérisseuse, en attendant, asseyez-vous et racontez moi ce duel. Grateloup n’était pas mauvais bretteur, comment l’avez-vous vaincu ? »

Et à l’invitation, il s’affala plus qu’il ne s’assit dans le moelleux du fauteuil, se trouvant essoufflé des quelques pas qu’il avait du faire pour contourner le bureau. De la senestre, il saisit le verre, abimant son regard dans l’ambré du bourdon.
Merci. Il n’avait plus la force de relancer l’attaque sur l’attention portée à sa santé, devinant déjà une réplique sur la difficulté à se débarrasser de taches de sang sur le velours délicat et se retrancha derrière la question d’apparence moins piégeuse.

Grateloup n’était pas mauvais bretteur, en effet, il laissa une longue gorgée glisser dans sa gorge avant de reprendre. Pas assez bon néanmoins…. Que vous dire d’autre ? Un ricanement mauvais fusa de ses lèvres. Que les pendus de Montfaucon ont dû apprécier la distraction ? La mise en scène macabre qu’il avait imposée refluait d’un éclat sordide, certain qu’elle n’était pas complètement anodine dans sa victoire. Puis prenant une seconde goulée, il ferma les yeux un instant savourant le nectar avant de les poser presque légers dans les onyx. Comment l’ai-je vaincu ? Un sourire éclatant illumina ses traits, quand son regard se faisait plus profond. Il a été victime… d’une étourderie.
Fleur_des_pois
Lorsqu'on faisait mander Fleur, c'était toujours pour la même raison. Même si les causes différaient. La finalité restait la même. Faire trépasser un gêneur. Une maîtresse encombrante. Une mère qui n'en finissait pas de vivre. Un frère ainé désigné comme héritier. Un mari indésirable. Un adversaire politique plus doué. Une vengeance quelconque.
On venait la trouver, le visage à l'abri de l'ombre d'un capuchon. Ou un masque sur les yeux. La demande était chuchotée, l'argent déboursé. Et toujours cette même supplique. « Faites vite ! » Et puis, dans les jours qui venaient, on trouvait dans les rues une épouse éplorée. Un fils sous le choc. Un homme vantant les qualités d'un homme abhorré de son vivant. Sauf que les larmes étaient de triomphe et non pas de chagrin.
Les gens avaient tendance à oublier que si l'Ortie savait donner la mort, elle était aussi apte à soigner. Le mot empoisonneuse reléguant aux oubliettes la formation initiale de guérisseuse. C'était ainsi, et jamais la Fée ne s'était plainte. N'avait-elle pas elle-même provoqué cet oubli ? A force de travailler dans l'ombre, on devenait l'ombre.

Ce soir-là fut différent des autres. Dans la chambrée miteuse de l'auberge encore plus insalubre de la Mère Lablanche, Gaia ajoutait à un vin délicat, une dose létale de bryone dioïque. La victime se viderait littéralement par les deux bouts. Le client attendait sa commande pour le lendemain matin. Et bien que Fleur eut quasiment achevé son opération, elle fronça les sourcils, agacée, lorsqu'on toqua à la porte.
L'intrus n'attendit guère qu'elle lui réponde. Il entra. Et aussitôt, le Lutin reconnut son visiteur nocturne.


Eh bien Hubert, siffla l'Italienne en reportant toute son attention sur ce qu'elle faisait. T'es-tu encore amouraché d'une maîtresse trop collante dont tu voudrais te débarasser, pour que tu viennes me trouver ainsi en pleine nuit ?

Les propos de son vis-à-vis la surprirent au plus haut point. Il l'appelait au chevet d'un homme blessé. Non pas pour qu'elle l'achève, mais bien pour qu'elle le sauve !
Les sourcils de la belle empoisonneuse se rapprochèrent de nouveau.


Cette ville fourmille de rebouteuses. Trouves-en une autre ! Je suis occupée.

Mais Hubert insistait. L'homme, à l'Aphrodite, ne tiendrait peut-être pas. L'Aphrodite ? La curiosité de Fleur fut piquée à la mention du bordel. Ce n'était pas le genre de lieux qu'elle fréquentait d'ordinaire. Pas qu'elle fut prude d'une quelconque façon. Mais elle n'avait jamais eu besoin d'y mettre les pieds. Or, ce soir, cela pouvait changer.
Ne prenant que le temps d'emplir sa besace de diverses onguents, pommades, et autres fioles, l'Ortie suivit bientôt Hubert. Seule, Gaia se serait sans doute égarée. Mais son guide connaissait le chemin, et bientôt, ils se trouvèrent devant l'établissement.
Le temps devait être compté pour la victime. Hubert ne lui laissait pas le temps de satisfaire sa curiosité. A peine eut-elle le temps d'entrevoir quelques portes entrouvertes, avant que l'homme ne s'arrête devant une autre, bien fermée celle-là. Quelques coups contre le vantail. Puis celui-ci fut ouvert. Et Gaia pénétra dans la pièce.
A peine l'ourlet de sa robe verte émit un chuchotement lorsqu'elle se déplaça dans le bureau. Ses yeux vifs détaillèrent rapidement les lieux. Deux hommes se tenaient là. Si l'un des deux semblait bien pâle, il n'avait pas l'air tant à l'agonie que cela.


Vous m'avez fait mander, à ce qu'il semble, lâcha-t-elle en guise de salut.

L'Ortie n'était pas plus satisfaite d'être là qu'un chat d'être mis à l'eau. Elle s'était attendue à mieux qu'un pauvre bougre affalé sur un siège, devant le bureau d'un illustre inconnu. Mais maintenant qu'elle était là, il lui fallait accomplir son travail.

Retirez votre chemise, ordonna-t-elle à l'homme dont la vêture était imprégnée d'écarlate. Et allongez-vous.
Alphonse_tabouret
Sans broncher, le comptable suivit des yeux la silhouette vacillante du jeune homme quitter la fenêtre et venir s’affaler, vaincue dans le fauteuil qui lui était réservé, la fleur s’amplifiant doucement à son flanc, empourprant savamment le coton dans la corolle d’un rouge plus vif qu’il ne l’aurait cru.
Quentin n’a pas saigné, pensa-t-il sans même s’en rendre compte, avant qu’un froid indescriptible ne lui grignote les veines, le visage de l’anglais, crispé d’un dernier souffle douloureux passant à ses yeux , et, mû par un réflexe de survie dont il aurait encore été incapable quelques semaines auparavant, le flamand refusa de se laisser happer par la vision de ce visage déformé pour se concentrer de nouveau sur le Castillon, préférant rajouter à son mépris pour éviter de sombrer dans le plus mauvais cocon de la nostalgie.
Pour le comptable, dont l’enfance et l’adolescence s’étaient résumées à une abnégation forcenée pour ne pas se laisser complétement avaler par la faim paternelle, Adryan était comme ces enfants gâtés, colériques et capricieux, et si ce n’était pas un jouet qui détournait sa mauvaise humeur mais l’alcool, il n’en demeurait pas moins qu’une fois le compromis accepté , il oubliait le reste, les manœuvres dont on l’accablait pour l’amener où on voulait et servile, se laissait bercer du son de sa propre voix… Le nobliau, fatigué, acceptait la trêve imposée par son adversaire, et Alphonse, discernant au fur et à mesure des mots qui s’égrenaient de la bouche si bien dessinée, tout l’orgueil mâle de ses congénères, n’empêcha pas la pointe de dédain qu’il ressentait s’ancrer plus profondément dans les veines.


Grateloup n’était pas mauvais bretteur, en effet … Pas assez bon néanmoins L’euphémisme lui parvint remplit d’une autosatisfaction qui alluma dans ses tempes un regain d’agacement, et observant le visage du Castillon accaparé à son récit et à son verre de bourbon, Alphonse sentit une humeur mauvaise battre momentanément ses tempes d’une violence qui un instant, lui donna cette impression de ne pouvoir s’assouvir que dans la violence la plus directe, et ce qui le retint, fut cet étonnement en se rendant compte qu’il ne s’était encore jamais agacé d’un récit de duel avant celui-ci... ennuyé tout au plus... …. Que vous dire d’autre ? Un rire aux teintes macabres sortit de la gorge livide, coulant aux lèvres que narguaient le bord du verre et Alphonse eut envie de les mordre jusqu’au sang. Que les pendus de Montfaucon ont dû apprécier la distraction ? Les yeux du nobliau se clorent le temps d’apprécier la brulure du bourbon à sa bouche et il les rouvrit pour les poser, beaux, presque lavés de leur colère pour se laisser gangrener d’une autre tempête, aux sous-entendus qui n’échappèrent nullement au comptable. Comment l’ai-je vaincu ? Il a été victime… d’une étourderie.

Adryan aurait choisi un autre chemin qu’à cet instant ci, la soirée aurait pu s’apaiser d’une teinte, mais les mots sonnèrent comme une menace tout juste voilée et l’égo boursouflé d’Alphonse en fit qu’un tour, répondant, dans un sourire affable où le sarcasme ne se cachait pas :

-Une chance pour moi de vous avoir à mes côtés pour m’éviter de les précipiter.
Son sourire dévora l’ombre de ses prunelles … Quoique si je chutais, je suis à peu près sûr que vous me relèveriez… vous n’êtes pas du genre à profiter d’un homme à terre, jeta-t-il dans un regard qui larda le nobliau d’une nouvelle provocation vibrante d’un amusement plus tranchant que jusqu’alors ; le fauve piqué dans sa superbe que l'on crût pouvoir ainsi le faire vaciller, lui opposerait, cinglant, à chaque fois qu’Adryan toucherait ce point-là, sa propre colère sous le nez, et au diable les risques que cela tourne définitivement à l’orage.. Quelque chose dans le ventre du flamand naissait avec une telle hargne depuis quelques jours que tous les moyens seraient bons pour que cela s’assainisse d’une manière ou d’une autre, dut il en passer par l’empoignade la plus virulente : il ne céderait pas un centimètre de plus au Castillon.

Trois coups portés au battant dévièrent l’attention du flamand avant qu’il n’ait eu le temps de poursuivre et le porte s’ouvrit, Hubert s’effaçant pour laisser entrer une jeune femme, habillée d’une feuille verte épousant discrètement, aérienne, ses courbes douces. Le chat se tassa doucement, comme à chaque fois qu’il croisait le chemin d’une herboriste depuis que l’une d’elle avait scellé le destin de l’anglais dans l’une de ses fioles et gardait pour elles une méfiance teintée de défiance. Porteuses de vie et de mort, avec la plus totale indifférence, les rebouteuses avaient en elles un savoir qu’elles distillaient pour quelques pièces d’or, Parques vénales qui chiffraient, inébranlables, le destin des autres au gré de leurs concoctions.
La jeune femme se déplaça, silencieuse, étrangement autoritaire, jusqu’au bureau, sans même se présenter, chose dont le comptable ne s’offusqua pas, y notant plutôt le devoir d’une sagesse toute naturelle quant aux services qu’elle proposait… n’était-ce au fond, pas le même trafic dont ils vivaient tous : discrétion, services et argent…


Retirez votre chemise. Et allongez-vous.

Le sourire du comptable retrouva spontanément le chemin à ses lèvres en entendant la donzelle et en regardant Adryan qui devait se soumettre aux ordres énoncés, et régalant chez lui la satisfaction de voir l’égo se plier à une autorité sur laquelle il n’a pas d’emprise, pensant le Castillon misogyne quand il n’était que désintéressé des femmes. Il indiqua d’un geste une confortable banquette installée près des livres de comptes.


-Il est censé travailler demain, expliqua sommairement le comptable en suivant le barman des yeux, sans broncher encore, retrouvant dans cette scène tout ce que le chat aimait le plus, lui faisant un instant oublier la colère pour y allumer le feu d’une revanche douce au fond de ses onyx, jusque dans son sourire, car , franchement, qu’y avait-il de pire pour clore la soirée du barman que de l’amener à se déshabiller devant le comptable ? Pensez-vous cela possible ?

Qu’importait qu’il soit handicapé à vie ou sur pied dans les dix minutes, qu’importait quand le plaisir de jouer l’affabilité nervurait le chat d’une nouvelle joie ludique qui, si elle n’était pas palpable une seconde pour qui ne le connaissait pas, ne pouvait pas échapper au Castillon
--Adryan
« Une chance pour moi de vous avoir à mes côtés pour m’éviter de les précipiter. »

Le sourire ne s’effaçait plus. Il s’élargit même encore en saisissant à la rétorque fielleuse du brun que la mise en garde avait été comprise et prise pour telle. Et malgré l’arc inébranlable des lèvres du comptable, son regard suintait tant de colère que le Castillon ne pouvait que s’en régaler. S’il était ébranlé, le comptable l’était également, et pour ce soir là, l’épuisement lui piquant les yeux, l’égalité lui suffisait quand il aurait pu s’écrouler. En quelques jours, l’indifférence et la froidure de leurs échanges avaient dégénéré dans un crescendo diabolique d’où rien ne semblait pouvoir les extraire.

« Quoique si je chutais, je suis à peu près sûr que vous me relèveriez… vous n’êtes pas du genre à profiter d’un homme à terre »

L’attaque était cinglante, à la hauteur de l’adversaire tenace et habile. Pourtant elle frappa sous un angle inattendu. Contrairement à ce que laissait présager la morgue du regard noir, le comptable, sans s’en douter certainement, énonçait une vérité. Oui, si le comptable chutait, le nobliau le relèverait, non pas bonté d’âme, mais car l’idée qu’un autre que lui puisse le faire tomber le hérissait. Il allait répondre, le duelliste face à lui ne méritant pas, malgré toute la morgue qu’il lui portait, d’être ignoré, ou du moins ne le méritait plus, quand trois coups à la porte suivis du chuintement d’un tissu l’en privèrent. Ombre verte vacillante à l’orée de son regard. Ombre salvatrice avant même de panser son corps, mettant un terme à l’empoignade verbale que vraisemblablement ni l’un ni l’autre n’aurait pu ajourner au risque de perdre la face. D’un mouvement vague de la tête, il salua l’arrivante, lui offrant un curieux sourire aviné.

« Retirez votre chemise. Et allongez-vous. »

« Il est censé travailler demain, Pensez-vous cela possible ? »

Un rire léger fusa à sa bouche aux paroles si clairement énoncées. Telles qu’ils les aimaient. La femme ne perdait pas de temps en palabres inutiles, ce qui était assez rare pour qu’il apprécie. Alphonse dont l’esprit commerçant refluait aux triples galops, tout aussi direct dans ses préoccupations. Dans son esprit embrumé d’alcool, la situation lui semblait tellement cocasse de réalité et de duplicité après cette journée infernale que le rire enfla, roulant dans sa gorge avec une sincérité tout juste maitrisée par le tiraillement de son flanc.

Avec difficulté, tant par les derniers hoquets de rire, que par l’ivresse, que par la douleur, le tout s’agglutinant dans un magma informe et poisseux, Adryan se leva, chancelant. Sans l’ombre d’une gêne, habitué au regard des femmes et inconscient qu’un autre sentiment que l’agacement de devoir supporter davantage sa présence puisse animer le comptable, il délaça sa chemise de gestes approximatifs quand d’ordinaire ils étaient si précis à ce genre d’exercice, et la laissa choir au sol, respectueux incoercible des meubles de valeur. Pourtant là, dans sa demie nudité, c’est le fait de devoir exhiber sa faiblesse au regard du brun qui l’éperonna. Le regard gris jeté s’emplit d’une animosité sourde en pressentant qu’il ne sortirait pas. Lui montrer la porte de son propre bureau était simplement inimaginable dans le restant d’éducation épargné par cette soirée. Le choix ne lui était pas laissé. Il détourna la tête, laissant la lumière aiguiser le fil de sa mâchoire crispée quand de mouvements lents et fébriles il débanda la plaie longue et effilée tranchant son flanc droit. Laissant le comptable tout à sa revanche, il reporta son attention sur la petite ombre verte
Merci à vous de vous être déplacée pour une simple égratignure, fierté mal placée de mâle refusant d’avouer combien la lancinance était odieuse. Et le visage mal à l’aise de ceux qui doivent s’en remettre à d’autres mains, il s’allongea sur la banquette, où certainement, s’il avait été seul, il se serait endormi avant même que sa tête ne se pose sur matelassage accueillant.
Fleur_des_pois
La besace fut posée au sol. Pots d'argile et fioles de verre s'entrechoquant bruyamment. Le regard brun de l'Ortie se posa sur ce celui qui, debout, s'occupait de savoir si l'autre pouvait travailler le lendemain. Cette question fut bientôt noyée sous les éclats de rire du blessé. Les sourcils de Fleur se froncèrent quelque peu. Qu'était-ce donc que ces deux hommes ? Ils semblaient finalement plus intéressants que ce qu'elle avait pensé de prime abord. Laissant le rieur prendre place sur la banquette désignée, la Fée examina d'un coup d'œil la raison de sa venue.

Travailler, répéta-t-elle sèchement. Demanderiez-vous à votre bœuf de labourer un champ avec une patte cassée ? Si tel est le cas, alors n'attendez pas que son travail soit à la mesure de vos aspirations.

Agenouillée, le postérieur calé sur les talons, Gaia ouvrit sa sacoche de cuir. Se saisissant d'un flacon, elle extirpa également un morceau de tissu. Versant un peu de la teinture d'ail sur le chiffon blanc, elle s'approcha davantage de son patient.

Je ne me déplace pas pour des broutilles. A vrai dire, ajouta-t-elle, je me déplace rarement pour guérir. Attention, ça pique.

Et sans plus attendre, le Lutin appliqua la compresse sur la plaie du jeune homme. Si cela faisait des mois, peut-être même des années, qu'elle avait soigné quelqu'un, les gestes conservaient leur précision. Le long apprentissage quotidien s'était inscrit en lettres de feu dans son esprit. Deux années à se gaver de l'expérience d'une autre avaient rendu indélébiles les conseils, et autres enseignements.
La plaie désinfectée, il serait bientôt temps d'appliquer le cataplasme. Choisissant dans ses sachets, celui contenant de l'anthyllide vulnéraire, Gaia se tourna vers le bien portant.


Apportez-moi un récipient d'eau tiédie.

En l'attente du matériel demandé, l'Ortie déposa à côtés des fleurs un autre sac, contenant cette fois de la farine de lin. Une cuillère en bois trouva sa place au sol, aux côtés des deux pochettes. Un autre morceau de tissu fut sorti, lui aussi enduit de teinture, mais cette fois, ce fut d'achillée millefeuille. Apposant la compresse sur la blessure, Fleur appuya délicatement. Le linge se colora de rouge. Elle répéta l'opération, jusqu'à ce que l'écoulement sanguin se fit plus mince.

Travailler demain me semble compromis. Je suis... guérisseuse... non magicienne. Puis, à l'attention du patient. Restez deux jours tranquille, la cicatrisation n'en sera que plus rapide.




La teinture d'ail est utilisée pour désinfecter
Celle d'achillée millefeuille pour stopper l'hémorragie
L'anthyllide vulnéraire pour la cicatrisation des plaies
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Alphonse_tabouret
Le rire d’Adryan s’élança d’abord léger avant de prendre une ampleur auquel le comptable ne s’attendait pas, même avec la dose d’alcool qui ondulait dans ses veines pour pourtant distiller, sereine, assez de moelleux pour enrober les nerfs, jusqu’à ce que, reprenant ses esprits, le nobliau ne se lève et ne défasse sa chemise, maladroitement, les gestes entachés par la douleur et la gaucherie que jetait le bourbon encore franchement brulant dans la gorge. Les épaules du Castillon apparurent, lignes étonnamment gracieuses une fois mises à nues quand le lin les habillait si austèrement, et Alphonse s’étonna que les courbes sous lesquelles roulaient les muscles au fur et à mesure des mouvements soient aussi joliment dessinées malgré l’épais bandage qui ceignait les cotes. Un instant, les doigts longilignes du barman qui jusque-là n’avaient nullement hésité s’ils avaient été distraits dans leur efficacité, s’arrêtèrent sur le bandage et ce fut ce geste qui ramena les yeux du jeune homme dans ceux du nobliau, interrompant ce spectacle de chair auquel il s’était égaré sans même s’en rendre compte.
Les perles grises du barman l’épinglèrent avec une telle colère en le trouvant encore là que le reflexe immédiat du flamand fut de lui opposer un sourire poli, dessiné par une habitude si rodée qu’on n’aurait juré un vrai. La survie du chat ne valait que par son insolence, sa façon de s’approprier ce qui ne lui appartenait pas et de laisser à ce qui importait la liberté nécessaire à ne jamais entraver le sienne et lorsqu’il était pris sur le vif, il noyait l’autre dans une attitude si faussement aimable qu’elle n’en était que plus agaçante mais lui laissait toujours les précieuses secondes indispensables à se retourner pour tâcher de retomber sur ses pattes. Narguant le molosse blessé, animal lascif habillé d’un sourire qui masquait le trouble fugace qui l’avait saisi dans la contemplation de ce corps auquel il n’avait jusque-là jamais prêté attention, Alphonse, duelliste dont la colère et l’animosité n’arrivaient pas à se démêler du brusque et fugitif intérêt ressenti, ne quitta les yeux du Castillon que lorsque celui-ci, vaincu par les circonstances dû se résoudre à poursuivre son effeuillage, dénouant, lentement, le bandage qui le colorait en tournant la tête, offrant une gorge nerveuse aux prunelles du fauve avant qu’il ne reparte, curieux, à l’assaut de la blessure qui assagissait momentanément Adryan.

Merci à vous de vous être déplacée pour une simple égratignure, conclut le nobliau dont le teint paraissait de plus en plus livide, laissant entrapercevoir dans un dernier mouvement, l’estafilade qui lui déchirait le flanc.

Pas mauvais bretteur, tu disais… Imbécile, songea Alphonse quand le barman s’allongeait et que l’herboriste ne passe à l’auscultation… Tu n’as pas été meilleur que lui, tu as eu de la chance…
Un regain d’amertume pinça sa bouche, sans qu’il ne se l’explique, en colère après le nobliau qu’il ait été aussi stupide, aussi ridiculement rigide pour endurer ceci sans mot dire toute la journée, et se força à ralentir sa respiration pour retrouver un semblant de flegme.


Travailler... La voix de l’herboriste monta en venant le chercher d’une moue réprobatrice, détournant l’attention d’Alphonse et lui offrant une porte de sorte inattendue. Demanderiez-vous à votre bœuf de labourer un champ avec une patte cassée ? Si tel est le cas, alors n'attendez pas que son travail soit à la mesure de vos aspirations.

-Très chère, traiter un étalon de bœuf c’est encore pire que de vouloir lui faire labourer un champ, glissa le jeune homme à la demoiselle dans un sourire où l’on ne trouvait nulle trace d’agacement, comédien éprouvé et parfaitement synchrone avec ses aspirations dès lors qu’une tierce personne était intervenue dans le jeu odieux qu’ils se livraient de plus en plus féroces, l’alcool commençant à engourdir l’amertume de certaines pensées. La pique était légère, et adressée, au-delà des apparences, au Castillon, étendu, soumis, victime...

Je ne me déplace pas pour des broutilles. A vrai dire
, ajouta-t-elle, je me déplace rarement pour guérir. Le jeune homme n’en doutait pas, victime de l’onde propagée par l’une des semblables de l’Ortie dont le talent principal n’était malheureusement pas les soins. Attention, ça pique, continua-t-elle dans le ballet de gestes précis, enchainement d’un savoir lointain, puissant qui rebutait invariablement le chat, à l’aise, à distance, loin des potions, des herbes, et de la sorcière. Apportez-moi un récipient d'eau tiédie. Obéissant, le jeune homme se dirigea vers la porte du bureau se faire apporter l’eau tiède exigée pour panser la plaie, passant devant Adryan dont le visage pale avait presque la délicatesse du sommeil et doucement exaspéré de lui trouver dans l’expression l’attitude d’un masque mortuaire, resta, provocateur, prenant sur lui en espérant infliger plus encore, à côté de la jeune femme tandis qu’elle lavait soigneusement le sang répandu. Travailler demain me semble compromis. Je suis... guérisseuse... non magicienne. Alphonse dessina à ses lèvres l’esquisse d’un sourire d’enfant compréhensif qui n’en tient pas rigueur à l’adulte de le décevoir avant d’hausser les épaules quand elle poursuivait. Restez deux jours tranquille, la cicatrisation n'en sera que plus rapide.

-Nous allons vous faire mander une calèche pour vous ramener chez vous, fit il à l’attention d’Adryan tout en lui tournant le dos pour repartir vers le bureau. J’imagine aisément que vous ne souhaitez pas passer votre convalescence ici… poursuivit, il, se demandant une seconde, si ce n’était pas lui au fond, qui ne le désirait pas dans les murs de l’Aphrodite et de ce fait, ne lui laissait pas le choix. Quant à moi…, fit il à l’Ortie en se penchant pour sortir une caissette avant de planter ses yeux noirs dans les siens. …il me reste à vous remercier de votre déplacement nocturne et de votre efficacité à prodiguer les soins escomptés. Le sourire s’étira quand les écus glissaient dans une bourse de peau fine, ne doutant nullement d’Hubert et de la confiance que l’on pouvait faire à ses connaissances. Ceci devrait couvrir vos frais, fit-il enfin en se déplaçant pour amener la somme rondelette à Fleur, visant à la dédommager de sa visite et assurer sa discrétion, la lui tendant dans le mouvement amorcé d’une poigne de main respectueuse du commerçant, à l’artisan. Si d’aventure vous aviez quelques instants à m’allouer dans la semaine, j’aurais souhaité vous revoir, fit le chat en penchant la tête pour regarder la donzelle, son air décidé et le feu dansant de sa prunelle. Vos talents… pourraient m’intéresser, poursuivit-il après un silence où il sentit son ventre se hérisser brièvement. Faites-moi savoir vos disponibilités à l’occasion…
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--Adryan
Qu’il détestait cette posture dans laquelle il se trouvait, bêtement asservi à l’aide d’une autre, allongé, impuissant sur cette banquette, maudissant le chauve jusque dans sa mort d’avoir réussi à le blesser jusque dans sa fierté. Par chance, l’ombre verte était efficace, ne perdant pas de temps dans les soins administrés, assenant en prime au comptable une réponse abrupte dont le Castillon se régala dans une mesquinerie grinçante. Certainement se serait-il fendu d’un sourire narquois si la réponse d’Alphonse n’avait sifflé d’une raillerie qui sonnait pleine de dégout à ses oreilles, incapable de concevoir avoir un quelconque attrait aux yeux du brun tant cette pensée l’aurait bousculé encore davantage. Quant au reste des paroles, elles s’évanouissaient doucement entre ses tempes trop occupées à ruminer son aigreur.

« Attention, ça pique »


Quel euphémisme ! Quand le tissu s’appliqua à sa chair à vif, ça ne le piqua pas non, ca lui dévora littéralement tout le coté droit d’un feu ardent! A tel point qu’il se tendit avec fougue dans un râle rauque avant de se mordre les lèvres avec acharnement, étouffant la flopée de jurons qui s’y précipitait. Dans son esprit plein des vapeurs de l’alcool, plus de doutes. Sous ses allures de guérisseuse, la femme n’en restait pas moins une tueuse et sa mission était bel et bien de l’achever. Alphonse avait été fourbe à ce point, et lui idiot après avoir vaincu le chauve, s’était laissé berner comme un débutant. Il allait dépérir là, devant les yeux du comptable qui se régalerait de sa victoire jusqu'à sa mort.

Infâme ! Judas ! Tu n’as pas même le courage de me m’abattre de tes propres mains ! Voilà que tu utilises celles d’une femme ! Mourir par les mains d’une femme ! Moi ! C’est arme au poing qu’il me faut trépasser ! Tu me dépouilles jusqu’à la mort que je mérite !


Oui, parfois le Castillon se laissait aller à sa nature intrinsèque et se montrait un tantinet… douillet. Et alors qu’il allait, dans un élan de piété incongru, implorer tous les Saints dont il connaissait le nom, et même ceux qu’il inventerait - sait on jamais - il réalisa qu’il respirait encore, que la brulure s’estompait, et que hormis une migraine qui commençait à l’assaillir, il allait plutôt bien. L’eau tiède glissant à son flanc sur lui procurait une sensation plutôt apaisante. Apaisante au point de fermer les yeux, le plongeant dans une douce somnolence où les mots trainaient et s’allongeaient dans un coton épais. Et de la tête, il acquiesçait, sans trop savoir à quoi il répondait, d’accord avec tout se qu’on lui annonçait sans l’ombre d’une rebuffade, docile comme un agneau. Il aurait pu s’endormir là, définitivement, sur cette banquette sans plus être gêné de la présence du brun qui pourtant le narguait effrontément en le toisant. Et n’en pas douter, si à cet instant il avait pu ouvrir les yeux, il lui aurait sauté à la gorge pour se repaitre de son visage à sa bouche, avide tant de son souffle que de son sang.

Le temps s’étirait ou se raccourcissait sans qu’il n’en prenne la mesure quand ce fut Hubert qui le tira d’un sommeil où il s’enfonçait. La bouche pâteuse il s’assit sur la banquette, tête basse, ébouriffant ses cheveux en y passant sa main. L’homme de main, dans une sollicitude presque paternelle, l’aida à renfiler sa chemise avant de l’entrainer hors du bureau, amusé de le voir à ce point défait.

Alors que certainement le comptable et l’empoisonneuse se saluaient, le cocher de la calèche, pestant à tout rompre, s’acharnait à mener la grande carcasse amorphe du duc jusqu'à sa chambre, dont Adryan, légèrement revigoré par la fraicheur de la nuit, parvenait à lui indiquer le chemin. Et avant même que sa tête ne se repose sur le traversin, il dormait déjà d’un sommeil lourd dont il ne se parviendrait à s’extirper que bien des heures plus tard, affamé et assoiffé, grondant contre l’argent supplémentaire qu’il devrait rembourser au flamand.
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